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La migration andine, rapport à la terre et conquête de la ville. Entre Huancavelica et la Vizcachera. De la Sierra à Lima.

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par Tiphaine POULAIN
Université Paris VII - Denis Diderot - Maitrise Ethnologie 2005
  

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B/ Les tensions, ou l'exemple de la fête de la croix ou procession dans la
chancheria

Au Pérou, le mois de mai est celui de la croix. On peut assister dans tout Lima et dans toutes les provinces à des processions de la croix, de leur croix. Oh, pas n'importe quelle croix ! Elle symbolise pour le lieu auquel elle appartient ce que sont les images aux yeux des habitants. Aussi, chaque communauté possède une croix encastrée quelque part, qui sera déplacée lors des processions.

A titre d'exemple, Isabel, dont la maman vient de Pampas (prov. Tayacaja, dep.

-, Huancavelica) explique que si elle n'a pas besoin de retourner là-bas (elle ne va pas aux fêtes, sa mère s'y rend juste une fois par an pour « Todos los santos », le ler novembre), c'est parce qu'elle a ici, la croix de sa communauté. Cette croix semble vénérée, elle serait ancienne et originelle. Le 29 mai, chaque année, ils la sortent et organisent une fête pour perpétuer cette tradition de là-bas...

Chaque ler mai, depuis les débuts de la communauté (de la Vizcachera), une procession dans la chancheria est organisée par un membre de la communauté, appelé en cette occasion «mayordomo159 ». La croix se trouve d'ailleurs plantée dans un rocher, au fin fond de la porcherie : c'est de là que démarre la procession. Cette fête aurait été instaurée dès le début de la communauté par les éleveurs de cochons. C'est pour cette raison qu'elle se déroule sur leur lieu de vie/travail! La communauté a, dès lors, mise en place sa propre fête religieuse...

Il y toujours l'avant et l'après fête... C'est en fonction de cela que je présenterai les commentaires de quelques uns.

« On n' y va plus parce que ce n'est plus comme avant... »

[ Me dit Cirila. Avant que cette fête n'ait lieu, on en parlait déjà... : « On y va pas, parce que

c'est les "mayordomos" qui la font... ». Que veut-elle dire ? Son époux la reprend : « il faut
bien lui expliquer ! »...C'est en fait parce que c'est telle personne, le mayordomo, celui qui

1 I organise....et qu'il est un membre plus qu'actif de l'association... On ne va pas l'appuyer !!
Parce que l'on ne souhaite pas s'impliquer (dans le sens de partager une même fête) ou parce que la participation suppose une certaine réciprocité entre les membres (on collabore et en retour la personne fera de même), réciprocité qui n'a pas lieu d'être dans des rapports aussi antinomiques

Avant, ils y allaient toujours. La plupart d'entre eux ne semblent plus y participer, mais ils racontent avec fierté la fois où ils l'ont organisée personnellement.

« Il faut que ce soit bien ! Le groupe de musique, la nourriture, le "trago" (la boisson
alcoolisée).. jusqu'à aujourd'hui, tous se souviennent de ce qu'on avait organisé ! Ça
commence la nuit, la veille16°, on danse, on boit...et ça continue le lendemain avec la

159 Ce terme est largement diffusé dans la Sierra pour désigner la personne qui a en charge de préparer et d'organiser la fête de sa communauté. Il est désigné lors de la fête pour l'année suivante... Cest une tâche onéreuse et de grand prestige...

160 Toutes les fêtes patronales_ religieuses, commencent par une veillée festive... Il existe une trilogie festive : la veille, le jour central et la clôture...

procession... Et ça coûte cher d'organiser ! Maintenant, on ne peut plus. Ilfallait tuer 2 cochons ...Et il faut participer aussi ("collaborer") ... »

«Maintenant, il y a beaucoup de désunion. Avec les derniers arrivés ...et ils invitent seulement ceux qu'ils veulent ! Avant, c'était tout le monde I ».

Et de parler en quechua avec son mari...et des disputes dans la communauté...

Carine (fille de fondateur) chez qui j'allais souvent, reprend ces impressions :

« Avant c'était différent la fête de la Sanctissime croix. Maintenant, l'organisation est faite par un mayordomo. Les gens y vont pour manger. Les gens ne donnent plus, les gens n'aident plus. Avant, si... »

Quelque chose de plus communautaire ? Avec des services rendus les uns aux autres ? Une sorte d'ayni ?... C'est aussi la nostalgie des temps premiers qui apparaît. Celui où la communauté vivait en petit nombre... On regrette toujours la tradition d' "avant"

Et puis surtout, la réappropriation par le groupe antagoniste, cette année, de la fête

**

Le l' mai, jour de la procession

Elle ira d'étapes en étapes, là où quelqu'un a été désigné pour collaborer161, en offrant breuvages (boissons gazeuses, bières et chicha) et collations... Chaque étape étant l'occasion de danser aux rythmes de la banda, groupe de cuivre

Elle se poursuit ensuite dans les parties habitées, allant des maisons (idem : maisons de ceux qui collaborent) où une image est présentée, aux lieux publics comme le collège et la paroisse...La procession se disperse au fur et à mesure de la promenade, mais d'autres participants la rejoignent

161 il y a toujours des gens qui "collaborent" avec le mayordomo...

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i.

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Vers les habitations...

A travers la chancheria.

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104

Arrêts... Une petite chela162, on se laisse prendre par une petite danse... ah ! La fameuse participation observante! !

Des images sont exposées à l'entrée d'une maison. C'est le moment de s'arrêter pour la vénérer, et de s'abreuver pour la énième fois.... E puis, quelques amuses gueules

de plus, pourquoi pas !

62 Chela : bière en argot péruvien...

 

Chicharronada : Préparation de chicharron dans une des rares habitations de la chancheria...

Ce jour là...

...Je ne pense pas rencontrer Cirila qui n'admet pas l'incursion de certains dans le groupe de la procession de cette année, "pro-association" (c'est mon terme).

Et pourtant, je l'y trouve, son petits fils sur le dos, et sa fille à ses côtés...

Elle y est allée juste « pour voir », parce que sa fille le lui a demandé.

Chismes163...d'après fêtes !

Commentaires de Cirila:

« Avant, c'était différent. Là, il n'y avait presque personne y en a qui sont venus de leur

pueblo [cf. les dames habillées « façon Sierra » -chemisier, chapeau et polleras16].en fait, beaucoup sont venus du dehors... ils ne sont pas d'ici... » Cirila me commente les différents endroits où ils se sont arrêtés.

163 Chisme : ragots, commérages, bavardages malveillants...

164 Poileras : jupe bouffante portée par les femmes andines

Et cet homme ? Cirila a demandé à Billie (photographe) de le prendre en photo au moment où il me parlait... pourquoi ?! « au cas où... » :

« Lui, il est contre nous... ils l'envoient de l'association... il vient, il s'immisce. Il est leur `sécurité', leur garde civil à eux...

« Oui, il y a beaucoup d'embrouilles. Avant, non, quand on était moins--mais depuis les histoires avec l'association et tout...si... »

« Il y a des trafics de terrains à Lima. C'est les gens qui ont acheté ici... (L'entreprise). Ils ont pu le faire, parce que les propriétaires sont la matrice [pas nous], qu'ils se sont aussi entremis dans tout çà...Et ces trafiquants, ils sont avec l'avocat de Montesinol 6 5, tu te rends compte ...I1 Pourquoi tous ces problèmes de jugement avec des gens corrompus ! »

Pour continuer dans les commérages, nous voici avec Lila en train de « chismosear166 », quelques jours plus tard, sur le même thème... Elle n'y est pas allée, et me dit qu'il n'y a dû y avoir que « 3 chats » (« pas un chat », dirions-nous !)...

« C'est le président de l'association qui était k Mayordomo. La plupart des gens n'étaient pas d'ici, mais de l'extérieur... L'année prochaine, ça sera Untel... qui à habite là... [en me montrant] Bon, il n'est 'pas tant" de l'association... même si... »

Tiens donc, comment sait-elle que ce n'était pas des gens d'ici si elle n'y était pas...!

Cette fête serait donc LA fête du pueblo. Mais plus maintenant. Il y a beaucoup de disputes, de conflits... (C'était la première à me parler de cette union dans le quartier !).

« Les gens qui se mettent dans l'association sont des traîtres ! On leur promet des choses, alors ils y croient et s'y joignent... »

Isabel me dira que ses parents m'ont vue à la procession (ils le lui ont rapporté parce qu'il pensait reconnaître la gringa de la vidéo faite lors de la fête de Churcampa ("capitale" de la province éponyme, département de Huancavelica) ; et maintenant, ils la voient traîner dans le quartier et se mêler aux festivités !? !)...Et elle m'affirme que si, ce sont des gens d'ici...

Que voulait dire Cirila par le fait que ce ne sont pas des gens de la Vizcachera ? Qu'ils sont des traîtres ? Qu'ils font partie de l'autre groupe ?...qu'ils ont certes des chanchos mais ne vivent pas ici ?!!! Ou bien les mayordomos ont effectivement fait venir des proches de l'extérieur ? Mais ces derniers sont d'ici et ceux qui "collaborent" aussi.

Cette fête semble en dire beaucoup sur les conflits de la Vizcachera, sur les groupes qui se divisent, sur les positions que l'on prend en commun, les gens que l'on appuie ou discrimine... Aussi, ce qui semble être le « fondement » de la communauté...tend à disparaître avec les enjeux d'aujourd'hui... Les terres de la Vizcachera semblent être le terrain de profonds désaccords. Les attentes semblent diverger, même si, au-delà des discours antagonistes, on s'oriente vers une reconnaissance de la propriété, les manières d'y accéder étant différentes. La communauté se défend, et bien qu'elle aspire à une formalisation de la propriété (individuelle ?), elle ne se laisse pas attaquer ni démantelerde l'extérieur.

1 Montesino est l'ancien chef du SIN, Service d'Intelligence Nationale (qui a changé de nom et a été restructuré depuis) il était le bras droit de Fnjimori. et dernier président avant Toledo. l'actuel. qui a été déchu de ses fonctions et « interdit de séjour », et Montesino, accusé pour détournement de tant d'argent !

166 Chismosear : cancaner. conunérer. Je laisse e ternie

Le flou des allusions de mes interlocuteurs ne permettait pas une explication cohérente et chacun y apportait son propre point de vue, le plus souvent obscur et controversé I

***

Le rapport à la terre comme vecteur des appartenances et régulateur des relations sociales

La confusion « On ne sait pas quelle est la vérité... Qui peut --on croire ?... Avec l'association, on ne sait plus qui dit la vérité... »

Situation « on ne sait plus qui croire ! » C'est un peu ce que chacun exprime ; ils virevoltent d'un groupe à l'autre selon les intérêts mis en avant. Des invectives plus ou moins soutenues sont proférées contre les différents protagonistes : les anciens, les nouveaux, les comuneros... Les plus prononcées s'adressant bien sûr à ce maudit acheteur des terres de la Vizcachera...On s'identifie à ceux-ci, à ceux-là, selon la place que l'on occupe, en fonction de son arrivée en les lieux, des rapports établis et des intérêts personnels...

Pour tout le monde c'est la confusion. Pour les habitants, pour moi, et pour le lecteur ... Comment rendre compréhensible cette situation ?! S'il est intéressant de le faire, c'est parce qu'elle nous éclaire sur les rapports entre les habitants, l'importance de la terre, et le sens de la communauté.

« Le problème, c'est qu'il y a deux "Directives167 ". Qui peut --on croire ?

Deux "directions" ...quelles sont-elles ?...La communauté et l'association ? La communauté et la matrice ?

Comment se positionne-t-on ?

La Vizcachera est en grande partie peuplée de gens venant de la Sierra. Et, les enfants de ces premiers habitants sont revenus ou continuent d'y habiter (21idè génération). En outre, quelques personnes de Lima sont venues s'y installer (pour la plupart enfants d'immigrés également). Pour eux, les conditions de la Vizcachera sont un peu "arriérées". Ils ont quand même choisi de venir s'y établir.

Ti y a cette distinction anciens! nouveaux dont on a parlé...

Et, constituée de quelques habitants, l'association. Elle semble composée d'anciens qui, peut- être, revendiquent leurs terres pour l'accès rapide à la propriété (face à tant de nouveaux habitants depuis ces années 0 et d'autres, plus ou moins nouveaux... Aux yeux des membres et défenseurs de la communauté : tous, des traîtres. Pourtant membres de la communauté, ils soutiennent ceux qui s'y opposent, c'est-à-dire ceux qui ont formé l'association. D'après les habitants, certains s'y sont ralliés, attirés par les promesses alléchantes de l'entreprise (relayées par l'association) obtenir des titres de propriété tant convoités à Lima. Promesses de propriété, d'émancipation... Serait-ce cela ? "Enquêteur" ou lecteur, on s'y perd

167 la "directive" c'est la « junta directiva » c'est-à-dire les « élus » qui dirigent le quartier, la communauté.

Les habitants, eux, ne semblent pas se perdre (heureusement 1) ; ils sont plutôt perplexes, ils ne savent plus qui croire et en qui avoir confiance : qui détient la vérité des faits ? Mais ils savent pertinemment quelles sont les alliances et la séparation n'en est que plus évidente... On ne joue pas les hypocrites. On se sépare et s'oppose... Sauf pour les quelques fourbes, qui n'avouent pas leur perfidie... Y a --t-il des attitudes de méfiance ?

Voyons comment se manifeste ce jeu de rapport et les prises de positions.

Certains enfants d'antiguos semblent n'avoir jamais quitté la Vizcachera. Mais d'autres sont revenus après un séjour dans une zone proche, plus urbanisée. Ils ont donc un autre regard... Ils témoignent de leur situation : ils jouissent des terrains prévus par leurs parents à la base pour leur famille uniquement. Chaque comunero disposait d'une grande parcelle -400m2, ainsi que divers terrains de bonne surface --environ 200m2 pour leurs enfants et petits enfants, alors que désormais les terrains octroyés ont une surface autour de 100m2.

Certains ne se reconnaissent guère dans les initiatives de la communauté, faite de nouvelles personnes et de nouveaux présidents défendant des intérêts toujours nouveaux et qui leur sont propres. Ils semblent se situer plutôt comme héritiers légitimes (du moins plus légitimes !) de ces terres... Ils ont foi en ce que leurs parents --les antiguos- ont fait (ce n'est pas pour autant qu'ils appuient tous le même groupe...).

« Les terrains appartiennent à la communauté... Elle est autonome et elle a l'usufruit, mais elle n'est pas propriétaire...c'est Jicamarca, Matacuna qui l'est ... Les problèmes sont légaux, déjà... Les Watos criadores" (Premiers commet-os éleveurs, de plein droit), ont donné à l'époque les terres aux 60 autres...

« L'entreprise dit qu'elle a acheté les terres à la matrice... Ça, c'est une autre histoire...

« Ça va s'agrandir...II ne va plus y avoir les cochons...Et donc les terrains sur lesquels ils sont regroupés, vont acquérir de la valeur ...et pourraient être vendus....... «Ah ! si c'était privatisé »

L'"histoire" de l'achat des terres, ne s'imbrique-t-elle pas dans les problèmes inhérents à la communauté ? Plusieurs dissensions se confondent... Isabel et son mari, tous deux enfants d'antiguos, aspirent à la propriété, de toute façon. Il sont un peu hésitants, car ils n'appuient pas complètement l'association (le père y est membre fervent 1), du moins c'est ce que laisse paraître leur discours. Néanmoins, ils se sont détachés de la communauté et à terme, espère la propriété... (au plus vite même !)

« Le problème avec les terrains ? ... Tout est en jugement... f On ne sait pas quelle est la vérité. Moi je sais que ces terres sont celles de mes parents, comme premiers comuneros, comme premiers fondateurs... Çà fait trois, quatre ans que nous sommes en jugement. Si on nous dit que l'on n'est plus comuneros [que la communauté disparaît], moi je sais que ces terres sont celles de mes parents. Et puis peut-être que personne des deux gagnera...parce qu'il y aura la route [elle est aussi sur le tracé de la route ...j. Malgré tout, je construis... »

Carine semble se considérer comme bénéficiaire légitime de ces terres : elles lui viennent de
ses parents, plus que de la communauté ou de l'acheteur...C'est la seule certitude sur laquelle
elle s'appuie... Quelle preuve en a-t-elle ? Des titres ? Il me semble que même le "certificat

de possession" (en tant qu'usufruitier d'un terrain de la communauté) n'est même pas validé, puisqu'une dame disait que c'était le minimum qu'ils espéraient de "cette histoire"...

Les organes principaux

La matrice : C'est elle qui est propriétaire de l'ensemble... c'est donc elle qui est en procès avec l'entreprise ? (où la communauté s'oppose également à sa matrice à cause ce litige ?)

L'entreprise se consacre à l'achat et à la vente de terrains. C'est elle qui a acheté les terres de la communauté campesina de la Vizcachera. A terme, au travers du trafic de terrains, l'entreprise immobilière veut vendre, et revendre les terres de la Vizcachera, les ayant achetés à un prix insignifiant. Construire et vendre (on entend parler de projets de construction sur le relleno, la partie consolidée du trou). Elles sont pourtant censées être vendues pour l'agriculture et l'élevage (conformément à la loi), si au moins elles en avaient les conditions...

L' association

En général, une association « de vivienda » (logement) est l'union juridique de différentes personnes autour du logement. En d'autres termes, il s'agit du groupe d'acheteurs d'un terrain qui s'associent, le collectif étant lui-même propriétaire des terres168. Les membres se répartissent ensuite les parcelles entre eux...

« L'association, on ne sait pas bien qui ils sont. Ils sont contre nous. Ils veulent nous déloger... » Dominga

Il est difficile de savoir qui en fait partie ; on dit souvent qu'ils sont peu nombreux... Mais, d'après les discordes manifestées lors de la fête de la croix --par leur boycott!- à laquelle auraient davantage participé des anciens de la porcherie et sympathisants de l'association, ils s'y trouve des antiguos, qui possèdent davantage de terres : ils ont donc plus de raison de vouloir les "privatiser", plus conscients des avantages de la propriété...

Ensuite, se joint tout un chacun, séduit par les attraits de la sécurité des titres de propriétés promis... Des gens empressés de voir leur lopin se titulariser, et qui sait, peut-être lassés par le système de la communauté ?...

«La propriété privée, au moins, ça donne un soutien à la maison [hypothèque], pour des prêts... » Isabel

On pourrait avoir la certitude d'obtenir la propriété, donc des garanties... et pour certains commencer à spéculer. Mais alors, pourquoi tant de gens doutent de cette promesse de propriété? La communauté étant attaquée, elle se défend. Pourquoi croirait-on des gens qui sont venus usurper nos terres ?

168

Selon COFOPRI (Commission de Formalisation --légalisation de la Propriété Informelle), une association de vivienda (A.V) étant une personne juridique, personne ne peut rien y posséder d'individuel, tout appartient à cette "personne". Mais avec des procédés juridiques, s'ils arrivent à 100 personnes, donc 100 lots, ils pourront faire ce qu'ils voudront d'individuel. Si ce procédé ne se fait pas, alors l'association reste personne juridique et ils font payer les gens, au nom de cette entité. Bref, on entend dire qu'"ils en profitent" C'est le mode de statut au sol, formel, par opposition à l'A.H (Asentamiento humano), possession de fait. "Asentamiento" : assise, colonie, implantation, installation. .."Asentarse" : s'établir, se fixer... Entre autres appellations, selon les époques. Par exemple, le 11..1 (Pueblo Joven) , "jeune village", ou "peuple jeune"... Voir annexe.

On parle même des problèmes avec Campoy, le quartier voisin

« Ici, pas d'invasion ! Mais il y a des problèmes avec l'association d'acheteurs de terrains de Campoy. Ils disent avoir tout acheté [toute la zone, Vizcachera incluse] alors que c 'était des chacras, ce n'était pas encore construit en bas [à Campoy] »

Le quartier prétendrait donc être aussi possesseur des terres de la Vizcachera ?

Des positionnements au jugement : la lutte !

Depuis plusieurs années déjà, le jugement est en cours. Alors on avance, progressivement, de date en date. Avant que je ne parte, la date butoir était fin mai. On attend. On espère. Et la proposition a la suivante :

Les habitants rachèteront les terres de la Vizcachera, à raison de 2000 soles par lopin, pour obtenir le titre de propriété. « Ce ne sont que des promesses et des mensonges ! ». Quelle aberration pour les comuneros. Tout d'abord, les gens n'ont pas les moyens. Ensuite, ils ne vont pas repayer quelque chose qui leur appartient fondamentalement. Enfin, qui leur certifie que c'est la fin de leurs problèmes ? Alors la communauté s'est rassemblée, et n'a pas accepté cette proposition : « Nous lutterons jusqu'aux ultimes conséquences ! »

Le jugement continue (il y a des quartiers de Lima qui sont en jugement depuis plus de 10 ans : un propriétaire --ou plusieurs sur un même terrain, ne veut pas céder le titre de propriété aux gens qui l'occupent depuis des années...) Le lendemain se déroula la réunion de l'entreprise en présence de la communauté, du juge et aussi de l'assemblée directive de la matrice. « Eux sont un peu comme nos pères », me disait un jeune, en parlant de la matrice. Elle est propriétaire de différentes annexes des zones limitrophes de Lima (dans les collines qui s'y avancent jusqu'aux dernières invasions) et elle a déjà vendu plusieurs annexes...

La lutte continue... Personne n'est prêt à céder.

La communauté semble renforcer son union dans un « nous » consolidé face à ce conflit. C'est autour de la terre qu'éclatent ou se reproduisent les conflits entre communauté et propriétaires individuels. Mais c'est aussi autour d'elle que s'expriment les rapports de solidarité interne à. la communauté169.

Du conflit aux expectatives :

«Nos venderan, nos botaran ? » I «Ils nous vendront? Ils nous jetteront ? »

« On n'est pas fixe... tout est instable pour le moment ...Nous les comuneros, on attend un résultat. Je ne suis pas seule, tous ! Le président, on ne tient plus compte de lui... » Rosa

« Ce qu'on veut, c 'est vivre tranquillement. Avec le système communal. Bon, s 'ils veulent nous donner le titre de propriété, tant mieux, sinon, on aura juste les certificats de possession. » Consuelo

169 Jacques MALENGREAU, structures identitaires et pratiques solidaires au Pérou. Gens du sang, gens de la terre et gens de bien.

« De toute façon, il va falloir (r)acheter les terrains ... et tout va aller en "titulacion de propriedad" ... (titularisation de propriété) Lila

« On espère une stabilisation... » Isabel

Les gens vivent dans l'espoir de voir une fin positive à ces conflits. Bien qu'ils soient prêts à lutter, ils sont "abattus" par ces histoires qui n'en finissent pas.

Outre les rapports antagonistes, les gens attendent-ils tous la même chose quant à la solution apportée vis-à-vis de la propriété ?

Les différentes générations aspirent-elles à la même chose ?

« La vie est dure, il faut lutter », cela est récurrent dans les Andes. La vie des gens serait-elle une lutte perpétuelle ?

Pourquoi tant de doutes ? S'il y a un jugement, c'est parce que chacun reste sur ses positions et en apporte les justifications. La communauté rappelle que ses terres lui sont propres, inaliénables, et qu'il y a eu litige : à réparer. L'association appuie l'entreprise qui prétend avoir acheté les terres et qu'elle distribuera par la suite des titres de propriété en revendant l'ensemble à la communauté, ou plutôt, à chaque habitant... Ainsi, l'entreprise pourra tirer profit de bénéfices certains et d'un nouveau commerce. Mais les habitants ne sont pas prêts à céder r

Je crois bien que c'est cela, mais peu importe, ce qui est significatif, c'est cette lutte de la communauté pour défendre ses terres et ne pas se les faire usurper par des trafiquants de terrain, même si au final, il en résultera peut-être la même chose...

Les ramions au sol : base des rapports sociaux ?

LI terre est k' support et le heu 1 auuabsation des r:ipporis soctau

On sent même que les gens sont fiers de dire : ici, pas d'invasion ! ». Leur territoire est précieux, ils savent le protéger et le garantir !

« C'est nous la communauté qui avons tout fait. Pas d'aide de l'extérieur, rien de lEtat -- mais des aides étrangères ». On ne peut rompre cette construction commune sur ces terres qu'on veut leur retirer, pour, de surcroît l'assimiler à un simple objet marchand... Il semble que ces terres soient d'autant plus "les leurs", "à eux", qu'ils les ont habitées de toute leur force, en y construisant tout eux-mêmes. A eux, parce qu'elles sont de la communauté et qu'ils sont la communauté. Tout un travail et une âme qui ne se laissera pas anéantir.

« L'eau, c 'est à cause de l'association » : s'ils ne peuvent pas se développer, c'est à cause de ces conflits qui les "bloquent". Tant que l'on n'a pas défini clairement les propriétaires des terres, il n'est pas légal de leur installer l'eau. Pour cette dame, "l'association" ets le bouc émissaire

Cette lutte traduit peut-être le sens profond de communauté, sur des terres communes, l'appartenance s'inscrivant dans un territoire.

Jacques Malengreau écrit", (à propos des communautés paysannes) que c'est dans la défense écologique, juridique et physique de son territoire que la communauté manifeste son existence, le plus spectaculairement mais aussi le plus durablement. Elle entretient un rapport exclusif avec son territoire.

Cette constatation andine semble tout à fait correspondre à l'attitude des migrants devenus habitants de la Vizcachera. En effet, le territoire de la communauté semble constituer à la fois un objet économique commun, un ciment social entre ses membres et surtout un symbole essentiel de son existence et de son identité.

Cette exclusivité du sol se retrouve dans divers quartiers de Lima, en dépit des invasions qui vont dans le sens inverse et de l'informalité d'une grande partie des occupations du sol, parfois tiraillées par des « co-propriétés », plusieurs "propriétaires" se réclamant le droit sur la terre.

Autonomie et cohésion de la communauté

Aussi, il semble important pour la communauté de garder sa propre gestion des terres et des « habitations » (du fait d'habiter), afin de contrôler et réguler les entrées, selon les besoins, et les choix qu'elle fait. Beaucoup d'arrivées fonctionnent par réseau ; autrement dit, certains ont judicieusement "passé l'info" : la recommandation est un judicieux passe-droit... Cela lui permet une meilleure cohésion, loin des spéculateurs.

D'autre part, les habitants doivent manifester qu'ils ont réellement besoin du terrain en l'occupant, sinon, la communauté pourrait les leur reprendre.

172 Norbert Rouland. Aux confins du droit.

173 Ibid.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius