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Les établissements pénitentiaires pour mineurs: l'identité des personnels en question

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par Olivier CHEVRIER
école nationale de la protection judiciaire de la jeunesse - chef de service éducatif PJJ 2007
  

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Les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs :

L'identité des personnels en question.

« En face de vous, il y a des éducateurs,

Des gens qui trafiquent avec la population pénale,

Méfiez-vous d'eux »

Discours tenu à l'École Nationale

De l'Administration Pénitentiaire dans les années 1970-801(*)

Introduction

En réponse à une délinquance des mineurs toujours en évolution, étroitement liée à l'état du moment de la société, la politique criminelle en direction des jeunes oscille entre une réponse pénale plus ou moins ferme, mais elle conserve toujours une préoccupation éducative.

Aujourd'hui, l'Administration Pénitentiaire (A.P) et la Protection Judiciaire de la Jeunesse (P.J.J) s'allient pour élaborer un nouvel outil de prise en charge des mineurs auteurs récidivistes d'infractions pénales : les établissements pénitentiaires pour mineurs (E.P.M).

L'A.P avait depuis longtemps la préoccupation d'améliorer la prise en charge des jeunes détenus. Dans cette optique, il était apparu nécessaire de créer au sein des maisons d'arrêt des quartiers pour mineurs afin d'éviter la promiscuité d'avec les adultes. La PJJ n'était pas étrangère à ce dispositif, soit dans le cadre d'un suivi éducatif préexistant à une incarcération, soit par l'intervention continue d'éducateurs en quartier mineur2(*).

La différence majeure de ce nouveau projet institué par la loi3(*) est la perspective d'un travail conjoint de prise en charge au quotidien d'un groupe de jeunes détenus sous l'égide commune d'un surveillant et d'un éducateur de la PJJ. Selon Jean-louis Daumas, responsable du dossier E.P.M à la direction de la P.J.J : « Pour la première fois, il y aura pour les mineurs incarcérés, une présence éducative continue d'adultes, de 7h30 à 21h30 4(*)».

Bien que le fonctionnement de ces E.P.M ne soit pas encore défini dans des modalités détaillées, leurs directions comme celles des autres prisons relèvera de l'administration pénitentiaire seule. L'organisation de la journée relèvera quant à elle de la responsabilité de la P.J.J. Au-delà, il s'agit de s'interroger sur ce partenariat entre deux administrations du Ministère de la Justice et sur ce qu'il peut renvoyer aux uns et aux autres sur leur identité professionnelle.

Dans cette approche, il est indispensable de s'éloigner de toute polémique que pourrait susciter la mise en place de ce nouvel outil de politique pénale5(*). Le débat ne porte pas ici sur le concept de « peine-éducative ». Ce travail se veut avant tout non partisan, et vise le plus objectivement possible à évaluer une nouvelle perspective de travail. Autrement dit, que suscite cette orientation de la justice des mineurs et comment répondre aux questionnements qui émergent ?

On pressent d'ores et déjà que c'est la question de la formation des personnels encadrants qui est en jeu (celle des éducateurs amenés à travailler en E.P.M mais aussi celle des surveillants de ces nouveaux quartiers mineurs). Dans cette perspective, plusieurs problématiques viennent aussitôt à la réflexion :

- Que suscite professionnellement cette volonté de travailler ensemble ? Comment mettre en commun ou en synergie deux savoirs, deux expériences institutionnelles voire deux identités professionnelles sur un même sujet : à savoir la prise en charge des mineurs délinquants.

- Comment orienter la formation pour assurer un réel travail partenarial ? Et comment répondre à l'enjeu de l'émergence d'une adaptation de l'identité professionnelle de chacun ?

Mais avant d'aller plus loin dans la démonstration, il est nécessaire de faire un bref rappel historique des modèles pénitentiaires6(*) et des fonctions de la peine afin de cerner au mieux dans quelle perspective se situe la mise en place des E.P.M.

Historiquement, l'idée générale était de faire de la prison l'instrument par excellence de la politique pénale. Aujourd'hui, on se rend compte que la prison ne peut être qu'un instrument résiduel de la politique répressive. Face à ce constat, comment situer la mise en place des E.P.M ? Cette institution restera-t-elle une réponse exceptionnelle à la récidive ou bien connaîtra-elle un glissement vers un recours plus systématique à la détention des mineurs ?

A partir de la révolution de 1789, la politique répressive aidée en cela par les philosophes des lumières adopte l'idée selon laquelle la privation de la liberté individuelle est le levier par lequel il faut agir pour limiter la criminalité. C'est la naissance de la prison comme recours à la lutte contre la délinquance.

En 1826, est imaginé le modèle pennsylvanien ou philadelphien caractérisé par l'emprisonnement cellulaire de jour comme de nuit. L'idée est de produire un isolement total du condamné (avec l'aide par exemple du port d'une cagoule pour éviter tout moyen de communication entre détenus). A partir de 1816 et jusqu'à la moitié du 19ème siècle, c'est le modèle auburnien (initié à New York) qui est privilégié. Les détenus travaillent en commun la journée avec pour règle absolue celle du silence et la nuit, celle de l'isolement. C'est à cette période que les colonies pénitentiaires sont créées.

Entre la fin du 19ème siècle et jusqu'à la moitié du 20ème siècle, le modèle de Norfolk (en Angleterre) est expérimenté. Ce régime dit progressif ou « irlandais » repose sur le principe selon lequel : « celui qui à la clef de la porte la mets dans la serrure ». En fait, il correspond à la mise en place d'un système de points de bonne conduite qui vient contrebalancer le passif du détenu.

En France, les années 1945-50 connaissent la réforme Paul AMOR. La philosophie du projet repose sur le principe que la prison doit être un instrument de correction, tendant d'abord à l'amélioration et à l'instruction de l'individu. Puis, avec la réforme pénale de 1958, on tend finalement vers un régime progressif. Les permissions de sortie, la libération conditionnelle, la semi-liberté sont mises en place. Cependant, depuis 1975, il y a un abandon du système progressif pour les longues peines, et c'est finalement le système auburnien qui domine. Quant aux courtes peines privatives de liberté, c'est en principe le système philadelphien qui devrait être privilégié, mais au vu de la surpopulation carcérale, il n'est pas appliqué dans les faits (emprisonnement cellulaire adouci).

Pour se faire une idée encore plus précise sur la question des E.P.M, il convient de rappeler brièvement quelles sont en criminologie et à plus forte raison en pénologie, les fonctions attribuées classiquement à la peine privative de liberté. Sachant que ces fonctions donnent à leur tour naissance à plusieurs modèles de pénalité. Ces fonctions sont la rétribution, la prévention générale et spéciale, la neutralisation et la restauration7(*).

Ces rappels effectués, ils permettent déjà de mettre en perspective l'orientation actuelle de la politique pénale à l'encontre des mineurs, et d'aborder la problématique choisie :

En quoi les E.P.M influent-ils sur la notion d'identité professionnelle ? Qu'est-ce qui est en jeu sur cette question dans le partenariat entre la Protection Judiciaire de la Jeunesse et l'Administration Pénitentiaire au sein des E.P.M ?

Une hypothèse de réflexion consiste à s'interroger sur ce que suscite cette volonté de travailler ensemble ? C'est la question de la formation des personnels qui est amenée à être étudiée. Il s'agira donc dans une première partie de mettre en lumière l'existence d'une prise en charge différentielle des mineurs délinquants à l'A.P et à la P.J.J à partir de mon expérience professionnelle.

Puis, à partir de mon expérience d'intervention à l'E.N.A.P, j'esquisserai la perspective d'un travail en partenariat. Enfin, dans la dernière partie, je tenterai d'élaborer un modèle de formation initiale pour les agents des E.P.M.

