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Réconciliation et socialisation politique post-guerre civile libanaise


par Nisrine HADDAD
Université Clermont-Auvergne  - Master II, Relations Internationales  2021
Dans la categorie: Droit et Sciences Politiques > Relations Internationales
   
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II. La réconciliation au Liban aujourd'hui

« Depuis la fin de la guerre, en 1990, je n'ai qu'une préoccupation : m'assurer que mes enfants ne revivent pas ce que j'ai vécu. Je ne veux pas qu'ils aient à prendre les armes un jour. Ni eux, ni aucun jeune de leur âge. Pour cela, un travail de mémoire est nécessaire, surtout si l'on considère la situation dramatique par laquelle passe notre pays. Nous ne pouvons pas comprendre notre actualité , ni construire le Liban de demain, si nous ne connaissons pas notre histoire »82, Fouad Abou Nader (2021).

A travers ces mots, Fouad Abou Nader, un ex-combattant de la guerre civile libanaise a exprimé son inquiétude concernant le sort de ses enfants suite au manque de réconciliation au Liban après la guerre des 15 ans. L'auteur a traduit dans son livre les pensées et inquiétudes de plusieurs parents libanais aujourd'hui. Les raisons de ces inquiétudes constituent les motifs pour lesquels la réconciliation est une nécessité au Liban même après plus que 30 ans (A), et aussi les limites sociopolitiques bloquant la réconciliation libanaise (B).

A. La réconciliation est une nécessité après 32 ans de la fin de la guerre civile

En parlant de la réconciliation, une importante question doit-être posée : est-ce que la réconciliation est nécessaire ?. En interviewant des Libanais, plusieurs considéraient que la réconciliation n'est plus efficace après 32 ans de la fin de la guerre civile, comme par exemple le Maire de la Moualaka Mr. Nazih Chaanine et l'ex-ministre Mr. Charbel Nahas qui considèrent que pour qu'elle soit efficace, la réconciliation doit être faite juste après la guerre. Tandis que la majorité pensait que la réconciliation est une nécessité. Pareil, la plupart des études, rapports et recherches faites sur la sociopolitique libanaise considèrent que la réconciliation est une nécessité, nommons à titre d'exemple le Rapport du Centre Libanais des Droits Humain sur le sujet des disparitions forcées durant la guerre, le Rapport de l'ONG Legal Action Worldwide (LAW) sur le sujet des crimes de violence sexuelles comme arme de guerre durant la guerre civil, les travaux de divers universités comme l'Université Libanaise, l'Université Américaine de Beyrouth, l'Université Saint-Joseph, l'Université Balamand et autres, les travaux de plusieurs chercheuses et chercheurs comme Kamal Hamdan, Paméla Chrabieh, Eric Huybrechts, Chawqi Douayhi, Charbel Jean Skaff, Fouad Abou Nader, Tracy Chamoun et Xavier Baron.

Sur un niveau plus international, comme Valérie Rosoux l'a mentionné dans son travail83, «pour la plupart des chercheurs et praticiens spécialisés dans la résolution des conflits, un seul et même scénario doit être favorisé : la réconciliation. », pour après rajouter « Que ce soit au Liban ou au Haut-Karabakh, en Afghanistan ou en Israël, au Libéria ou au Kosovo tous soulignent le « pouvoir de la réconciliation »84 ». Même le Secrétaire Général de l'ONU Antonio Guterres l'a confirmé en précisant qu' « une réconciliation réussie contribue

82 ABOU NADER F., Liban : Les défis de la liberté, le combat d'un chrétien d'Orient, 2021, L'Observatoire, Paris, p. 11.

83 ROSOUX V., « Réconciliation post conflit : à la recherche d'une typologie », op.cit., p. 557.

84 Formule de l'ancienne Secrétaire d'État américaine Hilary Clinton, reprise par son successeur, John Kerry (Washington, 2 septembre 2015).

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à prévenir la résurgence des conflits, en plus de former le terreau de sociétés plus résilientes, pacifiques et prospères (...) C'est pour cette raison que promouvoir la réconciliation et briser le cercle de l'impunité fait partie intégrante de notre travail »85.

Peut-être que dans certaines sociétés de post-conflit la réconciliation ne se trouve pas comme nécessité, ce n'est pas notre sujet. Concernant le Liban, la réconciliation est une nécessité voire une obligation pour guérir le peuple d'un traumatisme sanglant. Dans ce qui suit, nous allons comprendre précisément pourquoi.

1) Des dossiers toujours non traités

« Il n'y a pas eu au Liban l'oubli salutaire auquel on parvient après avoir travaillé à surmonter un traumatisme, mais il y a eu en revanche, l'oubli pernicieux de ceux qui se contentent de le refouler. En nous enfermant dans le silence, nous nous serions enfermés dans le traumatisme du passé. Au Liban, nous avons " oublié " sans oublier »86 . L'enfermement dans le silence que Amal Makarem a mentionné constitue le non-traitement de dossiers sensibles de la guerre par les autorités libanaises et le manque de réaction face aux demandes du peuple, ce qui rend difficile de tourner la page de la guerre civile même après 32 ans. En effet, ce non-traitement des dossiers bloque la capacité du peuple à surpasser le traumatisme de la guerre civile, et ce jusqu'aujourd'hui, d'où la nécessité de trouver justice.

Deux sujets majeurs n'ont pas été traités suite à la guerre civile et qui constituent une étape importante de la réconciliation libanaise. Le premier étant le dossier des disparus, et le deuxième celui des victime de violences sexuelles utilisées comme arme de guerre durant la guerre civile.

a) Les disparitions forcées et les détentions secrètes :

Durant la guerre civile, des milliers de Libanais ont été enlevés et disparus sur les mains des milices libanaises et des armées syrienne et israélienne, laissant derrière eux des familles qui luttent en majorité jusqu'à ce jour pour savoir leurs sorts. Cette pratique d'enlèvement a durée même après la guerre civile, durant les occupations syrienne et israélienne. Une partie des victimes est détenue en Syrie, l'autre en Israël et celle enlevée par les milices est restée au Liban. Certaines victimes ont été relâchées, d'autres exécutées au Liban, et les restes remises aux autorités israélienne et syrienne parmi lesquelles certaines sont enterrées dans ces pays, et d'autres sont toujours captivées dans les prisons sous traitement inhumain.

Depuis la fin de la guerre civile en 1990, aucune enquête n'a été menée pour savoir ce que sont devenues plus de17 00087 disparus. Il est sûr que des centaines de Libanais sont toujours détenus dans les pires conditions puisque des détenus qui ont été libérés des prisons

85 Conseil de Sécurité, « Conseil de Sécurité : « la réconciliation ne saurait se substituer à la justice, ni même ouvrir la voie à l'amnistie pour les crimes les plus graves », prévient le Secrétaire général », Couverture des réunions, CS/14024, 19 Novembre 2019. [en ligne] : Conseil de sécurité: « la réconciliation ne saurait se substituer à la justice, ni même ouvrir la voie à l'amnistie pour les crimes les plus graves », prévient le Secrétaire général | Couverture des réunions & communiqués de presse.

86 MAKAREM A., Colloque sur Mémoires d'avenir à l'UNESCO, 2001. Retrouvez son intervention sur le site : www.memoirepourlavenir.com/french/profil/index.htm

87Rapport CLDH, op.cit., p. 42.

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syriennes et israéliennes ont confirmé aux familles des autres détenues que le leurs sont toujours vivants et captivés. A titre d'exemple, ce qui suit est un témoignage de la fille de Mohammed Nassar (un jeune libanais enlevé en 1979 à 30 ans) tiré d'un rapport fait par le Centre Libanais des Droits Humain en 2008 :

« En 1988, deux prisonniers libanais libérés de la prison de Adra ont affirmé à la famille de Ahmad Nassar qu'ils étaient détenus dans la même cellule que lui et que, comme eux, il était accusé de complot politique. En 2001 un autre détenu libéré de Syrie leur a dit qu'il avait vu Ahmad et qu'il avait été condamné à 20 ans de réclusion. Il leur a aussi donné un papier, daté de 1999, où Ahmad avait écrit : « Je suis Ahmad Nassar, je suis dans la prison centrale syrienne, chambre 7, dans le sous-sol de la prison. Je suis marié, j'ai deux enfants. » Une signature figure sur le bout de papier, identifiée comme conforme à la signature de Ahmad Nassar »88- Ce témoignage est un parmi plusieurs confirmant la présence d'autres détenus dans les prisons en Syrie et en Israël par des victimes libérées.

Non uniquement les victimes souffrent dans les prisons à cause de la torture quotidienne et les conditions inhumaines, mais leurs familles aussi. C'est une torture psychique et émotionnelle pour les parents et proches des victimes qui finira une fois la vérité sera révélée. Une maman a témoigné : « La disparition de mon fils, c'est comme si je tenais une braise incandescente dans ma main. Cela fait 15 ans que cela me fait mal, mais je ne peux pas la lâcher »89. Ce qui rend la situation encore plus difficile pour les proches de la victime, c'est la négligence des autorités libanaises et la considération par les politiciens que c'est du passé qui doit être oublié.

Aline Manoukian, une rédactrice photo indépendante basée à Paris, a pris cette photo durant la guerre civile libanaise qui a été publiée dans la revue « L'Orient-Le Jour ». Aline a expliqué que "Presque chacun d'entre nous, au Liban, a perdu un proche, un ami, une connaissance pendant la guerre civile. Des milliers de personnes ont été tuées ou enlevées. Je n'ose même pas imaginer à quel point il est insoutenable pour une mère de perdre un enfant. Pire, de ne pas savoir ce qu'il est devenu. Ce jour-là, en 1983, des proches de disparus avaient laissé exploser leur colère au passage du Musée. Ils voulaient des réponses, savoir ce qu'il était advenu de leurs proches. Dans la fumée et le chaos, cette femme vêtue de noir a brandi une photo de son fils disparu. J'ai pris la photo très rapidement, sans me rendre compte que son visage allait me hanter pendant des années. Je l'ai appelée "La Louve". Elle a cette férocité animale, elle serait capable de déchiqueter celui qui oserait faire du mal à son louveteau." 90

88 Ibid., p. 21.

89 Ibid., p. 06.

90 OLJ, « La guerre dans l'oeil de six photographes libanais », l'Orient-Le Jour, 14 Avril 2015. [en ligne] : La guerre dans l'oeil de six photographes libanais - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

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Malgré les réactions faibles des autorités libanaises sur le sujet des disparus en Syrie et en Israël, les familles de ces derniers luttent toujours. Des comités ont été créés comme le « Comité des familles de détenus libanais en Syrie » avec le support de l'association Support of Lebanese in Detention and Exile (SOLID) pour comprendre pourquoi leurs proches ont été détenus. Ces comités ont comme but de faire pression sur les autorités libanaises et syriennes pour libérer les vivants et rendre les morts à leur pays. Malheureusement, les autorités libanaises et syriennes accordent des fausses promesses à ces familles, ou bien dénient l'existence de détenues en Syrie. Malgré le fait que 121 détenus91 ont été libérés des prisons syriennes en 1998 et 5692 en 2000, les autorités libanaises n'ont jamais officiellement reconnu l'existence de détenus libanais en Syrie. Depuis avril 2005, chaque deux ou trois ans les proches des disparus organisent un sit-in au centre-ville de Beyrouth face à (Escwa) qui est la maison des Nations-Unies dans le but d'attirer l'attention de la communauté internationale pour reconnaitre la non application de la résolution 1559 du CS93 par la Syrie tant que les détenus sont dans ces prisons.

En ce qui concerne les familles des disparus en Israël, un Comité de suivi (Khiam rehabilitation Center) leurs apporte un soutien dans la consultation des dossiers soumis au CICR et aux Nations-Unies. Ces dossiers visent à exercer des pressions auprès des autorités israéliennes. La situation des victimes détenues en Israël est plus compliquée que celle des disparus en Syrie vu que Israël est considérée comme un ennemie officiel du gouvernement Libanais. Cette question des détenus libanais en Israël est devenue un sujet de conflit entre le Hezbollah et Israël. A chaque fois que Hezbollah enlève un militaire israélien, des négociations commencent pour libérer des détenus libanais. Par exemple, en 2004, avec des interventions allemandes, une vingtaine de libanais ont été libérés des prisons israéliennes et une soixantaine de familles ont récupérés les dépouilles de leurs proches. En parallèle, un homme d'affaire israélien a été libéré par le Hezbollah après 4 ans de détention et trois corps d'Israéliens ont été rendus à leurs familles.

De la part des autorités libanaises, le premier acte officiel sur le sujet des disparus est la loi de 1995, dite la loi du silence, en vertu de laquelle les personnes disparues peuvent être déclarées mortes. En plus, d'après le rapport du Centre Libanais des Droits Humains94, plusieurs commissions d'enquêtes ont été créées au début des années 2000 mais sans aucun résultat. Nous pouvons mentionner la commission d'enquête de l'année 2000 qui avait un délai de 3 mois pour régler une question de 17 000 disparus. Cette commission n'a pas donné de réponses aux familles des disparus, elle a uniquement émis un résumé de rapport de deux pages confirmant qu'il n'existe pas de disparus ni en Israël, ni en Syrie et que les parents doivent

91 K.P., « Conférence de soutien aux prisonniers, au théâtre de la Sagesse à Achrafieh 228 libanais seraient toujours détenus dans les prisons syriennes », L'Orient-Le Jour, 03 Avril 1998. [en ligne] : https://www.lorientlejour.com/article/265716/Conference_de_soutien_aux_prisonniers%252C_au_theatre_de_la _Sagesse_a_Achrafieh_228_libanais_seraient_toujours_detenus_dans_les_prisons_syriennes.html.

92 FIDH, « Libération de détenus libanais en Syrie », Fédération Internationale pour les Droits de l'Homme, 13 Décembre 2000. [en ligne] : https://www.fidh.org/fr/regions/maghreb-moyen-orient/liban/LIBERATION-DE-DETENUS-LIBANAIS-EN.

93 La Résolution 1559 du Conseil de Sécurité confirme l'indépendance et la souveraineté du Liban et oblige les forces étrangères (Syrienne et Israélienne) de se retirer du territoire Libanais.

94 Rapport CLDH, op.cit. pp. 29-32.

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respecter la loi de 1995 et déclarer leurs proches morts. Une autre commission a été créée en 2001, cette dernière avait comme mission unique de prouver qu'il existait des détenus en Syrie et en Israël et de référer les dossiers des détenus en Israël au CICR et ceux des détenus en Syrie aux autorités syriennes. Cette commission a collecté des témoignages des familles et a reçu 78095 demandes d'enquête de la part des familles des victimes. Elle n'a émis aucun rapport et n'a rien publié tandis que ces membres ont confirmé qu'il existe 97 personnes en vie en Syrie, mais les autorités libanaises n'ont rien fait face à cela. Une troisième commission a été créée en 2005, cette dernière est libano-syrienne ayant comme but d'investiguer sur la présence de détenus syriens au Liban et de détenus libanais en Syrie. Pareil que les autres deux commissions, celle de 2005 n'a pas mené à des résultats effectifs. En effet, les autorités syriennes bloquaient tout progrès de la part de la commission parce qu'ils ne reconnaissent pas officiellement la présence de détenus libanais chez eux. Dans le même rapport du Centre Libanais des Droits Humains, il est mentionné que « Dans les entretiens que nous avons menés, pratiquement toutes les familles nous ont affirmé qu'elles avaient déposé leur dossier devant chacune des commissions et qu'à chaque fois il leur était demandé de fournir à nouveau les informations dont elles disposaient. Pourtant elles n'ont jamais reçu de réponse. Cette attitude a renforcé leur conviction que les autorités libanaises n'avaient aucunement l'intention de révéler le sort de leurs « disparus »96.

Plus récemment, en 2014, le Conseil d'Etat a reconnu le « droit de savoir » des familles des victimes en partageant avec eux les rapports de la commission d'enquête de l'année 200097. En 2015, à l'occasion de la journée internationale des victimes de disparitions forcées le 30 août, « Human Rights Watch » a mis la pression sur le autorités libanaises en publiant un communiqué98 insistant sur la nécessité de créer une commission nationale indépendante pour enquêter sur le sort des victimes disparues forcément durant la guerre civile et les occupations israélienne et syrienne. Après trois ans, le 13 novembre 201899, le Parlement libanais a répondu à cette demande et une loi a été adoptée contenant 38 articles visant à enquêter et à trouver la vérité sur le sujet des disparitions forcées durant la guerre civile libanaise. Cette loi prévoit la création d'une Commission d'enquête nationale composée de 10 membres dont 2 représentent les associations des familles des victimes. Cette commission sera chargée d'enquêter sur le sort des disparus en Syrie et en Israël et sur l'existence de fosses communes sur le territoire libanais.

A travers la loi 105/18, les autorités libanaises ont reconnus « le droit de savoir » des familles des victimes. Cette loi est considérée comme une réussite et une sorte de victoire des comités, associations et organisations des familles des victimes luttant depuis 30 ans. D'après Justine Di Mayo, une représentante de l'ONG libanaise « ACT for the disappeared » (ACT),

95 Liste publiée par le Quotidien Al-Nahar le 17 Avril 2005.

96 Rapport CLDH, op.cit., p. 32.

97 HRW, « Liban : Il faut mettre en place une Commission nationale d'enquête sur les disparitions forcées » Human Rights Watch, 29 Août 2015. [en ligne] : Liban : Il faut mettre en place une Commission nationale d'enquête sur les disparitions forcées | Human Rights Watch ( hrw.org).

98 OLJ, « HRW demande au Liban une commission d'enquête sur les disparitions forcées », L'Orient-Le Jour, 01 Septembre 2015. [en ligne] : HRW demande au Liban une commission d'enquête sur les disparitions forcées - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

99 LAUTISSIER H., « Au Liban, la loi sur les disparus enfin votée », Middle East Eye, 15 Novembre 2018. [en ligne] : Au Liban, la loi sur les disparus enfin votée | Middle East Eye édition française.

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« c'est la première fois depuis la fin de la guerre qu'il y'a un processus de vérité et de réconciliation qui se met en place au Liban »100

Malgré l'espoir créé en 2018 avec la loi 105/18, la commission indépendante n'a pas été créée que 18 mois plus tard avec le gouvernement résultant des manifestations de 2019101. Le gouvernement de Hassan Diab a créé la commission en juin 2020102, deux mois avant la double-explosion du port de Beyrouth103. Suite à l'explosion du Port et à la démission du gouvernement créant la Commission, ce sujet n'a plus été abordé et le nombre des familles des victimes luttant contre l'impunité et pour la vérité s'est augmenté en rajoutant les familles des victimes de la double-explosion. La routine des proches des disparus a repris, des rassemblements au centre-ville de Beyrouth ont recommencés. Sauf que depuis 3 ans les demandes ont changées de « la création d'une loi et d'une Commission d'enquête » en « l'application de la loi 105/18 »104.

Durant ces 32 ans suivant la fin de la guerre civile, les autorités libanaises légitimées par l'accord du Taëf et protégées par la Loi d'amnistie bloquent trois droits fondamentaux du peuple libanais : le droit à la vérité, le droit à la justice et le droit à réparation. La reconnaissance et l'attribution efficace de ces droits est une forme de réconciliation. En fait, comme Nadim Houry105 a déjà affirmé, « Le Liban ne peut pas avancer sans aborder de manière adéquate les problèmes du passé »106. Les familles et proches des disparus veulent aborder ces problèmes du passé, ce sont les autorités libanaises qui les ont gardés dans un état transitoire de va-et-vient entre les familles des victimes et les institutions.

b) Les crimes de genre durant la guerre civile libanaise

Depuis 1990 jusqu'aujourd'hui, le sujet des crimes de genre n'a pas été abordé ni par les autorités libanaises et ni par le peuple. Le premier rapport107 sur le sujet est sorti en juin 2022 par L'ONG « Legal Actions Worldwide » (LAW) intitulé « Ils nous ont violés de toutes les manières possibles. Les crimes de genre durant les guerres civiles libanaises ». Dans le cadre de ce rapport, 142 individus ont été questionnés par LAW. Les statistiques dans le document108

100 Ibid.

101 Evènement plus détaillé dans la conclusion, Partie I, A.

102 COMATY L., « Pour une commission nationale pionnière et innovatrice sur les disparus », L'Orient-Le Jour, 28 Juillet 2020. [en ligne] : Pour une commission nationale pionnière et innovatrice sur les disparus - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

103 Evènement plus détaillé dans la conclusion, Partie I, B.

104 G.D et S.A.S, « Les familles des disparus appellent à l'application de la loi 105 », L'Orient-Le Jour, 30 Aout 2019. [en ligne] : Les familles des disparus appellent à l'application de la loi 105 - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

105 Nadim Houry était le directeur adjoint de la vision Moyen-Orient et Afrique du Nord à « Human Rights Watch » en 2015 quand il a déclaré cela.

106 HRW, « Liban : Il faut mettre en place une Commission nationale d'enquête sur les disparitions forcées », op.cit.

107 SALLON H., « Au Liban, un rapport brise le tabou des violences sexuelles perpétrées durant la guerre civile », Le Monde, 23 Juin 2022. [en ligne] : Au Liban, un rapport brise le tabou des violences sexuelles perpétrées durant la guerre civile ( lemonde.fr).

108 LAW, They raped us in every possible way, in ways you can't imagine: Gendered Crimes during the lebanese civil wars, Rapport de Legal Action Worlwide, Beyrouth, 2021, p. 26.

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qui suit résument la situation actuelle libanaise sur le sujet des crimes de genre durant la guerre civile.

Page 26 du rapport «They raped us in every possible way, in ways you can't imagine: Gendered Crimes during the Lebanese civil wars», Rapport de Legal Action Worlwide, Beyrouth, 2021.

Nous remarquons dans ce document que 81% des personnes interrogées aujourd'hui au Liban sont toujours affectées par la guerre civile, 50% ont toujours un sentiment de colère et de vengeance et 99% ne supportent pas la loi d'Amnistie de 1991. Ces chiffres prouvent l'échec des modes de réconciliations « mythiques » et montrent le besoin du peuple d'une vraie et effective réconciliation au Liban même après 32 ans.

Sur le sujet des crimes de genre, 51% des interrogés ont assisté à des violences sexuelles. Uniquement 9% des crimes de genres ont été rapportés par des victimes et des témoins pour les raisons suivantes :

1.

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Les autres victimes ou témoins ne savent pas que la loi libanaise les protège contre les violences de genre : 51%.

2. Les autres victimes ou témoins n'ont aucune confiance au système juridique libanais : 53%.

3. Les autres victimes ou témoins croient que les Hommes de pouvoir sont « au-dessus » de la loi : 49%.

4. Les autres victimes ou témoins ont eu peur des actes de vengeances qui peuvent résulter s'ils actent légalement : 31%.

5. Les autres victimes et témoins, même personnes non reliées à ces crimes ne savent même pas qu'il existaient des crimes qualifiés comme crimes de genre « gender based crimes » : 66%.

Nous pouvons conclure de ces chiffres que le non traitement des crimes de genre durant la guerre civile et l'impunité de leurs responsables résultent de plusieurs raisons sociopolitiques et psychologiques. La majorité du peuple n'a pas confiance au système politique libanais. Pour eux, le pouvoir de la loi libanaise est affaibli par la corruption des Homme d'Etat. Déjà socialement les crimes de genre sont considérés comme tabou et les victimes ont peur de parler : une femme de 46 ans interviewé par LAW a confirmé que «Female victims do not tell their stories; they need protection if they decide to do so. People consider girls as a shame if they get raped or harassed, because they are the «honour» of the family.»109. Alors déjà les

109 Rapport LAW, op. cit., p. 39.

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victimes ont peur pour leur « réputation » et celle de leurs parents, en plus même si théoriquement le code pénal libanais les protège, pratiquement elles pensent que la loi ne s'applique pas au Liban et que les responsables politiques contrôlent le système judiciaire libanais. Sans oublier qu'à cause de la loi d'Amnistie, l'impunité est devenue un grand titre au Liban et les victimes n'ont plus d'espoir pour trouver justice. Comme conséquence un impact psychologique et physique chez les victimes et la société est resté non traité depuis une trentaine d'années : Un homme de 50 ans a témoigné auprès de LAW que «My cousins, until this day, have psychological impacts from what they witnessed and heard about It»110 . Une femme de 52 ans a témoigné aussi que « I feel mentally and physically ill - I suffered from insomnia and was scared a lot. I used to imagine that they wanted to kill me, I was paranoid,

I was nervous, and I still am. I have problems in my stomach now111 Un homme de 60 ans a déclaré aussi «Many women were tortured so badly that they are physically and mentally disabled. Women were bullied, pulled by their hair, electrocuted, harassed, and threatened of rape in the detention centre.»112

En parlant des crimes de genre qui ont eu lieu durant la guerre civile libanaise, le rapport de LAW a spécifié 5 types113 :

1. La violence basée sur le sexe et le genre : Des viols, des viols collectifs et de masses, la torture sexuelle, des mutations génitales et l'humiliation y compris l'électrocution des seins et de la région génitale, l'obscénité, la nudité forcée et la prostitution ont été faites par des acteurs étatiques et des miliciens contre des femmes et des filles.

2. Meurtres et enlèvements : Des femmes, des filles et des enfants y compris des femmes enceintes et des foetus, ont été tués et enlevés par des acteurs étatiques armés, des miliciens.

3. Impact sexospécifique des disparitions forcées : Les disparitions forcées d'hommes ont eu un impact sexospécifique sur les femmes et les filles, avec des implications économiques, sociales et sécuritaires négatives.

4. Violence familiale : Les femmes et les filles ont subi des violences familiales, y compris des coups, des violences verbales et sexuelles de la part de leur mari et de membres masculins de leur famille en raison des effets psychologiques prolongés des guerres.

5. Rôle des femmes dans les milices : Les femmes et les filles ont joué un rôle important au sein des milices armées dans diverses capacités non combattantes (discrimination).

Ces crimes de genre qui ont eu lieu durant la guerre civile ont laissé un impact traumatisant dans la société libanaise. Cet impact se traduit d'une génération à une autre. Ces crimes ont changé les aspects de la vie libanaise (sociale, légale et politique). Le manque de discussion et de suivi psychosocial a mené les victimes, les témoins, leurs proches et même la société entière à trouver des moyens pour vivre avec un tel passé sans aucun accès à la vérité, la réparation et la justice. Avec le temps, tous ces éléments ont mené le peuple a perdre de plus en plus de confiance en le système politique libanais et la loi libanaise. D'où une nécessité du dialogue,

110 Loc. cit.

111 Loc. cit.

112 Loc. cit.

113 Ibid. p. 27.

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pour la vérité, la justice et la réparation. Ces nécessités commencent par l'indentification du passé et les travaux de mémoire collective (2).

2) Manque d'une mémoire collective

« Personne ne survit à une guerre, pas même les vivants. Ceux qui en réchappent hébergent plusieurs tombes. Avec pour seule rémission une histoire à écrire », Colum McCan.

Selon les paroles de McCan, le peuple libanais n'a jamais été remissionné puisqu'un travail de mémoire nationale commune n'a jamais pris place officiellement après la guerre civile libanaise. Avant de rentrer dans les détails du manque d'histoire et de mémoire commune de la guerre au Liban, il est nécessaire de clarifier la relation entre mémoire et histoire. En effet, et dans le cas Libanais, le Professeur Antoine Messarra, qui faisait partie d'une Commission chargée de rédiger une histoire commune libanaise, a remarqué qu'il existe une « dichotomie entre l'histoire enseignée et les mémoires collectives »114, « le résultat est une société à souvenirs fragmentés, des souvenirs avec lesquels nous ne sommes pas réconciliés »115. En effet, l'histoire libanaise officielle se termine avec l'indépendance du pays en 1943. Tout ce qui suit cette période dépend de l'établissement scolaire. Chaque région enseigne sa propre version et interprétation. Il n'existe pas un livre d'histoire objectif citant des faits et non pas des interprétations. La commission, dont professeur Messarra faisait partie, avait finalisé un livre d'histoire commun basé sur les différentes mémoires communes du pays, il fallait uniquement l'imprimer en juin 2000 quand l'ancien ministre de l'Education, Abdel Rahim Mrad, a arrêté toute opération d'impression.

Selon Maurice Halbwachs, «(...) la mémoire collective ne se confond pas avec l'histoire (...) L'histoire, sans doute, est le recueil des faits qui ont occupé la plus grande place dans la mémoire des hommes. Mais lus dans les livres, enseignés et appris dans les écoles, les événements passés sont choisis, rapprochés et classés, suivant des nécessités ou des règles qui ne s'imposaient pas aux cercles d'hommes qui en ont gardé longtemps le dépôt vivant. C'est qu'en général l'histoire ne commence qu'au point où finit la tradition, moment où s'éteint ou se décompose la mémoire sociale. »116. Enzo Traverso a rajouté à cela qu'il est nécessaire de « prendre compte l'influence de l'histoire sur la mémoire elle-même, car il n'y a pas de mémoire littérale, originaire et non contaminée : les souvenirs sont constamment élaborés par une mémoire inscrite au sein de l'espace public, soumis aux modes de penser collectifs mais aussi influencés par les paradigmes savants de la représentation du passé»117. Alors sans doute l'histoire ne doit pas se confondre avec la mémoire, mais en même temps, la mémoire collective influence l'histoire et l'histoire est construite selon la mémoire collective et sociétale. Dans son même ouvrage « la mémoire collective », Halbwachs met en lien la notion de mémoire collective avec celle de la mémoire individuelle. En effet, et confirmé par plusieurs autres auteurs comme Johan Michel et Marie-Claire Lavabre, il existe un lien très basic et fort entre la mémoire collective et la mémoire individuelle, et c'est l'unité sociétale qui protège la

114MESSARRA, A., « Ecoles au Liban: dur d'enseigner une histoire commune », L'OBS, 08 Novembre 2016. [en ligne] : Ecoles au Liban : dur d'enseigner une histoire commune ( nouvelobs.com).

115 Ibid.

116 HALBWACHS M., La mémoire collective, Paris, Les Presses universitaires de France,1967.

117 TRAVERSO E., Le passé, modes d'emploi : Histoire, mémoire, politique, Paris, La Fabrique, 2005, p. 29.

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mémoire collective et l'identité nationale118. Si nous voulons schématiser l'ensemble des interprétations citées ci-dessus :

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Définition de la mémoire collective (119), définition de la mémoire individuelle (120).

Au Liban, les mémoires individuelles ont formé les mémoires collectives politico-confessionnelles. Chaque parti politico-confessionnelle de la guerre civile a formé sa mémoire collective dans sa propre société et a transmis cette mémoire à ses enfants et dans ses propres établissements scolaires. En d'autres termes, les mémoires collectives politico-confessionnelles ont remplacées la mémoire collective nationale commune qui se divise sur 19 versions différentes de livres d'histoire121.

En parlant de la guerre civile libanaise, même sa raison déclenchante n'est pas communément identifiée ni traitée. En interviewant des responsables politiques libanais et des membres de la société civile, la question du début de la guerre civile a été posée. Chaque interviewé a donné une interprétation différente :

118 Nous revenons sur ce lien entre l'unité sociétale et l'identité commune dans la troisième partie de ce mémoire portant sur la socialisation politique confessionnelle.

119 VIDAL-BENEYTO J., « La construction de la mémoire collective. Du franquisme à la démocratie », Diogène, vol. 201, no. 1, 2003, pp. 17-28.

120 MICHEL J., « Esquisse d'une socio-phénoménologie historique de la mémoire collective », in Mémoires et histoires : des identités personnelles aux politiques de reconnaissance, Rennes, PUR, 2005, p. 90.

121 RIZK B., « Génocide arménien, guerres civiles libanaises et mémoire collective », Agenda Culturel, 27 Avril 2020. [en ligne] : Génocide arménien, Guerres civiles libanaises et mémoire collective ( agendaculturel.com).

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- Professeur Fayez Araji (extrême gauche) : a précisé que la guerre civile libanaise n'est pas internationale mais purement interne. Elle a commencé pour des raisons économiques et sociales (en relation avec la démographie). C'est la fragilité de la société qui a causé la guerre civile libanaise122.

- Monsieur Dany Fayad (Phalangiste) : a justifié la participation de son parti à la guerre par la légitime défense contre les palestiniens : « nous avons participé à la guerre civile et nous étions les premiers à le faire pour se défendre et non pas pour attaquer. C'est une légitime défense face aux palestiniens et les syriens avec des autres nations qui ont essayé de nous jeter à la mère. C'était dit par Kamal Joumblatt « badna nkeb el masihiye bel baher» « .t. í~,_íÓãti L »123, « Nous n'avons attaqué personne, nous ne sommes pas partis en Palestine pour envahir Jérusalem, ni en Syrie pour envahir Damas. Nous étions là, c'est eux qui sont venus. On a défendu notre terre et en plus c'est notre civilisation et notre mode de vie »124

- Un ancien général militaire palestinien au sein de l'OLP : considère que les Chrétiens ont commencé à se militariser même avant le début de la guerre civile ce qui prouve que ce n'était pas une légitime défense. Selon lui, la guerre civile libanaise a commencé par une décision Etats-unienne vu que le Liban était faible et n'a pas pu refuser. «En effet, si Yasser Arafat a voulu que le Liban se transforme en Palestine, il aurait pu le faire »125.

- Docteur Walid Fahd Zeitouny (Parti Social Nationaliste Syrien) :«Comme déjà mentionné, nos partis politiques servent les intérêts des autres Etats au Liban. Ghassan Tuéni considère que c'est la guerre des autres sur notre terrain, moi je considère que c'est la guerre des autres et la nôtre sur notre terre. Les libanais aussi ont fait la guerre et y ont participés »126.

- Monsieur Alain Mounayer (Les Forces Libanaises) : « nous n'étions jamais la cause de la guerre mais toujours en état de défense, notre cause n'a pas fini mais elle vient de commencer dans le but d'avoir 3 choses : disparition des armes illégales, impartialité étatique et pouvoir juridique indépendant. »127

- Monsieur Ali Sandeed (ONG Search For Common Ground) (Palestino-syrien résident au Liban): Pour Ali, il y'avait déjà des préparations longtemps avant la guerre civile, mais le fait déclencheur était l'attaque du bus des palestiniens à Ain al Ramadi. « Mais ce n'était qu'un fait déclencheur de préparations déjà existantes dans le but de garder le Liban faible et fragile »128. Pour Ali, les interventions externes forment la raison

122 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Docteur Fayez Araji, 23 Mai 2022, Zahlé, 00: 14: 00, p. 03. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1D57da5PNK0N8XZkCQWsl7NrETHp1WqVR/view?usp=sharing.

123 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Monsieur Dany Fayad, 19 Mai 2022, Zahlé, 00 :12:00, p. 06. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/16nZnYaHLjcFbcHUl9FAAMxeLz28jvWIB/view?usp=sharing.

124 Ibid. 00 :13 :10.

125 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Ancien militant de l'OLP, 28 Mai 2022, Saida, p. 28.

126 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Monsieur Walid Zeitouny, 20 Mai 2022, Mreijat, 00 :41 :00, p. 07. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1Bln7ga1-OKgiaXjqD_n0DIn8TDiQuItU/view?usp=sharing.

127 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Monsieur Alain Mounayer, 27 Mai 2022, Zahlé, 00 :12 :28, p. 12. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1FqeRNEOOl3iPk-d9Iom9Xuts277aKduc/view?usp=sharing.

128 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Monsieur Ali Sandeed, 24 Mai 2022, SFCG HQ, 00 :01 :48, p. 19. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1FtjVOXQ5IAbquq6eNyleYzn8RQYOEXIx/view?usp=sharing.

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principale de la guerre civile libanaise. « les leaders des milices exécutaient les ordres externes au sein du pays en jouant sur les sensibilités religieuses du peuple »129.

- Monsieur Ramzi Abou Ismail (Psychologue politique) : confirme que « D'un point de vue social, les raisons de la guerre n'ont pas été discutées ni traitées. Une partie considérait que le palestinien occupait le Liban, une autre que le palestinien n'était qu'un simple réfugié. Et ce dernier a choisi une partie ce qui a déclenché la guerre»130.

La nature même de la guerre civile libanaise et ses raisons ne sont pas identifiées communément entre le peuple. Certains considèrent que c'est la guerre des Libanais chez eux, d'autres que c'est la guerre des autres au Liban, d'autres lient la guerre aux finalités palestiniennes tandis que les palestiniens pensent que s'ils avaient la volonté d'occuper le Liban personne ne pouvait les arrêter. Les milices chrétiennes pensent que c'était uniquement une légitime défense tandis que les chrétiens communistes pensent que si c'était le cas il ne fallait pas commettre des génocides, etc. Dans les interprétations il existe plusieurs approches qui peuvent être faites sur la source et les motifs de la guerre civile libanaise. Mais dans les faits personne ne peut rien changer. L'histoire doit être écrite selon les faits et non pas les interprétations, et cela doit être initié rapidement pour régler un problème juridique, psychologique et social flagrant.

Selon le résultat d'un projet collectif entre l'Université Saint-Joseph et l'Institut Français du Proche Orient sur le sujet de la mémoire de la guerre au Liban, un des constats communs est qu'au Liban il existe une « inflation mémorielle » due à la « fragmentation communautaire et territoriale de la mémoire »131 résultante de l'absence d'une mémoire nationale. D'où la nécessité de reconstruire une mémoire nationale illustrant un besoin conscient de vivre ensemble et clarifiant un passé dans le but de lutter pour la vérité et contre l'impunité et l'oubli imposés par les autorités.

3) L'oubli : Manque de regret et de pardon

Depuis la fin de la guerre civile jusqu'à nos jours, il n'y a pas eu de remords de la part des responsables ni de pardon de la part des victimes et leurs familles. Cela est dû au manque de réconciliation effective au Liban. Le Taëf et la Loi d'Amnistie avec la loi du Silence bloquent tout travail de mémoire et imposent l'impunité et l'oubli au peuple libanais. Nous nous demandons si l'oubli est important pour la nation. Pour Ernest Renan, les travaux d'histoire mettent les nations en danger132 et l'oubli est essentiel pour le bienêtre des nations, mais est-ce que c'est le cas au Liban ?

129 Ibid.

130 Annexe 1, « Interviews faites au Liban », Monsieur Ramzi Abou Ismail, 15 Juin 2022, Zoom, 00:06:32, p. 23. [en ligne] : https://drive.google.com/file/d/1b9jh-Iv0hETYvJiRCuuPn2NMwub-cEcI/view?usp=sharing.

131 PICARD E., « Mermier Franck, Varin Christophe, Mémoires de guerres au Liban (1975-1990), Paris, Sindbad Actes Sud, 2010, pp. 620. », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, no. 131, 2012. [en ligne] : Mermier Franck, Varin Christophe (sous la dir. de), Mémoires de guerres au Liban (1975-1990), Paris, Sindbad Actes Sud, 2010, 620 p. ( openedition.org).

132 RENAN E., Qu'est-ce qu'une nation ?, (1882), Kissinger Publishing, 2010, 36 p.

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Une simple déclaration de Madame Wadad Halwani, une maman d'un disparu, suffit pour comprendre la difficulté de l'oubli au Liban : « j'aimerai connaitre la vérité avant de quitter la vie, mais je sais que le chemin est encore long. Si nos enfants ne parviennent pas à connaitre le sort de nos proches, ce seront nos petits-enfants qui prendront le relais. Mais je voudrais tellement qu'ils n'héritent pas de ce poids ». Comme Madame Halwani, plusieurs victimes et proches de victimes de la guerre civile libanaise ont soif pour la vérité et vont «céder» cela non uniquement à leurs enfants mais à leurs petits-enfants. Dans son article sur la mémoire de la guerre au Liban133, Aïda Kanafani-Zahar a mis la lumière sur le fait qu'il y'a toujours une probabilité d'oublier, dans toute guerre, sous forme de « mémoire occulté ». Mais en parallèle il y'a toujours des expressions visibles qui empêchent l'oubli et imposent la mémoire. L'autrice a donné l'exemple de la reconstruction du centre-ville de Beyrouth qui a été détruit au début de la guerre. En effet, le centre-ville de Beyrouth qui était le symbole de la coexistence islamo-chrétienne et de la prospérité économique libanaise, est devenu le symbole de la haine et de l'appauvrissement durant la guerre civile. C'est par la rue de Damas-place des Martyrs que s'est dessinée «la ligne de la mort» entre Beyrouth Est (des Chrétiens) et Beyrouth Ouest (des Musulmans). Cette frontière était un endroit de conflit continu. Il y'avait des tirs jours et nuits entre les milices chrétiennes du coté Est et musulmanes du côté Ouest. Même les passagers prenaient une énorme risque pour traverser d'un coté à l'autre. On estime que le nombre de morts à ces frontières est 20 000134. En 1994, la société libanaise pour le développement et la reconstruction de Beyrouth (Solidere) a pris l'initiative de reconstruire le centre-ville exactement tel qu'il était en rachetant les droits des propriétaires du Balad et de la place des Martyrs. Cette société, sous l'impulsion de l'ancien premier ministre Rafic Al Hariri, a pu reconstruire le Balad tel qu'il était, mais pas la place des Martyrs qui est restée rasée. Cette place a repris sa nomination et rôle le 14 mars 2005 quand 1 million de Libanais se sont rassemblés là-bas pour commémorer la mémoire du Premier Ministre assassiné le 14 février de la même année, Rafic Al Hariri135. Cette reconstruction du centre-ville avait comme but de renforcer les liens sociaux entres les 18 confessions libanaises et de renforcer l'économie libanaise après 15 ans de guerre par la reconstruction des marchés et des zones commerciales.

Figure 1: Photo personnelle de l'Hôtel Saint-Georges à Beyrouth.

Figure 2 : Photo de Kawa-News.com.

Malgré les efforts de reconstruction du centre-ville, dans les mémoires individuelles des gens c'était un endroit de conflit divisant Beyrouth confessionnellement. Il existe toujours des immeubles non reconstruits et endommagés qui nous rappellent de la guerre civile libanaise. Prenons par exemple l'hôtel « Saint-Georges » dont les propriétaires refusent toujours de le vendre à Solidere, et par contre ont affiché

« Stop Solidere » sur sa façade (Fig.1). Ou bien l'exemple du grand théâtre de Beyrouth situé au milieu du centre-ville (fig.2).

133 KANAFANI-ZAHAR A., « Liban, mémoires de guerre, désirs de paix », La pensée de midi, vol. 3, no. 3, 2000, pp. 75-84.

134 Ibid., p. 84.

135 BEAUCHARD J., « Beyrouth, ville ouverte et fermée », Hermès, La Revue, vol. 63, no. 2, 2012, pp. 109-115.

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Cette mémoire reconstruite de l'espace ne peut être remplacée par l'oubli. Même après la reconstruction du centre-ville, les libanais vont toujours se souvenir des horreurs de la guerre civile si un travail de mémoire et de réconciliation ne prend pas place. Même si il ne reste aucune trace urbaine de la guerre civile, les traces psychiques, corporelles et sociales ne peuvent pas s'oublier. Même avec un travail de mémoire, l'oubli n'est pas possible, mais la réconciliation change la manière dont le citoyen regarde la guerre et l'effet de cette guerre sur son comportement sociétale et sa santé psychique.

Avec les travaux de mémoire, chaque partie de la guerre sera capable de voir le point de vue de l'autre et cela va éclaircir l'image globale de ces 15 ans. Le remords et le pardon perdus constituant des tensions socio-politiques depuis une trentaine d'années peuvent être trouvés avec la réconciliation. Dans son livre, Fouad Abou Nader ne considère pas que son parti d'extrême droite a eu tort « Nous avons dû combattre, mais il serait faux de prétendre que nous avons eu tort et que nous sommes responsables de la situation dans laquelle le Liban se trouve aujourd'hui. (...) Je n'ai rien à me faire pardonner dans cette guerre. Nous avons bien agi »136. Chaque partie de la guerre civile pense la même chose, et insiste que si le Liban se trouve aujourd'hui dans la même situation elle va réagir de la même manière. Mais sans partager, entendre et écouter l'autre partie, aucun des partis politiques ne va comprendre ses responsabilités et regretter quelques actes pour que les victimes de ces actes pardonnent. La reconnaissance des souffrance des victimes aide à cicatriser les plaies de la guerre.

« Il est urgent de ne pas oublier, urgent de regarder en arrière et d'essayer de (nous) comprendre enfin entre nous, les citoyens de ce pays. Urgent de saluer le courage de gens qui portent leur passé d'acteurs de la guerre comme une croix et passent le seul message qui vaille : celui de la réconciliation civile, citoyenne »137

B. Les limites de la réconciliation aujourd'hui

En septembre 2017, devant l'Assemblée Générale des Nations-Unies, le Président de la République Libanaise Michel Aoun a déclaré que le Liban est en paix et que le monde doit profiter de cette expérience réussite en matière de réconciliation, de dialogue et de cohabitation entre différentes religions et ethnies138. Cette déclaration a été fortement critiquée par la majorité du peuple libanais, des politistes, des juristes, des chercheuses et des chercheurs qui vu qu'un dialogue et une réconciliation effective au Liban n'ont toujours pas eu lieu après la guerre civile libanaise. Cela pour plusieurs raisons dont la faiblesse des institutions étatiques à cause du système politique communautaire (1), qui a mis en place les leaders politiques actuels refusant d'initier une véritable réconciliation (2) et laissant des pays tiers intervenir dans les affaires nationales (3).

136 ABOU NADER F., Liban : Les défis de la liberté, le combat d'un chrétien d'Orient, op.cit., p. 12.

137 TARRAF S., « Une paix si malaisée ! Comme une litanie... », blog Chroniques civiles du Liban et d'ailleurs, 19 Novembre 2013. [en ligne] : https://libanchroniquesciviles.wordpress.com/tag/assaad-chaftari.

138 ABOU JAOUDE K.H., « Le Liban, un modèle de réconciliation ? », L'Orient-Le Jour, 28 Octobre 2017. [en ligne] : Le Liban, un modèle de réconciliation ? - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

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1) La corruption des institutions étatiques due au système politique communautaire

« Les institutions de la Seconde République sont à bout de souffle, le clientélisme et le confessionnalisme politique gangrènent le système politique depuis l'indépendance ».139

Comme déjà mentionné dans l'introduction, depuis la fin du XIXème siècle, le communautarisme politique s'est implanté dans le système politique Libanais dans le but de permettre à toutes les confessions de gérer équitablement et pacifiquement les affaires du pays. Par contre, les effets de ce communautarisme n'étaient que négatives sur le futur des institutions étatiques. En effet, le communautarisme politique a été utilisé par les partis libanais pour servir leurs propres intérêts et non pas ceux de la nation. Que ça soit à travers le Pacte Nationale ou bien l'accord du Taëf, le communautarisme n'était qu'un outil pour partager les intérêts entre les différents partis politico-confessionnels.

« Au Liban, le communautarisme est le partage institutionnalisé du pouvoir entre les différentes communautés religieuses du pays selon leur importance, et l'exercice par les autorités religieuses de prérogatives ailleurs détenues par l'Etat »140. Le Gouvernement et le Parlement libanais sont composés équitablement entre Chrétiens et Musulmans, cela surtout après l'accord du Taëf et la création de la deuxième République libanaise. Même si dans la constitution de 1926 et dans l'accord du Taëf cette division communautaire est uniquement transitoire, aucun calendrier n'a été précisé, jusqu'à nos jours, pour finir cette transition. Par la suite, cette division confessionnelle des postes institutionnels a donné la chance aux ex-chefs de milices de devenir des élites politiques et des dirigeants institutionnels.

C'est normal à la fin des guerres civiles que les vainqueurs dirigent les pays, mais au Liban il n'y a pas eu de vainqueurs officiels, alors les dirigeants sont tous des chefs et représentants de partis qui s'entretuaient durant les conflits. Cela ne signifie pas forcément que les institutions étatiques vont devenir corrompus, sauf qu'au Liban l'encadrement de cette transformation des « princes de guerre » en des Hommes d'Etat était fragile, faible et en elle-même mal saine. En effet, dans la logique communautaire libanaise, les citoyens se tournent vers leurs chefs politico-confessionnels occupants des rôles institutionnels pour se protéger des autres confessions, ce qui a développé un clientélisme. Selon Professeur Ghassan Salamé, le clientélisme au Liban a créé une sorte de «cleptocratie » puisque « l'élite corrompue qui dirige le pays est une élite redistributive »141 parce qu'elle redistribue une partie de cet argent volé à sa partie des citoyens fidèle. La corruption au Liban est devenue un mode de vie, que ça soit dans les institutions étatiques juridiques, politiques ou même administratives. Selon le rapport

139 MALSAGNE S., « Les élections présidentielles au Liban : entre espoir et retour douloureux de l'Histoire », Confluences Méditerranée, vol. 97, no. 2, 2016, pp. 157-173.

140 BARON X., Le Liban, une exception menacée: en 100 questions, op.cit., p. 138.

141 SALAME G., « Chaos au Liban: l'analyse de Ghassan Salamé », Figaro Live, 07 Février 2022. [en ligne] : Chaos au Liban: l'analyse de Ghassan Salamé ( lefigaro.fr).

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de Transparency International de 2021, le Liban est classé 154eme parmi les 180 Etats les moins corrompus au monde selon le « Corruption Perceptions Index » (doc. 1) 142.

Document 1 : Site Officiel de "Transparency International"

Selon les études d'une association locale « The Lebanese Transparency Association » faites en 2013, des pots de vins sont payés par plus de 60% des Libanais pour la facilitation de leur accès aux services publiques et administratives143. Tandis que plus récemment, en 2019, le journal « Le monde » a publié que 93%144 des Libanais confirment la corruption de leur gouvernement.

Le système communautaire Libanais, suite au Pacte Nationale confirmé par le Taëf, est fondé sur le consensus de toutes les confessions libanaises. En effet, et selon l'ancien ministre des Télécommunications et du Travail Professeur Charbel Nahhas, le droit de Veto qui est plutôt coutumier que constitutionnel bloque la capacité exécutive du pouvoir145. Concernant ce droit, l'article 65 de la Constitution (révisé au Taëf) mentionne en ce qui concerne le gouvernement que :

« Le quorum légal pour ses réunions est des deux tiers de ses membres. Les décisions y sont prises par consensus, ou si cela s'avère impossible, par vote, et les décisions sont alors prises à la majorité des présents. Quant aux questions fondamentales elles requièrent l'approbation des deux tiers des membres du Gouvernement tel que le nombre en a été fixé dans le décret de formation. Les questions suivantes sont considérées comme fondamentales: La révision de la Constitution, la proclamation de l'état d'urgence et sa levée, la guerre et la paix, la mobilisation générale, les accords et traités internationaux, le budget général de l'Etat, Les programmes de développement globaux et à long terme, la nomination des fonctionnaires de la première catégorie ou équivalent, la révision des circonscriptions administratives, la dissolution de la Chambre des députés, la loi électorale, la loi sur la nationalité, les lois

142 TRANSPARENCY INTERNATIONAL, « Corruption Perceptions Index- Lebanon», CPI, 2021. [en ligne] : 2021 Corruption Perceptions Index - Explore the... - Transparency.org.

143 E.C, «Le Liban, un pays corrompu jusqu'à la moelle osseuse- mais qui est responsable ? », L'Echo Du Cèdre, 2013. [en ligne] : Le Liban, un pays corrompu jusqu'à la moelle osseuse - mais qui est responsable ? - L'Echo du Cèdre ( weebly.com).

144 FATTORI F., HOLZINGER F., LAGADEC A., PICARD F., «Liban: un Etat gangrene par la corruption», Le Monde, 22 Novembre 2019. [en ligne] : Liban : un Etat gangrené par la corruption ( lemonde.fr).

145 Annexe 1, « Interviews faites au Liban», Professeur Charbel Nahas, 06 Juin 2022, Achrafieh, p. 02.

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concernant le statut personnel et la révocation des ministres. »146. Ce quorum de 2/3 évite qu'une confession prenne la décision sans l'approbation d'au moins une partie de l'autre. Mais par contre, si 1/3 de la Chambre des Ministres décide de bloquer une décision, elle peut le faire. La coutume a pris l'article 65 de la Constitution Libanaise et a introduit le droit de Veto « ÞÍ ÖÞäáÇ » dans les travaux de la Chambre des Ministres et ceux du Parlement libanais. Alors aujourd'hui, si un parti ou bien une alliance politique n'a pas minimum 1/3 des députes et désire bloquer une décision, les négociations commencent pour diviser leurs intérêts avec des autres ministres ou députés et atteindre le minimum requis pour le droit de Veto. C'était le cas en 2006 lorsque les ministres chiites ont quitté en bloque le conseil des ministres147 pour éviter la création d'un Tribunal Libano-international pour enquêter sur l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005. C'était aussi le cas en 2014 lorsque de même le camp chiite a empêché les élections présidentielles pour 2 ans pour élire le général Michel Aoun en 2016148. Le principe de la majorité des deux-tiers cédé depuis la Première République s'est transformé de facto en quorum des députés au sein du Parlement nécessaire pour élire un Président de la République. Pour Chibli Mallat, un politologue libanais, ce Veto est une spécificité libanaise permettant le blocage par les tiers restants de toute décision menant à la perte de leur candidat présidentiel. Pour Mallat c'est un problème purement d'ordre constitutionnel149. Depuis le Taëf jusqu'à nos jours, les responsables des partis menacent les autres partis par ce droit de Veto. Comme par exemple suite aux élection législatives de 2022, le Chef du parti FL Samir Geagea a rappelé plusieurs fois150 la possibilité d'utiliser le droit de Veto pour bloquer les décision du couple chiite et leurs alliés.

En 2012, Mounir Corm a publié un essai151 en parlant du désire des Libanais de sortir de ces institutions menées du Taëf et d'émerger une troisième République. Même en 2008, Ghassan Tuéni a appelé le Liban a une révolution culturelle autour de la notion de citoyenneté vers un nouveau Pacte National152. Ces initiatives mènent au changement des institutions vers des autres qui peuvent élaborer une réconciliation au niveau étatique. Mais pour le moment, les institutions corrompues existantes sont incapables de le faire par manque de capacité, de consensus et de désire dans le but de protéger les intérêts des partis politiques.

146 La Constitution Libanaise, site officiel du Conseil Constitutionnel Libanais. [en ligne] : La Constitution Libanaise.pdf ( cc.gov.lb).

147 AFP et REUTERS, « Démission des cinq ministres chiites du gouvernement libanais », Le Monde, 11 Novembre 2006. [en ligne] : Démission des cinq ministres chiites du gouvernement libanais ( lemonde.fr).

148 AFP avec Le Monde, « Liban : Michel Aoun élu président après plus de deux ans de vide politique », Le Monde, 31 Octobre 2016. [en ligne] : Liban : Michel Aoun élu président après plus de deux ans de vide politique ( lemonde.fr).

149 MALLAT C., « Blocage », L'Orient-Le Jour, 14 Février 2016. [en ligne] : Blocage - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

150 REUTERS, « «ÉãæßÍáÇ ÉÚØÇÞãÈ ÏÏåíæ »Çááå ÈÒÍ« Úã »ÉÑíÈß ÉåÌÇæã« ÚÞæÊí ÚÌÚÌ ..»ðÇÑíËß ÇæÍÑí áÇ ãåíáÚ », ÊÓæÈ íÈÑÚ, 01 Juin 2022. [en ligne] : «ÉãæßÍáÇ ÉÚØÇÞãÈ ÏÏåíæ »Çááå ÈÒÍ« Úã »ÉÑíÈß ÉåÌÇæã« ÚÞæÊí ÚÌÚÌ ..»ðÇÑíËß ÇæÍÑí áÇ ãåíáÚ ( arabicpost.net).

151 CORM M., Pour une III è République libanaise. Etude critique pour une sortie de Taëf, L'Harmattan, 2012, 122 p.

152 SAVIGNEAU J., « Ghassan Tuéni : « La force culturelle du Liban, c'est la liberté d'expression », Le Monde , 06 Novembre 2009. [en ligne] : Ghassan Tuéni : "La force culturelle du Liban, c'est la liberté d'expression" ( lemonde.fr).

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2) Manque de volonté commune chez les leaders politiques pour protéger leurs intérêts personnels

Au Liban, l'adversaire d'hier est l'allié d'aujourd'hui. Cela est connu et confirmé même par la classe politique actuelle. L'accord d'entente mutuelle signé entre Michel Aoun et le Hezbollah, le 6 février 2006153, forme un exemple sur cela. En effet, durant la guerre civile, Michel Aoun était le «héro» de combats contre la Syrie avant d'être évincé en 1990 par l'armée syrienne, tandis que le Hezbollah est l'allié fidèle de la Syrie depuis la fin de la guerre civile jusqu'à nos jours, il a même participé à la guerre civile syrienne pour protéger le système de Bachar Al Assad154. Les deux parties de cet accord ont des intérêts derrière, d'un côté le Hezbollah qui avait un plan claire en 1980 de transformer le Liban en Etat islamique sur le modèle de l'Iran155 prouve le changement de ces finalités à travers l'alliance avec le Courant patriotique libre (CPL), un parti maronite par excellence, pour renforcer son intégration dans la vie politique et le Gouvernement qui a commencé en 2005156. D'un autre côté, Michel Aoun un candidat naturel depuis longtemps à la présidence de l'Etat a besoin d'un support du plus grand courant chiite actuel. Ce plan a été réalisé en 2016 avec l'arrivée de Michel Aoun à la présidence de la République Libanaise après plus de deux ans de blocages et de boycott des séances parlementaires par les députés du Hezbollah et du CPL, en même temps le Hezbollah protège son arme considérée par lui et son allié comme moyen «noble et sacré» dont l'existence est justifiée par l'occupation israélienne des fermes de Chébaa et l'existence de détenus libanais en Israël.

En observant la vie politique des dirigeants, nous pouvons constater qu'une sorte de réconciliation est achevée entre eux. La page de la guerre civile a été «tournée» selon leurs paroles. Des négociations entre des anciens ennemies prennent place et même des alliances et des coopérations. Revenons aux élections présidentielles de 2016, au final c'était le parti FL de Samir Geagea qui a accepté de voter pour Michel Aoun pour mettre terme au boycott du Hezbollah et du CPL. Même si les dirigeants ont oublié la guerre sanglante appelé «guerre d'élimination»157 entre les militants du général Aoun (chef de l'armée dans le temps) et les miliciens des FL en 1990, le peuple ne l'a pas encore oublié, surtout que des fosses communes n'ont toujours pas été trouvées ou inspectées. L'accord de Meerab conclu le 18 janvier 2016158 pour officialiser les bonnes relations entre le CPL et les FL peut être interprété comme un bon signe pour tourner la page de la guerre civile et se réconcilier, sauf que dans la situation

153 HADDAD S., « Un document d'entente plus que jamais d'actualité », L'Orient-Le Jour, 07 Février 2013. [en ligne] : Un document d'entente plus que jamais d'actualité - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

154 CIMINO M., « Le Hezbollah et la guerre en Syrie », Politique étrangère, vol. , no. 2, 2016, pp. 115-127.

155 SAAD GHORAYEB A., SUEUR E., « Le Hezbollah : résistance, idéologie et politique », Confluences Méditerranée, vol. 61, no. 2, 2007, pp. 41-47.

156 BARON X., Le Liban, une exception menacée: en 100 questions, op.cit., p. 163.

157 ABI RAMIA J., « « Guerre d'élimination », tutelle syrienne, accord de Meerab : l'histoire des relations entre le CPL et les FL », L'Orient-Le Jour, 31 Mai 2018. [en ligne] : "Guerre d'élimination", tutelle syrienne, accord de Meerab : l'histoire des relations entre le CPL et les FL - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

158 BAAKLINI S., « Accord de Meerab : un succès stratégique malgré les querelles tactiques ? », L'Orient-Le Jour, 19 Janvier 2019. [en ligne] : Accord de Meerab : un succès stratégique malgré les querelles tactiques ? - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

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libanaise actuelle, ce sont les responsables qui se sont réconciliés sans rien initier au niveau juridique et politico-social, tout en mettant en avant leur intérêts personnels au profit des intérêts de la nation.

Photo durant la cérémonie de l'Accord de Meerab du 18 janvier 2016.

De gauche à droit : Samir Geagea, Michel Aoun, Setrida Geagea, Gebran Bassil.

Source: Nakedpolitics.org

Photo après l'élection de Michel Aoun Président de la République libanaise le 31 octobre 2016.

A Gauche le Secrétaire Général du Parti Hezbollah et à droite le Président Michel Aoun.

Source : Beirutme.com

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Si la réconciliation entre les dirigeants politiques et ex-chefs de guerre a un effet positif sur la paix nationale et le déroulement des affaires politiques, dans le cas libanais elle a montré qu'il existe deux types de Libanais après la guerre civile des 15 ans. Le premier est celui de la classe politique dirigeante réconciliée vu que; d'abord elle a trouvé justice à travers l'article 3 de la loi d'Amnistie de 1991 qui fait exception aux auteurs d'assassinats et des tentatives d'assassinats de personnalités politiques et religieuses, ensuite elle a été protégée par cette même loi en matière des crimes de guerres et enfin elle a été «indemnisée» par l'accord du Taëf qui a légitimisé sa place au pouvoir. Sans oublier que pour cette classe politique, le perdant et le responsable a été poursuivi et emprisonné pour 11 ans (Chef de la milice chrétienne FL) et les compétences institutionnelles et politiques des perdants (Chrétiens) ont diminuées au profit des vainqueurs (Sunnites et Chiites)159. Le deuxième type de libanais après la guerre civile est celui des gens « normaux » toujours non réconciliés et n'ayant pas ce privilège d'avoir droit ni à la vérité, ni à la justice et ni à la réparation160.

Dans son article161 dans L'Orient-Le Jour, Carmen Hassoun Abou Jaoudé a mis l'accent sur les intérêts politiques et stratégiques des dirigeants libanais qui l'obligent à s'entendre et à se réconcilier. A travers les entretiens faites au Liban, plusieurs citoyens et Hommes politiques ont aussi insisté sur la priorisation des intérêts personnels des dirigeants politiques et de leurs partis sur l'intérêt national libanais. C'est le cas de Monsieur Ramzi Abou Ismail, Monsieur Dany Fayad, Madame Dima Abou Daya, Monsieur Ali Sandeed, Monsieur Sami Braidy et

159 Référence Partie I, C, 2) et 3).

160 Référence Partie II, A.

161 ABOU JAOUDE K.H., « Le Liban, un modèle de réconciliation ? », op.cit.

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Monsieur Charbel Nahas. Ce dernier a expliqué que les responsables se sont réconciliés entre eux, ce qui explique les coutumes administratives et formelles rédigées nulles part que suivent les députés et les ministres. Par exemple, la constitution ne précise nulle part la confession des Secrétaires Généraux de la Chambre des députés, c'est la coutume agréée entre eux qui impose les confessions des deux secrétaires; le premier Maronite (aujourd'hui Alain Aoun) et le deuxième Druze (aujourd'hui Hadi Aboul Hessen). En plus, à travers le veto (Hak Al Nakked), toutes les négociations sont bloquées. D'après Professeur Nahas, quand les négociations sont bloquées, les décisions seront au final prises par 6 ou 7 députés. Nahas a ajouté que le blocage mène à la diminution de la capacité exécutive du pouvoir et par la suite la légitimité de ce pouvoir diminue de même pour au final se mettre en question162.

Ce n'est pas un secret que les partis politiques bloquent le travail de tout un gouvernement pour protéger leurs intérêts. Nous pouvons citer l'exemple de la pression faite par le couple chiite Hezbollah et Amal sur le gouvernement suite à la double explosion du Port de Beyrouth pour changer le juge Tarek Bitar chargé d'enquêter sur le sujet163. En effet, le 12 octobre 2021, toute une séance du Cabinet a été levée à cause d'un débat animé de la part du Hezbollah en demandant le changement du Juge Bitar parce qu'il a lancé des mandats d'arrêt contre des anciens ministres proches du Hezbollah dont Ali Hassan Khalil (mouvement Amal). En plus, au milieu d'une crise économique flagrante ayant besoin d'une solution de la part du pouvoir exécutif, la réunion qui était prévu le 13 octobre 2020 a été reportée pour éviter une autre «crise» de débats.

Face à une classe politique réconciliée et ayant le pouvoir de bloquer n'importe quelle décision, de boycotter les Chambres et de paralyser tout un pays pour protéger et atteindre ses intérêts personnels, comment pouvons-nous attendre à une réconciliation initiée par cette élite ? surtout que cette même élite bloque tout travail de justice et de mémoire concernant la guerre civile libanaise sous le volet de «tourner la page» et d'«oublier»164.

3) Les influences externes dans les décisions étatiques

« Aujourd'hui, les Libanais doivent s'astreindre à chercher des solutions réfléchies et élaborées à Beyrouth, et non pas à Taëf, à Doha, à Damas ou au Caire »165 - Fouad Abou Nader (2021)

Depuis sa création, le Liban a toujours été dépendant des pays externes. Les interférences de ces derniers ont évoluées avec le temps selon les changements de la situation géopolitique entourant le pays. Nous avons déjà vu comment l'Etat libanais a été créé sous la colonisation française et a trouvé son indépendance « théorique » en 1943 avant la création de l'Etat d'Israël en 1948 et la participation de la jeune armée libanaise à la guerre contre lui sur les frontières libanaises. Dix ans plus tard, en 1958, le Liban a connu une guerre civile de 3 mois due à la montée du nationalisme arabe incarné par le président égyptien Gamal Abdel

162 Annexe 1, «Interviews faites au Liban », Professeur Charbel Nahas, 06 Juin 2022, Achrafieh, p. 02.

163 DAOU M., « Explosions à Beyrouth : le gouvernement paralysé par la campagne contre le juge Tarek Bitar » France24, 19 Octobre 2021. [en ligne] : Explosions à Beyrouth : le gouvernement paralysé par la campagne contre le juge Tarek Bitar ( france24.com).

164 Référence Partie II, A.

165 ABOU NADER F., Liban : Les défis de la liberté, le combat d'un chrétien d'Orient, op.cit., p. 141.

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Nasser. Ce dernier a conclu l'accord du Caire en 1969 avec le Chef de l'OLP Yasser Arafat, le Chef d'Etat Libanais Charles Helou et le commandant en chef de l'armée libanaise le Général Boustany donnant le droit aux Palestiniens166 de renforcer leur résistance sur le territoire libanais menant à la guerre civile libanaise des 15 ans qui a impliqué plusieurs pays dont la Syrie et Israël qui ont fini par occuper le pays après la guerre (Israël jusqu'en 2000 et Syrie jusqu'en 2005). L'accord du Taëf symbolisant la fin de la guerre civile a été conclu au Taëf à l'initiative du Maroc, l'Algérie et l'Arabie Saoudite pour le profit de la Syrie167 qui occupait le Liban et sous l'occupation de laquelle le gouvernement libanais pro-syrien a initié la loi d'Amnistie de 1991 et la loi du Silence de 1994 bloquant toute réconciliation possible dans le pays. Même vers la fin de cette occupation, deux alliances se sont apparues ; d'un côté l'alliance du 14 Mars (l'opposition antisyrienne) renforcées par l'Arabie Saoudite et les pays occidentaux et de l'autre côté l'Alliances du 8 Mars (les pro-syriens) soutenus par l'Iran et la Syrie. Depuis le retirement des forces de Bachar Al Assad du Liban, le 26 Avril 2005, jusqu'à nos jours, des partis politiques traduisent la volonté de pays externes au sein du pouvoir et cela est dû à l'influence religieuse, militaire et financière de ces pays externes. Prenons par exemple l'influence économique et religieuse de l'Arabie saoudite sur le Courant du Futur, ou bien l'influence idéologique, financière et militaire de l'Iran sur le parti pro-syrien Hezbollah. La dépendance des partis politiques libanais des Etats tiers se traduit même dans le discours des responsables. Par exemple, le jour des élections législatives de 2022, le Chef du CPL, allié du parti pro-syrien et pro-iranien Hezbollah, Gebran Bassil a fait un discours télévisé en déclarant que la bataille de son parti n'était pas avec les FL, les Socialistes, les Phalangistes, Amal et des autres partis nationaux mais plutôt « avec les Etats-Unis, Israël et leurs alliés régionaux »168.

Dans un pays de post-guerre civile qui n'a pas encore pu renforcer sa politique et présence régionales, c'est normal que les pays tiers faisant partie des conflits régionaux essaient de dominer et d'influencer ses positions politiques. Cela est même plus complexe quand la région dans laquelle se trouve ce pays est le Moyen-Orient. En effet, cette région a toujours été pleine de complexités et de tensions, surtout suite à la création de l'Etat d'Israël et les réaction des Etats arabes face à cela. Aujourd'hui, le Moyen-Orient est un terrain de guerre d'influence entre le camp sunnite, qui est lui-même divisé entre les Frères Musulmans (Qatar et la Turquie) et les Wahhabites (autres pays du Golfe et l'Egypte), et le camp chiite émanant de la révolution islamique en Iran qui a influencé plusieurs pays dont l'Irak et la Syrie à travers le Hezbollah. Concernant le Liban, cette guerre régionale d'influence se traduit à travers les partis politico-confessionnels. Le Hezbollah suit les directives de l'Iran (son pays créateur et financeur) et la Syrie (son allié depuis la fin de la guerre civile), pareil pour son allié maronite le CPL. Tandis que le Courant du Futur a majoritairement été soutenu par l'Arabie Saoudite169 depuis sa création en 1992. Cette guerre d'influence régionale s'est surtout traduite au Liban en 2017 lorsque le Premier Ministre Saad Hariri et Chef du Courant du Futur a été obligé d'annoncer

166 Entre 100 000 et 130 000 palestiniens ont trouvé refuge au Liban en 1948.

167 Référence partie I.C.1).

168 AL MANAR, « Bassil sur les législatives libanaises : La bataille était avec Washington et « Israël » », AlManarTV, 16 Mai 2022. [en ligne] : Bassil sur les législatives libanaises: La bataille était avec Washington et « Israël » - Site de la chaîne AlManar-Liban.

169 OLJ, « Pour Moussaoui, le Courant du Futur est « assujetti » à l'Arabie Saoudite », L'Orient-Le Jour, 18 Juillet 2016. [en ligne] : Pour Moussaoui, le courant du Futur est « assujetti » à l'Arabie saoudite - L'Orient-Le Jour ( lorientlejour.com).

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sa démission à Ryad en directe à la télévision saoudienne170 en imputant le poids que l'Iran met à travers le Hezbollah sur les équilibres internes du Liban et surtout sur ses relations régionales en précisant les relations avec l'Arabie Saoudite. Déjà en ce moment l'Arabie Saoudite faisait face à l'Iran politiquement et militairement dans plusieurs pays comme la Syrie (en soutenant la révolution), le Yémen (en s'engageant dans la guerre contre les houthis en 2015), le Qatar et même l'Irak. Le roi saoudien Salmane et son fils Mohammed ben Salmane considéraient que leur seule faiblesse dans cette région pour lutter contre l'Iran était au Liban vu que le Premier Ministre était inactif face au Hezbollah. Cette tentative d'affaiblissement de l'influence iranienne au Liban a échouée vu que d'abord Saad Hariri a renoncé à sa démission171 un mois après l'annonce et ensuite le couple Chiite a montré son support au Premier Ministre, ce qui a renforcé leurs relations. Cette manoeuvre de la part de l'Arabie Saoudite a tensionné ses relations avec le Courant du Futur mais elle ne les a pas éliminées. Récemment, le 23 janvier 2022, un communiqué a été publié de la part des dirigeants du parti en confirmant que « toute atteinte à l'Arabie Saoudite, est un poignard dans le coeur du courant politique de Hariri »172.

Cette dépendance des Etats tiers rend la probabilité d'une réconciliation étatique faible au Liban pour des raisons de manque de souveraineté politique et décisionnelle des institutions étatiques. En effet, les accords officiels imposant l'oubli et l'impunité ont tous été conclus en dehors du Liban et par des initiatives étrangères à l'Etat Libanais. Même l'accord de Doha173 qui a révisé le Taëf a été conclu le 21 mai 2008 au Qatar. Ces mêmes Etats tiers, qui étaient à l'initiative de l'imposition du manque de réconciliation, influencent toujours le pouvoir libanais. Alors toute décision concernant un travail de mémoire, une enquête pour la vérité ou bien une poursuite juridique pour des crimes de guerre, va aller contre la volonté des pays influents les partis politiques libanais, ce qui rend l'initiative d'une réconciliation difficile à aborder.

Face à ces limites d'ordre institutionnel, politique et externe, des limites d'ordre socio-politique bloquent aussi la réconciliation libanaise, menant à la fragilité de la société civile et à l'insuffisance de ses initiatives de réconciliation. En effet, la plus grande limite de la réconciliation au Liban est en même temps renforcée par le manque de réconciliation, c'est la socialisation politique confessionnelle. (III)

170 EURONEWS, « La démission de Saad Hariri prend de court le Liban », YouTube, 05 Novembre 2017. [en ligne] : La démission de Saad Hariri prend de court le Liban - YouTube

171 BARTHE B., « Le Premier ministre libanais, Saad Hariri, renonce à sa démission », Le Monde, 06 Décembre 2017. [en ligne] : Le premier ministre libanais, Saad Hariri, renonce à sa démission ( lemonde.fr).

172NNA, « Le courant du Futur : Celui qui porte atteinte à l'Arabie !saoudite, poignarde la politique de Hariri », République Libanaise Ministère de l'Information, 23 Janvier 2022. [en ligne] : ãáÇÚáÅá Éíä1uáÇ ÉáÇßuáÇ - Le Courant du Futur : celui qui porte atteinte à l'Arabie saoudite, poignarde la politique de Hariri ( nna-leb.gov.lb). 173LIBANEWS, L'Accord de Doha, Libanews, 23 Mai 2008, 02 p.

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