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Contribution de l'oralité à  l'étude des relations entre les pygmées Baka et les Bantous au sud-est du Cameroun ,des origines à  1960

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par Joseph Jules SINANG
université de yaoundé1, Cameroun - maà®trise 2004
  

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UNIVERSITE DE YAOUNDE I

UNIVERSITY OF YAOUNDE I

FACULTE DES LETTRES DES ARTS, DES LETTRES

ET SCIENCES HUMAINES

FACULTY OF ARTS, LETTERS

AND SOCIAL SCIENCES

DEPARTEMENT D'HISTOIRE

HISTORY DEPARTEMENT

CONTRIBUTION DE L'ORALITE A L'ETUDE DES RELATIONS ENTRE LES PYGMMEES BAKA ET LES BANTOU AU SUD-EST CAMEROUN, DES ORIGINES A 1960.

Mémoire présenté et soutenu en vue de l'obtention du diplôme de maîtrise en histoire

Par


Joseph Jules SINANG

Licencié en Histoire

Sous la direction de :

Thierno Mouctar Bah

Professeur

Année académique 2004-2005.

INTRODUCTION GENERALE

Les sources orales ont depuis fort longtemps, acquis leur droit de cité dans l'historiographie. En Afrique, elles sont devenues un outil méthodologique privilégié de la production historienne depuis que le mythe du document écrit tant brandi par les tenants de l'histoire comme «connaissance du passé basé sur les écrits» s'est effondré .

Qu'il s'agisse du passé récent où les acteurs de plus en plus livrent leurs témoignages sous forme de «oral history»1(*), ou du passé lointain appréhendé sur la base des traditions ancestrales, la contribution de l'une ou l'autre catégorie de sources reste fort appréciable2(*).

Ainsi au Cameroun, la «oral history» a permis de reconstituer plusieurs épisodes de l'histoire politique, comblant ainsi la lacune due au difficile accès aux sources écrites3(*). Cette approche a permis de recueillir des témoignages dignes d'intérêt auprès de certaines personnalités soucieuses du devoir de mémoire4(*). C'est le cas de Sadou Daoudou5(*) qui, pendant près d'un quart de siècle, a présidé aux destinées des forces armées nationales, gérant des épisodes tumultueux comme celui de la rébellion armée ayant suivi l'indépendance ; où de Pierre Semengue6(*), officier militaire de la première heure, associé à toutes les opérations de maintien de la paix et de la sécurité ou encore de Woungly Massaga , l'une des figures du mouvement nationaliste camerounais 7(*).

Pour ce qui est des traditions orales, leur contribution dans l'historiographie camerounaise reste assez remarquable. Elles nous édifient de façon particulière sur la période précoloniale tant il est vrai que, la civilisation africaine est essentiellement une civilisation de parole, et l'histoire de ses sociétés se perçoit mieux de l'intérieur.

Plusieurs chercheurs au Cameroun, ont senti l'urgente nécessité de procéder à une collecte systématique des traditions historiques auprès des rares détenteurs que sont les vieillards. A cet égard, l'on peut se réjouir de l'oeuvre monumentale laissée par Eldrige Mohamadou qui, par une collecte méticuleuse des traditions historiques, nous a livré l'essentiel de la connaissance sur les lamidat du Nord-Cameroun , puisée sans répit à la bonne source . Il aura poussé sa perspicacité dans la partie méridionale ; ce qui nous a valu la publication d'un corpus sur les peuples du Centre et de l'Ouest8(*).

Dans la même mouvance, il est utile de mentionner l'opération de collecte des traditions orales du Mbam9(*), menée sous la houlette d'Emmanuel Ghomsi et de Thierno Mouctar Bah sous l'instigation de l'ex-ISH d'une part. D'autre part, les travaux de Martin Samuel Eno Belinga consacrés à la zone forestière à travers le genre épique du Mvet chez les Pahouin10(*), et des enquêtes d'un grand intérêt effectuées dans la partie littorale par Dika Akwa Nya Bonambela sur les peuples Sawa et apparentés.

Des efforts allant dans le même sens ont été entrepris au département d'histoire de l'université de Yaoundé I, où l'on note un réel essor avec la production de nombreuses thèses et mémoires sur la base des traditions orales. Cependant, le récit historique a été privilégié au détriment des autres formes d'expression. Or dans les sociétés africaines, il existe un éventail assez large de sources orales, dont la typologie varie d'une société à une autre en fonction des modes d'organisation socio-politique11(*).

Mieux encore, le récit historique présente d'énormes faiblesses que les «féticheurs de l'écriture»exploitent pour vilipender les sources orales qui , malgré leur place dans l'historiographie, demeurent néanmoins un sujet controversé12(*).

D'abord en tant qu'ensemble de données organisées, coordonnées et transmises par delà les générations, ce mode d'expression présente des versions stéréotypées, figées reflétant l'idéologie de sa société d'origine. A cet effet, l'histoire est mutilée ; les victoires et les qualités des héros sont glorifiées, leurs défauts passés sous silence, et les faibles oubliés , par l'effet d'une censure méthodiquement élaborée.

Ensuite, le récit historique ne permet pas de remonter aussi loin que possible dans le temps du fait de l'amnésie, surtout en Afrique centrale, caractérisée par l'absence de professionnels de l'oralité contrairement à l'Afrique occidentale, où le griot joue le rôle d'historiographe. D'où la nécessité de recourir à d'autres formes d'expression dont l'usage très courant et quelques fois mécanique, qui pourtant sont porteuses d'informations historiques.

Entre autres, les symboles tels les mythes, les rites et les masques tiennent une large place dans l'approche africaine de la société. Par leur atemporalité et leur dimension sociale, ils sont les moments de communion de la vie collective, et une manifestation de la conscience historique. Aussi permettent-ils de mieux saisir la pensée des peuples dans la mesure où l'une des réalités de la société négro-africaine reste l'imbrication du spirituel et du temporel.

A leurs côtés, nous avons des proverbes qui, sous une forme imagée et concise présentent le résumé de la vie. Plusieurs d'entre eux, ont trait à des situations historiques. Ils fournissent des indications sur les noms des héros, des notables ou des villages qui sont désormais connus des générations futures. Véhicule par excellence des systèmes de valeurs de la société, les proverbes sont riches d'enseignements. A cet égard, ils représentent la culture et font office d'école. Un homme cultivé est donc celui là qui maîtrise le plus de proverbes et qui lors d'une palabre, est capable d'opposer le proverbe le mieux approprié pour renforcer son opinion et obtenir l'adhésion de la communauté.

Les chansons restent l'une des formes d'expression couramment utilisées dans la société. Des cérémonies rituelles, aux réjouissances populaires en passant par l'invocation du courage ou la gestion du temps mort, le chant intervient toujours. Transmis entre les générations, il évoque des situations vécues qui sont dignes de mémoire ; un accent étant mis sur les qualités et les défauts. Ainsi le message magnifie les vertus et dénonce les vices . Le héros qui peut être un grand chasseur ou un guerrier courageux est glorifié, tandis que le paria tel l'épouse infidèle ou le paresseux est hué dans les mélodies 13(*).

De même, la toponymie au delà de ses attributs géographiques, constitue une source d'information historique de grande utilité. A cet effet, il est opportun d'évoquer particulièrement le rôle des lieux sacrés tels les forêt, les montagnes, et les cours d'eaux... à l'endroit desquels les hommes vouent déférence et humilité.

Dans le même registre, nous avons les ethnonymes et les patronymes. Les premiers désignent généralement des entités quelques fois formées par scissiparité ou par reconstitution d'ensembles, à la suite d'une situation singulière ayant en arrière plan un conflit, une alliance ou un malheur.

Les seconds sont également porteurs d'une grande charge historique. En tant que partie intégrante de l'homme, et non une simple étiquette, le nom définit l'essence même de l'individu. Certains patronymes ont trait aux circonstances particulières. A défaut de refléter la psychologie des parents au moment de la naissance de l'enfant, ils rendent compte de l'environnement social ou politique de cette époque. D'autres par contre sont donnés à la mémoire des héros dont on veut perpétuer le souvenir , ou des événements que l'on souhaite immortaliser .

Dans la même perspective, les noms de raillerie, les blagues entre groupes sont révélateurs de la nature des relations intercommunautaires ; il en est de même des rires ou des pleurs qui échappent à toute censure, ou encore des interdits alimentaires. L'historien à travers une bonne exploitation de ces données, peut filtrer les faits car, comme nous l'enseigne Joseph Ki-Zerbo,  «Tout est histoire pour l'historien avisé»14(*).

En tout état de cause, la tradition orale apparaît comme une grande école de vie. Elle recouvre divers aspects dont une utilisation croisée constitue un appareil critique efficace permettant de confirmer ou d'infirmer certains faits relatés par le récit. Elle donne aux sources orales toute leur crédibilité dans l'historiographie et constitue par conséquent une voie privilégiée dans la compréhension des relations inter et intra communautaires.

Aussi voulons-nous dans le cadre de la présente étude, et surtout dans une perspective diachronique, mettre la tradition orale à contribution dans l'analyse des rapports entre les Pygmées-Baka et les Bantou du Sud-Est qui, tous deux peuples de l'oralité, cohabitent depuis des siècles dans la grande forêt équatoriale du Sud-Cameroun, nonobstant le fait qu'ils appartiennent à des aires culturelles différentes.

I. Délimitation du sujet

Le sujet, tel que libellé, porte en lui ses propres repères. Le cadre géographique est le Sud-Est Cameroun. Il couvre une superficie d'environ 30.389 km² situé à l'extrême Sud de la province de l'Est aux confins des

Carte N°1: localisation de la zone d'étude

frontières du Cameroun, de la RCA, du Congo et du Gabon. Le déterminisme géographique a une emprise réelle ici sur l'histoire des populations. Cette zone basse altitude, fait partie d'un vaste espace de forêt dense humide à climat équatorial guinéen. Elle sert de cadre de vie à une faune abondante et variée qui

y a trouvé une retraite sûre. Ce climat est propice au développement des activités agricoles15(*).

Quant à la forêt, elle joue un rôle pluriel dans la vie des populations riveraines aussi bien dans les domaines de la pharmacopée, de l'alimentation, de la cosmogonie que du ravitaillement en matières-premières destinées à l'élaboration des cultures matérielles. En outre, elle constitue un refuge par excellence en période de guerre16(*).

Du point vue hydrographique, le Sud-Est appartient au basin du Congo. Il est drainé par un ensemble de cours d'eaux, dont la Ngoko, le Dja et la Boumba sont les plus importants. Avec son bassin versant de 76000 km², la Ngoko formée de la jonction du Dja et de la Boumba est une voie navigable qui par la Sangha, relie Moloundou à Brazzaville. Ces fleuves ont une incidence certaine sur la vie des populations en tant que source d' approvisionnement en produits halieutiques destinés à des usages divers. Dans la géopolitique de la région, ils sont apparus à la fois comme voie de communication et obstacle naturel.

Ici, ont essaimé diverses populations que l'on peut présenter en deux groupes distincts à savoir les Pygmées Baka et les Bantous (Grands Noirs) appartenant chacun à une aire culturelle bien précise.

Nos investigations, pour des raisons pratiques et en fonction de nos modestes moyens, ont porté essentiellement sur les Arrondissements de Yokadouma et Moloundou dans le Département de la Boumba et Ngoko. Cependant, ces limites ne sont pas rigides tant il est vrai que les populations concernées par la présente étude, occupent un site qui va au-delà des frontières administratives et nationales17(*).

Pour ce qui est des limites chronologiques, l'étude couvre les époques précoloniale et coloniale18(*); le choix de cette période charnière de l'histoire africaine, nous permet d'envisager l'analyse du phénomène d'après une dynamique interne et sous l'action des forces exogènes.

II. Orientation de la problématique

L'analyse de l'évolution des rapports entre les Pygmées Baka et les Bantou du Sud-Est sur la base des sources orales reste le principal centre d'intérêt de notre étude. Ces rapports peuvent être conflictuels ou pacifiques, donnant ainsi lieu à des processus de structuration ou de restructuration sous l'action des forces de plusieurs natures.

Dès lors, notre préoccupation est de savoir si nous pouvons examiner et appréhender la nature des rapports entre ces deux populations à partir d'une exploitation variée des données de l'oralité. Autrement dit, est-il possible de comprendre l'évolution des rapports entre les Baka et Bantou tout en prenant appui sur les expressions et les cérémonies culturelles courantes ? Mieux encore, quelles sont les expressions et les pratiques habituelles qui rappellent le passé commun de ces deux populations ? Pour trouver des éléments de réponse, il nous semble important d'examiner le passé conjoint de ces deux peuples, depuis leur rencontre, jusqu'à la fin de la colonisation française. Cette épreuve nous impose l'examen de la rencontre de leurs deux cultures. Il importe à cet effet de savoir si le contact entre les cultures Baka et Bantou a donné lieu à une interpénétration, à une assimilation ou à une absorption de la culture de l'un par l'autre. On en vient alors à se demander si l'insertion des Baka dans l'univers Bantou les a aliénés ou enrichis ?

Ce questionnement nous plonge dans l'étude de la dynamique du changement social dans une perspective diachronique tout en mettant en exergue, le rôle des outils de collecte et d'analyse que sont les sources orales.

III. Méthodologie et présentation critique des sources

Bien que notre travail soit essentiellement axé sur la tradition orale, il n'élude pour autant pas les autres types de sources.

Ainsi, dans le cadre de l'exploitation des documents écrits, notre souci dans un premier temps, a été de nous imprégner de la littérature à caractère ethnographique et historique consacrée aux populations concernées .

Outre les ouvrages classiques traitant des Pygmées, l'Inventaire ethnique du Sud-Cameroun de Dugast19(*) et l'Atlas régional du Sud-Est20(*) de Barall et Franqueville consacrent plusieurs pages aux Bantou. Ces travaux issus de la collecte des traditions orales, contiennent plusieurs affirmations erronées sur le processus migratoire . Ces erreurs, ont malheureusement été reproduites par Samson Ango Mengue dans sa thèse de Doctorat21(*) . De plus, l'aspect des relations entre populations fait figure de parent pauvre.

Toutefois cette lacune est en partie comblée par des monographies consacrées respectivement aux Mpyemo,22(*) Bangando23(*), Mpo'oh24(*) et Mpouomam25(*). Ces études ethno-historiques réalisées elles aussi, sur la base des traditions orales, nous livrent d'utiles informations sur l'organisation socio-politique des populations étudiées ; elles abordent de façon superficielle la question des rapports entre groupes ethniques. Malheureusement, la faible place accordée aux Baka fait de leur histoire une appendice de celle de leurs voisins. Ceci se traduit par le fait que ces travaux sont l'oeuvre des fils du terroir qui s'activent chacun à faire connaître son ethnie d'origine ; d'où la propension chez ces derniers à vouloir sublimer le passé des leurs, et la tendance à mutiler l'histoire des autres groupes26(*).

Avec le dessein de rendre plus objectivement compte de la nature de l'évolution des rapports entre les différents groupes, nous utilisons les sources orales dans leur diversité en vue de confronter les données. Ces traditions que nous exploitons, ont été recueillies aussi bien dans les villages mixtes, dans les campements de lisière que dans ceux de forêt.

Nous avons procédé au préalable à une pré-enquête à base d'un questionnaire guide. Nous avons pour ce faire bénéficié de la collaboration des élèves des lycées de Yokadouma et Moloundou en vue de déterminer des villages cibles. Par la suite, nous avons organisé des opérations de collecte des traditions dans les villages retenus , en cinq séjours de dix jours chacun, en plus des descentes inopinées dans les villages périphériques de Yokadouma.

Nos enquêtes ont porté sur les mythes d'origine, les migrations, les guerres d'antan, la diplomatie, l'organisation socio-culturelle, les activités économiques de l'époque précoloniale. Ensuite, nous nous sommes intéressés aux modalités de la pénétration européenne, aux résistances, à l'exploitation et la mise en valeur du territoire, aux relations avec les administrations coloniales, au contact avec les religions judéo-chrétiennes, aux deux guerres mondiales et à la décolonisation. Nous avons bénéficié de l'appui de Rita Rossi, une volontaire italienne vivant auprès des Baka depuis trente- huit ans , de Mossadikou Eugène Raphaël un instituteur retraité et ancien parlementaire, et de Mediké John Albert, agent de l'Etat en retraite qui, depuis des années ont entrepris de collecter les traditions historiques des populations de la région.

Au terme de l'analyse et du traitement des données, le matériel recueilli s'est ordonné autour de deux parties correspondant chacune à un aspect de la question. La première a trait à la dimension humaine. Elle traite de l'origine des peuples, et aborde la question de la spécificité culturelle de chaque groupe en vue de mieux cerner l'identité des forces en présence. La deuxième quant à elle analyse les relations entre les deux communautés d'abord pendant la période précoloniale qui, le mieux, rend compte de l'identité et de la personnalité de l'Afrique ; nous avons par la suite embrayé sur l'époque de l'occupation européenne, eu égard au poids de la colonisation sur les structures socio-politiques africaines.

Bien des difficultés et d'écueils ont jalonné la présente étude ; d'où la survivance de quelques zones d'ombre. D'abord le problème de communication aura constitué un handicap sérieux ; la traduction de nos interprètes altérant l'authenticité des informations. Ensuite notre qualité d'étranger dans le milieu, a créé beaucoup de confusions de la part des populations qui, nous prenant pour un agent de développement, étaient plus prompts à nous exposer leurs doléances qu'à répondre à nos questions. Enfin, nos moyens financiers et matériels très limités, ne nous ont pas permis de couvrir toute la zone.

IV. Précisions terminologiques

L'une des difficultés dans l'étude de l'histoire africaine réside dans la terminologie. Plusieurs noms de personnes ou de lieux ont été déformés par les Colons. Comme conséquence, nous avons la variation de l'orthographe d'un même nom d'un document à l'autre. Ainsi, Les Mpouompo'oh sont appelés Mvong Vong ou Bonbon , le terme Gounabembé ou Kounabembé utilisé en lieu et place de Kounabeemb , Dzimu pour Zimé ; les appellations Mbimou ou Mbimo pour désigner les Mpyémo , Bomam pour Mpouomam , Bakwélé à la place de Bekwel et Yokadouma pour Zokadouma. Le but de l'histoire étant de restituer le passé dans son authenticité, nous avons tenu à utiliser les termes dans leur version originale afin de mieux saisir leur signification réelle eu égard à la place des toponymes, des patronymes et des ethnonymes dans l'historiographie africaine.

PREMIERE PARTIE : DIMENSION HUMAINE

L'examen des données humaines du Sud-Est Cameroun vise à présenter les différents groupes ethniques de cette région. Pour ce faire, l'étude des migrations et la mise en place du peuplement fait l'objet du premier chapitre. Par la suite, nous abordons la question de la spécificité culturelle de chaque entité afin de pouvoir identifier des différentes caractéristiques de chaque groupe.

CHAPITRE I : MIGRATIONS ET PEUPLEMENT DU SUD-EST

L'étude des migrations du Sud-Est nous permet d'aborder la question des origines des différents peuples. Les origines, comme le souligne Marc Bloch, sont dignes d'étude avant toute chose1(*). Ainsi, de par les particularités linguistique, anthropologique et anthropomorphique, nous distinguons les Pygmées et les« Grands Noirs» qui pour les commodités d'étude2(*), sont désignés par le terme Bantou.

I. Les Bantou

Les études traitant de la genèse et de la dispersion des peuples Bantou ont donné lieu à une littérature abondante traduisant ainsi la complexité de la question. Cette complexité est surtout liée à la prolifération des cas. La tâche n'est pas moins ardue en ce qui concerne le Sud-Est camerounais, région peuplée par une mosaïque d'ethnies aux traditions contradictoires, se rattachant toutes à cette famille linguistique. L'exercice devient par la suite une véritable gageure lorsqu'il s'agit de trouver un nom générique à cet ensemble. Néanmoins, des données concordantes issues des traditions orales et appuyées par la linguistique permettent de distinguer les Mpo'oh et leurs apparentées, des Ngombé.

A. Les Mpo'oh

En dépit des lacunes dues à l'absence d'études systématiques et approfondies consacrées à ces populations, le point de vue élaboré ici résulte de la synthèse des traditions orales allant dans le même sens que certains documents écrits qui, de façon insidieuse, ont abordé les groupes concernés3(*). Commençons par identifier les Mpo'oh.

1. Qui sont les Mpo'oh ?

Le terme Mpo'oh désigne un ensemble de populations aux origines historiques communes et présentant une certaine parenté linguistique . Dugast, dans son ouvrage Inventaire ethnique duSud-Cameroun, fait remarquer que «la carte linguistique de Tessmann rapproche les dialectes Mezime, Essel, Kounabeemb et Mpouomam de la langue commune à tout le groupe Kozime [...] l'administrateur Leger en rapproche aussi la langue des Mpoumpo'oh»4(*).

Il s'agit à cet effet d'un ensemble de populations localisées aux confins du Cameroun, du Congo, de la R.C.A. et du Gabon , dont voici l'inventaire dressé par Robineau .

Sur le haut Djah, les Ndjem, les Zimé, les Badjoué qui forment les Kozimé ; à l'Est à la frontière Cameroun-R.C.A., les Mpiémo, les Bidjouki, les Nkounabeemb, les Mpoumpo'oh, les Mezimé, les Bangantou et les Mpoukol ; au Sud, sur le Djah-Ngoko, les Dja-ako, les Essel et les Bekwel5(*).

De ce qui précède, il ressort que les Mpo'oh sont constitués de toutes les ethnies formant le groupe souvent désigné incorrectement par le terme Djem-Kozime . Cette appellation, reste parcellaire si l'on s'en tient à la filiation que les traditions anciennes établissent entre ces populations. Aussi peut-on lire chez Innocent Edjondj Mempouth ce qui suit :

Au niveau des origines historiques, toutes les traditions Mpo'oh affirment la fraternité de ces différentes tribus. Elles descendent en effet d'un même ancêtre reconnu sous le nom de Mpo'oh. Cet homme a engendré trois fils : Ebemb, Zime et Mpo'oh II. Ils seront respectivement fondateurs de trois principales branches Mpo'oh. Plus précisément, Ebemb sera le fondateur de la branche Nkounabeemb,Zimé le fondateur de la branche Kozime alors que Mpo'oh sera l'ancêtre de la branche Mpoumpo'oh6(*).

Nous avons pu nous convaincre de ces propos au cours de nos investigations dans les cantons Mpoumpo'oh et Nkounabeemb7(*). Les mêmes traditions leur attribuent une origine géographique commune qu'elles situent d'ailleurs dans la cuvette du Congo présentée comme le point de départ de leur migration.

2. La migration du groupe Mpo'oh

Les Mpo'oh fixent leur berceau dans la cuvette congolaise plus précisément dans la zone comprise entre le môle Batéké et celui des marécages forestiers de la Sangha8(*). Ces données remettent au goût du jour l'hypothèse des origines congolaises des Bantou que notre intention ici n'est pas de remuer. Toutefois, il est judicieux de considérer cette région comme un centre de dispersion de certains Bantous, du moins en ce qui concerne les Mpo'oh dont la migration fait partie du grand ébranlement que Hubert Deschamps considère comme l'arrière- garde de la migration des Douala vers la mer9(*).

* 1 La «oral history» est apparue aux Etats-Unis au lendemain de la première guerre mondiale, puis en Scandinavie, en Angleterre et plus tard en France. Son approche a permis non seulement d'apporter d'utiles compléments aux sources écrites mais aussi de donner la parole aux oubliés de l'histoire, aux vaincus.

* 2 Les sources orales recouvrent deux domaines distincts :  des témoignages oraux et les traditions historiques.

* 3D. Abwa, «Plaidoyer pour l'écriture de l'histoire contemporaine du Cameroun», Ngaoundéré Anthropos, vol.VII, 2002, p.26.

* 4 Plusieurs acteurs refusent de parler au nom du « droit de réserve».

* 5 D. Abwa, Sadou Daoudou parle, Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2002.

* 6 C. Ateba Eyéné, Pierre Semengue, Toute une vie dans les armées, Yaoundé, Editions Saint Paul, 2003.

* 7 D. Abwa, Woungly Massaga, ma part de vérité, Yaoundé, Presses de l'UCAC, 2005.

* 8 E. Mohammadou, Traditions historiques des peuples du Cameroun central, 2 vol., Tokyo, ILCAA, 1990 et 1991.

* 9 E. Ghomsi et T. M. Bah, Collecte des traditions orales historiques des populations du Mbam. Les Vouté, Yaoundé, MERES-CREA, 1987.

* 10 S.M. Eno Belinga, Mvet : Monoblum ou l'homme bleu, Yaoundé, CEPER, 1978.

* 11 C. H. Perrot (eds), «Sources orales et histoire un débat permanent», Sources orales de l'histoire de l'Afrique, Paris, CNRS, 1993, p.15.

* 12Le débat entre les sources orales et l'histoire reste permanent.

* 13 A. Njiassé Njoya, «Chants dynastiques et chants populaires bamum : sources d'informations historiques», Sources orales de l'histoire..., pp.65-74.

* 14 J. Ki-zerbo, Histoire de l'Afrique Noire d'hier à demain, Paris, Hatier, 1972, p.4.

* 15 Calendrier agricole publié par le service de vulgarisation agricole de la Délégation Provinciale de l'Agriculture de l'Est, octobre 1987, p.7.

* 16 T. M. Bah, «Guerre, pouvoir et société dans l'Afrique précoloniale, entre le lac Tchad et la côte camerounaise», thèse de Doctorat d'Etat, volume I, université de Paris I Panthéon-Sorbonne, 1985, pp.468-469.

* 17 Outre la Boumba et Ngoko, on retrouve les mêmes populations dans le département de la Kadey et du Haut Nyong au Cameroun, dans celui de la Sangha Mbaéré en R.C.A. et celui de la Sangha en République du Congo.

* 18 Infra, p.60.

* 19 I. Dugast, Inventaire ethnique du Sud-Cameroun, Paris, IFAN, 1949.

* 20 H. Barral et A. Franqueville, Atlas régional du Sud Est Cameroun, Yaoundé, ORSTOM, 1970.

* 21 S. Ango Mengue, «L'Est-Cameroun : une géographie de sous-peuplement et de marginalisation», thèse de Doctorat 3e cycle en géographie, université de Bordeaux III, 1982.

* 22 E. Metindé, «Les S Mpyémo de l'Est-Cameroun précolonial», mémoire de maîtrise en histoire, université de Yaoundé I, 2002.

* 23 Ngombé, «Evolution historique des Bangando des origines à 1894», mémoire de DIPES II, ENS de Yaoundé, 1995.

* 24 A. Edjondj Mempouth, «Etude ethno-historique des Mpo'oh et apparentés du Sud-Est des origines à 1916», mémoire de DIPES II, ENS, Yaoundé, 1994.

* 25 J. R. Gouesseboth, «Une migration dans le Cameroun précolonial : le groupe Mpouomam de l'Est», mémoire de DIPES II, ENS, Yaoundé, 1993.

* 26 Dans la justification du sujet, ces auteurs disent vouloir combler un vide sur l'histoire mal connue de leur région d'origine.

* 1 M. Bloch, Apologie pour l'histoire ou métier d'historien, Paris, Armand Colin, 1964, p.53

* 2 Ensemble des populations en Afrique subsaharienne aux langues apparentées dont les structures socio-politiques et économiques présentent des rapprochements. Dans les zones forestières du Cameroun, ce terme désigne de façon générique les voisins des Pygmées.

* 3 Supra pp10-11.

* 4 I. Dugast, Inventaire ethnique..., p.109.

* 5 Robineau, L'évolution économique et sociale de l'Afrique centrale : le cas de Souanké, Paris, ORSTOM, 1970, P.23.

* 6 I. A. Edjondj Mempouth, «Etude ethno-historique des Mpo'oh...», p.10

* 7 Le canton Zimé appartient au département du Haut-Nyong qui ne rentre pas dans notre champ d'investigation.

* 8 I. A. Edjondj Mempouth, «Etude ethno-historique des Mpo'oh...», p.12.

* 9 H. Deschamps, Histoire générale de l'Afrique Noire de Madagascar et des Archipels tome 1,Paris, PUF 1972, p.362

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