1. Une prise en charge différentielle des mineurs délinquants

Au cours des différents postes que j'ai occupés ces dernières années (d'abord en foyer, à l'unité éducative auprès du tribunal et enfin en milieu ouvert), des constats me sont apparus entre la pratique de prise en charge des mineurs délinquants en milieu pénitentiaire et celle réalisée en unité d'hébergement à la P.J.J. De cette expérience émerge a priori des questionnements sur la viabilité d'un projet de travail en commun entre ces deux institutions.

En prison : De « l'interdit » vers de la souplesse

Il s'agit en premier lieu de se départir des représentations de chacun sur le travail de l'autre. Force est de constater qu'il existe ici un point d'achoppement entre les deux types de prise en charge, d'ailleurs mis en exergue le plus souvent par les mineurs eux-mêmes. Combien de fois en effet a-t-on entendu dire de la bouche de ces jeunes qu'ils préfèrent aller en prison que dans un foyer ! Ou bien encore que le foyer, c'est la liberté et qu'on peut y faire ce qu'on veut !

Ce discours est à prendre avec précaution. Bien loin de marquer une incompétence des uns là où la prison réussirait, il illustre au plus haut point la divergence entre le traitement d'enfermement et la visée strictement éducative du placement judiciaire.

La prison est d'abord une institution « pesante ». C'est par définition un milieu fermé, fait essentiellement d'interdits auxquels il est difficile de se soustraire. Ainsi, la gestion du détenu se fait surtout et en fonction de son comportement par l'octroi ou le retrait de droits (télévision, placement mitard...). C'est la différence essentielle avec un foyer d'action éducative de la P.J.J, basé lui, non pas sur de l'interdit mais d'abord sur de l'autonomisation, qui peut alors amener à des restrictions en cas d'échec dans des mises en situation de responsabilisation du jeune.

Cette distinction aboutit certainement à des conceptions professionnelles différentes du « détenu » pour les uns et du « jeune placé » pour les autres. Il s'agit bien là du souci de faire coïncider deux représentations professionnelles distinctes de l'adolescent difficile. Les deux administrations n'ont pas la même vision des difficultés que pose le même jeune et cela en fonction du contexte dans lequel ce dernier se trouve8(*).

B. Au foyer : De « la souplesse » vers de l'interdit

Lorsqu'un adolescent arrive au foyer, il lui est remis un règlement intérieur qui présente d'abord l'établissement comme un lieu de vie pour lui et qui se termine par une liste d'interdits.

En général il s'agit des grands empêchements à une vie sociale en collectivité dite « normale » : pas de drogue, d'alcool, d'armes. Il existe aussi un refus de l'institution de relations sexuelles entre les accueillis. Ici, l'accent est mis sur le fait que le jeune est d'abord mis en position d'acteur. C'est à lui d'essayer de se saisir de l'opportunité qui lui est donnée de « repartir » sur des bases saines de vie en société. L'éducateur est là pour le guider, lui rappeler ou lui apprendre parfois les règles de vie. Dans ce contexte, l'éducation repose d'abord sur la responsabilisation du jeune et sur son autonomisation. Il devra par exemple rentrer à l'heure qui lui sera donnée par l'éducateur au foyer. Certes, ce postulat n'est pas simple pour un adolescent qui jusque là ne guidait sa vie que sur ces envies. Il en est de même pour tout ce qui est de l'apprentissage à différer un besoin.

Les règles existent donc au foyer, mais leur respect repose aussi sur la parole donnée du jeune ou de l'éducateur. Ce conception peut conduire sur certains points à une part importante à la négociation ou à de la souplesse. L'essentiel ici et à la différence du milieu carcéral, est l'absence du poids de l'institution. Ainsi, la difficulté est inverse à celle qui se pose en prison. En effet, en cas de non respect d'un interdit, il faudra pour l'éducateur ou l'institution trouver des moyens de réinjecter de l'interdit et de la loi dans un environnement proche de celui qui régit la société en général. De là aussi tout un cortège de gestion des conflits individuels ou de groupe plus prégnant qu'en prison.

La perspective d'un travail en partenariat9(*

A partir de ces constats, on mesure toute l'ambiguïté d'agir ensemble puisque les perspectives de travail ne sont pas identiques. Ces méthodes engendrent ou bien alimentent des représentations erronées sur le travail des uns et des autres.

A cela s'ajoute le corollaire des difficultés rencontrées dans le quotidien professionnel de chacun. Difficultés professionnelles du métier de surveillant10(*) (la routine carcérale, le manque de considération, les contraintes de la surveillance et de la sécurité...) et difficultés de l'éducateur (gestion du groupe, relations avec les magistrats, les familles...) qui peuvent parfois se recouper mais qui sont à l'origine de divergences de conceptions ou de représentations sur le métier de l'autre. Il s'agit donc de se demander si le dispositif des E.P.M risque d'amplifier ou au contraire de diminuer ces incompréhensions.

Les apports d'une expérience professionnelle éducative auprès des surveillants à L'Ecole Nationale de l'Administration Pénitentiaire (ENAP)

Depuis l'année 2006, j'ai effectué au total trois interventions à l'E.N.A.P, auprès des promotions de surveillants pénitentiaires. Deux pour la formation continue d'adaptation au quartier mineur, et une pour la première promotion de surveillants amenée à travailler en E.P.M.

Ici l'expérience de travail en hébergement est à expliquer, et à valoriser. Elle apporte à ces personnels à la fois une réassurance et permet un « passage de relais » pour un « savoir faire éducatif ». Cette rencontre a cautionné l'idée qu'il existe beaucoup de représentations sur le métier de surveillants, notamment les miennes. En effet, je pensais que j'aurai face à moi des personnels en butte à l'éducatif. Mais grande fût ma surprise, de voir à quel point ces derniers sont avides de découvrir le métier d'éducateur et surtout d'en tirer des enseignements sur les pratiques exercées en foyer.

Ces personnels sont majoritairement inquiets quant à un mode de prise en charge qu'ils ne connaissent pas et susceptible de générer des situations nouvelles pour eux. C'est par exemple l'idée de « vivre avec » ou de « faire avec » les détenus et même peut -être la crainte d'avoir à gérer un collectif de jeunes sur des actions de vie quotidienne. Mais, il existe aussi des préoccupations « toutes pénitentiaires », comme celle de la peur du suicide. Comment l'éducateur fait-il devant ce problème ? Est-ce une situation courante dans sa pratique?

En cela, la possibilité d'expliquer notre métier à partir de l'expérience de terrain et d'hébergement permet de rassurer, de diminuer la « barrière » entre surveillants et détenus, mais aussi de « casser » les représentations éventuelles du surveillant sur l'éducateur de justice. C'est l'occasion d'expliquer que ce dernier n'agit pas toujours en faveur du jeune. Et qu'il est là aussi pour rappeler la loi, travailler sur la culpabilité et sur le rôle que chacun doit tenir en société. Comme le dit Fernand Deligny11(*) l'éducateur en hébergement « remplace les murs et les barreaux ».

Au fond, la question essentielle posée par les surveillants est bien celle du « savoir-être » éducatif. Face à la difficulté pressentie à se situer par rapport à une fonction nouvelle au sein des E.P.M, ces personnels sont curieux de connaître le positionnement de l'éducateur face à un groupe d'adolescents. En manque de repères professionnels, leur question est la suivante : comment faites-vous ? Les deux approches professionnelles sont-elles compatibles, voire complémentaires ? Au foyer, le « vivre avec » est un outil de la pédagogie, en est-il de même pour un surveillant ?

C'est la question de la « dilution » des rôles et des fonctions12(*) qu'il faut interroger. Ainsi, on peut considérer que la distance entre le gardien et le détenu se maintient parce qu'elle est « parasitée » par des relations qui lui sont extérieures (avec avocat, éducateur, famille...)13(*).

Le détenu se trouve en quelque sorte « distrait » de ce face à face. Mais comment envisager cet état de fait si le professionnel qui jusque là fait tiers dans cette relation, est présent en permanence et constitue le binôme du surveillant ?

Ce problème se retrouve dans la question de la distance professionnelle entre les jeunes détenus et les surveillants. L'emploi du vouvoiement par les surveillants est de rigueur dans la culture carcérale alors que le tutoiement  est généralement employé par les éducateurs et participent de la culture PJJ en hébergement. Comment alors se positionner sur cette question ? Faut-il adopter la même ligne de conduite ? Ou bien cette différence de distance risque-t-elle de créer dans les esprits des mineurs une différenciation entre les professionnels? Et si oui, cette dernière est-elle bénéfique ou non ?

Il y a en fait toute une nouvelle culture professionnelle à élaborer, voire peut-être à réinventer avec la préoccupation sous-jacente de se demander comment les mineurs vont repérer les rôles de chacun. Autrement dit cette mixité professionnelle imprimera-t-elle un changement dans les fonctions des uns et des autres?

En tout état de cause, il s'agit d'échafauder un « savoir-être » qui s'inspirera peut-être de celui de l'éducateur mais qui devra s'en détacher pour éviter la dilution des rôles. C'est là certainement l'enjeu de la formation pour les surveillants. La construction d'une identité professionnelle nouvelle.

La confrontation des éducateurs au monde pénitentiaire

La question que pose sans doute un tel partenariat est celle de savoir quelle conception l'éducateur donne à la peine. En effet, dans la perspective historique de l'Education Surveillée devenue en 1990 la Protection Judiciaire de la Jeunesse, ce « retour » en prison pourrait a priori être vécu professionnellement comme une sorte de retour en arrière.

Cependant lors des sessions de formation à l'ENAP, tout le monde semble s'accorder sur l'idée que « nous allons tous dans le même sens ». Cette clairvoyance à son importance, puisque elle conditionnera de près ou de loin l'ensemble de la vie en détention. En tout état de cause, au cas où les points de vue seraient amenés à diverger sur cette question entre le personnel éducatif et celui de surveillance, on peut se demander si cela constituerait un obstacle au travail en commun au sein des E.P.M ?

Comment l'éducateur se positionnera-t-il face à des problématiques carcérales qui pourront le choquer et pour lesquelles il sera tenté de les analyser avec son éthique professionnelle. Autrement dit, les notions d'éthique et de déontologie sont elles les mêmes entre un surveillant et un éducateur ? Je pense ici au quartier mineurs de la maison d'arrêt de X... où sur la porte de la cellule d'un mineur était affichée une étiquette marquée « pointeur ». L'éducatrice alors en poste au sein de cet établissement était persuadée que ce panneau avait été écrit de la main d'un surveillant et de ce fait avait alerté la direction de l'établissement. Ce qui évidemment avait crée une tension palpable entre surveillants et éducateurs au sein de la prison. Il faut gager et cela au regard du profil volontaire des surveillants amenés à travailler au sein des E.P.M et du fait de leur sensibilité éducative, que ce type de problème sera peu prégnant.

Un second constat pourrait mettre à mal les éducateurs. C'est celui lié à la constitution du groupe de jeunes pris en charge au sein des E.P.M. En effet, dans les F.A .E de la P.J.J, il existe les commissions d'admission.

Celles-ci permettent à l'équipe éducative de constituer sur dossier le groupe de jeunes amené à vivre en collectivité et cela en fonction des délits et des problématiques de chacun. Or en E.P.M, il n'y a pas a priori ce « choix » dans la constitution du groupe des détenus alors que dans le même temps la vie collective se veut proche par certains égards de celle qui existe en foyer (gestion en collectif des moments clés de la journée : repas, lever, coucher). Il existera donc un certain nombre de difficultés dans la prise en charge quotidienne du groupe au vu des profils délinquants. Ce qui nécessiterait par exemple un partenariat plus poussé avec le service médico-psychologique de la détention (SMPR).

Ainsi, mettre en commun les compétences des éducateurs et des surveillants, c'est aussi faire en sorte que ce partenariat irradie par exemple sur les relations avec le SMPR ou les avocats ou bien encore avec l'éducation nationale.

Enfin, comment se positionnera l'éducateur dans une situation conflictuelle qui éclate en détention et comment cette situation sera-t-elle gérée ? Sera-t-elle de la stricte compétence de l'administration pénitentiaire ? Et comment dans cette hypothèse, pourra réagir l'éducateur face à une gestion des conflits qui sera peut-être moins basée sur la négociation ?

3. L'identité professionnelle en question

Comme cela a été abordé précédemment, la volonté de partenariat entre la P.J.J et l'Administration pénitentiaire influe nécessairement sur la question du positionnement professionnel et donc aussi sur celle de l'éthique14(*) et de la déontologie15(*).

Il faut prendre en compte ce postulat. Pour cela, il est nécessaire de faire l'état des lieux des formations initiales attenantes à chacune de ces professions pour ensuite tenter d'élaborer une formation commune faisant corps dans une éthique professionnelle partagée fondant une véritable identité professionnelle conjointe, sans pour autant nier la part d'identité respective de chacun.

A. L'Etat des formations initiales à la P.J.J et à l' A.P

1. La formation initiale à l' E.N.A.P16(*) 

Le principal regret de la formation initiale à l'ENAP annoncé est celui d'un trop peu d'approche psychologique.

Mais la philosophie générale est clairement annoncée. Désormais, l'incarcération doit trouver un sens éducatif. Il s'agit de lier la mission de garde avec celle d'éduquer et d'accompagner. La prison devient un lieu où l'on transmet aussi des valeurs sociales et éducatives.

D'ailleurs, la qualité de recrutement chez les surveillants fait de ces derniers des personnels avides d'appréhender globalement le problème de la délinquance et rejettent une image qui ferait d'eux de « simples porte-clés ». En cela l'administration pénitentiaire fait déjà un pas vers l'éducatif et la sphère du travail social à proprement dit.

2. La formation initiale à la P.J.J

Il en va différemment de la P.J.J qui donne l'impression d'une d'inertie. De sorte qu'il est annoncé sur le site intranet du Centre National de Formation et d'Etudes (C.N.F.E) que la formation initiale des éducateurs vise à inscrire ce métier dans son cadre d'intervention judiciaire. Des stages très diversifiés sont ainsi mis en place, en maison d'arrêt, en établissement scolaire, en hôpital psychiatrique, et autres institutions. Une large culture générale est de même appréciée afin de favoriser l'esprit critique, et de confronter l'éducateur avec ses représentations. D'ailleurs, de nombreux champs disciplinaires sont abordés comme le droit, la philosophie, la psychologie, l'anthropologie, etc.

L'objectif serait donc d'amener à croiser ces deux formations dans le but d'en fonder une seule. Il serait souhaitable de s'inspirer de la dynamique de la formation pénitentiaire, qui prend en compte l'évolution de la politique pénale : le recours à l'incarcération est parfois inévitable, mais il faut lui donner une perspective de réinsertion. Mais il est aussi nécessaire de puiser dans la formation des éducateurs cette notion de brisure avec ses propres représentations. Tout en tenant compte, cette fois au fait que la prison peut aussi faire partie du parcours éducatif d'un jeune. Il faut s'intéresser à ce que l'éducateur peut y apporter de son expérience et de son savoir-faire au quotidien.

Le choix d'une formation commune17(*)

Ce choix réside dans un souci prioritaire de formation : celui de ne pas simplement faire côtoyer les promotions d'éducateurs et de surveillants, mais au contraire de réaliser un « brassage » de ces personnels venus d'horizons différents.

L'objectif serait bien de construire une formation commune afin de briser, de « casser » les représentations de chacun sur le métier de l'autre. En effet une formation qui serait dissociée et uniquement fondée sur de brefs échanges au cours de sessions de formations théoriques ne pourrait pas atteindre cet objectif.

Il serait donc souhaitable de réaliser des espaces d'expériences, sur des séquences de stages par exemple. Il serait judicieux d'organiser des stages en commun par binôme surveillant/éducateur, dans un tribunal pour enfants, ou dans une brigade des mineurs ou encore dans un service de pédopsychiatrie.

On pourrait aussi imaginer des stages adressés uniquement en direction des surveillants, par exemple au sein d'établissements d'hébergement à la P.J.J. Ainsi que des stages de mise en situation des éducateurs en quartier mineur et même pourquoi pas en uniforme. Ils seraient alors l'occasion de retours et de confrontations entre les uns et les autres permettant d'apprendre à connaître le métier de l'autre.

Conclusion

Le projet des E.P.M est louable dans son objectif de mettre en commun des compétences professionnelles autour d'une même préoccupation : celle de prendre en charge des mineurs multirécidivistes pour lesquels la prison est devenue la réponse pénale incontournable à un moment donné de leur parcours et de créer un temps davantage éducatif que liberticide. Certes ce grand projet implique un certain nombre de réajustements comme cela a été exposé plus haut afin que les surveillants et les éducateurs puissent travailler de concert.

Mais ce principe doit être salué car il s'inscrit dans un courant de défense sociale18(*). Ce mouvement remet en cause les positions purement rétributives du droit pénal et recherche à la fois la protection de la société et celle de l'individu lui-même. Pour cette raison, la défense sociale a choisi la voie de la prévention, de la protection et du reclassement social. Il s'agit de défendre la société par la réinsertion et l'amélioration de l'homme. La prison n'échappe pas aux préoccupations de ce mouvement. L'emprisonnement n'y est plus perçu comme une fin en soi, mais elle est l'occasion d'exercer sur le détenu une action visant à sa réinsertion. Déjà dans les années 1950, la criminologie belge posait cette question : « Comment espérer la rééducation de nos jeunes caractériels s'ils ne sont confiés qu'à des gardiens ?19(*) ». Et déjà, elle prônait le principe d'intégrer dans le personnel pénitentiaire un corps d'éducateurs « soigneusement préparés à leur tâche 20(*)». Il nous incombe donc aujourd'hui de concrétiser ce qui n'était en France jusqu'alors qu'un voeu pieux.

Annexe

Tentative d'élaboration d'une formation initiale pour surveillants et éducateurs en E.P.M

Tronc commun 1

Théorique et pratique

Intervenants de « théorie »

Intervenants de « terrain »

Stage court en commun :

En binôme (éducateur/surveillant) : éducation nationale, psychiatrie, police, juge des enfants...

Stage pour les surveillants à la PJJ

en foyer d'hébergement.

Stage pour les éducateurs en

Maison d'arrêt en quartier mineurs

Tronc commun 2

Confrontation des expériences dans les stages.

Mise en rapport de ces constats avec la théorie par un travail de réflexion écrit

et par travaux de groupe (déontologie par ex)

Bibliographie

ANCEL Marc, La défense sociale, Ed. P.U.F, coll. Que sais-je ?, 1ère éd., 1985, Paris, 127 p.

BOULOC Bernard, Pénologie, Précis Dalloz, Ed. Dalloz, 1991, 401 p.

CARLIER Christian, Les surveillants au parloir, Ed. De l'atelier, coll. Champs pénitentiaires, 1996.

DHUME Fabrice, Du travail social au travail ensemble, le partenariat dans le champ des politiques sociales, éd. ASH, 2001, 206 p.

DE GREEF Etienne, Autour de l'oeuvre de, L'homme criminel, Ed. Nauwelaerts, Louvain, 1956, 256 p.

DELMAS SAINT HILAIRE Jean-Pierre, Cours de science pénitentiaire, Université de Bordeaux, 1992.

LE MONDE, Journal du 13 septembre 2005.

HOUCHON Guy, Cours de pénologie, Université de Louvain, 1995.

LAZERGES Christine, La politique criminelle, Ed. P.U.F, coll. Que sais-je ?, 1ère éd., Paris, 1987, 121 p.

MOREAU P.F, Fernand Deligny et les idéologies de l'enfance, Ed. Retz, coll. Divergence, Paris, 1978, 207DICTIONNARE Le Petit Robert, 1999.

Table des matières

Les Etablissements Pénitentiaires pour Mineurs :

L'identité des personnels en question 1

Introduction 1

1. Une prise en charge différentielle des mineurs délinquants 4

A. En prison : De « l'interdit » vers de la souplesse 4

B. Au foyer : De « la souplesse » vers de l'interdit 4

2. La perspective d'un travail en partenariat 5

A. Les apports d'une expérience professionnelle éducative auprès des surveillants à l'Ecole Nationale de L'Administration Pénitentiaire (ENAP)-----------------------------5

B. La confrontation des éducateurs au monde pénitentiaire 7

3. L'identité professionnelle en question 8

A. L'Etat des formations initiales à la P.J.J et à l' A.P 8

1. La formation initiale à l' E.N.A.P 8

2. La formation initiale à la P.J.J 9

B. Le choix d'une formation commune 9

Conclusion----------------------------------------------------------------------------------------------10

Annexe---------------------------------------------------------------------------------------------------11

Bibliographie-------------------------------------------------------------------------------------------12

Table des matières-----------------------------------------------------------------------------------13

* 1. C. Carlier, Les surveillants au parloir, éd. De l'atelier, coll. Champs pénitentiaires, 1996, 191 p., p. 112.

* 2. L'intervention continue d'éducateurs de la P.J.J auprès des mineurs incarcérés a débuté en 2003.

* 3. Loi d'Orientation et de Programmation pour la Justice du 9 septembre 2002 dite LOPJ.

* 4. Journal Le Monde du 13 septembre 2005.

* 5. Sur cette notion V. Que sais-je de Christine LAZERGES.

* 6. J-P.DELMAS SAINT HILAIRE, Cours de science pénitentiaire, Faculté de droit de Bordeaux, 1992. V. aussi B. BOULOC, Pénologie, Précis Dalloz, éd. Dalloz, 1991, 401 p.

* 7. G. HOUCHON, Cours de pénologie, Université de Louvain, 1995

* 8. V. Diplôme Universitaire sous la direction de Philippe Jeammet, Une approche psychopathologique et éducative des adolescents difficiles.

* 9 F. DHUME, Du travail social au travail ensemble, le partenariat dans le champ des politiques sociales, éd. ASH, 2001,206 p., : « C'est une méthode d'action coopérative fondée sur un engagement libre, mutuel et contractuel d'acteurs différents mais égaux, qui constituent un acteur collectif dans la perspective d'un changement des modalités de l'action (faire autrement ou mieux) sur un objet commun (de par sa complexité et/ou le fait qu'il transcende le cadre de l'action de chacun des acteurs) et élaborent à cette fin un cadre d'action adapté au projet qui le rassemble, pour agir ensemble à partir de ce cadre ».

* 10. Ibid, p. 121.

* 11. P.F MOREAU, Fernand Deligny et les idéologies de l'enfance, Ed. Retz, coll. Divergence, Paris, 1978, 207.

* 12. E. DE GREEF, Autour de l'oeuvre de, L'homme criminel, Ed. Nauwelaerts, Louvain, 1956, 256 p.

* 13. C. CARLIER, op. cit.

* 14. Dictionnaire Le Petit Robert, 1999 : « Science de la morale, qui concerne la morale ».

* 15. « Ensemble des devoirs qu'impose à des professionnels l'exercice de leur métier », Le Petit Robert, ibid.

* 16. V. C. CARLIER, Les surveillants au parloir, op.cit..

* 17. V. Annexe, Tentative d'élaboration d'une formation commune éducateurs P.J.J/surveillants.

* 18. M. ANCEL, La défense sociale, Ed. P.U.F, coll. Que sais-je ?, 1ère éd., 1985, 127 p.

* 19. S.C. VERSELE, Vers une défense sociale criminologique et humaniste, in L'homme criminel, hommage à Etienne De GREEF, op. cit, p. 227.

* 20. S.C VERSELE, ibid, p. 225.






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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery