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Heidegger et le problème anthropologique: le statut du "dasein" dans l'ontologie fondamentale

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par Aimé MBAINDIGUIM GUEMDJE
Université Catholique d'Afrique Centrale - Institut Catholique de Yaoundé (UCAC-ICY) - maitrise en philosophie 2005
  

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CHAPITRE IV :

L'ONTOLOGIE DE LA MORT : LA MORT COMME
TERME DE L'EXISTENCE DU DASEIN

Le philosophe de Freibourg-en-brisgau, M. Heidegger, dont les lecteurs et les critiques ont à maintes reprises affirmé qu'il s'est fait le défenseur de haute facture de l'être en oubliant l'homme105, nous amène progressivement dans la profondeur de sa pensée unifiée à travers ses investigations sur l'homme. En effet, pour lui, l'ontologie fondamentale réclame un soubassement ontique, c'est-à-dire que l'étude de l'être a pour fil conducteur l'analyse de l'homme. Après avoir analysé 1'ek-sistence humaine dans sa plus grande étendue comme une ouverture ek-statique, comme une relationalité ontologique et ontique, Heidegger ne fait pas l'économie d'une réflexion hors pair sur la mort : une réflexion ontologique et phénoménologique de la mort. Mais qu'est-ce qui peut bien signifier cet intitulé quasiment insolite? Comment la mort apparaît-elle dans son essence même chez le père de l'ontologie ?

IV.1. Le Dasein : l'être-pour-la-mort

La phénoménologie se borne à décrire les réalités qui se donnent à voir dans notre champ expérimental afin de leur conférer un sens. Elle est une explicitation des phénomènes. Chez Heidegger, étudier la mort en tant que phénomène revient à chercher son sens, son être ou son essence. Dans cette optique, l'ontologie phénoménologique de la mort pourrait brièvement signifier une quête descriptive du sens et de l'essence de la mort. L'analyse heideggérienne de la mort est une interprétation existentiale de la mort qui précède toute interprétation biologique, ethnologique et psychologique de ce phénomène. L'existence humaine est un phénomène inscrit dans cet intervalle qui va de la naissance à la mort.

Le « Dasein ist sein zum Tode »106, c'est-à-dire que le Dasein est un être-pour-lamort. Dès la naissance, dès son ek-sistence, il est tout entier tendu, voué à la mort. Dans la lucidité de l'angoisse, il apparaît avec l'éclat du feu qu'à tout instant, et dès le premier moment de sa vie, le Dasein est capable et sur le point de mourir. La mort est,

105 M. Heidegger, Cahier de l'herne, l'Herne, Paris, 1983, p. 383.

106 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 266.

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pour lui, une manière d'être, une modalité d'être qui l'affecte dès qu'il existe, et qui mûrit implacablement en lui. Dans cette perspective purement phénoménologique, le phénomène de la mort apparaît comme la possibilité de l'existence qui conduit à la nonexistence, au néant d'être. Ainsi, la mort est le néant d'être du Dasein. Dans l'angoisse, celui-ci réalise l'expérience fondamentale du néant de son être.

Comprise comme la modalité la plus propre d'être de l'homme, la possibilité absolument inévitable, inconditionnée, insurmontable et indépassable, la mort est ainsi la possibilité de l'impossibilité de toute autre possibilité. Autrement dit, << la mort est possibilité de la pure et simple impossibilité de l'être-là ».107 En effet, lorsqu'elle survient, la mort annule toutes les autres possibilités, tous les projets de l'homme ; elle se présente comme l'«élément zéro», c'est-à-dire l'élément absorbant de toutes les ambitions humaines. D'une part, la mort est le pouvoir-être le plus propre, c'est-à-dire le plus authentique du Dasein. D'autre part, elle est authentique pouvoir-être, pouvoirêtre qui demeure toujours pouvoir, qui ne se réalise jamais, au moins tant que le Dasein est là. La mort est donc possibilité authentique (propre) et authentique possibilité (insurmontable).

En outre, dire que l'homme est un être pour la mort, selon la compréhension de Heidegger, cela signifie qu'il est un être voué à la mort et que celle-ci se présente ici comme une affaire très personnelle et très individuelle, en ce sens que chaque homme est inexorablement condamné à mourir seul ; personne ne peut mourir à la place de l'autre : << Nul, affirme l'auteur, ne peut décharger l'autre de son trépas108 Quelqu'un peut bien << aller à la mort pour un autre ». Toutefois cela revient à dire : se sacrifier pour l'autre dans un cas déterminé. Mais << mourir ainsi pour (autrui) ne peut jamais entraîner que l'autre serait dans la moindre façon déchargé de sa mort. » 109 Cela consiste à dire que, ontologiquement parlant, il ne peut jamais avoir de mort par << représentation », par << procuration », c'est-à-dire par délégation. Le trépas, c'est à chaque Dasein de le prendre comme une affaire individuelle et personnelle, c'est-à-dire que chaque homme doit porter et assumer son trépas. C'est là la modalité d'être propre (authentique) à chaque être humain. Désormais, et dans la perspective heideggérienne, toute notion de sacrifice (mourir-pour-autrui ou à la place d'autrui) est vidée de son

107 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 170.

108 Ibidem, p. 240.

109 Idem.

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sens. Selon Heidegger, ce serait une aberration de dire qu'on peut mourir à la place de l'autre.

Si la mort est donc le néant de toute possibilité, est-ce à dire que l'homme ne doit plus avoir des projets ? L'homme doit-il tomber dans la résignation et dans le fatalisme ? Quand le Dasein sait pertinemment qu'au surgissement, à l'avènement de la mort tout devient néant d'être, comment va-t-il donc concevoir son existence et tout ce qui implique comme désir de réalisation de soi ? Pour Heidegger, la réponse à ces interrogations est sans ambiguïtés. Une fois que l'homme sait qu'il est un être-pour-lamort et que, à cause de cela, refuse d'agir, il tombe en quelque sorte dans la déréliction, dans l'existence inauthentique. Car,

« avec l'être-pour-la-mort, la possibilité ontologique d'un pouvoir-être total et authentique du Dasein est donc démontée. Ce mode d'être authentique de l'homme n'est pas une « construction théorique », mais est attesté existentiellement par la voix de la conscience qui convoque le Dasein hors de la perte dans le on et l'appelle à son pouvoir-être le plus propre »110.

Répondant à cet appel, l'homme existe résolument, c'est-à-dire en vue de luimême. En anticipant résolument la mort, le Dasein existe authentiquement en vue de lui-même et de son pouvoir-être le plus propre. Ainsi, la résolution anticipante est la forme originaire et authentique du souci. En sachant pertinemment que l'homme est pour la mort, il doit assumer son être-jeté-dans-le-monde.

C'est ici que l'originalité de l'interprétation ontologico-phénoménologique de la mort chez Heidegger est, à notre avis, mise en évidence. En effet, la mort comme possibilité de l'impossibilité de toute possibilité, loin d'enfermer le Dasein, l'ouvre plutôt à ses possibilités sur le mode le plus authentique. Ce qui implique toutefois qu'elle soit assumée de manière authentique par lui, en ce sens qu'elle soit reconnue explicitement par lui comme sa modalité d'être la plus propre. Cette façon d'assumer pleinement la mort comme possibilité est ce que Heidegger appelle l'anticipation de la mort111. Anticiper la mort ne signifie pas y penser au sens de garder à l'esprit le fait que nous devons mourir ; cela ne signifie pas non plus « s'abandonner à la mort ». Pour le philosophe allemand, l'anticipation de la mort s'identifie à la reconnaissance du caractère non définitif de chacune des possibilités concrètes que la vie nous présente, de

110 A. Boutot, Martin Heidegger, op.cit., p. 33.

111 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 261.

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telle sorte que le Dasein ne se fige pas en se projetant définitivement sur la base de telle ou telle de ces possibilités, mais reste continuellement ouvert:

« L'anticipation, indique-t-il, ouvre à l'existence comme sa possibilité la plus extrême le renoncement à elle-même et brise ainsi tout raidissement sur l'existence à chaque fois atteinte [...]. Parce que l'anticipation de la possibilité indépassable ouvre avec elle toutes les possibilités situées en deçà d'elle, elle porte avec elle la possibilité d'une anticipation existentielle du Dasein total, c'est-à-dire la possibilité d'exister comme pouvoirêtre entier. »112

Bien que l'homme soit inconditionnellement un être-pour-la-mort, l'anticipation résolue du phénomène du mourir apparaît ici comme un antidote, comme une soupape de sécurité contre toute conception dramatique et tragique de la mort.

Ce point de vue de Heidegger voudrait nous amener à poser le phénomène de la mort comme une << forme >> de la vie ; elle est innée à la vie si bien que, dès que celle-ci se manifeste, celle-là est déjà là. La mort n'apparaît pas au moment de la mort, elle est là dès la naissance ; on pourrait même dire qu'elle précède la naissance : << la vie serait différente du tout au tout si la mort ne l'accompagnait pas dès ses débuts, mais se présentait seulement à son terme>>.113 Une telle conception du mourir ne veut pas dire que la mort doit être acceptée avec joie ou célébrée comme on le ferait à l'occasion d'une réussite. Concevoir ainsi la mort conduirait à considérer Heidegger comme un << nécrophile >> (qui aime la mort). C'est tout le contraire. En effet, si la mort pour les religions du salut, porte en elle le risque de la perdition, il y a donc chez Heidegger reconnaissance de la réalité de la mort à sa juste valeur. La mort est quelque chose qui arrive inévitablement, transforme radicalement, joue un rôle dans le processus de la vie ; elle est quelque chose de naturel. La vie et la mort sont les deux versants de l'existence de l'homme. N'est-ce pas à cause de cela que Heidegger parvient à considérer la mort comme constitution de l'existence du Dasein ?

IV.2. La mort comme constitution fondamentale du Dasein D'après le Dictionnaire Larousse, la << constitution >> est << action de constituer, c'est-à-dire de regrouper des éléments afin de former un tout >> ou bien le fait de

112 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 264.

113 E. Morin, L'homme et la mort, Seuil, Paris, 1970, p. 274.

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<<former l'essence, la base de quelque chose >>.114 Dans la logique de cette définition, on peut dire que lorsqu'une chose est un élément constitutif d'une autre elle devient un élément essentiel et non accidentel. Dès lors, comment pouvons-nous comprendre que la mort soit considérée comme partie constituante du Dasein ? C'est une question apparemment triviale, mais combien elle revêt une importance capitale. Ce n'est qu'en nous mettant à l'école, à l'écoute attentive du philosophe Heidegger que nous saisirons la pertinence de cette nouvelle considération sur la mort.

On nous a habitués à considérer la mort comme étant quelque chose d'extérieur à l'homme. En témoignent les communiqués nécrologiques qui nous font toujours croire que la mort d'un individu, qu'elle soit naturelle ou accidentelle, c'est-à-dire causée par un agent quelconque, est considérée comme un drame ou une tragédie. Pour Heidegger, tel n'est pas le cas. La méditation de ce phénoménologue sur la mort se veut donc un dépassement et un déplacement de cette conception classique du phénomène du mourir.

Selon lui, en effet, la mort est une dimension constitutive et fondamentale de l'exister humain. C'est le véritable statut que nous devons reconnaître à la mort de l'homme : << la mort est repérée comme un phénomène existential. Cela engage la recherche dans une orientation purement existentiale sur le Dasein chaque fois mien. >>115 Cela dit, la mort n'est pas un accident, elle est inhérente à l'existence de l'homme. Par analogie, nous dirons que, autant il n'y a pas de médaille sans revers, autant on ne peut concevoir la vie sans la mort : << la mort, renchérit l'auteur, est un phénomène de la vie. Vie doit être compris (sic) comme un genre d'être auquel un êtreau-monde appartient. >>116 Ainsi, si personne ne peut décharger autrui de sa mort et ne peut stricto sensu

« mourir pour l'autre, cela implique que le « mourir n'est pas seulement une détermination extrinsèque de l'existence, un accident de la substance " homme", mais au contraire un attribut essentiel de celui-ci. Le rapport que l'être humain entretient avec le mourir est donc constitutif de son être même et premier par rapport à toutes ses autres déterminations. »117

Dans un cours dispensé pendant la parution d'Etre et temps où Heidegger aborde, d'après le témoignage de F. Dastur, pour la première fois l'analyse de l'être-

114 Dictionnaire Petit Larousse en couleurs, Librairie Larousse, Paris, 1990, p. 258.

115 M. Heidegger, Etre et temps, op. cit., p. 240.

116 Ibidem, p. 246.

117 F. Dastur, Heidegger et la question anthropologique, op. cit., p. 22

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pour-la-mort, il parvient à affirmer que la certitude du devoir-mourir est le fondement de la certitude que le Dasein a de lui-même, de sorte que ce n'est pas le cogito sum, le << je pense, je suis » qui constitue la véritable définition de l'être du Dasein, mais bien entendu le sum moribundus, << je suis mourant », le moribundus, le << destiné à mourir », donnant seul son sens au << sum », au << je suis ».118

En somme, nous reconnaissons avec Heidegger que la mort ne peut plus apparaître comme l'interruption de l'existence, comme ce qui déterminerait la fin de celle-ci de manière externe, mais comme ce qui constitue ce rapport du Dasein à son propre être que Heidegger nomme existence. Comme face cachée de la vie, lorsqu'elle apparaît, la mort peut être vécue avec beaucoup plus de sérénité et de lucidité, étant entendu que sérénité signifie d'un côté détachement de cette conception traditionnelle et tragique de la mort, et de l'autre détachement de cette idée de nous considérer comme des immortels dans notre existence ou dans notre être-au-monde119 .

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera