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Boccace et son ombre : du préhumanisme à la désillusion

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par Guillaume SELLI
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence 2006
  

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II Boccace réactionnaire :

un reniement de soi

Vers 1360 environ, alors que le Décaméron n'était achevé que depuis quelques années, Boccace va amorcer un revirement global de l'ensemble de ses conceptions morales. La vieillesse approchant1, le libertin de Naples, le conteur grivois du Décaméron va se repentir de sa vie passée quelque peu dissolue et chercher salut et réconfort dans la religion. Alors qu'il se moquait ouvertement de la crédulité des gens et de leur fétichisme dans la nouvelle VI, 10 du Décaméron2, le voilà maintenant qui collectionne des reliques3. Mal vu à Florence où il est soupçonné d'avoir été impliqué dans une conjuration, ayant perdu certains amis compromis dans cette même conjuration, Boccace s'enferme à Certaldo et vit retiré des cercles mondains.

C'est à ce moment-là qu'il va écrire son oeuvre la plus déconcertante, la plus troublante aussi, antithèse à bien des égards du Décaméron ou de Fiammetta : le Corbaccio ou le Labyrinthe d'amour. Cette oeuvre constitue la palinodie de certaines conceptions clés de notre Boccace humaniste : de féministe et populaire, Boccace devient misogyne et élitiste, avec une violence verbale assez frappante. Or, de la condamnation de la femme, Boccace va déboucher également sur une condamnation de l'amour tel qu'il le concevait jusqu'alors, voire une condamnation d'un certain type de littérature, y compris de ses propres oeuvres. Rejetant le libre arbitre, n'écrivant presque plus que des oeuvres savantes en latin destinées aux érudits, c'est un Boccace bien amer et désabusé qui se révèle aux curieux ayant voulu étudier cet écrivain au-delà du Décaméron.

1 En fait vers 1360 Boccace n'est pas spécialement vieux puisque né en 1313, il a alors moins de cinquante ans. Cependant les belles années napolitaines sont déjà bien loin : la dégradation de son physique, la perte de son pouvoir de séduction l'affecte profondément, comme l'atteste le Corbaccio.

2 Dans cette nouvelle Frère Cipolla, ayant promis aux habitants de Certaldo de montrer la plume de l'ange Gabriel, voyant qu'on la lui a volée et trouvant des charbons à la place, prétend qu'ils ont servi à griller Saint Laurent.

3 Anecdote rapportée par Henri Hauvette, dans son recueil d'Etudes sur Boccace.

1) Boccace misogyne ?

La condamnation de la femme dans le Corbaccio est explicite. Très nettement inférieure à l'homme, elle empêche celui-ci d'accéder à la sagesse, étant un objet de tentation permanente et poussant l'homme à la bestialité. Le Corbaccio reprend tous les préjugés que les hommes ont accumulés sur les femmes depuis l'Antiquité grecque. Sans doute causé par une déception amoureuse, ce revirement n'est pas pour autant purement contingent : la condamnation de la femme du Corbaccio ne se limite pas à la veuve de l'histoire mais est bel est bien généralisée.

Il faut savoir cependant que Boccace, même au plus haut de sa libéralité, même s'il a toujours clamé haut et fort son amour pour les femmes qui était profondément sincère, avait déjà au sein même du Décaméron adressé des messages fort ambigus. Si le ton général du chef d'oeuvre reste résolument orienté vers une célébration et une défense des femmes, des relents de misogynie non négligeables sont bien présent ça et là. Nous avons même une nouvelle du Décaméron, la septième de la huitième journée, qui présente des affinités confondantes avec l'histoire du Corbaccio. L'amour que porte le Boccace du Décaméron envers les femmes n'a jamais signifié que pour autant celles-ci étaient les égales des hommes. Vouloir faire de Boccace un féministe véritable, c'est trop demander à un homme du XIVème siècle.

Cela dit il convient également de ne pas exagérer : la critique acerbe de la femme présente dans le Corbaccio, provoquée à la base par un événement douloureux dans la vie de Boccace, ne peut certes pas effacer la grande considération dans laquelle Boccace a toujours tenu les femmes, ainsi que les droits qu'il leur a accordées, déjà vus précédemment. De plus interpréter le Corbaccio comme une oeuvre uniquement centrée sur la misogynie serait un contresens : dans cette oeuvre Boccace à bien des égards se condamne sans doute encore plus lui-même que la veuve qui s'est moquée de lui. De toute façon la violence des mots du Corbaccio et l'acharnement excessif de l'auteur contre les femmes ne font que montrer que celui-ci éprouve les pires difficultés à se détacher des plaisirs terrestres et à se conformer à une vie plus vertueuse, malgré les exhortations de son ami Pétrarque : chassez le naturel, il revient au galop.

a) Le Corbaccio, vilain petit canard de l'oeuvre de Boccace

Le Corbaccio raconte l'histoire d'un «clerc1» tombé amoureux d'une veuve mais méprisé par cette dernière, qui s'est même moquée de lui publiquement. En proie à de graves agitations, songeant à se donner la mort, le clerc fait finalement un rêve dans lequel, arrivé dans un désert lugubre, il rencontre un esprit qui n'est autre que le mari défunt de la dame, venu pour le remettre dans le droit chemin. Ayant brossé un portrait édifiant de la bêtise, de l'égoïsme et de la vanité de sa femme afin de faire prendre conscience au clerc que celle qu'il aimait n'était certainement pas digne d'un tel amour et donc de le faire revenir à la raison, il lui permet à la fin de s'en retourner dans le monde réel. De nouveau conscient, le clerc se rend compte alors de la folie dans laquelle il a sombré et se sentant guéri de son mal, il décide de retranscrire son rêve à la fois pour se venger de la veuve et pour que son exemple profite aux autres hommes.

L'esprit juge que la femme est sans cesse agitée par les passions : dotée d'un faible intellect, se laissant aller aux instincts les plus bas, elle relève plus de l'animalité que de l'humanité2. Sa seule utilité étant de reproduire l'espèce humaine, même les porcs sont moins vils qu'elle. Nées pour servir les hommes, elles ne remplissent en rien leur office, et au contraire se montrent capricieuses, ingrates, frivoles, poussant souvent leurs maris à des dépenses inconsidérées. Outrageusement luxurieuses3, elles se livrent au premier venu sans retenue. Leur savoir se borne aux commérages à la sortie de la messe, leur beauté n'est faite que de fards et d'artifices. En bref, le plus vil des hommes vaut bien mieux que la meilleure des femmes...

Le Corbaccio constitue ainsi, aux dires de Francesco Erbani4, «un sorprendente rovesciamento di un edificio teorico e letterario», «un auto da fe1» : loin de contribuer à l'inspiration du poète, la femme lui interdit tout esprit créatif et le pousse vers l'animalité. Changeante d'humeur, incapable de réfléchir rationnellement, elle tire les hommes vers le bas au lieu de les inspirer

1 Au sens de savant, traduction littérale de clerico, terme employé par les commentateurs italiens pour désigner le narrateur et protagoniste de l'oeuvre, qui sans doute n'est autre que Boccace lui-même, au vu des nombreux traits communs entre les deux : âge mur, apprentissage du commerce abandonné pour faire des études de lettres, réputation de grand connaisseur des femmes...

2 «La femina è animale imperfetto, passionato da mille passioni spiacevoli e abbominevoli» p.233

3 «La loro lussuria è focosa et insaziabile» : leur luxure est ardente et insatiable.

4 Dans l'introduction de son édition italienne de Fiammetta et du Corbaccio.

à contempler les essences divines : c'est pour cette raison que les effets de la femme sont particulièrement dévastateurs pour le poète. Boccace tire de son ouvrage et sa publication une vengeance toute personnelle.

Cependant, si dans le Corbaccio la condamnation des femmes est explicite, des portraits peu flatteurs du beau sexe émaillaient déjà des oeuvres précédentes et notamment du Décaméron : le rapport de Boccace aux femmes est donc bien plus ambivalent qu'on pourrait ne le penser...

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