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Dynamique des représentations sociales de l'agriculture et de la ruralité dans un contexte territorial du vieillissement de la population : Le cas du « Projet Nô-Life » de la Ville de Toyota au Japon

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par Kenjiro Muramatsu
Université de Liège - DEA Interuniversitaire en Développement, Environnement et Sociétés 2006
  

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3 Conséquences pour les stagiaires, du compromis entre les agents gestionnaires

Le compromis basé sur la divergence d'intérêts entre les agents gestionnaires produisant l'ambiguïté ou la contradiction de la finalité du Projet Nô-Life. Quelles conséquences aura-t-il pour les stagiaires ?

Pour répondre à cette question, rappelons-nous d'abord l'analyse que nous avons effectuée dans la chapitre précédent sur la relation de compromis établie entre les acteurs institutionnels au travers du processus de la construction du Projet Nô-Life.

Compromis précontraint

Ce compromis institutionnel est d'abord le produit d'un processus historique marqué par une série de bricolages intersectoriaux qui se sont successivement opérés ces dix dernières années. Par là, nous pouvons relever une des caractéristiques de ce processus : la dépendance de celui-ci vis-à-vis des instruments existants. Le principe du compromis ainsi établi pour le Projet Nô-Life implique donc nécessairement une certaine incertitude ou imprévisibilité de son résultat, de sa finalité voire de sa vertu.

Concrètement parlant, le Projet Nô-Life, ses gestionnaires et agents partenaires dépendent de ceux qu'ils intrumentalisent pour la mise en oeuvre du Projet. D'un côté, il s'agit notamment des réactions de ces agents eux-mêmes qui s'instrumentalisent, ainsi que de leurs instruments non-humains qui sont disponibles, de l'autre, des réactions des stagiaires ainsi que de leurs instruments humains et non-humains qui sont disponibles.

Comme le relève Lévi-Strauss, un tel processus est caractéristique du bricolage comme étant un processus de « reconstruction incessante à l'aide des même matériaux ». Cette remarque est intéressante pour voir plusieurs actions constructives comme un processus, mais non comme une série de simples contingences. Ceci, bien que nous nous gardions de rejoindre totalement le point de vue de Lévi-strauss : comme nous l'avons déjà dit, aujourd'hui rien qu'en tenant compte de la mobilité physique, sociale et informative764, il est très difficile de déterminer réellement (non théoriquement) la structure invariante des instruments tel que Lévi-Strauss entend la conceptualiser. Ces éléments interagissants765qui sont à la fois instrumentalisés et instrumentalisant, se constituent réciproquement comme « interlocuteurs » et « bricoleurs »766.

Puis, comme relève encore Lévi-Strauss, chaque instrument (actant) a sa structure déterminée par ses fins (ou raison d'existence) antérieures767, et le processus et le résultat du bricolage sont ainsi précontraints par une telle structure instrumentale.

Concrètement parlant, le processus de la construction du Projet Nô-Life et son résultat (sa finalité et sa vertu), sont précontraints par les structures des acteurs mobilisés, à savoir leurs identités antérieures ou

764 D'ailleurs, cette conception semble fortement se baser sur un présuposé théorique particulier que nous ne rejoignons pas forcément : celui de l'universalité de l'esprit humain. Une telle vision ne produit-elle pas la dichotomie absolue entre « la culture et la nature » sur laquelle se base, en fait, la réflexion de Lévi-strauss ? Ainsi, dit-il : « Sur l'axe de l'opposition entre nature et culture, les ensembles dont ils [l'ingénieur et le bricoleur] se servent sont perceptiblement décalés. En effet, une des façons au moins dont le signe s'oppose au concept tient à ce que le second [bricoleur] se veut intégralement transparent à la réalité, tandis que le premier [ingénieur] accepte, et même exige, qu'une épaisseur d'humanité soit incorporée à cette réalité. » (Lévi-Strauss, 1962 : 34) S'il faut dépasser cette dichotomie dans notre épistémologie, il suffit de se référer à la pensée de « Fûdo » de T. Watsuji (1889-1960), philosophe japonais. Pour lui, la nature telle qu'elle est conceptualisée de façon à l'opposer à l'être humain, n'est qu'un produit d' « objectivation » humaine qui est, en fait, elle-même déjà déterminée par Fûdo dont la définition possible du terme est une condition écologique de l'existence humaine (Watsuji, 1979 : 3).

765 Ceci renvoit à la notion d' « actant », terme désignant les êtres humains et leurs objets interagissants dans la société. Depuis que B. Latour a employé ce terme, certains sociologues francophones préfèrent l'employer comme terme au lieu d'utiliser les termes habituels comme acteur, agent, individuel. Cela va ainsi chez Boltanski et Thévenot : « Boltanski et Thévenot se montrent critique à l'égard de l'usage des catégories sociologiques habituelles : individus, groupe, classe, culture, société, etc. L'enjeu essentiel est, pour eux, de se débarasser de toutes les formes de catégorisation a priori afin de pouvoir élucider les processus, dynamiques sociales et opérations cognitives qui sont à l'oeuvre chez les personnes ordinaires. Pour ce faire, ils se servent notamment du concept d'actant, d'être, d'état... » (Nachi, 2006 : 49).

766 Pour Lévi-Strauss, la structure instrumentale est également considérée comme limitant le pouvoir de l'ingénieur, une fois que celui-ci est obligé d'entrer dans un rapport de « dialogue » avec son objet (Ibid. 33)

767 Lévi-Strauss, 1962 : 35.

trajectoires, ainsi que leurs ressources disponibles, relations préétablies voire les circonstances intégrées à leurs actions.

Ambiguïté du compromis Nô-Life : situation déséquilibrée

Puis, nous avons mis en évidence les dispositifs construits pour lancer le Projet Nô-Life au travers d'une série d'actions et de communications, que nous avons tenté d'interpréter en terme de la transaction sociale pour désigner le type de dynamique de la relation sociale entre acteurs dans le processus de la construction du Projet Nô-Life, ainsi que du transcodage pour repérer la technique opérée pour la mise en relation des acteurs institutionnels dans ce processus ; et ensuite du compromis pour spécifier l'état de la relation sociale ainsi établie entre ces acteurs.

Et nous avons constaté la présence de l'idée du bien commun dans ce compromis. Bien commun dont la signification donnée par les acteurs institutionnels est : agriculture et ruralité ; les objets du Projet. Cette idée constitua la base du compromis en supposant d'abord, selon Boltanski, l'impossibilité de la sortie de crise à laquelle les parties sont confrontées : crise agricole d'un côté, vieillisement accéléré de la population de l'autre. Cette relation implique qu'elle ne se base pas uniquement sur les intérêts particuliers de chacune des parties, mais sur une idée qui les comprend. Et cette idée, formulée comme « promotion de l'agriculture de type Ikigai », implique inévitablement des contraintes relevant de « grandeurs » de mondes dans lesquels appartient chacun des parties, à savoir : monde agricole professionnel d'un côté, monde des services publics locaux du vieillissement.

Puis, comme le définit Thévenot, ce compromis « cherche à être justifiable » dans son principe en tant qu'une politique publique dans son application réelle face à l'épreuve de la vie de ses usagers (stagiaires), et essaie d'atteindre un « équilibre global ».

Par là, nous pouvons rejoindre l'approche de la transaction sociale de M. Mormont, qui consiste également à créer de nouveaux dispositifs alternatifs comme « cadre stabilisateur » des anticipations des agents concernés, sur lesquelles se basent leurs identités et intérêts sur le long terme. Et ceci tout en dépassant les conflits dus aux intérêts particuliers sur le court terme. Puis, il en est de même du transcodage de P. Lascoumes, qui consiste à « équilibrer » les dispositions divergentes des agents.

Ce compromis implique nécessairement une ambiguïté de son principe dans la mesure où il ne peut pas mettre en cause les identités des parties. D'où la présence de : contraintes liées à des grandeurs incompatibles a priopri, objets hétérognènes relevant de différents mondes, situation de de représentation et de pouvoir déséquilibrée. Nous avons ainsi constaté une situation de pouvoir déséquilibrée entre deux mondes divergents (monde agricole professionnel et services publics locaux du vieillissement), marquée par l'emprise réelle de l'ensemble des agents du monde agricole professionnel, ainsi que par la position ambiguë du gestionnaire principal du Projet (BPA) coincé entre ces deux mondes divergents.

Et cette situation de pouvoir se reflète dans les représentations sociales ancrées dans les positions de ces acteurs. Du coup, les représentations portant sur la qualité de vie et le lien social et territorial sont très faiblement représentées (au sens politique du terme) par rapport à la forte présence des représentations portant sur la production matérielle relevant du productivisme agricole hérité de l'histoire de la modernisation agricole japonaise. Ainsi, les pratiques établies dans la formation Nô-Life sont également orientées par cette vision.

Sources de fragilité : effet de marginalisation

Là, nous pouvons nous poser la question de la fragilité du compromis établi dans le Projet Nô-Life : cette situation de pouvoir, de représentation et de pratique déséquilibrée, constitue-t-elle des sources de fragilité du Projet Nô-Life ?

Nous pouvons répondre à cette question en nous référant à la réponse que nous avons donné à la question précédente concernant les positions des stagiaires vis-à-vis de l'idée de l'agriculture de type Ikigai telle qu'elle est présentée par le Projet Nô-Life. Ce sont les stagiaires qui mettent réellement à l'épreuve la légitimité du

Projet Nô-Life. Autrement dit, le résultat du Projet (ou la finalité ou la vertu), voire la justification du compromis entre les agents gestionnaires et partenaires du Projet, dépendent de cette épreuve.

Reprenons brièvement les constats faits dans notre réponse précédente. D'abord, la divergence des positions des enquêtés dépend de la diversité de leurs enjeux individuels qui sont en grande partie déterminés par leurs trajectoires tant sur le court terme que sur le long terme. Ensuite, la convergence des positions des enquêtés se trouve d'abord dans leurs représentations de l'agriculture de type Ikigai signifiant les divers besoins socio-culturels portant souvent sur leurs intérêts sur le long terme ou leurs identités. Et ces besoins exigent souvent d'être compatibles avec des éléments économiques relevant de la production matérielle. Ceci pour que les personnes puissent mieux répondre à ces besoins. Puis, la difficulté de compatibiliser dans la réalité ces besoins socio-culturels et économiques, constitue également un point de convergence parmi ces enquêtés. Ceci notamment face aux contraintes liées à la production matérielle.

Pourquoi alors la difficulté ? Nous pouvons relever que celle-ci n'est pas due à la diversité des comportements des enquêtés, d'autant qu'ils ont en commun une motivation ou un engagement stable basé sur leurs propres besoins, pour l'agriculture de type Ikigai qui est l'objet central du Projet Nô-Life. Cette difficulté est plutôt due à l'orientation productiviste du Projet ainsi que de sa formation, qui est le reflet du déséquilibre des représentations sociales ancrées dans la relation de compromis entre les agents gestionnaires et partenaires. Finalement, cette orientation constitue elle-même une source de fragilité, en provoquant souvent des réticences dans l'engagement des stagiaires ou parfois même démotivant ceux-ci.

Autrement dit, ce compromis déséquilibré marginalise les stagiaires au niveau des dispositifs de la mise en oeuvre du Projet Nô-Life. Ce que nous pouvons considérer comme un effet pervers provoqué par le Projet, car ce sont ces stagiaires, du moins officiellement, qui sont censés être protagonistes du Projet Nô-Life.

Cet effet de marginalisation est d'abord relationnel entre les agents institutionnels (gestionnaires et partenaires) et les usagers individuels (stagiaires). Mais cette relation sociale ancre à la fois les dispositifs pratiques et représentationnels du Projet Nô-Life. Ce qui joue toujours pour reproduire cet effet.

Enfin, ne nous trompons pas, ces stagiaires ne sons pas pour autant « dominés » dans l'esprit. Au contraire, ne sont-ils pas de vrais connaisseurs de la cause de cette situation contradictoire ? Nous l'avons vu, ils relèvent déjà par leur réflexion certains points faibles du principe du Projet qui touche directement l'ambiguïté du compromis institutionnel en question. (orientation mitigée entre l'amateurisme et le professionnalisme, insuffisance d'enseignements pour l'entretien, méthode trop coûteuse de l'agriculture conventionnelle qui ne correspond pas à la réalité, absence d'enseignements pour l'agriculture respectueuse de l'environnement etc) Et ceci tout en reconnaissant la valeur générale de l'existence du Projet sur le long terme. Ce qui donne d'ailleurs une garantie de légitimité au Projet. Autrement dit, l'agriculture de type Ikigai est, au moins de manière générale, approuvée comme bien commun de façon à ne pas mettre en cause les identités des parties au compromis. Mais ceci à condition de mettre entre paranthèses l'ambiguïté, le dilemme et la contradiction présents dans la réalité.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand