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Socio-histoire d'une offre alternative de transport urbain: etude du cas des «woro-woro» de yopougon (abidjan, cote-d'ivoire)


par Yerehonon Jean Zirihi
Université Alassane Ouattara (Ex Université de Bouaké) - Doctorat  2015
  

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4.1.2 À Abidjan, mairies et entrepreneurs privés de transports: seuls pionniers des woro-woro?

Officiellement, dans la ville d'Abidjan, la réglementation de 1977 interdit, l'accès à la partie la plus urbanisée de la ville aux woro-woro. Seuls les autobus de la SOTRA et les taxis-compteurs ont des dessertes urbaines. Mais comme dans de nombreuses villes-capitales africaines, ici à Abidjan, les woro-woro vont au-delà de leur rayon géographique d'activité. Actuellement ils ont des dessertes largement répandues comme le témoignent les liaisons créées entre Yopougon et les autres communes de la ville d'Abidjan depuis le début des années 1990. Les dessertes des woro-woro ne suivent donc pas la réglementation telle que voulue et

127 Ici, le terme d'acteur renvoie aussi bien aux services administratifs (publics comme privés), à l'Etat comme au citoyen, aux organisations professionnelles, aux syndicats, etc.

Théoriquement, selon (Gilly, Perrat, 2003), cela correspond à des logiques de compromis entre des proximités institutionnelles localisées et des proximités

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défendue par l'Etat (norme officielle) comme on le remarque dans les propos suivants du ministre des Transports.

«Ce qui est autorisé au niveau des textes que nous avons aujourd'hui, ce sont effectivement les taxis compteurs et ce que nous appelons aussi les gbaka. Mais il se trouve que avec la crise, depuis plus de vingt ans, il y a une catégorie qui n'était pas légalisée qui s'est introduite. Et compte tenu du fait que l'offre des transports aujourd'hui est insuffisante par rapport au nombre des populations à transporter au niveau de la ville d'Abidjan, ces véhicules qu'on appelle véhicules banalisés ont réussi à s'insérer dans le circuit et s'est introduit». (Propos du ministre Gaoussou, lors du débat télévisé du mardi 25 mars 2014)

Le développement des taxis collectifs dans la mobilité intercommunale, est une action initiée par les populations, organisée en interne par les coopératives des transporteurs et parrainée par les mairies. Ainsi, les woro-woro intercommunaux, bien que n'étant pas reconnus officiellement (ils n'ont pas d'assurance et de déclaration fiscale appropriées au transport collectif), font le transport collectif. Dans les textes, «le véhicule de transport a deux visites techniques dans l'année alors que la voiture particulière qui est utilisée pour ce type de transport n'en n'effectue qu'une seule». Cependant, ce transport qualifié de clandestin est devenu un mode de transport à part entière et accuse même une augmentation. Il a pris l'allure d'un phénomène. Dans la pratiques, ces véhicules sont tolérés parce qu'ils collent mieux à la demande des populations et répondent aux attentes des clients. Ce qui leur a donné une légitimité sociale et un appui institutionnel qui l'oriente et le protège. Pour le ministre des Transports ivoirien, ces véhicules

«rendent aujourd'hui énormément des services aux Ivoiriens. C'est un transport qui s'est imposé de lui-même. Lorsque nous sommes venus, nous avons eu beaucoup de plaintes au niveau des taxis compteurs, ils disent que les taxis banalisés leur livrent une concurrence déloyale» (Propos du ministre Gaoussou, lors du débat télévisé du mardi 25 mars 2014)

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institutionnelles éloignées avec des acteurs internes et externes qui agissent sur la scène globale. À Abidjan, chauffeurs et transporteurs regroupés par affinité ont des revendications collectives parrainées par les syndicats. Ils n'ont aucun lien officiel avec les structures créées par l'Etat, mais négocient «officieusement» avec certains représentants de l'Etat et directement avec les collectivités locales pour l'établissement de lignes et des gares.

La montée en puissance des woro-woro ou l'Etat face à ses propres contradictions?

La mission régalienne de l'Etat en matière de transport public c'est la satisfaction de besoins de mobilité. C'est à ce titre qu'il intervient dans l'octroi des concessions aux entreprises, dans la fixation des tarifs et éventuellement le subventionnement, dans la détermination des coûts des matières premières (carburants, pièces détachées), dans la production et l'entretien de la voirie, la régulation de la circulation et dans l'établissement des conditions d'acquisition des véhicules (Haeringer 1986). En Côte d'Ivoire, ces fonctions sont assumées par des organes centraux de l'Etat, agissant de connivence avec les intérêts privés. L'Etat, intervient aussi parfois directement dans le service, par le biais d'entreprises publiques (SOTRA) ou de régies sous tutelle centrale. De telles missions répondent toujours à des considérations stratégiques de contrôle de la ville et de maîtrise de certains enjeux urbains128. Les entreprises publiques restent cependant peu concurrentielles (faible productivité), déficitaires (nécessité

128 Dans la ville d'Abidjan, les revendications dans le secteur des transports occupent une place importante. La confrontation des transporteurs avec 1'Etat a aboutit souvent à d'importants conflits sociaux, voire de véritables émeutes urbaines lors d'augmentations de carburant, qui ont conduit à des flambées de violence avec paralysie de la ville et déprédation de véhicules. Ces conflits sociaux expriment des enjeux qui ne se limitent pas aux problèmes des transports. Il est donc intéressant de noter comment des mesures telles les hausses du prix de carburant peuvent catalyser les mécontentements d'origine diverses, et mobiliser différents segments des couches populaires comme ce fut en 2008 dès l'annonce de l'augmentation du prix du carburant à la pompe. «Cent soixante et un mille (161 000) travailleurs regroupés dans cinquante et une (51) organisations syndicales chapeautées par la Fédération des syndicats autonomes de Côte d'Ivoire (FESACI), envisagent de mener des actions plus vigoureuses que cette (journée ville morte) en cours, depuis le lundi. Cela, pour protester contre la hausse, depuis le 7 juillet 2008, de 29,2% pour le litre de super et de 44% pour le gazole, sans oublier le gaz domestique» (Soir Info. 17/07/2008).

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d'investissements constants), fragiles et bureaucratiques. Dans l'exercice contradictoire de ses fonctions de régulation d'intérêt public et de planification des activités urbaines, l'Etat semble parfois jouer un double jeu.

À ce sujet, toute une littérature a foisonné chez les africanistes pour qualifier l'État africain au Sud du Sahara: de politique du ventre (Médard 1990), État importé, privatisation de l'État, criminalisation de l'État (Bayart, Ellis et al. 1997), État patrimonial, etc. Cette profusion de notions et de qualificatifs semble se rapporter au fonctionnement actuel des transports alternatifs dans la ville d'Abidjan où la décision de l'Etat d'«assainir» le secteur semble rencontrer des résistances dont il serait lui-même responsable. Etienne Leroy décrit une telle attitude de mystère de l'État et inscrit ce dernier dans le registre de l'initiation, du secret, voire de l'exclusion: «les initiés sont le personnel de l'État qui est censé le servir mais qui peut profiter de cette connaissance pour se servir».

En effet, face aux difficultés récurrentes des autorités (des ministres du Transport, de l'Intérieur ou même de la Défense) à faire respecter leurs décisions «exclure de la circulation tout véhicule qui n'a pas ses pièces au complet pour faire le transport (assurance, visite technique, vignette...)», un agent de la Police Nationale, chargé de l'exécution des lois affirme ceci:

«C'est simple hein! Parce que les patrons mêmes là, eux-mêmes là, les woro-woro ça leur appartient d'abord un. Donc quand un policier fait son travail, par exemple tu as donné un papillon à un chauffeur ou bien tu l'as mis en fourrière, c'est les mêmes patrons qui vont t'appeler pour venir libérer type là. Ce qui fait, le travail sur ce côté, ça ne marche pas. Et puis de deux, les transporteurs ici ont une influence sur les patrons. Parce qu'ils mangent avec eux. Donc quand tu manges avec quelqu'un là, ces trucks là, ça ne peut pas marcher. Tu prends quelqu'un, il te dit c'est toi-même tu vas ramener mon véhicule. Quand on était à la CRS en 1997, on nous a dit aujourd'hui là arrêter tous les woro-woro qui ne sont pas en règle. En 30 minutes, la cours de la CRS était remplie. Mais les minutes qui ont suivi, tous les woro-woro ont été libérés. Donc nous, on prend pour nous en même temps sur le terrain. Les gars cotisent pour donner aux ministres. Chaque ministre qui passe connaît ça. Ils passent à la télé, dans les journaux, faites ça, faites ça. C'est zéro! C'est leur

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mangement. Les transporteurs eux-mêmes nous le disent. Les autorités ne peuvent pas prendre de décisions contre ces transporteurs. C'est nous les policiers on met en conflit avec les transporteurs. C'est une chaîne alimentaire, les gars mangent en haut là-bas» (Sergent T. 19.06.2014).

Rappelons également qu'en 2008, l'Etat ivoirien par le canal du Chef d'Etat-major des Armées (CEMA) avait également entrepris d'enrayer les woro-woro intercommunaux de la circulation. Face aux différentes accusations de racket dont l'Armée ivoirienne est victime129, le Général Mangou, Chef d'Etat-major de l'Armée ivoirienne, à travers l'opération dite «opération Mangou contre le racket» a tracé un nouveau cadre réglementaire bipartite entre les transporteurs et les Forces de Défense et de Sécurité. Le Général Mangou après avoir donné des consignes claires aux différents responsables de l'Armée Nationale, a averti les transporteurs à peu près en ces termes:

«Vous ne devez pas être des fossoyeurs de l'économie en vous complaisant dans la fraude, l'irrégularité et la corruption au détriment du pays».Général Philip Mangou (Frat. Mat du17/09/2008).

De toute évidence, ces dispositions du CEMA relatives à l'application de la réglementation de 1977130 n'ont duré que juste le temps de quelques jours131. Puisque, deux mois après, l'opération est entrée dans un blocage total. Officiellement les raisons avancées tournent autour de manque de moyens financiers. Mais dans les faits, du moins pour ce qui concerne l'agglomération abidjanaise, les problèmes soulevés mettent en relief l'insuffisance de l'offre de transport de l'Etat et le double jeu des collectivités qui taxent ces transports sous prétexte d'aider des jeunes en proie au chômage. Les collectivités à leur tour accusent l'Etat de ne pas tenir compte de leur point de vue.

129 Les agents des forces de l'ordre tapis dans l'ombre profitant de l'inactivité du Comité Technique de Contrôle de la Fluidité Routière(CTCFR) se détournent des directives du CEMA. Les autres obstacles étant la mauvaise foi manifeste de certains transporteurs et des conducteurs qui, en situation irrégulière, tendent à corrompre les agents pour pouvoir exercer librement, et cela en violation desdites mesures.

130 Décret de la Ville D'Abidjan signé le 02 mai 1977

131 Cocody : 319 woro-woro sur 1212 en circulation 908. Adzopé: 1 taxi sur 100 en règle. Daloa : 20 minicars sur 310 roulent. San Pedro: 728 sur 1000 ont déserté les rues. (Fraternité Matin n° 13102 p 2-3, juillet 2008)

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«La plupart du temps, les ministres qui passent ne prennent pas la peine de nous écouter. Ils font ce qu'ils veulent. Oui, mais nous on les regarde. Voilà ce que ça donne». (P. responsable à la mairie de Yopougon 18.01.2014)

C'est aussi le lieu de rappeler que ces derniers temps, le gouvernement ivoirien, par le biais du ministre d'Etat et ministre de l'Intérieur, Hamed Bakayoko a engagé une «guerre» contre les voitures banalisées (woro-woro) tout en leur demandant de se mettre en règle pour exercer dans le transport en commun. Mais les autorités peinent toujours à prendre des mesures réelles contre les voitures banalisées souvent appelées «woro-woro hors la loi». Ce qui a amené certains observateurs de la scène urbaine abidjanaise à affirmer qu'un jour on assistera à la disparition totale des taxis compteurs, car pour cet habitué des woro-woro intercommunaux,

«Quand les woro-woro font grève, Abidjan tombe en panne. Mais quand les taxis compteurs ne roulent pas, rien n'est à signaler» Paul D. (20-03-2014)

Ainsi, ni la SOTRA, ni les taxis compteurs, ne sont à eux seuls capables de répondre à la demande sociale de mobilité. Dans ces conditions, l'Etat n'est-il pas condamné à encadrer l'illégal pour échapper à la pression sociale que peut en engendrer un blocage dans les transports collectifs urbains? Pris en étau entre des acteurs de transport privé de plus en plus nombreux, les collectivités locales (mairie et district) et ses propres agents132, l'Etat est selon (Alaba and Labazée 2007), bien obligé dans certains cas d'autoriser des pratiques s'exerçant en dehors du cadre de la légalité, pour préserver une pacification des rapports sociaux ou dans un but clientéliste. C'est notamment le cas des woro-woro intercommunaux que les autorités sont bien obligées de prendre en compte, dans la mesure où leur propre régie de transport n'est plus capable d'offrir correctement aux populations des moyens adéquats de déplacement. À quelques nuances près, on retrouve des situations similaires en Afrique du Sud.

133 Agents de l'administration publique

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard