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La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

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par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

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CI Les conflits ou le lien à la terre. Histoires de possession

Rapport à la terre et défense contre l'invasion

d.

rappOri tbncier CSI un rappoTT social deternime par l'appropriation de l'espace

Tout lopin de terre semble sujet à des invasions --occupations informelles et illégales des sols,

impliquant une forme de possession "de fait"(illégale) (voir détail de la 3ème partie -

Depuis le début, on me racontait les invasions qui avaient eu lieu à la Vizcachera et la résistance inflexible des habitants. Je pensais que simplement, ils s'opposaient à ce que des individus prennent possession d'une partie de leurs terres, sans que leur installation passe par une décision de la communauté! Mais ces invasions étaient bien plus pernicieuses I

« La ronde nocturne, c'est pour protéger la zone. Ils veulent nous virer nous, ils veulent nous retirer ces terres...11 y a un type qui a acheté ici : il veut nous les enlever... Non il n 'habite pas ici. Il y a un jugement, et lui est avec le président de l 'association.

« Ori les empêche de s'installer. Quand ils arrivent et veulent envahir : on Tes vire, jusqu'à leur lancer des pierres. On fait la guerre ... Asqu 'à maintenant, aucun n'a réussi à envahir

Il y a un jugement, mais les terres communales, ils ne peuvent pas nous les enlever !... [Elle parle aussi des invasions à El ('hivo, un cerro de Campoy, qui a fait parler de lui : beaucoup de violence... presque une petite guérilla]

L]

« Tout le pueblo, nous avons lutté pour défendre nos terres. On les a jeté avec leurs esteras17 1, quand ils envahissent. Il y a 2 ans, ils sont venus envahir, ils sont arrivés tard, vers 20h... Il (le trafiquant) avait engagé des gens de mauvaise vie ("gente de mal vivir') pour nous virer... Dans ces cas, ils viennent en masse ! Un mois de repos, et de nouveau ils venaient ! Mais c'était dans un autre »

« .lis utilisent des innocents, en leur donnant 20 ou 30 Soles. On les arnaque. On leur dit qu'ils vont avoir leur terrain. C'est les gens de Mosquero (le trafiquant) qui lima ça, pour nous retirer le terrain. Mais on les a virés 111 y a eu des morts (un petit vieux). »

Nombreux sont ceux qui commentent la violence de ces affronts...Il. existe un certaine violence dans le rapport à l'espace, au sol et à la terre. Un rapport très exclusif (Voir paragraphe sur les "murailles" de Lima)

170

Etietme LE ROY : 1991 (cf txt analyse anthropo -juridique novatrice)

In « Avec leurs esteras » : figure typique de l'envahisseur qui vient à pied, traînant ses 5 nattes de paille qui permettent l'édification d'une cabane, 16' installation et occupation des lieux.

« On est venu parce qu'il fallait occuper le terrain de mon beau-père i« antiguo » qui est parti habiter ailleurs]. La communauté disait qu'ils allaient nous enlever le terrain. Il n'y avait pas de mur autour, rien. C'est pour ça qu'on est venu mettre un mur d'enceinte, puis y habiter. D'ailleurs, on me demande toujours de laisser l'autre moitié du terrain, qui sert de garage [son époux est chauffeur et y gare son conrbi ...mais il reste beaucoup de place bien sûr, on refuse... »

Une vieille dame m'interrogeait : « mais pourquoi tu ne t'achètes pas un terrain ici ? Quand tu ne seras pas là, je le surveillerai... ». Pourquoi pas ! Il me reste à construire la maison de mes mains... Comme quoi, il faut être sur place, ou faire garder ses terres

Le sens symbolique de la terre : Propriété et communauté

\Lur, --`

Ce conflit laisse entendre que les terres communales sont précieuses, vu cette défense acharnée. On s'en rend également compte par les prises de position qui provoquent des scissions entre les groupes --qui ont des effets conséquents sur la vie commune, n'oublions pas que la solidarité et la réciprocité comptent beaucoup dans les activités en tout genre --, c'est dire combien le statut d'occupation du sol et le rapport du « nous » à la terre sont importants.

Mais les terrains ne représentent-ils pas aussi, en raison de rusufruit" (rachat", dans les dires) d'un "lot", ce terrain propre, cette maison à soi, que chacun est venu chercher ? N'y a-t- il pas là une contradiction, entre un désir de "chez soi", qui passe par la propriété et ces terres dont ils jouissent mais qui appartiennent à la communauté ? Cela n'a-t-il que peu d'importance tant que les habitants ont "leur terrain", ou est-ce une première étape, en vue de pouvoir eux aussi "formaliser" leur statut foncier et obtenir les titres de propriété ? Le dirigeant a laissé entendre qu'évidemment, ils procéderaient à cette régularisation, une fois qu'ils auraient réussi à donner un terme à ce conflit.

Il peut sembler étrange de voir un tel attachement au sol commun... J'ai remarqué antérieurement que l'acquisition d'un « lot », d'une parcelle, d'un terrain était mis en avant par les habitants pour justifier leur venue et que cela semble être une réelle quête dans le parcours de migrant vers l'acquisition d'un "chez soi" et la construction d'une vie commune. Pourquoi les gens s'attachent autant à ces terres, à posséder "la leur", s'ils n'en sont pas réellement propriétaires ? Cela peut, peut-être, nous expliquer pourquoi certains rejoignent le groupe dissident.

En effet la propriété représente l'avenir de la communauté, puisqu'elle s"aligne"avec la tendance actuelle et peut prétendre elle aussi à ses avantages. On réalise aussi l'impact du système achat/vente, alors que tout est régi par des systèmes communaux, de possession (et ailleurs des possessions informelles).

Plus symboliquement, c'est peut-être un signe de réussite, d'ascension sociale, de stabilité
dans l'incertitude de la migration et une certaine « indépendance » vis à vis de la grande ville
et des rapports de domination qui peuvent devenir aliénants (se libérer de la "domination"

d'un autre - patron d'entreprise ou d'atelier, cousin, oncle ou compadre, maîtresse de maison pour les empleadas174, etc.), une sensation de liberté ?

Evolution et avenir de la communauté

Peut-on encore parler de communauté ? Certes, il s'agit encore d'une communauté campesina, mais la dimension qu'elle a prise ces dernières années ne lui réserve-t-elle pas une existence incertaine pour ces prochaines années... ? Elle n'est plus cette communauté de l'"entre-soi" peut-être prévue par les fondateurs, s'agrandissant tous les jours. Aujourd'hui elle est divisée par des intérêts divergents qui lui vouent peut-être un autre futur._ La lutte des comuneros saura nous le dire.

En outre, ne peut-on pas présager qu'elle appartiendra peut-être à Lima... Les habitants évoquent parfois cette possibilité...

Cela nous pose la question de l'avenir des terres communales, dans un tel contexte. Sont-elles vouées à être urbanisées ? Privatisées ?

***

Une identité entre campesino ou serrano, migrant, citadin ? La première semble désuète, ou latente, la seconde théorique (puisqu'ils ne se définissent pas eux-mêmes comme migrant en tant que tel --c'était une façon pour moi de désigner une situation vécue). Enfin celle de liménien semble primer sur celle de "citadin" mais c'est surtout celle de la communauté ou du quartier d'installation qui semble donner tout son sens. Ne peut-on pas penser qu'il s'agit plutôt d'un mélange du passé et du présent, et des aspirations propres avec les conditions qu'implique la migration ?

Nous allons voir comment cela peut s'appréhender dans les Andes.

En outre, ne peut-on pas se demander, au-delà des perceptions considérant qu'il s'agit d'une reproduction ou au contraire d'un effacement, si ce n'est pas plutôt une culture nouvelle qui se développe, une "culture de migrant" qui peu à peu s'assoit sur ses propres valeurs ?

174 Christophe MARTIN. Ibid.

I

i

I

I

I

I

I

I

2ème partie

VU DE LA SIERRA -- EXEMPLE DU DEPARTEMENT DE
HUANCAVELICA 5

CARACTERISTIQUES DE LA ZONE 7

Activités 7

Géographie 7

Structure agraire 7

Histoire 7

Démographie migration 8

TAYACAJA : REGARDS SUR. LES MIGRATIONS ET LES FAMILLES. 10

A Pampas et Akrakia 10

Pampas, ou le club de madresdu quartier de Chalampapa 10

Aller à Lima ? Une dame du district de Akrakia (village à côté de Pampas)

13

La question du départ 14

Salcabamba -- district de la province de Tayacaja 16

Avec Samuel, el tio de Lourdes 16

Avec le maire de Salcabamba 17

Efrain, de retour auprès de sa mère après un long périple... 17

Le chauffeur de "taxi" de Salcabamba 19

Des raisons de la migration aux modèles de l'ailleurs 20

Conquête d'un ailleurs : quête d'un futur ? 21

CHURCAMPA ET LA FETE. LIENS AVEC LIMA 23

La fête patronale - exemple des carnavals de Churcampa, dans la province

et à lima 23

De la tradition et du folklore dans la migration 26

Sapan waranwaychallay

sa pachallaykis

waqakullanki

chamana taya waqtakunapi

amaya

arna. chaynaqa waqakusunchu

wakcha lliki Ilikanchikta

imanchapa mayu jinam

wegenchik timpuy

timpukunqa!

iqaparikuspa!

iqayarikuspa!

ripukullasunfia

pasakullasunfia

iiiu llaqui

wakchakunata

a ysa rikuykuspa

chipay

chipaymi

ripukullasun

pasakullasun

kay maniapacha allpachallanchik

flogallanchikwan


·.K4.48,..&Da.tt.ttatiLea

îpasasunfia ripukusuntia

kuchpallafia ankallatia

timpukullaspal.

Lida Aguirrel, Arcilla, 1989

Née en 1953 à Pampas. Monolingue dans les premières années de sa vie (quechua). A 6 ans, elle part pour Salipo (selva de Junin) avec sa famille où elle reste 4 ans. Puis retour à Pampas et départ à Lima. Son père lui interdit de parler quechua, mais son grand père lui raconte des histoires et des blagues dans cette langue. A Lima,

Sonia estas liorando hierbita

r-

En la quebrada entre chaman y taya Ya no 'tores [no hay que llorar asi] Pobres...

Nuestra tela aralia

Como rio muy candeloso

Yanto hierbe (hervira]

Gritando gritando vamonos nos vamos

Jalando a todas nuestras penas

Nosotros bien envueltos latabiadosi nos iremos (bien ilenos / un montoni

Vantas y pasamos

Ay nuestra Madre tierra inuestar tierrita / pueblito] Con nosotros para que resucite

Nos vamos

Ya nos hemos ido / pasamos

Coma la galga rodando (volteandonos]

Como gavilan hirviendo Ibrotandof

Que (re)viva siempre con nosotros

Traduction orale et spontanée, par Maura (du quechua au castellano)

J'en ai reçu une traduction en français, et puis j'ai montrée la version quechua à une dame venant de la province de Churcampa qui habite à Lima (Sa mère l'a amenée à 13 ans pour travailler comme empleada, puis est repartie. Elle se rend là-bas, en général, lors de la fête des morts, pour sa mère défunte. Elle a 3 enfants, dont 2 aux Etats Unis). C'est avec émotion qu'elle me l'a traduit, en exprimant tout ce que pouvait exprimer et faire ressentir tel ou tel mot,

Le poème reprend le modèle du Huayno2 : on s'adresse à un végétal.

elle commence à écrire en espagnol, mais elle déchire tout. Elle entre à l'université San Marcos pour être assistante sociale puis se met à écrire en espagnol et en quechua. Elle enseigne actuellement à l'université de Cerro de Pasco.

2 Huayno : "C'est la "musique métisse" qui a accédé, au 20&''' siècle, à la diffusion massive à travers les fêtes populaires, les concerts dans les théâtres, les concours folkloriques et, depuis une cinquantaine d'années, les disques et les cassettes. Elle est très appréciée par les paysans des communautés indigènes et les maires de district s'efforcent généralement de faire venir un de ces groupes musicaux pour animer la fête patronale de la capitale du district, où affluent les membres de toutes les communautés environnantes. Le huayno [...] est le genre musical métis par excellence. Son origine est coloniale et on le danse en couple, sur le modèle des danses espagnoles, tandis que les danses d'origine précolombienne comme la qhashwa sont exécutées collectivement, avec des chorégraphies moins libres que celles du huayno. [...] Le huaylash est un genre de musique métisse spécifique à la sierra centrale du Pérou, en particulier à la vallée du Mantaro, mais dont la popularité s'étend à l'ensemble du pays. [...] Dans les concerts de huayno et de huaylash, les musiciens et les chanteurs arborent généralement le costume métis de leur région d'origine : jupe bouffante (poilera), chapeau et escarpins pour les femmes, bottes et ponchos pour les hommes. (D'après César Itier, Parlons quechua, L'Harmattan, 1997, p.145)

"Huayno : of ail the musical forms of the Andes, the huayno is the most common and widespread of ail. There are many local styles and instrumentations. It is danced by bath mestizos in the city and campesinos in rural areas. It is a dance for couples and is one of the few to have survived foret preColumbian times." (glossaire de "A survey of music in Peru", de Peter Cloudsley, British Museum, Department of ethnography, 1993, p 43)

Il n'est pas aisé de traduire ce poème. Le quechua est fait de métaphore qui n'ont pas un rapport figuré évident pour nous.

Argile (Thématique tellurique)

Petit Waranway3 solitaire

Solito nomas

Tu pleures

Sur les flancs couverts de chamana et de taypa4

Ne faisons pas ça

r

L

n

n

fl

r

Ne pleurons pas comme ça

[Sur] notre misères

Comme un épouvantable fleuve Nos larmes vont bouillir bouillir

En criant, en appelant

Allons nous-en maintenant Partons maintenant

En emmenant tout ces tristes pauvres6

Bien « empaquetés' » (serrés les uns contre les autres)

Allons nous-en

Partons

Pour que notre petite mère terre reprenne vie avec nous seulement.

Partons maintenant

Allons nous-en maintenant

Comme des galgal et comme des aigles en bouillant

Traduction de César Itier

(Professeur de quechua à l'INALCO), du quechua au français

Un peu contradictoire, sûrement parce qu'aujourd'hui, le Huayno a la connotation de ce qui est typiquement serrano, tout en se diffusant largement à la ville. Quand à l'origine ?...

3 Arbre épineux à fleurs jaunes. (Très nombreux à Pampas -- province de Tayacaja, département de Huancavelica)

4 chamana et taypa : des arbustes qui poussent à l'étage (écologique) de Pampas.

5 Lit : « Sur nos pauvres haillons déchirés »

6 « En prenant bien par le bras »

' Chipay chipaymi : c'est l'idée de quelque chose qui est très serré, où il y en a beaucoup. Par exemple, c'est la façon d'envelopper un paquet, quelque chose, avec des feuilles, des branches pour que ça ne s'écrase pas...

g C'est une grosse pierre qui peut tomber sur nous et nous écraser. C'est aussi ce que nous disait une vieille dame de Churcampa, comme menace, pour ne pas que l'on se rende dans un heu qu'elle considérait comme dangereux, ou indésirable.

Cheminement du poème :

De l'injustice à la colère, le départ s'annonce et au même moment se déclenche, et engendrant la solidarité.

En d'autres termes, on a trois phases dans ce poème qui représentent tout le mouvement. Tout d'abord, l'abandon dans lequel sont les paysans qui incite l'individu à la conquête des villes, puis, le refus de la passivité observée au départ du poème (quand ils pleuraient et se lamentaient...), qui exhorte les gens à agir tout de suite, sans hésiter ("vamonosya" ! Présence du présent (dans le fia = ya = déjà, tout de suite) et du futur dans le terme quechua : "npuicullasunfia"). Et, enfin le fait d'être solidaires entre pauvres.

Le départ a pour but la résurrection de la communauté

Structure du poème en un seul mouvement la force

Ce poème et son écrivain représentent au mieux le ressenti de la migration. Lida Aguirre a une vie ordinaire (c'est le chemin de beaucoup de gens de sa ville) : très jeune, avec sa famille, elle part dans la toute proche Selva, puis ils partent à Lima. Son père lui interdit de parler le quechua, c'est très mal vu dans la capitale : il faut mettre de son côté toutes les chances d'être "accepté" dans la cité. (Le quechua est la marque de l'infériorité, de la discrimination, de Pindianité". Honte ! Et pourtant, il peut tant exprimer !)

Regard sur la sierra et la migration

La structure de ce poème est aussi le cheminement de la réflexion que l'on peut mener. Se rendre compte des conditions dans la sierra, qui poussent les gens à partir, autrement dit, la « dépaysannisation » et l'attrait pour d'autres choses. C'est une culture vivante on ne se laisse pas dépérir et on va chercher ailleurs ce qu'il n'y a pas, pas de résignation devant la pauvreté et donc la décision du départ, avec un caractère conquérant !

On entre ensuite dans la dynamique de la conquête de l'ailleurs, de la ville. Elle a pour conséquence positive la résurrection de la communauté, on refait vivre la terre mère, celle d'origine (envoi à ceux qui restent, retour pour les fêtes...) et la nouvelle que l'on fait renaître sur une autre terre, c'est l'appartenance, le lien. C'est grâce à la solidarité et à la constitution en communauté que l'on va s'en sortir, en étant tous ensemble (« bien empaquetés, serrés les uns contre les autres »).

Vu de la sierra -- Exemple du département de Huancavelica

Il ne s'agit pas de comparer la façon de vivre de "là-bas" et d"ici" (Sierra/Lima ou LimalSierra, selon le point de vue), mais de transmettre le regard des habitants eux-mêmes, à travers leurs témoignages et leur vision et ce, par le biais de mes rencontres et de mes choix, inéluctablement. Cela est évidemment trop succinct et demanderait à être approfondi.

Par la suite, je propose d'articuler les deux facettes de la migration à travers l'attachement à la terre, dans deux mondes qui s'enchevêtrent, s'opposent et s'attirent. Enfin, je m'interroge, à travers ce processus migratoire, sur la notion de propriété, son sens et son évolution.

N.B : Je ferai, dans cette partie, quelques liens entre la Sierra et l'adaptation des migrants. Cependant, je laisse au lecteur la liberté de s'interroger et de faire des liens, de peur de systématiser ou d'interpréter trop hâtivement.

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Nous voici donc dans la Sierra centrale, dans le département de Huancavelica, sur la partie proche de la ville de Huancayo (département voisin de Junin), grand carrefour au milieu de la Sierra, dont l'activité est incessante entre Lima et la proche Selva (de Junin).

Si l'on voulait s'intéresser à d'autres genres de migrations (pas si différentes, simplement qu'elles demeurent plus en lien direct avec la province dont les gens proviennent), la ville de Huancayo aurait été intéressante. En outre, nombre de personnes du nord du département de Huancavelica y ont choisi résidence. Bien que très dynamique sur le plan des échanges économiques, la ville n'en perd pas moins son caractère andin, en zone urbaine.

Les gens des provinces du Sud du département migrent plutôt vers les vallées et la côte de Ica. Et ceux de l'est, vers le département et la ville d'Ayacucho.

Parmi les gens que j'ai rencontrés dans les provinces dans lesquelles je me suis rendue, nombreux sont ceux qui ont séjourné à Huancayo et qui y ont des membres de leur famille.

Différentes coïncidences m'ont amenée dans ces provinces, des gens que je connaissais, qui y vivaient, qui s'y rendaient, qui connaissaient un tel, qui connaissaient un autre... et des choix pour lesquels j'ai opté.

Les carnavals...

Après un séjour lors des carnavals de Churcampa, j'ai rencontré Téotilio9, le spécialiste en la matière des migrations au Pérou, qui m'a proposé de le rejoindre dans de la vallée du Mantarow, pour les fêtes de carnaval, afin d'y "recueillir" des données (!!) et de connaître ces coutumes (et de danser prestigieusement à son bras --sauf que je n'étais pas une vraie anthropologue parce que je n'ai pas voulu me déguiser, mais ça va je me suis rattrapée parce que j'ai dansé, c'était pour l'anecdote !) Je suis donc allée dans la petite ville de Jaujail ainsi que dans d'autres villages alentour. La fête était partout présente, un quartier organisait son carnaval en même temps qu'un autre. On aurait presque dit que chacun devait se montrer le meilleur, une sorte de concours tacite... Certains dansaient élégamment autour de la place pendant que d'autres défilaient dans les rues et jetaient du talc ou de la farine sur les passants pourtant avertis... ! Quel mayordomon offrirait la plus belle fête... A la fin du défilé, c'était le grand moment du Cortamontel3 , et il fallait danser autour de l'arbre, malgré la pluie. Pas de déguisement : interdiction de participer Cette fête-là paraissait jouir de tous les prestiges, et la moitié des participants semblait venue de l'extérieur...

Dans les villages alentours, les festivités allaient bon train, selon les jours...Dans le petit village de Paca une dame me disait que cette année, il n'y avait pas beaucoup de monde. Beaucoup de gens étaient partis... Le mayordomo, lui aussi venait de Lima. Et tout autour de la placette, l'on s'abritait devant les maisons pour échapper à la canicule et "descendre" les caisses de bières...

Ce n'est donc pas dans la vallée du Mantaro que j'ai choisi de revenir, mais dans la province de Tayacaja, voisine de Churcampa... Je n'ai pas opté pour "faire l'étude" d'une communauté ou d'un village, puisque la migration ne se réduit pas à celle d'un point A à un point B. Aussi, après avoir présenté la région, je donnerai un aperçu des migrations depuis la province de Tayacaja et un district de celle-ci. C'est à travers les fêtes de Churcampa que l'on

9 Teoflio Altamirano Rua

10 C'est la vallée qui s'étend aux alentours de Huancayo, où passe le fleuve Mantaro

Première capitale du Pérou, créée par les colons, avant de se transférer dans l'oasis de la côte, Lima_

12 Le mayordomo est la personne élue pour organiser la fête.

13 Cortamonte : une tradition de carnaval, qui consiste à danser en couple autour d'un arbre et à lui donner un coup de hache quand vient son tour. C'est à ce moment là que l'on est invité à boire quelques breuvages... Celui qui fait tomber l'arbre sera le mayordomo pour l'année suivante.

n

L

s'intéressera aux liens entre la ville et ses migrés et le rôle du folklore. Ensuite, je soulèverai la question de la terre et du monde paysan, centrale dans la migration.

Caractéristiques de la zone

Activités

Bien que son activité économique principale soit agricole et pastorale, Huancavelica est
considérée comme un département minier. L'activité minière utilise peu de main d'oeuvre de
la zone et son impact négatif sur l'environnement est considérable : sur la transformation du

sol, la qualité de l'eau et de l'air. Néanmoins, d'importantes mines sont encore présentes.

Agriculture. Principalement cultivées, l'orge (cebada?), l'avoine, Volluco (tubercule andin), la pomme de terre 1 'oca et la mashua. (Prix de la pomme de terre : « 0.10 S/'4. /kg a.0.70 S/. /kg. en blanca y en la amarina de 0.40 S/. /kg a 1.00 SI. /kg ». Effectivement. le cours de la patate est très bas, ce que déplorent les paysans ces temps-ci).

Elevage. Etant donné ses hauteurs. la région a développé un important élevage, avec de manière décroissant, l'élevage ovin, bovin, l'alpe& les vigognes, les lamas et les guanacos (les 4 derniers étant des camélidés, 30%)

Géographie : La région présente 5 des huit sous régions naturelles du Pérou

- Zone Yunga : de 500 a 1500 mètre d'altitude (cultures de café, de canne à sucre, de fruits, cucurbitacées...)

- Zone quechua, de 1500 et 2500m (culture de maïs, légumineuses, cucurbitacées, fruits... et c'est une zone de pâtures naturelles)

- Zone Suni, de 2500 et 3500 m (maïs, pomme de terre, kiwicha, quinua, oca olluco, mashua (ces 5 dernières sont des cultures andines) fève, petits pois, haricots, et des fruits à noyau ; et des pâtures naturelles.

- Zone Puna, de 3500 à 4500, ce sont les pâtures naturelles qui prédominent. On cultive la pomme de terre native, oca, olluco, cebada, avena, mata. C'est dans cette région que résident les camélidés sud américains... C'est aussi l'habitat de faune sylvestre (comme les vizcacha... ).

- Zone cordillère, à partir de 4000m (jusqu'à 5200 !). Il n'y a que des pâturages naturels et des déserts sur les glaciers... On y trouve surtout les vigognes, les lamas, les loups andins, le condor...

Structure agraire

79% du territoire de la possession de la terre correspond à la propriété communale. Le reste appartient à de petits propriétaires individuels sans titres de propriété. La taille des parcelles dans la possession communale est de 0.25 ha par famille, consacrée à la production agricole. Elle est plus importante dans la possession individuelle, mais seulement 1.5% ont des parcelles de plus de 50 ha alors que 80% ont des parcelles entre 0.5 et 4.9 ha.

J

LI

On distingue les producteurs "d'autosubsistance" --je cite - (toute la production agricole est destinée à la consommation, mais 90% du bétail pour le marché) de ceux qui produisent pour le marché. Ces derniers habitent plus aux abords des villes et possèdent plus de terre... (5 à 50 ha par famille 0. Leurs aspirations économiques sont lucratives et leur organisation exclut les principes de fraternité, de solidarité et de coopération (je cite).

Histoire

Huancavelica entre dans l'histoire par la porte coloniale quand le conquistador espagnol
découvre le mercure. A cette époque la ville a, comme Mexico, plus d'importance que

14 Ce qui ne fait même pas 0.03 cts d'euros.

Londres ou Paris...Marginalisé pendant 150 ans, par oubli de la république aristocratique, le département continue à donner des bénéfices à Lima avec les produits agricoles de ses haciendas.

A l'époque coloniale, la région de Huancavelica a été grandement exploitée pour ses mines. L'exploitation minière colonial requerrait une abondante main d'oeuvre, puisée dans une zone géographique assez ample. L'administration vice royale15 garantissait la disponibilité de travailleur par le système de la "mite". La production de mercure et d'argent généra la plus grande richesse de la couronne espagnole, notamment la fameuse mine de Santa Barbara. Quand la période de grande productivité cessa, la mine comme la ville de Huancavelica commença à chuter... Elle fut totalement oubliée.

De l'indépendance du Pérou à nos jours... Huancavelica était devenue la « ville fantôme »... Elle ne disposait pas d'autre recours pour couvrir le vide laissé par la chute de la mine de mercure. Son activité agricole et d'élevage était dans les mains d'une caste "féodalisant", propriétaire d'haciendas traditionnelles et improductives. L'apport des communautés paysannes était insuffisant, limité à l'autosubsistance...qui n'échappait pas à la suprématie de l'hacienda. C'est au 20 siècle que l'activité minière commença à resurgir, mais pas au niveau d'antan.

La réforme agraire, promulguée par le général Velasco au début des années 70 n'a pas donné les résultats escomptés : principalement, en raison du manque d'accès aux crédits et â. l'assistance pour les petits producteurs... Trente ans ont passé depuis la réforme agraire et peu de terres ont été redistribuées aux communautés paysannes.

Pendant les années 80, l'action de la violence politique du Sentier Lumineux accentua le retard du département, en agissant contre les commerces et installations minières et en obligeant les carnpesinos17 à s'enrôler avec eux...

Ces dernières années, les terres qui avaient été abandonnées, sont en train d'être récupérées, par le retour des comuneros18déplacés par la violence.

De nombreuses mines ont été fermées... [C'est le cas d'une dame de la Vizcachera qui est partie parce que son mari travaillait à la mine]

D'autres ressources ne sont pas exploitées et ont été abandonnées, comme l'élevage des camélidés. Huancavelica avait été le premier producteur de fibre de laine...

Démographie/ migration

Huancavelica se dispute avec Apurimac la faible augmentation de sa population (de seulement 1.67% en 60 ans, contre 3.81% au niveau national. Ce n'est pas seulement le haut taux de mortalité, mais aussi « la constante sangria de l'émigration19 ». C'est le département, qui proportionnellement expulse le plus d'habitants (le ne le savais pas, et ce n'est pas pour

15 Du « Vice royaume », régime colonial

16 "Mita : travail forcé imposé aux Indiens qui devaient travailler par roulement (pour des périodes d'un an tous les sept ans), dans les mines ou dans les ateliers à l'époque coloniale. La mita, instituée en 1572 par le vice-roi Francisco de Toledo, ne fut abolie qu'en 1812".Mitayo : Indien tributaire âgé de 18 à 50 ans, qui allait travailler dans les mines sous le système de la mita.

In : Carmen Salazar-Soler, Anthropologie des mineurs des Andes, L'Harmattan, 2002, p. 358

17 Paysans

18 Membres de la communauté

19 Main -- Huancavelica. Atlas departemental del Peru. N° 10. 2003. ed. PEISA. La republica

cela que je l'ai choisi) ; la majorité est partie vers la capitale, mais un bon nombre aussi vers les départements proches : Tunin (Huancayo), Ica et un peu Ayacucho. Huancavelica est une région située entre ces 4 départements et selon la zone géographique on s'oriente vers la plus proche... Certains mois, des gens s'en vont dans les villes les plus densément peuplées pour offrir leur main d'oeuvre dans la construction et le commerce ambulant et pouvoir compléter leur "panier" familial de base (revenus).

Un cas intéressant à étudier eut été, par exemple, celui des émigrés de la zone Sud de Huancavelica - les districts de la province de Castrovirreyna dispose désormais d'une route qui dessert la côte (dans le département de Ica). N'oublions pas que nous sommes dans une région de hautes montagnes et profondes vallées. Deux villages peuvent parfois paraître proches sur la carte mais ne sont pas reliés par une route, et sont séparés par de grands abîmes. C'est donc dans la ville de Chincha, célèbre pour sa population d'origine africaine, qu'ils ont élu domicile.

L'émigration de ce département s'est accentuée pendant la violence politique, mais est due à de nombreuses causes économiques20...

C'est dans le nord du département que se situe la majeure partie de la population (Tayacaja, Acobamba, Churcampa)

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47o de sa population vit en milieu rural (le plus haut pourcentage du Pérou)

(Churcampa n'a que 14.8% d'habitants dans les ensembles urbains) c'ets pour cette raison que ceux qui migrent s'en vont vers d'autres département (et peu à vers les villes de celui-ci...)

ü 27.5% de sa population est analphabète (34% selon INEI, surtout des femmes et une population adulte). Mais aujourd'hui, la majorité dispose de services sociaux (centre de santé et poste de santé) 10` 79% n'a pas dépassé le niveau d'éducation primaire

ü C'est aussi le département avec le plus grand pourcentage de personnes parlant le quechua comme langue maternelle (67%)

ü En comparaison avec Lima, les gens de Huancavelica ont une espérance de vie de 20 ans de moins I

ü La mortalité infantile est très élevée, et la dénutrition chronique importante.

ü L'accès aux services est très restreint : seulement 64.9% de la population dispose d'eau potable (en 2000) (au lieu de 72% au niveau national...). 92.1% ne possède pas le tout à l'égout.

ü Très paradoxal, seul 32.4% de la population dispose de l'éclairage public (69.3% au niveau national), alors qu'il s'agit du département qui génère la plus grande quantité d'énergie électrique, avec sa centrale hydroélectrique sur le Rio22 Mantaro : elle ne jouit ni de l'énergie produite, ni des bénéfices de celles-ci (centralisation... f), et pis r Le coût de l'électricité pour Ies habitants est plus élevé qu'ailleurs...

ü L'indice de développement humain des nations unies situe Huancavelica à l'avant dernière place. Encore faut-il savoir quelles en sont les références...

Le message délivré par ces statistiques démographiques : éloquent : « des chiffres terribles qui dessinent une situation de retard centenaire et qui sont également un urgent appel à l'action qui doit mobiliser tout le monde : l'Etat, les entreprises privées, les ONG, et bien sûr, les habitants de Huancavelica 23».

Huancavelica est classée comme région d'extrême pauvreté, puisque les nécessités basiques ne sont pas satisfaites. D'après L'INEI, plus de 90% des foyers ont des carences de logement, de santé et d'alimentation.

Ibid.

21 Sources INEI (Institut National de statistiques et informatique)

22 Fleuve

23 Ibid.

TAYACAJA

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein