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Boccace et son ombre : du préhumanisme à la désillusion

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par Guillaume SELLI
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence 2006
  

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3) Un peintre des mutations de son temps,
marchant droit vers la Renaissance

Jugé par Henri Hauvette comme «l'homme en qui s'incarnaient avec le plus de netteté, dès le milieu du XIVème siècle, les tendances les plus hardies et les plus caractéristiques de la Renaissance italienne1», Boccace réunit en lui l'ensemble des qualités propres aux humanistes des XVème et XVIème siècles. Sans cesse à la recherche de nouvelles connaissances, Boccace est doté d'une curiosité intellectuelle considérable . Ne se contentant pas d'écrire, il recherche des manuscrits antiques, les commente, les traduit, sans pour autant délaisser les oeuvres de ses contemporains. Passionné également d'histoire et de science, Boccace semble ne mépriser aucune forme du savoir, et donne dans ses oeuvres autant d'écho à la littérature médiévale qu'aux écrits antiques.

Esprit curieux croyant fondamentalement en l'homme quel qu'il soit, Boccace en arrive même dans certaines nouvelles du Décaméron à un relatif progressisme social. Noblesse de sang et noblesse de coeur apparaissent comme deux notions distinctes, pouvant s'opposer l'une à l'autre. Les figures d'aristocrates ou de notables les plus sympathiques de l'oeuvre sont à coup sûr celles de ceux ayant fait preuve de libéralité envers les plus humbles. Boccace aime à la fois l'homme comme concept et les hommes dans leur diversité et témoigne à tous la même considération, faisant prendre conscience de la superficialité de certaines formes de hiérarchie sociale.

D'ailleurs chez Boccace les roturiers commencent déjà à se prendre en main. Le Décaméron fourmille de marchands bâtissant des fortunes, commerçant dans tout le bassin méditerranéen, s'opposant à de nombreux aristocrates vivant de leur rentes. Même si Boccace a peu d'affinités personnelles avec ce milieu, élevé par un père banquier et originaire d'une cité marchande, il a fait de la bourgeoisie capitaliste le moteur de son chef d'oeuvre : par les nouveaux horizons marchands qu'elle découvre, elle favorise de nouveaux horizons intellectuels.

1 «Il Corbaccio : une confession de Boccace», dans Etudes sur Boccace, p. 62

a) Une curiosité intellectuelle considérable

Boccace est un des plus grands érudits de son temps. Pourtant il n'a nullement été encouragé par son père dans ses études (à la différence de Pétrarque), ce dernier ne voulait en faire qu'un bon commerçant. Boccace a donc tout appris en autodidacte, désertant le comptoir des Bardi : sa jeunesse napolitaine lui a permis de s'ouvrir à des cultures diverses, que ce soit la découverte des textes latin ou la lecture d'oeuvres en langue d'oc et d'oïl qui circulaient couramment à Naples, sans oublier que la culture arabe connaissait également en Campanie une certaine diffusion du fait des liens historiques entre cette région et la Sicile, et qu'enfin Boccace fut très tôt en contact avec un savant grec venu de Constantinople1. Notre écrivain est curieux de tout et ne fait pas de hiérarchie stricte du savoir. Loin d'opposer lettres latines et lettres médiévales il puise dans les deux sources, le Filostrato est inspiré du Roman de Troie de Benoît de Saint-Maure mais s'inscrit également dans le cadre de l'Antiquité de par son sujet2. Boccace est attiré par l'exotisme, c'est ainsi que le lecteur du Décaméron est souvent transporté d'un pays à l'autre : le recueil de nouvelles nous fait aller de la Chine aux Flandres, de l'Angleterre en Egypte. Notre écrivain tente ainsi dans la mesure du possible de ne pas sombrer dans l'ethnocentrisme, la troisième nouvelle de la première journée, tendant à conclure que chaque religion est la mieux adaptée pour son peuple et donc qu'aucune ne surpasse l'autre en valeur absolue, nous le rappelle... Souvent l'étranger, loin d'être vu comme un barbare, apparaît comme des plus civilisés, Saladin bénéficie dans la troisième nouvelle du recueil de paroles flatteuses3, ce qui pour l'époque est assez osé.

Tout au long de sa vie, Boccace a tenté d'élargir son savoir, de ne pas se limiter à la littérature. Fasciné par l'histoire, il s'est essayé aux recueils de biographies à deux reprises4. Il a même touché à la géographie avec le De montibus (date incertaine), une sorte d'inventaire, très complet, de la culture

1 Julien Luchaire évoque un certain Barlaam, gréco-italien, lié avec l'ami de Boccace Paolo de Pérouse. Il arriva en Italie avec une lettre de recommandation impériale où il était dit «l'homme le plus lettré depuis beaucoup de siècles.»

2 Le Filostrato raconte l'amour déçu de Troïlus, fils de Priam, pour Chryséis, sur fond de guerre de Troie.

3 La narratrice Filomena parle en ces termes : «Saladin, dont la valeur fut telle qu'elle lui permit non seulement d'homme obscur qu'il était de devenir sultan de Babylone...». Les deux nouvelles dans lesquelles Saladin apparaît (I, 3 et X, 9) sont tout à fait à son avantage.

4 Avec le De casibus virorum illustrium (commencé vers 1360) et le De mulieribus claris (même période).

géographique antique et contemporaine. L'ensemble de ses oeuvres latines est remarquable par son encyclopédisme et la richesse de son information. L'influence de Pétrarque est évidente dans son goût pour les ouvrages d'érudition en latin, mais Boccace ne se limite pas à cela. On le sait également fasciné par les sciences, notamment par la médecine et l'astronomie. On remarque d'ailleurs qu'à la différence de Molière Boccace a largement privilégie la charge anticléricale à celle antimédicale : les quelques médecins du Décaméron apparaissent comme des esprits fins, comme Maître Alberto da Bologna (nouvelle I, 10), qui bien que d'âge mur, revendique son droit à continuer à vivre comme s'il était jeune et à poursuivre l'amour des femmes. Même le pauvre Maître Simone, ridiculisé par Bruno et Buffalmacco dans la nouvelle VIII, 9, devient finalement à son tour leur comparse pour se gausser de Calandrino (nouvelle IX, 3) et n'est donc pas totalement accablé par notre auteur. A la différence de Pétrarque qui méprisait les sciences de la nature, trop matérialistes à ses yeux, Boccace apprécie ce savoir concret, profane. La description des symptômes de la peste qu'il donne dans l'introduction de la première journée est on ne peut plus médicale. N'épargnant aucun détail macabre, il parle bien en profondeur des symptômes cliniques de la maladie, de la façon la plus scientifique qu'il peut1 : autre preuve de modernité.

A Naples, Boccace a également rencontré un illustre astrologue2 le génois Andalone di Negro, qui eut sur lui un grand attrait. Cette science mystérieuse a beaucoup excité son imagination. En vogue à l'époque, elle n'était cependant déjà pas à l'abri des foudres de l'Eglise.

Boccace est ainsi aux dires de Christian Bec «un lettré largement autodidacte, curieux de tout3», au point qu'il occupe «une place centrale au sein de la république préhumaniste européenne». Sa curiosité d'esprit le pousse à regarder la société dans laquelle il vit dans les moindres recoins, à s'intéresser aussi bien au popolo minuto qu'au popolo grasso, ce qui va conférer au Décaméron une certaine modernité sociale, une ouverture à tous les milieux, exceptionnelle pour l'époque.

1 Le mal «ne procédait pas comme en Orient, où le saignement de nez était le signe évident d'une mort inévitable : mais [...] venaient d'abord à l'aine ou sous les aisselles certaines enflures, dont les une devenaient grosses comme une pomme ordinaire, d'autres comme un oeuf, d'autres un peu plus ou un peu moins, et que le vulgaire nommait bubons» p. 38 (Boccace ne se limite pas à cet extrait).

2 A l'époque astrologie et astronomie n'étaient pas différenciées, et les deux termes employés indifféremment.

3 Introduction au Décaméron, p.1 8.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand