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Boccace et son ombre : du préhumanisme à la désillusion

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par Guillaume SELLI
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence 2006
  

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b) Progressisme social du Décaméron

Ce progressisme est encore à l'état embryonnaire, cependant il est bien perceptible. La longue tirade de Ghismonda adressée à son père Tancredi, prince de Salerne1, qui lui reproche d'être tombée amoureuse et d'avoir couché avec un roturier du nom de Guiscardo, a des airs de Révolution : «Nous tous qui sommes nés et qui naissons égaux, c'est la vertu qui fut notre premier signe de distinction ; ceux qui avaient été le mieux dotés et qui en faisaient le meilleur usage, furent appelés nobles, les autres demeurèrent ignobles. Et, bien que l'usage ait ensuite occulté cette loi, elle n'a rien perdu de sa vigueur ni de son actualité [...] ; c'est pourquoi celui qui agit vertueusement démontre évidemment sa noblesse, et, s'il vient à être désigné autrement, ce n'est pas lui qui est en tort, mais ceux qui le désignent autrement2.» La jeune fille va affirmer l'usage vicié de cette loi de façon explicite : «si tu veux bien juger sans animosité, tu conviendras que la noblesse est du côté de Guiscardo, alors que tous les nobles ne sont que des vilains.» Le père ne se laissera point fléchir et fera exécuter Guiscardo, ce qui provoquera le suicide de Ghismonda.

Boccace n'est point Beaumarchais, l'objet de la nouvelle est avant tout l'amour et non un plaidoyer pour l'abolition des privilèges, cependant le fait est que Boccace affirme la superficialité de certaines formes de hiérarchie sociale et plaide contre un cloisonnement des classes. On naît noble par hasard, selon les caprices de la Fortune sans l'avoir forcément mérité : Ghismonda précise p.343 que «la Fortune souvent élève les indignes, dédaignant d'exhausser ceux qui en sont les plus dignes.» Bourgeois roturier et même bâtard, Boccace a pourtant lui-même conscience de sa valeur d'écrivain, d'homme de lettre, bien plus importante à ses yeux que les quartiers de noblesse : nous en aurons un écho supplémentaire dans le Corbaccio, où entre la veuve originaire d'une des plus nobles familles de Florence ayant repoussé les avances d'un clerc savant (qui ne semble être autre que Boccace lui-même) et ce dernier, la véritable noblesse choisit le lettré, l'aristocratie du savoir étant aux yeux de Boccace beaucoup plus importante que l'aristocratie par le sang.

1 Première nouvelle de la quatrième journée

2 p.344

Des portraits de personnages humbles, simples, mais nobles de coeur, le Décaméron en propose quelques-uns : le boulanger Cisti1, devenu l'ami de messire Geri Spina, un Florentin très bien placé auprès du Pape, en fait partie. A son propos la narratrice Pampinea s'exprime en ces termes : ((je ne sais en ce qui me concerne, qui est la plus fautive : la Nature lorsqu'elle unit une âme noble à un corps vil ou la Fortune lorsqu'elle prédispose à un vil métier un corps doté d'une âme noble, ce qui est le cas de Cisti, notre concitoyen.» Il faut avouer que le personnage de Cisti, bien que sympathique, n'apparaît pas pour autant d'une noblesse particulièrement extraordinaire dans la nouvelle qui suit, mais l'important pour notre propos est plus la considération générale de Pampinea que la nouvelle elle-même : c'est là qu'on comprend pourquoi Boccace s'attarde tant sur des personnages simples et pauvres, qui en vérité peuvent se révéler être des trésors de vertu ou de grandeur d'âme. La nouvelle III, 9, mettant en scène une femme médecin qui épouse un noble contre son gré mais qui finalement honorera son épouse comme il se doit est distingue nettement elle aussi noblesse de sang et noblesse d'âme. Ces considérations vont à l'encontre de tous les a priori sociaux et culturels imaginables : Boccace s'intéresse avant tout à ce que sont les hommes et non à ce qu'ils ont.

D'ailleurs Ghismonda elle-même dit à son père que ((la pauvreté n'enlève rien à la noblesse de quelqu'un, la richesse si2.» Boccace lui-même n'a pas tellement cherché à faire carrière ou à s'enrichir, il s'est tout au long de sa vie consacré au savoir, à l'étude et à la poésie avec un profond désintéressement. Le Décaméron, de par sa diversité sociale, ne peut que promouvoir plus de mixité sociale, moins de préjugés sociaux, rappelle à chacun qu'au-delà de la condition sociale tous les hommes sont fondamentalement égaux face aux caprices de la Fortune.

1 Deuxième nouvelle de la sixième journée

2 p.344

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault