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La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

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par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

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Les habitations. Construction. Importance de l'emplacement.

Loin s'en faut, la Vizcachera n'est plus une porcherie. Quoique. Son développement est assez sui generis, puisqu'il s'est déroulé par phases et n'a pas commencé de la même façon que dans d'autres quartiers. Pour les étrangers, mais surtout pour les voisins d'en bas, de Campoy, elle était et reste encore une porcherie, parfois vilipendée par les autres... Il semble planer entre ces deux quartiers de vieilles réprimandes, jamais vraiment oubliées... d'où les quelques railleries qui pourraient s'ouïr...

Ceux d'en haut (« de los cerros », « los de arriba »)13 sont toujours les plus maudits...Même à l'intérieur de la Vizcachera, je suis sûre que l'on note cette différence entre los de arriba (flanqués sur les cerros) et los de abajo, sur la pampa...(rien qu'en raison de l'emplacement des anciens --«en bas», sur la pampa, par rapport aux nouveaux --«en haut», dans les cerros...1 ça doit aussi avoir une connotation sociale...).Ces différenciations existent dans la sierra, entre les gens de la Puna14, et ceux de la vallée...Se retrouvent-t-elles d'une forme ou d'une autre dans les rapports entre les gens dans le quartier ? Ou seulement dans la configuration physique des quartiers (ceux des cerros...) ? Venir à Lima n'est il pas un moyen d'en effacer certaines pour en reconstituer d'autres, selon les rapports dans la ville ?

Mais là n'est pas encore la question. Ce qui nous intéresse présentement, ce sont les habitations. Des terres, vierges... Des hommes y ont amené les cochons. La soue a appelé les hommes à vivre et à poser leur maison. La communauté ainsi fondée, a ramené encore des hommes. Et leurs amis et leurs familles... et d'autres bétails... Beaucoup sont venu bâtir. Puis d'autres ont suivis, se passant le mot, à la famille surtout, mais aussi aux amis, aux proches...

Généralement, la première installation sur un terrain se fait avec le matériau de base (les esteras), très peu onéreux, pour pouvoir loger sur les lieux dès qu'on en dispose. Puis les économies viendront, on renforcera les murs de la masure avec des plastiques, des cartons ; on trouvera des morceaux de bois pour consolider tel endroit, ou prolonger la pièce... On mettra un toit de tôle... Puis viendront les sous sous...Et nous passerons les galons... un mur en bois, d'autres parois... Il s'agit presque pour tous d'une autoconstruction, aidée de quelque amis ou parents... On voit souvent dans la cour des gens, ou devant chez eux, dans la rue, un tas de brique, que l'on entasse peu à peu jusqu'à obtenir la quantité nécessaire... Un jour viendra le temps de « /evantar » (lever)... Celui de la faire monter, depuis la terre, cette demeure ! Avec du noble matériel (« material noble » Sic.), la brique. Le dur. Le fixe... Quand celui de la techada viendra, ô nous festoierons...Le fait de poser le toit est l'étape ultime dans la structure d'une maison. Elle est aussi la plus symboliquement importante. Le toit qui protège. Ce toit qui est nôtre. L'accomplissement, après des années de sacrifices pour réunir tant d'argent... La techa casai.' dans la Sierra est un moment primordial, accompagné de longues festivités, bien arrosées.... A Lima, l'importance de cette étape dans la maison mais aussi dans la vie est saillante Il s'agit sûrement d'un accomplissement, encore plus grand lorsqu'il va de pair avec la conquête de terres étrangères et l'acquisition d'un lieu dans un territoire nouveau devenu commun.

Aussi à la Vizcachera : on voit toute sorte de maison. Elle ne ressemble pas à une invasion où
tout a été envahi en même temps, et habité d'esteras un certains temps. Elle ne ressemble pas

13 Jose Luis Arguedas. El zorro de arriba y el zorro de abajo.

14 La puna est la partie andine qu se trouve au-delà des 4000m d'altitude et dédie à l'élevage principalement...

15 Techa-casa ou "Sala casa" ou "wasi qatay", en quechua de wasi : maison, qatay couvrir

à l'évolution d'autre district car elle s'est peuplée par phase. Bien qu'ancien, le quartier est loin d'être consolidé. Bien que récemment peuplé, il n'a rien d'un quartier fraîchement sorti de terre... De l' esteras à la brique enduite et peinte. Du « une pièce » à la grande maison mastoc. Ces dernières sont cependant éparses... mais elles existent ci et là... Ailleurs ce sont des « cabanes » avec leurs latrines un peu plus hautes perchées...

Bien que l'évolution des uns et des autres soient différentes, on peut noter l'ancienneté de certaines demeures ou du non avancement d'autres, qui sont toujours faites de matériaux premiers...Une grande disparité, donc, entre des maisons voisines...Disparité dans les moments d'arrivée mais aussi socio-économiques...

Etapes de l'évolution d'une maison.

Esteras, bois, matériel noble...

L'eau. Les bidons. Les seaux... (Maison en bois ou contre plaqué -- comme 2)

 
 

Spécificité du quartier

Mais ce n'est pas en cela que ce quartier est si atypique et à la fois si caractéristique du phénomène d'installation de migrants.

En le comparant à d'autres quartiers de Lima, on peut bien sûr faire beaucoup de recoupements qui sont autant de phénomènes intéressants de la migration et de l'installation en ville. Mais des divergences sont prégnantes du fait de son caractère « hors les murs » c'est- à-dire « campesino » et non pas citadin, a priori.

Il s'agit donc d'une migration en milieu urbain qui s'est inspirée du système -aujourd'hui
bancal dans le dit contexte-- de la communauté paysanne, avec ses schémas d'organisation,
d'occupation et de répartition des sols. Elle concerne, pour la majorité, des gens venus des

Andes (donc provenant de diverses communautés, paysannes en général) mais dont l'installation --provisoire au départ-- directement au coeur de la ville a pu durer quelques années. En effet, le premier endroit où l'on s'établit est souvent fonction de celui de « réseau » qui a permis l'arrivée : proches, familles, connaissances...et cetera.

Comment la rencontre de tous ces profils peut former une sorte de tout, une appartenance propre, en même temps en même temps qu'il forme un maillage de conflits et d'intérêts divergents, vers une évolution de plus en plus urbaine du quartier...

Terres rurbaines ?

"Aqui es coma en la Sierra" - Ici c'est comme dans la Sierra...

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Tout a commencé avec la chancheria ou le développement de l'élevage porcin

La Vizcachera a déjà plus de 25 ans d'existence. C'est une sorte de composition au gré des arrivées. Tout a commencé par une porcherie, on le sait. C'est ainsi qu'aurait été fondée la communauté par « los fundadores » (les fondateurs). Et, peu à peu, les lieux se sont peuplés. Certains sont là depuis les débuts de la porcherie (los antiguos), et se sont organisés pour que la «chancheria» devienne un lieu de vie, avec les services nécessaires à la vie d'un lieu devenu quartier, et non plus un endroit lié à la seule activité d'élevage. Puis le nombre de pobladores16 a augmenté dans les années 90, notamment lorsque le président [de la communauté] d'alors a fait venir ses paisanos (compatriote de la région) de

16 Pobladores, ce sont ceux qui peuplent. Les «peupleurs »...En d'autres termes les habitants !

Huancayo...Enfin, il semblerait que le nombre de pobladores en quête de terrain ait été en augmentation ces 2 dernières années.

L'organisation politique

Elle appartient, par sa seule paroisse, au quartier qui lui fait frontière et par où il faut passer pour s'y rendre (Cainpoy), et parait intégrer le district de San Juan de Lurigancho. Mais elle appartient administrativement à la « Comunidad campesina de Jicamarca », dont elle est l'annexe 217, et dont « la » se situe, paradoxalement, loin de la ville, dans les hauteurs du département de Lima, "en la Pitual9 ". Elle est le centre des décisions malgré la distance et surtout le fait qu'il n'y résident de manière permanente, pas plus de 2 familles (sur 32 maisons 11). Cette incongruité a bien l'air d'être un poids pour la « Junta Directiva » (assemblée directive) de la Vizcachera... « Como falta agua, van a Lima » (comme ils [leur] manquent l'eau, ils vont [migrent] à Lima), explique Feliciano, le président de la Junta Directiva...

Communauté campesina versus communauté urbaine ?

A priori, la Vizcachera n'est pas une communauté urbaine, bien qu'elle soit peuplée de migrants venus s'installer à la capitale. Elle n'appartient plus à la capitale, bien qu'elle semble aspirer au même genre de développement et d'intégration (quoique.) que ses autres quartiers, et qu'elle lui soit reliée pour tout (échanges, transports, travail, marchés, etc....).

C'est une communauté paysanne, avec son système d'organisation de comunidad campesina (communauté paysanne) et d'usufruit de la terre lui appartenant. Mais c'est un système en conflit interne avec un désir de propriété chez certains. C'est une communauté paysanne bien que l'on n'y cultive rien, et que l'élevage de porc ne soit pas le lot de tous mais de quelques anciens membres de la communauté --« los antiguos », quelques récents habitants et quelques liméniens (qui ne s'y rendent que pour entretenir leurs cochons.

Histoires de la Vizcachera

C'est à travers les récits des uns et des autres que je tenterai de tracer l'histoire de ce quartier, faite de tant d' « histoires », dans lesquelles j'ai été plongée, presque immiscée...

I Plusieurs annexes se situent également (d'après la représentation que j'aiTive à en avoir) aux confins du district liménien de San Juan de Lurigancho, dans les collines qui le bordent, et sont bien plus liés avec le district voisin qu'avec cette matrice !...

te La matrice, soit la « communauté-mère », celle qui en est le « chef lieu »...

1') Elle se situe clans le début des _Andes. mais cette formation andine montent très vite jusqu'à plus de 5000m avant de redescendre autour de 3300m d'altitude dans le département de Huancayo... Aussi. la matrice se trouverai non loin de là. vers cette Puna. terme qui revêt une certaine connotation.

C'est le schéma inverse de ce qui se passe dans les Andes. on les annexes, éloignés de la « matrice » se dépeuplent pour venir habiter au Centro PohJcido ou capitale de district... Dans le cas de Jicamarca. c'est une conummatité dont les annexes les plus éloignées et basses se trouvent aux abords de la ville {Lima} et qui donc se développent au détriment du village matrice

Ils viennent d'Apurimac, de Cusco ou de Huancayo. Petits, ils ont quitté Andahuaylas, La Oroya, ou Churcampa parce que la vie ne leur promettait rien... Ils sont venus en masse de Akko parce que l'un d'eux leur a ouvert la voie. Ils ont été chassés d'Ayacucho ou de Huancavelica, le terrorisme a disséminé les leurs et a usurpé tous leurs biens. Ils ont parcouru des terres ou ont traversé la Selva. Un jour, ô quel jour, ils sont arrivés à Lima. Certains sont nés d'émigrés dans un quartier de la ville et ont préféré recommencer ailleurs. Et c'est à la. Vizcachera qu'ils ont trouvé refuge; des terres, des possibilités et une communauté ....

Ils ne vont plus aux champs, mais élèvent des cochons, ou des poules et des canards, et des cuves (cochon d'inde des Andes). Ils n'ont plus de vaches ou de moutons qu'ils doivent emmener pâturer. Ils ont juste à trouver quelques aliments pour les leurs et parfois pour les porcs, car de cette terre rien ne sort.

Ils ont laissé la polleran , et parfois gardé la rnarua22 . Ils ont laissé une maison, et aujourd'hui n'en sont qu'aux fondations. Ils n'ont plus l'aliment, ici tout est argent. Ils ont quitté leurs terres, ou les ont perdues ; aujourd'hui ils en conquièrent de nouvelles. Ils n'attendent plus la pluie qui vient en sa saison, simplement l'eau qui ne coule pas. Ils ne sont plus dans leur communauté d'interconnaissance, avec ses ancêtres, ses lieux, ses rites, mais créent de nouvelles appartenances qu'ils imbriquent dans les réseaux d'hier et de demain...Ils ne sont pas à Lima, juste à quelques pas... Ce sont ces quelques pas qui permettent de créer un "nous" dans un territoire fait leur (ou en voie de le devenir!) sans se faire dévorer par la chaos de la foule urbaine. Un "nous" qui se décompose, se déchire et s'unit au gré des aspirations... Une terre à laquelle on s'attache... ?

Où est la Sierra? Dans leurs rêves, leurs souvenirs, leurs pratiques quotidiennes, leurs inventions de vivre, leur imaginaire... Mais ne l'ont-ils pas quitté cette Sierra de leurs ancêtres en laquelle ils ont perdu la foi, pour aller chercher ailleurs ce qui là-bas ne fonctionnait plus ? N'ont-ils pas choisi de l'oublier en un nouveau vivre ici, pour construire et s'y faire valoir. N'en ont-ils pas gardé ce qui leur rend service, ce qui les fait rêver, ce qui les garde liés...Mais qui sont-ils, des migrants parmi tant d'autres dans la capitale?

Tous n'ont pas choisi. Certains ont été "envoyés" petits. Certains n'ont pas pu revenir. Certains ont tout perdu. Mais certains ont ici réussi... Est-ce une sorte de modèle qui donne cette foi en une vie meilleure ? Est-ce une nouvelle vogue qui circule et s'exacerbe dans les Andes depuis déjà. un certain temps, qui montre un ailleurs possible et préférable, dont on fait sien le désir ? Un bien être dans un ailleurs.

2! Poilera : jupe que porte les femmes dans la Sierra. Très ample, arrivant en genoux. Lorsqu'il fait froid, elle mette en dessous un caleçon long en laine...

22 Alanta : tissu que l'on met sur le dos pour transporter l'enfant, des affaires, ou les deux. On peut aussi l'étaler sur le sol pour poser son étal, sur le marché, par exemple...

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery