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Dualité du marché du travail, état social et sécurité économique en Tunisie


par Mokhtar ABIDI
Université Paris 13 - Master 2 Economie et Finance Internationales 2006
  

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Le renouveau du travail indépendant apparaît comme la forme extrême des évolutions du marché de travail, en considérant finalement le travailleur indépendant comme « entrepreneur de soi », comme chef d'entreprise individuelle qui assume le risque de son emploi, en même temps que le risque du travail et le risque économique de son entreprise.

Dans le contrat de travail salarié, différentes clauses peuvent faire supporter au salarié une part des aléas du marché. Les clauses sur la flexibilité du temps de travail, les clauses sur la rémunération au résultat, les clauses de productivité ou sur les clauses objectifs qui sont autant de techniques da faire supporter au salarié une part du risque économique.

Par contre, lorsque la réalisation du travail est assurée par un travailleur indépendant, le transfert du risque économique sera plus important. Le travailleur indépendant qui travaille librement à son propre compte auprès d'une clientèle propre, qui a une autonomie d'organisation et qui est rémunéré en fonction de la valeur de son travail, est considéré comme un entrepreneur. Il supporte le risque lié à la marche de son entreprise, le risque sur le résultat du travail et le risque de son emploi.

Pour comprendre l'impact des changements d'une crise du travail liée à la mutation de l'emploi, on ne peut rester focalisé sur la notion de Contrat de travail à Durée Indéterminée (CDI), il est nécessaire de l'articuler à d'autres formes de travail non légitimées en tant que telles, sinon tout ce qui se passe dans la précarité et le chômage demeure invisible; et, surtout, on ne peut appréhender que les aspects économiques du salariat. Si une diversité de carrières se développe dans le travail salarié, une diversité d'itinéraires s'organise donc autour de l'emploi précaire et du chômage. On voit là tout ce qui peut mettre en avant l'idée de crise du travail salarié.

2.2- De la multiplication des contrats de travail à l'enchevêtrement des formes de travail

Les catégorisations et les hiérarchisations sociales contenus dans les politiques publiques empêchent de voir que l'activité jointe à ces contrats de travail précaire est liée à d'autres activités. Les politiques publiques de "réparation" sont toujours pensées dans le cadre d'un système d'emploi révolu, et n'ont pas les moyens de voir ce que la diversité des contrats de travail peut produire.

En effet, d'une part, les trajectoires des individus en situation précaire ou au chômage apparaissent constituées d'une succession de situations de travail et d'activités : contrats de travail précaire, travail au noir, bénévolat.... Et d'autre part, les itinéraires individuels contiennent des "empilements" et des superpositions de ces formes de travail et d'activités.

Ainsi, le travail salarié, le travail intérimaire, les emplois aidés, le travail au noir, l'économie informelle apparaissent imbriqués les uns avec les autres. Cet enchevêtrement ne peut pas être vu dans un cadre d'analyse où le travail salarié y est pensé comme dominant.

a. Épreuve de la précarité et cultures de l'aléatoire

"La précarité est l'absence d'une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et aux familles d'assumer leurs obligations professionnelles, familiales ou sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un avenir prévisible" 2(*)

Dans un contexte de diversité et de chevauchement des formes de travail et d'activité, des savoirs et des compétences plus ou moins visibles surgissent : des savoirs de l'expérience liés à la gestion des situations d'urgence où il faut inventer des solutions rapides pour vivre ; des compétences à recréer du lien social ; des compétences liées à la lutte contre les insécurités et la pauvreté.

En même temps que l'épreuve de précarité devient de plus en plus dramatique, les différents savoir-faire individuels peuvent être activés autour de projets collectifs dans lesquels les individus apparaissent fortement engagés et mobilisés. On voit alors des groupements se former, s'organiser, définir des rôles et des statuts dans des espaces qui naissent entre les marchés de travail, au centre et à la périphérie des villes. L'apparition des cultures de l'aléatoire qui découlent de la diversité des expériences et des compétences individuelles et collectives acquises dans des situations de précarité, de la gestion de situations d'urgence et d'incertitude, en sera la manifestation (Roulleau-Berger, 1999).

Les cultures de l'aléatoire ne doivent en aucun cas être perçues comme des cultures marginales, mais comme des cultures porteuses de changement social, voire d'innovations. Elles ne peuvent être pensées comme des cultures de transition dans l'attente d'un retour à une croissance forte, elles doivent être considérées pour elles-mêmes (Caillé, Laville, 1996). Mais, à l'instar de Roulleau-Berger (1999), on ne sait jamais à quel moment et comment elles peuvent évoluer vers des cultures de la pauvreté ou permettre des formes d'intégration professionnelle.

En revanche, quand des formes de travail et d'activité s'ordonnent et se hiérarchisent, les cultures de l'aléatoire rendent visibles des compétences qui peuvent être ensuite mobilisées dans un processus d'intégration professionnelle.

La question de légitimation de cette diversité de compétences construites dans l'épreuve de la précarité reste donc bien la question centrale, l'enjeu politique fort du moment.

b. Crise du travail salarié : quelle mission pour l'État social ?

"L'État social prend acte des effets pervers des régulations purement économiques et de l'insuffisance des régulations morales". (Castel, 1995) S'inspirant de l'idée selon laquelle la citoyenneté sociale constitue le coeur de l'idée de l'État providence, Gøsta Esping-Andersen, de son côté, met en avant le concept de "démarchandisation" (decommodification). Ce dernier renvoi à l'idée d'un détachement progressif du statut des individus vis à-vis de la logique du marché. L'introduction des droits sociaux modernes dans les sociétés capitalistes a contribué à donner à chaque personne des moyens de vivre indépendamment du marché, ce qui a permis de faire de chaque citoyen autre chose qu'une simple marchandise échangeable. Cela dit, chaque société a appliqué cette logique de démarchandisation de façon spécifique et il est possible de distinguer aujourd'hui plusieurs modèles.

La classification des régimes élaborée par Gøsta Esping-Andersen permet d'en distinguer trois : le modèle libéral, le modèle corporatiste ou continental et le modèle social-démocrate ou nordique.

Le premier se caractérise à la fois par des allocations d'assistance sans condition des ressources, des transferts sociaux à caractère universel modestes et un système d'assurances sociales limité. L'État encourage le marché et se limite à une intervention minimale pour assurer la protection sociale la plus élémentaire et parfois même cherche à favoriser l'essor des assurances privées. Il s'agit dans ce cadre d'un processus de démarchandisation très faible.

Le modèle corporatiste est fondé, au contraire, sur une faible participation des assurances privées. Les indemnités sont presque entièrement dépendantes des contributions issues du travail, donc la démarchandisation substantielle n'est pas assurée de façon automatique. Ce sont les indemnités qui déterminent le champ d'action des programmes sociaux et par conséquent les limites du détachement vis-à-vis du marché.

Enfin, basé sur le principe d'universalité des droits sociaux, le modèle social-démocrate se situe au niveau de démarchandisation le plus élevé. Ce système favorise l'émancipation des individus par rapport aux lois du marché, mais aussi par rapport au rôle de la famille.

Ainsi, l'Etat social intervient pour atténuer les effets sociaux de la crise économique en fonction de sa mission protectrice, mais les catégories sociales susceptibles de bénéficier des transferts sociaux compensatoires sont définis selon l'écart qui les sépare d'une norme qui reste celle de l'emploi stable.

Pour ceux qui ne peuvent pas travailler, que ce soit pour des raisons d'incapacité personnelle, ou faute d'emploi sur le marché du travail, jusqu'où doit aller la garantie de revenu ? A-t-on droit de vivre sans travailler ? Jusqu'où va l'échange de droits et de devoirs (droit au revenu, devoir de travailler) ?

Le problème de la continuité de la protection sociale, et, de façon plus générale, de la sécurité économique des personnes renvoie à la question des modalités d'accès aux ressources des différents citoyens. Trois modalités de répartition peuvent être distinguées. La première, de nature économique, renvoie aux revenus que les individus tirent de leur participation à l'activité productive. De nature sociale, la deuxième modalité de répartition renvoie aux transferts dont vont bénéficier les individus en provenance d'institutions qui prélèvent et redistribuent des revenus. La répartition domestique, enfin, regroupe tous les transferts fondés sur un lien personnel entre l'émetteur et le receveur, et renvoie donc principalement à la solidarité familiale. Mais loin de s'exclure, les trois sphères de la répartition se superposent en partie pour de nombreux individus.

Ainsi, la sécurité des revenus constitue, en effet, l'aspect essentiel de la sécurité économique et sociale des individus. Il faut alors mettre l'accent sur l'importance des ressources issues des régimes collectifs de protection sociale et chercher à apprécier l'indépendance de la sécurité économique à l'égard du marché de travail : c'est la démarchandisation au sens de Gøsta Esping-Andersen (1990).

Comment évaluer alors les résultats des politiques des Etats sociaux en ce qui concerne la protection qu'ils assurent à leurs ressortissants contre les problèmes découlant des divers aléas de l'existence ?

* 2 Avis du conseil économique et social français du 11 février 1987, rapport "Grande pauvreté et précarité économique et sociale"

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry