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La relation maà®tre disciple dans le monachisme primitif, d'après les écrits de Jean Cassien

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par Isabelle PEREE
Strasbourg (Théologie Catholique) - Master de théologie 2009
  

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VIII. L'Ecriture Sainte justifie-t-elle la relation maître disciple ?

Il est question, ici, de survoler quelque peu le rapport maître disciple dans le Nouveau Testament et non pas d'étudier l'influence de l'Ecriture dans l'enseignement du maître, ce qui n'est pas le propos de notre travail. La façon de procéder des Pères du désert envers leurs disciples était-elle conforme ou non à l'Ecriture, concernant la manière d'instruire ? Jésus luimême pouvait-il être assimilé à un maître ou à un « abba ? » Avait-il aussi été disciple avant d'enseigner lui-même ? Qu'était la méthode recevable dans l'apprentissage au désert pour que celle-ci soit conforme à ce que voulait le Christ ?

Dans la juste logique des choses, tout maître commence par être disciple et Jésus n'a pas fait exception à la règle. C'est par son baptême qu'il devient pour un temps très court, le disciple de Jean. Ce baptême est un rite d'initiation par lequel Jésus accepte de se mettre à la suite et sous la direction de son prédécesseur.

Jésus, lui, appelle individuellement chacun de ses disciples, mais il ne les reçoit jamais à l'écart pour les diriger de manière personnelle. Il n'oblige pas, mais invite à le suivre. Il ne se fait jamais appeler « abba » mais on peut dire qu'il « engendre » ses disciples en Dieu en le leur faisant connaître. Pour eux, Jésus est « Rabbouni » (notre maître). Il demande à ses disciples de n'appeler personne « père » car il n'y en a qu'un seul : celui qui est dans les Cieux. ( Mtt 23,9)

« Celui qui se fait appeler « père » dit A.Veilleux, ne peut l'être que parce qu'il incarne ou manifeste d'une certaine façon, la paternité unique de Dieu le Père à l'égard de tous 138. »

137 I.GOBRY in « De Saint Antoine à Saint Basile » Fayard 1985.

138 A. VEILLEUX in « Conférence sur la paternité spirituelle » donnée au monastère N.D. d'Ermeton (Namur/Belgique) en 2001.

Jésus est donc « maître » et non pas « père » pour ses disciples. L'Ecriture enseigne également que le Christ envoie Paul chez l'ancien Ananie, jugeant préférable de le mettre à une école plutôt que de l'enseigner lui-même.

Paul, lui, appelle les Corinthiens « mes enfants bien aimés » (I Cor 4,14) et dit aux Thessaloniciens que comme un père pour ses enfants, il les a exhortés, encouragés, adjurés de mener une vie digne de Dieu. (I Thess 2,11)

Peut-être s'agit-il là davantage d'une métaphore que d'une intention manifeste de se considérer comme le père de ses ouailles, mais la relation semble moins distante entre Paul et les communautés qu'entre Jésus et ses disciples. Il nous faut bien sûr nous contenter du peu de sources fiables que nous possédons concernant les paroles historiques de Jésus mais on peut tout de même se poser la question de savoir si la manière d'appréhender la paternité spirituelle ne dépendait pas de la mentalité, de l'intention, voire même du caractère de chacun des maîtres.

Dans la distance qu'impose Jésus par son refus de nommer « père » quelqu'un d'autre que Dieu, on devine un espace de liberté qui permet de faire un choix pesé. Paul a un discours persuasif, il s'implique davantage dans ce qu'il transmet. Si Jésus garde une distance dans sa manière d'enseigner cela ne l'empêche nullement d'estimer à leur juste valeur ses envoyés faisant fonction de maîtres spirituels.

« Qui vous accueille m'accueille et accueille Celui qui m'a envoyé. » (Mt 10, 41-42)

La direction spirituelle selon Jésus, consistait principalement à transmettre la connaissance de Dieu.

Paul dit aux Corinthiens :

« Auriez-vous en effet, des milliers de pédagogues dans le Christ, que vous n'avez pas plusieurs pères ; car c'est moi qui, par l'Evangile, vous ai engendrés dans le Christ Jésus. Je vous exhorte donc : soyez mes imitateurs. » ( I Cor 4, 15-17)

Paul demande donc aux Corinthiens de l'imiter, ce que ne semble jamais faire Jésus.

Au désert, nous retrouvons dans les paroles des anciens la notion d'imitation, même s' il s'agit de l'imitation du Christ et non d'eux-mêmes. L'ancien du désert démontre généralement par la douceur ce qu'il est bon d'imiter ou non. L'intention n'est pas ici de démontrer que la façon de procéder des anciens était irréprochable et celle de Paul répréhensible mais de confirmer que chaque maître avait sa manière d'appréhender la direction spirituelle en rapport avec son propre tempérament. Il s'agit donc d'une manière de faire.

Il n'y avait ni école, ni règle chez les premiers chrétiens et la qualité des enseignements reçus dépendait fortement de celui qui les dispensait.

Ainsi, le célèbre conseil des Pères du désert recommandant au disciple de s'asseoir dans sa cellule afin que celle-ci lui enseigne tout ce dont il a besoin serait un peu réducteur si l'on n'incluait la notion de liberté que ce conseil connote. Si cela peut sembler suggérer que le maître spirituel n'est pas indispensable, cela aide à comprendre surtout que c'est en lui-même et face à Dieu seul que le jeune moine trouvera le chemin qui conduit au (vrai) Père.

Ce conseil ne prend sa pleine signification que s'il est donné par un maître qui lui-même a expérimenté la solitude de la cellule. Celui-ci ne fait pas le travail à la place du disciple mais lui transmet l'énergie pour l'accomplir. C'est également ce que faisait Jésus vis-à-vis de ses disciples, il ouvrait la voie mais sans interférer.

Se focaliser sur le maître peut aider le disciple à voir Dieu de manière incarnée, ce qui l'aidera à progresser dans la vie spirituelle, mais il devra un jour voir Dieu en son frère également. La relation au maître doit être celle qui ouvre vers Dieu et non celle qui referme sur le maître seul, ce qui risquerait d'être néfaste pour le jeune moine. C'est en ce sens que l'enseignement de l'Evangile est une exemple sans cesse recommandé par les anciens. Jésus a montré le chemin puis il s'est effacé. L'ancien du désert s'efface donc lui aussi, de façon à laisser le jeune imiter le Christ et non pas lui-même.

Le terme d'imitation est employé par Cassien lorsque Germain dit à Abba Joseph :

« Nous avions pensé que nous retournerions à notre monastère comblés, par la vue de votre béatitude, de joie et de fruits spirituels et qu'il nous serait possible d'imiter, au moins dans une mesure modeste, ce que nous aurions appris à votre école... » (Coll.17)

Il s'agit d'imiter un savoir-faire, un savoir-être, en vue d'obtenir les mêmes joies que l'ancien, mais non d'imiter l'ancien lui-même pour ce qu'il est ou serait sans cette béatitude.

Si l'ancien suscite l'imitation, il ne l'impose jamais, il se fait modèle par l'exemple et par son témoignage mais ne demande jamais au disciple de l'imiter. Ce désir d'imitation vient du novice lui-même, comme il a dû survenir également chez les disciples du Christ après sa mort.

Abba Théonas met les visiteurs en garde.

« ... j'y mets cette unique condition, que votre intelligence ne s'intéresse pas seule à mes paroles, mais qu'elle s'accompagne de la pratique des oeuvres. Ainsi en va-t-il de tout ce qui s'apprend par l'expérience, plutôt que par la doctrine : celui qui ne l'a pas pratiqué est incapable d'en instruire les autres... » (Coll.22)

Il ne faut pas imiter sans comprendre et encore moins sans adhérer, veut sans doute transmettre Cassien, il est donc essentiel d'entrer dans la pratique et de vivre à son tour et à sa façon (et non pas à celle de l'ancien) sa propre expérience.

Le jeune moine s'inspire donc de ce qu'enseigne le maître en l'adaptant à ses possibilités de raisonnement. C'est en ce sens que l'exigence de l'ancien rejoint celle de Jésus et se montre donc conforme à l'Ecriture. La responsabilité du maître est grande vis-à-vis du disciple, mais il ne veut pas être être idolâtré. Il est un homme comme les autres qui ne peut prendre la place de Dieu et c'est bien sûr contre cela que Jésus met en garde ses disciples de ne mettre personne à la place de Dieu en l'appelant « père ».

L'attitude de l'ancien vis-à-vis du disciple est davantage celle d'un maître qui enseigne, tout comme le Christ, plutôt que celle d'un père qui protège, même s'il lui arrive quelquefois de se montrer protecteur envers le jeune moine. On retrouve chez Cassien des éléments de réflexion qui rappellent ceux de Justin139 qui disait que pour comprendre les Ecritures, il fallait non seulement une grâce mais également un enseignement de manière à pouvoir les interpréter.

« En effet, l'intelligence des Ecritures est un don de la grâce mais elle suppose aussi un maître qui ouvre à cette lecture de manière persuasive. Et cela commence par le Christ qui a pris la peine d'enseigner les apôtres 140. »

Dieu ne montre à personne le chemin de la perfection si, ayant auprès de qui s'instruire, on méprise la doctrine des anciens et leur règle de vie, sans faire cas de cette parole qui voudrait être pourtant observée avec zèle :

« Interroge ton père et il te l'apprendra ; tes anciens et ils te le diront. » (Dt 32,7)

139 F. VINEL in « Les principes théologiques de l'exégèse des Pères de l'Eglise. » Fascicule de cours de Licence. (2ème année.) Strasbourg/Edition 2005.

140 Ibid.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite