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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon

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par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège - DEA Interuniversitaire en Développement, Environnement et Sociétés 2006
  

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Passage des Jardins citoyens et de l'Ecole de l'agriculture vivante au Projet Nô -Life

Quand la CAT s'est mise en action pour les lancements des Jardins citoyens en 1998 et de l'Ecole de l'agriculture vivante en 2000, Monsieur S a mené certain nombre de réflexions face aux réussites et problèmes rencontrés au cours du processus de la mise en oeuvre de ces projets.

Avant de créer les Jardins citoyens, Monsieur S et d'autres personnels concernés (y compris des députés locaux) ont effectué une visite des Jardins familiaux en Europe afin d'étudier la mise en oeuvre de ces jardins. Cette visite leur a plu. Mais après le retour au Japon, ils ont rencontré tout de suite un problème juridique par rapport à la Loi agraire sur l'interdiction de construction de batîments à l'usage non agricole dans les terrains agricoles. Ce qui les empêcha de construire des cabanes dans les jardins de la manière européenne. Donc, ils ont dû lancer les jardins sans y construire de batîments dont chaque parcelle fait 100 \u13217§, ce qui est plus grand que les parcelles des jardins familiaux auparavant mis en place dans la Ville de Toyota. Monsieur S escomptait alors, qu' « il y aura [it] plus de personnes qui voudr [aient] se mettre vraiment dans l'agriculture plus tard ».

Mais il rencontra un autre problème dans la gestion de ces jardins citoyens : beaucoup de citoyens qui n'arrivaient pas à continuer leur activité de jardinage sur leur parcelle attribuée en raison de sa trop grande surface. Monsieur S attribue la cause de ce problème à l' « effet de mode » sur l'agriculture parmi les usagers urbains.

Puis, dans le projet de l'Ecole de l'agriculture vivante, Monsieur S a expliqué la réussite de ce projet notamment au niveau de l'organisation d'anciens stagiaires. En effet, nous l'avons expliqué plus haut, bon nombre d'anciens stagiaires de ce projet se sont organisés en un groupement de producteurs de l'agriculture biologique au sein de la CAT. Ce type d'organisation de nouveaux producteurs est un des éléments auxquels Monsieur S accordait de l'importance dans sa vision de l'agriculture de type Ikigai.

Ensuite, Monsieur S avait tenté d'essayer une autre idée pour aller plus loin avec ces anciens stagiaires. Il aurait souhaité que ces stagiaires gèrent collectivement leur terrain (il est loué par la CAT) et ensuite le faire utiliser par des écoles. Il s'agissait d'accueillir des élèves d'une école primaire et de les faire expérimenter l'agriculture sur ce terrain agricole, et faire utiliser dans leur cantine scolaire les produits que ces élèves auraient récoltés. Cependant, cette tentative n'a pas connu le succès escompté, en raison de l'exigence du centre municipal de la distribution alimentaire pour les cantines scolaires (kyûshoku center). En fait, ce centre, gestionnaire de la distribution alimentaire des repas scolaires, refusa catégoriquement d'utiliser les produits crus (surtout non surgelés) et non standardisés (ex. concombres courbées, pommes de terre de taille hétérogène etc). Ceci en raison du maintien de l'efficacité de leur travail (découpe, stockage etc).

Puis, après quatre ans d'expériences, l'Ecole de l'agriculture vivante s'est retrouvée, lorsque les anciens stagiaires ont voulu davantage développer leur production agricole, avec le problème de la surface minimum d'installation imposée par la Loi agraire. Ce qui conduisit la CAT et la Municipalité de Toyota à élaborer le Projet Nô-Life plus tard.

Idées de base du Projet Nô -Life

Nous allons analyser les idées de Monsieur S sur l'élaboration du Projet Nô-Life, en tant que responsable du Projet Nô-Life du côté de la CAT. Le consensus est d'abord établi avec la Municipalité et les autres agents concernés, sur le problème du manque de producteurs ainsi que l'objectif de formation de nouveaux producteurs de type Ikigai en s'appuyant sur les retraités salariés dont on estimait que le nombre allait augmenter dans la Ville de Toyota. Mais en plus de ces deux éléments fondant le contexte du Projet Nô-Life, Monsieur S met davantage l'accent sur le fait que les stagiaires sont encouragé à dégager un revenu agricole après leur formation497. Ensuite, Monsieur S réaffirme le principe des activités de l'Orientation agricole de la CAT en parlant de la situation du Projet Nô-Life où les stagiaires risquent de quitter leur activité agricole quand ils ne pourront plus la continuer...

« (...) On pensait au début 's'il y aura une ou deux personnes qui se mettront à l'installation agricole, ça serait bien'. Mais il y en a plus que prévu pour l'instant... Mais, faire le paysan ne fait pas gagner de l'argent ! Donc on peut se demander jusqu'à quand ils pourront continuer.(...) Après tout, c'est une des missions de la Coopérative. Créer les agriculteurs, former les successeurs, c'est le rôle de la Coopérative. »

Nous voyons ainsi que le rôle officiel de la Coopérative est identifié au souhait affirmé par Monsieur S pour la continuation permanente des activités agricoles par les stagiaires du Projet Nô-Life, ainsi que le fait que ces stagiaires puissent dégager un revenu agricole.

Puis, le consensus entre la CAT et la Municipalité de Toyota est renforcé quant au vieillissement de la population dont le souci augmentait de plus en plus face à la retraite massive de la génération baby-boom notamment prévue à partir de 2007498. Ainsi, Monsieur S reconnaît également le problème du vieillissement comme ci-dessous, mais ceci surtout en rapport avec la ruralité... :

« Et pour la Municipalité, si le nombre des retraités de la génération baby-boom augmente de plus en plus, et ils font que fréquenter Pachinko et l'hôpital, ça coûte trop cher. Peut-être vous le savez, le département de Nagano499 est le dépatement où il y a le moins de papis et mamies qui fréquentent l'hôpital. Pourquoi ? Parce qu'ils travaillent aux champs. Ça, c'est aussi notre but. Dans les villages de Nagano, on peut trouver des papis et mamies qui sont même prêts à mourrir sur leurs champs ! En plus, ils tombent rarement malades, et sont toujours en forme. On espère avoir une telle situation. »

Monsieur S a également soulevé le problème du dépeuplement des zones de moyenne montagne situées dans le territoire de la Ville de Toyota comme ci-dessous :

« Il y a encore une chose, notre Matsudaira et d'autres zones comme Fujioka et Asahi dans la Ville de Toyota, la population diminue. Car les jeunes sont partis. C'est pour cela que la localité décline, sans avoir assez de gens. Surtout le travail comme le désherbage, il faut le faire trois ou quatre fois par an. Et s'il n'y a pas assez de gens, on n'y peut rien. On espère que les gens viennent s'installer dans la montagne. Mais ça serait difficile... »

497 « Ce que nous voulons, dit Monsieur S, en bref, c'est que, parmi ces stagiaires, il y en ait qui deviennent agriculteurs / agricultrices. Ikigai, c'est bien, mais on espère que les gens auront Ikigai en dégageant un revenu agricole ».

498 Ce problème est souvent traité dans les médias au Japon avec une appellation spéciale comme « Problème de 2007 (2007nen mondai) ». (Voir la partie de l'acteur 2)

499 Le département de Nagono est une grande région montagnarde à dominante rurale, située au nord du Département d'Aichi.

Dans cette explication, on voit que, derrière le rôle officiel de la CAT affimé plus haut (formation agricole), d'autres problèmes plus fondamentaux et ancrés dans la situation territoriale préoccupent Monsieur S : déclin des zones rurales dû au vieillissement de la population agricole et au dépeuplement. Et son intention exprimée ici est de lier, via le Projet Nô-Life, les solutions des problèmes du vieillissement de la population urbaine et de celui de la population rurale dont le dépeuplement constitue un facteur décisif d'aggravation.

Vision concrète sur les porteurs de l'agriculture

La formation des producteurs censés être porteurs de l'agriculture de type Ikigai est l'objectif principal du Projet Nô-Life, et également une des missions de la Coopérative agricole. Mais en réalité, quel type de producteurs la CAT veut-elle former ? A-t-elle une vision concrète de ceux-ci ?

Plus haut, on a soulevé, dans les représentations que Monsieur S a de l'agriculture de type Ikigai, les dimensions suivantes : économique (objectif d'avoir un revenu agricole d'un million de yens par an); institutionnel (maintien d'une relation avec l'organisation de la coopérative) ; social (implication) et moral (mental).

Cependant, la valeur de l'agriculture de type Ikigai pour Monsieur S impliquait une ambivalence qui était non seulement liée à la situation objective des retraités (pas nécessaire de vendre les produits, car leur pension leur assure une vie stable), mais également au sens de la notion d'Ikigai elle-même (productiviste mais anti-utilitariste) Face à cette ambivalence, comment la CAT envisage-t-elle la réalisation de la formation dans le Projet Nô-Life ? Quelles conditions concrètes la CAT veut-elle proposer aux stagiaires via la formation ? Et quelle place accorde-t-elle à ces producteurs par rapport au modèle productiviste des agriculteurs tel qu'il est promu dans la politique agricole japonaise ? Il s'agit de la question de la finalité à laquelle elle veut faire aboutir le Projet Nô-Life...

Intérêt de l'organisation

D'abord, pour Monsieur S, la distance est nette entre la visée de la formation du Projet Nô-Life et le modèle productiviste de la politique agricole, promu aujourd'hui avec le système de l' « agriculteur qualifié (nintei nôgyô-sha) »500. Il considère qu'il sera « difficile » pour les stagiaires du Projet Nô-Life de suivre ce modèle. Il souhaiterait pouvoir accorder aux stagiaires du Projet Nô-Life au minimum une intégration (ou une participation) de manière quelconque dans une organisation à l'intérieur de la Coopérative agricole. Voici l'explication de Monsieur S :

« D'abord, il nous faut saisir qui fait quoi dans tel ou tel endroit. Notre organisation - la coopérative - et la Municipalité sont en train de s'efforcer à former des gens. Et si on ne peut pas identifier leur activité et leur relation, on ne saura plus où ils vont ! S'ils vont partir seuls et se contenter de vendre leurs produits par eux-même sans acheter nos matériels, sans vendre avec nous, on se demandera pourquoi on leur a fait apprendre. Ca n'ira pas pour nous, si ça se passe comme ça. On voudrait qu'ils adhèrent à la Coopérative, et qu'ils participent à telle ou telle organisation en bénéficiant ou gérant nos affaires. Sur ce point-là, ce n'est pas encore clair dans ce projet. »

L'importance de l'organisation est le point que l'on a déjà soulevé plus haut sur la vision de l'agriculture de type Ikigai de Monsieur S. La CAT souhaite que les stagiaires du Projet Nô-Life mènent leur activité agricole de manière à s'intégrer à l'organisation de la coopérative agricole. Et ceci sans pour autant exiger des stagiaires de suivre le modèle productiviste d'agriculture. Cela confirme de nouveau l'exigence de la CAT, basée sur son intérêt particulier qui se distingue de l'intérêt public de la Municipalité, dans leur implication dans le Projet Nô-Life.

Et dans l'explication ci-dessous, Monsieur S met surtout l'accent sur l'importance de l'aspect collectif dans

500 C'est un modèle de producteurs agricoles promu par la politique agricole japonaise. Par cette politique, il est recommendé aux agriculteurs de suivre ce modèle via la qualification. Voir la partie de l'acteur 5.

les organisations de la coopérative agricole. Il n'est surtout pas souhaité par la CAT, que les stagiaires ne mènent leur activité qu'individuellement en dehors d'une organisation formelle. La participation dans un groupement de producteurs (seisan bukai) est ainsi recommandée aux stagiaires du Projet Nô-Life501.

Jeu d'intérêts réciproques : source de l'ambiguïté de la finalité du Projet

D'ailleurs, Monsieur S suggère comme ci-dessous que le fait que les stagiaires s'organisent au sein de la CAT intéressera également la Municipalité de Toyota.

« L'administration sera aussi contente s'il y aura un tel mouvement. En effet, l'administration, elle veut aussi avoir un mérite (jisseki). Si on ne dit que `tout le monde est content dans notre projet', ça n'ira pas trop... »

Le fait que le mot de « mérite (jisseki) » a été énoncé par Monsieur S nous paraît significatif dans la mesure où ce fait suggère l'existence d'un intérêt particulier de la part de la Municipalité de Toyota. En effet, cela implique que la position officiellement déintéressée de la Municipalité de Toyota, tout en respectant l'intérêt public, veut et doit également être reconnue comme un mérite (comme par exemple celui du maire). Et la CAT tient compte, quoique implicitement, de cet intérêt de la Municipalité de Toyota, pour mener ses actions.

Puis, l'intérêt que porte la Municipalité de Toyota vu par la CAT prend nécessairement un caractère plutôt « symbolique » que matériel, comme Monsieur S l'explique ci-dessous, de manière quelque peu ironique, sur les valeurs que l'administation peut accorder aux activités des stagiaires du Projet Nô-Life :

« Si des nouvelles comme 'd'anciens stagiaires de Nô-Life font leur contribution locale en faisant telles ou telles activités' paraissaient, ça serait une très bonne chose. C'est ce qui ferait le plus plaisir à l'administration. Mais il faut constituer un enchaînement avec quelques résultats, même si c'est une histoire pas facile à réaliser. Par exemple, 'tel ou tel nombre de personnes sont entrés dans un groupement de producteurs', 'la capacité de la vente a augmenté à tel ou tel degré'. C'est ce qui va créer les fruits du Projet. (...) Donc, s'il y aura des nouvelles comme 'des élèves d'une école primaire font quelque chose', ça serait très bien. »

L'expression de Monsieur S « cela fera le plus plaisir à l'administration » révèle bien l'existence de la relation d'intérêts réciproques entre la CAT et la Municipalité de Toyota dans leur coopération pour le Projet Nô-Life. C'est dans le cadre d'une telle relation d'intérêts réciproques, que le caractère symbolique de leur jeu prend son sens et influence la vision « concrète » de leur projet. Du coup, la finalité du Projet Nô-Life apparaît nécessairement floue en étant coincé entre l'intérêt privé et concret de la CAT et l'intérêt public et symbolique de la Municipalité de Toyota, qui sont situés dans leur propre jeu réciproque. De ce fait, on pourrait rendre compte de l'ambivalence de l'idée d'Ikigai qui a été mise dans ce jeu.

Place résiduelle du Projet Nô -Life au sein de la CAT : fragilité du Projet Nô -Life

Dans quelle mesure la CAT peut-elle s'intéresser au Projet Nô-Life face à une telle ambiguïté complexe qui entoure ce projet (situation des retraités, valeur d'Ikigai, finalité du Projet) ? Et pourquoi la CAT s'intéresse à ce projet ? Quelle est l'attente de la CAT vis-à-vis du Projet Nô-Life ? La réponse de Monsieur S pour cette question montre bien la réalité paradoxale de la relation entre la structure interne de la CAT et l'intérêt qu'il porte pour s'impliquer dans le Projet Nô-Life. Comment la CAT, étant représentant des intérêts des agriculteurs membres, reconnaît-elle l'apport du Projet Nô-Life de ses membres ? Monsieur S exprime comme ci-dessous,

501 « Ce qui sera bien pour nous, dit Monsieur S, c'est que les stagiaires participent à un groupement de producteurs. Ainsi on pourrait les organiser. (...) Avant tout, la Coopérative est elle-même une organisation. Et il y a des organisations à l'intérieur de cette organisation. On fonctionne comme ça. Donc, si on se focalise sur les individus, ça sera trop difficile de s'en charger. Le plus important, c'est la participation dans notre organisation. L'objectif est donc d'organiser les stagiaires. Mais ce n'est pas forcément dans une organisation déjà existante, ils peuvent bien en créer une nouvelle. Organiser c'est une des tâches de la Coopérative. Tout seul, ça ne marchera pas. Même s 'il en a qui font comme ça... »

un regard généralement peu enthousiaste des agriculteurs sur le Projet Nô-Life...

« Pour les gens des foyers agricoles, ils n'attendent pas grand chose du Centre Nô-Life. [Enquêteur : l'apport du Projet n'est pas encore reconnu...?] Ce qui leur plairait le plus, ça serait de créer des organisations pour les aider le travail. Par exemple, des organisations qui viennent aider leur travail quand l'agriculteur tombe malade. Une telle nouvelle sera très bien appréciée. Mais dans ce cas, cette aide sera payante... »

D'après cette explication, le simple fait que les citadins mènent des activités agricoles n'intéresse pas trop les agriculteurs, sauf s'ils arriveront à jouer un rôle utile pour eux, comme une organisation d'aides de travaux agricoles en cas d'urgence502, que Monsieur S a expliqué.

Sinon, pour la CAT elle-même, la reconnaissance interne de l'importance de son investissement dans le Projet Nô-Life est encore faible. Voici les explications de Monsieur S :

« Si je n'allais pas voir ce qui se passe là-dedans (dans le Projet Nô-Life), il n'y aurait personne qui s'y intéresserait. Il n'y a pas de membre qui s'intéresse à ce qui se passe à l'intérieur du Projet. [Enquêteur : Il s'agit de la reconnaissance de l'importance du Projet Nô-Life dans l'ensemble de la Coopérative...] Il n'y a pas trop de reconnaissance à ce niveau-là. Donc, s'il y aura de nouveaux agriculteurs parmi les stagiaires, on leur dira à peine `vous avez bien réussi'. Mais le processus du Projet lui-même ne les intéresse guère. »

Le fait que « le processus du projet lui-même n'intéresse guère » les agriculteurs, comme Monsieur S l'a évoqué, montre bien la façon des agents du monde agricole de percevoir ce qui se passe dans le Projet Nô-Life. C'est le point de vue sectoriel de la part de la CAT qui n'apprécie pas la valeur du Projet tant qu'il n'y a pas de résultat visible pour le secteur agricole. Mais, si, au sein de la CAT, il n'y a peu de reconnaissance pour son investissement dans le Projet Nô-Life, qu'est-ce que ce projet pourrait représenter pour elle ?

« On n'ignore pas le Projet, on le connaît quand même. Mais les effets concrets du Projet vis-à-vis de la Coopérative n'existent pas pour l'instant. (...) On se dit plutôt 'pourquoi on y envoie nos trois employés ?' Alors, je leur dis, 'nous coopérons avec la Ville.' Mais s'il n'y a pas de retour pour nous par rapport au temps que nous y consacrons, on devra dire 'on a été obligé de leur envoyer nos employés [par la Municipalité] !' »

En plus, le domaine de l'Orientation agricole dans la coopérative agricole est considéré comme un domaine « non productif » à la différence des autres domaines d'activités (achat, vente, utilisation etc). De ce fait, la CAT n'accorde, déjà, pas beaucoup d'importance à ce domaine. Et d'après l'explication suivante, le « mérite » de la Municipalité de Toyota pour le Projet Nô-Life a l'air de déranger l'intérêt de la CAT.

« Dans le domaine de l'orientation agricole, chez nous, on ne veut pas trop mettre les gens là-dedans. Nous sommes quand même une entreprise, même si nous nous appelons coopérative, nous devons gérer nos affaires. De ce point de vue là, l'orientation ou la formation des agriculteurs ne sont pas trop rentables. Du coup, on ne s'y investit pas trop. Et pour la création du Centre de Nô-Life, d'abord on a envoyé nos deux employés. Et le travail de ces deux employés devra être reconnu par le haut de la Coopérative. Maintenant, tout le mérite appartient au maire, alors... »

Pour la CAT, il faut quelques retours concrets et matériels par rapport à son investissement dans le Projet Nô-Life. Et cela est d'autant plus vrai que la Municipalité de Toyota semble attachée à son « mérite » qui implique un profit symbolique, comme celui donné au maire503.

502 Un stagiaire du Projet Nô-Life envisage d'organiser avec d'autres stagiaires pour aider les agriculteurs. Cette tentative vise à apporter à la fois à la Municipalité, à la Coopérative, aux agriculteurs et aux stagiaires, des possibilités de mise en valeur de la formation du Projet Nô-Life. Nous l'aborderons dans le Chapitre 3.

503 Cependant, ce profit n'exclut pas les aspects matériels et concrets, comme une série de chiffres économiques donnés que nous avons vu dans leur formulation du Projet dans le cadre de la politique de la Zone spéciale.

Ecart de points de vue entre la CAT et la Municipalité de Toyota Organisation ou individus ?

Enfin, Monsieur S affirme son souci comme ci-dessous sur l'intention de la Municipalité de Toyota d'accorder de l'importance plus à la satisfaction individuelle de chaque stagiaire qu'à leur organisation collective. Du coup, le Centre Nô-Life paraît à la CAT accueillir trop de stagiaires.

« Comme c'est une organisation, il faut saisir les personnes. L'essentiel est de connaître chacun des stagiaires et savoir comment les organiser. (...) Il faut donner la réponse à chacun pour son débouché. C'est pour cela, qu'il est impossible de s'occuper de beaucoup de gens. Chaque année, il y a de nombreux stagiaires qui finissent leur formation504. Ca sera alors impossible. (...)Sinon, le résultat sera mitigé. Au pire, il n'y aura plus de mérite, et la Municipalité voudra nous déléguer le Projet. Alors, on lui dira que l'on ne saura pas le faire... »

Ikigai pour le bien-être public ou pour le développement du secteur agricole ? : Question sur la finalité du Projet : une ambiguïté qui dérange la CAT

Pour Monsieur S, la question cruciale est donc la finalité du Projet Nô-Life. La position ambigüe de la Municipalité de Toyota dérange la CAT qui vise après tout le « développement agricole » comme expliqué ci-dessous :

« Donc, il s'agit de la question de la finalité. Si on continue le Projet comme maintenant de manière à satisfaire tout le monde, ça ne changera pas. Pourtant, l'administration a également l'intention de former les agriculteurs et faire le développement agricole. Mais le Projet tel qu'il est maintenant n'est pas destiné au développement agricole. Si on tombe au niveau du simple loisir, des jardins familiaux, ça n'ira pas... Du point de vue du développement agricole, il faut former les agriculteurs. Et si on accueille trop de personnes, je pense que la finalité risque d'être floue. A fortiori, nous sommes la coopérative, et si on travaille ensemble, nous, on veut former les agriculteurs ! »

En plus, pour Monsieur S, cet écart de position entre la CAT et la Municipalité de Toyota se posait déjà comme problème depuis le lancement de l'Ecole de l'agriculture vivante...

« Quant à l'Ecole de l'agriculture vivante, nous voulions que l'on vise uniquement les personnes des foyers agricoles. Mais la Municipalité nous a dit 'Ne dites-pas comme ça, c'est mieux de faire avec le public'. Pourtant, ce n'est pas la peine d'avoir quarante personnes, mais seulement dix suffiront. Et on fera la formation face-à-face avec chacun. Mais on ne peut pas s'occuper de vingt personnes en même temps. (...) C'est finalement pour continuer la formation à long terme, que je pense comme ça (...) Il faut continuer le Projet, mais la finalité doit être claire. »

Mode d'actions

D'abord, le mode d'actions de la CAT est, comme les deux agents précédents analysés plus haut, marqué par son côté « bricoleur », c'est-à-dire son mode d'actions flexible et spontané qui mobilise les éléments humains, matériels et même symboliques dans sa dimension territoriale. Comme nous l'avons constaté dans les expériences de Monsieur S, pour le « Marché du mardi soir » au sein de la Coopérative de Matsudaira, ainsi que dans sa proposition de « Second Life Academy » qui a anticipé et inspiré le fondement des idées non seulement du Plan de 96 (dirigé par le BPA), mais également celui du rapport de propositions remis au maire en 2001 par le CPCI. Et ce mode d'action que l'on peut qualifier de celui de bricoleur est basé sur son ancrage territorial et

504 Jusqu'à l'année 2006-2007, il y a environ 150 anciens et nouveaux stagiaires, au total.

social qui est lié à l'organisation de la CAT. En plus, comme nous l'avons constaté dans le cas de Monsieur S, cet ancrage territorial est également lié au niveau de sa propre trajectoire505.

Toutfois, cette caractéristique de l'agent en tant que bricoleur de la CAT ne doit pas, comme c'était le cas chez les agents publics que l'on a analysés précédemment, être considérée comme étant séparée de la logique institutionnelle de la coopérative agricole. Au contraire, les actions de la CAT obéissent plutôt au principe du secteur agricole intégré dans l'économie marchande. Cette logique se distingue de celle du secteur des services publics qui suit, en principe, la logique de la politique de redistribution.

L'explication suivante de Monsieur S « le domaine de la vente constitue le visage de la Coopérative. (...) C'est de là que l'argent vient pour les membres », met bien en évidence le principe marchand des activités de la coopérative agricole. De ce fait, le domaine de l'orientation agricole où est placé la coopération de la CAT dans le Projet Nô-Life, est considéré comme un domaine « non productif » et secondaire par rapport au domaine de la vente. D'où une réticence pour s'engager et s'investir davantage dans le Projet Nô-Life.

En raison de ce caractère marchand, la CAT s'intéresse moins au « mérite » dans le sens symbolique que la Municipalité cherche souvent à obtenir, mais plus au profit concret et matériel reconnaissable du point de vue économique. D'ailleurs, pour elle, c'est ce côté concret et matériel qui « mérite » d'être reconnu. De ce fait, la CAT a tendance à chercher en priorité à obtenir son propre profit concret et matériel506. D'où un décalage par rapport à l'intérêt « altruiste » de la Municipalité de Toyota qui travaille d'abord « au service de tous » et qui doit chercher la reconnaissance pour le fait qu'elle travaille effectivement pour cette finalité. Et ce principe, en fait, n'exclut ou ne doit pas exclure pour autant le fait de travailler « avec » et même « pour » le profit des autres agents privés507 à la différence de la coopérative agricole qui a tendance à poursuivre uniquement son propre profit. Cependant, il ne faut pas non plus qu'elle serve exclusivement le seul profit de la coopérative agricole, ce qui risque d'aller à l'encontre de l'intérêt public. Ceci constitue un dilemme pour la Municipalité de Toyota dans la conduite du Projet Nô-Life, tant que la CAT reste dans son propre principe sectoriel, même dans le cadre de sa coopération avec la Municipalité de Toyota. Et la CAT, de son côté, en poursuivant toujours exclusivement sa propre logique d'actions, a moins de dilemme de ce type, auquel l'autre est confrontée. D'où une relation d'intérêts décalés...

Monsieur K, président du Centre Nô-Life, nous a bien suggéré, de manière quelque peu ironique, ce caractère exclusiviste de la CAT en expliquant à l'enquêteur le caractère général du comportement de la coopérative agricole comme ci-dessous :

« Quand on fait un appel quelconque à la Coopérative, s'ils disent 'non' à notre demande, l'histoire est finie pour nous. D'ailleurs, c'est plus facile de dire 'non' que dire 'oui' pour eux, n'est-ce pas ? »

Cette exclusivité qui fait une des caractéristiques du mode d'actions de la coopérative agricole, constitue une cause du manque d'intersectorialité dans ses actes de coopération avec la Municipalité de Toyota. Monsieur A, président du « Toyota Young Old Support Center », nous a expliqué cet aspect en relevant comme ci-dessous l'insuffisance de la prise de consciense de la part de la coopérative agricole pour la thématique de l'aménagement de la ville.

« Si la Coopérative avait un point de vue de l'aménagement de la ville dans ses actions... (...) Maintenant, ce n'est que le côté des producteurs et du développement agricole. Mais si on partage ce point de vue de l'aménagement de la ville, on pourrait développer plus de choses... »

505 Sans doute c'est le cas chez beaucoup d'employés dans les unités locales des Coopératives agricoles au Japon. En effet, des fils d'agriculeteurs sont souvent employé dans la Coopérative de la même localité. Ce qui sembe être une des caractéristiques des branches locales des Coopératives agricoles.

506 Le profit pour la CAT est d'ailleurs censé, au nom du principe de la coopérative, représenter le profit de tous ses membres.

507 Le Projet Nô-Life s'inscrit dans la logique du « Partenariat » entres les acteurs pubics et privés.

Prise de position vis-à-vis du Projet Nô-Life

Le caractère exclusiviste et sectoriel des actions de la CAT rend partielle et même réticente sa coopération avec la Municipalité pour le Projet Nô-Life. Cette position de la CAT implique et conserve inévitablement la divergence d'intérêts entre les secteurs privé et public entre la Municipalité, l'écart de points de vue et enfin l'ambiguïté de la vision centrale du Projet Nô-Life.

Ce désaccord implicite derrière la relation officielle de coopération entre la CAT et la Municipalité, constitue une source d'incertitude et de fragilisation du Projet Nô-Life avec une série de problèmes concrets auxquels le Centre Nô-Life est confronté508. Ce qui risque de déranger non seulement les agents gestionnaires du Projet Nô-Life, mais encore plus les stagiaires du Projet Nô-Life. Nous aborderons ce problème touchant les stagiaires dans le chapitre suivant.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera