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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean Cassien

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par Isabelle PEREE
Strasbourg (Théologie Catholique) - Master de théologie 2009
  

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B. Ce que sont les luttes.

Le Père du désert a deux ennemis : lui-même et le démon ! Saint Paul disait lui-même qu'il fallait « lutter contres les principautés, les puissances, contre les forces des ténèbres de ce monde et les esprits mauvais répandus dans les Cieux ». (Eph.6,12) Le moine rencontre le démon au désert d'une façon que l'on peut dire inévitable, dit A.Guillaumont, car le démon est chez lui au désert131.

129 N. MOLINIER in « Ascèse, contemplation et ministère » S0 N°64. Bellefontaine. 1995.

130 A. GUILLAUMONT in « Aux origines du monachisme chrétien » Paris 1979.

131 Ibid.

Si les démons voient des moines, dit Athanase dans la Vie d'Antoine132, ils s'efforcent de mettre des obstacles sur leur chemin et ces obstacles, ce sont les pensées impures. Seuls, la prière et le jeûne peuvent en venir à bout, mais ce n'est pas si simple car ces démons reviennent sans cesse à charge en se façonnant des apparences trompeuses, comme des allures de femmes, de bêtes ou même de soldats. Et si on les vainc en les démasquant, ils réattaquent de nouveau sous d'autres formes. Le moine du désert n'est jamais à l'abri et a fortiori le novice en formation qui représente la cible parfaite des démons en tous genres. Ceux-ci semblent parfois dire la vérité, dit Athanase, il faut alors discerner avec l'aide de l'ancien s'il s'agit d'une manifestation de Dieu ou du malin. Dom L. Leloir nous cite les Paterica arméniens133 :

« A Arsène, le démon s'était présenté sous forme humaine en disant : je suis le Christ , je suis venu te faire visite toi qui te fatigues tant pour moi. Arsène s'était voilé les yeux en disant : Je ne désire pas voir le Christ en ce monde. Le démon s'était enfui, disant : quelle profondeur a donc donné le fils de Marie aux enfants des hommes ! »

Tirer de ce texte ce qui est pertinent n'est pas aisé, mais la distance à prendre n'empêche pas la compréhension du message donné : il s'agit bien de profondeur et de force qui ne peuvent être puisées que dans la prière assidue. Le démon dont parlent les Pères, c'est euxmêmes. La lutte contre soi-même au désert, est constante du début à la fin, car les vieilles habitudes reviennent à la surface sans relâche.

On saisit bien, en lisant la « Vie d'Antoine », qu'il s'agit d'être fort pour venir à bout des démons. Ceux-ci n'agissent que là où il y a faiblesse. Antoine lui-même a eu du mal à les combattre. On sait qu'il vivait seul et que cette solitude n'arrangeait en rien cette lutte acharnée contre le malin. Le terme de « lutte » est souvent usité dans le vocabulaire monastique. On comprend par là combien le combat était rude, violent parfois et l'on se doute du nombre de moines ayant abdiqué devant les assauts de l'ennemi.

Abba Sérénus explique que les novices n'ont à faire qu'aux démons les plus faibles, aux moins puissants. Et c'est seulement après avoir triomphé des premières batailles que le moine est prêt à en affronter de plus rudes :

« Les difficultés de la lutte augmentent en proportion de nos forces et de nos progrès. » (Coll.7)

132 Athanase d'ALEXANDRIE in « Vie d'Antoine » SC 400. Cerf 1994.

133 Paterica arméniens : 15, 12A : III, 233. (in Dom L.Leloir in « Désert et communion. » S0 n°26. Bellefontaine 1978.)

Nous affirmerons donc, sans hésiter, que si les Pères mettent en garde leurs disciples avec autant d'insistance contre les démons, c'est parce qu'eux-mêmes ne les ont pas encore vaincus. Cette notion nous semble d'importance dans l'enseignement de Cassien. La lutte contre soi-même représente l'une des difficultés majeures au désert. Se combattre soi-même est de base pour laisser toute la place au divin.

On retrouve dans les Conférences ce vocable de lutte et l'esprit du combat sportif dont parle Athanase dans la Vie d'Antoine. Abba Sérénus, dans un tout autre registre, puisqu'il s'agit de « possédés », entretient ses deux visiteurs sur le fait que tout arrive par Dieu et est destiné au bien des âmes. (Coll.7)

Cassien enseigne donc que la lutte contre le démon est bien nécessaire à la formation du jeune moine, afin de l'éprouver dans ses ardeurs et son enthousiasme de débutant, mais il enseigne aussi que le disciple devra savoir que même un moine averti et vertueux, restera toute sa vie, la proie potentielle de l'Adversaire. On voit dans la Vie d'Antoine que les démons peuvent citer l'Ecriture comme le fit Satan au désert pour tenter le Christ. Le novice devra donc apprendre à discerner les bons des mauvais conseils, c'est pourquoi il sera indispensable que ses débuts au désert soient encadrés de manière stricte par un ancien expérimenté dans la lutte contre l'ennemi qui, pour combattre efficacement contre les démons, devra avoir acquis le charisme du discernement des esprits134. Il arrivera donc au maître de devoir lutter contre son disciple et celui-ci devra se montrer humble avant tout car dans un apophtegme il est dit :

« Rien ne nous chasse ni ne nous vainc aussi efficacement que l'humilité 135. »

Il ne faut pas oublier qu'au désert, c'est la vie du Christ que l'on vient vivre et non plus la sienne, ce qui suppose une grande offrande de soi-même. Le moine reste convaincu qu'à côté du Christ, il n'est rien et qu'aucune pénitence ne saurait renouer les relations d'amitié si Jésus-Christ n'avait d'avance soldé ses dettes136.

Malgré le jeûne et la prière, le démon qui ne se tient jamais pour battu, revient sous différents aspects. Il est donc important, outre la ferveur et l'opiniâtreté, d'être renseigné sur sa ruse. Le moine n'a pas l'impertinence de se mettre sur le même plan que Dieu. Il sait, que même âgé et expérimenté, il a encore beaucoup de choses à apprendre. Le Père ne reconnaît pour fils que ceux qu'anime l'Esprit de Jésus dit Saint Paul. (Rm 8,14)

135 Paterica arméniens : 15,16 R : III, 281. . (in Dom L.Leloir in « Désert et communion. » S0 n°26. Bellefontaine 1978.)

136 Un moine anonyme in « L'ermitage. » Martinguay/Genève. 1969.

Le Père du désert en est conscient, c'est ce qui fait sa simplicité et sa sagesse. Le Christ est toute la vie du moine, il restera son idéal avant toute chose et c'est en conservant ce principe en tête qu'il pourra lutter contre les assauts du démon. Dès ses premières victoires, on voit Antoine se méfier de tomber dans un autre mal : la présomption. Et plus tard, il dira à ses disciples :

« J'ai vu tous les pièges de l'Ennemi tendus sur la terre. J'ai gémi et j'ai dit : qui donc les évitera ? Et j'ai entendu une voix qui me répondait : l'humilité 137. »

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld