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Les pouvoirs du maire au Bénin: réflexion à  l'aune de la récente réforme sur la décentralisation


par Ulrich Yeme Kevin ADANVOESSI
Université d'Abomey-Calavi / Ecole doctorale des sciences juridiques politiques et administratives - Master recherche en droit 2023
  

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Paragraphe 1 : La libre administration face à l'indivisibilité de l'Etat

BACOYANNIS définit la libre administration comme étant : « l'affirmation constitutionnelle selon laquelle des communautés humaines qui sont définies par leur rattachement à une portion du territoire par rapport auquel est définie la communauté nationale ont vocation à maîtriser tout ce qui constitue leur propre vie »42(*). C'est la Constitution béninoise elle-même qui consacre ce principe et protège donc, en quelque sorte, l'autonomie de la collectivité. Mais, parce qu'elle est une notion assez imprécise, des débats doctrinaux se sont soulevés pour savoir si le principe de la libre administration était un principe d'organisation de l'administration ou une liberté fondamentale. Ce n'est pas parce qu'elle est inscrite dans la Constitution qu'elle est ipso facto une liberté fondamentale. Elle peut bien être un principe d'organisation de l'Etat comme le principe de séparation des pouvoirs43(*). Se prononçant sur la nature juridique du principe de la libre administration, Constantinos BACOYANNIS pense qu'il s'agit davantage d'une liberté fondamentale. Il est donc intéressant de préciser la nature juridique de la libre administration (A) avant de préciser ses limites (B).

A : La nature juridique de la libre administration

« Les droits et libertés fondamentaux sont des droits et libertés protégés par des normes constitutionnelles ou (et) internationales »44(*). On pourrait se demander à la lumière de cette assertion si les personnes morales de droit public peuvent véritablement bénéficier de libertés fondamentales (1). Le cas échéant, déterminer la nature juridique de la libre administration exige de tracer les frontières qui la séparent de la décentralisation (2).

1 : Une liberté fondamentale accordée à une personne morale de droit public

La question de savoir si une personne morale de droit public peut véritablement bénéficier de libertés fondamentales peut paraitre pertinente, si on prend l'exemple de l'Etat, personne morale de droit public. L'Etat pourrait-il être le bénéficiaire de libertés fondamentales alors qu'il est lui-même le garant de ces libertés ? On peut trouver là une certaine contradiction qui peut néanmoins être résolue aisément45(*).

L'on conviendra toutefois qu'une telle contradiction ne saurait s'appliquer aux autres catégories de personnes morales de droit public, à l'instar des collectivités territoriales qui peuvent être en situation de défendre leurs droits contre l'Etat ou entre elles.

Un tel scénario est envisagé dans d'autres systèmes juridiques. La possibilité est par exemple offerte aux collectivités territoriales allemandes d'effectuer le recours par voie d'action directe pour défendre leur autonomie lorsqu'elles jugent qu'il y a eu des atteintes à leurs droits fondamentaux. En Espagne, l'Amparo est aussi ouvert aux collectivités territoriales contre les atteintes portées à leurs droits. Enfin, en France, depuis 1982, le Conseil Constitutionnel reconnaît que les personnes morales de droit public peuvent être titulaires ou bénéficiaires de libertés fondamentales. S'il avait pu être admis par la France que les droits fondamentaux ne concernaient que les personnes physiques et qu'à ce titre, le principe de la libre administration ne pouvait être un droit fondamental parce que s'appliquant aux personnes morales de droit public, en l'occurrence les collectivités territoriales, depuis 1982, le Conseil Constitutionnel français a levé l'équivoque dans sa décision Nationalisations du 16 janvier 198246(*). Ainsi, les personnes morales de droit privé47(*) comme de droit public48(*) sont bénéficiaires de droits et libertés fondamentaux aux yeux du Conseil Constitutionnel français. Au-delà du principe d'égalité, d'autres libertés fondamentales comme la liberté d'entreprendre ont donc été reconnues à ces personnes morales.

Cependant, les personnes morales ne peuvent évidemment pas bénéficier de tous les droits fondamentaux qui sont reconnus aux personnes physiques. Une personne morale ne pourrait ainsi demander l'asile politique par exemple. Il faudrait que les droits fondamentaux que la personne morale réclame « lui soient applicables en raison de sa nature »49(*) ou « soient compatibles avec sa nature »50(*). Pour Favoreu, par une analogie incomplète, l'on peut parler de protections « aspectuelles » ou « par aspects »dans ce cas51(*).

De plus, lorsqu'une personne morale possède un droit fondamental, ce sont les organes de la personne morale qui peuvent invoquer le bénéfice des droits fondamentaux au profit de celle-ci. Dans le cas des collectivités territoriales, ce sont les autorités qui peuvent défendre les intérêts de la collectivité territoriale décentralisée devant la justice qui sont en mesure d'invoquer les droits dont est titulaire la collectivité et non les personnes physiques qui sont revêtues de cette autorité52(*).

Une fois que la démonstration que les collectivités territoriales, personnes morales de droit public, peuvent jouir de libertés fondamentales a été faite. Il faut désormais justifier pourquoi la libre administration est une liberté fondamentale et non un « principe d'organisation ».

Pour cela, il faudrait commencer par définir les concepts juridiques de liberté et de principe d'organisation afin que soit possible toute discussion autour de la nature du principe de libre administration.

Il est vrai qu'on pourrait envisager, sur les traces de Magnon53(*), les deux assertions comme des concepts juridiques et voir la liberté comme une « permission d'agir » et le principe d'organisation comme une « modalité de répartition des compétences ».

Envisager la libre administration comme un principe d'organisation équivaudrait dans ce cas à affirmer qu'elle est une modalité de répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales. Or, ce n'est vraisemblablement pas là l'esprit de ce principe. En effet, au regard de la Constitution française, la libre administration est une permission d'agir et donc une liberté. C'est ce qu'on peut retenir des luttes menées pour faire inscrire la libre administration dans la Constitution française de 194654(*). De plus la lecture croisée des travaux préparatoires de la Constitution française de 1946 montre bien que la libre administration était considérée comme une liberté locale. Les deux expressions étant souvent employées comme des synonymes. Il est clair en tout cas que la volonté du constituant français en 1946 était de consacrer des libertés locales et non un simple principe d'organisation de l'administration55(*). La même chose peut être observée à la lumière de la Constitution française de 1958 où les expressions « libertés des collectivités locales », « libertés locales », « libre administration » et « liberté communale » étaient considérées comme synonymes56(*).

Maintenant, il n'est un secret pour aucun juriste francophone que le constitutionnalisme africain des années 1990 a été en grande majorité inspiré par la Vè République française à travers sa Constitution de 1958 dont certaines dispositions sont reprises intelligemment57(*). Sans revenir sur les propos du professeur Alioune Badara FALL qui considère ce mimétisme institutionnel58(*) de « pragmatique » et d'« ingénieux »59(*), on peut remarquer que le principe de la libre administration tel qu'énoncé dans la Constitution béninoise est une transposition du modèle constitutionnel français établi par les constitutions de 1946 et de 1958.

A supposer que la « greffe » devait permettre de « créer les conditions de construction d'un nouvel édifice institutionnel garant de l'équilibre des pouvoirs et de l'instauration de l'État de droit »60(*) après le souvenir de turpitudes de plusieurs décennies d'exercice autoritaire du pouvoir, on peut sans risquer de se tromper affirmer que le constituant béninois prévoyait aussi la libre administration comme une liberté locale au profit des collectivités territoriales décentralisées. De plus, la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation qui a précédé cette Constitution avait pour maître-mot la liberté.

* 42 BACOYANNIS Constantinos, Le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales, Paris, Economica, 1993, p. 130 cité par Nanako Cossoba, la libre administration des collectivités territoriales au Bénin et au Niger, Doctorat, Droit public, Université d'Abomey-Calavi (Bénin), 2016, p. 6

* 43 Voir dans ce sens le commentaire de Michel Verpaux sur l'arrêt du Conseil d'État du 18 janvier 2001,

Commune de Venelles c/ M. Morbelli. Verpaux avance que « Le principe de libre administration des collectivités territoriales constitue... une garantie, au même titre que le principe de la séparation des pouvoirs. L'un comme l'autre ne constituent pas des droits, mais peuvent être conçus comme des conditions jugées constitutionnellement nécessaires pour l'affirmation des libertés reconnues dans d'autres dispositions qui ne sont plus alors organiques, mais qui concernent des droits substantiels. La libre administration peut d'ailleurs être conçue comme une forme de séparation verticale des pouvoirs tandis que la forme habituelle de la séparation serait horizontale. L'une comme l'autre ne sont pas des droits, mais des moyens d'asseoir des droits ou des libertés, ils sont des moyens, ils ne constituent pas des buts ».

* 44 FAVOREU Louis et coll., Droit constitutionnel, op. cit., p. 930

* 45 L'Etat, garant des libertés fondamentales, peut dans certains cas être un sujet de droit qui revendique certaines libertés. C'est notamment le cas en droit international et en droit administratif.

* 46 FAVOREU Louis et coll., Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, 16e édition, Paris, Dalloz, 2011, p149 : le Conseil constitutionnel français, dans cette décision, consacre en son considérant 29 l'application des libertés fondamentales aux personnes morales en ces termes : « le principe d'égalité n'est pas moins applicable entre les personnes morales qu'entre les personnes physiques »

* 47 Voir dans ce sens les décisions du Conseil Constitutionnel 80-119 DC du 22 juillet 1980 ; 81-132 DC du 16 janvier 1982 et 93-329 DC du 13 janvier 1994

* 48 Voir les décisions 79-112 DC du 9 janvier 1980, 82-137 et 82-138 DC du 25 février 1982 du Conseil Constitutionnel français

* 49 Article 19-3 de la constitution allemande : « Les droits fondamentaux s'appliquent aussi aux personnes morales nationales dans la mesure où ils leur sont applicables en raison de leur nature ».

* 50 Article 12-2 de la constitution portugaise : « Toutes les personnes morales jouissent des droits et sont astreintes aux devoirs qui sont compatibles avec leur nature ».

* 51 FAVOREU Louis et coll. (Dir.), Droit des libertés fondamentales, 7e édition, Paris, Dalloz, 2016, p. 163 ss.112

* 52 Conseil d'État du 18 janvier 2001, Commune de Venelles c/ M. Morbelli.

* 53 MAGNON Xavier, « Bref exercice de méthodologie juridique pratique : Que dire du principe de « libre administration » des collectivités territoriales ? » In Révolution, Constitution, Décentralisation. Mélanges en l'honneur de Michel Verpeaux, Dalloz, Paris, 2020, p 642

* 54 NANAKO Cossoba, La libre administration des collectivités territoriales au Bénin et au Niger, Doctorat, Droit public, Université d'Abomey-Calavi (Bénin), 2016, p.5

* 55 BACOYANNIS Constantinos, Le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, Economica, PUAM, 1993, pp. 95 et s cité par MAGNON Xavier, « Bref exercice de méthodologie juridique pratique : Que dire du principe de « libre administration » des collectivités territoriales ? » In Révolution, Constitution, Décentralisation. Mélanges en l'honneur de Michel Verpeaux, Dalloz, Paris, 2020, p 642

* 56 FAVOREU Louis et ROUX André, « La libre administration des collectivités territoriales est-elle une liberté fondamentale ? », InCahiers du Conseil constitutionnel, n° 12, mai 2002

* 57 « ... au regard du mimétisme constitutionnel, l'Afrique d'expression française partage les mêmes valeurs juridiques et constitutionnelles que les Lumières » KPODAR Adama, « Bilan sur un demi-siècle de constitutionnalisme en Afrique noire francophone », In La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : un modèle pour l'Afrique ? Mélanges en l'honneur de Maurice Ahanhanzo-Glèlè, Paris, L'Harmattan, Coll. « Etudes Africaines », 2014, p.4

* 58 L'expression est empruntée à Nanako Cossoba dans sa thèse précédemment citée là où le professeur Kpodar lui préfère l'expression mimétisme constitutionnel.

* 59 Voir BOURGI Albert, « L'évolution du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme à l'effectivité », In Revue française de droit constitutionnel, Paris, 2002. Voir également le « Commentaire de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 », Fondation Konrad Adenauer, Cotonou, 2009.

* 60 BOURGI Albert, op. cit., p1

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