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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean Cassien

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par Isabelle PEREE
Strasbourg (Théologie Catholique) - Master de théologie 2009
  

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IX. Les attentes du disciple.

Le disciple assume son rôle et les préceptes qui lui sont adressés. Dès qu'il décide de se soumettre à l'obéissance d'un ancien, le jeune doit, lui aussi, se soustraire aux plaisirs du monde et déjouer les ruses du démon qui seront nombreuses dans sa vie de jeune moine. Le disciple veut devenir « ami du Christ » et il se met à sa suite. Pour cela, il peut compter sur un intermédiaire de taille qui est l'ancien. Sans lui, le jeune a fort peu de chance de mener à terme sa recherche au désert. Pour que l'esprit du monde n'ait plus d'emprise sur lui, il lui faut lutter sans relâche, mais cette lutte doit être assistée jusqu'à ce que les réflexes anachorétiques lui deviennent acquis et familiers. L'ancien est là pour lui donner l'exemple de sa manière de vivre, mais également pour enseigner ses propres expériences qui ne sont d'ailleurs pas toujours heureuses. Le jeune attend du maître une guidance humaine et spirituelle, et au désert, il réapprendra ce qu'il croyait acquis : se nourrir, prier, veiller et travailler. Il devra le faire comme un moine et non plus comme un homme du monde. Son écoute doit être attentive, son obéissance parfaite, de manière à ne pas tomber sous l'emprise du malin. Sa confiance au maître est inébranlable, il fait littéralement « communion » avec lui, il marche vers Dieu en sa compagnie dans une proximité et une distance à la fois, nécessaires à sa maturation.

Vincent Desprez nous informe, d'après un texte de Rufin79, que c'est à Nitrie que l'on formait les jeunes moines, avant de les envoyer dans les autres centres monastiques. Nitrie et Scété semblent avoir été strictement orthodoxes face à l'arianisme, dit V.Desprez et sans doute est-ce pour cette raison que les jeunes y étaient formés avant de rejoindre leurs maîtres dans les autres centres (Panépho, Diolcos, Kellia). Le disciple a le désir de se mettre à l'école du maître dans la simplicité et par là, unir sa volonté à la volonté divine. S'il se scandalise d'une parole de son maître, Pallade dit que c'est son propre jugement qu'il mettra d'abord en doute avant d'interroger. Le disciple espère un bénéfice de cette vulnérabilité à laquelle il s'oblige. Le disciple attend du maître une totale prise en charge spirituelle, il recommence à zéro comme l'enfant qui vient de naître, ce qui demande énormément d'humilité. L'obéissance doit être immédiate.

En milieu érémitique, il n'y a pas de règle et c'est l'exemple de l'ancien qui fera autorité. En effet, au désert, il apparaît que l'Ecriture ne soit pas seule référente. L'avis des hommes et a fortiori du maître, pour le disciple, est indispensable.

Ce texte nous l'explique :

79 V. DESPREZ in « Le monachisme primitif » S0 n°72. Bellefontaine 1998.

Abba Daniel était arrivé très jeune à Scété et les barbares qui avaient envahi le désert le firent captifs. Après s'être enfui plusieurs fois, Daniel fut refait prisonnier, et un soir, il assena un coup de pierre sur la tête de son gardien. Il décampa, mais fut pris de remords pour cet homicide et consterné, vint s'accuser aux pieds de l'archevêque d'Alexandrie qui l'accueillit avec bonté et lui assura que ce n'était pas un homme qu'il avait tué mais une bête féroce. Daniel, non tranquillisé par cette réponse, s'en fut trouver l'évêque de Rome puis les patriarches de Constantinople, de Jérusalem et d'Antioche. Or, de tous, il reçut la même réponse que celle de l'évêque d'Alexandrie. Mais sa conscience le tourmentait et il revint à Alexandrie où il se présenta au Palais du Juge, au bourreau. Puisqu'il le désirait, le bourreau le mit en prison pour trente jours et avertit le prince. Celui-ci le fit venir, écouta ses aventures puis, plein d'admiration pour Daniel, le renvoya en lui demandant de prier pour lui. Daniel était de plus en plus insatisfait car il craignait que Dieu ne lui demandât des comptes, non seulement de son assassinat mais plus encore de l'indulgence qui lui avait été faite pour son crime. Pour expier, il décida de se mettre au service d'un paralytique couvert d'ulcères qui dégageait une odeur pestilentielle. Il entoura cet acte d'une grande discrétion et c'est accidentellement qu'un de ses disciples l'aperçut un jour nourrir l'infirme et l'aider à marcher

80.

Ce récit a une forte portée symbolique. Le disciple, nous fait comprendre Dom Louis Leloir, a deux références : le jugement des hommes et celui de l'Ecriture. Il consulte d'abord le maître, cela par humilité et défiance de son propre sens, mais comme il lui arrive que les avis des anciens ne coïncident pas avec celui de l'Evangile, il préfère alors la doctrine biblique. Cette narration, nous éclaire sur le fait que la conscience peut travailler cruellement le moine. Les avis des hommes qu'il a pris en premier, ne le satisfont pas. Il y a une morale divine existante à laquelle il ne peut se soustraire au point que Daniel se châtie lui-même en pratiquant la charité auprès d'un malade, à la seule vue de Dieu. Les hommes ont jeté à rien son acte criminel, mais lui, face à Dieu, est tenaillé par la conscience. Cette anecdote nous aide à comprendre que l'avis de l'homme reste « humain » et qu'il est important pour le moine de se remettre, à chaque acte posé, face à Dieu afin d'écouter ce qu'Il a à lui dire. Le maître est important, certes, mais c'est dans l'intériorité, face à Dieu, que le moine trouvera les réponses aux questions qu'il se pose.

Le disciple consulte généralement le maître en premier lieu et celui-ci peut le guider ensuite vers une lecture de la Bible pour appuyer son enseignement. Cassien nous informe que c'est la doctrine des anciens qu'il vient chercher au désert, son intention est de se pénétrer de leur enseignement et non de quérir des éloges qui ne pourraient que lui nuire. Le disciple reçoit par moment de véritables leçons de catéchèse, voire même de théologie assez poussées. Abba Daniel présente un exposé clair et développé sur la chair et l'esprit et éclaire de ses exemples la pensée de l'Apôtre, ce qui la rend plus compréhensible pour les disciples. Il encourage ensuite les réactions de ses jeunes auditeurs qu'il complimente sur leur

80 Dom L. LELOIR in : « Désert et communion. »S0. N°26. Bellefontaine.1978.

connaissance des principaux chefs de la question posée. (Coll. 4) Germain explique à Abba Joseph que sa recherche consiste à observer et écouter afin de pouvoir par la suite, même dans une mesure modeste, imiter ce qu'il aurait appris à l'école du désert. Mais il ajoute que ça lui paraît impossible d'obtenir ce qui lui serait si salutaire. Il l'avait pourtant promis au supérieur de son monastère. Abba Joseph lui répond sagement que le moine ne devrait jamais prendre d'engagement absolu car, ou il sera obligé de tenir sa promesse, ou s'il s'en détourne, il faudra qu'il foule aux pieds ses obligations. (Coll. 17) Le découragement ne manque donc pas chez les disciples... et la sagesse du maître est belle !

Cassien dit à Abba Isaac qu'autant son enseignement l'enflamme « du désir d'une béatitude parfaite », autant son découragement est profond tellement son ignorance est grande. Le disciple peut être relancé par l'ancien au milieu d'un discours lorsque son attention se

disperse. Abba Sérapion leur dira : « Revenons à l'exposé que nous avions commencé (...) iiest une difficulté sur laquelle vous ne m'avez pas interrogé. » ( Coll. 5)

Il apparaît souvent que lorsque le disciple demande une parole à son père spirituel, ce dernier arrive à l'instruire et à satisfaire sa demande par des réponses éclairantes et appropriées. Le jeune moine est en questionnement perpétuel et ses interrogations sont nombreuses. Il vient quérir auprès de l'ancien une explication détaillée de ce qu'il n'a pas compris seul et le rôle du maître est de débroussailler les choses cachées avec lesquelles vivent constamment les jeunes moines mais qu'ils sont encore incapables d'expliquer par euxmêmes. L'explication est délivrance à tel point, dira Cassien, qu'après que Abba Sérapion eut fait la lumière sur les huit principaux vices, il lui semblait avoir l'objet de cet éclaircissement présent devant les yeux. (Coll. 5) Quoi qu'il en soit, rappelle N. Molinier81, le disciple devra toujours garder en tête que s'il se retire au désert, ce n'est pas pour y jouir d'une béate quiétude, mais pour y mener la vie angélique et nous ajouterons qu'en obéissant à son maître, c'est à Dieu qu'il obéit. Son adhésion à la parole du maître n'est donc pas servile mais utile puisqu'elle le mènera à une connaissance plus profonde des mystères divins pour pouvoir, à son tour, les rayonner autour de lui. Le disciple se met dans des dispositions d'esprit qui font de lui un être engagé et soumis par amour.

81 N. MOLINIER in « Ascèse, ministère et contemplation » S0 n°64 Bellefontaine. 1995.

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