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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon

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par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège - DEA Interuniversitaire en Développement, Environnement et Sociétés 2006
  

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2 Redéfinition des règles du jeu

Revenons au cadre de transaction proposé par Mormont. Deuxièmement, pour faire face aux incertitutdes complexes aux niveaux contextuel et social, la gestion de l'environnement doit effectuer dans son application une mise en relation de différents domaines socio-économiques. Il s'agit de la nécessité d'une « articulation concrète de données physiques et socio-économiques »639. En se référant à la sociologie de l'innovation (Latour, Callon), cette démarche de l'articulation concrète « `invente' une mise en relation nouvelle, et modifie l'un ou l'autre domaine afin de les rendre compatibles640 ».

Cette démarche est techniquement « un arragnement local entre des données biophysiques et sociales (contraintes juridiques, rapports économiques, demandes sociales), de manière à former un dispositif qui les harmonise provisoirement au moins, mais avec assez de stabilité pour que la technique puisse fonctionner et répondre à des `besoins`641 ».

Puis, les effets causés par l'ensemble de ces processus sont en question. En effet, ils sont imprévus et non maîtrisés, et surtout difficiles à analyser en terme des causalités car « elles sont à la fois écologiques, techniques, économiques, culturelles et juridiques642 ». Ce qui spécifie le problème de l'environnement, et « à tel point qu'il devient nécessaire, d'intégrer dans l'analyse sociologique l'ensemble de ces processus643 ».

Enfin, Mormont relève, comme problème dans la redéfinition des règles du jeu pour la gestion de l'environnement, le « conflit de légitimité »644. Il s'agit non seulemnt des demandes de différents types d'acteurs, mais de « questions de fait ou d'évaluation de la réalité et de l'avenir645 ».

Essayons de transposer dans notre contexte de la gestion du vieillissement, les enjeux relevés par Mormont sur la redéfinition des régles du jeu en matière de gestion de l'environnement. D'abord, nous savons que la gestion du veillissement nécessite également une mise en relation de différents domaines socio-économiques, comme dans la gestion de l'environnement.

Nous avons ensuite vu dans la partie de l'acteur 2, l'évolution du rapport entre acteurs du vieillissement : du rapport auparavant limité par celui de l'Etat (établissements publics gérés par l'Etat centralisé) et la famille, aux rapports multipliés de manière décentralisée concernant plusieurs domaines diversifiés : économique, santé physique (dépendance et maladie), santé mentale, diverses activités de personnes âgées. Et à plusieurs échelles institutionnelles : Etat, entreprises, syndicats, collectivités territoriales, hôpitaux, établissements publics et privés pour les aides aux personnes âgées dépendantes, diverses organisations pour les activités des personnes

fortement hybridé la population agricole avec la population et le système urbains. Berque explique ainsi la configuration

urbaine-rurale en comparaison avec celle française, ainsi en 1973 « (...) une imbrication des franges urbaines et de la campagne,

dont la banlieue parisienne ne donne pas idée ; là, antinomie entre la grande culture et le résidentiel, opposition accusée par le

relief ; ici, que ce soit autour d'Osaka, de Nagoya ou de Tôkyô, rien d'abord qui rappelle les espaces découverts des plateaux de grande culture de la région parisienne ; puis, la rizière comme l'habitat ont la même prédilection pour les mêmes espaces plans ;

enfin, l'habitat ne diffère pas sensiblement de la ville à sa couronne et à la grande banlieue, à ceci près qu'il se desserre

relativement : c'est mutatis mutandis comme si l'on trouvait le même habitat pavillonnaire du plateau de Saclay à la plaine d'Issy-les-Moulineaux et à Montparnasse. » (Berque, 1973 : 324)

- Toutefois, nous pouvons également évoquer l'impact que peut avoir le vieillisement de la population générale dans la campagne française par rapport à la mobilité des personnes âgées. « Les mobilités de retraites vers les espaces ruraux ont un peu contribué à

leur regain démographique au cours des dernières décennies (...). L'accroissement de cette population dans les vingt prochaines années est une donnée (en 2020, un Français sur trois aura plus de 60 ans) ». Mais ce facteur implique beaucoup d'incertitudes

sur les comportements et modes de vie futurs des personnes âgées. « Mais il y a beaucoup d'incertitutdes sur les facteurs ou

variables explicatifs des comportements et modes de vie futurs des personnes âgées : les ressources et contraintes budgétaires des retraités, la répartition territoriale de l'offre d'équipements et de services d'accompagnement en matière de soins et de santé, les

types d'activités que les seniors pratiqueront dans l'avenir sont par exemple objet d'incertitudes, et pour certains aspects de controverses. »(Perrier-Cornet, 2000, 39-40) N'est-il pas aisé d'y ajouter comme facteur explicatif, soit le contexte du

« vieillissement actif », soit, pourquoi pas, celui d'Ikigai à la française ?

639 Ibid. : 213.

640 Ibid.

641 Ibid.

642 Ibid. : 214

643 Ibid. : 214

644 Ibid.

645 Ibid.

âgées (Centre des ressources humaines âgées, Clubs des Personnes âgées, éducation permanente) et enfin familles etc.

S'agissant du contexte du Projet Nô-Life, nous pouvons dire que le rapport établi entre les acteurs concernés, est une des variables locales de la forme multiple et complexe des rapports entre acteurs du vieillissement mentionnée ci-dessus. Dans le cas du Projet Nô-Life, nous avons donc : collectivités territoriales (administration agricole : BPA, BDPA, services pour les activités des personnes âgées : SCI) ; organismes du secteur agricole (coopérative agricole : CAT, vulgarisatition agricole : ECV) ; syndicat ouvrier : CLFS ; agriculteurs professionnels : GASATA, et individus variés : stagiaires de la formation Nô-Life.

Transcodage : un outil pertinent pour le processus bricolage - transaction

Dans ce contexte, nous pourrions parler d'une « technique » de mise en relation des acteurs de politique publique, opérée dans le processus de la construction du Projet Nô-Life : celle du « transcodage ».

Cette notion est proposée par P. Lascoumes pour comprendre les choses qui se traduisent au sein d'acteurs en réseaux d'action publique646. Pour élaborer cette notion, Lascoumes a adapté la notion de « traduction » de la sociologie des sciences (B. Latour, M. Callon), qui implique l'idée de donner aux autres une interprétation de leurs idées et intérêts par le langage de ce qui interpréte (traducteur), dans le but de mieux réaliser la stratégie du traducteur647.

Nous allons repérer ici les caractéristiques de la notion du transcodage sur les quatre points suivants : 1 Equilibrage ; 2 Situation de pouvoir ; 3 Inégalité de pouvoirs ; 4 Concurrence et luttes.

1 Equilibrage. Premièrement, le transcodage, à la différence de la traduction qui essaie d'intégrer à la stratégie du traducteur, les stratégies des autres acteurs de types différents, essaie d'équilibrer les différentes traductions en présence dans l'élaboration des politiques publiques648.

Dans ce sens, l'approche du transcodage nous semble plus relativiste que la traduction, et plus éclairant pour comprendre une relation de compromis qui met en relation des acteurs en conservant leurs intérêts divergeants.

Ensuite, Lascoumes met l'accent sur le "recyclage" d'idées et de pratiques déjà établies au sein des acteurs concernés649.

A partir de là, nous pouvons considérer que le transcodage est une technique spécifique d'arrangement ou de coordination qui permet au « transcodeur » de respecter le processus de bricolages effectués en interaction avec différents types d'acteurs.

Cela pourrait entrer dans le paradigme de transaction que nous allons évoquer plus bas, à savoir un cadre pour le développement d'une politique publique, dans lequel l'anticipation et l'engagement des acteurs sont primordiaux. Car le transcodage permet aux acteurs de conserver leur propre manière d'agir et de communiquer sous forme de réseaux dans le cadre d'une action publique.

2 Situation de pouvoir. Selon Lascoumes, l'opération de transcodage ne fait pas qu'équilibrer les positions des
uns et des autres, mais elle implique aussi un rapport de pouvoir : « être en situation de pouvoir ». Donc, cela

646 LASCOUMES, P.(1996),"Rendre gouvernable : de la "traduction" au "transcodage" L'analyse des processus de changement dans les réseaux d'action publique", p.325-338 in La Gouvernabilité, PUF.

647 « J'appellerai traduction l'interprétation donnée, par ceux qui construisent les faits, de leurs intérêts et de ceux des gens qu'ils recrutent » LATOUR, Br. (1989), Science en action : p.172.

648 « La signification que nous donnons à la notion de `transcodage' s'inspire de celle de 'traduction' utilisée par Michel Callon, dans la mesure où ce processus concerne une activité de production de sens par mise en relation d'acteurs autonomes et transaction entre des perspectives hétérogènes. La traduction est ainsi une activité spécifique aux réseaux socio-techniques et technico-économiques étudiés par la sociologie des sciences ; mais des activités de même type s'observent dans les réseaux d'action publique, 'polity' ou 'community network'. » (Lascoumes, 1998 : 336) ; « Les oprérations de transcodage sont celles de l'agrégation de positions diffuses, le recyclage de pratiques établies, la diffusion élargie des constructions effectuées, le tracé d'un cadre d'évaluation des actions entreprises » (Ibid.)

649 « Tous les discours portants sur la 'nouveauté' des problèmes et des politiques sont d'abord là pour occulter l'essntiel, à savoir qu'il s'agit en grande partie d'entreprises de recyclage. C'est-à-dire de conversion-adaptation du 'déjà-là' de l'action publique, de ses données préexistantes, de ses catégories d'analyse, de ses découpages institutionnels, de ses pratiques routinisées » (Ibid. : 335)

implique le fait de s'imposer aux autres, et de les rendre dépendants650.

3 Inégalité de pouvoirs. Le transcodage suppose ensuite l'inégalité des capacités d'agir des acteurs concernés dans leur situation objective qui précontraignent leurs espaces d'interactions651.

4 Concurrence et luttes. En tenant compte de cette inégalité de pouvoirs des acteurs prélimités, le transcodage ne peut pas s'effectuer dans une condition égale pour tous les acteurs. Du coup, le jeu des acteurs concernés doit se dérouler dans un « univers conccurentiel » dans lequel « tous les acteurs et actants ne disposent pas des mêmes pouvoirs performatifs652 ».

Dans un tel contexte, selon Lascoumes, le transcodage devient une sorte de « lutte » pour maîtriser les réseaux eux-mêmes d'action publique653.

Enfin, étant une manière d'arrangement local dans une action publique, le transcodage implique l'équilibre et la tension de pouvoirs d'agir entre différents types d'acteurs impliqués.

Il nous permet d'envisager de mettre en relation différents types d'acteurs concernés dans une relation d'équilibre qui leur permettra d'anticiper et d'engager dans le processus de construction d'une politique publique.

Puis, il nous permet également d'envisager un rapport de forces inégal donné, de façon à ne pas l'interpréter ou le réduire à celui dominant-dominé, mais de l'accepter comme une structure possible à restructurer via des actions constructives.

Transcodage dans le processus du Projet Nô-Life

Le transcodage a joué un rôle important au cours du processus de coopération entre les agents du secteur agricole et ceux du secteur des services publics qui ont abouti à créer le Projet Nô-Life autour de l'idée de promouvoir l'agriculture de type Ikigai en s'appuyant sur la population locale âgée mais potentiellement active (baby-boomers), et ainsi de mettre en valeur les terrains agricoles menacés de délabrement.

Le transcodage s'est opéré entre les deux thématiques suivantes relevant chacune d'un domaine politique : la politique agricole de la conservation (ou développement) agricole ; la politique sociale du vieillissement du la promotion (ou développement) d'Ikigai des personnes âgées contribuant à la prévention de la dépendance.

Ces deux politiques se sont retrouvées autour d'un référentiel commun pour construire le Projet Nô-Life : Ikigai. Mais comment ?

Le BPA (Bureau de La politique agricole) de la Municipalité de Toyota plutôt ancrée dans le secteur agricole, essayait de trouver des moyens de résoudre le problème du développement agricole (crise) via une approche du « bien commun » sous l'implusion de l'idée de la multifonctionalité de l'agriculture et de la ruralité depuis l'établissement de son premier plan agricole décennal nommé « Toyota agri-bility plan 2005 » en 1996. Depuis lors, elle a tenté de trouver non uniquement dans le secteur agricole, mais davantage dans le public général, de nouveaux appuis (partenaire) et une nouvelle destination (client) de sa politique agricole.

Nous l'avons vu dans la partie de l'acteur 1 (BPA : Bureau de la politique agricole), ce plan s'inscrivait explicitement dans le contexte de la restructuration de la politique agricole nationale suite au contexte de la libéralisation du marché extérieur et intérieur (mondialisation économique) marqué par les accords du GATT

650 « Transcoder, c'est rendre gouvernable. (...) Etre en situation de pouvoir dans un réseau d'action publique, c'est avoir une forte capacité d'intégration de l'hétérogène, de recyclage des pratiques discursives et matérielles routinisées, de développement d'alliances stabilisantes et de production de principes de jugement des actions entreprises. Etre en situation de dépendance, c'est au contraire se voir imposer des qualifications, des mises en relations, des reconversions, c'est subir des alliances forcées et des principes de jugement » (Ibid.: 338)

651 « rappeler que les capacités performatives des actants (humains et objets) varient selon un ensemble de déterminants économiques et sociaux qui structurent les espaces dans lesquels s'accomplissent les interactions ». (Ibid. :328)

652 Ibid. : 338.

653 « Face aux changements sociaux, le transcodage est en quelque sorte la lutte pour la maîtrise des réseaux d'action publique, de leurs frontières, de leur acteurs, de leurs intermédiaires, de leurs productions et des significations communes données aux interactions qui en assurent la cohésion » (Ibid.)

relatifs à l'agriculture en 1994.

Puis, le BPA a progressivement dirigé sa politique agricole vers le public dans ce contexte en établissant le lien entre celui-ci et l'agriculture dans l'optique de la multifonctionalité. Mais dans un premier temps, son approche penchait plutôt vers le loisir, le repos et la santé (Parc rural qui a échoué, Jardins familiaux et citoyens).

Puis, la CAT (Coopérative agricole de Toyota), agent principal du secteur agricole privé et partenaire traditionnel du BPA, a rejoint, quoique partiellement, l'approche basée sur l'« intérêt général » du BPA en lançant en 2000 l'Ecole de l'agriculture vivante destinée au public. Mais en réalité, cette école était plutôt destinée aux personnes âgées des foyers agricoles pluriactifs. Et l'idée de promouvoir une production agricole à petite échelle avec les femmes (épouses et grand-mères) et les hommes âgés des foyers agricoles pluriactifs, était déjà présente tant dans les pratiques de ce type de population agricole que dans la politique agricole de la modernisation depuis les années 60 (nous l'avons vu en partie dans le chapitre 1, et le constaterons également plus bas dans la généalogie de l'agriculture de type Ikigai).

Et parallèlement à cela, le BPA a coopéré avec le SCI (Service pour la Création d'Ikigai) de la Municipalité, relevant du domaine de l'éducation permanente mais à l'origine du domaine du bien-être - vieillissement, pour lancer en 2002 la Ferme-école des personnes âgées destinée au public dont essentiellement la population non agricole âgée.

Le cadre de coopération s'est ainsi établi entre les agents du secteur agricole et les services publics en matière de vieillissement, en se basant sur leurs activités préétablies, savoirs et intérêts réciproques. Ceci par l'intermédiaire de l'intervention du BPA et du référentiel commun d'Ikigai des personnes âgées.

Le Projet Nô-Life fut ainsi construit par la coordination du BPA tout en effectuant un transcodage par ce référentiel commun d'Ikigai, entre une série d'acteurs relevant de secteurs différents, dont notamment le secteur agricole (CAT : co-gestionnaire ; BDPA : administration agricole ; ECV : vulgarisation agricole ; GASATA : groupement d'arboriculteurs professionnels), le secteur des services publics en matière de vieillissement (SCI) et le secteur industriel et « salarial » (CFLS : syndicat ouvrier). En plus, nous avons vu qu'une déréglementation de la Loi agraire relative à la surface minimum d'installation fut effectuée en profitant du cadre national des « Zones spéciales pour la réforme structurelle ».

Nous pouvons éclairer cette opération de transcodage, en schématisant ci-dessus la structure de l'échange effectué entre ces acteurs dans lequel le cyclique fin - moyen constitue un procédé crucial654.

654 Rappelons - nous ici la définition du bricolage de Lévi-Strauss : le bricolage défini par l'univers instrumental (structure des moyens) en reconstruction incessante par le cyclique de sens donnés aux objets mobilisés, entre la fin et le moyen. Et son résultat est toujours « un compromis entre la structure de l'ensemble instrumental et celle du projet. » (cité plus haut)

Schéma : structure de l'échange fin - moyen

Secteur services publiques
vieillissement

Secteur agricole

Fin

Fin

et développement agricoles

Conservation

Promotion d'Ikigai
des personnes âgées

Moyen

BPA

Agriculture
de type Ikigai

Moyen

Dispofitifs
socio-économiques

Dispositifs
socio-économiques

Pour le secteur agricole, Ikigai des personnes âgées (de la population générale) est interprété comme moyen susceptible de servir à la conservation et au développement agricoles. Et inversement pour le secteur des services publics du vieillissement : conservation et développement agricoles comme moyen de servir à la promotion d'Ikigai des personnes âgées.

Puis, pour le secteur agricole, les personnes âgées actives dont la majorité salariale et les dispositifs socio-économiques des services publics ayant un certain niveau de capacité de financer le Projet et de mobiliser cette population, sont également interprétés comme utiles pour la réalisation de la conservation et du développement agricoles. Et inversement pour le secteur des services publics du vieillissement : la population agricole et les dispositifs socio-économiques, comme utiles pour la réalisation de la promotion d'Ikigai des personnes âgées.

Autrement dit, dans ce transcodage, elles se sont réciproquement « instrumentalisées » en opérérant un transcodage entre leurs fins respectives (conservation et développement agricole - promotion d'Ikigai des personnes âgées).

D'un côté, depuis les années 70, la politique agricole donnait, à la notion d'Ikigai le statut de « moyen » de réaliser sa fin qui est la conservation et le développement agricoles, dans un sens incitatif vis-à-vis des producteurs cibles et marginalisés (femmes au foyer et hommes âgés des foyers agricoles pluriactifs) dans un contexte de crise permanente depuis les années 60-70.

De l'autre côté, pour la politique sociale du vieillissement, l'agriculture a été retrouvée comme un bon moyen de réaliser sa fin de la promotion d'Ikigai liée à la prévention de la dépendance (qui est un élément émergeant dans la structure de son projet en pleine « restructuration »). Mais dans ce contexte, l'agriculture était interprétée, au moins au début du processus, plutôt dans le prolongement du loisir et du moyen de prévenir la santé.

Cependant, il nous reste à poser une autre question : cet échange effectué par un transcodage, est-il équilibré en terme de pouvoirs ? Comme nous l'avons vu plus haut, P. Lascoumes relevait que transcoder implique d'« être en situation de pouvoir ». Ce transcodage alimentant un compromis entre les agents gestionnaires en coopération (BPA et CAT : coopérative agricole de Toyota), il nous semble nécessairement impliquer un rapport de pouvoirs inégal tant au niveau matériel et technique qu'au niveau symbolique. Nous aborderons cette question dans la réponse à la quatrième question de ce chapitre sur la relation établie entre acteurs.

3 Modèles de transaction - cadres institutionnalisés d'anticipation et d'engagement

Reprenons de nouveau le cadre proposé par Mormont. Troisièmement, les cadres d'anticipation et d'engagement des acteurs et leur institutionalisation sont supposés comme être constitutifs des modèles de transaction.

Concernant la notion d'anticipation, Mormont insiste sur le fait qu'elle est « cruciale pour saisir la complexité des problèmes d'environnement », pour que ceux-ci puissent apparaître « comme une situation dans laquelle différents scénarios d'anticipation sont possibles, se référant chacun à la fois à des prévisions ou des extrapolations scientifiques et à des revendications en termes de valeurs ou d'identité655 ».

En se basant sur sa réflexion sur les comportements anticipatifs des agriculteurs vis-à-vis de mesures préventives pour l'environnement, ils conclut que « les rationalités immédiates de l'agriculteur n'obéissent pas nécessairement aux représentations que les théories expertes s'en font et ceci constitue un problème essentiel pour la mise en oeuvre de politiques préventives656 ». Puis, le comportement anticipatif est également imposé du côté des acteurs politiques comme les experts : ils sont en fait « obligés de mobiliser des modèles par lesquels ils anticipent à la fois sur des processus naturels et sur des comportements sociaux, ainsi que sur leur relation657 ». Ce qui fait que « les experts mobilisent nécessairement une sociologie spontanée à propos des acteurs, qu'ils soient auteurs ou victimes du risque, sociologie qui leur permet de formuler leurs propres anticipations658 »).

Suite à cette réflexion portant sur les comportements des agents institutionnels (experts) et individuels (agriculteurs), il postule l'hypothèse que l'efficacité de la mise en oeuvre de ces politiques environnementales dépend de la correspondance entre les modèles d'anticipation des agents de ces deux niveaux (« l'efficacité des mesures de prévention est fortement soumise à une contrainte de correspondance entre les modèles d'anticipation des experts (auteurs de normes et des conseils) et les modèles d'anticipation des agents eux-mêmes659 »).

De ce fait, l' « appréhension des problèmes de pollution par les agriculteurs ne se fait pas [toujours] de manière technique, et l'ouverture même d'un espace de discussion avec eux (agriculteurs) sur la question suppose que soient mis en place des cadres plus larges d'anticipation qui concernent l'avenir de la profession ou au moins le devenir de tels ou tels systèmes de production, qui concernent aussi le statut des objets naturels, comme l'eau ou la faune sauvage660 ».

Il s'agit donc d'ouvrir un « espace de discussion » qui permet aux agents concernés de mettre en place les conditions plus larges de leur anticipation.

Mormont conclut que cette mise en place d'un « espace de discussion » est finalement « de la capacité de la politique agricole à proposer des cadres d'expérimentation cohérents et crédibles pour une redéfinition du métier agricole que peuvent émerger ces cadres d'anticipation qui assurent des perspectives à long terme à des catégories d'agriculteurs661 ».

Pour aborder la notion d'engagement, Mormont s'interroge d'abord sur la « manière dont le long terme peut se stabiliser dans un jeu d'anticipation662 ».

Il s'agit de penser les modèles d'anticipation des acteurs non seulement à partir de leur intérêt sur le court terme, mais également à partir de celui sur le long terme qui peut même relever de leur identité.

Et pour que ces intérêts puissent se mettre en place (se stabiliser) dans la politique environnementale, quels dispositifs institutionnels faut-t-il appeller ?

Pour répondre à cette question, Mormont nous rappelle d'abord qu'il existe un « immense appareil de règles » qui forme, en fait, un ensemble d'agents dominants dans le monde agricole (politique agricole, encadrement agricole, vulgarisateurs, organisations professionnelles etc), et porte « une définition légitime de

655 Ibid. : 225.

656 Ibid. : 227.

657 Ibid.

658 Ibid. : 228.

659 Ibid.

660 Ibid.

661 Ibid.

662 Ibid. : 229.

l'agriculteur et de son métier663 ». Il considère ensuite cet ensemble « non seulement comme appareil de domination, mais comme un cadre stabilisateur permettant des anticipations », et que cet ensemble a « un rôle dans la diminution des incertitudes », en plus qu'il est « soumis, au moins en partie, à des épreuves de vérification de leur validité pour les agents664 ».

Suite à cette considération, Mormont propose que « la possibilité de développer des mesures préventives pour réguler les pollutions agricoles suppose de déveloper d'autres dispositifs institutionnels dans lesquels puissent être élaborés et testés d'autres modèles d'anticipation, ces dispositifs ayant à inclure aussi bien des éléments identitaires que des éléments techniques et des connaissances quant à la nature665 ».

C'est dans le cadre de la construction de ces dispositifs institutionnels alternatifs que Mormont situe la notion d'engagements qui « peut être mobilisée pour comprendre comment les individus peuvent entrer dans des processus de transformation qui concernent, dans des contextes d'incertitudes, aussi bien les outils techniques qu'ils utilisent que les représentations qu'ils se font de la réalité, des objets naturels comme des réalités sociales666. »

Schéma : modèle de transaction de Mormont

Construction
Dispositifs
institutionnels

alternatifs

Appareil de règles
(agents agricoles dominants)

Définition légitime du métier (agriculteur)

Individus (agriculteurs)

Anticipation Engagement

Anticipation Engagement

Politique
environnement

Enfin, Mormont considère qu'il faut reconstruire ces dispositifs institutionnels alternatifs pour que les agriculteurs ayant perdu confiance à l'égard de la politique agricole dominante en raison de la situation de crise, puissent à nouveau s'y engager « en accordant suffisamment de crédibilité à de nouveaux experts et assez de confiance à leur devenir professionnel667 ». Et « ces dispositifs institutionnels doivent être vus comme des dispositifs d'échange, consititués de transactions c'est-à-dire de combinaison de règles, dans lesquelles sont reconnus à la fois des intérêts sectoriels et dans des intérêts généraux, des identités professionnelles et des légitimités sociétales668 ».

Cet appel à la reconstruction de nouveaux dispositifs de la politique agricole tient compte du fait que la politique agricole (de l'Europe occidentale) reposait bien sur un type de dispositif depuis les années 50 basé sur un compromis entre le productivisme agricole orienté vers le marché et l'indépendance des exploitations

663 Ibid. : 230.

664 Ibid.

665 Ibid.

666 Ibid.

667 Ibid : 231.

668 Ibid. : 231-232. Sur ce point, Mormont se réfère à Jobert et Muller. Ouvrage cité : JOBERT, B., MULLER, P. (1990), L'Etat en action, Paris, PUF.

familiales, ce qui fonctionnait également comme un cadre transactionnel669 entre les agriculteurs et l'appareil de régles du monde agricole.

Dans le contexte d'incertitudes, le paradigme de la transaction devient ainsi « éclairant pour essayer d'identifier les modes d'élaboration possibles de nouveaux dispositifs institutionnels susceptibles d'intégrer progressivement la protection de l'environnement670 ».

Enfin, nos analyses du processus de la construction du Projet Nô-Life portent également sur à la fois des agents politiques et individuels, à savoir :

- agents institutionnels du secteur agricole (administration agricole, coopérative agricole, vulgarisation agricole) - agents institutionnels de la politique sociale du vieillissement

- agents individuels ou collectifs du secteurs agricole (groupement de producteurs, producteurs professionnels) - divers individus usagers (stagiaires ayant diverses trajectoires)

Et c'est une politique relevant à la fois de la crise agricole et d'une nouvelle politique du vieillissement, nous pouvons également supposer comme le schéma ci-dessous une construction de nouveaux dispositifs alternatifs de la politique agricole dans le paradigme de transaction selon le schéma de modèles de transaction que nous avons établi ci-dessus :

Schéma : modèle hypothétique de transaction pour le Projet Nô-Life

Appareil de règles
(agents agricoles dominants)

Définition légitime du métier (agriculteur)

Individus
(agriculteurs)

Individus (stagiaires)

Anticipation Engagement

Projet Nô-Life

Anticipation Engagement

Anticipation Engagement

Agents institutionnels
non agricoles

Public

Construction Dispositifs institutionnels alternatifs ?

4 Transaction : grille d'analyse des interdépendances

Nous tentons d'analyser dans notre lecture du processus de la construction du Projet Nô-Life la dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité an sein de divers acteurs concernés, d'une part, au niveau des rapports institutionnels apparement stabilisés mais impliquant des désaccords sous-jacents, et d'autre part, au niveau des rapports entre ces agents institutionnels et ceux individuels portant différents types de représentations et pratiques.

Sur ce point, comme Mormont l'indique en quatrième point, le paradigme de la transaction sociale nous apparaît également utile « comme une grille d'analyse des interdépendances soit sous la forme de rapports stabiliés (qui impliquent de lire dans les institutions les rapports sous-jacents qu'elles entretiennent entre elles), soit sous la forme de situations d'invention sociale de nouvelles régulations de ces interdépendances671 ».

669 Ibid. : 232

670 Ibid.

671 Ibid. : 234.

Et nous le verrons dans le Chapitre 3, les intérêts des stagiaires du Projet Nô-Life portent non seulement sur le court terme mais également sur le long terme qui peut relever de leur identité et de valeurs à respecter dans leur vie individuelle et sociale. Nous pouvons donc rejoindre le paradigme de la transaction sociale dans le sens de Mormont qui la différencie de la négociation par le fait que la transaction sociale « porte sur les principes de base des identités sociales et sur les représentations des objets qui ne peuvent donner lieu à négociation qu'à partir du moment où ils sont suffisamment stabilisés pour constitutuer des cadres d'anticipation où des intérêts peuvent être identifiés et calculés672 ».

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry