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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon

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par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège - DEA Interuniversitaire en Développement, Environnement et Sociétés 2006
  

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Projet Nô-Life (2004-)

Enfin, le Projet Nô-Life a vu le jour en 2004, en succédant pratiquement aux activités de formation de l'Ecole de l'agriculture vivante487. Le Centre Nô-Life a été construit par la Municipalité de Toyota avec un budget municipal dont le montant est de près de 30 millions de yens488, à côté d'un centre local de la CAT en louant environ 2.3 ha de terrains agricoles destinés aux activités des formations agricoles du Projet Nô-Life. La CAT, étant co-gestionnaire du Projet Nô-Life, s'investit également en envoyant trois employés permanents dont notamment Monsieur KM, vice-président du Centre Nô-Life, chargé des activités des formations avec Monsieur KH, vice-président du côté du BPA. Puis, la CAT loue des locaux et des équipements pour les activités de formation (salles de cours, machines etc) à la Municipalité de Toyota.

Caractère général des données

Dans cette partie, l'analyse est basée sur l'entretien effectué avec Monsieur S, directeur de la Direction des Activités agricoles de la CAT. Il a accueilli l'enquêteur (rédacteur) dans son bureau de la CAT pour répondre à nos questions, pendant près d'une heure et demi489.

Représentations

Consensus de base avec la Municipalité sur le développement de l'agriculture de type Ikigai Problèmatique de base : manque de producteurs et mise en valeur de retraités salariés

Le manque de producteurs dû au vieillissement de la population agricole, et à la baisse des prix agricoles,

487 Pourtant, l'Ecole de l'agriculture vivante continue encore ses activités de formation dans certains centres locaux de la CAT.

488 Soit environ 200 000 euros.

489 Des renseignements utiles peuvent être récoltés dans les sites internet des organisations des Coopératives agricoles japonaises (JA) comme Zenkoku Nôgyô kyôdô kumiai chûou kai : Zen-chû (Fédération centrale des Coopératives agricoles japonaises) : http://www.zenchu-ja.or.jp/profile/b.html, ainsi que Nôrin chûo kinko : The Norinchukin Bank : http://www.nochubank.or.jp/outline/index.shtml et la CAT http://www.ja-aichitoyota.com/.

constitue une préoccupation prioritaire pour la CAT. D'où le motif principal de la CAT pour s'impliquer dans le Projet Nô-Life afin de « former des agriculteurs (nôka wo tsukuru) 490 ». D'après l'explication de Monsieur S, le manque de porteurs dû au vieillissement est surtout aggravé chez les producteurs maraîchers dont la structure est familiale et non sous forme d'entreprises, et qui subissent le plus la fluctuation des prix agricoles.

Ensuite, pour faire face à cette situation de crise, un point de consensus se constitua entre la CAT et la Municipalité de Toyota : une nécessité de mettre en valeur les retraités salariés des foyers agricoles et non agricoles. Voici l'explication de Monsieur S :

« ... Cependant, on ne peut pas demander aux jeunes de faire le paysan. Mais si ce sont des retraités, comme ils ont leur pension, ça pourrait être possible. C'est pour cela que l'on a demandé au maire de faire quelque chose. On leur dit donc `faites le paysan !' 491»

Idées de Monsieur S pour la Conception de l'Ecole rurale : « Ils ont un milieu pour jouer, un lieu d'existence »

Puis, Monsieur S nous a expliqué comme ci-dessous les idées qu'il avait lorsqu'il a proposé la « Conception de l'Ecole rurale » à la Municipalité de Toyota lors de l'élaboration du Plan de 96 :

« En fait, les gens autour de la génération baby-boom se sont souvent passés de faire le paysan. Par exemple, quand ils rentrent à la maison, leur grand-mère travaille aux champs. Mais eux, ils ne savent pas comment entretenir les champs et la ferme. Puis, est-ce qu'ils peuvent demander à leur mère comment le faire ? La réponse est non. Quant à l'épouse également, on fait rarement de conversation pour demander à sa belle mère comment cultiver les légumes etc. Dans ce cas, les savoir-faires de ces grand-mères n'ont qu'à disparaître. Si c'est comme cela, ça serait bien d'organiser des formations et de faire apprendre... D'où l'idée de l'Ecole rurale. Il y en a beaucoup qui ne connaissent pas l'agriculture alors qu'ils sont nés à la ferme. Eux, après leur retraite, ils ont des terrains agricoles chez eux. Puis, il y en a qui n'en ont même pas. Ils n'ont rien, en plus, s'ils doivent aller à l'hôpital tous les jours ? [Il est possible quj ils vont tous les jours à l'hôpital, sinon à Pachinko. Il y en a qui font comme ça. Mais quant aux foyers agricoles, la montagne est là, les champs sont là. Ils ont un milieu pour jouer, ce qui constitue également un lieu d'existence pour eux. Ensuite, y être tout simplement ne suffit pas, il faut faire quelque chose. Alors, il faut apprendre un petit peu l'agriculture. Mais ils ne la connaissent pas, donc on la leur apprend. Pour la coopérative agricole, s'ils peuvent ainsi devenir successeurs, c'est suffisant pour nous de s'adresser uniquement aux foyers agricoles. Mais si on travaille avec la Municipalité, elle veut s'adresser également au public, c'est-à-dire à ceux qui n'ont pas de terrains agricoles. C'est ainsi que l'on a fait appel aux personnes non agricoles pour lancer l'Ecole de l'agriculture vivante, il y a déjà 6-7 ans. »

Dans cette explication, il decrit la réalité du vieillissement des populations tant rurale qu'urbaine (ceux qui ont des terrains et ceux qui n'en ont pas). Quant aux foyers agricoles, c'est la grand-mère (ou le grand-père) qui entretient tout seul les champs, et alors que leur fils et son épouse ne s'en occupent pas.

La situation des foyers agricoles pluriactifs telle qu'elle a été decrite par Monsieur S, semble s'éloigner encore plus de l'image stéréotypée sur la pluriactivité des foyers agricoles au Japon, qui a été largement diffusée depuis l'époque de la Haute croissance : nous l'avons vu dans le chapitre 1, celle de « san chan nôgyô (agriculture de 3 chan) », il s'agit de l'agriculture de papie, de mamie et de maman. Cette désignation suppose que ces trois personnes s'occupent des champs, alors que le père (fils) va travailler tout seul à l'extérieur de la ferme. Dans la description de Monsieur S, on peut sentir que le temps a passé et que la situation des foyers agricoles pluriactifs a encore évolué aujourd'hui : les femmes vont davantage travailler en dehors de leur foyer et les grands parents n'arrivent plus à travailler aux champs en raison de leur vieilliesse, et enfin le père va

490 Le terme Nôka a un double sens : d'abord la « ferme », c'est-à-dire le foyer agricole, ensuite il designe également quelqu'un est spécialisé dans le métier agricole, donc l'agriculteur. Ceci est le même usage de « ka » que « judô ka » ou « karate ka ».

491 « Faire le paysan (hyakushô yaru) » est une exprésssion couramment utilisée parmi la population japonaise pour signifier

« travailler aux champs » ou « se mettre à des activités agricoles ». Le mot Hyakushô est un terme qui signifiait, depuis le Moyen âge, le statut général du peuple appartenant à la paysannerie japonaise.

bientôt prendre sa retraite...

Pour mieux comprendre cette explication de la situation des foyers agricoles pluriactifs, prenons la trajectoire personnelle de Monsieur S ayant un lien fort avec cette situation. En fait, Monsieur S est lui-même issu d'un foyer agricole dans une zone de moyenne montagne situé dans le territoire de Toyota. Son pays natal, s'appellant Matsudaira, avait fusionné avec la Ville de Toyota en 1970492. Puis, étant fils ainé, il n'a pas repris les activités agricoles de ses parents. Ceci afin d'aller travailler, après avoir fini ses études universitaires à Tôkyô, en tant qu'employé de la Coopérative agricole de Matsudaira qui fusionna également avec la CAT plus tard. Une telle trajectoire semble influencer la façon dont il perçoit la situation des foyers agricoles pluriactifs, puisque qu'il vit lui-même cette situation.

Dans son explictaion, les champs et la montagne constituent les plus importants capitaux pour les foyers agricoles. Ils représentent « un milieu pour jouer » et « un lieu d'existence » pour ces retraités qui n'ont pas travaillé la terre pendant qu'ils étaient salariés. Cette explication montre un élément essentiel des idées de Monsieur S qui établit clairement le lien entre le vieillissement de la population et la ruralité pour concevoir sa « Conception de l'Ecole rurale ».

Par ailleurs, il met l'accent sur le fait que c'était la Municipalité (et non la CAT) qui voulait s'adresser à la population non agricole pour lancer le projet de l'Ecole de l'agriculture vivante, et qu'il suffisait, pour la coopérative, d'avoir plus de successeurs d'activités agricoles au sein des foyers agricoles par ce projet. De cette explication, on peut remarquer qu'il y a un intérêt particulier que la CAT porte pour son implication dans le Projet Nô-Life en tant qu'un organisme représentant des agriculteurs mais non le public en général.

Vision de l'Agriculture de type Ikigai chez Monsieur S

Nous avons constaté un point de consensus entre la CAT et la Municipalité sur le problème et l'objectif généraux pour mener une coopération pour le Projet Nô-Life. Cependant, la vision que la CAT porte pour mettre en oeuvre le Projet Nô-Life, notamment celle de l'agriculture de type Ikigai, n'a-t-elle pas un trait spécifique en raison de son propre intérêt ? D'autant plus que la place de cette idée de l'agriculture de type Ikigai est centrale dans le Plan de 96 ainsi que dans le Projet Nô-Life, et que c'était Monsieur S qui a apporté, avec ses propres idées (fortement liées à sa trajectoire), une contribution importante pour l'élaboration du Plan de 96, il nous serait plus éclairant de mettre en évidence les éléments de représentations sous-tendant la vision de Monsieur S sur l'agriculture de type Ikigai.

Expériences antérieures de Monsieur S : une généalogie de ses idées sur l'agriculture de type Ikigai...

« Marché du mardi soir » à la Coopérative de Matsudaira vers 1984 : l'idée de « pouvoir gagner de l'argent avec un plaisir » dans une situation ambivalente

Plusieurs expériences que Monsieur S a antérieurement vécues dans son travail au sein de la Coopérative agricole de Matsudaira (son pays natale) et la CAT, et qu'il nous a racontées, nous apportent certains éléments importants pour comprendre sa propre vision de l'agriculture de type Ikigai. Ces expériences nous montrent qu'il y a une continuité historique dans son approche, voire une généaologie de ses idées sur l'agriculture de type Ikigai.

Vers 1984, il a eu l'expérience d'avoir réussi à organiser un marché de la vente directe à la Coopérative
agricole de Matsudaira dans laquelle il était employé à cette époque. Ce marché s'appellant le « Marché du
Mardi soir (kayô yû-ichi) », fut organisé par des femmes de 40-50 ans, et des personnes âgées des foyers
agricoles pluriactifs de Matsudaira. S'ouvrant chaque mardi vers 16h à 18h, devant la porte du supermarché de
la Coopérative de Matsudaira avec une gamme de produits du terroir, ce marché fonctionne jusqu'à aujourd'hui.
En mettant l'accent sur les femmes et les personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs, l'action anticipait

492 Le pays de Matsudaira était la seule commune situé en zone de montagne et la dernière commune parmi les cinq communes qui ont fusionné avec la Ville de Toyota à entre 1956 - 1970.

bien la mode de la « vente directe des produits agricoles », une idée largement diffusée et reconnue au Japon aujourd'hui sous le terme de « Sanchoku », notamment avec le slogan de « produire et consommer localement (chisan chishô) »493. Puis, cette anticipation était liée à la situation spécifique et locale de son pays : à Matsudaira situé dans une zone de moyenne montagne, la situation de pluriactivité, du vieillissement et de la stagnation agricole étaient fortement accentué par rapport aux autres zones situées en plaine dans le territoire de la Ville de Toyota où les conditions pour la modernisation étaient relativement favorables (facilité pour effectuer le remembrement, proximité à la zone urbaine, possibilité plus grande pour la spécialisation de la production tel que l'arboriculture etc).

D'ailleurs, à cette époque, il n'y avait pas encore de points de vente directe gérés par la CAT dans chaque quartier de la Ville de Toyota comme aujourd'hui. Ainsi Monsieur S explique comme ci-dessous ses idées qu'il avait à cette époque pour mener cette action :

« Quand j'ai créé le Marché du Mardi soir, en fait, j'avais vu beaucoup de choux chinois laissés aux champs. Et je me suis dit, `Sans doute, il y aurait des gens qui voudront tout ça...' Puis, j'ai fait le tour des mères des fermes et discuté avec elles pour commencer un marché. A cette époque, la vente directe n'exsistait quasiment pas. Le mot de `Vente directe (Sanchoku)' n'existait même pas. Les points de la vente directe comme 'Green center' de la Coopérative n'existaient pas encore non plus. (...) Il fallait le faire de manière 'face-à-face' en sorte que les gens fassent leur achat en parlant avec ces mères. On a commencé ce marché une fois par semaine. Ensuite, dans un certain temps, on a même commencé une livraison de panier avec une coopérative de consommation de Nagoya. (...) Aujourd'hui, il y en a beaucoup qui font comme ça avec e-mail... Mais cela n'existait pas à cette époque. Mais on l'a fait. Et ça continue encore. »

Comme il l'a expliqué ci-dessus, il a conçu l'idée de lancer ce marché en tenant compte de légumes qui restaient aux fermes sans être distribués au marché (« j'avais vu beaucoup de choux chinois laissés aux champs »). Puis, il a mis en oeuvre ce marché de façon à se baser sur sa localité en faisant « le tour des mères des fermes » pour organiser les gens des foyers agricoles pluriactifs de son pays. Quelle était alors la préoccupation de Monsieur S pour cette action ? Il l'explique ainsi :

« [Enquêteur : Est-ce que vous pensiez déjà au problème du manque de successeurs à cette époque ?] Non, c'était plutôt pour la vente. Je me demandais comment pouvoir faire gagner de l'argent, et comment pouvoir faire gagner de l'argent avec un plaisir. Cela en me disant comme ceci : s'il y a des légumes là, ça arrangera ceux qui en veulent'. Quelque chose comme ça. »

Donc, la préoccupation n'était même pas le problème du manque de successeurs, mais la question de « comment pouvoir gagner de l'argent avec un plaisir (tanoshimi nagara kasegu niha dôshitara yoi ka) ». Il nous faut éclaicir les nuances de cette explication. « Gagner de l'argent », il s'agit de la vente de produits agricoles, que la plupart des gens des foyers agricoles pluriactifs ne pouvaient pas effectuer au travers le grand marché (comme chez les grossistes). Puis, l'expression d' « avec un plaisir » semble impliquer une nuance plus particulière. Pour comprendre cette nuance, il faut tenir compte des diffucultés et des contraintes auxquelles les foyers agricoles étaient confrontés pour pouvoir rendre viable leur exploitation face à l'exigence du grand marché qui était établi pendant la Haute croissance économique entre 1955 et 1975. Et la plupart des foyers agricoles sont devenus pluriactifs en raison de l'impossibilité d'adapter à cette logique économique avec la structure défavorable de leur production familiale face à l'exigence du marché. Le mot de « plaisir » doit être interprété dans un tel contexte socio-économique.

493 Au Japon, depuis la période de la Haute croissance, le mouvement de « Teikei-sanchoku (vente directe contractuelle) » était déjà né entre des groupes de consommateurs de grandes villes et des groupes de producteurs agricoles. D'ailleurs, un mouvement récemment paru en France s'y réfère. Voir l'AMAP (Association pour le Maintien d'une Agriculture paysanne) : http://alliancepec.free.fr/Webamap/index1.php (site officiel)

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera