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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon

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par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège - DEA Interuniversitaire en Développement, Environnement et Sociétés 2006
  

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Relation établie entre acteurs

Quelle relation fut établie entre les acteurs à travers ce processus de la construction du Projet ? Pour répondre à cette question, nous allons d'abord constater les positions des sept acteurs institutionnels telles qu'elles ont été établies au niveau représentationnel dans le processus de la construction de l'agriculture de type Ikigai.

Plus haut, nous avons déjà spécifié les variantes correspondantes à chacun des septs acteurs institutionnels dans le schéma représentationnel de l'agriculture de type Ikigai que nous avons établi. Ce schéma ci-dessous montre leurs prises de position dans le processus de la construction du Projet Nô-Life.

715 Ville de Toyota (2003) « Plan pour les Zones spéciales de la Réforme structurelle » : P.4.

Dans ce schéma, nous repérons donc les trois positions suivantes parmi ces sept acteurs institutionnels :

1. Intérêt général et agricole cherchant à rendre compatible les trois éléments (BPA et BDPA)

2. Intérêt du secteur agricole cherchant à utiliser le lien social et territorial au profit de la production agricole (CAT, GASATA et ECV). Parmi eux, l'ECV (vulgarisateur agricole) penche plus du côté de la production matérielle. Tandis que le GASATA (groupement d'arboriculteurs professionnels) cherche plus à développer et diversifier le lien social et territorial pour maintenir leur zone de production frutière dans une situation de crise.

3. Intérêt général mais avec peu de lien avec l'agriculture, cherchant à améliorer la qualité de vie de la population locale âgée via le développement du lien social et territorial. L'agriculture de type Ikigai peut

Schéma : positions des acteurs institutionnels dans le
schéma représentationnel de l'agriculture de type Ikigai

Lien social et

V. 4 Production matérielle

territorial

SCI

CLFS

V. 2

Qualité de vie

BPA* BDPA

CAT* ECV GASATA

V. 1

V. 3

*BPA et CAT sont les co-gestionnaires du Projet Nô-Life.

partiellement servir à cet intérêt. (SCI et CFLS)

Cette divergence d'intérêts des acteurs institutionnels n'est évidemment pas sans rapport avec la différence ou la division objective de leurs rôles institutionnels respectifs. Mais cela n'est ni figé ni mécanique, quand nous les situons dans un processus socio-local d'une politique spécifique. Cela est vrai d'autant plus que la situation de l'agriculture de type Ikigai est émergente ces dix dernières années et qu'elle est encore en train de se transformer dans le contexte du vieillissement acceléré de la population. Autrement dit, nous sommes amenés à voir ce processus comme un systéme dans un contexte spatio-temporellement limitée, dans lequel chaque acteur peut agir et communiquer en interaction avec les éléments extérieurs et intérieurs y compris ces acteurs eux-mêmes et les objets concernés716.

Nous reprérons là une relation de « coopération » mais basée sur une telle divergence de positions représentationnelles. Nous essaierons d'abord d'eclairer cette relation en terme de « compromis », dont la définition est élaborée notamment par Boltanski et Thévenot de manière à le traiter comme un concept sociologique par exellence tout en dépassant le sens habituel du terme comme un simple acte d'arrangement basé sur des concessions mutuelles.

716 Dans ce sens, l'introduction suivante de P. Bourdieu pour parler du « champ des pouvoirs locaux » est eclairante : « De même que la `politique du logement' est au niveau central, le produit d'une longue suite d'interactions accomplies sous contraintes structurales, de même, les mesures réglementaires qui sont constitutives de cette politique seront elles-mêmes réinterprétées et redéfinies au travers d'une nouvelle série d'interactions entre des agents qui, en fonction de leur position dans des structures objectives de pouvoir définies à l'échelle d'une unité territoriale, région ou département, poursuivent des stratégies différentes ou antagonistes. » (Bourdieu, 2000 : 155)

Relation de compromis

Pour comprendre la relation établie entre les acteurs institutionnels du Projet Nô-Life, la notion de compromis nous paraît pertinente. Sur cette notion, L. Boltanski et L. Thévenot donnent une définition claire à cette notion. Pour notre examen, nous suivrons l'explication donnée dans un ouvrage récent de M. Nachi qui nous apporte un bon éclaicissement sur la sociologie de Boltanski717. D'après M. Nachi, ce sont Boltanski et Thévenot qui donnèrent à la notion du compromis une place centrale dans la sociologie718.

Approche du Bien commun : construction d'accords contraignants

Le compromis constitue une des trois figures de l'accord avec l'arrangement et la relativisation. Le point commun de ces trois figures est qu' « ils se présentent comme une alternative lorsque la sortie de crise devient impossible719 ».

L'arrangement est défini comme un « accord contingent » qui n'a pas de justification en commun entre les personnes qui procèdent à cet arrangement. Il s'arrange uniquement sur la base de leurs intérêts respectifs. Il est donc relativiste720.

Puis, dans la relativisation, on suspend l'accord afin d'éviter le désaccord et de détendre la situation721.

A la différence de ces deux formes de l'accord, le compromis ne se base pas uniquement sur les intérêts particuliers des personnes qui entrent en compromis, mais il se base sur un « bien commun » qui ne relève ni de l'une ni de l'autre partie, mais comprend les deux722.

Donc, le compromis implique nécessairement une pluralité de grandeurs ayant chacune une part de justification dotée d'une généralité spécifique. La définition du compromis est ainsi donnée par Thévenot : « une action soumise à des contraintes plus fortes, cherchant à être justifiable - ou raisonnable - et à s'inscrire dans un équilibre global723 ». Puis, en visant un bien commun, le compromis a pour objectif de résoudre le conflit, la tension, le désaccord entre des personnes appartenant à différentes grandeurs. Donc, dans une situation de compromis, des contraintes et des conflits entre les parties sont indissociables724.

Puis, la situation du compromis est complexe et hybride, car elle est marquée par la présence d'objets hétérogènes725. Et ce bien commun suppose des motifs visant une construction et une manifestation d'accords plus ou moins durables726.

Ambiguïté : contraintes et question de compatibilité

Une des caractéristiques du compromis réside dans l'ambiguïté de son principe. Celle-ci du fait que les

717 NACHI, M. (2006), « D'une pragmatique du compromis à une phéoménologie de l'arrangement » (Chapitre IV), Introduction à la sociologie pragmatique : vers un nouveau « style » sociologique ?, Paris, Armand Colin : p.173-185. Dans cette partie sur le compromis, il se base principalement sur l'ouvrage suivant : BOLTANSKI, L., THEVENOT, L. (1991), De la justification. Les Economies de la grandeur, Paris, Gallimard.

718 Chez Boltanski et Thévenot, « il est même érigé au rang d'un concept central et bénéficie d'une réflexion de la plus grande importance » (Nachi, 2006 : 174). Ils sont « parmi les rares auteurs qui sont allés le plus loin dans la problématisation du compromis » (Ibid.).

719 Ibid.: 173.

720 Ibid. : 180-181.

721 Ibid. : 181-183.

722 Ibid. : 175.

723 Thévenot, 1989 : p177, cité par Nachi, 2006 : 174.

724 « C'est cette pluralité cosubstantielle au monde de la vie sociale qui véhicule en son sein les marques du compromis. Car, dans un tel monde, le bien commun ne peut être atteint par le recours à une grandeur unique. Il faut le concours de plusieurs principes d'équivalence, de plusieurs formes de généralités. Le compromis a pour objectif de résoudre des conflits et de régler des différends en mobilisant des principes et des objets relevant de mondes différents ». Nachi, 2006 : 174)

725 « la multiplication des objets composites qui se corroborent et leur identification à une forme commune contribuent ainsi à stabiliser, à frayer le compromis. Lorsqu'un compromis est frayé, les êtres qu'il rapproche deviennent difficilement détachables. » (BOLTANSKI, L., THEVENOT, L., 1991 : 340, cité par Nachi, 2006 : 175)

726 « Une telle figure sous-entend des relations interindividuelles animées par des motifs visant `à construire, à manifester et à sceller des accords plus ou moins durables' »( BOLTANSKI, L., THEVENOT, L., 1991 : 39, cité par Nachi, 2006 : 175)

personnes entrant en compromis renoncent à clarifier les principes sur lesquels se base leur compromis, sans pour autant exclure l'impératif de justification727.

Cette ambiguïté est en partie due aux contraintes du compromis, parce que celui-ci doit impliquer des « principes d'équivalence satisfaisant différents ordres de grandeur » ainsi que le « rapprochement de grandeurs a priori incompatibles »728. Dans le compromis, il suppose donc la question de compatibilité des objets relevant de mondes différents729.

Fragilité

L'ambiguïté des principes et les contraintes du compromis constituent également des sources de fragilité. Cette fragilité est inévitable car dans le compromis, l'identité des parties ne peut pas être mise en cause afin de maintenir le compromis730. C'est pourquoi le compromis nécessite que le bien commun (ou l'intérêt général) visé dépasse un simple arrangement basé uniquement sur les intérêts particuliers. Il s'agit de la constitution d'une « cité » par ce bien commun731. Dans cette optique, la dispute entre les parties n'est pas forcément réglée par une logique légitime d'un seul monde, mais suspendue en vue de constituer un compromis. Donc, un compromis risque toujours d'être déstabilisé ou mis en question par la critique ou la dénonciation732.

Possibilité de transformation ou de consolidation

Pour surmonter cette fragilité, il faut que le compromis fasse l'objet d'une transformation ou d'une consolidation « en faisant référence à des êtres et à des objets appartenant à divers mondes mais disposant d'une identité autonome733. Mais comment ? Selon Boltanski et Thévenot, il faut doter les éléments constitutifs du compromis d' « une identité propre » en mettant ces éléments « au service du bien commun734 ».

Mise en parallèle du concept de compromis avec les autres éléments théoriques

Après ce survol des caractéristiques du compromis tel qu'il est conceptualisé par Boltanski et Thévenot, essayons de mettre en parallèle ce concept avec les autres éléments théoriques mobilisés dans notre analyse : représentation sociale ; bricolage ; transaction sociale ; transcodage.

Représentation sociale

L'approche des représentations sociales que nous avons présenté dans le chapitre 1, consiste à comprendre comme un processus la relation dialectique entre les représentations portées par les acteurs concernés, leurs rapports sociaux et leurs actions. Surtout via la notion de l'objectivation et celle de l'ancrage, cette approche vise à articuler les éléments représentationnels et réels dans leur complexité.

Dans ce sens, cette approche, nous semble-t-il, peut être un outil pertinent pour éclairer la situation complexe de compromis. D'autant plus que celle-ci est marquée par la présence d'objets hétérogènes relevant de différents mondes qui, à notre égard, impliquent nécessairement des produits de représentations sociales. La

727 Nachi, 2006 : 175.

728 Ibid. : 175.

729 « (...) il [compromis] présume le dépassement des intérêts purement individuels ainsi que l'existence d'un bien supérieur

commun : `le compromis suggère l'éventualité d'un principe capable de rendre compatibles des jugements s'appuyant sur des objets relevant de mondes différents.(...)' » (Ibid. : 176)

730 Ibid. : 176.

731 Ibid.

732 Ibid.

733 Ibid. : 177.

734 « une façon de durcir le compromis est de mettre au service du bien commun des objets composés d'éléments relevant de

différents mondes et de les doter d'une identité propre en sorte que leur forme ne soit pas reconnaissable si on leur soustrait l'un ou l'autre des éléments d'origine disparate dont ils sont constitués » (BOLTANSKI, L., THEVENOT, L., 1991 : 339, cité par Nachi,

2006 : 177)

question de mode d'articulation de ces objets hétérogènes pour constituer un compromis nous renvoie directement à interroger celui des représentations sociales.

Bricolage

Nous appliquons le concept du bricolage tel qu'il a été défini par Lévi-Strauss, pour comprendre les manières dont les acteurs réalisent leurs projets, pas dans le sens d'une application mécanique de concepts selon des objectifs préétablis, mais celui d'inventions par appropriation et réappropriation des objets existants.

Nous pouvons situer le compromis dans le processus de bricolage, d'autant plus que, nous l'avons vu plus haut, celui-ci implique toujours « un compromis entre la structure de l'ensemble instrumental et celle du projet ». Autrement dit, quand on considère le processus de bricolage comme un processus social, on doit toujours tenir compte du compromis mis en place entre les acteurs concernés.

Autrement dit, l'oeuvre d'un bricolage collectif est celle d'un compromis effectué dans son processus. Dans ce sens, ce n'est pas, nous semble-t-il, un hasard que le caractère précaire et ambigu du compromis qui implique une possibilité ou une nécessité de s'appuyer sur un bien commun généralisable (constitution d'une cité), rejoint également une des caractéristiques de l'oeuvre du bricolage donnée par Lévi-strauss. Et comme nous l'avons vu plus haut, l'oeuvre du bricolage dépasse un résultat contingent d'une action humaine, mais celui apportant un « sens » qui n'exclut pas la possibilité de se généraliser et ainsi de généraliser.

Transaction sociale

Le compromis implique certainement un point commun fort avec le modèle de transaction de Mormont, d'autant plus que Mormont envisageait la transaction sociale, nous l'avons vu, comme cadre stabilisateur permettant l'anticipation et l'engagement des acteurs, qui ne se base pas uniquement sur leurs intérêts sur le court terme, mais qui permet d'engager leur identité.

La création de nouveaux dispositifs alternatifs proposée par Mormont du point de vue de la transaction sociale, et la constitution du bien commun dépassant les intérêts particuliers des parties, qui suppose de renforcer le compromis et de lui donner « une identité propre », peuvent, nous semble-il, être deux approches complémentaires. Le lien théorique entre le paradigme de la transaction sociale et la sociologie de Boltanski et de Thévenot nous reste à explorer735.

Transcodage

Enfin, la technique du transcodage pourrait également être un outil pertinent pour éclairer les conditions du compromis. Ceci d'autant plus que le transcodage vise à équilibrer les pratiques et les positions de différents types d'acteurs.

Cependant, il nous semble y avoir une distance de nuances entre les « visées » du compromis et du transcodage : En effet, le transcodage suppose que, dans une « situation d'être en pouvoir » que celui-ci implique, les acteurs peuvent se trouver soit dans une situation d'autonomie, soit dans une situation de dépendance. Ce qui amènent les acteurs à lutter pour la « maîtrise des réseaux d'action publique ». Le transcodage a donc pour objectif d'équilibrer cette situation. Sur ce point, nous avons une distance entre le transcodage et le compromis supposant de constituer un « bien commun » plus ou moins transcendant entre les les parties, relevant de différents mondes. Le lien théorique entre ces deux concepts nous reste également à explorer.

Compromis dans le processsus de la construction du Projet Nô -Life

Le concept du compromis peut, nous semble-t-il, éclairer la situation de la relation telle qu'elle a été établie

735

entre les agents dans le processus de la construction du Projet Nô-Life, en terme de l'approche du bien commun, l'ambiguïté du principe du compromis et la fragilité de celui-ci.

D'abord, le processus de la construction du Projet Nô-Life s'inscrit, au moins initialement, dans une approche du « bien commun » de manière explicite : il s'agit de valoriser l'agriculture et la ruralité non de manière sectorielle, mais via une « participation citoyenne » (surtout depuis le Plan de 96) en les considérant comme un bien commun appartenant aux citoyens mais non uniquement aux agriculteurs.

Cependant, nous l'avons relevé dans l'examen de la position respective des gestionnaires du Projet Nô-Life (BPA et CAT), l'ambiguïté du principe du Projet Nô-Life est en question en raison d'une divergence de leurs propres visions sectorielles tant sur le court terme que sur le long terme.

En principe, du côté du BPA, il est coincé entre l'intérêt général qu'il porte, et l'intérêt du secteur agricole porté par la CAT. Du côté de la CAT, en réalité, son intérêt porte exclusivement sur le profit du secteur agricole, malgré la complexité de son raisonnement.

Intéréts sur le court terme

Sur le court terme, le BPA, en tant qu'agent municipal, doit d'abord satisfaire le public en répondant le plus possible aux demandes immédiates des usagers (stagiaires) du Projet. Du coup, le critère de sélection des stagiaires doit être souple . C'est pourquoi le Centre Nô-Life accueille divers types de stagiaires qui ne correspondent pas souvent à l'objectif productiviste du Projet Nô-Life, (ce qui est d'ailleurs compréhensible en réalité, nous le verrons dans le Chapitre 3). Puis, quand il doit présenter le résultat ou la vertu concret du Projet auprès de la municipalité, il doit nécessairement recourrir aux éléments quantifiables et immédiats avec des chiffres concrets (surtout le nombre de stagiaires et la surface agricole mise en location avec les stagiaires ayant terminé la formation Nô-Life) plutôt qu'aux éléments non quantifiables qui dépendent beaucoup du long terme ou de la subjectivité (qualité de vie, lien social et territorial).

Face à cette exigence du BPA, l'engagement de la CAT reste mitigé à cause de la faible importance économique que le Projet Nô-Life pourrait apporter au secteur agricole : la CAT elle-même est en réalité un grand organisme financier et commercial dans lequel le domaine des activités agricoles est en permanence déficitaire736. Si bien que quelques points de désaccord étaient déjà apparents pour la conduite actuelle du Projet, sur l'élargissement du Centre Nô-Life effectué en 2006, à deux autres quartiers : l'un en plaine dans une zone fortement agricole, l'autre en moyenne montagne, dans une commune venant de fusionner avec la Ville de Toyota. Ce choix était pour favoriser la demande de la population locale et l'égalité de l'offre des services publics en terme géographique. D'après Monsieur K, président du Centre Nô-Life, la demande pour l'installation du Centre Nô-Life est surtout forte de la part des communes de moyenne montagne dépeuplées qui viennent de fusionner avec la Ville de Toyota, comme un « cadeau d'échange » de cette fusion. Mais la CAT n'était pas d'accord avec cette décision. Car ce qui compte pour la CAT, nous l'avons vu, est de « former les agriculteurs » au lieu de « satisfaire le plus possible le public ». A cet effet, le nombre des stagiaires accueillis par le Centre Nô-Life doit être minimum pour la CAT afin de pouvoir réaliser son objectif de la formation agricole, et l'élargissement de la taille du Projet Nô-Life n'est pas prioritaire pour elle.

Intérêts sur le long terme : question de l'identité agricole

La divergence d'intérêts sectoriaux porte également sur le long terme qui concerne directement la définition légitime du métier agricole. La seule référence légitime de la profession agricole renvoie, en fait, au montant de

736 Nous avons vu la structure interne de la coopérative : l'importance économique occupée par les activités agricoles à l'intérieur de la CAT (achat commun des matériels agricoles, vente commune des produits agricoles) est déjà extrèmement faible par rapport aux autres domaines d'activités. En tant que coopérative agricole, les coopératives agricoles japonaises effectuent surtout un ensemble de services financiers (crédits, mutualité, immobiliers, commerce de détail etc) et également ceux non agricoles (services immobiliers, divers services dans le domaine de la « vie » comme les supermarchés, les cérémonies funéraires et services de l'aide aux personnes âgées dépendantes). Surtout les services pour les personnes âgées ou leur décès sont aujourd'hui un marché à conquérir à l'ère du vieillissement...

revenu agricole annuel des « agriculteurs qualifiés » considérés comme « porteurs » de l'agriculture, dont la définition relève de la politique agricole nationale. Et ce sont ceux qui peuvent bénéficier du prêt agricole départemental contrôlé par l'ECV (vulgarisateur agricole). Pour en bénéficier, il faut déposer un plan planifiant une production agricole susceptible de dégager plus de 2 500 000 yens de revenu agricole annuel.

L'objectif du Projet Nô-Life semble être fixé par référence à ce critère économique. De plus, nous l'avons vu, le montant de revenu agricole annuel donné par le Projet Nô-Life (un million de yens) s'enracine également dans l'histoire de la modernisation agricole japonaise des années 70 comme un slogan national, ensuite dans les années 80 comme un objectif économique donné à l' « agriculture de type Ikigai » promue par la politique de la vulgarisation agricole dans la région proche de Toyota, pour les femmes et hommes âgés des foyers agricoles pluriactifs. Cet objectif est donc lui-même un référentiel historique de la modernisation agricole.

Donc, la définition légitime du métier agricole reste quasi-exclusivement dans le monde agricole, et elle se reflète même dans l'objectif du Projet Nô-Life qui a permis le compromis entre la CAT et le BPA.

Ainsi, nous pouvons comprendre plus ce que veut substantiellement dire l'intérêt de « former les agriculteurs » de la part de la CAT. Et du côté du BPA, il n'a qu'à se référer à la définition telle qu'elle est donnée dans le monde agricole, tant qu'il n'a pas d'autres définitions alternatives du métier agricole, à part la représentation ordinaire comme les « jardiniers pour le loisir ». Si bien que cet objectif lucratif du Projet Nô-Life a été décidé par une concession de la part du BPA qui n'était pas forcément favorable à cet objectif : il souhaitait donner plus de liberté aux stagiaires pour choisir un type d'activités agricoles quelconque.

Inégalité de l'effet symbolique du Projet

En plus, selon notre enquête, c'était apparement l'initiative du maire de la Ville de Toyota (élu en 2004) qui a le plus fortement poussé le Projet Nô-Life jusqu'à son démarrage en 2004 (la même année que son élection...). Ce qui amène Monsieur S, directeur de la Direction des activités agricoles de la CAT, à se plaindre de l'absence du « mérite » de la part de la CAT pour la réalisation du Projet Nô-Life. L'effet « symbolique » de la réussite du Projet compte ainsi dans leur relation de compromis.

Fragilité du compromis Nô-Life

Comme dit Boltanski, la fragilité du compromis est due au fait que le compromis ne peut pas mettre en cause des identités des parties et que la dispute entre elles reste non réglée. Ceci semble bien être le cas dans le Projet Nô-Life entre les parties appartenant au monde agricole et au monde des services publics locaux.

Selon notre observation, le compromis entre les agents co-gestionnaires du Projet Nô-Life, où un référentiel historique de la modernisation agricole productiviste se reflète fortement, contraindra, du moins dans l'immédiat, plus ces stagiaires de la formation Nô-Life que les agents institutionnels concernés, qui n'ont certainement pas fait partie de ce compromis initial. Dans le Chapitre 3, nous aborderons les conséquences de ce compromis en examinant les réactions de ces stagiaires. Il s'agira alors du compromis du Projet Nô-Life qui sera « à l'épreuve » de la vie des stagiaires. Là, la question de renforcer ce compromis en le dotant d'une « identité propre » sera envisageable par référence aux représentations relevants des acteurs appartenant à différents mondes autour de l'objet de l'agriculture de type Ikigai...

Rapport de pouvoirs entre les sept agents

Enfin, le compromis tel qu'il est constitué pour la construction du Projet Nô-Life, est-il équilibré ou déséquilibré ? Pour répondre à cette question, nous allons examiner le rapport de pouvoirs établi entre les sept acteurs institutionnels à partir du schéma ci-dessous.

Dans ce schéma, nous pouvons facilement repérer la forte emprise qu'ont des agents appartenant au monde agricole professionnel (BPA, CAT, BDPA, ECV, GASATA), sur la réalisation du Projet Nô-Life, par rapport aux deux autres agents (SCI, CFLS) qui n'y sont qu'indirectement impliqués.

Parmi les cinq agents appartenant au monde agricole professionnel, quatre agents (BPA ; CAT ; l'ECV : vulgarisateur agricole ; GASATA : groupement d'arboriculteurs professionnels) s'impliquent directement dans les activités de la formation Nô-Life. Le BDPA (administration agricole départementale) conserve un rôle de tutelle. Lors du contrôle final du stage individuel sur l'état d'entretien des cultures, quelques responsables de ces cinq agents sont présents pour donner leurs commentaires.

Puis, traditionnellement, ces cinq agents constituent entre eux des liens de partenariat. Si bien qu'ils sont constamment en contact dans leurs activités routinières liées au monde agricole professionnel. Ce qui renforce leur lien social.

En fait, les deux autres agents ne sont qu'indirectement impliqués dans les activités du Projet Nô-Life. Le SCI (agent des services publics locaux pour Ikigai des personnes âgées), maintient juste son rapport avec le Centre Nô-Life via son propre projet « Ferme-école des personnes âgées » qui joue le rôle médiateur entre les personnes âgées en général et le Centre Nô-Life. En effet, cette école peut être une première étape pour apprendre pendant un an les pratiques agricoles en tant que débutant, et ensuite s'inscrire éventuellement au Centre Nô-Life pour passer à l'étape suivante. Mais, nous l'avons vu, l'écart est net entre la position du SCI et le monde agricole professionnel. Pour le SCI, les activités agricoles pour les personnes âgées ne peuvent avoir de siginification qu'en relation avec l'amélioration de la qualité de vie ou de le lien social et territorial des personnes âgées. Et par là, l'agriculture peut avoir un lien avec l'aménagement de la Ville dans le sens du paysage ou de l'aménité, mais le développement agricole au sens sectoriel et productiviste n'entre pas dans l'approche du SCI.

Schéma : Rapport institutionnel dans le Projet Nô-Life

Monde syndical
et salarial

Monde services
publics locaux
(Municipalité)

Monde agricole
professionnel

BDPA

CFLS

SCI

BPA

CAT

ECV

GASATA

: Lien de partenariat direct pour le Projet

: Lien de partenariat indirect pour le Projet Nô-Life

: Lien de partenariat traditionnel

Si le CFLS joue le rôle de médiateur entre les retraités salariés résidant dans la Ville de Toyota et le Projet Nô-Life via une offre d'informations auprès de ses adhérents, il ne s'implique pas dans les activités de la formation Nô-Life. De même, ces dix dernières années, il a établi un lien de partenariat avec la Municipalité via diverses thématiques concernant la vie locale (aménagement urbain, animation etc) dans lesquelles la thématique de la promotion d'Ikigai des personnes âgées est abordée en terme de la qualité de vie et du lien social et territorial. La thématique de l'agriculture l'intéresse également, mais elle est traitée dans le cadre de sa politique syndicale à l'échelle nationale, soit pour l'autosuffisance alimentaire, soit pour la préservation de l'environnement naturel et rural.

Selon son point de vue (informellement énoncé lors de notre entretien), le Projet Nô-Life ne pourrait pas contribuer au développement agricole dans le sens sectoriel et productiviste. A cet effet, la mobilisation des personnes âgées actives sera incertaine et insuffisante. Ainsi, il n'a pas l'intention de plus s'impliquer dans le

Projet Nô-Life.

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