WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La démocratie dans les politiques d'Aristote

( Télécharger le fichier original )
par Valentin Boragno
Université Paris X Nanterre - Master 1 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

1.1. Approches de la notion de liberté par ses notions contraires

1.1.1. Approche économique : la notion de liberté contre la notion d'aisance (III, 8, 1279 b 11 - 1280 a 6)

Au chapitre III, 8, intitulé par P. Pellegrin « Difficultés à définir la démocratie et l'oligarchie », Aristote essaie de trouver ce par quoi diffère la démocratie de l'oligarchie. Il reprend d'abord pour cela le critère qu'il avait énoncé au chapitre III, 7, selon lequel la démocratie « vise l'avantage des gens modestes »13(*) : le critère économique. La démocratie est la constitution gouvernée par les pauvres ( ?ðïñïé) ; l'oligarchie au contraire (?íáíô?ïò), la constitution gouvernée par les riches ( å?ðïñïé) .

« Une tyrannie est une monarchie exerçant sur la communauté politique un pouvoir despotique ; il y a oligarchie quand ce sont ceux qui détiennent les richesses qui sont souverains dans la constitution, démocratie au contraire, quand ce sont ceux qui ne possèdent pas beaucoup de richesses, mais sont des gens modestes.14(*) »

 La démocratie est en réalité le gouvernement des pauvres plutôt que celui du grand nombre. L'ensemble des pauvres est l'un des sens que l'on peut donner au mot démos, lequel « peut parfois désigner le peuple comme un ensemble politique, mais parfois aussi les gens ordinaires, qu'on oppose à la bonne société. »15(*) Aristote donnerait donc ici au mot « démocratie » le sens d' « ochlocratie », c'est-à-dire du gouvernement des pauvres.

Le terme « pauvre » contient davantage qu'une seule indication économique. Il implique d'autres qualités qui viennent en outre ( óõìâá?íåé) s'y rajouter : d'abord une qualité numérique, qui est le nombre, mais aussi une qualité politique, qui est la liberté.

« Les différences ne viennent donc pas des causes invoquées ; mais ce par quoi diffèrent l'une de l'autre la démocratie et l'oligarchie, c'est la pauvreté et la richesse, et nécessairement, là où ceux qui gouvernent le font par la richesse, qu'ils soient minoritaires et majoritaires, on aura une oligarchie et là où ce sont les gens modestes, une démocratie. Mais ce qui arrive en outre, comme nous l'avons dit, c'est que ceux-là sont peu nombreux, et ceux-ci nombreux, car peu de gens sont aisés, alors que la liberté est le partage de tous : voilà les raisons pour lesquelles ces deux groupes se disputent le contrôle de la constitution.16(*) »

Il ne dit pas : « alors que la pauvreté est le partage de tous », ce qui serait logiquement le contraire de « peu de gens sont aisés », mais « alors que la liberté est le partage de tous ( ?ëåõèåñ?áò ìåô?÷ïõóé ð?íôåò). » On entrevoit déjà le sens qui va être donné à la liberté démocratique, celle d'une liberté pauvre, d'une liberté vulgaire. La définition du démos au pouvoir se compose donc d'une base intangible, constituée par la pauvreté ou la liberté qui sont à peu près synonymes, et d'un attribut secondaire, qui est le nombre.

Liberté est le partage de tous. Libre est synonyme de pauvre. Cette opposition sera réaffirmée au chapitre consacré à la définition finale de la démocratie.

1.1.2. Approche sociologique : la notion de liberté contre la notion de bonne naissance (IV, 4, 1290 a 30 - b 20)

Au chapitre IV, 4, intitulé par P. Pellegrin « Définitions exactes de la démocratie et de l'oligarchie », Aristote renforce sa position établie au chapitre III, 8, en s'opposant à nouveau au critère du nombre, pour ensuite poser celui de la liberté.

« Il ne faut pas poser, comme certains en ont aujourd'hui l'habitude, que la démocratie existe simplement là où la masse est souveraine (car dans les oligarchies aussi, comme partout ailleurs, c'est la fraction majoritaire qui est souveraine), ni qu'il y a oligarchie là où peu de gens sont souverains dans la constitution. 17(*) »

Platon prétend par « des formules aussi simples » ( ?ðë?ò ï?ôùò)18(*) que la démocratie « existe seulement » là où « la masse est souveraine » ( ê?ñéïí ô? ðë?èïò). Dans le Politique, il définit en effet la démocratie comme le « gouvernement du grand nombre19(*) ». Mais, cette définition est erronée du fait de l'existence de contre-exemples, déjà évoqués en III, 8. Si mille riches gouvernent sans partager le pouvoir avec trois cents pauvres, on ne peut soutenir que ces citoyens vivent en démocratie20(*). Par ailleurs, le critère du nombre peut être fondé sur n'importe quelle qualité. Ainsi, les Ethiopiens qui répartissent les magistratures selon la taille ( êáô? ì?ãåèïò)21(*), vivraient en oligarchie parce que les magistrats seraient peu nombreux. C'est absurde, l'oligarchie est le gouvernement des riches.

« Mieux vaut donc dire qu'il y a régime populaire quand les hommes libres sont souverains, et oligarchie quand ce sont les riches. Mais c'est par accident que ceux-là sont nombreux et ceux-ci en petit nombre, car il y a dans les faits beaucoup d'hommes libres, mais peu de riches.22(*) »

Le régime populaire ( ä?ìïò) attribue la souveraineté aux hommes libres ( ï? ?ëå?èåñïé). On voit mal ici en quoi la liberté devrait être le contraire de la richesse. « Liberté », en fait, ne désigne pas une qualité dont jouirait une catégorie d'hommes, mais elle désigne tout ceux qui ne sont pas esclaves, y compris les étrangers : « Eleuthéros (être libre, par opposition au fait d'être esclave) s'appliquait tant aux citoyens qu'aux étrangers, dans tous les types de cités, puisqu'il existait des esclaves dans toutes les poleis indépendamment de leur constitution.23(*)». L'homme libre c'est celui qui n'est pas esclave. Cette nouvelle distinction incite à croire que la démocratie est le gouvernement de tous, à l'exception des femmes et des esclaves, alors que l'oligarchie se limiterait aux riches. On aurait alors, entre démocratie et oligarchie, non plus un rapport d'opposition mais plutôt un rapport de contenant et de contenu.

La démocratie platonicienne est celle du nombre, la démocratie aristotélicienne est celle des hommes libres. Quel sens donner à cette opposition entre les deux philosophes ?

L'élément constitutif d'une définition sera nécessairement la cause principale des qualités qui échoieront par la suite à l'élément défini. Pour Platon, le responsable des qualités, mais surtout des vices de la démocratie, ce sera le nombre. Pour Aristote, le nombre n'est pas un élément aussi déterminant que la conception que la masse a d'elle-même, c'est-à-dire que sa conception de la liberté. Il n'y a donc pas de tare « arythmétique » au coeur de la démocratie, mais plutôt une tare éthique, celle de s'appeler libre alors qu'on est tout simplement pauvre, ou sans hiérarchie. En conséquence, une éducation du nombre sera possible. Ce n'est donc pas le grand nombre qui est mauvais, mais la qualité illusoire qu'il s'attribue : la liberté.

Mais, nouvelle palinodie d'Aristote, ces seuls critères sont à nouveau insuffisants pour bien définir la démocratie.

« Mais ce n'est pas par ces seuls critères qu'on peut définir adéquatement ces constitutions. Par contre, puisque le régime populaire aussi bien que l'oligarchie ont plusieurs parties, il faut bien saisir qu'il y a régime populaire ni quand des hommes libres et peu nombreux commandent à une majorité de gens non libres, [...] ni quand les riches l'emportent par le nombre. [...] Mais il y a aura aussi démocratie quand une majorité de gens libres et modestes seront les maîtres du pouvoir, et oligarchie quand ce sera les gens riches et mieux nés en petit nombre. 24(*) » 

D'une manière remarquable, dans la dernière phrase, Aristote glisse une définition de la liberté, en l'opposant à la bonne naissance. Ceux qui sont libres sont ceux qui ne sont pas « biens nés ». Et si la démocratie est bien le contraire de l'oligarchie, alors elle est le régime des sans naissance ( ?ã?íåéá).

Mais ce seul critère ne suffit pas. Il s'agit d'un type particulier de démocratie, qui convoque d'autres qualités. Oligarchie et démocratie admettent des définitions composées 25(*). Celles-ci ont plusieurs parties ( ðëå?ïíá ì?ñéá)26(*) chacune, respectivement la noblesse, le petit nombre, la richesse, et la naissance libre, le grand nombre, la pauvreté. Les critères sont donc économique, mathématique, et eugénique. Mais aucun d'eux n'est suffisant. D'ailleurs, ils ne sont pas « partes extra partes ». Comment alors composer avec eux ? Il faut retenir la liberté, et donner au mot toute sa polysémie pour résoudre ces problèmes. La liberté est en effet le principe de base de la démocratie, et comme sa substance.

* 13 Politique, III, 7, 1279 b 9

* 14 Politique, III, 8, 1279 b 16 - 20

* 15 Hansen M.-H., La démocratie athénienne, Paris, 1993, Les Belles Lettres, p. 96

* 16 Politique, III, 8, 1280 a 1 - 5

* 17 Politique, IV, 4, 1290 a 30 - 35

* 18 Politique, IV, 4, 1290 a 30

* 19 Platon, Politique, 303 a

* 20 Politique, IV, 4, 1290 a 37

* 21 Politique, IV, 4, 1290 b 5

* 22 Politique, IV, 4, 1290 b 1 - 4

* 23 Hansen, p. 103.

* 24 Politique, IV, 4, 1290 b 8 - 20

* 25 Tricot, p. 269.

* 26 Politique, IV, 4, 1290 b 9

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci