Université du HAVRE
MOAL Julien
Faculté des Affaires Internationales
Master de Recherche en Théorie Générale du
Droit
Evolution du débat sur la
rétroactivité
de la norme prétorienne en droit
privé :
vers un droit transitoire pour la
jurisprudence ?
Mémoire effectué sous la direction de
Madame le Professeur Catherine PUIGELIER
Année universitaire 2006-2007
Remerciements :
Je souhaite remercier Madame le Professeur Catherine
PUIGELIER pour avoir dirigé mon mémoire de façon
efficace.
Je souhaite également remercier Monsieur le Professeur
Pierre FLEURY-LE GROS pour avoir pris le temps de répondre à mes
nombreuses questions concernant les théories des conflits de lois dans
le temps.
Introduction
Jusqu'où une norme doit-elle étendre son champ
d'application ? Cette question, en apparence anodine, et même
innocente, est à la base du droit transitoire moderne. Mais elle est
aussi la base théorique d'interrogations actuelles sur le rôle du
juge qui, sans être nouvelles, ont trouvé depuis plusieurs
années ce qui leur manquait pour provoquer une véritable crise du
« statut constitutionnel » de la jurisprudence : une
évolution pratique qui rend menaçante la création du droit
par celui qui a toujours été le gardien des libertés.
En matière législative, la question
paraît aujourd'hui innocente, et a été à l'origine
de la refonte du droit transitoire dans l'optique des conflits de loi dans le
temps. Cette optique a été résumée ainsi par le
Professeur Jean-Luc AUBERT : « l'entrée en vigueur d'une
loi nouvelle soulève la question de savoir dans quelle conditions va
s'opérer sa substitution à la loi antérieure. Il faut bien
comprendre, à cet égard, qu'il ne suffit pas - même si
c'est assurément nécessaire - de fixer le moment
où elle a vocation à produire effet - le moment où elle
entre en vigueur. Il faut encore déterminer son domaine d'application
précis dans le temps. (...) En bref, il convient, dans chaque cas, de
savoir quelle est l'étendue exacte de l'application de la loi nouvelle,
et de rechercher si la loi antérieure ne conserve pas un
certain empire, qu'il est nécessaire de déterminer
précisément le cas échéant. C'est le
problème des conflits de loi dans le temps »1(*).
Cette logique nouvelle a remplacé l'ancien
critère des droits acquis, dont la logique, jugée aussi simple
que simpliste, peut être résumée ainsi : la limite de
l'application de la loi dans le temps est le respect des droits acquis,
opposés aux simples expectatives. « Sa mise en oeuvre
était difficile et somme toute dominée par l'arbitraire :
c'est a posteriori, et souvent de manière artificielle, que telle ou
telle prérogative était qualifiée, ou non, de droits
acquis »2(*).
C'est pour cette raison que, sans l'abandonner, la
jurisprudence lui préfère depuis longtemps un système
fondé sur les théories du Doyen Paul ROUBIER pour mettre en
oeuvre les prescriptions de l'article 2 du Code civil :
« La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point
d'effet rétroactif. » Le système ainsi mis en oeuvre
est basé sur plusieurs distinctions : celle des situations
juridiques légales et des situations juridiques contractuelles, d'une
part ; ensuite, une distinction entre la constitution et les effets d'une
situation juridique donnée, qui sont tantôt instantanés,
tantôt successifs.
Sur ces bases, trois principes sont conjugués. D'une
part, la non-rétroactivité des lois : le principe
« interdit de revenir non seulement sur la constitution
d'une situation juridique donnée, antérieure à la loi
nouvelle, mais encore sur les effets passés d'une situation
juridique antérieurement constituée »3(*). Ensuite, pour l'avenir, le
principe de l'application immédiate de la loi nouvelle et de la survie
de la loi ancienne sont utilisés pour les effets futurs d'une situation
juridique. Plusieurs exceptions existent, et notamment : hors la
matière pénale, le législateur peut renoncer
ponctuellement au principe de non-rétroactivité, et
décider que la loi nouvelle s'appliquera aux rapports de droit
nés antérieurement à son entrée en vigueur ;
et les lois interprétatives, ne faisant en principe que
« préciser le sens d'une disposition
antérieure », sont appliquées à tous les
rapports de droit soumis à la loi interprétée, y-compris
ceux nés avant la loi interprétative, parce que celle-ci
s'incorpore à la loi interprétée en en
révélant le sens exact.
Mais dans le système Français,
traditionnellement légicentriste, rien n'est prévu pour les
hypothèses autres que la loi : en matière
réglementaire, par exemple, c'est un principe général de
notre droit qui impose la non-rétroactivité, comme le rappelle le
Professeur jean-Luc AUBERT ; Et, s'agissant de la jurisprudence, rien
n'est prévu car elle n'est pas censée exister, n'étant en
principe rien d'autre qu'une interprétation évolutive de la loi,
la norme d'origine jurisprudentielle s'appliquant dès lors de
façon rétroactive4(*).
La jurisprudence, en Droit Français, est conçue
comme « l'ensemble des décisions rendues pendant une certaine
période dans une certaines matière », ou encore comme
la « solution apportée par une juridiction à une
question juridique discutée »5(*) ; la solution s'imposera non pas comme une norme
obligatoire mais comme le résultat d'un processus plus complexe fait de
l'autorité morale et technique des juridictions suprêmes, de la
croyance en la solution proposée par la juridiction suprême, et de
la possibilité pour la juridiction suprême d'unifier
l'interprétation des tribunaux en cassant les décisions des juges
du fond contraire à sa position sur une question de droit. Elle n'a pas
en tant que telle de caractère obligatoire hors du litige pour lequel
l'arrêt a été rendu, ce qui explique la possibilité
de rébellion pour les juges du fond.
C'est d'ailleurs précisément ce qui distingue
la conception romano-germanistes des systèmes de common law, ou
l'autorité du précédent est assurée au moyen de la
règle du stare decisis : s'en tenir à ce qui a
été décidé auparavant, même par la
juridiction qui a créé le précédent. Le juge
Français, quant à lui, est tenu hors de l'ordonnancement
juridique par la prohibition des arrêts de règlement et par
l'autorité relative de la chose jugée : seule la loi est
source de droit. Le pouvoir judiciaire, écarté de la
création du droit par le principe de séparation des pouvoirs, n'a
pour mission que d'appliquer la loi, et, au besoin, de l'interpréter si
celle-ci n'est pas claire. Dès lors, pourquoi y'aurait-il un droit
transitoire, puisqu'il n'y a pas de normes ? L'interprétation
posée par la jurisprudence, n'étant rien d'autre que
l'application de la loi, fera corps avec la loi interprétée de la
même façon qu'une loi interprétative.
Pourtant, la jurisprudence « n'a jamais
été absente depuis les codifications napoléoniennes. Une
excellente thèse l'a démontré en droit pénal. En
droit civil, le cours d'AUBRY et RAU, qui date, il est vrai, du
XIXème siècle, est composé très
largement de phrases extraites des motifs des arrêts de la Cour de
Cassation et cousues bout à bout. Mais au fur et à mesure que le
temps passait, la jurisprudence est devenue audacieuse et créatrice.
Elle l'a été en matière de stipulation pour autrui et a
favorisé ainsi le développement de l'assurance sur la vie. La
responsabilité du fait des choses inanimées est née de
l'arrêt dit de la chaudière, qui date de 1896. Bien que la
réparation des dommages causés des accidents de la circulation
ait fait - enfin - l'objet d'une loi écrite, la jurisprudence conserve
un domaine étendu, elle ne cesse de recevoir des retouches. Dans un
domaine voisin, elle a généralisé la responsabilité
du fait d'autrui, de laquelle le législateur de 1804 n'avait
donné qu'une application limitée »6(*).
Peu à peu, le rôle du juge et de la
jurisprudence ont changé de nature et sont devenus de plus en plus
importants, à tel point qu'il paraît nécessaire de repenser
en profondeur la façon dont s'exerce leur action, et notamment ce
pouvoir créateur si particulier, associé à une
« autorité », et non à un pouvoir.
« Le droit n'est plus simplement ce que font les « pouvoirs
publics », il encadre leur action. Le signe le plus tangible en est
que des juges sanctionnent la violation de règles dont l'existence
même semblait jusqu'alors difficile à percevoir : le juge
pénal s'attaque sans plus attendre aux irrégularités
commises par des politiques, le juge constitutionnel sanctionne ou
infléchit la loi, « expression de la volonté
générale, le juge Européen des droits de l'homme condamne
la République Française, « patrie des droits de
l'homme » pour violation de ces mêmes droits, le juge
communautaire impose le respect de règles supranationales, et même
le juge administratif, comme le juge judiciaire, fait prévaloir la
règle internationale sur la loi comme le juge constitutionnel fait
prévaloir l'interprétation constitutionnellement conforme de la
loi sur la loi votée par le Parlement ».7(*)
Comment cette montée en puissance récente du
pouvoir judiciaire a-t-elle eu lieu ? Plusieurs facteurs peuvent
être invoqués : outre une demande en ce sens8(*), outre les progrès de
l'indépendance du juge9(*), outre la baisse de qualité de la loi qui
favorise l'intervention du juge, et qui la rend, pour ainsi dire,
nécessaire10(*), le
développement d'instruments dont le juge seul trace les limites, tels
que les principes généraux du droit11(*), mais aussi des règles
internationales, que le juge doit faire prévaloir sur la loi nationale
sur le fondement de l'article 55 de la Constitution de 1958, a fait sortir
celui-ci de son rôle traditionnel de sentinelle de la loi. En 2001,
l'avocat général de la Cour de Cassation, Jean-François
BURGELIN, s'exprimait ainsi, évoquant le rôle de l'avocat
général : « La tâche d'avocat de la loi n'a
jamais été facile, spécialement quand la loi est obscure,
contradictoire, désuète et, a fortiori, inexistante.
L'époque contemporaine, malheureusement, nous montre, à chaque
instant, des exemples concrets de semblables occurrences. Et c'est en ces
occasions que l'intelligence, les recherches, l'imagination de l'avocat
général sont particulièrement précieuses pour le
juge. Elles vont, en bien des cas, l'aider à résoudre le
problème délicat qui lui est posé.
A ces difficultés traditionnelles s'est ajouté
un nouvel obstacle, plus redoutable encore : la montée en puissance des
normes internationales qui jette le trouble sur la notion même de loi.
Etre avocat de la loi, certes, est une tâche exaltante. Encore faut-il
savoir de quelle loi on est le défenseur : de la loi française,
votée par le Parlement ou de la norme internationale définie par
les traités ratifiés par la France ? »12(*)
Cette influence sur le rôle du juge par rapport au
législateur a connu ces dernières années des
épisodes particulièrement marquants, au premier rang desquelles
la récente affaire MAZUREK13(*), ou encore la crise des validations
législatives14(*).
Ces épisodes ont particulièrement marqué la doctrine, au
point que Bertrand MATHIEU a pu écrire que « le droit
développé par le juge de Strasbourg est un véritable
instrument d'émancipation du juge national, notamment vis-à-vis
du législateur »15(*), mais aussi qu' « il apparaît
ainsi que nous sommes confrontés à deux logiques contradictoires
qui ne peuvent aboutir à une solution de compromis. En fait, cette
situation résulte d'une double confrontation qui traverse le droit
contemporain : celle qui oppose le principe démocratique et la
protection des droits fondamentaux et celle qui met face à face la
souveraineté nationale déclinante et l'emprise croissante du
droit conventionnel16(*).
Or, « cette situation n'est probablement que l'une des expressions
d'un phénomène plus général qui voit la
montée en puissance du juge et une crise de légitimité du
législateur. Cette évolution se manifeste de plusieurs
manières. D'une part, le développement d'un droit fondé
essentiellement sur le droits fondamentaux, qui, au surplus, offre une assez
large marge d'appréciation, renforce incontestablement la figure du
juge. D'autre part, le droit jurisprudentiel est un droit où la
circularité joue un grand rôle. Ce jeu d'influence, à la
fois dialogue et rapport de force à fleurets moucheté, concerne
tant les juges nationaux que les juges Européens. Il est
également développé par le jeu du droit comparé. Un
deuxième indice de l'importance du juge tient à la
pénalisation de la vie sociale et la substitution d'une
responsabilité pénale à la responsabilité
politique. Face cette situation, (...) le législateur voit sa
légitimité contestée par celle des
« sages », des experts et des juges. C'est dans cette crise
de la démocratie que le juge apparaît alors comme
l'autorité la plus apte à se substituer à un
législateur faible ou défaillant pour exprimer
l'intérêt général »17(*).
Le rôle de la Cour de Cassation change, tout comme les
moyens pour elle d'exercer son action. La question se pose donc de savoir
comment concilier de façon harmonieuse cette action avec les droits des
justiciables. Il s'agit notamment, et même surtout, de repenser
l'insertion dans le temps des décisions faisant jurisprudence.
Le débat n'est d'ailleurs pas nouveau ; en 1974,
Pierre HEBRAUD écrivait ainsi que « l'attention des juristes a
été attirée par [les problèmes] que pose l'empire
de la jurisprudence dans le temps et ses fluctuations, d'autant plus que la
rétroactivité en laquelle paraît se résumer, sous
cet angle, l'efficacité propre à la jurisprudence apparaît
toujours comme un phénomène anormal et
inquiétant »18(*).
Mais c'est surtout dans les années 1990 que la doctrine
a tenté de trouver des solutions à l'un des vices de la
création jurisprudentielle : sa rétroactivité. Le
débat n'est plus le même ; il est influencé par les
théories de l'analyse économique du droit, et par l'idée
de mise en concurrence des systèmes juridiques19(*), par le développement
des demandes en matière de sécurité juridique, mais aussi
par des travaux de droit comparé. Il ne s'agit plus alors de chercher
jusque dans d'autre systèmes juridiques la meilleure façon de
régler les problèmes posés par la
rétroactivité de la jurisprudence. Le débat est notamment
lancé par Christian MOULY20(*), qui propose d'utiliser le mécanisme du
revirement pour l'avenir, utilisé devant les juridictions
Américaines, mais aussi devant les Cours de Strasbourg et de Luxembourg.
A cette époque, l'idée commence à s'imposer que les
justiciables ne doivent pas se voir opposer des normes rétroactives,
qu'elles soient d'origine législative ou jurisprudentielle, et que la
sécurité juridique, impose de traiter les solutions
jurisprudentielles, quelle que soit leur nature, comme on le fait des normes
d'origine législative, c'est-à-dire en limitant leur
portée.
Depuis, le débat s'est déplacé sur le
terrain de la jurisprudence, et plusieurs justiciables, s'étant vus
opposer des normes jurisprudentielles qui n'existaient pas au jour de leur
action, ont choisi de contester la validité de ce mode d'application
rétroactive. La Cour de Cassation a globalement refusé tous les
arguments présentés, mais la solution est apparue tellement
inquiétante que le Premier Président de la Cour de Cassation, Guy
CANIVET, a demandé qu'une étude soit faite sur la
possibilité de mettre en place un mécanisme de droit transitoire
pour la jurisprudence. Le rapport21(*), écrit par un groupe de travail
présidé par le Professeur Nicolas MOLFESSIS, a été
remis le 30 novembre 2004 au Premier Président de la Cour de Cassation,
et préconise la mise en place en France d'un système de droit
transitoire pour les revirements de jurisprudence, après avoir au
préalable reconnu le caractère normatif de la jurisprudence.
Avant cette date, le rapport de VIRVILLE22(*) avait d'ailleurs lui aussi, dans le domaine du droit
du travail, fait la même proposition.
Ce résultat est étonnant :
traditionnellement, le débat sur la rétroactivité de la
jurisprudence est envisagé sous l'angle du pouvoir normatif de la
jurisprudence. Dans cette optique, l'idée de moduler les effets dans le
temps des revirements de jurisprudence, en tant qu'elle est associée
à la nécessité de reconnaître le caractère
normatif de la jurisprudence, a toujours été rejetée par
la doctrine, jusqu'à une époque récente. Pourtant,
à l'heure actuelle, la situation semble s'être inversée, et
les défenseurs du rapport MOLFESSIS - quelles que soient les nuances
apportées - semblent être aujourd'hui plus nombreux que ses
contempteurs.
Comment le débat a-t-il pu évoluer à ce
point ? Comment la doctrine française, traditionnellement hostile -
à juste titre - au principe de l'arrêt de règlement,
est-elle parvenue majoritairement à la conclusion de la
nécessité d'un droit transitoire pour les revirements de
jurisprudence qui implique de reconnaître que la jurisprudence est source
de droit ? L'évolution est étonnante, même si la
figure de l'arrêt de règlement paraît moins effrayante
aujourd'hui, l'arrêt de principe ayant depuis longtemps habitué
les juristes à l'idée que la Cour de Cassation pouvait bel et
bien faire des choix dans le cadre d'une politique jurisprudentielle
cohérente. Il est donc nécessaire de retracer objectivement le
débat qui s'est tenu au sein de la doctrine de droit privé et
devant la Cour de cassation, afin de comprendre comment les arguments, mais
aussi la manière d'appréhender ces arguments, ont pu
évoluer, et comment des craintes qui font partie, d'une certaine
façon, des fondements de notre droit, ont pu être
écartées.
Ce débat n'est pas uniforme. Envisagé à
des époques différentes, il est à certains égards
le reflet des préoccupations de ces époques différentes.
Le contexte actuel est marqué par la remise en cause grandissante de
certains fondements du droit Français au profit de concepts
hérités de systèmes juridiques fort différents du
notre - et ce souvent pour des raisons politiques ou économiques
s'inscrivant dans des évolutions à l'échelle de la
planète - mais aussi par l'apparition d'impératifs nouveaux,
souvent liés aux engagements internationaux de la France. Ce contexte a
naturellement influencé les solutions proposées pour
résoudre les problèmes liés à la
rétroactivité de la norme jurisprudentielle.
Le débat, comme nous l'avons dit, n'est pas nouveau.
Comme nous le verrons dans une première partie, il n'est pas
passé par plusieurs arguments différents, mais bien par plusieurs
types d'arguments différents, pour parvenir, comme nous le verrons dans
une deuxième partie, à des conceptions irréconciliables
d'un éventuel droit transitoire pour la jurisprudence.
Chapitre I : Evolution des conceptions de la norme
jurisprudentielle rétroactive.
Section I : Critique de la
rétroactivité de la règle jurisprudentielle d'après
ses caractéristiques : les différents postulats.
La conception du rapport de la jurisprudence au temps
dépend d'autres concepts. Elle n'est en effet que la conséquence
de l'adoption d'un postulat de départ concernant la nature de la
jurisprudence elle-même, ce postulat étant lui-même
lié à une conception de l'office du juge. Classiquement,
l'idée de rétroactivité de la règle
jurisprudentielle n'a pas de sens ( I ) , soit parce que l'idée de
règle jurisprudentielle n'a pas de sens, soit parce que les instruments
employés pour caractériser ce rapport au temps ne sont pas
adéquats. Mais dès lors que l'on admet que cette règle
jurisprudentielle est insérée dans la hiérarchie des
normes ( II ), il devient nécessaire de se préoccuper de son
insertion dans le temps comme on le ferait pour les autres règles de
droit - du moins comme on le ferait pour une règle de droit
écrit.
Cette démonstration n'aura cependant pas pour but de
départager les différents conceptions mises en oeuvre par la
doctrine et par les acteurs du droit positif. Elle n'aura d'autre but que
d'expliquer comment l'idée d'une norme rétroactive a pu
apparaître dans les acteurs du droit Français, traditionnellement
opposé à cette idée.
§ I / Le rapport au temps envisagé dans
l'optique du rôle révélateur du juge.
Dans la conception classique du rôle du juge,
héritée de la Révolution, et fondée sur
l'idée de légicentrisme, la jurisprudence est hors de la
hiérarchie des normes : le juge ne doit (A) ni ne peut (B)
créer de règle, ou du moins pas de règle
rétroactive.
A. La déclarativité de la règle
jurisprudentielle.
Le rapport de la règle jurisprudentielle au temps est
basé ici sur deux idées complémentaires : le
procès étant placé dans une optique individuelle, la
règle jurisprudentielle n'existe pas (1) , et la seule règle
digne de considération est ici la règle écrite (2) .
1) L'inexistence de la règle
jurisprudentielle.
Selon l'expression du Doyen CARBONNIER23(*), le jugement « est
enfermé dans un statut constitutionnel destiné à
l'empêcher de devenir source de droit ». Ce
« statut » est formé à partir de deux
dispositions du code civil, mais celles-ci sont destinées à
régir l'activité du juge pour l'ensemble des matières -
y-compris pour le droit administratif, où le principe a
été consacré par le Conseil d'Etat sous la forme d'un
principe général du droit.
Le premier principe est celui de la prohibition des
arrêts de règlement, prévue par l'article 5 du code
civil : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie
de disposition générale et réglementaire sur les causes
qui leur sont soumises. » . Ce principe empêche le juge
d' établir des règles générales, ayant une
portée au delà du litige qui leur est soumis. Mais il
empêche l'également de se référer à d'autres
causes pour déterminer la solution du litige. Selon un principe connu,
la Cour de Cassation ne casse jamais une décision des juges du fond en
visant sa propre jurisprudence.
« Ces règles, imposées il y a plus de
deux siècles, sont effectivement appliquées dans toute leur
rigueur. Les juridictions ne doivent pas renvoyer à leur propre
passé et la Cour d'appel de Poitiers sera sanctionnée pour avoir
fait référence à « son appréciation maximum
habituelle en cette matière »24(*). » Pas plus qu'il ne peut se lier pour
l'avenir par une position de principe25(*), le juge ne peut se contenter de « relever
que la juridiction dont le jugement avait été cassé avait
minutieusement examiné tous les moyens soumis par les parties et qu'elle
avait pris une décision parfaitement motivée qu'il entendait
suivre », se bornant donc à « à se
référer aux motifs d'une précédente décision
»26(*) ; Les
juges doivent donc se « déterminer d'après les
circonstances particulières de la cause »27(*) et uniquement par rapport
à celles-ci. C'est donc la référence au
précédent qui leur est interdite28(*).
Ce principe doit être concilié, et même
associé29(*) avec
un autre principe, celui prévu par l'article 4 du même code :
« Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de
l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi
comme coupable de déni de justice. » . Cet article est
considéré comme autorisant l'effort de création du juge,
pour pallier à « l'obscurité » ou
« l'insuffisance de la loi », mais avec une limite :
le juge doit formuler, « pour les besoins de la cause dont il est
saisi, la règle qui sert de fondement à la solution du litige,
chaque fois que celle-ci ne peut pas être immédiatement
déduite des termes exprès du droit
écrit »30(*). « La loi est bien souvent aussi bavarde
qu'insuffisante et il incombe donc au juge d'y
suppléer »31(*), mais ce pouvoir ne vaut alors que dans le seul cadre
de la cause pour laquelle l'intervention du juge est nécessaire.
Le deuxième principe est celui de l'autorité
relative de la chose jugée, prévue par l'article 1351 du code
civil : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu
qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la
chose demandée soit la même ; que la demande soit
fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les
mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la
même qualité. » . Ces dispositions
« déterminent restrictivement la portée de
l'autorité de la chose jugée en la limitant dans ses effets
à l'hypothèse où une nouvelle demande identique, portant
sur la même cause et venue entre les mêmes parties prises dans
leurs mêmes qualités, pourrait être alors utilement
contrecarrée par l'existence d'un précédent
définitivement tranché. »L'enjeu est ici de savoir ce
qui, dans le jugement, a autorité de chose jugée, et la cour de
cassation a adopté ici une conception stricte: seul le dispositif a
autorité de chose jugée, les motifs n'étant qu'une
justification circonstancielle qui n'a aucune autorité dans un autre
litige, même similaire32(*).
Le jugement n'a donc « d'autorité, de force
juridique qu'entre les personnes qui ont été parties au
procès, il n'est pas opposable aux tiers. Par là, il
apparaît comme tout le contraire d'une règle, disposition
générale, applicable, opposable à tout le monde. On aura
beau entasser les jugements couche sur couche, on n'aura jamais que des
solutions particulières, sans rayonnement au-dehors, des accommodements,
des arrangements de conflit individuel »33(*).
Bref, ce « statut constitutionnel a deux
effets : d'une part, il empêche la Cour de cassation de créer
des règles, « c'est-à-dire des dispositions abstraites,
soit générales et permanentes dans le temps, qui supposent une
virtualité d'applications à un nombre indéfini
d'hypothèses futures »34(*) : frappée d'un
« péché originel
d'illégitimité »35(*), la jurisprudence ne peut être un acte
d'autorité, car « dans un Etat de droit, un acte
d'autorité ne vaut qu'à la condition que son auteur soit
détenteur du pouvoir de l'édicter »36(*). Cela n'empêche pas la
Cour de cassation d'avoir une doctrine, mais celle-ci n'a d'autorité
qu'à l'égard des juridictions qui lui sont subordonnées,
et uniquement dans le cadre du litige à l'occasion duquel cette doctrine
a été élaborée, comme l'ont rappelé
récemment les affaires Centéa et la Briocherie37(*). Mais en dehors de ce litige,
le juge se voit « contraint à un exercice de création
originale permanent, lui imposant à l'occasion de chacune des
espèces qui lui est soumise, de reconstruire un micro-système
juridique cohérent en soi. »38(*) et lui interdisant toute référence
à son précédent : il ne peut jamais « faire
reposer son raisonnement ou son dispositif sur les précédents
jurisprudentiels »39(*).
Le juge n'est pas dépourvu pour autant de tout pouvoir
normatif, mais celui-ci ne peut consister qu'en « l'obligation de
produire, à la suite de demandes habilitées, des normes
particulières ou individuelles, par concrétisation de normes
générales et abstraites uniquement »40(*). Au-delà du litige,
elle n'est qu'une « autorité » et non un
« pouvoir »41(*).
La jurisprudence est donc placée dans une perspective
individuelle : tout lien entre l'arrêt que le juge va prononcer et
les précédents étant interdit par la prohibition des
arrêts de règlement, anéanti par l'autorité relative
de chose jugée, seul reste le lien avec la loi. De plus, toute valeur
normative est retirée à ces précédents. Si ce lien
entre arrêts censés être créateurs de droit est
impossible à recréer, et si la création jurisprudentielle
est interdite, alors la jurisprudence reste non seulement hors de la
hiérarchie des normes mais aussi a-temporelle : comme le dit
Laurent-Xavier SIMONEL, « le juge français doit
disparaître du temps, être a-temporel en se projetant, à
l'occasion de chaque espèce, dans un univers clos, n'existant qu'en soi,
sans aucune temporalité. Cet univers doit être
recréé à chaque fois ex nihilo »42(*). Comme nous le
verrons, le phénomène jurisprudentiel n'est qu'un
phénomène de fait, et le juge ne peut pas, en dehors de toute
habilitation légale, créer du droit, soit en donnant une force
obligatoire à son interprétation comme le font le Conseil
constitutionnel ou la Cour de Justice des Communautés
Européennes43(*),
soit en invoquant une « norme » créée pour
une autre cause, donc un précédent.
Si la jurisprudence ne peut créer du droit, s'il n'y a
pas de normes jurisprudentielles, et que d'autre part, il n'y a pas de lien
quelconque, donc de conflit potentiel, entre les normes individuelles ou les
pseudo-normes (plus) générales - qui sont plutôt des
raisonnements n'ayant pas d'autorité, en tant que motif
non-intégré au dispositif, au-delà de l'arrêt -
élaborées à l'occasion de chaque litige particulier,
alors, la réflexion sur un droit transitoire destiné à
éviter ou à régler un « conflit entre les
jurisprudences successives »44(*) n'a pas de sens. « Parce que le pouvoir
créateur du juge est nié, on ne saurait envisager de reporter
dans le temps l'application de la règle jurisprudentielle, faute pour
cette dernière d'exister »45(*).
2) la neutralité de l'intervention du juge.
Comme nous l'avons expliqué, la Cour de cassation et
les juridictions qui lui sont subordonnées sont liées par la
prohibition des arrêts de règlement ; contrairement au
Conseil constitutionnel ou à la Cour de Justice des Communautés
Européennes46(*),
les motifs d'une décision de ces juridictions n'ont aucune force
obligatoire : « La source de la jurisprudence est liée,
l'acte de juger n'a pas de source propre, le juge est un agent de la loi qui la
sert en la concrétisant, la jurisprudence n'est pas même
normative, le terme de pouvoir n'est pas adéquat »47(*)
C'est dans l'Histoire que cette interdiction prend tout son
sens : soucieux de préserver le monopole du pouvoir
législatif dans l'édiction de la règle de droit48(*), les révolutionnaires
puis tous les régimes qui leur ont succédé, ont
retiré au juge le pouvoir de se lier et de lier les justiciables pour
l'avenir. Ce pouvoir n'appartient qu'au pouvoir législatif, et dans une
certaine mesure, au pouvoir exécutif, comme l'ont
réaffirmé les articles 34 et 37 de la Constitution de
195849(*), qui ne
reconnaît d'ailleurs pas à la jurisprudence le statut de pouvoir
mais seulement d' « autorité ». Bref, le
principe de la prohibition des arrêts de règlement est le
corollaire du principe de séparation des pouvoirs parce que la seule
autorité légitime pour édicter des règles de droit
est le législateur, de même que la seule autorité
légitime pour les appliquer est le juge, « bouche de la
loi »50(*).
Encore cette application de la règle
édictée par le législateur ne peut-elle se faire que d'une
façon : au moyen d'un syllogisme associé à un acte
d'interprétation. Comme l'explique Michel TROPER51(*), cette méthode avait
été conçue, dans la continuité de la philosophie
des lumières, comme un moyen d'empêcher le juge de fonder son
jugement sur autre-chose que la loi (l'équité ou
l'opportunité, par exemple, ou plus simplement ses
précédents) . « Selon cette conception, la fonction
juridictionnelle52(*)
consiste à trancher des litiges, mais exclusivement en appliquant une
loi préalable. Le juge procède par un raisonnement
syllogistique : la prémisse majeure est le texte de la loi ;
la mineure le fait et la sentence la conclusion. Comme les prémisses
sont pour le tribunal un donné, il ne dispose d'aucun pouvoir propre de
décision »53(*).
La seule norme digne de considération dans le travail
du juge est donc la norme créée par le législateur.
Comment le juge met-il en évidence le sens de cette norme ? Il le
fait au moyen d'un acte de qualification des faits, données du litige,
et d'interprétation si la norme à appliquer n'est pas claire
(« obscure » ou « insuffisante », pour
reprendre les termes de l'article 4 du code civil) . L'acte
d'interprétation peut bien sûr être en soi dangereux, car
celui qui interprète peut s'arroger le pouvoir de refaire la loi en
modifiant son sens sous couvert d'interprétation54(*), raison pour laquelle le
législateur révolutionnaire l'avait dans un premier temps
conservé au moyen du référé législatif, ne
laissant à la Cour de Cassation que « l'interprétation
in concreto ». Mais une fois encore, c'est justement la raison
d'être de la perspective individuelle des articles 4 et 5 du code civil.
Ainsi définie, la tache de la Cour de Cassation doit
donc rester tout à fait neutre : elle ne consiste qu'à
révéler ce qui est, à redonner à la norme
créée par un autre - le législateur - son sens telle que
celui-ci l'avait conçu. C'est ici, dans le caractère
déclaratif de la jurisprudence, que se trouve la deuxième partie
de la rétroactivité de la « norme »
jurisprudentielle, et notamment de son revirement : « si
à la date des faits dont le juge est saisi, la règle
législative est connue mais que son contenu est incertain, la fixation
de ce dernier par une décision de justice, qui fait ainsi oeuvre
d'interprétation, n'est pas équivalente à l'application
rétroactive d'une loi nouvelle »55(*). En effet,
« L'interprétation relève de la fonction du juge qui
est de dire, d'appliquer et d'interpréter le droit à l'occasion
de litiges qui sont issus de faits qui se sont produits antérieurement.
La décision de justice présente un caractère
déclaratif qui imprègne l'interprétation retenue sans que
l'on puisse, malgré son application à des faits
antérieurs, considérer qu'elle est appliquée
rétroactivement. Affirmer le contraire reviendrait à confondre
l'effet déclaratif de la décision de justice et la
déclarativité alors que ces deux notions sont
distinctes »56(*).
Cette idée de déclarativité a pour
corollaire la théorie de l'incorporation à la loi
interprétée : la « norme »
jurisprudentielle n'est pas détachée de la loi qu'elle applique
fidèlement, n'étant que la reprise de son sens caché - on
pourrait dire, dans cette optique, qu'il n'y a pas
« incorporation » mais ré-incorporation, dans le
sens où la norme jurisprudentielle n'est pas censée être
autre-chose qu'un aspect de la norme écrite elle-même. En somme,
la « norme » jurisprudentielle entre donc en vigueur au
jour de l'entrée en vigueur de la loi, puisqu'elle n'est en
réalité qu'un aspect de cette loi dont le juge clarifie ou
révèle le sens.
Cela justifie donc un parallèle avec la loi
interprétative, en ce qu'elle ne fait que dire ce qui avait
déjà été dit en des termes plus clairs, et en ce
qu'elle est naturellement rétroactive : « dans la mesure
où la jurisprudence ne fait qu'appliquer la loi en vue de l'appliquer,
les revirements de jurisprudence s'apparentent aux lois
interprétatives : comme la loi interprétative, la
jurisprudence fait corps avec le texte interprété et s'applique
donc rétroactivement à la date de mise en vigueur de la
loi »57(*).
Thierry BONNEAU s'interroge toutefois : « On peut
toutefois se demander si, en cas de revirement de jurisprudence, on doit
accorder à cet effet la même importance que dans
l'hypothèse précédente parce que, en cas de revirement,
une situation constituée valablement sous l'empire d'une ancienne
jurisprudence est remise en cause par une nouvelle jurisprudence. A condition
que l'on puisse déterminer la date du revirement, ne doit-on pas
considérer que le changement de jurisprudence équivaut à
un changement de législation, ce qui permettrait de parler de
rétroactivité des revirements de jurisprudence ? L'application de
la nouvelle jurisprudence à des faits antérieurs traduirait
alors, non plus l'effet déclaratif des décisions de justice, mais
la rétroactivité de l'application de la nouvelle
norme. » Mais c'est pour exclure aussitôt cette
hypothèse : la solution dégagée par le juge dans
l'exercice de son pouvoir d'interprétation « ne peut
être rattachée à la notion de rétroactivité
parce qu'elle ne résulte pas d'une volonté
délibérée, mais seulement de l'effet déclaratif des
décisions de justice. »58(*)
C'est à cette conception que s'est ralliée la Cour
de cassation dès 200059(*). Cette conception a été par la suite
confirmée expressément par la chambre criminelle60(*) : dans ces affaires, le
moyen, selon lequel une Cour d'appel aurait du faire application de
l'interprétation jurisprudentielle soutenue par la Cour de cassation au
moment des faits et non de l'interprétation soutenue au moment du
jugement, est rejeté selon un critère formaliste61(*) car « en l'absence
de modification de la loi pénale, et dès lors que le principe de
non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple
interprétation jurisprudentielle, le moyen est
inopérant ».
Le résultat est le même car « ces deux
notions impliquent des effets dans le passé. », mais la cause
n'en est pas la même, et c'est cette différence qui
légitime ce qui dans le cas de la rétroactivité, et plus
particulièrement s'agissant des revirements de jurisprudence, a pu
être considéré comme une
« insoutenable » action à rebours du
temps ayant pour effet d'anéantir les prévisions
basées sur une autre interprétation62(*) : « alors que la
rétroactivité est attachée, de par la volonté du
législateur ou du juge, à l'application d'une règle
nouvelle, l'effet déclaratif est seulement lié à
l'intervention du juge à propos de faits antérieurement
produits ».
L'action de la jurisprudence ne consiste donc qu'à
révéler ce qui est, à créer une norme individuelle
à partir le cas échéant, d'une interprétation de la
loi, en recherchant une vérité juridique qui préexiste au
procès, et non en pas un acte de création. La
répétition des motifs ne sera pas la conséquence de la
force obligatoire d'une norme qui n'existe pas, mais du ralliement par d'autres
juges pour d'autres causes à un raisonnement qui leur paraît juste
à double-titre : « l'affirmation selon laquelle la
jurisprudence est source de droit ne peut être comprise autrement que
comme la traduction d'un simple raisonnement. Elle signifie d'abord
que, si une règle posée par un tribunal pour les besoins de la
cause dont il est saisi, est satisfaisante, c'est-à-dire compatible non
seulement avec l'ordonnancement juridique dans son ensemble mais
également avec le sentiment commun de la justice à
l'époque de sa formulation, elle a vocation à être
reproduite à l'occasion d'instances relatives à des litiges
identiques, parce qu'il est raisonnable de croire que les juridictions qui
auront à les trancher se laisseront convaincre de son
bien-fondé ; et elle signifie ensuite qu'une règle,
même non satisfaisante, que la Cour de Cassation a maintes fois
exprimé, a vocation à être appliquée par les
juridictions inférieures, parce qu'il est également raisonnable
de penser que le sens des responsabilités des magistrats les retiendra
d'une « rébellion » qu'ils savent alors cependant
vaine et qui n'aurait donc pour conséquence que de retarder l'issue
définitive des litiges qu'ils ont à trancher, en incitant la
partie qu'ils auraient voulu condamner à exercer un recours contre leurs
décisions. »63(*) . Du reste, « il est difficilement concevable
qu'un même texte ou un même principe soient
interprétés différemment à un moment donné
selon que le même fait reproché s'est produit avant ou
après telle date ».64(*)
La jurisprudence n'étant donc pas une norme, et
n'étant donc pas rétroactive mais déclarative, il n'est
pas nécessaire d'envisager le rapport de la jurisprudence au temps, et
donc la création d'un droit transitoire pour la jurisprudence pour
s'assurer du champ d'application d'une « norme » qui n'en
est pas vraiment une, puisqu'elle ne fait que révéler une
vérité juridique qui préexistait au procès.
Là encore, cette conception a été
expressément affirmée par un arrêt de la première
chambre civile de la Cour de cassation le 9 octobre 200165(*) : une Cour d'appel ayant
condamné un médecin pour avoir manqué à son devoir
d'information vis-à-vis de sa patiente en 1974 en ne l'informant pas des
risques exceptionnels auxquels l'exposaient l'intervention qu'il envisageait de
lui faire subir, le médecin reproche à la Cour d'appel d'avoir
fait application d'une jurisprudence qui n'a été consacrée
qu'en 1998. La Cour de cassation, rappelant qu'elle doit « trancher
des litiges », et non pas « définir abstraitement
les obligations des médecins »66(*), rejette le pourvoi en expliquant que
« l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme
à un moment donné ne peut être différente selon
l'époque des faits considérés »67(*).
Cette conception du rapport de la jurisprudence au temps
avait été historiquement fondée, comme nous l'avons dit,
sur l'idée que les juges ne doivent pas créer de droit. Cette
conception avait deux conséquences : d'une part, il n'y a pas de
norme jurisprudentielle, donc pas de besoin de droit transitoire pour la
jurisprudence ; d'autre part la seule norme à prendre en compte
pour en déterminer le champ d'application dans le temps était
celle sur laquelle s'appuie le juge, c'est-à-dire la norme
législative, dont la jurisprudence ne fait que préciser le
sens.
Avec le temps, cette conception a été
partiellement « concurrencée » par l'apparition
postérieure au code civil de théories plus modernes dans deux
domaines : d'une part, des théories abordant le
phénomène de l'interprétation sous des postulats
sensiblement différents, bien qu'ils aboutissent plus à des
nuances qu'à une remise en cause - ici, les deux théories
coexistent dans la jurisprudence de la cour de cassation, de façon assez
paradoxale à certains égards. D'autre part, la remise en cause
des principes du droit transitoire au XXème siècle a
eu une influence sur la conception du phénomène de
rétroactivité.
B. L'évolution de la position classique.
La conception formulée par la première chambre
civile et par la chambre criminelle n'a été qu'implicitement
suivie par les deuxième et troisième chambres civiles et par la
chambre sociale, qui ont concentré leur discours sur l'idée que
la jurisprudence ne peut pas ne pas être rétroactive (1) . Par
ailleurs, l'affinement des solutions en matière de droit transitoire
pour la loi a permis a certains auteurs de proposer une analyse
différentes du rapport de la jurisprudence au temps dans l'optique d'un
juge créateur de droit (2) .
1) La jurisprudence : un ensemble de normes
précaires.
a. L'évolution idéologique.
Comme nous l'avons dit, la conception classique de l'office du
juge était basée sur l'interprétation des textes - et
uniquement des textes - dans le but de révéler la volonté
du législateur. Cette interprétation se fait au moyen de
méthodes d'interprétation. C'est sur ce point qu'une
évolution s'est faite,
Le XIXème siècle a d'abord
été marqué par l'utilisation de la méthode
exégétique, fondée sur l'idée
d'un « véritable culte [de] la législation issue
du Premier Empire »68(*), d'où la recherche de la volonté du
législateur comme base de toutes les solutions pour les juges, et ce
grâce à des techniques destinées uniquement à
surmonter l'ambiguïté des textes de loi : une méthode
documentaire basée sur le recours aux travaux préparatoires ou
à la tradition juridique, pour « éclairer le sens
immédiat des textes »69(*) ; et d'autre part une technique rationnelle,
s'appuyant sur plusieurs types de raisonnement - par analogie, a fortiori, a
contrario, et par induction suivi de déductions - pour déterminer
la portée de la règle à interpréter.
C'est vers la fin du XIXème siècle
que le contexte socio-économique imposa le recours à
« des techniques contextuelles de plus en plus distantes du sens
littéral de la loi et de la volonté de son auteur, pour
finalement imposer la jurisprudence comme source de droit gouvernant de
manière autonome des pans importants du domaine juridique, comme la
responsabilité ou le contrat. »70(*)
Evoquant quant à lui « la
créativité de la Cour de Cassation » plutôt
qu' « un véritable pouvoir
créateur »71(*), Bruno OPPETIT explique qu'en de nombreux domaines,
la Cour de cassation « a considéré qu'il lui
appartenait de donner de la loi une interprétation conforme aux
nécessités du moment et, au besoin d'aller au-delà du
texte de la loi, sinon de son esprit. »72(*) , rappelant que ces
méthodes, notamment le principe de l'interprétation
déformante »73(*) ont été utilisées notamment pour
« découvrir »74(*) le principe de la responsabilité du fait des
choses inanimées, transformer le droit de la filiation, ou construire le
système Français de Droit International Privé.
L'essor de ces nouvelles méthodes
d'interprétation donne ainsi un rôle plus actif à la Cour
de cassation, dans la mesure où La Cour n'hésite plus à
fonder son analyse sur des éléments extérieurs au texte,
tout en continuant à s'appuyer sur ce texte. C'est pourquoi Jean-Luc
Aubert explique que la jurisprudence est le « droit positif,
c'est-à-dire la règle de droit appliquée et mise en oeuvre
dans la réalité concrète »75(*). Il rappelle toutefois que la
Cour de cassation n'est qu'une simple autorité dont la doctrine ne
s'impose pas en dehors des causes pour lesquelles elles sont conçues, et
que ces méthodes ne consistent pas à laisser le juge donner
libre-cours à son arbitraire76(*), mais sont toujours basées sur l'idée
d'interprétation : « la jurisprudence
révèle donc la règle de droit applicable à telle ou
telle situation et la signification exacte de cette
règle »77(*). Mais par la voie de la cassation, la Cour peut
malgré tout imposer une interprétation une interprétation
unificatrice78(*), et
même mener une politique jurisprudentielle79(*).
Ces méthodes d'interprétation, surtout, sont
légitimées par l'idée de la nécessaire
évolution du droit, et en particulier de la jurisprudence. Car si
« l'article 5 a eu raison de condamner le caractère
réglementaire des décisions juridictionnelles », c'est
avant tout parce qu' « il ne serait pas sain de figer la
jurisprudence, car c'est elle au contraire qui donne sa souplesse à la
loi. (...) Le danger du revirement de jurisprudence dénoncé
parfois par son caractère imprévisible, voire arbitraire, est
dans l'ordinaire un bienfait. Un vieil arrêt qui tombe est une branche
morte taillée qui fera produire à l'arbre de meilleurs fruits.
Donner au juge la liberté du règlement serait lui soustraire
celle de régler la loi »80(*). Jean-Luc AUBERT développe cette idée
en expliquant que la jurisprudence a trois fonctions : interpréter,
suppléer, et adapter la loi lorsque celle ci devient obsolète ou
inadaptée aux circonstances81(*).
Cette idée, la Cour de Cassation l'a elle-même
exprimé cette idée à plusieurs reprises dans son rapport
annuel. Citons par exemple le rapport pour l'année 2003 :
« Certaines de ces interprétations, peu nombreuses d'ailleurs,
sont nouvelles et soulèvent la question récurrente de leur
rétroactivité et de la mise en cause de la sécurité
juridique, qui fait régulièrement l'objet d'une controverse aux
motivations contradictoires. Mais dans une période de mutations
accélérées dans tous les domaines, il n'est pas
étonnant que la jurisprudence, qui n'est que le reflet de
l'évolution des pratiques sociales, économiques, politiques ou
des mentalités, connaisse elle aussi des
changements. »82(*). Quant au rapport annuel pour l'année 2001, il
rappelle que la Cour de Cassation ne fait ici qu'affirmer ce que la Cour
Européenne de Droits de l'Homme avait déjà affirmé
avant : « Le principe de l'immutabilité de la
jurisprudence européenne n'existe donc pas dès lors qu'il existe
un motif valable de s'en écarter »83(*).
b. La conséquence de cette évolution : la
précarité naturelle de la jurisprudence.
c'est Jean-Luc AUBERT qui résume cette
idée : la jurisprudence, conçue sur ces bases, produit
certes des normes. Le juge a un rôle trop actif pour que son action ne
soit basée que sur un « raisonnement ». Mais cette
norme ne présente pas les caractères, notamment de permanence,
que l'on doit pouvoir trouver dans la règle de droit stricto sensu.
Cette norme « ne s'impose à personne, pas plus aux juges du
fond qu'à la Cour de Cassation ». Il s'agit alors d'une
« norme précaire », issue d'une
« conception « molle » de la
règle », « appelées à côtoyer
les normes dures issues de la loi et du règlement »84(*).
Elle ne s'impose pas, bien sûr aux juges du fond, ni aux
justiciables, parce que la Cour de Cassation, comme nous l'avons dit, n'est pas
capable de produire une telle norme en raison de la prohibition des
arrêts de règlement. La jurisprudence de la Cour s'impose par voie
d'autorité morale, et par l'effet « de l'organisation
hiérarchique des juridictions, et en particulier de l'existence, au
sommet de cette hiérarchie, d'une juridiction habilitée à
imposer son interprétation aux juridictions
subordonnées »85(*), mais pas en tout cas parce que les destinataires de
cette norme seraient tenus de l'appliquer autrement que par la cassation.
Mais elle ne s'impose pas à la Cour de Cassation
elle-même : évoquant la question des revirements de
jurisprudence, Jean-Luc AUBERT explique qu'ils « marquent la
précarité naturelle de la jurisprudence. Aussi bien
fixée soit-elle, l'interprétation jurisprudentielle peut à
tout moment être renversée ou modifiée. Il suffit pour cela
que les juges découvrent des raisons nouvelles de donner à la
règle de droit un sens différent de celui qu'ils lui
reconnaissaient jusque-là. Rien dans la loi ne s'oppose à de
telles variations. Tout au contraire, la loi interdit au juge de se lier pour
l'avenir par les décisions qu'ils rendent ».86(*)
Voilà pour la consistance de cette norme
précaire dans l'espace. Mais - et c'est là le point
intéressant pour notre sujet - , cette norme, par voie de
conséquence, est également précaire dans le temps. Cette
norme ne s'imposant à personne, on ne peut en revendiquer le
bénéfice si la Cour de Cassation voit une bonne raison de changer
d'orientation ; ceci est le principe pour l'avenir. Mais la norme ne
s'impose pas plus pour le passé : « la
précarité naturelle de la jurisprudence se conjugue avec la non
moins naturelle rétroactivité de la règle
jurisprudentielle. Celle-ci a été fort clairement
expliquée : « les arrêts de règlement
étant interdits, le juge ne peut faire naître une règle
qu'à travers la décision même qui statue sur des faits
antérieurs. La formation de la règle est ainsi inséparable
de son application à l'espèce. En énonçant la
règle, le juge l'applique nécessairement de façon
rétroactive » »87(*) Plus loin, il ajoute « lorsqu'une habitude
constatée assure la consécration d'une norme jurisprudentielle,
celle-ci peut, à tout moment et sans avertissement, être
gommée par un revirement. Elle ne s'impose pas au juge, ce qui
la différencie radicalement de la règle de
droit »88(*).
Cette conception de la rétroactivité de la
norme précaire est un effet du manque de légitimité du
juge à édicter une règle de droit, mais une
deuxième raison est à rechercher dans son origine. Rappelons-le,
la norme précaire n'est pas issue d'une volonté arbitraire, mais
bien d'un acte d'interprétation basée sur des données
objectives. Même le principe de « l'interprétation
déformante » ne s'éloigne pas de ces bases. Or, on peut
ici répéter le principe de la
déclarativité : « ainsi entendue, la
jurisprudence révèle donc le sens de la règle de droit
applicable à telle ou telle situation et la signification exacte de
cette règle »89(*) ; la jurisprudence donne le sens de la règle
de droit, elle ne le crée pas ex nihilo. Elle s'applique donc
dès l'entrée en vigueur de la loi interprétée.
Bref, la précarité naturelle de la norme
jurisprudentielle est à relier à la nécessaire
évolutivité de la norme jurisprudentielle : comme nous
l'avons dit, la norme jurisprudentielle est liée à un contexte.
Si les juges « découvrent des raisons nouvelles de donner
à la règle de droit un sens différent de celui qu'ils lui
reconnaissaient jusque-là », ils peuvent du jour au lendemain,
et de façon rétroactive, lui donner un sens différent.
C'est ainsi que le Professeur Béatrice BOURDELOIS
résume cette position : « la prohibition des arrêts
de règlement (art. 5 C. civ.) s'oppose à ce qu'on puisse soutenir
que la solution donnée dans une autre affaire constitue un droit acquis
à pour le plaideur dont le dossier présenterait des faits
similaires ; la possibilité que se reconnaît la jurisprudence
de changer d'avis - revirements de jurisprudence - et, dans un tel cas, de
considérer que telle avait toujours été sa position, de
sorte à imposer sa nouvelle interprétation aux instances en
cours, y compris pour celles qui se déroulent devant la Cour de
Cassation, démontre de plus l'absence de droit acquis (lorsqu'il est
jurisprudentiel) jusqu'à ce qu'intervienne une décision
définitive ; jusque là, le sort des attentes du plaideur est
subordonné (sans qu'aucune assurance ne puisse lui être
donnée) à la constance de la cour suprême ; si
celle-ci est d'humeur versatile, tant pis pour lui ! »90(*). Plus loin, encore :
« une décision judiciaire non définitive n'a pas pu
donner lieu à un droit acquis au regard d'une solution jurisprudentielle
antérieure concernant une autre instance. Si celle-ci a pu faire
naître des espoirs, ceux-ci n'ont, à ce stade, pas
été concrétisés de nature à figer, pour le
demandeur, le contenu du droit ».
Quant à la jurisprudence, elle a elle aussi
jugé que la rétroactivité était inhérente
à l'office du juge : tant les arguments tirés de la
sécurité juridique que ceux tirés de l'article 6.1 de la
Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ne sauraient
« consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée,
l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans
l'application du droit ». Cette formule est tirée de
l'arrêt du 21 mars 2000 rendu par la première chambre civile de la
Cour de Cassation91(*),
reprise par l'arrêt du 9 octobre 200192(*). Elle a été reprise par les
deuxième et troisième chambres civile, ainsi que par la chambre
sociale, la chambre commerciale n'ayant apparemment pas eu à se
prononcer sur la question.
On signalera des nuances dans les formules employées
correspondant probablement à des sensibilités
différentes : la première chambre civile parle de
« jurisprudence figée », alors que les
deuxièmes et troisièmes chambres civiles parlent de façon
plus neutre de « jurisprudence constante »93(*) et que la chambre sociale
parle quant à elle de « jurisprudence
immuable »94(*).
La jurisprudence, dans ces arrêts refuse donc d'aborder
de front la question de la nature exacte de la norme jurisprudentielle. Cette
question ne peut toutefois être comprise, comme l'a écrit le
Professeur Christian ATIAS95(*), que dans une conception de la jurisprudence
basée (dans une certaine mesure) sur l'interprétation. C'est
d'ailleurs ce qu'a rappelé la chambre sociale96(*) en parlant
d'une « interprétation jurisprudentielle » dont
« l'application par la juges du fond »,
« fût-elle postérieure à l'instance »,
ne saurait constituer une violation de l'article 6.1 de la Convention
Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés
fondamentales ».
Quoi qu'il en soit, cette conception de la jurisprudence est
nécessairement évolutive, et les inconvénients
occasionnés par l'abandon d'une norme précaire ne doivent pas
faire oublier que « l'évolution de la jurisprudence
[relève] de l'office du juge dans l'application du droit ». Ce
qui est en cause, c'est la nécessaire évolution du droit
« dès lors qu'il existe un motif valable de s'en
écarter »97(*). L'emploi du qualificatif
« figée » est particulièrement
évocateur quant au danger encouru.
Cette norme précaire ne consacre aucun droit pour les
justiciables, et celui-ci ne peut en refuser l'application
rétroactive : il n'est en rien protégé contre le
changement de jurisprudence, n'étant titulaire d'aucun « droit
acquis à une jurisprudence figée »,
« constante » , ou « immuable »
qui lui permettrait de paralyser l'évolution de l'interprétation
jurisprudentielle en demandant l'application de l'interprétation
consacrée au jour des faits contre l'interprétation reconnue
ultérieurement ».
2) L'argument tiré de l'absence de
rétroactivité dans une optique plus ouverte de l'office du
juge.
Pour mettre en oeuvre les principes prévus par
l'article 2 du code civil, la jurisprudence avait trouvé initialement un
critère simple mais imprécis et ne correspondant pas à la
réalité du rapport de la loi au temps : la loi nouvelle
était contraire à l'article 5 du code civil selon qu'elle
conduisait à remettre en cause les droits acquis sous l'empire de
l'ancienne législation.
Ce critère a été remis en cause au
XXème siècle, notamment par le Doyen ROUBIER98(*), au profit d'une autre
logique : celle des conflits de lois dans le temps. Partant de la mise en
évidence de l'existence d'un conflit entre deux lois, la loi nouvelle
et la loi ancienne, a priori également applicables à une
situation, elle précisait et affinait les concepts relatifs au rapport
de la loi au temps, notamment le concept de rétroactivité, et
révolutionnait les solutions en matière de droit transitoire dans
une optique fondamentalement différente - la mise en évidence
d'un conflit et ses conséquences, plutôt que le simple respect des
droits acquis - , optique qui n'a pas été remise en cause depuis
par les auteurs proposant des solutions différentes en matière de
droit transitoire.
Cet affinement des solutions en matière de droit
transitoire destiné à la loi a amené une critique des
propositions sur la construction d'un droit transitoire destiné à
la loi, basées pour des questions de pragmatisme sur une logique proche
du système des droits acquis : la préservation des
prévisions légitimes des justiciables surpris par le revirement
de jurisprudence ou l'apparition d'une jurisprudence nouvelle, dans une optique
différente de celle des conflits de loi dans le temps.
Cette critique est le fait de deux auteurs, Thierry
BONNEAU99(*) et Pierre
FLEURY-LE GROS100(*)
s'appuyant sur des travaux différents mais arrivant aux mêmes
conclusions concernant l'existence d'un phénomène de
rétroactivité de la norme jurisprudentielle, si norme
jurisprudentielle il y a. Pour les besoins de la démonstration, cette
critique est faite dans l'optique d'un juge créateur d'une
interprétation jurisprudentielle qui serait une norme à part
entière, sans toutefois se prononcer sur son fondement101(*) (nous parlerons simplement
ici de norme jurisprudentielle, sans chercher à approfondir la question
de ses caractéristiques) .
Cette critique se concentre en effet sur un autre
problème : la conception du rapport de la jurisprudence au temps,
et non pas l'existence d'une norme. Elles partent toutes deux d'un
constat : la jurisprudence est considérée comme
systématiquement rétroactive - rétroactivité par
nature : « D'après les nombreux débats qui portent
sur la question des revirements de jurisprudence, il semble que la
rétroactivité du revirement soit
considérée comme une caractéristique inhérente
à ce mécanisme. Le rapport établi par le groupe de travail
de M. le Professeur MOLFESSIS (...) et de nombreux autres travaux (...)
considèrent en effet que la rétroactivité est l'essence
même de la règle jurisprudentielle. »102(*).
C'est précisément cette donnée qui est
contestée : le caractère systématiquement
rétroactif du revirement. « Une analyse différente peut
(...) être proposée, car il nous semble que le seul fait que le
revirement de jurisprudence produise son effet dans le cadre d'une affaire
en cours ne lui confère pas inéluctablement un effet
rétroactif, indépendamment de la question de la distinction entre
l'effet déclaratif et constitutif du jugement parfois
évoquée »103(*).
Pour ce faire, les deux auteurs proposent d'appliquer les
critères des conflits de lois dans le temps à la norme
jurisprudentielle : « Pour démontrer que tout revirement
de jurisprudence n'est pas par essence rétroactif, il convient de
s'appuyer sur les règles qui régissent l'application de la loi
dans le temps. » . En effet, « ces règles
fournissent des repères propres à dépister la
rétroactivité, et à être transposés dans le
contexte du revirement de jurisprudence »104(*).
La question posée ici est la suivante :
« si l'application de la solution commandée par le revirement
de jurisprudence résultait d'une réforme
législative, et non pas d'une évolution
jurisprudentielle, celle-ci serait-elle qualifiée de
rétroactive ? En d'autres termes, l'application d'un régime
substantiel par le juge à l'égard d'un sujet de droit serait-elle
qualifiée de rétroactive si cette même application
était commandée par le législateur dans le cadre d'une loi
nouvelle ? »105(*).
Cette question implique donc une démarche
fondamentalement différente de celle consistant à partir des
droits acquis ou des prévisions des justiciables :
« Seule une réponse positive doit permettre de conclure que le
revirement produit un effet rétroactif dans le contexte envisagé.
Dans le cas contraire, l'absence d'effet rétroactif du revirement doit
être déduite, le fait qu'il produise son effet dans des instances
en cours étant indifférent. La démarche proposée
repose sur l'idée suivante : lorsque les concepts
caractéristiques des conflits de lois dans le temps permettent de
conclure que l'application d'un régime substantiel par le
législateur n'est pas rétroactive, la même application
effectuée cette fois par un juge ne présente pas davantage ce
caractère. La rétroactivité est en effet un processus
technique dont l'existence ou la non existence ne sauraient dépendre de
l'organe - jurisprudentiel ou législatif - qui assure sa mise en
oeuvre. »106(*).
Les deux auteurs, comme nous l'avons dit, partent de travaux
différents. Thierry BONNEAU part des concepts mis en évidence par
les travaux du Doyen ROUBIER107(*), tandis que Pierre FLEURY-LE GROS part des travaux
du Doyen BACH108(*),
qu'il avait d'ailleurs précisés auparavant109(*). Mais, comme nous l'avons
dit, en partant de travaux différents, les deux auteurs arrivent
à la même conclusion : l'utilisation de concepts plus
précis permet de repérer des situations où une norme
jurisprudentielle ne sera pas considérée comme rétroactive
alors même qu'un revirement interviendrait après l'introduction de
l'instance, ou même concernerait des faits intervenus avant l'apparition
de cette norme.
Thierry BONNEAU, sur ces bases explique donc qu'« il
n'est (...) pas exact d'affirmer que tous les revirements de jurisprudence sont
rétroactifs : ils ne le sont pas systématiquement comme le prouve
la jurisprudence relative à la preuve de la filiation naturelle par la
possession d'état. On se souvient en effet que, par un arrêt du 8
mai 1979, la Cour de cassation avait refusé, sur le fondement de
l'ancien art. 334-8 c. civ., d'admettre une telle preuve alors que, toujours
sur le même fondement, elle l'a admis dans des arrêts des 9 juill.
1982 et 1er déc. 1982110(*). Ce changement de jurisprudence s'est
effectué sans aucune rétroactivité, tout au moins si l'on
admet l'analyse classique, telle qu'elle est présentée par
ROUBIER111(*) qui
raisonne à partir d'une loi nouvelle : le rapport de filiation
étant un état durable, il peut être atteint par la loi
nouvelle, non en tant que fait du passé, mais en tant que fait du
présent. Aussi toute loi prévoyant de nouvelles modalités
d'établissement de la filiation peut s'appliquer sans aucune
rétroactivité aux enfants nés antérieurement
à son entrée en vigueur. Cette solution trouve d'ailleurs un
renfort dans les règles admises en matière de preuve, le juge
pouvant admettre, sans aucune rétroactivité, les preuves
autorisées par les lois en vigueur au jour où il statue. Il en
est de même d'une jurisprudence dont l'objet est
identique »112(*).
Pierre FLEURY-LE GROS, appliquant des principes
différents aux affaires Centéa et La Bricoherie113(*), se pose la question
suivante : « lorsqu'un revirement de jurisprudence doit produire
son effet à l'égard d'une « affaire en
cours » , il faut rechercher si son effet concerne des
actes et faits futurs ou passés par rapport à
ce revirement. ».
Cela le conduit à des conclusions différentes
dans chaque espèce, montrant également l'absence
d'uniformité du phénomène jurisprudentiel sur ce
point : « Dans l'affaire Centéa, le litige
portait sur un contrat de prêt conclu avec une banque, laquelle ne
disposait pas, lors de la conclusion de l'acte, de l'habilitation alors requise
par l'article 15 de la loi du 24 janvier 1984. L'application du revirement
intervenu dans l'arrêt d'Assemblée plénière du 4
mars 2005 - qui rend inutile cet agrément - aurait donc eu pour
conséquence de rendre valide un acte dépourvu de
validité lors de sa conclusion ; or, on sait que la même
validation opérée cette fois par une loi
conférerait sans aucun doute à celle-ci un caractère
rétroactif ; par conséquent, on peut déduire de cette
transposition que la recevabilité du pourvoi aurait pu conduire à
appliquer rétroactivement la solution du revirement à
une affaire en cours. Pour autant, cet effet rétroactif est loin
d'être une caractéristique inhérente à tout
revirement, ce que démontre parfaitement la seconde
espèce. »114(*)
Utilisant ensuite le concept de « situations de
droit ou de fait durables dont certaines peuvent avoir pris
naissance dans le passé (tel est par exemple le cas de la situation de
bailleur, de commerçant ou encore d'enfant mineur
non émancipé) », il en arrive en effet à
une conclusion différente pour l'affaire La Briocherie :
« Dans l'affaire de la Briocherie, le litige portait
sur le mode de calcul en matière de réévaluation de
loyers. Le revirement opéré le 23 janvier 2004 - et dont
l'application était réclamée en l'espèce - a
consisté à écarter le mode prévu par la loi Murcef
à l'égard des baux conclus antérieurement. Supposons alors
de nouveau que cette éviction ait été commandée
légalement, et non pas jurisprudentiellement. On
aurait alors immédiatement conclu que la réforme ne soulevait
aucun problème de rétroactivité : réservant
son application aux seuls baux conclus postérieurement, elle n'aurait pu
régir par hypothèse que les actes futurs pouvant
survenir dans leur cadre, choix exclusif de toute question de
rétroactivité si l'on se réfère à la logique
des deux groupes de concepts précédemment
présentés. Pourquoi qualifierait-on alors l'application de la
solution résultant du revirement de
« rétroactive », alors que cette même
solution commandée par une évolution législative
n'aurait pas présenté ce caractère ? Au moyen de
la transposition proposée, il faut bien admettre que l'application de la
solution du revirement à une affaire en cours n'aurait pas
été rétroactive, ce qui confirme que la
rétroactivité n'est pas une caractéristique
inhérente à tout revirement de
jurisprudence. »115(*)
En raisonnant par l'absurde, les deux démonstrations
arrivent donc à la même conclusion : l'application des
principes des conflits de lois dans le temps permet de relativiser la critique
relative à la rétroactivité de la norme jurisprudentielle,
tant relative à sa nature qu'à ses effets. En effet, ils montrent
que le phénomène jurisprudentiel n'est pas uniforme, et que tous
les revirements ne doivent pas déclencher les mêmes
préoccupations. S'il s'agit dans tous les cas d'appliquer une
« norme » à des faits survenus avant
l'édiction de cette « norme », toutes ces situations
ne peuvent être rattachées au phénomène de
rétroactivité entendu strictement. S'il existe, le
phénomène de rétroactivité de la jurisprudence
n'est donc pas automatique, et n'est donc ni uniforme, ne réclamant donc
pas toujours les mêmes solutions, ni aussi important que ce qu'affirment
certains travaux116(*).
La mauvaise perception du phénomène venant de l'utilisation de
mauvais instruments, seule l'utilisation des critères employés en
matière de conflits de lois dans le temps permet de restituer une image
juste du phénomène de rétroactivité de la
jurisprudence.
Pour Thierry BONNEAU, s'il faut admettre que les arrêts
de revirement « entraînent des perturbations et que
l'opportunité peut justifier une limitation dans le temps de tels
arrêts », « est-ce une raison suffisante pour
qualifier de rétroactif ce qui ne l'est pas ».
On rappellera simplement que les deux démonstrations
divergent sur un point : la démonstration de Thierry BONNEAU vise
à rejeter les travaux de Christian MOULY, alors que celle de Pierre
FLEURY-LE GROS vise quant à elle à corriger ce qu'il estime
être des erreurs dans le rapport MOLFESSIS.
Si la valeur scientifique de ces principes est incontestable,
ceux-ci n'ont toutefois pas été repris pas le droit positif.
L'explication est ici très simple : comment un droit qui ne
reconnaît pas l'existence en son sein de règles d'origine
jurisprudentielle pourrait il reprendre des thèses partant du postulat,
quand bien même elles ne le feraient qu'en raisonnant par l'absurde, que
la jurisprudence serait source de droit ?
§ II / Critique de la conception déclarative de
la jurisprudence : l'existence d'une norme jurisprudentielle
rétroactive.
La conception classique de l'office du juge enferme le juge
dans un « statut constitutionnel »117(*) qui non seulement
l'empêche de créer une norme jurisprudentielle, mais
l'empêche également de produire autre chose qu'une
interprétation de la norme législative. Cet interdit
supposé respecté est l'une des prémisses du raisonnement
classique concernant le rapport de la « norme »
jurisprudentielle au temps.
Mais cette conception d'un juge neutre dans son action,
simple « bouche de la loi », a été assez
tôt remise en cause par une partie de la doctrine. Or, dès lors
que la norme jurisprudentielle retrouve une existence (que celle-ci soit ou pas
légitime) , la question se pose de son rapport au temps, et la
conclusion est sa rétroactivité naturelle (A) .
Cette conception de l'existence d'une norme jurisprudentielle,
comme nous l'avons vu, n'a pas empêché la Cour de Cassation de
réaffirmer la conception classique de l'office du juge et d'en tirer les
conséquences. Pourtant, des « craquements », pour
reprendre l'expression du Professeur Philippe JESTAZ118(*), apparaissent en plusieurs
domaines. Surtout, cette jurisprudence est menacée par les engagements
internationaux de la France (B) .
A. La remise en cause de la conception classique de
l'office du juge et ses conséquences.
Comme nous l'avons dit, l'une des prémisses du
raisonnement classique - l'inexistence de normes d'origine jurisprudentielle -
a été contestée par une partie de la doctrine, qui n'y
voit qu'un mythe (1) . La conséquence de cette insertion dans la
hiérarchie des normes est de permettre la mise en évidence d'un
« conflit entre jurisprudences successives »119(*) (2)
1) L`inadéquation de la pratique jurisprudentielle
avec son statut
Les conceptions de l'office du juge diffèrent, mais
elles partent toutes de la constatation de la normativité, au moins de
fait, de la jurisprudence (a) . Cette constatation ne peut pas ne pas
être sans conséquences pour notre sujet (b) .
Toutefois, Nous ne reprendrons là encore que les
grandes lignes de ce débat, en tant qu'elles ont une incidence sur la
prémisse du raisonnement classique concernant le rapport de la
jurisprudence au temps.
a. le « désenchantement » de la
doctrine
a.1) La remise en cause des postulats
classiques : L'expression de
« désenchantement » est de Denys de
BECHILLON120(*). Elle
traduit probablement bien l'état d'esprit apparu avec le temps chez une
grande partie de la doctrine moderne, état d'esprit résumé
par le Doyen Paul ROUBIER, « la doctrine contemporaine est devenue
plus réaliste : elle a pris contact avec les formations
coutumières de la jurisprudence ; elle y voit en
général une source du droit moderne, quelques-uns disent
même la seule source du droit coutumier moderne »121(*). C'est ainsi que, dès
1967, le Professeur Henri BATIFFOL a pu commencer sa « note sur les
revirements de jurisprudence »122(*) par l'affirmation suivante : « les
discussions sur le point de savoir si la jurisprudence est source de droit ont
beaucoup plus pour objet aujourd'hui le choix entre les raisons de
répondre affirmativement que l'hésitation sur
l'affirmative ».
Cet état d'esprit a d'ailleurs atteint la Cour de
Cassation lui-même, puisque, comme nous le verrons, les professionnels du
droit doivent, sous peine de voir leur responsabilité engagée,
avoir une connaissance aussi grande de la loi que de la jurisprudence. Mais
c'est probablement aller un peu vite dans notre démonstration.
Comme nous le disions, une grande partie de la doctrine voit
aujourd'hui dans la jurisprudence plus que la simple révélation,
grâce à la découverte par le juge, de ce qui ne serait
qu'une vérité juridique préexistante au jugement, et ce
grâce à un acte d'interprétation. Elle y voit
désormais une source de précédents, dans lesquels le juge
donne non pas le sens de la norme législative, mais un sens à la
norme législative. Ici est en cause l'idée d'une
inadéquation entre le statut de la jurisprudence et le comportement
réel des juges qui la font123(*).
Une source de précédents, tout d'abord.
L'absence de précédents était à l'origine, comme
nous l'avons dit, de la distinction entre arrêts de principes et
arrêts de règlement, les premiers restant dans l'ombre de la loi,
et n'ayant pas cette force obligatoire qui lierait tant les destinataires de
ces principes que les juges qui l'ont rendu eux-même.
Or, cette distinction, aussi importante soit-elle en tant que
fondement de notre droit, ne correspondrait pas à la pratique
judiciaire, car pourquoi établir un principe si ce n'est pour le faire
respecter dans d'autres arrêts ? Citant les écrits de A. RIEG
- « Il est incontestable que, par leur formulation, ces
décisions se présentent comme de véritables arrêts
de règlement »124(*) - à propos des arrêts de principe,
Bernard BEIGNIER écrit que « dans l'arrêt de cassation
pour violation de la loi, l'attendu de principe, précédé
du visa en guise d'appariteur, laisse tomber d'emblée l'argument
d'autorité dont dépend le raisonnement qui va suivre : c'est
l'assurance du dominicain ; dans l'arrêt de cassation pour
défaut de base légale, il revêt la forme la plus modeste de
la fine question : c'est l'habileté du jésuite.
« Dans tous les cas, il semble se détacher de l'espèce
pour se présenter comme le règlement permanent de toutes les
difficultés analogues que prohibe l'article 5 du code
civil »125(*).
Mais l'arrêt de principe ne sera déclaré tel qu'au vu de sa
postérité. C'est précisément là qu'est le
caractère réglementaire occulte de l'arrêt de principe. Le
« chapeau » devient l'accessoire obligé du
« visa ». Et alors que la cour de Cassation se garde bien
de citer sa propre jurisprudence, elle en reprend toutefois constamment le
contenu : le résultat est identique. »126(*)
« Bref, « non seulement le revirement est
rétroactif, mais encore, il débouche en fait, sur une
variété d'arrêts de règlement : ce que la Cour
de Cassation a dit une première fois, elle risque fort de le redire pour
tous les autres litiges qui lui seront soumis, ce qui vaut a fortiori pour les
juridictions du fond soumises à son contrôle »
127(*). L'opposant au juge
Anglais, Laurent-Xavier SIMONEL explique que « si le juge
français croit devoir trouver, dans les décisions
précédentes adoptées par d'autres juges ou dans ses
propres précédents, la source de la décision à
rendre, alors il doit faire preuve d'une discrétion totale. Il lui faut
accepter de s'impliquer directement, là et quand il juge, en faisant
totalement siens les raisonnements et les solutions déjà retenus,
par une incorporation qui va devoir nier l'histoire judiciaire en cause, pour
la réduire à néant. S'il découvre une «
ratio decidendi » suffisante, qu'il l'applique mais qu'il ne le
dise jamais »128(*).
Opposant plus loin le « devoir
d'amnésie » auquel est soumis le juge Français par
rapport à « l'obligation qui est faite à son homologue
Anglais d'habiter son temps », il explique que cette
« amnésie contrainte et absolue est contredite par la
réalité du processus juridictionnel, dont l'on peut penser qu'il
se nourrit nécessairement d'une mémoire collective, d'une
histoire commune composée par la succession, qu'il faut rendre
cohérente, des faits historiques que constituent les décisions
précédentes rendues dans des litiges similaires ou comparables.
Cette réalité-là est bien traduite par les
écritures prises, dans le procès, par les avocats, pour les
parties. Les conclusions soumises aux juridictions judiciaires ou les
mémoires déposés devant les juridictions administratives
assoient toujours leurs principaux arguments sur des décisions
jurisprudentielles identifiées, dont les termes ou les commentaires
auxquels ils ont donné lieu sont souvent intégralement
reproduits. »129(*)
Mais cette remarque vaut également pour les
avocats-généraux de la Cour de Cassation, chargés de
rendre compte des préoccupations qui devront être celles des
magistrats durant leur délibéré :« Les
conclusions du parquet général devant la Cour de cassation ou du
commissaire du gouvernement devant les formations contentieuses du Conseil
d'État restituent le litige et son issue possible dans la
continuité d'une véritable « doctrine de la Cour »
très proche de la « judicial doctrine » mise en
oeuvre par le juge anglais. Une véritable opinion personnelle y est
exprimée, parfaitement enracinée dans le déroulement
linéaire du temps judiciaire, reposant sur les constructions juridiques
de la « ratio decidendi », rappelant parfois certains
«dicta » utiles, et proposant la solution en l'inscrivant dans le
futur, en en présentant les conséquences prévisibles et en
proposant une évaluation de son impact sur l'ordonnancement
juridique ».130(*)
« Ce n'est pas là seulement l'effet de
l'interprétation de règles ou de solutions antérieures. Ce
n'est pas l'effet d'une découverte de solutions ou
d'interprétations préexistantes que la Cour de Cassation
révèlerait. C'est là l'effet de toute décision dont
le contenu est admis au-delà du cercle des parties au litige. Dès
lors qu'une décision de la Cour de Cassation est reconnue par les
juridictions inférieures comme une ligne à suivre, elle a un
effet normatif. Dès lors que cette décision instaure
l'unité de la jurisprudence, et s'impose par l'autorité morale et
hiérarchique de son auteur, elle devient norme. L'effet normatif donne
une efficacité erga omnes à la solution de droit que
contiennent certains arrêts des cours supérieures et
concrétise la fonction unificatrice de la Cour de Cassation131(*).
Car pour cette partie de la doctrine, il y a plus grave :
la Cour de Cassation n'est pas censée faire autre-chose
qu'interpréter les règles mises en place par législateur
afin d'en révéler le sens. Or, là encore, des auteurs de
plus en plus nombreux n'y voient qu'un mythe ; le pouvoir
d'interpréter la norme donnerait au juge le pouvoir de la refaire,
pouvoir dont il use dans le cadre de politiques législatives
liées autant à un contexte socio-économique qu'au sens de
la règle de droit, comme avait pu l'expliquer Henri BATIFFOL :
« Le magistrat penché objectivement sur le problème qui
lui est soumis a conscience d'une dualité inéluctable : la
droit s'élabore à partir d'une analyse des
réalités, mais ne peut faire abstraction des résultats
auxquels aboutissent les conséquences de l'analyse »
132(*).
Par ailleurs, « entendue comme la signification d'un
acte, la norme vaut avant tout dans les termes où on la comprend. De
sorte que l'interprète, bas situé pourtant, dit en fait la
Loi ; bien plus que le législateur
lui-même. »133(*) L'interprétation consiste donc parfois non en
un acte de révélation, mais en un choix entre plusieurs
interprétations possibles qu'aucun critère objectif ne permet de
départager.
Evoquant les arrêts de principe comme n'étant
rien d'autre que des « arrêts de règlement
déguisés »134(*), le Professeur Catherine PUIGELIER cite ainsi
Olivier TOURNAFOND à propos de ces « arrêts de
règlement déguisés », « dans lesquels
on retrouve deux éléments : un texte de loi elliptique ou
ambigu ; une volonté législative putative en ce sens que la
Cour de Cassation prête au législateur sa propre volonté
pour en tirer méthodiquement un certain nombre de conséquences.
Mais dans certains cas, la volonté du juge apparaît au grand jour
et n'hésite pas à dénaturer le texte
initial »135(*).
MM MARTY et RAYANAUD avaient ainsi pu résumer les
fonctions « réelles » de la jurisprudence :
« 1. la jurisprudence crée du droit par le seul fait qu'elle
applique la loi. La loi très souvent s'en tient à des directives
très générales, c'est l'application jurisprudentielle qui
en précise les contours. Par exemple : l'article 1382 qui
déclare qui déclare qu'on est responsable du dommage qu'on cause
par sa faute, mais qui ne définit pas la faute. Les tribunaux ont
à se demander dans chaque cas s'il y a faute ; lorsqu'un certain
nombre de décisions concordantes ont dit qu'il y a faute à se
conduire d'une certaine façon, la notion de faute se trouve
précisée pour tous les cas semblables.
2. La jurisprudence crée le droit de façon
beaucoup plus visible encore lorsqu'en présence d'un texte insuffisant
ou vieilli, elle le complète ou le rajeunit par une
interprétation déformante, par exemple l'interprétation
constructive de l'article 1384, alinéa 1er, pour organiser la
responsabilité des choses inanimées insuffisamment
réglées par le code.
3. Enfin, a fortiori, la jurisprudence crée des
règles juridiques lorsqu'elle fournit les solutions en l'absence de
toute règle préexistante »136(*)
Le processus de création du droit par le juge reste
d'ailleurs en partie un phénomène non seulement naturel mais
aussi bénéfique du point de la sécurité juridique,
comme l'explique le Professeur Petr MUZNY137(*) : la loi étant le plus souvent
écrite en des termes assez généraux pour englober un
certain nombre de situations, le juge, dans son travail de
concrétisation de la norme, ajoutera des éléments qui
serviront à l'observateur ayant besoin de critères pour
déterminer dans quels cas la loi est applicable à la situation
qu'il étudie.
Mais sur cette question, on citera aussi les travaux de David
JACOTOT138(*),
étudiant précisément un arrêt de la Cour de
Cassation sous l'angle de la méthode du juge : « L'on
peut comprendre que la jurisprudence fasse oeuvre créatrice lorsque la
loi est obscure, désuète, ou encore en l'absence de textes ou en
présence de dispositions contradictoires ; en bref, pour
remédier au déclin de la loi sociale. En revanche, quand le juge
déforme des dispositions claires, la perplexité l'emporte. Telle
est bien l'hypothèse de cet arrêt où les termes de la loi
ne sont pas équivoques, ce qui n'empêche pas la Cour de Cassation
de modifier le contenu de la loi. Mais la règle d'origine
prétorienne mérite parfois d'être
précisée ; elle engendre lors un processus de
création de nouvelles règles jurisprudentielles que les juges
rattachent très naturellement à la loi dont le contenu ne cesse
de s'étirer ».
Quant à Patrick MORVAN139(*), il va jusqu'à
expliquer que « la thèse selon laquelle, en droit
Français, la jurisprudence crée du droit trouve un impressionnant
renfort dans la jurisprudence qui élabore des principes contra
legem. », évoquant ensuite « quelques exemples
illustres dont ne pourra contester le caractère...
illégal ». Du reste, le juge « détient le
pouvoir de restreindre la portée de la loi jusqu'au point de
l'évincer complètement ».
Comment cette remise en cause des théories classiques
a-t-elle pris de l'importance ? Le Professeur Pierre MAYER l'explique avec
franchise : « Ce qui compte pour les individus ( et par voie de
conséquence pour la façon dont la société
fonctionne effectivement) , ce n'est pas le processus, situé en amont de
leurs comportements, par lequel des normes ont été valablement
posées, mais ce qui, en aval peut être prédit des effets
attachés à ce comportement. Si une règle a
été adoptée, conformément par la Constitution, par
le législateur, mais que les tribunaux, de façon constante, en
ont, sans que la Constitution leur en ait pourtant donné le pouvoir,
déformé le sens (par exemple pour l'adapter à une
évolution des moeurs) , ce que chacun, juriste ou simple particulier,
considère comme la règle positive est celle que les tribunaux
appliquent. Non parce qu'ils l'ont appliquée :
qu'importeraient aujourd'hui, en eux-mêmes, quelques errements
passés de la jurisprudence s'ils ne devaient pas se reproduire ?
mais parce qu'ils vont l'appliquer, ou plus exactement parce que, au
vu de la façon dont ils ont statué dans un passé
récent, on peut raisonnablement prédire qu'ils vont
établir une relation d'imputation entre une situation-type et un
effet-type. On énonce la règle, légitimement, au
présent, sur la base d'une prédiction, selon laquelle les juges
vont faire leur la relation d'imputation qu'elle
énonce »140(*).
C'est ainsi que Catherine PUIGELIER résume les
choses : « le juge de cassation, qui dispose donc d'une
procédure autoritaire [la cassation] lui permettant de préserver
sa doctrine tout comme pourrait le faire un juge au cours d'un parcours
judiciaire favorable à l'arrêt de règlement, accompagne son
autorité d'un raisonnement, tel que celui-ci est dégagé
par l'ouverture en cassation, suffisamment souple destiné aux
revirements de jurisprudence nécessaires, mais également à
fournir à ses décisions une coloration juridique
irréprochable ; le plus remarquable étant le fait que la
cour régulatrice condamne l'arrêt de règlement ou le grief
d'origine prétorienne alors qu'elle repose sa position sur ce
premier »141(*). La distinction entre arrêts de principe et
arrêts de règlement ne pourrait finalement être
éclairée que par la psychologie, plus particulièrement le
cognitivisme142(*)
a.2) Le mode d'action du juge :
Cette vision du pouvoir créateur du juge ne peut évidemment
être dégagée de toute idée
d'interprétation : c'est dans le cadre même de sa mission
d'interprétation que la jurisprudence a pu établir des
règles de droit : par son action dans les cas individuels, le juge
crée une norme susceptible de s'appliquer au-delà du litige pour
lequel cette solution a été créée. « La
jurisprudence de la Cour de Cassation est faite de cette lente remontée
du contentieux qui se nourrit des conflits et des stratégies de chacun.
Elle se construit peut-être par tâtonnements, attentive à la
résistance des juges du fond. Elle tiendra compte de l'avis de la
doctrine : la fin de l'autolicenciement est un bon exemple de dialectique
constructive. La critique doctrinale a conduit la Cour de Cassation à,
selon son rapport annuel, « réfléchir de nouveau
à la pertinence de sa première
interprétation »143(*). La source jurisprudentielle a un avantage sur les
autres : elle peut affiner son discours, rechercher progressivement la
meilleure formulation, c'est-à-dire rechercher la sécurité
par l'insécurité.»144(*)
Le pouvoir créateur doit d'ailleurs de ce point de vue
être fortement relativisé : non seulement il ne peut
surmonter totalement les « infirmités
jurisprudentielles »145(*), mais il ne pourrait, même en le voulant,
donner lieu à un « gouvernement des
juges »146(*),
si l'on en croit Denys de BECHILLON. Le juge est tout au plus un
« législateur négatif »147(*), et ce point même est
discutable.
Mais il n'empêche : pour toute une partie de la
doctrine, c'est donc bien un pouvoir créateur qui se dessine. Loin
de la vision d'un juge qui ne ferait que révéler le droit,
l'action du juge viserait donc bien à construire, à partir des
cas individuels des règles : « la règle de droit
est d'abord une règle, c'est-à-dire une disposition abstraite,
soit générale dans l'espace et permanente dans le temps,
supposant une virtualité d'application à un nombre
indéfini d'hypothèses futures. La norme jurisprudentielle
présente bien ces caractères de la règle ; bien plus,
on est conduit à observer que la norme jurisprudentielle n'a pas sur ce
plan d'effets différents de ceux produits par la norme légale.
Comme celle-ci, elle a en effet vocation à s'appliquer dans l'avenir
à toutes les personnes qui viendront à se trouver dans la
situation qu'elle envisage et réglemente. »148(*).
Plusieurs tentatives ont été faites pour
rationaliser le phénomène jurisprudentiel. Si les secondes
visaient à proposer une nouvelle approche scientifique du
phénomène, les premières ont visé à
l'insertion de la jurisprudence parmi les sources du droit.
Les premières partent de cette perception de la
jurisprudence comme source de droit en fait. Si certains auteurs, comme le dit
Olivier DUPEYROUX, se contentent de cette affirmation, estimant qu'
« il est aussi vain de rechercher en quelque sorte le titre juridique
de telles règles, que celui d'un passager
clandestin »149(*), d'autres vont plus loin dans cette
réflexion. On évoquera ici les principales thèses.
« Une première étape de leur recherche
les conduit généralement à observer que les obstacles
théoriques classiques à la reconnaissance de la jurisprudence
comme source de droit ne sont pas absolument
déterminants »150(*), et ce sur le fondement d'un critère
formaliste151(*). Si le
juge ne peut s'ériger en législateur, et si le système du
précédent est rendu impossible par l'autorité de la chose
jugée, ces auteurs estiment toutefois que l'interdiction du déni
de justice permet de justifier l'intervention du juge au delà de la
cause pour laquelle il se prononce.
Ces interdictions n'ayant plus la même force, plusieurs
fondements ont été avancés pour l'action du juge. La
première est l' « assimilation de celle-ci à la
coutume, qui est traditionnellement admise au nombre des sources du
droit », notamment par PLANIOL et LAMBERT.
Une autre tentative de justification est faite par Jacques
MAURY : « deux éléments donnent, par leur
réunion, à la règle jurisprudentielle, le caractère
de source de norme juridique établie : la décision du
pouvoir que sont les tribunaux, l'assentiment, le consensus des
intéressés »152(*) A coté de cette thèse pluraliste, la
thèse de Marcel WALINE, selon laquelle le législateur, en ne
« combattant » pas la jurisprudence, ne s'oppose pas
à son entrée dans la hiérarchie des normes.
On doit enfin évoquer une tentative faite par le
Professeur René CHAPUS pour la jurisprudence administrative : il
leur reconnaît une valeur
« infra-législative » et
« supra-décrétale », la loi s'imposant au
juge mais pas les actes de l'exécutif, qu'il peut être
chargé d'annuler153(*).
Enfin, l'approche scientifique la plus récente est
proposée notamment par Michel TROPER, et a pris pour objet de recherche
la nature réelle de l'interprétation opérée par le
juge. La « théorie réaliste de
l'interprétation » analyse certes le travail du juge comme un
travail d'interprétation, mais le sens du terme interprétation
n'est pas ici le même : « 1) l'interprétation est
une fonction de la volonté et non de la connaissance. 2) elle n'a pas
pour objet des normes mais des énoncés ou des faits. 3) elle
confère à celui qui l'exerce un pouvoir
spécifique. »154(*) Ces postulats ont pour conséquence la remise
en cause de l'analyse hiérarchique classique, et entre autre de la
supériorité de la loi sur le juge. En apparence, la
hiérarchie des normes est saine, mais il y a en réalité
une dualité : d'un coté, un « univers de discours
et d'apparence », qui est la forme d'expression de la volonté
de l'interprète, et de l'autre un univers « strictement
réel et factuel » sur lequel va « reposer
l'essence du phénomène juridique dans son
ensemble »155(*).
L'interprétation donnera donc le sens de la norme, sans
que ce sens soit nécessairement conforme à celui qu'avait voulu
lui donner le législateur à l'origine156(*). L'interprète est
libre pour poser cette norme, et le seul contrôle qu'il peut recevoir
dans son action est issu d'éléments extra-juridiques : les
cadres de pensée et d'action auxquels doivent se conformer
l'interprète, les « rapports de force ou de
coopération », ... « Il y a à cela une raison
simple, mais imparable : le pouvoir du juge repose d'abord sur un fait de
force, pur et radical. Est souverain celui qui a le dernier mot. Le juge donc
celui qui peut, dans l'efficacité la plus totale, s'affranchir
des contraintes qui sont éventuellement susceptibles de peser sur lui
à l'heure de donner au texte une signification au détriment d'une
autre »157(*).
Denys de BECHILLON résume ainsi les propositions de
Michel TROPER : « l'interprète est le seul auteur de la
norme ; l'interprète n'est pas lié par une norme
prétendument supérieure ; l'interprétation fonde donc
une hiérarchie réelle, globalement inverse de la
hiérarchie apparente »158(*). L'analyse scientifique du droit devient donc une
analyse mi-juridique, mi-politique, et le juge, dans une certaine mesure
devient un acteur doté d'un pouvoir créateur
non-négligeable, et non plus seulement investi de la mission de
révéler une vérité juridique qui
préexisterait au jugement.
On rappellera simplement qu'il ne s'agit pas d'une tentative
de légitimation du phénomène jurisprudentiel, ni d'une
tentative de le faire entrer dans la hiérarchie des normes159(*), mais d'une approche
scientifique d'un phénomène juridique.
b. Les conséquences : la remise en cause du
raisonnement classique.
Ainsi s'élabore une vision de l'office du juge
censée être dégagée de tout mythe, à partir
de l'idée d'une inadéquation entre le statut de la jurisprudence
et sa pratique réelle. C'est là la première étape
d'un travail de sape : comment en effet continuer à soutenir le
raisonnement selon lequel la jurisprudence n'existe pas et que, par
conséquent, aucun droit transitoire ne peut lui être
consacré et dans le même temps théoriser une pratique
jurisprudentielle toujours plus vivante ?
Il est nécessaire, à ce stade, de
préciser que nous ne nous intéressons pas encore, à
proprement parler, au champ d'application de la règle
jurisprudentielle. Mais la remise en cause des principes classiques concernant
l'office du juge est à examiner sous l'angle du raisonnement classique
et de son point de départ.
Le droit transitoire destiné à la jurisprudence
était classiquement un non-sens : il n'y avait aucun
intérêt, il n'y avait pas même de logique, à
réglementer quelque chose qui n'existait pas. Mais la remise en cause de
l'office du juge fondée sur cette idée d'inadéquation
entre son office statutaire et son office réel remet également an
cause toutes les conséquences de cette inexistence, et en premier lieu
l'inutilité de la réflexion sur un droit transitoire
jurisprudentiel. Classiquement, peu importe qu'il n'y ait rien de prévu
pour les précédents puisque toute référence au
précédent est interdite. Mais le problème se pose dans
d'autres termes si le précédent réapparaît.
Mais il y a plus grave : si la jurisprudence n'est qu'une
interprétation de la règle de droit, il n'y a donc pas
rétroactivité de la règle jurisprudentielle mais
simplement déclarativité ; mais ce
« désenchantement » d'une partie de la doctrine
conduit à remettre ce raisonnement en cause : si le juge a un
rôle plus actif que la simple recherche de ce qui est simplement obscur,
alors le pouvoir du juge n'est pas un pouvoir révélateur mais un
pouvoir créateur, et le produit de son action est une norme à
part entière. Thierry BONNEAU lui même explique ainsi que
l' « effet déclaratif permet d'expliquer l'application
d'une nouvelle jurisprudence aux faits qui sont à l'origine de la
décision qui l'exprime, il paraît en revanche inapte à
expliquer son application par des décisions postérieures à
des faits similaires. Certes, les arrêts de règlement sont
interdits : ce ne devrait donc pas être parce que des décisions
uniformes se répètent que l'explication devrait être
différente. Toutefois cette vision paraît bien artificielle
à une époque où l'on admet le caractère normatif
des règles jurisprudentielles. Aussi doit-on considérer que la
nouvelle jurisprudence se détache des faits qui en ont été
à l'origine et qu'ainsi l'effet déclaratif ne permet plus
d'expliquer l'application de la nouvelle jurisprudence à des faits
antérieurs. »160(*)
Par ailleurs, si la norme jurisprudentielle (quelle que soit
la nature de cette norme) s'inscrit, comme nous l'avons dit, dans des
politiques législatives liées autant à un contexte
socio-économique qu'au sens de la règle de droit, alors la
jurisprudence est liée à une époque ; elle essaie de
devenir le reflet de ces préoccupations et de ces impératifs, et
de s'adapter à ses impératifs autant que d'imposer le droit aux
justiciables. Or, les préoccupations et les impératifs
évoluent, la jurisprudence devient obsolète, et il devient
nécessaire de changer les normes jurisprudentielles. Aujourd'hui, peu
d'auteurs pensent même à reprocher à la Cour de cassation
d'avoir affirmé qu'il n'y a pas de droit acquis à une
jurisprudence figée. L'affirmation, en soi, est heureuse, l'adaptation
du droit étant un signe de vie.
Mais si la jurisprudence est placée hors du temps,
alors elle s'appliquera à des faits pour lesquels elle n'a pas
été prévue : liée à une époque,
elle est indissociable de ses valeurs, et l'appliquer à des situations
passées contient un danger expliqué par William DROSS161(*), critiquant l'affirmation
selon laquelle « l'interprétation jurisprudentielle d'une
même norme à un moment donné ne peut être
différente selon l'époque des faits
considérés »162(*) : « l'interprétation - ou
l'affirmation - d'une norme par le juge, loin de ne pouvoir être
différente selon l'époque des faits considérés, se
doit au contraire de l'être. La mission du juge est, en l'absence de loi,
de trancher le litige selon ce qui est juste, et cela non pas selon ce qui est
juste dans la société Française au moment où il se
prononce, mais selon ce qui était juste dans la société
Française au moment où le comportement contesté a eu lieu.
N'oublions pas que, idéalement, le litige devrait être
dénoué immédiatement et non après dix années
de procédure. Surtout, c'est cette manière de raisonner qui fonde
seule ce lien indissociable entre le litige et la règle de droit
créée pour le résoudre et qui permet à la Cour de
Cassation de respecter pleinement l'article 5 du code civil. Contrairement
à ce qu'elle affirme, l'interprétation d'une même norme
peut être différente selon l'époque des faits
considérés, parce que ce qui apparaît comme juste
aujourd'hui dans la société Française ne l'était
pas nécessairement quelques dix ans plus tôt »163(*)
Or, de ce point de vue, il peut être assez dangereux de
juger des faits d'après une jurisprudence qui sera faite pour une autre
époque. C'est d'ailleurs ce qu'explique le Professeur Denys de BECHILLON
à propos de la règle prétorienne de responsabilité,
naturellement élaborée à rebours du temps dans le
présent pour des faits passés164(*) : « En responsabilité, c'est
le passé que l'on juge. Et on le fait toujours à la
lumière du présent et ses preuves. » Le problème
est encore plus grave lorsque la règle apparaît longtemps
après le dommage, car les données et les opinions de
l'époque peuvent être fondamentalement différentes :
« plus le temps passe, plus la distance cognitive s'installe
vis-à-vis des catégories de pensée qui régnaient au
moment des faits. Jusqu'à les rendre
incompréhensible ».
L'idée du pouvoir créateur du juge, même
de fait, a donc un effet profondément déstabilisateur sur le
raisonnement classique concernant la rapport de la jurisprudence au
temps : en attaquant sa première prémisse, elle mine
également le point de départ du raisonnement. La remise en cause
de la conception classique du juge n'est donc pas un phénomène
à prendre à la légère pour le sujet qui nous occupe
car elle n'est rien de moins que la remise en cause de tout la construction
dans laquelle le juge s'insère pour appréhender - ou pas - ses
précédents.
Pour nous résumer, la question posée par les
classiques est la suivante : quel sens aurait une réflexion
orientée vers la maîtrise dans le temps de ce qui ne doit pas
exister ? L'interrogation à laquelle arrive une partie de la
doctrine moderne est aujourd'hui : pourquoi maintenir hors du temps ce qui
existe de fait ?
Cette réflexion portée sur la maîtrise de
quelque chose qui n'existe qu'en dehors de la hiérarchie des normes -
qui ne peut exister qu'en dehors de la hiérarchie des normes, nous dit
Denys de BECHILLON165(*)
- a tout de même un défaut : le débat portant dans
deux optiques différentes sur deux aspects différents du droit -
d'un coté, le fait, d'un autre coté le droit - ne peut mettre en
évidence que l'inadéquation du fait au droit. Mais le
schéma imposé par le « statut constitutionnel du
juge » reste en soi inattaquable.
C'est dans cette optique que doivent s'analyser les
tentatives faites par la doctrine pour insérer les règles
jurisprudentielles. A partir du moment où l'on insère la
jurisprudence dans les sources du droit, qui plus est d'une façon qui
est censée être légitime, il devient impossible
d'éviter la réflexion sur un éventuel droit transitoire
destiné à la jurisprudence, car cette réflexion devient
alors une obligation pour les acteurs du droit : si l'existence d'une
norme suppose de lui voir associée certaines garanties, et notamment de
déterminer précisément son insertion temporelle dans la
hiérarchie des normes, alors l'insertion de la jurisprudence dans la
hiérarchie des normes - en dessous des règles
édictées par le législateur, en dessous, ou même sur
un plan différent comme l'explique Patrick MORVAN166(*) - oblige à entamer
une réflexion sur la façon dont elle s'insère dans
l'ordonnancement juridique, tant au niveau individuel qu'au niveau collectif.
Nous n'estimons pas à cette étape de notre
démonstration, qu'il est nécessaire de mettre en place un droit
transitoire pour la jurisprudence afin de moduler dans le temps les effets des
arrêts de principe, voire de façon plus restrictive des
revirements de jurisprudence. Nous ne nous prononçons d'ailleurs pas
plus sur les mérites des différentes thèses. Mais
l'évolution du débat pour une partie de la doctrine a conduit
celle-ci à cette simple réflexion : si la jurisprudence a un
pouvoir créateur, alors le système classique bâti sur la
notion de déclarativité, parfaitement adapté pour une
situation d'inexistence de la jurisprudence, devient sans objet et il de
devient nécessaire de le remplacer. Pour le remplacer, une
réflexion sur l'effet de la jurisprudence dans le temps est
inévitable, et peut éventuellement mener à proposer un
droit transitoire pour régler le problème de son insertion
temporelle dans l'ordonnancement juridique.
L'idée est aussi, implicitement, qu'une règle
doit présenter certaines garanties quant aux personnes dont elle
régit les droits. Le principe de légalité, dans le domaine
de la loi, oblige le juge à faire application de la loi telle qu'elle
existait au moment des faits, et non pas de la loi, telle qu'elle existe au
moment du jugement. On doit alors prévoir comment cette norme
s'insère dans l'ordonnancement juridique, donc connaître
précisément le champ d'application de cette norme, ce qui conduit
alors à mettre en place un droit transitoire pour définir
précisément le champ d'application de cette norme. Si la
jurisprudence est source de droit, alors un droit transitoire devrait
être prévu, dans l'optique que nous venons d'expliquer, pour la
norme produite par la jurisprudence.
Quoi qu'il en soit, c'est finalement la position
adoptée par le Rapport MOLFESSIS, ne s'intéressant toutefois, en
définitive qu'aux seuls revirements de jurisprudence et
non à toutes les décisions par lesquelles la cour de
Cassation crée du droit : « la question ici soulevée
n'est pas de savoir s'il est opportun que la Cour de Cassation crée des
règles. Il n'est pas douteux qu'elle possède un tel pouvoir
créateur et en use en diverses circonstances. Les décisions par
lesquelles elle pose un nouveau principe ou encore retient une
interprétation innovante, distincte de celle qui prévalait
jusque-là, ont indéniablement vocation à avoir un
effet normatif Dès lors que la portée créatrice de ses
décisions est admise, on doit en prendre acte pour envisager dans quelle
mesure l'effet rétroactif qui y est attaché est, ou non, source
d'insécurité juridique. C'est à cette seule condition
qu'il sera éventuellement possible d'y porter remède.
Ainsi, le groupe de travail a-t-il estimé que la
fiction de l'absence d'effet créateur de droit de la décision de
revirement faisait obstacle, par hypothèse, à toute
possibilité de remédier aux inconvénients qui pourraient y
être attachés, et que la seule possibilité
d'améliorer éventuellement un système juridique au sein
duquel la jurisprudence joue un rôle prépondérant est de
reconnaître l'existence d'un tel rôle pour en permettre
l'aménagement. »167(*)
Deux arguments sont ici ajoutés : d'une part, la
prise en compte du pouvoir créateur de la jurisprudence serait non
seulement compatible, mais dictée par l'évolution des rapports
entre les pouvoirs dans le système juridique :
« Nécessaire dans un système juridique qui repose tout
entier sur l'affirmation de la suprématie de la loi et sur son
exclusivisme, la négation du rôle créateur de la
jurisprudence n'est plus justifiée dans un système qui veut
s'intéresser à l'insertion des règles qui ont cours en son
sein. L'attention croissante portée à la connaissance des
règles et, plus généralement à la
sécurité juridique, impose de lever la fiction de l'absence de
pouvoir normatif de la jurisprudence. Elle ne saurait être soustraite,
par statut, au contrôle croissant des règles qui
caractérise les systèmes juridiques
rationalisés »168(*)
Le deuxième argument est le suivant : la remise
en cause de la « fiction » de l'absence de pouvoir
créateur du juge pourrait être faite sans danger :
« la légitimité des acteurs juridiques ne tient pas au
respect intangible d'une distribution théorique des compétences
normatives qui contraindraient, au cas présent, à faire un
départ tranché entre la loi et le juge. Il faut prendre en compte
l'acceptabilité sociale des fictions juridiques et ne pas
négliger le réalisme que le traitement des
phénomènes juridiques réclame. Parce que le juge n'est pas
la bouche figée de la loi, il n'est pas possible que le système
juridique dans son entier se comporte, sans nuance et toujours, comme s'il
l'était. Admettre son pouvoir n'est pas ouvrir sur un
« Gouvernement des juges » qui ferait retour à une
conception avec laquelle les révolutionnaires ont voulu, il y a
plusieurs siècles, rompre. La profondeur d'ancrage de l'Etat de droit
dans notre pays, avec ce qu'elle suppose de solidité et de
stabilité des institutions démocratiques, permet sans nul doute
aujourd'hui de composer avec le dogme d'un juge serviteur de la loi169(*). Et ce d'autant plus que
force restera toujours aux institutions démocratiquement élues
puisque le législateur, voire s'il le faut le constituant, peuvent
toujours décider de s'opposer au pouvoir normatif du juge. Dans les
sociétés démocratiques, les évolutions juridiques
s'opèrent toujours sous réserve : le souverain peut dresser
un lit de justice, selon la formule du Doyen VEDEL, s'il entend avoir le
dernier mot »170(*).
Il est regrettable, toutefois, que le rapport MOLFESSIS se
soit contenté d'admettre le pouvoir créateur de la jurisprudence
sans en préciser le fondement, ainsi que les caractéristiques de
la règle prétorienne : « Concrètement,
comment différer les effets du revirement, Théoriquement, comment
le juge judiciaire crée-t-il de nouvelles règles, Il serait doux
de penser que la première question est urgente quand la seconde pourra
se bonifier avec le temps. Toutefois, s'aventurer dans l'exercice d'un pouvoir
créateur sans avoir fait un choix théorique sur sa nature exacte
relève plutôt de la précipitation imprudente, certes
compréhensible après des années d'inhibition, mais non
moins hasardeuse. »171(*)
Tout cela passe également par une
réflexion approfondie sur son champ d'application. Nous avons
déjà évoqué sur cette question les travaux de
Thierry BONNEAU et de Pierre FLEURY-LE GROS ; d'autres travaux, plus
anciens, partent toutefois sur des bases différentes, arrivant bien
sûr à des conclusion différentes, que nous allons
maintenant expliquer.
2) La rétroactivité naturelle de la
jurisprudence.
a. La détermination du champ d'application de la
jurisprudence nouvelle.
Ici, deux règles sont à prendre en
compte : la règle nouvelle et la règle ancienne, à
l'exclusion, bien sûr, de la règle écrite qui en fournit le
support. La règle ancienne était le droit positif à
l'époque des faits qui ont donné lieu au litige. L'acte - ou, par
exemple, les faits - en cause est donc soumis à un certain régime
substantiel le jour où il est pris. A ce moment là, la
légalité de l'acte s'appréciera d'après cette
règle ancienne. C'est cette règle, par comparaison avec la loi,
qui devrait être appliquée par le juge, et elle l'aurait
été si la jurisprudence n'avait pas évolué depuis.
Mais en raison du changement dans la règle jurisprudentielle, c'est une
nouvelle règle qui est appliquée par la jurisprudence au moment
où le juge se prononce, la règle ancienne étant
anéantie.
C'est ici qu'intervient une
différence entre le droit écrit et le droit
jurisprudentiel : le droit écrit est un droit de l'a
priori ; il est écrit pour des faits qui se dérouleront
en principe dans le futur - sauf le cas de la rétroactivité, mais
c'est alors le fruit d'une volonté du législateur. La
règle est, bien sûr écrite en pensant aux multiples
hypothèses que recouvrent son application future, et ce en fonction de
ce qui est observable dans le présent, mais il s`agit bien
d'évènements postérieurs à l'intervention de la
règle. De ce point de vue, le droit applicable à une situation
peut donc bien rester donc celui qui était en vigueur au moment des
faits en cause.
Le droit jurisprudentiel, quant à lui ne peut pas se
permettre les mêmes précautions : la règle
jurisprudentielle est faite pour - ou du moins à partir - des faits qui
ont donné lieu au litige, qui se sont déroulés dans le
passé. Le juge ne peut donc que créer et appliquer la
règle nouvelle en même temps, pour les mêmes faits. C'est
ici un droit de l'a posteriori, fait pour des faits concrets
et passés, et non pas un droit fait a priori, pour s'appliquer de
façon abstraite et hypothétique à des faits
futurs.
« Le juge ne statue que sur le passé, un
passé qui, par ses conséquences, se prolonge dans le
présent, certes ; mais l'acte juridique ou le fait matériel
sur lequel le juge se prononce se situe dans le temps (on s'excuse d'annoncer
cette vérité de La Palisse !) , avant le jugement.
Or, le juge n'a pas d'autre occasion de poser une règle
nouvelle ou de modifier sa règle antérieure que la solution des
litiges qui lui sont soumis. L'arrêt de règlement n'ayant pas
cours dans notre droit, il n'y a pour le juge qu'une technique de formulation
plus ou moins explicite de la règle de droit : il énonce,
dans les considérants, de façon plus ou moins explicite, la
formule générale dont il va déduire la solution du cas
particulier qui lui a été soumis. »172(*)
C'est d'ailleurs ce qui motive et justifie l'intervention du
juge : si le règlement du litige passe par un acte de
création, l'application de cette règle nouvelle se fait pour le
litige qui justifie l'intervention du juge et auquel était
destinée la règle nouvellement créée. De plus,
l'adoption de la règle serait, autrement, dépourvue de
légitimité.
Mais la conclusion est alors l'application de la règle
nouvelle à des faits qui se sont déroulés avant
l'intervention du juge : « Il en résulte
nécessairement que, dans la mesure où le juge procède
ainsi, en vertu de son pouvoir normatif, à une modification de la
règle antérieure, la règle nouvelle va produire effet, non
à partir du jugement, dont le prononcé lui confère
l'existence, mais à l'égard des faits ou des actes sur lesquels
il statue. Or, au moment où le fait s'est déroulé,
où l'acte a été pris, la règle jurisprudentielle
était, par hypothèse, fixée dans un certain sens. Ce n'est
cependant pas cette règle, en vigueur à l'origine du litige, qui
lui sera appliquée, mais celle que le juge lui substituera au terme de
celui-ci. Il y a donc bien rétroactivité de la règle
jurisprudentielle, non seulement à l'égard des données du
litige à propos duquel elle a été élaborée,
mais encore, dans la mesure où le juge s'en tiendra à la nouvelle
règle, à l'égard de tous les litiges semblables dont il a
été saisi avant la décision qui fait jurisprudence, et qui
seront tranchés postérieurement à
celle-ci »173(*).
Deux éléments son donc ici à
distinguer : d'une part, la rétroactivité, d'autre part le
caractère systématique de cette rétroactivité. Pour
les auteurs dont nous expliquons ici les idées, le fait même que
la jurisprudence s'applique à des faits qui se sont passés avant
l'apparition de cette règle dans le droit positif, à une
époque où une autre règle était en vigueur, suffit
à démontrer sa rétroactivité.
L'élément essentiel est ici le fait qu'une règle nouvelle
en évince une autre pour le passé. Comme l'explique le Professeur
Marie-Anne FRISON-ROCHE, « si la jurisprudence est de fait une source
de droit, alors, au moment où elle émet une règle, qui
s'appliquera dans tous les cas analogues, elle modifie les règles de
droit ayant vocation à régir tous les litiges qui seront
tranchés par les juges, même les faits constitués
antérieurement à l'innovation jurisprudentielle, dès lors
qu'ils n'ont pas fait l'objet d'un jugement
définitif. »174(*)
Ainsi encore, le Professeur Nicolas MOLFESSIS :
« la tare majeure du revirement de jurisprudence réside dans
le fait qu'il saisit dans son orbe des situations constituées ou en
cours de constitution - pour reprendre le langage de ROUBIER - en un temps qui
ignorait, par hypothèse la solution nouvelle. D'où le fait qu'une
personne va être responsable alors qu'à l'époque des
faits, elle ne l'aurait pas été... »175(*).
Il faut noter que l'appréciation du caractère
rétroactif du revirement se fait, dans une certaine mesure, par
opposition à la théorie de la déclarativité et de
l'incorporation à la loi. C'est par exemple dans cette optique que
Pierre VOIRIN176(*)
entreprend sa démonstration177(*).
La rétroactivité a ensuite un caractère
systématique : tout revirement, en tant qu'il écarte, par
l'effet même de son mode d'intervention, la solution en vigueur au moment
des faits au profit d'une solution adoptée ultérieurement, a
naturellement un effet rétroactif. Or, comme nous l'avons dit, cet
aspect naturel de la rétroactivité est renforcé par
l'absence de choix pour le juge : si le juge choisit d'adopter une
nouvelle règle, il ne peut pas ne pas l'appliquer à la cause pour
laquelle elle est créée et ensuite pour toutes les affaires qui
lui seront présentées par la suite.
« la technique de création ou de modification
de la norme par le juge, dans ses manifestations les plus typiques, suppose
nécessairement l'application de la norme aux données -
éventuellement antérieures - qui fournissent l'occasion de
l'énoncer. On ne saurait concevoir, en effet, une dissociation entre
création et application : le juge ne peut, dans un seul et
même arrêt, formuler une règle nouvelle, et appliquer,
à la solution de l'espèce, la règle antérieure, car
la seule justification de son pouvoir normatif réside
précisément dans la nécessité où il se
trouve de donner, à la décision qu'il va prendre, le fondement
d'une règle générale. Il y a là une
différence essentielle entre l'édiction de la règle par
l'autorité législative ou réglementaire, et son
élaboration jurisprudentielle, notamment lorsqu'il s'agit de substituer
une règle à celle qui s'appliquait
antérieurement. »178(*)
Il est intéressant de rappeler ici les travaux de
Thierry BONNEAU et de Pierre FLEURY-LE GROS, qui visaient
précisément à contester cette vision de la
rétroactivité par l'utilisation des critères du droit
transitoire pour la loi179(*). On peut par ailleurs faire remarquer que ces
arguments, même s'ils peuvent éviter l'emploi intempestif du
concept de rétroactivité, n'ont pas pour conclusion l'absence de
rétroactivité ; la conclusion est donc ici que, s'il n'y a
pas systématiquement rétroactivité, celle ci existe dans
un nombre considérable de cas.
Ce schéma, cependant, doit être
nuancé : il ne s'applique qu'aux revirements de jurisprudence et
non à tous les arrêts de principe. « Il ne s'applique
pleinement qu'aux décisions proprement novatrices : celles qui
consacrent une règle nouvelle là où aucune ne s'applique,
celles qui renversent une règle antérieure. Là où
la décision met fin à l'incertitude du droit préexistant
ou encore apporte le point final à une évolution dont chaque
terme ne constitue pas, pris isolément, une modification du droit
antérieur, le phénomène qu'on analyse s'estompe
jusqu'à s'évanouir. »180(*)
La démonstration de Pierre VOIRIN est encore plus
tranchée sur ce point : « Le revirement n'a pas le
monopôle de ces inconvénients. Une jurisprudence naissante les
produit également, lorsqu'elle condamne une pratique constante,
peut-être même une coutume sur la foi de laquelle se sont
constituées des situations qu'on croyait inébranlables et qui,
soudain, se trouvent remises en question. (...) Mais une pratique,
fût-elle tenue pour un coutume, est sans force lorsqu'elle tend à
faire tomber la loi (...) en désuétude. Si la Cour de cassation
avait été saisie plus tôt, elle n'aurait pas manqué
de couper court à ces errements de la pratique. Aussi ne peut-on
assimiler à un revirement la réaction tardive de la jurisprudence
contre de tels errements. Le revirement seul corrode la présomption de
vérité attachée à la chose jugée. Du moins,
dans les deux cas, la sécurité des justiciables est
ébranlée. »181(*)
b. La nécessité d'un droit transitoire
adapté
Partant de la mise en évidence de ce champ
d'application, deux conclusions ont pu être faites. Certains auteurs ont
estimé, par analogie avec les solutions des conflits de lois dans le
temps et à partir d'un a priori défavorable
vis-à-vis de la rétroactivité, qu'un système de
droit transitoire devait être mis en place. C'est notamment l'opinion de
Christian MOULY, évoquant « l'insoutenable
rétroactivité » des revirements de jurisprudence :
« dans un état de droit, où les solutions juridiques
tracent le paysage dans lequel chaque individu détermine ses
prévisions et ses actions, seules sont admissibles des normes et
solutions connues de tous au moment où les prévisions sont
formées et les actions engagées. Les normes ne doivent pas
être rétroactives, car la rétroactivité fausse les
données ; elle spolie ceux qui se sont engagés en fonction
de l'état du droit antérieur ; elle mine la
prévisibilité et bafoue la croyance commune. Elle porte atteinte
au principe supérieur de sécurité juridique, dont la Cour
Européenne des Droits de l'Homme fait grand cas.
C'est pourquoi les normes
législatives et administratives sont soumises au principe de
non-rétroactivité. Même les changements de doctrine
administrative n'opèrent que pour l'avenir.
Ce contexte rend moins admissibles
l'imprévisibilité qui affecte les solutions jurisprudentielles.
Elle est liée à l'insuffisance des débats qui les
précèdent, à l'insuffisance de leur motivation et à
l'insuffisance de leur publicité. Quant aux revirements de
jurisprudence, leur rétroactivité est pire que celle des autres
arrêts puisqu'elles conduit à sanctionner ceux-là
même qui se sont conformés au droit antérieur. Elle devient
insoutenable.»182(*)
Dans le même sens, on peut citer Christophe
RADE183(*) :
« Pour les justiciables, il importe peu de savoir si la règle
nouvelle qu'on lui impose rétroactivement résulte de l'adoption
d'une loi nouvelle ou d'un changement dans l'interprétation
jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux hypothèses, le
litige est en effet tranché par application d'une règle de droit,
pure ou interprétée, dont le justiciable n'avait pas eu
connaissance au moment des faits et dont il n'a pas pu, par hypothèse,
tenir compte dans ses prévisions. La Cour de Cassation ne peut donc,
à son égard, se retrancher derrière une lecture aussi
formelle de l'office du juge. »
Sur cette question, le Doyen CARONNIER lui même va
jusqu'à écrire que « l'article 2 n'a visé que
les lois. Mais le droit d'aujourd'hui en grande partie est devenu
jurisprudentiel. Or, les jurisprudences nouvelles, parce que ce sont des
interprétations sont inévitablement rétroactives. Il
faudrait introduire dans l'article 2 un complément garantissant les
justiciables contre les changements de jurisprudence. L'article 80 A du Code
des procédures fiscales est un modèle : ne
déclare-t-il pas inopposables aux redevables les changements
d'interprétation de l'Administration ? »184(*)
Ici, il n'y a pas à proprement parler mise en
évidence d'un conflit entre jurisprudences. Mais la
rétroactivité étant en soi un mal, il est
nécessaire de trouver un moyen de l'éviter. C'est dans cette
optique qu'une comparaison s'impose avec les conflits de loi dans le
temps : si le principe de non-rétroactivité s'impose en
matière législative, et si un droit transitoire permet de
déterminer précisément le champ d'application de la loi
nouvelle, alors il devient nécessaire de mettre en place un droit
transitoire équivalent pour la jurisprudence - sans l'asseoir
nécessairement sur les mêmes principes - pour déterminer
quand une jurisprudence nouvelle peut être invoquée s'agissant de
faits passée, et quand elle doit être écartée
C'est dans cette optique que Christian MOULY propose d'adopter
un système de modulation dans le temps des effets des revirements de
jurisprudence, propositions reprises en grande partie par le rapport
MOLFESSIS. Sans entrer dans le détail de ces propositions, nous pouvons
dire que celles-ci sont inspirées par les pratiques adoptées par
plusieurs systèmes juridiques étrangers, ainsi que par les Cours
de Strasbourg et de Luxembourg. Ce système a été
présenté sous le nom de « revirement pour
l'avenir », par référence à l'expression
employée devant la Cour Suprême des.Etats-Unis :
« prospective overruling ».
Elles partent de la possibilité de créer un
système de droit transitoire analogue par rapport à celui des
normes législatives, mais sans être exactement le même,
puisque ces normes ne sont pas les mêmes.
Ce système de modulation des effets des revirements de
jurisprudence, véritable « droit transitoire des arrêts
de principe et de revirement »185(*), serait assis sur le principe de
rétroactivité de la norme jurisprudentielle, mais en permettant
au juge de déroger exceptionnellement à ce principe pour en
éviter des effets négatifs et excessifs. Il y aurait donc deux
étapes dans le raisonnement du juge : d'une part, l'annonce du
principe nouveau ; d'autre part, la décision de ne pas appliquer ce
principe nouveau à la cause sur laquelle le juge se prononce.
L'entrée en vigueur du principe nouveau serait donc reculée dans
le temps.
En construisant ce droit transitoire dans l'optique d'un
remède aux effets des revirements, les propositions de Christian MOULY
ne visent pas à une réflexion approfondie sur l'insertion dans le
temps de la norme jurisprudentielle elle-même. C'est sur ce point que ses
propositions divergent par rapport à celles du Doyen ROUBIER. Celui-ci
propose en effet, à partir d'une réflexion sur la nature de la
norme jurisprudentielle, de construire un système de droit transitoire
pour la jurisprudence à partir de la mise en évidence d'un
conflits de jurisprudence dans le temps.
« Le régime de la loi a atteint son
apogée, au point qu'on en est arrivé un moment à
considérer que le droit était tout entier contenu dans la loi.
Etant donné cette manière de voir, on ne peut être surpris
de constater que le droit transitoire n'ait envisagé que les changements
de législation, et nullement les changements de jurisprudence. C'est en
effet une règle certaine de notre droit Français qu'il ne peut y
avoir de conflit entre des jurisprudences successives : une jurisprudence
nouvelle s'applique toujours dans tous les procès nouveaux, sans que
l'on prenne en considération la date à laquelle les faits se sont
produits, et quand bien même ces faits seraient antérieurs au
changement de jurisprudence. Le motif est bien simple : on se refuse
à voir autre-chose dans les arrêts qu'une simple
interprétation de la loi, et cette interprétation n'a pas
d'autorité au delà de la cause dans laquelle elle est
donnée. Ce point de vue a été donné avec vigueur
par TRONCHET, à la séance du 14 Messidor an IV du Conseil des
anciens : ce que les arrêts ont admis, d'autres arrêts peuvent
le rejeter ; donc il n'y a pas de changement dans la règle de
droit, il y a seulement des divergences entre les solutions des
interprètes. Mais disons aussi que la doctrine contemporaine est devenue
plus réaliste ; elle y voit en général une source du
droit moderne, quelques-uns disent même la seule source du droit
coutumier moderne.
La question se posera peut-être alors de savoir s'il ne
serait pas possible de prévoir, et de régler, les conflits entre
des jurisprudences successives. Nous avons admis, il est vrai, qu'il n'y avait
pas de conflit lors d'un changement de coutume ; mais la jurisprudence
moderne ne peut être comparée aux formations juridiques
inconscientes des coutumes primitives ; elle suppose au contraire un
travail actif du juge, appliqué à un règlement, aussi
heureux que possible, de la lutte des intérêts ; lorsqu'elle
supplée aux lacunes de la législation, son oeuvre est toute
d'initiative et de volonté. Sans doute elle est plus asservie aux
nécessités pratiques que le travail législatif ;
cependant elle représente aussi un choix entre plusieurs directions, qui
pouvaient être également suivies. D'autre part, les changements de
jurisprudence sont connus et commentés comme les loi nouvelles. N'y
aurait-il pas lieu, dans ces conditions, de définir les portée
d'application des jurisprudences nouvelles ? »186(*)
En partant du point de vue de l'existence d'une norme
jurisprudentielle, il serait possible de chercher à mettre en
évidence le conflit entre deux jurisprudences : si l'existence
d'une norme est admise, alors il est nécessaire de
réfléchir à son champ d'application ; il est alors
possible que la norme en vigueur au moment des faits aie vocation à
s'appliquer à ces faits. L'application - souvent, si ce n'est
systématiquement - rétroactive d'une norme créerait un
conflit entre ces deux normes ; la mise en place d'un droit transitoire -
probablement élaboré, là encore à partir ou en
tenant compte des caractéristiques bien spécifiques de cette
norme - permettraient de régler ou d'éviter ce conflit187(*).
B. Evolution du droit positif : les changements dans les
postulats classiques.
1) L'évolution de la doctrine de la Cour de
Cassation : l'admission d'exceptions au principe de la neutralité
du juge.
a. Les « craquements » dans la
jurisprudence.
La Cour de cassation, en deux occasions, a porté
atteinte à l'unité de sa doctrine sur l'interprétation. En
premier lieu, sa jurisprudence récente a provoqué une
dualité dans le régime de l'interprétation. En second
lieu, elle admet depuis longtemps que la jurisprudence puisse être source
de droit dans un domaine précis.
a.1) Dualité du régime de
l'interprétation : Cette dualité dans le
régime de l'interprétation est le résultat de
l'unification récente du régime des lois rétroactives. La
Cour de Cassation, se conformant en la matière aux exigences de la Cour
Européenne des Droits de l'Homme188(*), a entrepris depuis plusieurs années, de
restreindre la possibilité pour le législateur d'adopter des lois
rétroactives, et ce plus particulièrement dans le domaine des
lois de validation, où le risque d'une ingérence dans l'exercice
du pouvoir judiciaire est particulièrement grande189(*). Les évolutions de la
matière, aussi intéressantes soient-elles pour les droits
fondamentaux, paraissent pourtant a priori étrangères au sujet
qui nous occupe, la rétroactivité de la loi n'étant pas
celle de la jurisprudence.
Pourtant, une évolution s'est faite récemment en
ce domaine, qui intéresse indirectement la doctrine de la Cour de
Cassation sur l'interprétation jurisprudentielle. Traditionnellement, la
loi interprétative était considérée comme
naturellement rétroactive : « jusqu'alors, parmi toutes
les hypothèses de rétroactivité en matière civile,
la loi interprétative faisait figure d'exception. Par la grâce de
son caractère interprétatif, la rétroactivité
serait ici « naturelle »190(*), « nécessaire »191(*) ; la loi nouvelle
prendrait corps, elle s'incorporerait, elle se fondrait dans la loi
interprétée, et les deux règles n'en formeraient plus
qu'une. Cette fusion des textes opèrera fusion des effets dans le
temps : la loi interprétative s'appliquera au jour d'entrée
en vigueur de la loi interprétée ; l'abrogation de la loi
interprétée emportera abrogation de la loi interprétative.
Cet effacement de la loi interprétative comme loi nouvelle, loin
d'être une vue de l'esprit, emporte une rétroactivité
d'autant plus forte qu'elle est censée ne pas être. Ainsi, la loi
interprétative est appliquée aux instances en cours, y compris
celles pendantes devant la Cour de Cassation192(*), et a autorisé l'application
rétroactive d'une loi pénale plus sévère193(*). »194(*) Cette
rétroactivité naturelle justifie donc un contrôle
judiciaire strict, mais la constatation de son caractère
interprétatif aura pour conséquence automatique sa
rétroactivité.
Cette conception traditionnelle de la loi
interprétative a été remise en cause par un arrêt
d'Assemblée Plénière du 23 janvier 2004195(*) dans lequel la Cour de
Cassation « modifie la nature des lois interprétatives pour
les considérer comme des lois nouvelles définitivement
avérées. Dès lors, aux conséquences
découlant de l'effet rétroactif naturel vont se substituer les
conséquences de l'effet rétroactif intentionnel. La loi
pénale interprétative se verra soumise aux règles de
rétroactivité de la matière ; la loi
interprétative civile ne pourra être invoquée directement
la Cour de Cassation. Enfin, le contrôle judiciaire de la qualification
d' « interprétatif » devient secondaire, voire
indifférent, puisque dénué d'effet dans le temps. En
revanche, les lois interprétatives sont dorénavant soumises au
principe de non-rétroactivité. Pour y déroger, il faut
donc rechercher dans le texte de loi ou dans les travaux préparatoires
la volonté de faire rétroagir la loi et l'impérieux motif
d'intérêt général l'autorisant. On ne saurait
être plus clair que l'arrêt commenté : les exigences
imposées aux lois rétroactives « s'appliquent
quelle que soit la qualification formelle donnée à la
loi » ; l'application rétroactive ne pouvant se justifier
d'un impérieux motif d'intérêt général ni
même d'une intention de faire rétroagir doit être
écartée par le juge « peu important qu'elle ait
été qualifiée
d'interprétative »196(*).
Cette unification du régime des lois
rétroactives laisse toutefois place à une dualité dans le
régime de l'interprétation : jusqu'à présent,
l'interprétation faite par le juge et celle faite par le
législateur étaient soumises au même régime de
rétroactivité, l'effet dans le temps découlant dans les
deux cas du caractère déclaratif : la loi
interprétative, tout comme la jurisprudence ne venaient que
préciser ce qui était déjà prévu par une loi
qui n'était qu'obscure. Sur ce point, le Doyen ROUBIER va plus loin
encore : pour lui, l'explication de la rétroactivité de la
loi interprétative ne se trouvait pas dans son caractère
déclaratif, reposant non sur une fiction, mais dans un parallèle
avec la jurisprudence : la loi interprétative serait
interprétative comme l'est la jurisprudence...197(*)
« Désormais, l'interprétation de la
loi se retrouve dans une situation paradoxale : l'une,
opérée par le législateur, officielle, toute puissante,
agirait comme une véritable nouvelle norme et serait soumise au principe
de non-rétroactivité ; l'autre, produit du juge,
réelle, nécessaire, ne serait pas nouvelle norme et ne pourrait
en aucun cas être autre que rétroactive. Certes, les choses ne
sont pas égales, par ailleurs : pour interprétative qu'elle
soit, la loi reste loi198(*). Pourtant, au regard du droit Européen
à l'aune duquel la rétroactivité est
contrôlée, la jurisprudence n'est pas moins loi199(*). La position actuelle de la
Cour de Cassation souffre ici d'une dissonance : pourtant ouverte ailleurs
aux positions de la cour Européenne, elle rechigne toujours à
intégrer la reconnaissance Européenne de la jurisprudence comme
source de droit et la possibilité de sa
non-rétroactivité200(*) »201(*)
Si « la construction idéologique de notre
système se satisfait depuis longtemps de grandes ambiguïtés
autour du statut de l'interprétation »202(*), la scission du
régime de l'interprétation entre un acte normatif
non-rétroactif et un acte d'autorité qui demeure
déclaratif, qui n'est encore assise que sur un critère organique,
pose un problème logique dans l'optique d'une jurisprudence qui
serait source de droit : comment justifier que ce qui, pour l'un des
créateurs du droit, reste rétroactif par nature, témoigne
d'une « déloyauté sanctionnable »,
constitutive d'une atteinte à la séparation des pouvoirs, pour un
autre pouvoir203(*).
C'est en ce sens que s'est prononcé le Rapport
MOLFESSIS : évoquant cette évolution jurisprudentielle, le
rapport poursuit : « la Cour de Cassation a ainsi refoulé
la fiction du caractère déclaratif des lois
interprétatives qui justifiait, jusqu'alors, qu'elles produisent des
effets dans le passé. Comment admettre, dès lors, qu'elle puisse
continuer à donner corps avec autant de constance à la fiction du
caractère déclaratif des ses propres décisions lorsque ce
sont les changements même de ses décision qui déterminent
l'état du droit applicable ? »204(*)
a.2) La prise en compte de la jurisprudence en
tant que source du droit dans le cadre de la responsabilité des
professionnels du droit : Nous nous intéressons ici
à un arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour
de Cassation le 7 mars 2006205(*) dans une affaire de manquement d'un notaire à
son devoir de conseil concernant l'état du droit positif. Plus
précisément, il était reproché au notaire de ne pas
avoir prévu un revirement de jurisprudence. En la matière, la
Cour de Cassation estime depuis longtemps que la jurisprudence fait partie du
droit positif que les professionnels du droit se doivent de
connaître206(*).
Elle a trouvé l'occasion de réaffirmer cette
position de façon particulièrement claire : « les
juges du fond auraient dû « rechercher si, eu égard aux
textes applicables, l'état du droit positif existant à
l'époque de l'intervention du notaire et de l'agent immobilier,
fixé par l'arrêt du 27 mars 1985, ne procédait pas d'une
évolution antérieure apparue dès un arrêt de la Cour
de Cassation du 27 décembre 1983 (...) , de sorte qu'il leur incombait,
soit de déconseiller l'opération litigieuse, soit, à tout
le moins, d'avertir le preneur quant à la validité d'un paiement
mis à la charge du preneur entrant ». Ici,
« la cassation ne tient donc pas à l'étendue du devoir
de conseil du notaire : il est désormais bien acquis qu'il recouvre
l'état du droit positif existant à l'époque de
l'intervention, cet état incluant les revirements de jurisprudence
passés. La censure repose sur une mauvaise datation par les juges du
fond de la solution jurisprudentielle. »207(*). le notaire se devait de
connaître non seulement les revirements de jurisprudence, mais
également les évolutions en cours ; en l'espèce, le
notaire aurait du prévoir qu'un revirement de jurisprudence allait
bientôt intervenir, celui-ci ayant été rendu
prévisible par l'intervention d'au moins un arrêt d'espèce
adoptant une solution différente. La solution est donc plus
sévère que celle adoptée dans un arrêt du 25
novembre 1997208(*).
Ce qui est intéressant ici est de voir que la Cour de
Cassation admet que la jurisprudence appartient au droit positif. Cela ne veut
pas dire que le revirement lie les justiciables pour l'avenir, violant ainsi la
prohibition des arrêts de règlement ; Les revirements
passés, donc les précédents « ne sont pas
mentionnés en tant qu'ils lient les juges mais en ce qu'ils permettent,
en retraçant le développement de la jurisprudence, de dater
celle-ci pour apprécier l'éventuel manquement du professionnel
(...) . L'arrêt transcende donc le cas, non en contemplation des
espèces à venir, ce qui lui est formellement interdit, mais au
regard rétrospectif des espèces
passées. »209(*)
Le principe est étonnant, quand on sait que la Cour de
Cassation refuse de prendre en compte les précédents s'agissant
de donner un effet rétroactif à ces solutions nouvelles. En la
matière, on sait que « l'interprétation
jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne
peut être différente selon l'époque des faits
considérés et nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis
à une jurisprudence figée »210(*). Ici, c'est encore la
première prémisse du raisonnement qui devrait être
ébranlée.
Il est vrai qu'une différence importante a pu
être invoquée sur cette question, à partir d'un
parallèle entre ces deux cas : « cette solution n'entre
pas en contradiction avec celle qui a, récemment, mis à la charge
d'un médecin une obligation d'information pour une époque
où cette obligation n'était pas encore consacrée par la
jurisprudence. Dans le cas du notaire, il s'agit seulement de savoir si
celui-ci a fait une application correcte de la loi et l'on ne peut tenir compte
que de celle qui existait au moment de son intervention. Dans le cas du
médecin, le juge est seulement invité à dire, au moment
où il se prononce, quelles obligations produit, selon la jurisprudence,
le contrat que l'on invoque devant lui. Or, la jurisprudence a une fonction
déclarative et non constitutive : ce qu'elle dit être la loi est
censé avoir toujours été dit par elle. Au demeurant,
lorsque cette solution a été affirmée pour la
première fois, il est évident que l'intervention du
médecin concerné avait été antérieure !
L'aspiration à une jurisprudence non rétroactive est, au moins
dans notre tradition juridique, un voeu irréaliste. On pourrait
résumer la différence entre le cas du notaire et celui du
médecin en observant que, pour le premier, la règle de droit
n'est que l'objet de son intervention, tandis que, pour le second, elle est le
cadre de son action. »211(*)
b. Le refus de donner un effet rétroactif à une
règle jurisprudentielle nouvelle
Nous examinerons cette solution plus en détail dans une
deuxième section ; mais nous pouvons ici nous intéresser
à un arrêt rendu par les deuxième chambre civile du 8
juillet 2004212(*) et
par l'Assemblée Plénière le 21 décembre
2006213(*) venant
confirmer cette solution.
Ces deux arrêts prennent place dans un mouvement
d'unification de la procédure en matière d'atteinte à la
présomption d'innocence. Une controverse existait depuis longtemps sur
la question du point de départ du délai de prescription de
certaines de ses infractions.
L'apport du premier arrêt « consiste à
aligner la prescription des atteintes à la présomption
d'innocence, prévues par l'art. 9-1 c. civ., et dont le délai est
porté (...) dans le giron même de la loi sur la presse à
l'art. 65-1, pour en faire un délai lui aussi d'ordre
public. »214(*)
La controverse est ainsi résumée par Christophe
BIGOT : « Dans le régime général de l'art.
65, la prescription se trouve acquise « après trois mois
révolus » à compter soit du jour de la commission de
l'infraction, soit du « jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite
s'il en a été fait ». En revanche, s'agissant de l'art. 65-1
de la loi sur la presse qui s'applique à la prescription des actions
fondées sur l'art. 9-1 c. civ., l'action doit être engagée
« après trois mois révolus à compter du jour de
l'acte de publicité ». Ces différences textuelles ont
conduit dans un premier temps à s'interroger sur le point de savoir si
on devait appliquer, sur le terrain de l'art. 65-1, les principes bien connus
des praticiens pour l'application de l'art. 65, qui conduisent à
réitérer de manière trimestrielle leur volonté de
poursuivre l'action, l'introduction de celle-ci n'ayant pas, en cette
matière, un effet interruptif de prescription pour l'ensemble du litige,
contrairement au droit commun.
Dans un premier temps, peu après l'entrée en
vigueur de la loi du 4 janv. 1993, la Cour d'appel de Paris avait
estimé, dans un arrêt du 5 juill. 1994, que le demandeur devait
faire en sorte que la prescription soit interrompue tous les trois mois en
notifiant sa volonté de poursuivre, les dispositions de l'art. 65-1 de
la loi sur la presse sanctionnant une liberté fondamentale
protégée constitutionnellement étant
d'interprétation stricte. Mais, dans un arrêt du 4 déc.
1996, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation avait
cassé cet arrêt en retenant une solution inverse et en jugeant
qu'il suffisait que l'action soit engagée dans les trois mois de l'acte
de publicité, sans que, dans la suite de la procédure, il y ait
lieu à interrompre de nouveau tous les trois mois la prescription. Les
juges du fond ont ensuite globalement statué dans le même sens.
C'est cette dernière solution que la Cour de cassation remet aujourd'hui
en cause dans son arrêt du 8 juill. 2004. »215(*)
En principe, la thèse de la déclarativité
aurait du inciter la Cour de Cassation à appliquer la règle
jurisprudentielle nouvelle à l'instance en cours : l'intervention
du juge est neutre, comme nous l'avons dit, elle ne doit viser qu'à
clarifier la loi, et n'est donc pas autonome ; elle s'incorpore à
la loi, et l'entrée en vigueur de ce régime substantiel est donc
la date d'entrée en vigueur de la loi interprétée. Le
même jour, la même chambre a d'ailleurs réaffirmé
cette solution : « les exigences de sécurité
juridique et la protection de la confiance légitime invoquées
pour contester l'application d'une solution restrictive du droit d'agir
résultant d'une évolution jurisprudentielle, ne sauraient
consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont
l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du
droit »216(*).
Pourtant, la Cour de Cassation a choisi de retarder
l'entrée en vigueur de cette règle jurisprudentielle
nouvelle : « si c'est à tort que la cour d'appel a
décidé que le demandeur n'avait pas à
réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action
engagée, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef,
dès lors que l'application immédiate de cette règle de
prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime
d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales »217(*). Ce faisant, elle a accompli un revirement pour
l'avenir.
Nous examinerons plus tard le procédé et les
raisons qu'a eu la deuxième chambre civile d'adopter ce système,
mais ce qui doit être mis en évidence ici, c'est le fait que la
deuxième chambre civile a dû admettre l'existence d'une
règle jurisprudentielle s'intégrant au droit positif de
façon autonome, et non pas comme la clarification d'une loi obscure.
Elle parle à ce sujet d'une « règle de
prescription », même si elle n'en précise pas le
fondement exact. C'est cette insertion dans le droit positif qui a permis d'en
retarder l'application, au lieu de la faire rétroagir à la date
d'entrée en vigueur de la loi comme l'aurait fait une simple
interprétation de ce qui est obscur.
Le mécanisme a été repris par
l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 21
décembre 2006 dans une autre affaire, mais avec un enjeu absolument
identique: il s'agissait en l'espèce de la même controverse, et
l'Assemblée Plénière aurait pu réaffirmer la
solution ancienne, désavouant l'initiative de la deuxième chambre
civile. Il n'en fut rien : « si c'est à tort que la cour
d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle
constatait que Mme X... n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription
dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties
condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce
chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle
de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime
d'un procès équitable, au sens de l'article 6§1 de la
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge ». On
remarque d'ailleurs que la formulation est presque la même, et que la
seule différence de formulation ne vise qu'à préciser le
champ d'application de la solution nouvelle.
Toutefois, ce mécanisme, dans l'état actuel de
la jurisprudence de la Cour de Cassation, est destiné à ne rester
qu'un mécanisme d'exception permettant de ne pas priver le justiciable
du droit d'accès au juge, et ce sur le fondement de l'article 6-1 de la
Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme. Non seulement
le mécanisme n'a pas été repris par les autres chambres,
mais la solution classique a été réaffirmée par la
Chambre Sociale - certes, avant l'arrêt de l'Assemblée
Plénière.
2) L'affirmation d'une conception normative de la
jurisprudence nationale par la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
Là encore, nous aborderons la question de
manière plus précise dans la deuxième section. Mais il
faut ici mettre en évidence le fait que, comme l'explique Patrick
MORVAN, « la Cour Européenne des Droits de l'Homme a, la
première, admis la jurisprudence nationale au rang des sources du droit
positif. La présence en son sein de juristes de common law l'y
incitait fortement »218(*). Cela ne passe pas, toutefois, par une assimilation
pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme
législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc
de légalité (lato sensu) »219(*), mais comme un accessoire
obligatoire pour des raisons logiques.
Selon quel schéma la jurisprudence de la Cour
Européenne des Droits de l'Homme a-t-elle intégré la
norme jurisprudentielle dans la droit positif ? Il s'agit d'une
conséquence du principe de légalité220(*), mais aussi d'une
affirmation logique221(*) : le droit ne peut pas être parfait, il a
besoin d'être précisé même après
l'entrée en vigueur de la norme.
Le principe de légalité implique notamment la
qualité et la prévisibilité de la loi :
« Comme la Cour l'a dit dans son arrêt Kokkinakis c.
Grèce du 25 mai 1993 (série A n° 260-A, p. 22, par. 52),
l'article 7 (art. 7) ne se borne donc pas à prohiber l'application
rétroactive du droit pénal au désavantage de
l'accuséì: il consacre aussi, de manieÌre plus
générale, le principe de la légalité des
délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et
celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manieÌre
extensive au désavantage de l'accuseì, notamment par analogie.
Il en résulte qu'une infraction doit être clairement
définie par la loi. »222(*)
Or, la cour estime par ailleurs que le droit ne peut
être parfait. Dans l'affaire CANTONI, la Cour avait ainsi pu expliquer,
à propos de la définition des médicaments, que
« La Cour a déjàÌ constateì qu'en raison
même du principe de généralité ì des lois, le
libelléì de celles-ci ne peut présenter une
précision absolue. L'une des techniques types de réglementation
consiste aÌ recourir aÌ des catégories
générales plutôt qu'aÌ des listes exhaustives.
Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des choses de formules
plus ou moins floues, afin d'éviter une rigiditéì
excessive et de pouvoir s'adapter aux changements de
situation. »223(*)
La jurisprudence peut alors être appelée
à jouer un rôle d'interprétation de la loi ; ce
faisant, l'interprétation sera intégrée au droit positif
comme ayant précisé, voire ajouté à la norme
législative. Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni, la Cour
concluait : « La Cour a donc indiqué que la notion de
"droit" ("law") utilisée à l'article 7 (art. 7) correspond
à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention,
notion qui englobe le droit écrit et non écrit et implique des
conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de
Prévisibilité. »224(*) Dans son paragraphe 34, elle précisait encore
que « aussi clair que le libellé d'une disposition
légale puisse être, dans quelque système juridique que ce
soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un
élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours
élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation.
D'ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique du
Royaume-Uni comme des autres Etats parties àÌ la Convention que
la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement
àÌ l'évolution progressive du droit pénal. On ne
saurait interpréter l'article 7 (art. 7) de la Convention comme
proscrivant la clarification graduelle des règles de la
responsabilitéì pénale par l'interprétation
judiciaire d'une affaire àÌ l'autre, aÌ condition que le
résultat soit cohérent avec la substance de 'infraction et
raisonnablement prévisible. »225(*)
Comme nous le verrons, la Cour a rappelé dans
plusieurs affaires226(*)
que l'appréciation de la qualité de la loi dépend des
destinataires et des matières. Par conséquent, « La
prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la
personne concernée soit amenée à recourir à des
conseils éclairés pour évaluer, à un degré
raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant
résulter d'un acte déterminé. »227(*)
La norme jurisprudentielle doit donc répondre aux
mêmes conditions de qualité que le droit écrit, tel que
précisé par les affaires Sunday Times228(*) et MALONE229(*). C'est
précisément l'intérêt de cette norme -
préciser le droit écrit - , et ce principe n'est pas nouveau. Il
résulte notamment des affaires KRUSLIN 230(*) et GEOUFFRE De La
PRADELLE231(*). Comme
l'explique Patrick MORVAN, « Les écoutes
téléphoniques ordonnées par un juge d'instruction
constituaient une pratique admise depuis 1980 par la Cour de Cassation sur le
fragile fondement de l'article 81 du Code de procédure pénal.
Leur validité était en réalité subordonnée
à une série de conditions jurisprudentielles
déduites des « principes généraux du
droit ». Sûre de son fait, la chambre criminelle concluait que
« ces dispositions répondent aux exigences résultant de
l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits d
l'Homme et des libertés fondamentales » consacrant le droit au
respect de la vie privée. Mais la Cour de Strasbourg ruina cette belle
certitude en déclarant que les écoutes
téléphoniques constituaient une violation de ce même texte.
Certes, concéda-t-elle, « l'ingérence litigieuse avait
une base légale en droit Français » puisqu'il
convient d'entendre « le terme « loi » dans son
acception matérielle et non formelle » ; à ce
titre, « on ne saurait faire abstraction d'une jurisprudence
établie ». Mais cette base légale ne
revêtait pas la « qualité » requise pour
fonder valablement une restriction à un droit fondamental.
Précisément, estime la Cour, « le droit
Français, écrit et non écrit, n'indique pas
avec assez de clarté l'étendue et les modalités
du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine
considéré. »232(*)
C'est sur un raisonnement similaire que la France fut
condamnée dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE :
« l'extrême complexité du droit positif, telle qu'elle
résulte de la combinaison de la législation (...) avec la
jurisprudence était propre à créer un état
d'insécurité juridique » privant le requérant
« d'une possibilité claire, concrète et
effective » d'accéder à un tribunal.
Or, c'est sur ce terrain que la France fut condamnée
à deux reprises dans les affaires F.E. c. France233(*) et PESSINO c.
France234(*),
après que le principe eut été précisé
explicitement dans les affaires C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, et
CANTONI c. France, pour avoir appliqué à des justiciables des
revirements de jurisprudence imprévisibles de façon
rétroactive. Dans ces affaires, comme nous le verrons,
l'intégration de la jurisprudence dans les sources du droit positif
n'est pas le seul élément en cause. Il y a aussi un
élément de qualité. Mais la première étape
du raisonnement est de reconnaître à la jurisprudence le
caractère de source de droit, même en étant qu'une source
subsidiaire ou accessoire.
On peut encore préciser que la Cour de Strasbourg ne
donne pas de fondement de la jurisprudence. Elle même estime que sa
propre jurisprudence est fondée sur l'idée
d'interprétation235(*). Il s'agit probablement d'une façon de
respecter le principe de subsidiarité en laissant chaque état
libre du fondement de sa jurisprudence. Mais ce faisant, elle oblige toutefois
les Etats à inclure la jurisprudence dans les sources du droit, quel que
soit le fondement, ce qui a des conséquences sur la
rétroactivité des revirements de jurisprudence.
Dans la mesure où cette discussion prend pour
départ le caractère normatif ou non de la règle
jurisprudentielle, cette discussion est probablement vouée à
l'échec. Comme le disait M. ESMEIN, le débat sur la question de
savoir si la jurisprudence est source de droit ou pas « est sans
issue car il faut répondre non ou oui suivant qu'on se place dans le
champ des idées pures ou qu'on considère la réalité
des faits »236(*). C'est en somme ce qu'a pu écrire Denys de
BECHILLON237(*), pour
qui les tenants de la déclarativité ont le défaut de se
concentrer sur le droit applicable, donc ce qui devrait être, et à
négliger l'expérience, donc ce qui est, tandis que ceux que l'on
appelle aujourd'hui les « réalistes », par
référence aux théories réalistes de
l'interprétation, ont le défaut de ne penser qu'à ce qui
est en oubliant ce qui devrait être. Pourtant, comme l'explique l'auteur,
les deux courants sont plus complémentaires qu'opposés, chacun
des deux se concentrant sur un angle d'étude et un aspect essentiel du
travail du juge.
Mais les deux courants paraissent irréconciliable, et
il paraît aujourd'hui bien difficile d'établir un droit
transitoire pour la jurisprudence sur ces seuls débats logiques, du
moins si l'on estime que ce débat doit être tranché avant
de déterminer les solutions de ce droit transitoire, afin de pouvoir
construire à partir de postulats fermes et universellement
acceptés. Mais le débat sur la rétroactivité de la
jurisprudence a évolué depuis quelques années ; la
question de la nature de la jurisprudence est, dans une certaine mesure,
placée au second plan, et une nouvelle préoccupation a permis au
débat de prendre de l'ampleur : l'observation des effets de la
jurisprudence. Dans une certaine mesure, c'est aujourd'hui essentiellement
à partir des effets de la jurisprudence que les tenants du
caractère normatif de la règle jurisprudentiel raisonnent, et
cela a contribué à élargir le fossé entre leurs
contradicteurs et eux.
Section II / Critique de la rétroactivité
du revirement de jurisprudence d'après ses effets.
C'est ici la deuxième partie de la critique sur la
rétroactivité du revirement de jurisprudence. Si la règle
jurisprudentielle a fait l'objet de critiques du point de vue logique - partant
de l'idée que, si la jurisprudence est source de droit, alors elle doit
être accompagnée d'un droit transitoire adapté comme toute
règle de droit émanant de la volonté d'une autorité
-, elle a également fait l'objet de critiques du point de vue des effets
de revirements de jurisprudence rétroactifs. Ces critiques sont de deux
ordres : elles tiennent à l'effet de cette
rétroactivité du point de vue de la sécurité
juridique, d'une part, et d'autre part, à l'idée d'un
dévoiement de la règle de droit (I) .
Ces critiques n'ont pas été sans influence sur
la jurisprudence. Le critère des effets dévastateurs de la
rétroactivité de la jurisprudence a inspiré tant les juges
du Quai de l'Horloge que les juges de Strasbourg, même si leur doctrine a
su se détacher des opinions qui les ont inspiré (II) .
§ I / Le critère des effets : un
fondement de la critique scientifique.
Une partie de la doctrine a pu attribuer deux défauts
au revirement rétroactif : le changement brutal de norme, sans
limitation de l'effet de la norme nouvelle dans le temps est attentatoire
à la sécurité juridique (A) ; le refus de limiter
l'effet dans le temps de la règle jurisprudentielle nouvelle, à
l'instar de la norme écrite, est une façon de dévoyer la
règle de droit (B) . Bien qu'il n'y ait pas unanimité sur les
solutions à y apporter, l'existence de ces effets, dans leur ensemble,
est souvent admise.
A. Conséquences de la rétroactivité de
la norme jurisprudentielle du point de vue de la sécurité
juridique.
La valeur de l'argument de l'effet de la
rétroactivité de la norme jurisprudentielle du point de vue de la
sécurité juridique peut être apprécié de deux
façons : l'argument peut être examiné d'un point de
vue juridique (1) , et l'examen aboutira alors au rejet ; l'argument peut
être envisagé comme un argument d'équité, voire
d'opportunité (2) , et il ne sera pas sans poids.
1) La valeur de l'argument de la sécurité
juridique du point de vue du droit.
a. L'invocation d'un principe qui s'impose au juge.
Cet argument a été invoqué à
plusieurs reprises dans des pourvois devant la Cour de Cassation. L'argument
peut alors être décomposé comme suit.
Le juge peut être appelé, dans son action,
à adopter une position ferme sur une question de droit - quelle que soit
la nature de cette position : précédent, coutume,
phénomène d'autorité, ... Ce faisant, il permet aux
justiciables de savoir comment il seront jugés sur cette question de
droit. Ce faisant, le juge crée une norme -au sens premier de
signification d'un . Cette position du juge a donc une valeur normative.
Les justiciables, pour fonder raisonnablement leurs projets,
veillent à la conformité de ceux-ci avec le droit positif. Pour
connaître le droit positif, ils examineront la position du juge et
fonderont donc leurs actions sur cette position. La position du juge doit donc
garder une certaine stabilité, dans les limites du raisonnable, pour
respecter les prévisions légitimes que les justiciables ont pu
fonder sur cette jurisprudence.
La sécurité juridique est un principe
supérieur de notre droit. Un tel principe s'impose au juge. Le juge, par
son comportement, ne peut pas porter atteinte à un principe
supérieur de notre droit - sauf le cas de la conciliation entre
impératifs supérieurs, comme c'est parfois le cas en
matière de libertés publiques, par exemple, mais ce n'est pas le
cas ici. Donc, il ne peut pas porter atteinte au principe de
sécurité juridique. En tant que droit fondamental, le principe
pourrait même faire échec à d'autres grands principes du
droit.
En faisant évoluer sa position, le juge ne porte pas
atteinte à la sécurité juridique. Un droit qui
n'évolue pas, c'est un droit qui finit inévitablement par
mourir.
Mais en faisant évoluer sa position
rétroactivement, le juge porte atteinte à la nécessaire
stabilité de sa norme, et donc également aux prévisions
légitimes des justiciables ; il empêche les justiciables de
se fonder sur une position ferme de sa part. Le juge, en adoptant une norme
rétroactive, adopte donc un comportement qui porte atteinte à cet
impératif de sécurité juridique qui s'impose à
lui.
Le raisonnement est séduisant, d'autant plus que les
juges Allemands, suivis par les juges Européens, ont adopté un
raisonnement analogue pour fonder un principe de
non-rétroactivité de la règle jurisprudentielle dans des
cas exceptionnels238(*).
Mais ce raisonnement, pour séduisant qu'il soit, n'en
est pas moins erroné du point de vue du juriste de droit privé
Français.
b. L'absence de valeur juridique du principe de
sécurité juridique en droit Français
Sur cette question, on peut tout d'abord évoquer la
tentative de définition que fait Sylvia CALMES de la notion de
sécurité juridique : « pour appréhender son
contenu exact, l'approche qui paraît la plus adaptée à sa
nature est une approche dynamique, de type temporel, qui peut, me semble-t-il,
se décliner en trois propositions.
D'abord, dans l'optique de
« prévoir », la sécurité juridique se
décrit comme la « prévisibilité » - ou
encore « calculabilité » - des mesures ou
comportements à venir de la puissance publique, ceux-ci ne pouvant pas
être susceptibles de survenir de façon totalement inattendue.
Cette idée renvoie notamment au principe de légalité, aux
changements annoncés par la jurisprudence, à la
non-rétroactivité, aux mesures de transition, ou encore au
principe de protection de la confiance légitime, reconnu en droits
Allemand et en droit communautaire : le droit doit avoir une dimension
prospective permettant aux personnes, avec un degré suffisant de
certitude, de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes
et de leurs actions.
Ensuite, dans l'optique de « savoir » -
afin de « prévoir » - , la sécurité
juridique présuppose une autre valeur absolue,
l' « accessibilité » - ou
« saisissabilité »,
« lisibilité » - qualitative qui, par son double
sens formel et matériel, englobe la
« palpabilité » et la
« mesurabilité » des dispositions prise et des
comportements adoptés. Il s'agit donc, d'une part, sur un plan formel,
de leur publicité effective, adéquate et suffisante
(« palpabilité » donc accès au droit - et aux
droits-) . Il s'agit, d'autre part, sur un plan matériel, de leur
motivation, de leur cohérence, de leur clarté et de leur
précision (« mesurabilité ») .
Enfin, par un phénomène de boucle, à
nouveau dans l'optique de « prévoir », la
sécurité juridique exige la
« stabilité » - ou continuité, constance,
permanence, régularité - des situations en vigueur. Une fois
émis, les mesures ou comportements peuvent certes être
modifiés ou supprimés - cette exigence étant donc relative
- , mais seulement selon certaines formes et sous certaines conditions
strictement délimitées. Cette idée renvoie notamment aux
forces de chose jugée et décidée, aux règles en
matière de prescription, de forclusion, d'usucapion, aux validations
législatives, au respect des droits acquis, ou à la protection de
la confiance légitime là encore. Ces changements, quand ils sont
autorisés par ces mécanismes stabilisateurs, doivent en outre
être prévisibles, en vertu de la première proposition
déjà présentée. »239(*)
On peut rappeler ensuite que les tentatives pour introduire un
principe autonome de sécurité juridique - un principe
supérieur qui s'imposerait même au juge, bien sûr - ,
similaire à celui existant en droit Allemand240(*) ne sont pas nouvelles en
droit Français. L'idée a séduit de nombreux juristes
Français, et plus particulièrement depuis les années 1980.
Mais quel en est le résultat concret241(*) ?
En Droit Public, le résultat est mitigé. Le
Conseil Constitutionnel en a certes fait un « principe
constitutionnel clandestin mais efficient », pour reprendre
l'expression de Bertrand MATHIEU242(*). A ce titre, il inspire l'action du juge
constitutionnel - « le juge a, de fait, reconnu valeur
constitutionnelle aux exigences qui en constituent la
substance »243(*) - sans pour autant avoir reçu de
consécration explicite244(*). Les usages de ce principe implicite sont
variés : Le juge constitutionnel l'utilise ainsi pour veiller
à la qualité de la loi, notamment à son
accessibilité et à son intelligibilité, mais aussi sa
normativité245(*), bref, à sa qualité ; aux
« garanties légales devant entourer des exigences de valeur
constitutionnelles », par exemple dans les domaines de la
propriété ou de la liberté contractuelle ; ou encore
dans le contrôle des lois de validation.
Le Conseil d'Etat, quant à lui, s'en est longtemps
tenu à une attitude similaire, faisant de la sécurité
juridique l'une de ses préoccupations sans jamais l'admettre246(*), sauf dans les
matières régies par le droit communautaire, où un principe
de confiance légitime a été expressément reconnu
par le juge communautaire. Et si, en 2006, la haute-juridiction a reconnu un
principe général de sécurité juridique par
l'arrêt K.P.M.G.247(*), elle ne semble vouloir en faire usage qu'avec
parcimonie et ne l'a pas appliqué à sa propre action.
En droit privé, la question a été
traitée sur un mode analogue : la Cour de cassation en tient
compte, mais, en quelques sortes, n'en introduit que des principes
dérivés sans en faire un principe autonome. La Cour de cassation
a ainsi introduit plusieurs principes qui en sont des manifestations pour des
sujets particuliers, mais n'a jamais reconnu à un principe de
sécurité juridique une valeur générale comme l'a
fait le Conseil d'Etat - bien que certains arrêts dans des domaines
particuliers aient pu utiliser l'expression pour en désigner des
applications particulières.
« le principe de sécurité juridique
trouve de multiples expressions dans des principes plus spécifiques tels
que l'obligation pour le juge de statuer en fonction du droit applicable au
jour de la demande, la non-rétroactivité des normes juridiques,
l'effet obligatoire des conventions entre les parties, l'interprétation
restrictive des textes d'incrimination, l'existence de délais de recours
et de prescription, le principe de la confiance légitime. Un tel constat
explique pourquoi le principe de la sécurité juridique
« à l'état pur » se rencontre rarement
exprimé dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La concision
de la Cour de cassation, qui n'explique pas pourquoi elle choisit
d'établir telle norme de droit plutôt qu'une autre est sans doute
aussi à l'origine de cet état de fait »248(*).
En particulier, elle n'a jamais admis qu'un principe de
sécurité juridique puisse s'imposer à la jurisprudence,
même si, là encore, elle en fait l'une de ses
préoccupations, ce qui explique le développement des moyens
permettant de lutter contre l'imprévisibilité du revirement -
obiter dicta, maîtrise de la publication des arrêts, annonce des
revirements au rapport annuel, ... ou en reconnaissant au législateur la
possibilité de valider des actes menacés par une jurisprudence
nouvelle pour d'impérieux motifs d'intérêt
général249(*).
Bref, loin d'être devenu, comme certains auteurs le
prédisent pour un avenir proche, un principe autonome de notre droit, la
sécurité juridique n'est, pour la Cour de Cassation, qu'une
préoccupation qu'elle ne paraît pour le moment, pas prête
à reconnaître ; une préoccupation, mais pas un
objectif officiel ou un principe autonome. A fortiori, il ne s'agit pas d'un
principe supérieur qui s'imposerait au juge - pas encore, du moins.
Revenons-en maintenant au problème précis de la
rétroactivité des revirements de jurisprudence. Comme nous
l'avons dit, de nombreux pourvois invoquaient l'argument de la
sécurité juridique pour contester la validité de
l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence : la
Cour de cassation ayant exprimé une position sur une question de droit,
des justiciables se sont fondés sur cette position pour leurs
prévisions. Le principe de sécurité juridique leur
donnerait le droit de se voir appliquer cette position sur laquelle leurs
actions sont fondées.
Or, lorsque la Cour de cassation change sa position, elle le
fait pour l'avenir, mais aussi pour le passé, ce qui remet en cause les
prévisions faites sur sa jurisprudence antérieure. Elle
évince donc la norme qu'elle appliquait au jour de l'action des
requérants, au profit d'une norme apparue postérieurement, sur le
fondement de laquelle ils ne pouvaient pas fonder leur action, puisque, par
hypothèse, ils ne la connaissaient pas encore. Ce faisant, la Cour de
Cassation adopte un comportement contraire à la sécurité
juridique.
Ce raisonnement a notamment été
invoqué250(*)
devant la première chambre civile (arrêt rendu le 21 mars 2000),
devant la deuxième chambre civile (arrêt rendu le 8 juillet
2004251(*)), devant la
troisième chambre civile (arrêt rendu le 2 octobre 2002252(*)) , et devant la chambre
sociale (arrêts rendus le 7 janvier 2003253(*), le 25 février 2004,
et le 23 février 2005254(*)) . Dans tous les cas, la réponse de la Cour
de Cassation fut la même : le principe de sécurité
juridique ne pouvait fonder un « droit acquis à une
jurisprudence figée », « immuable » ,
ou « constante », même quand il est invoqué
sur le fondement de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits
de l'Homme et des libertés fondamentales255(*). N'ayant aucune valeur, ce
principe ne pouvait pas aller contre deux autres principes qui, par ailleurs,
étaient reconnus en droit français, à savoir le principe
de la déclarativité de la jurisprudence, et la nécessaire
évolutivité de la jurisprudence, « l'évolution
de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du
droit ».
Parmi ces arrêts, celui rendu par la deuxième
chambre civile est particulièrement intéressant. En effet, la
deuxième chambre civile, le même jour, a accepté de limiter
l'effet dans le temps d'une jurisprudence nouvelle en ne l'appliquant pas
à des faits qui remontaient à avant le revirement256(*). Or, si elle a refusé
l'argument de la sécurité juridique, elle a accepté, sur
le fondement du droit à l'accès au juge, reconnu par l'article
6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des
libertés fondamentales. Refusé sur le fondement de la
sécurité juridique pour des faits analogues - un revirement de
jurisprudence sur une question de prescription empêche le
requérant de défendre sa cause devant un juge - , la limitation
de l'effet de l'arrêt de revirement « changeant la règle
du jeu en cours de partie » est acceptée au nom d'un principe
radicalement différent257(*). Ce qui confirme que la Cour de cassation refuse de
prendre en compte l'argument de la sécurité juridique à
propos de la rétroactivité du changement de jurisprudence, alors
qu'au moins l'une de ses chambres admet un autre fondement.
2) La sécurité juridique invoquée du
point de vue de l'opportunité ou de l'équité.
Il convient tout d'abord de rappeler que, pour les auteurs
comme pour le rapport MOLFESSIS, le revirement de jurisprudence n'est pas en
soi un phénomène négatif. En abordant la question des
« conséquences néfastes attachées à la
rétroactivité des revirements de jurisprudence » , le
dit-rapport rappelle cette profession de foi : « Evoquer les
conséquences néfastes de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence ne signifie pas qu'il faille condamner les
revirements eux-mêmes. Le groupe de travail a entendu souligner la
nécessité qu'il y a de distinguer les revirements et leurs
effets.
Les revirements de jurisprudence sont la manifestation de la
vie du droit, le signe de son adaptation aux faits. Un droit sans revirement de
jurisprudence - à supposer l'hypothèse envisageable, ce qui n'est
pas - serait au fond un droit entièrement sclérosé. Comme
l'a affirmé Yves CHARTIER : « les revirements font partie
de la Cour de cassation, comme d'ailleurs des autres juridictions. Une
jurisprudence qui ne se modifie pas est une jurisprudence qui se
dessèche. Que serait devenu le droit de la responsabilité si la
Cour de cassation n'avait pas pu adapter aux circonstances les vieux textes du
Code civil ? »258(*)
Il n'est pas envisageable de réserver au
législateur la tâche d'assurer l'évolution et l'adaptation
du droit aux réalités sociales. PORTALIS l'avait souligné.
Maints avantages sont attachés à ce que la jurisprudence change
et évolue. Le revirement de jurisprudence est donc avant tout la
manifestation heureuse d'une certaine plasticité -nécessaire - de
notre droit »259(*)
Il conclut, délimitant le champ à la fois de ses
recherches et de la critique : « Ce sont donc les effets
négatifs induits par les revirements qui doivent retenir l'attention.
Précisément en raison de l'insécurité juridique
qu'ils peuvent entraîner. »260(*)
Le Premier Président Guy CANIVET, qui avait
commandé ce rapport, n'affirmait pas autre-chose lorsqu'il rappelait
que, si « les revirements de jurisprudence engendrent un
déséquilibre pour la partie qui succombe en vertu d'une
jurisprudence nouvelle qu'elle ne pouvait pas connaître au moment des
faits et un déséquilibre de masse pour toutes les situations
affectées par la nouvelle règle jurisprudentielle », il
ne faut pas pour autant oublier que « le revirement de jurisprudence
a (...) pour effet positif de donner une interprétation de la loi mieux
adaptée au contexte économique et social mais, dans quelques
rares situations, il peut aussi être facteur de désorganisation et
de coût »261(*).
La sécurité juridique a été
invoquée par de nombreux requérants comme un argument de droit
susceptible de s'imposer même au juge. Dans cette optiques, l'argument a
toujours été rejeté par la Cour de Cassation, qu'il ait
été invoqué contre la rétroactivité de la
jurisprudence ou pour d'autres sujets.
Mais en doctrine, la sécurité juridique n'a
été que peu invoquée du point de vue du droit. C'est dans
des arguments d'opportunité et d'équité que la critique a
trouvé toute sa force. Deux arguments ont été
envisagés de ce point de vue : le revirement de jurisprudence
rétroactif a un impact destructeur sur les situations individuelles
(a) ; il a par ailleurs un impact économique non-négligeable
(b) .
a. L'impact du revirement de jurisprudence rétroactif
sur les situations individuelles et collectives.
a.1) le revirement « à la
Française » et ses conséquences :
L'argument de la sécurité juridique, dans cette optique
individuelle, présente de nombreuses similitudes par rapport à
l'argument de la sécurité juridique dans l'optique du droit.
Les principes selon lesquels l'intervention de la Cour de
cassation est neutre et se fait sans prendre ses précédents en
compte reposent, au moins en partie, sur une fiction. En réalité,
la Cour de cassation, en se prononçant sur une question de droit, adopte
une position qui a vocation à être ferme, et à s'appliquer
au-delà du litige pour lequel ou à l'occasion duquel elle a
été adoptée ; lors des pourvois qui lui sont
présentés, elle cassera les arrêts et rejettera les
pourvois en fonction de cette position.
Les justiciables se fondent donc sur cette position, sorte
d'avis émanant des « experts » chargés de
mettre en oeuvre la loi, pour s'assurer de la validité de leur action en
droit. Les règles jurisprudentielles sont donc à l'origine de
prévisions légitimes. Cette question des prévisions
légitimes fondées sur la jurisprudence fournira donc un
critère de qualité de l'action des pouvoirs publics.
Ces prévisions légitimes devant se faire dans un
environnement sécurisé, il est nécessaire d'accorder aux
justiciables le bénéfice de la jurisprudence sur laquelle ils se
sont fondés au moment de leur prévisions262(*).
Or, les revirements de jurisprudence, s'opérant
rétroactivement, ont pour effet d'imposer une position nouvelle - ou
« règle » nouvelle, ou « norme »
nouvelle, ... - pour l'avenir comme pour le passé. Cette application
rétroactive, systématique et non volontaire263(*), a plusieurs effets.
En premier lieu, les justiciables ont fondé leurs
actions sur la règle ancienne. Dans la mesure où ce n'est pas
cette règle qui leur sera appliquée, mais la règle
nouvelle, la rétroactivité conduit à juger les
justiciables d'après une autre règle que celle sur laquelle ils
ont fondé leurs actions. Ainsi, « le revirement menace des
actes que leurs auteurs, sur la foi de la jurisprudence, avaient cru
réguliers au moment où ils les ont conclu »264(*) ; les revirements sont
donc dangereux en ce qu' « ils modifient dans le passé des
millions de situations, alors même que leurs auteurs avaient
fidèlement respecté les solutions ou prescriptions alors en
vigueur », l'auteur concluant donc à
« l'insoutenable rétroactivité » des
revirements de jurisprudence »265(*).
Leurs actions, si elles n'étaient donc pas illicites au
départ, le deviennent au moment où le juge statue. « Le
revirement démasque l'artifice de la présomption de
vérité attachée à la chose jugée :
vérité hier, erreur aujourd'hui. »266(*).
En deuxième lieu, les justiciables ne peuvent fonder
leur action sur la règle nouvelle, puisqu'elle n'est par
hypothèse adoptée qu'après que ceux-ci aient fait leurs
prévisions. Bref, la norme n'est pas sécurisante.
« Ceux qui ont cru que la solution antérieure était du
droit sont démentis ; s'ils ont contracté, ils sont
floués ; s'ils l'ont intégrée dans leur
prévisions, ils perdent tout bénéfice et récoltent
des pertes. La croyance commune, synonyme de stabilité, est
bafouée. »267(*)
Donc, « le revirement engendre une
imprévision dans l'interprétation de la
loi. »268(*).
Denys de BECHILLON va encore plus loin, écrivant à propos de
l'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 octobre
2001269(*), que cette
jurisprudence « aboutit à placer les acteurs juridiques dans
une situation d'insécurité insupportable. Que dire d'autre, en
effet, d'un système juridique qui se donne à voir comme
dépourvu de toute prévisibilité puisque, selon toute
évidence, ses sujets peuvent y être punis, sans préavis,
pour des actes ou des abstentions qui ne sont pas illicites au moment où
ils sont commis. Et ce plus encore lorsque lesdits sujets n'ont rigoureusement
aucun moyen de savoir ou même de penser qu'ils pourraient ou auraient pu,
ce faisant, commettre une faute. Qu'on le veuille ou pas, cet engagement de
responsabilité là ressemble à celui qu'impose la main d'un
dieu terrible, seul connaisseur de ses propres desseins, frappant où bon
lui semble des hommes stupéfiés. Pas vraiment à du
droit »270(*).
Par ailleurs, cette rétroactivité est
associée à ce qui est considéré, nous l'avons dit,
comme un dogme : celui de la neutralité du juge, aboutissant
à la déclarativité de la norme jurisprudentielle. Or,
« pour le justiciable, (...) , il importe peu de savoir si la
règle nouvelle qu'on lui impose rétroactivement résulte de
l'adoption d'une loi nouvelle ou d'un changement dans l'interprétation
jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux hypothèses, le
litige est en effet tranché par application d'une règle de droit,
pure ou interprétée, dont le justiciable n'avait pas eu
connaissance au moment des faits et dont il n'a donc pas pu, par
hypothèse, tenir compte dans ses prévisions. La Cour de cassation
ne peut donc, à son égard, se retrancher derrière une
lecture aussi formelle de l'office du juge ; au regard du justiciable,
créancier de sécurité juridique envers l'Etat, le
revirement de jurisprudence porte effectivement atteinte à la
sécurité juridique »271(*).
Tout cela a conduit les auteurs du rapport MOLFESSIS à
affirmer que « le revirement de jurisprudence peut avoir pour effet,
en premier lieu, d'imposer aux justiciables l'application d'une règle
qu'ils ignoraient et dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment
où ils ont agi »272(*). Plus loin, encore : « on pourrait
aisément gloser sur cette imprévisibilité. Elle signe
l'incompréhension du droit et dès lors porte en elle son
rejet : comment expliquer à un médecin qu'il a commis une
faute engageant sa responsabilité à l'égard d'un patient
sans manquement à une règle obligatoire à l'époque
où il a prodigué les soins à l'origine du litige ?
Comment justifier, sans faire appel à des notions que seuls les juristes
manient - sans pour autant y adhérer - , une solution qui défie
le bon sens pour s'acquitter de l'effet déclaratif de la
jurisprudence ? La rétroactivité comporte ainsi le risque de
contredire les prévisions et anticipations des acteurs, alors que c'est
le droit lui-même qui les avait rendues parfaitement
légitimes »273(*).
Mais l'impact sur les situations individuelles, dans la mesure
où la norme nouvelle sera appliquée pour toutes les situations
similaires qui seront présentées à la Cour de cassation,
s'accompagne logiquement d'un impact sur le plan collectif. En effet, le
revirement de jurisprudence ne concerne jamais qu'une cause, mais
potentiellement toutes les causes similaires. Dans tous les procès de
même type achevés après le revirement, c'est donc une
règle nouvelle qui ne pouvait pas être envisagée à
l'époque du litige qui sera appliquée
rétroactivement à toute une catégorie de justiciables
ou de situations ; le revirement , s'il n'est envisagé que du point de
vue individuel par les juges qui y procèdent, dans le seul cadre de
l'affaire pour laquelle ils se prononcent, a pourtant un impact collectif.
De ce point de vue collectif, la rétroactivité
du revirement est donc également susceptible d'avoir un impact
économique considérable, et ceci pour deux raisons : comme
nous l'avons dit, le revirement a un impact, quantifiable, en ce qu'il menace
un certain nombre de situations274(*), mais aussi un impact psychologique en ce qu'il
crée une incertitude.
Sur le point, Christian MOULY prenait plusieurs
exemples : « Lorsque le 9 février 1988, la Cour de
cassation a subitement déclaré que l'article 1907 du Code civil
s'appliquait au régime de l'intérêt débiteur des
comptes courants, alors qu'elle admettait le contraire depuis un siècle
et demi, le Ministère des finances a évalué à
cinquante milliards de francs le coût de la rétroactivité
de cette décision. C'est la somme qu'aurait dû rembourser les
banques à leurs clients pour avoir pour avoir prélevé des
intérêts sans en avoir indiqué le taux au préalable,
si tous les clients en avaient demandé la répétition.
Lorsque le 15 octobre 1991, la même Cour de cassation a affirmé
que les déclarations de créance devaient être signés
par un mandataire spécialement autorisé, des milliers de
créances déclarées par un directeur du contentieux ou un
directeur d'agence des banques on été remises en question sans
qu'il soit possible de les régulariser en raison de l'expiration des
délais. Lorsque le même jour, la Cour de cassation
décidait, contrairement à la pratique antérieure, que les
sociétés de crédit-bail devaient revendiquer les biens
auprès du mandataire liquidateur ou de l'administrateur, des milliards
de francs furent perdus, là encore sans possibilité de
régularisation »275(*).
« On aura compris que la rétroactivité
des revirements de jurisprudence peut placer les acteurs juridiques dans une
situation d'insécurité insupportable. Notamment en ceci qu'elle
déjoue toute prévisibilité : les sujets de droit
peuvent être sanctionnés, sans préavis, pour des actes ou
des abstentions qui n'étaient pas illicites au moment où ils ont
été commis. Par suite, les revirements peuvent remettre en cause
par série des actes ou des agissements dont l'adoption volontaire
reposait sur un calcul économique et supposait une organisation
logiquement mise en place en considération de la solution
antérieure. Le revirement condamne dès lors le schéma
instauré sur la foi de la solution abandonnée. Il crée
donc un coût a posteriori, puisqu'il affecte des actes qui furent
anticipés comme n'en ayant pas »276(*).
Le rapport rappelle également qu'un tel impact
économique n'affecte pas seulement les parties au(x) procès, mais
également les tiers qui en subissent indirectement les
répercussions : « on aurait au demeurant tort de croire
que le risque pèse unilatéralement sur les seules entreprises et
uniquement sur les seuls secteurs juridiquement structurés et
organisés. La répercussion sur le tarif des prestations ou sur le
prix des produits, qui peut résulter de la naissance d'une charge
imprévue sur les entreprises, affecte potentiellement la situation des
consommateurs de ces produits ou services. Ce qui s'énonce
autrement : le destinataire final est souvent le premier à souffrir
des conséquences économiques et des surcoûts
engendrés par un changement de solution. Car il faut bien que les
répercussions des revirement soient assumées, souvent par
ceux-là même qui étaient censés en
profiter... »277(*)
Mais le risque est également d'ordre
psychologique : dans l'optique d'éviter des « effets
fondamentalement anti-économiques » et à propos de
l'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 octobre 2001 en
matière de responsabilité médicale, Denys de BEHILLON
explique que « peu de choses sont moins immédiatement
performantes que la généralisation d'un sentiment
d'inquiétude lié à l'impondérabilité
d'obligations juridiques aussi lourdes que celles susceptibles de peser sur les
acteurs du droit de la responsabilité. Mieux vaudrait, à ce
propos et de manière générale, ne pas perdre trop de vue
le rapport intime qui relie le dynamisme économique à la
prévisibilité juridique. Max WEBER avait noté cela il y a
longtemps : « Pour les intéressés au
marché, la rationalisation et la systématisation du droit
signifient en général (...) prévisibilité
croissante du fonctionnement de la juridiction, une des conditions les plus
importantes à l'existence d'entreprises économiques devant
fonctionner de façon permanentes, plus spécialement les
entreprises capitalistes qui ont besoin de la
« sécurité juridique du commerce »278(*).
Et il ne fait pas de doute que la leçon soit actuelle.
Même et peut-être surtout, si le fantasme prend le pas sur la
réalité, et que le sentiment d'insécurité juridique
dans les entreprises, démultiplié par la connaissance qu'elles
peuvent avoir de règles aussi inquiétantes que celles dont nous
parlons, excède le contentieux objectif, fût-ce de beaucoup. C'est
aussi de la peur qu'il faut craindre les effets.
D'autant plus qu'elle s'exploite aisément. Dans la
sphère médicale, en particulier, où l'on sait la
prégnance d'une anxiété sévère au sujet de
la prétendue « dérive à
l'américaine » dans laquelle le droit Français serait
embarqué. Postulant que tout le monde y croit en gros, et que personne,
sauf exception, ne cherche à savoir si une telle évolution
existe, voire si ce mouvement est simplement possible, la voie est d'autant
plus royale pour conclure à l'existence bien réelle d'un
environnement juridique hostile, pour de bon, au corps médical. Et c'est
encore plus vrai lorsque, comme ici, le droit positif se met à
ressembler effectivement au film d'horreur que beaucoup de médecins ont
déjà dans la tête.»279(*).
C'est également la conclusion du rapport
MOLFESSIS : « le peur de l'inconnu que produit le revirement
peut avoir des effets d'anticipation, eux aussi préjudiciables à
ceux que les revirements entendent protéger. Il n'est ainsi pas dit que
les acteurs économiques n'adoptent pas des comportements orientés
par la crainte d'un éventuel revirement. Autrement dit, qu'ils expriment
d'emblée un manque de confiance dans la règle qui leur est
applicable, celle-ci ayant en effet vocation à disparaître
rétroactivement.
Cela pourrait se traduire, par exemple, par un surcroît
de pesanteurs que s'imposeraient certains, par prévention, et
corrélativement par l'existence de contreparties destinées
à assumer les coûts d'une règle qui n'existe pourtant pas
et qui n'existera peut-être jamais. Le processus d'anticipation des
revirements met en scène le combat du rationnel contre l'irrationnel.
Il en ressort à nouveau que le débat sur les
revirements n'intéresse pas que les seules parties litige. Les
intérêts particuliers ne sont pas - il s'en faut de beaucoup - les
seuls à se trouver impliqués dans le jeu. C'est aussi en ce sens
qu'un intérêt proprement général s'attache à
ce que puisse être modulée l'application dans le temps des
créations prétoriennes »280(*).
a.2) Critiques doctrinales et officielles de
l'argument de la sécurité juridique : Fonder
cette critique de la rétroactivité de la jurisprudence sur le
critère des légitimes prévisions des parties n'a toutefois
pas été sans amener certaines critiques. Celles-ci ont surtout
été adressées aux propositions du rapport MOLFESSIS. On
peut notamment évoquer les reproches adressés par le
président SARGOS et par Vincent HEUZE.
Pierre SARGOS a ainsi pu écrire que le critère
des prévisions légitimes n'était pas adapté, dans
le domaine du contrat, à la protection de la partie plus
faible281(*) : « une telle critique
relève d'une conception que l'on croyait réservée à
d'autres temps de l'autonomie de la volonté du renard libre au milieu
des poules libres, pour reprendre une image connue.
On a quelques scrupules à rappeler que le contrat de
travail met en présence - sauf rares cas d'espèce - des parties
fondamentalement inégales, inégalités encore
aggravée en période de fort chômage. Comme l'a encore
rappelé la Cour de Justice des Communautés Européennes
dans son récent arrêt PFEIFFER du 5 octobre 2004,
« ...le travailleur doit être considéré comme la
partie faible du contrat de travail, de sorte qu'il est nécessaire
d'empêcher que l'employeur dispose de la faculté de circonvenir la
volonté du contractant ou de lui imposer une restriction de ses droits
sans que ce dernier ai manifesté explicitement son
consentement282(*).
Comment alors les auteurs du rapport peuvent-ils oser parler,
à propos d'une clause de non-concurrence sans contrepartie
financière, de « méconnaissance des prévisions
raisonnables d'une partie » ? La seule
« prévision raisonnable » que peut faire un candidat
à un emploi dont dépend sa survie économique est
celle-ci : « ou j'accepte la clause sans contrepartie
financière, ou bien je n`ai pas l'emploi » . Le salarié
est donc en réalité contraint d'accepter la clause de
non-concurrence sans contrepartie financière alors même qu'elle
porte atteinte, lorsqu'il aura quitté cet emploi, à sa
liberté fondamentale d'exercer une activité
professionnelle »283(*).
Le Professeur Vincent HEUZE284(*) va plus loin encore : il estime qu'aucune
prévision légitime ne peut être fondé sur la
règle jurisprudentielle ancienne, la règle jurisprudentielle
nouvelle étant par hypothèse meilleure et plus adaptée
qu'une règle qui a montré des limites tellement graves qu'elle a
été abandonnées285(*).
Il part de l'idée que les auteurs du rapport MOLFESSIS
« considèrent que les prévisions des parties sot
légitimes par le simple fait qu'elles sont celles-là mêmes
que permettait de nourrir la jurisprudence antérieure au revirement. Et
ils estiment que, par un raisonnement in abstracto, ils faut tenir ces
prévisions pour avérées lorsque le comportement des
parties, non seulement a effectivement été dicté, mais
encore pourrait l'avoir été par cette jurisprudence
antérieure. Ce double-parti est pourtant en contradiction flagrante avec
les termes mêmes de la question posée.
En effet, lorsqu'un revirement de jurisprudence est
envisagé, c'est, par hypothèse, que la solution
antérieurement retenue n'est pas satisfaisante. Et si elle
n'apparaît pas satisfaisante, c'est en principe (...) , parce que son
application à une espèce donnée conduit à des
résultats inopportuns, ou parce qu'elle n'est pas compatible avec
l'esprit, sinon même la lettre de la loi. Mais si telle est en effet la
cause de l'insatisfaction des magistrats, alors il y a tout lieu de penser que
les justiciables qui ont connaissance de cette solution ne peuvent qu'avoir
conscience qu'elle est, à tout le moins, discutable, et par suite
susceptible d'une remise en cause. Si bien que, s'ils peuvent certainement
nourrir l'espoir qu'elle sera maintenue, il est assurément contestable
de considérer que cet espoir mérite la qualification de
prévisions légitimes ».
Bref, « au lieu de considérer que le droit
qui se déduit de la jurisprudence est une oeuvre de la raison, [les
auteurs du rapport] le regardent comme un acte d'autorité,
derrière lequel celui des plaideurs auquel il est favorable serait
toujours autorisé à se réfugier » , alors
même que cette oeuvre est - ou devient - inadaptée ou dangereuse.
L'auteur conteste ensuite la validité des
illustrations prises par le rapport : « c'est ainsi
qu'apparaît fort contestable l'affirmation que les
« anticipations légitimes » des parties sont
méconnues chaque fois que « le revirement revient à
rendre nul tout ou partie d'un acte juridique valable sous l'empire de la
solution abandonnée ». Car si la nullité est
prononcée, c'est par hypothèse même que l'acte
apparaît socialement néfaste ou que la liberté
contractuelle a été utilisée par l'une des parties, la
plus forte ou la moins scrupuleuse, pour obtenir de l'autre un avantage
injuste. Et de cet état de fait, les contractants avaient
vraisemblablement conscience ; en tout cas, ils ne pouvaient pas
légitimement ne pas en avoir conscience. Par conséquent,
s'ils pouvaient sans doute espérer que cet état de fait
continuerait à n'être pas sanctionné, la seule chose qu'ils
étaient réellement en droit de déduire de la jurisprudence
antérieure est qu'il était jusqu'alors seulement
toléré. Cette analyse explique en particulier qu'à la
différence des auteurs du rapport, on ne voit pas en quoi la Cour de
cassation mérite le reproche d'avoir porté atteinte aux
prévisions légitimes des employeurs lorsque, rompant avec sa
tolérance antérieure, elle a décidé en 2002 qu'une
clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail ne
devait pas produire effet si l'entrave à la liberté du travail
qu'elle imposait au salarié était dépourvue de
contrepartie financière » .
Mais le Rapport MOLFESSIS prend également le
contre-pied d'autres rapports émanant de la Cour de Cassation
elle-même. Nous avons déjà évoqué en effet le
travail de justification des réponses données par la Cour de
Cassation sur le problème de la rétroactivité des
revirements, explication apportée par les Conseillers dans les rapports
annuels pour les années 2001 et 2003286(*), mais il convient de les citer à
nouveau : le rapport annuel pour l'année 2001, comme nous l'avons
dit, évoquait le problème de l'interprétation. Sur ce
point, il citait, pour montrer le consensus en la matière, les
arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés
Européenne dans l'affaire BARBER et par la Cour Européenne dans
l'affaire MARCKX.
Or, la citation issue de cet arrêt ne fait pas que
condamner la vision d'un droit transitoire fondé sur le constat d'une
jurisprudence de source de droit, mais elle condamne également
l'idée selon laquelle la sécurité juridique pourrait
imposer une limitation de l'effet des arrêts de revirement :
« Le principe de l'immutabilité de la jurisprudence
européenne n'existe donc pas dès lors qu'il existe un motif
valable de s'en écarter. On doit d'ailleurs observer que l'arrêt
Marckx c/ Belgique du 13 juin 1979, souvent cité, énonçait
déjà au § 58 qu' "on ne saurait aller jusqu'à
infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application
future en raison des répercussions qu'une décision de justice
peut entraîner pour le passé". »287(*) Bref, les juges du Quai de
l'Horloge, sur le modèle de leurs homologues de Strasbourg, ne
pourraient laisser la sécurité juridique aller contre ce qui ne
serait que le cours normal des choses.
La deuxième condamnation de l'argument de la
sécurité juridique était plus précise encore :
« dans une période de mutations
accélérées dans tous les domaines, il n'est pas
étonnant que la jurisprudence, qui n'est que le reflet de
l'évolution des pratiques sociales, économiques, politiques ou
des mentalités, connaisse elle aussi des changements. Cependant il ne
faut pas exagérer l'impact des bouleversements entraînés
par la modification de l'interprétation jurisprudentielle d'une norme
légale. Relativement rares, et fort heureusement, sont les revirements
qui ont notamment un impact économique lourd, voire difficilement
supportable pour le passé. Au surplus certaines évolutions
étaient largement prévisibles. »288(*)
b. Facteurs pouvant influer sur la gravité de la
rétroactivité du revirement.
b.1) Facteurs communs à tous les
revirements : Plusieurs facteurs pouvant influer sur
l'impact de la rétroactivité ont pu être envisagés,
dont on peut citer quelques exemples. Ainsi, la matière dans laquelle le
revirement est opéré. « cette gravité de la
règle jurisprudentielle est d'ailleurs variable ; il est certain
qu'elle est toujours regrettable par le seul fait qu'elle interdit au
justiciable de savoir à l'avance quelles conséquences juridiques
seront attachées à son comportement, mais le regret n'est pas
uniforme »289(*)
En matière contractuelle, par exemple, le revirement a
des effets particulièrement dévastateurs : dans une
matière où la volonté joue un rôle des plus
importants, l'échec des « prévisions
légitimes » a un effet particulièrement
dévastateur. A propos de l'arrêt rendu par la chambre sociale de a
Cour de Cassation le 21 décembre 2004, le Professeur Pierre-Yves GAUTIER
explique ainsi qu' « on est en matière contractuelle,
où on sait que la prévision des parties, doublant en quelque
sorte celle de citoyens, joue un rôle considérable du point de vue
de la connaissance et des garanties fournies par le cadre juridique tel qu'il
existait au moment où elles ont échangé leur
consentement »290(*)
En matière de responsabilité civile
délictuelle, par contre, l'effet sera moindre : Comme le
résume Alain HERVIEU en une formule pleine d'humour, « il est
certain que la jeune Carole METTETAL n'est pas allée s'exposer aux
brûlures résultant de l'explosion parce qu'elle savait que la
faute de la victime était normalement sans incidence sur son droit
à indemnisation !... ».
Un autre facteur, expliqué par Pierre VOIRIN291(*), pouvant influer sur la
gravité de la rétroactivité est la possibilité pour
les parties à l'acte - si acte juridique il y a - de régulariser
l'acte. Un exemple récent a ainsi marqué les esprits : celui
du revirement effectué par la chambre sociale en matière de
clause de non concurrence le 10 juillet 2002292(*) : l'impact est ici renforcé par la
jurisprudence en matière de modification du contrat de travail :
« l'employeur n'a en effet pas le droit d'imposer au salarié
la révision de la clause et l'introduction d'une juste contrepartie
financière, même pour répondre aux exigences
jurisprudentielles nouvelles293(*). Or, on sait que ce droit est absolu et qu'il ne
saurait être remis en question sous prétexte que la
révision lui serait plus favorable ou conforme à la commune
intention des parties, comme cela pourrait être le
cas »294(*).
Un revirement aura un impact plus ou moins important selon son
imprévisibilité : annoncé par des « petits
pas », il pourra éventuellement, par exemple susciter des
modifications d'un acte juridique menacé ; mais les
prévisions des parties sont déjouées « surtout
lorsque le revirement est inopiné et surprend par sa
soudaineté »295(*). Sur cette question, Christian MOULY notait en 1994
que « les décisions de la Cour de Cassation sont semblables en
la forme, qu'elles portent revirement de jurisprudence ou non. Rares sont
celles qui sont annoncées et certaines font l'effet d'une bombe :
par exemple, l'arrêt du 9 février 1988 annulant les
intérêts débiteurs prélevés sur les comptes
courants ou celui du 6 avril 1993 annulant les dates de valeur. Leurs
conséquences humaines et financières sont considérables,
et pourtant leur contenu n'a pas fait l'objet d'un débat de grande
ampleur. Parfois, au contraire, le débat est passionné mais la
surprise naît de la soudaineté du revirement, après une
longue résistance de la Cour de Cassation. L'arrêt DESMARRES en
1982 est un bon exemple.
L'imprévisibilité est aggravée par une
motivation insuffisante. Les décisions de revirement ne sont pas
davantage motivées que les autres, ce qui revient à dire qu'elles
ne le sont pas. Leur compréhension en est rendue difficile et
incertaine. »296(*)
Les auteurs divergent sur un point : si l'accord est
unanime sur le fait que la rétroactivité des arrêts de
revirement « est pire que celle des autres arrêts puisqu'elle
les conduit à sanctionner ceux-là même qui se sont
conformés au droit antérieur »297(*), tous ne sont pas d'accord
sur le fait de ne considérer que la rétroactivité des
revirements de jurisprudence ou celle de tous les arrêts de principe.
Ainsi, pour Pierre VOIRIN, « le revirement seul
corrode la présomption de vérité attachée à
la chose jugée »298(*). Comme nous le verrons, c'est d'ailleurs l'optique
choisie par le rapport MOLFESSIS. Mais tel n'était pas le cas de
Christian MOULY, qui écrit en 1994 qu'« une solution
jurisprudentielle n'intervient jamais dans un paysage juridique totalement
vide. Même si la position prise par un arrêt est la première
expression judiciaire sur une question, elle peut bouleverser un état de
droit antérieur, le plus souvent concrétisé par une
doctrine et une pratique communément admises », il en conclut
donc que « les arrêts de principe ou de règlement
doivent bien relever du même régime transitoire que les
arrêts de revirement »299(*)
b.2) Détermination des revirements de
jurisprudence dangereux : Le Rapport MOLFESSIS
prend comme point de départ pour sa démonstration l'idée
que la jurisprudence est à l'origine de normes. Mais les propositions de
modulation des effets des revirements de jurisprudence dans le temps ne sont
basées que sur la deuxième partie de sa démonstration,
celle de l'atteinte à la sécurité juridique : les
seuls revirements de jurisprudence qui peuvent poser problème sont ceux
qui portent atteinte à la sécurité juridique,
correspondant aux « hypothèses dans lesquelles la solution
nouvelle déjoue les prévisions des justiciables ; mais
« tous les revirements n'ont pas de conséquences injustes ni
ne désorganisent les secteurs économiques visés par la
décision », ce qui signifie que rares sont les revirements qui
nécessitent la mise en place d'un régime
particulier. »300(*)
L'identification de ces revirements est alors d'autant plus
nécessaire. Les problèmes constatés concernant
essentiellement le respect des prévisions des parties, c'est le
critère de l'atteinte aux prévisions légitimes des parties
au procès qui fournira le critère séparant les revirements
dangereux de ceux qui ne le sont pas. Dans la première catégorie,
on trouvera les cas où le comportement des parties n'aurait pas
dépendu de la solution nouvelle retenue à l'occasion du
revirement - c'est-à-dire la plupart des revirements. Il s'agit
notamment des revirements visant à améliorer la situation des
justiciables, mais aussi ceux qui préjudicient à l'une des
parties au litige sans pour autant méconnaître ses
prévisions. Le rapport ne donne toutefois pas de critère
permettant de détecter a priori ces revirements, mais donne plusieurs
exemples : ainsi, la décision d'autoriser la modification de
l'état civil des transsexuels ne fait qu'améliorer leur situation
sa ns préjudicier à qui que ce soit ; ainsi, le changement
dans l'appréciation du caractère d'une nullité et donc du
droit d'agir, ou encore la modification d'une règle procédurale
telle que les modalités de preuve, le changement d'appréciation
de la force probante d'un type de documents, ... ne déjoueront pas les
prévisions des parties.
Deux constatations sont d'ailleurs
évoquées : le revirement peut préjudicier à
une personne, par exemple en la rendant responsable ou en alourdissant ses
obligations, sans pour autant porter atteinte à ses prévisions -
du moins à ses prévisions légitimes : par exemple, le
responsable d'un dommage ne peut légitimement prévoir un acte
engageant sa responsabilité parce qu'il sait que la réparation du
préjudice par ricochet n'est pas admise. Par ailleurs, le revirement
peut affecter une situation contractuelle sans pour autant déjouer les
prévisions des parties : le revirement visant à
réduire les possibilité d'invoquer la nullité dans les
contrats-cadre, par exemple, affecte la situation contractuelle, mais ne
déjoue pas les prévisions des parties puisqu'il sauve l'acte
qu'elles voulaient conclure - à moins qu'elles aient voulu conclure un
acte nul, mais il ne s'agit pas, alors, de prévisions légitimes.
L'a priori, la catégorisation n'est donc pas possible de ce point de
vue, seule l'appréciation au cas par cas des prévisions des
parties permet de mettre en évidence la dangerosité d'un
revirement.
La deuxième catégorie concerne les cas dans
lesquels la décision de revirer « méconnaît les
anticipations légitimes de justiciables », ce qui est le cas
à chaque fois qu'un « comportement a été ou
aurait pu être orienté par la solution que le revirement entend
donner ». Le justiciable a cru en la solution ancienne, il n'est pas
juste de lui en refuser le bénéfice. Les deux exemples sont les
arrêts rendus le 9 octobre 2001 par la première chambre civile et
le 10 juillet 2002 par la chambre sociale.
Reste enfin les cas « à part »,
qu'il est impossible de ranger dans l'une de ces deux catégories :
« la solution retenue en conséquence du revirement peut, selon
les cas, déjouer ou non les prévisions des parties. Il en sera
ainsi, par exemple, selon que la décision de revirement reviendra
à valider ou au contraire à prohiber le comportement jugé.
Le prix doit-il être déterminé dans les contrats-cadres
pour que ces derniers soient valablement formés ? Un changement de
solution conduisant à l'affirmative déjouera les
prévisions des contractants en conduisant à la nullité des
actes conclu. A l'inverse, un revirement se soldant par une réponse
négative ne violera logiquement pas les prévisions
contractuelles. » Là encore, seule l'appréciation au
cas par cas permettra de déterminer quels revirements peuvent être
dangereux.
B. Le reproche d'un dévoiement de la règle de
droit.
Des problèmes différents trouvant parfois leur
problème dans les mêmes causes, il est également
nécessaire d'évoquer le reproche de l'effet de dévoiement
de la règle de droit qui a pu être fait à propos du
phénomène de rétroactivité de la jurisprudence.
Comme nous le verrons, le Rapport MOLFESSIS propose les mêmes solutions,
ce problème reposant sur les mêmes causes.
Les conséquences négatives de ce
phénomène de rétroactivité reposent sur deux
idées : la rétroactivité naturelle viole
l'idéal social de la règle de droit (aspect individuel) , mais
elle donne également au juge un pouvoir que n'a pas le
législateur (1) . Il faudra alors s'attarder plus longtemps sur une
conséquence particulière de ce dernier point : le
dévoiement de la règle de droit en matière pénale
(2) .
Là encore, nous ne cherchons pas, bien sûr
à prendre parti sur cette question, mais simplement à expliquer
comment les critiques développées à propos du
phénomène de rétroactivité de la jurisprudence ont
pu marquer les esprits au point de provoquer une possible évolution du
droit en la matière.
1) Les effets de la rétroactivité de la
jurisprudence sur la conception de la règle de droit.
a. Principe de légalité et
rétroactivité de la jurisprudence.
En parlant d'idéal, nous ne cherchons pas, bien
sûr à dévaloriser la critique que nous expliquons
maintenant, mais simplement à rappeler la dimension dans laquelle se
place cette critique. Elle va plus loin que la « simple »
insécurité juridique, même s'il s'agit là encore
d'un lien de confiance : il ne s'agit plus ici de constater que le
revirement anéantit les prévisions des parties, avec, parfois un
impact économique redouté, il s'agit de relier ce
phénomène à un certain idéal de la règle de
droit, lié à l'extension du principe de légalité
à la règle jurisprudentielle.
a.1) l'incompatibilité de la
rétroactivité avec les objectifs du droit
moderne : Cet idéal est notamment expliquée
par Denys de BECHILLON301(*), auquel le rapport MOLFESSIS se réfère
d'ailleurs au moment d'entreprendre cette analyse : « même
pour celui qui, comme l'auteur de ces lignes, cultive une certaine prudence
devant le maniement des idées un peu trop abstraites au sujet de mission
sociale du droit, il n'est tout de même pas interdit de penser que
certaines fonctions sont attachées à l'existence même d'un
système juridique au sens moderne du terme. Sous ce rapport, on ne
risque pas de choquer grand-monde en avançant que les normes de droit
ont pour fonction première de fournir aux personnes un guide et un cadre
pour leur action, et que, dit autrement, les obligations juridiques sont
là d'abord pour fournir aux sujets de droit des repères et des
modèles pour déterminer leur conduite dans le monde. (...)
La rationalité sous-jacente à un système juridique tend
donc sans équivoque à la satisfaction du même
objectif : il s'agit de donner aux personnes des normes pour régler
leur comportement. »
Dans l'optique d'un rapprochement entre la norme
jurisprudentielle et la norme législative, ce reproche porte donc non
plus sur l'idéal de sécurité, mais sur l'idéal de
connaissance de la règle. Ce reproche est bien sûr lié
à la conception de la jurisprudence comme créatrice de droit, ce
qui sera également une faiblesse aux yeux de ceux qui ne partagent pas
cette conviction.
« Lorsqu'on a affaire à une règle du
même type que celle que formule la Cour dans notre arrêt, cette
intention est entièrement déjouée. La règle mise en
cause ne peut prétendre avoir eu un rapport quelconque avec la direction
publique de la personne jugée pour les faits qui lui sont
reprochés, puisque par hypothèse, cette règle ne pouvait
rien diriger avant que d'apparaître. Symétriquement - et ce n'est
pas forcément le moins grave - elle rend l'utilité sociale de la
norme illisible aux sujets de droit dans leur ensemble.
A quoi sert, en effet, de vouloir se conformer parfaitement
aux normes en vigueur si l'on ne peut même pas, ce faisant, cultiver pour
soi-même la conviction de n'avoir, comme dit l'expression populaire, rien
à se reprocher ? A quoi bon l'effort pour agir légalement,
si cela n'autorise même pas un minimum de sûreté,
raisonnablement entretenue, devant le droit et ses punitions. C'est cette
conviction et cette sûreté, primordiales, que la
rétroactivité d'une obligation de responsabilité rend
impossibles, puisqu'elle revient à punir celui qui n'a
transgressé aucune norme et qui ne pouvait même pas chercher
à se conformer à elle, puisqu'elle n'existait pas.
L'incohérence de tout cela est profonde en regard de ce à quoi
sert, à la base, n'importe quel système de droit moderne. Il
suffit de lire BECCARIA pour s'en convaincre. »
Les défauts ainsi allégués ont une
importance particulière dans certaines matières, dont le
fonctionnement recèle certaines particularités. Ainsi, la
responsabilité civile : Denys de BECHILLON, à propos de
l'arrêt du 9 octobre 2001, en matière de responsabilité des
médecins, explique que le décalage entre la règle telle
qu'elle existait au moment des faits et celle qui existe au moment du jugement
est amplifiée par les « traits
« naturellement » associés par la mécanique
du droit aux règles impliquées dans la genèse d'une
obligation de responsabilité ». Pour cela, il dégage
quatre facteurs spécifiques au domaine de la responsabilité
civile.
Le point de départ est bien sûr la
rétroactivité naturelle de la règle
prétorienne : « Jean RIVERO avait en son temps rendu cela
éclatant302(*).
La règle créée au prétoire l'est forcément
après qu'ont eu lieu les faits ou les situations auxquels il s'agit de
l'appliquer. On sait bien, d'ailleurs, que les juges Français ont une
assez claire conscience de ce trait puisqu'ils ont, souvent, cherché
à atténuer son impact en recourant à divers
procédés d'adoucissement. »
Le deuxième facteur est le suivant :
« toute règle de responsabilité est tournée vers
le passé » : « dans tous les cas, puisqu'il est
appelé à réparer un préjudice
constitué, au moins en partie, le juge a pour mission de
statuer à l'expérience, de qualifier une situation
désormais donnée, au vu de conséquences déjà
produites. » Le contentieux de la responsabilité conduit donc
à juger des choix non a priori, mais « dans
l'après-coup, au vu des résultats dommageables qu'ils ont pu
provoquer. En responsabilité, c'est le passé que l'on juge. Et on
le fait toujours à la lumière du présent et de ses
preuves. »
Le troisième facteur est « l'anachronisme
naturel de la règle de responsabilité », qui est
« amplifié lorsque le dommage considéré
apparaît longtemps après le phénomène qui est
réputé en fournir la cause ». : « tel
est le problème rencontré dans la quasi-totalité des cas
de contamination sérielles qui font le plus gros de l'actualité
juridique en matière sanitaire [amiante, maladie de KREUTZFELT-JACOB,
sang contaminé, etc...] : nous sommes portés à
qualifier les situations passées avec les catégories et les
schémas de perception en vigueur au moment où la question se pose
à nous. Or, il est bien clair que ce phénomène de
décalage est encore plus sensible lorsque ces évènements
sont appréciés des dizaines d'années plus tard, alors que
les états d'esprit ont, le cas échéant, changé en
profondeur. A fortiori si, comme c'est inévitable, ces
événements sont jugés à l'aune des valeurs
nouvelles que les conséquences dommageables de ces actes ont
précisément fait advenir. (...) Bref, plus le temps passe, plus
la distance cognitive s'installe vis-à-vis des catégories de
pensée qui régnaient au moment des faits. Jusqu'à les
rendre incompréhensibles ».
Enfin, « Cet anachronisme amplifié est
renforcé lorsque la règle prétorienne qu'il s'agit
d'appliquer crée une obligation de prévention, dirigée
vers le futur ». Il s'agit ici de blâmer « les
acteurs d'aujourd'hui pour n'avoir pas anticipé pertinemment notre
actualité, c'est-à-dire leur futur. »
Le décalage pourrait être atténué
par la prise en compte du droit positif tel qu'il existait à
l'époque des faits, et non pas le droit au moment où le juge
statue. Mais dans la mesure où le juge refuse de prendre en compte la
jurisprudence telle qu'elle existait au moment des faits - ainsi, dans
l'affaire qui fournit le point de départ de la réflexion de Denys
de BECHILLON, la Cour estime que le médecin peut être
condamné « alors même qu'à l'époque des
faits, la jurisprudence admettait qu'un médecin ne commettait pas de
faute s'il ne révélait pas à son patient des risques
exceptionnels »303(*) - , ce décalage sera amplifié
jusqu'à créer une « obligation de prévention
indéfinie parce que logiquement impossible à
satisfaire. ».
a.2) Conséquences
concrètes : Cette idée de l'atteinte au
principe de légalité n'est pas sans conséquences
concrètes : comme nous le verrons, il a provoqué la
condamnation de la France à plusieurs reprises ; mais le Rapport
MOLFESSIS met également en relief une autre conséquence de la
perte de confiance en la norme jurisprudentielle : « une telle
insécurité risque de se solder par un surcroît d'actions en
justice. Le revirement de jurisprudence, en ce qu'il peut offrir à un
justiciable une issue qui mette à mal les anticipations de son
adversaire, est facteur de « litigiosité ». Il
incite à tenter sa chance pour tirer profit de la versatilité de
a règle. D'où un surcroît de pourvois dans les domaines en
prise aux revirements »304(*).
Ce problème, comme nous l'avons dit, est lié
à la conception normative de la jurisprudence, qui indique tout à
fois les effets et les causes de cette situation ;
« difficilement supportable, parce qu'elle porte en elle-même
une contradiction profonde avec l'idée même d'Etat de droit, cette
issue est pourtant inéluctable dès lors que notre système
juridique se refuse à admettre que la jurisprudence constitue une source
de droit, autrement dit qu'elle est la matrice de situations juridiques qu'il
convient d'insérer dans l'ordre juridique.
Comme l'avait démontre Jean RIVERO, « la
technique d'édiction de la règle jurisprudentielle qui lie
formulation de la règle et application à l'espèce,
condamne [le juge] à la rétroactivité : la
sécurité juridique se trouve ici nécessairement
sacrifiée au progrès présumé du
droit ». »305(*)
b. L'idéal de la coexistence entre des règles
issues de pouvoirs complémentaires.
Cet idéal est celui d'une création
prétorienne qui serait faite en harmonie avec celle du
législateur, sur la base de la complémentarité. Cet
idée est présentée par Pascale DEUMIER :
« chaque source est utile au système juridique par ses
qualités propres : la loi présente le cadre
général traduisant les orientations décidées par la
volonté générale ; la jurisprudence adapte le droit
vivant à mesure des cas. Sa capacité d'adaptation au cas, son
aptitude à l'évolution, sa précarité naturelle,
souvent critiquées comme signes de son incapacité à
être source de droit, sont au contraire ses principales qualités
car elles sont la manifestation que le droit vivant est bien en mouvement
permanent. En voulant poser du droit à l'instar du législateur,
elle en adopte les travers en termes de fixité,
généralité, distance avec la variété des
situations, et ce sans en avoir la légitimité et sans en procurer
les garanties d'accessibilité et de sécurité. S'appuyant
sur une autorité dont elle est dépourvue, elle perd en puissance,
là où la persuasion, la conviction, la présentation du
sens pourrait donner un surplus de légitimité à
l'affirmation nouvelle de son action créatrice. Il appartient à
la Cour de cassation d'assumer ce pouvoir non à la façon du
législateur mais à la manière d'un juge : en
respectant les contraintes du texte, en recourant aux techniques
d'interprétation, en justifiant ses constructions afin que l'acceptation
d'un tel pouvoir ne se solde pas par une concurrence entre deux
législateurs mais en une complémentarité entre la
règle générale et la règle du cas »
306(*).
Or, la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle s'inscrit dans une négation de cette relation de
complémentarité, en ne plaçant pas les deux
autorités au même niveau : au titulaire de la potestas, les
contraintes de la non-rétroactivité de principe ; à
l'auctoritas, la rétroactivité naturelle. Deux aspects sont ici
à prendre en compte : le contexte idéologique et les raisons
de cet état de fait.
Or, la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle s'inscrit dans une négation de cette relation de
complémentarité, en ne plaçant pas les deux
autorités au même niveau : au titulaire de la potestas, les
contraintes de la non-rétroactivité de principe ; à
l'auctoritas, la rétroactivité naturelle. Deux aspects sont ici
à prendre en compte : le contexte idéologique et les raisons
de cet état de fait.
Le contexte idéologique est celui d'une remise en cause
des schémas classiques de la séparation des pouvoirs307(*). Le rôle du juge face
au législateur évolue, celui-ci voit sa légitimité
de plus en plus contestée, tandis que le juge, sous la pression de
contraintes liées notamment aux engagements internationaux de la France,
se voit accorder un pouvoir qu'il ne demande pas toujours, et qui ne devait pas
lui être attribué en principe. Or, les craintes liées
à cette redistribution du pouvoir interviennent dans le cadre d'une
tradition juridique légicentriste, qui fait du législateur le
seul créateur de normes légitimes. Dès lors, le fait de
voir le législateur faire face à des contraintes de plus en plus
lourdes alors que le pouvoir créateur du juge s'affirmerait sans limite
participe des inquiétudes grandissantes d'une partie importante de la
doctrine.
Ensuite, l'effet négatif visé ici est moins
celui de la rétroactivité que celui des prémisses du
raisonnement qui aboutit à cette rétroactivité.
D'après Christian ATIAS, l'origine de ce déséquilibre
serait à trouver dans la négation par le juge de son pouvoir
créateur. Ainsi, il explique, à propos de l'arrêt rendu par
la première chambre civile de la Cour de Cassation le 21 mars
2000308(*), que
« l'enjeu [de cette négation] était bien
là : il s`agissait de sauvegarder la liberté de
décision judiciaire en lui octroyant ce privilège de
rétroactivité dont le législateur n'oserait se
prévaloir comme tel.
Plusieurs traits caractérisent l'analyse ici
reconduite. Sans les évoquer, la Cour invoque les rapports entre les
dispositions légales et les décisions juridictionnelles. La
« jurisprudence » est neutralisée ;
dissimulée sous la loi, elle évite de s'exposer en prenant rang
parmi les sources du droit. Elle y puise la suprématie qui
résulte de sa mise à l'écart de tout contrôle, de
toute limite. « L'application » du droit est plus
libre que sa « création ». »309(*) La mise à
l'écart de la jurisprudence, contexte conceptuel dans lequel s'inscrit
la rétroactivité de la jurisprudence, aboutirait non pas à
« la neutralité de la jurisprudence ou la jurisprudence sous
la loi », mais à « l'immunité de la
jurisprudence ou la jurisprudence au-dessus de la loi ».
La critique, bien sûr, ne sera admise que dans l'optique
de la reconnaissance d'un pouvoir créateur du juge. Si on
préserve toute leur valeur aux prémisses du raisonnement sur la
précarité naturelle de la norme jurisprudentielle dans le temps,
ou sur le rôle révélateur du juge, alors la critique est
relativisée, voire sans aucune valeur. C'est donc là encore de
cette conception fondamentale du rôle du juge que dépend le choix
entre deux logiques en grande partie incompatibles, d'où une divisions
profonde au sein du monde du droit.
2) Le revirement de jurisprudence en droit
pénal.
Si l'on admet que la rétroactivité de la
jurisprudence peut présenter un danger, alors le revirement de
jurisprudence en droit pénal présente un danger tout particulier,
du fait des enjeux de la rétroactivité en matière
pénale. C'est une donnée qui a longtemps été
ignorée par les pénalistes, car le danger d'une jurisprudence
source de droit y est dénoncé de façon plus insistante que
dans les autres matières.
Pour mieux comprendre les enjeux particulier du revirement en
droit pénal, les auteurs du rapport MOLFESSIS avaient demandé
à Didier REBUT310(*), Professeur à l'université
Panthéon-Assas (Paris II) de préparer une étude sur ce
sujet nouveau en droit pénal311(*). Le revirement intervient dans un contexte
idéologique particulier, celui d'une crainte toute particulière
à la fois de la rétroactivité et du pouvoir du juge ; mais
la question ne peut être ignorée dès lors que le rôle
créateur du juge est reconnu.
En matière pénale, le spectre de la privation
arbitraire de liberté a donné une importance toute
particulière au principe de légalité. « Soumises
par la Constitution au principe de légalité, les solutions
pénales doivent avoir un fondement légal »312(*). La conséquence a
été de placer l'application de la norme dans le temps et la
jurisprudence dans deux optiques différentes et incompatibles.
Les seules normes reconnues en droit pénal - issues
d'un droit écrit, et non d'un droit prétorien - , sont soumises
à des principes différents selon qu'il s'agisse des lois de fond
ou de forme313(*). Les
lois pénales de fond « plus douces » sont
rétroactives, tandis que les lois pénales de fond
« plus sévères » sont soumises au principe de
non-rétroactivité ; les lois pénales de forme sont
soumises au principe de l'application immédiate. Etant donnée
l'importance des enjeux en la matière, le principe a une valeur
constitutionnelle.
L'application de la norme pénale dans le temps est donc
soumise à un régime strict. Mais la norme jurisprudentielle en
est tenue à l'écart, parce qu'ici, il est justement
particulièrement important que le juge se contente d'appliquer la loi
sans prendre part à la création du droit pénal. Le juge
est donc tenu au principe d'interprétation stricte de la loi
pénale, et sa mission est purement déclarative ; ne devant
créer aucune norme, il n'est donc pas concerné par les principes
qui régissent l'application de la loi pénale dans le temps.
Cette vision des choses a « cependant perdu de sa
force avec l'observation de l'importance prises par les solutions judiciaires
dans la connaissance du droit pénal. Celle-ci a inévitablement
conduit à reconnaître que le juge pénal exerce un pouvoir
créateur quand il définit ou précise la loi pénale.
Le principe de l'interprétation stricte a en effet cessé
d'être considéré comme faisant obstacle à
l'émergence d'une jurisprudence pénale, dès lors qu'il est
acquis que les lois pénales doivent parfois être
précisées ou adaptées. Aussi l'existence de solutions
jurisprudentielles complétant les dispositions légales n'est-elle
plus guère contestée. »314(*)
C'est dans ce contexte que le régime de
l'interprétation jurisprudentielle en matière pénale a
été critiqué : laissant les normes jurisprudentielles
hors de l'ordonnancement juridique, il avait pour effet de priver les
justiciables de garanties d'ordre constitutionnel concernant l'application de
la loi pénale dans le temps. C'est en effet « par rapport
à ces solutions légales qu'il convient d'apprécier la
rétroactivité des revirements de jurisprudence, parce qu'ils ont
les mêmes effets que les modifications légales », sans
pour autant sortir du principe de la « rétroactivité
naturelle » quel que soit leur effet. Les effets de
« dévoiement de la règle de droit » sont ici
plus graves qu'ailleurs, car ici, ce n'est pas
« simplement » l'effet concret de la norme
jurisprudentielle, qui est en cause, ou l'incompatibilité de son action
avec une vision du droit, mais bien son incompatibilité avec des
principes supérieurs de notre droit, des principes d'ordre
constitutionnel.
Pour préciser sa pensée, Didier REBUT applique
aux revirements les mêmes distinctions que celles prévues pour la
loi, rappelant pour chaque catégorie les principes à l'oeuvre en
matière législative.
Il étudie tout d'abord les « revirements de
fond » prévoyant des règles plus douces. Prévue
par l'article 112-1, alinéa 3 du Code Pénal, le principe de
rétroactivité est justifié par l'idée de
nécessité de la peine : dès lors que le maintien
d'une infraction, ou d'une répression d'une certaine force, n'est plus
jugé nécessaire pour les besoins de la société, les
justiciables doivent bénéficier de cette clémence nouvelle
de façon rétroactive. La rétroactivité in
mitius a en outre une force constitutionnelle depuis que le Conseil
Constitutionnel l'a rattachée au principe de nécessité des
peines en droit pénal, déduit de l'article 8 de la
Déclaration de droits de l'homme.
« Dans ces conditions, la
rétroactivité des revirements de jurisprudence est en parfaite
harmonie avec les règles du droit pénal quand elles conduit
à adoucir la répression. » Son effet sera alors
identique à celui des normes d'origine législatives, mais ne
choquera pas, alors même que l'apparition de cette normes serait
imprévisible : « il faut en effet rappeler que
[l'imprévisibilité de la norme] n'est rejetée en droit
pénal que dans la mesure où elle est susceptible de porter
préjudice à la personne poursuivie en aggravant la
répression à laquelle elle était exposée quand elle
a commis son infraction. »315(*)
« A l'opposé, les lois pénales plus
sévères sont soumises à un principe de
non-rétroactivité. Celui-ci est le corollaire classique du
principe de la légalité envisagé comme instrument de
protection contre l'arbitraire de la répression. Cet objectif ne peut
pas admettre que des peines puissent être appliquées à des
faits qui ne les encouraient pas au moment où ils ont été
commis. A ce titre, le principe de la non-rétroactivité a
été formulé conjointement au principe de la
légalité. A son instar, il a pris une valeur constitutionnelle,
puisqu'il est expressément affirmé par l'article 8 de la
déclaration de droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il a aussi une
valeur internationale, étant donné qu'il est posé par
l'article 7§1 de la CESDH. Il est par ailleurs prévu par l'article
121-1 du code pénal suivant lequel « sont seuls punissables
les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils
ont été commis » et « peuvent être
prononcés les peines légalement applicables à la
même date ». »316(*)
Dans l'optique du pouvoir créateur du juge,
« la rétroactivité de la jurisprudence lui est bien
entendue résolument contraire ; Son application immédiate
à l'instance en cours et à l'ensemble des faits identiques qui
ont été commis avant lui et qui n'ont pas encore
été définitivement jugés conduit à les
soumettre à une répression plus sévère que celle
qu'ils encouraient au moment de leur commission. L'application récente
de l'abus de confiance aux biens incorporels peut servir d'illustration ;
Alors que la chambre criminelle refusait classiquement de punir le
détournement d'un bien incorporel au motif que le délit d'abus de
confiance exigeait la nature corporelle du bien détourné, elle
est revenue sur sa jurisprudence dans un arrêt en date du 14 novembre
2000317(*). Nonobstant
le fait que la chambre criminelle a pris prétexte d'une modification
textuelle de l'incrimination de l'abus de confiance par le Code Pénal de
1992, sa solution donnait bien lieu à un revirement, puisqu'elles
s'opposaient à celles qui avaient été données
auparavant. Ce revirement a été appliqué à
l'instance même qui en a été l'occasion, alors que le
prévenu se défendait précisément en invoquant la
jurisprudence ancienne sur l'impossibilité de punir le
détournement d'un bien incorporel au titre de l'abus de confiance. Il va
de soi que cette rétroactivité pose problème au regard du
principe de non-rétroactivité des lois pénales plus
sévères puisqu'elle le transgresse ouvertement. »
L'argument tiré de cette incompatibilité a
été soulevée par la suite dans une autre affaire. A partir
d'un raisonnement par analogie avec les principes de l'application de la loi
pénale dans le temps, et s'inspirant des principes gouvernant la
jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme en
matière de prévisibilité de la jurisprudence
pénale318(*), le
pourvoi concluait que l'application rétroactive d'un revirement de
jurisprudence constitue une atteinte au principe de légalité. La
chambre criminelle a rejeté le pourvoi dans un arrêt rendu le 30
janvier 2002, estimant que le principe de non-rétroactivité est
prévu pour une « modification de la loi
pénale » et non pas pour une « simple
interprétation jurisprudentielle » 319(*).
« C'est une position éminemment formaliste
qui entend attacher la non-rétroactivité aux seules solutions qui
émanent d'une norme de nature légale. Elle ignore le fait que la
jurisprudence peut avoir la même valeur normative et que, de toute
façon, sa modification produit les mêmes effets. C'est
incontestable quand ce changement conduit à punir un fait qui ne
l'était pas auparavant ou quand il conduit à l'exposer à
une répression plus sévère. Cette application formaliste
et, au bout du compte, étriquée du principe de la
non-rétroactivité s'écarte des objectifs du principe de la
légalité par-delà l'apparence de son respect. Si elle
semble s'accorder avec lui en refusant d'assimiler la jurisprudence à la
loi, elle le méconnaît substantiellement en permettant qu'une
répression plus sévère puisse rétroagir, et,
à ce titre, s'appliquer à des faits commis avant sa
prévision. Elle est en outre exposée à être
considérée comme incompatible avec la Convention
Européenne, dès lors que celle-ci inclut la jurisprudence dans
les sources du droit soumises à ses stipulations. Dans ces conditions,
l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence
apparaît contraire à l'article 7§1 CESDH, puisqu'il conduit
à soumettre un fait à une répression plus
sévère que celle qu'il encourait quand il a été
commis. »320(*)
Le dernier point concerner les normes en matière
pénale relatives à des questions de procédure et de
prescription. Le principe est ici celui de l'application immédiate. A
distinguer du principe de rétroactivité, ce principe conduit
à l'application des dispositions nouvelles aux instances en cours, sans
pour autant conduire à l'annulation des actes de procédure
valablement accomplis sous l'empire des dispositions anciennes.
« Supposées porteuses d'améliorations
procédurales, elles doivent être appliquées
immédiatement ; Cette application immédiate ne se heurte pas
en outre à l'exigence de prévisibilité de la
répression en raison de l'absence présumée d'effets
répressifs des lois de procédure. Ayant pour objet les
procès pénal, les lois de procédure n'intéressent
pas les infractions, ce qui explique qu'elles n'ont pas d'incidence
répressives. »321(*)
Ici, l'effet de la rétroactivité de la norme
jurisprudentielle n'est évidemment pas calqué sur l'effet de la
norme d'origine législative : elle va plus loin,
« puisqu'elle conduit à remettre en cause les actes qui ont
été accomplis sous l'empire des solutions jurisprudentielles
précédentes. »322(*) La norme jurisprudentielle est donc porteuse d'une
certaine insécurité, qui n'est, là encore, pas contraire
à la conception formaliste de la norme jurisprudentielle, mais entre en
contradiction avec les objectifs du principe d'application immédiate. La
norme n'a donc pas le même effet selon qu'elle est d'origine
législative ou jurisprudentielle, aboutissant à neutraliser les
principes constitutionnels prévus pour cette matière.
Didier REBUT illustre son propos avec le revirement intervenu
sur la recevabilité des actions civiles des associés et des
actionnaires en matière d'abus de biens sociaux :
« après avoir admis qu'un actionnaire ou un associé
engage une action civile en réparation du préjudice personnel que
pouvait lui causer l'abus de biens sociaux du dirigeant, la chambre criminelle
est revenue sur sa solution en estimant que le préjudice né de la
dépréciation des titres ou de la dévalorisation du capital
social à la suite d'un abus de biens sociaux était un dommage
subi par la société elle-même et non un dommage propre
à chaque associé. Ce revirement s'est appliqué
rétroactivement, ce qui a conduit à déclarer irrecevables
des actions civiles qui ne l'étaient pas quand elles avaient
été engagées. Un plaideur a précisément
contesté cette application rétroactive d'un revirement de
jurisprudence au motif que « lorsqu'une nouvelle jurisprudence
conduit à violer un droit garanti par la convention Européenne,
le principe de sécurité juridique s'oppose à ce que cette
jurisprudence soit rétroactive et fasse disparaître un droit
qu'elle consacrait jusqu'à la date du revirement » et que
« le revirement restreignant à la seule société
le droit de se constituer partie civile du chef d'abus de biens sociaux ne peut
être opposé à l'actionnaire qui s'était
régulièrement constitué partie civile en l'état du
droit positif alors en vigueur ». La prétention a
été repoussée par la chambre criminelle qui a
répété sa solution selon laquelle « le principe
de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple
interprétation jurisprudentielle »323(*). Cette position n'est pas
surprenante dès lors que la chambre criminelle admet même la
rétroactivité des revirements qui ont pour effet d'aggraver la
répression. Il n'empêche que la rétroactivité des
revirements de procédure met à mal la sécurité
juridique en permettant la remise en cause d'actes sur le fondement de
solutions qui ne leur était pas applicables au moment où ils ont
été accomplis. Elle s'écarte donc de la solution
légale de sorte que la question de son maintien peut donc être
posée. »324(*)
La logique gouvernant les principes constitutionnels de
l'application de la loi pénale dans le temps était basée
sur le principe de légalité, lui-même basé sur
l'idée d'une certaine sécurité juridique. Or, ce
même principe de légalité, en enfermant
l'interprétation jurisprudentielle dans le principe de
l'interprétation stricte, est également à l'origine d'un
problème d'incompatibilité de la norme jurisprudentielle avec
cette nécessaire sécurité juridique : la
création d'une norme pénale étant un acte grave qui ne
peut être accompli que par le législateur, le principe de
légalité conduit donc à écarter
l'interprétation jurisprudentielle de la hiérarchie des normes,
alors qu'elle aurait précisément été le motif d'une
extension des garanties entourant la loi pénale.
En appliquant strictement le principe de
légalité dans ses deux applications, la chambre criminelle s'est
donc enfermée dans un paradoxe : appliquant strictement les
principes prévoyant des garanties pour l'application de la loi
pénale dans le temps, elle ne pouvait que laisser les normes qu'elle
crée - quelle que soit la nature de ces normes - hors du champ
justifiant l'intervention de ces garanties, alors même que ces garanties
sont d'ordre constitutionnel.
Bref, on peut conclure sur cette question en expliquant que,
pour une partie de la doctrine, le revirement de jurisprudence est un bienfait,
mais que sa rétroactivité naturelle, dans l'optique du pouvoir
créateur de la jurisprudence, a naturellement des effets
négatifs. D'après cette partie de la doctrine, la jurisprudence
consiste, pour la Cour de Cassation, à affirmer une position sur une
question de droit, et notamment sur le sens à donner à une
règle de droit, position d'après laquelle elle déterminera
la solution des litiges qui suivront et présenteront les mêmes
caractéristiques.
Dans une certaine mesure, peu importe la nature de cette
solution, puisqu'on constate que la rétroactivité de la
règle jurisprudentielle conduit non seulement à priver le
justiciable du bénéfice de cette position sur laquelle il
s'était fondé pour déterminer son action, mais encore
à lui appliquer une règle qu'il ne pouvait connaître au
moment de son action. Car cette réalité comporte deux
inconvénients majeurs : les justiciables, qui ont besoin de la
jurisprudence pour connaître le droit qui leur est applicable, sont alors
dans l'impossibilité d'agir dans un environnement
sécurisé. Il y a alors atteinte au principe de
sécurité juridique, ce qui n'aura aucune incidence sur un plan
strictement juridique, puisque le principe de sécurité juridique
- s'il existe - ne pourra pas être appliqué à l'action du
juge. Mais dans l'optique de l'opportunité et de l'équité,
la rétroactivité du revirement aura des inconvénients
graves qu'on ne peut ignorer ; le droit ayant une finalité, et
s'inscrivant dans un contexte, les critères de la qualité du
droit ne peuvent être exclusivement juridiques.
Le deuxième inconvénient est le
dévoiement de la règle de droit : la règle ne peut
plus fournir un cadre aux actions des justiciables, un cadre a priori, du
moins, leur permettant de se fonder sur la loi pour avoir une attitude conforme
aux besoins de la société ; quant à la
deuxième atteinte, c'est la constatation que le juge, qui ne devrait,
d'après son statut constitutionnel, n'être qu'une simple
« autorité », dispose alors dans son action d'un
pouvoir plus fort que le législateur.
Cette critique n'est pourtant pas admise par une autre partie
de la doctrine, ce désaccord ayant parfois été
relayé par la Cour de Cassation elle-même. Le désaccord
peut alors porter sur deux points. La première attitude consiste
à relativiser les effets négatifs de la
rétroactivité de la jurisprudence, sans nécessairement les
nier ; la conclusion est alors la suivante : pourquoi remettre en
cause les principes dirigeant l'office du juge, puisqu'il n'y a là que
des inconvénients, sinon mineurs, du moins exceptionnels325(*) ?
Le deuxième reproche est de rappeler que la
constatation de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle
doit, par hypothèse, partir de la constatation d'un certain pouvoir
créateur de la jurisprudence. En partant du postulat de l'absence de
normes jurisprudentielles - légitimes, du moins - , la conclusion est
que ces reproches, pensés dans l'optique du pouvoir créateur du
juge, ne concernent pas un phénomène légitime, mais
surtout qu'ils aboutissent à la remise en cause de principes
nécessaires : la déclarativité de la
jurisprudence est avant tout un corollaire de la séparation des pouvoirs
dans sa conception stricte. La mise en balance de ces deux données - les
principes fondant l'office du juge et les inconvénients de l'action du
juge dans la pratique - aboutit alors à assumer ces inconvénients
au nom d'impératifs supérieurs326(*). S'il n'y a pas de « droit acquis à
une jurisprudence figée », c'est parce que
« l'évolution de la jurisprudence relève de l'office du
juge dans l'application du droit » ; et si tel est son office,
c'est parce que la jurisprudence doit nécessairement évoluer, et
même, parce qu'il est vital que la jurisprudence évolue.
Dans l'optique de la critique, on rappellera que des
problèmes différents sont parfois liés. Celui du champ
d'application de la règle jurisprudentielle, « naturellement
rétroactive » d'après cette partie de la doctrine, est
lié aux problèmes que nous venons d'expliquer, et qui sont
allégués par cette même doctrine. Les causes sont
identiques : le juge ne peut limiter le champ d'application de la norme
qu'il produit. La solution préconisée ici est donc la
même : la limitation du champ d'application de la norme
jurisprudentielle, éventuellement dans l'optique de ne pas porter
atteinte aux prévisions légitimes des justiciables.
Cette solution, la Cour de Cassation l'a utilisée
à deux reprises, comme nous allons le voir maintenant, mais en se
fondant sur une autre préoccupation, celle du droit à un
procès équitable. La Cour de Strasbourg, quant à elle, a
pris position sur ce sujet depuis les années 1990, et a depuis
condamné la France à plusieurs reprises.
§ II / Le critère des effets : un fondement
de la critique par les juges.
L'inquiétude quant aux effets de la
rétroactivité de la jurisprudence n'est pas uniquement le fait de
la doctrine. Si la Cour de cassation s'est prononcée pour la
thèse de la déclarativité, assumant les
conséquences négatives de ses postulats, elle a aussi
ménagé une exception dans ses principes, estimant que ceux-ci
peuvent, en certaines hypothèses précises, ne pas être
conformes à certains principes qui s'imposent même à la
loi, et a fortiori à la jurisprudence (A) . La Cour de Strasbourg, quant
à elle, ne partage pas les conceptions de la Cour de Cassation quant
à la place de l'interprétation jurisprudentielle dans la
hiérarchie des normes, ce dont elle tire certaines conséquences
quant aux effets de cette interprétation, et notamment quant à sa
prévisibilité (B) .
A. L'hypothèse de l'atteinte au droit à un
procès équitable par la rétroactivité de la
jurisprudence.
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation,
pour trancher un conflit entre deux impératifs, a pris l'initiative de
procéder à un revirement pour l'avenir (1) ; Après
avoir expliqué comment et pourquoi elle a procédé, nous
nous pencherons sur la portée de cette solution (2) .
1) Le résultat d'un conflit entre deux
impératifs.
Cette hypothèse de l'atteinte au droit à un
procès équitable par la rétroactivité de la
jurisprudence a été envisagée pour la première
fois dans un arrêt de la deuxième chambre civile le 8 juillet
2004327(*) à
l'initiative de la Cour de Cassation elle-même.
En l'espèce, comme nous avons pu le dire,
« la discussion portait sur les conséquences de l'interruption
de la prescription de trois mois prévue par l'article 65-1 de la loi de
1881 à propos des atteintes à la présomption
d'innocence : le délai courant après l'interruption
était-il le délai ordinaire ou, à nouveau, le délai
de trois mois ? Alors que la Cour d'appel a estimé que la
demanderesse n'avait pas à « réitérer
trimestriellement son intention de poursuivre l'action
engagée », la deuxième chambre civile décide au
contraire que « ces dispositions spéciales d'ordre public
dérogeant au droit commun, le délai de trois mois courait
à nouveau à chaque acte interruptif de la prescription
abrégée prévue par ce texte »328(*). La Cour de Cassation
abandonne donc une règle qu'elle a définie dans un arrêt du
4 décembre 1996.
En principe, la thèse de la déclarativité
aurait dû inciter la Cour de Cassation à appliquer la règle
jurisprudentielle nouvelle à l'instance en cours : l'intervention
du juge est neutre, comme nous l'avons dit, elle ne doit viser qu'à
clarifier la loi, et n'est donc pas autonome ; elle s'incorpore à
la loi, et l'entrée en vigueur de ce régime substantiel - qui
n'est basé que sur une interprétation - est donc la date
d'entrée en vigueur de la loi interprétée. Le même
jour, la même chambre a d'ailleurs réaffirmé cette
solution : « les exigences de sécurité juridique
et la protection de la confiance légitime invoquées pour
contester l'application d'une solution restrictive du droit d'agir
résultant d'une évolution jurisprudentielle, ne sauraient
consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont
l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du
droit »329(*).
Pourtant, la Cour de Cassation a choisi de retarder
l'entrée en vigueur de cette règle jurisprudentielle
nouvelle : « si c'est à tort que la cour d'appel a
décidé que le demandeur n'avait pas à
réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action
engagée, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef,
dès lors que l'application immédiate de cette règle de
prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime
d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales »330(*). Ce faisant, la Cour de Cassation décide donc
de limiter la portée dans le temps de sa propre jurisprudence,
procédant donc à un revirement pour l'avenir.
Rappelons-le : l'objet de la règle intervenue ici
était bien particulier : il s'agissait d'une règle de
prescription, moins favorable que l'ancienne règle pour le demandeur.
Celui-ci n'avait respecté que les exigences de l'ancienne règle,
moins contraignante. La règle aboutissait ici à rendre nulle
toute la procédure, sur le fondement d'une règle que les parties
ne pouvaient pas encore connaître puisqu'elle n'a été
adoptée que dans l'arrêt du 8 juillet 2004. Le demandeur ne
pouvait pas prévoir l'intervention de la règle jurisprudentielle
nouvelle, et ne pouvait donc pas se conformer aux exigences procédurales
nouvelles.
Or, en l'espèce, l'intervention de la règle
nouvelle ne concernait pas l'issue du litige mais son existence-même.
Elle ne concernait pas la solution au fond, mais la possibilité
d'engager la procédure. La question n'était pas de savoir si les
parties pouvaient prévoir ou non l'intervention de la règle qui
allait trancher la procédure, mais de savoir si les parties pouvaient ou
non engager l'action d'après les exigences procédurales
nouvelles.
Ce n'est donc pas en soi l'intervention rétroactive de
la règle nouvelle en cours d'instance qui est en cause. Ce qui est en
cause, c'est la possibilité même de défendre sa cause
devant un juge. Et cette possibilité, garantie par l'article 6§1 de
la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des
libertés fondamentales, aurait été anéantie si une
règle moins favorable au demandeur était intervenue en cours
d'instance alors que celui-ci, ne pouvant connaître son existence, ne
l'avait pas appliquée. Le résultat était donc bien plus
grave.
C'est ici qu'interviennent donc deux impératifs
contradictoires : d'un coté, la volonté d'adopter une
position nouvelle, s'inscrivant dans le cadre d'une politique jurisprudentielle
confirmée depuis une dizaine d'années331(*) ; d'autre part , le
droit de défendre sa cause devant un juge, garanti par une norme
à laquelle l'article 55 de la Constitution de 1958 confère une
valeur toute particulière, puisqu'elle s'impose même au
législateur. A fortiori, elle s'impose au juge, qui ne doit pas, par son
comportement, empêcher une partie de défendre sa cause devant un
juge.
Nous avons dit que le principe de sécurité
juridique, s'il existe en droit privé Français, n'avait pas une
force telle qu'il puisse aboutir à la remise en cause des principes
fondant l'office du juge. Mais l'article 6§1 a, quant à lui, cette
force obligatoire qui s'impose au juge dans son action. Entre ces principes qui
dirigent l'action du juge - entre autres la règle de
rétroactivité naturelle - qui sont déduits des articles du
Code civil, et l'impératif de ne pas entraver le droit de
défendre sa cause devant un juge, la Cour de Cassation ne pouvait que
trancher en faveur de la règle imposée par une règle qui
ne plie que devant la Constitution.
L'objectif de la Cour de Cassation étant donc d'adopter
une règle nouvelle qu'elle estime nécessaire sans pour autant
empêcher le justiciable de défendre sa cause, la Cour a donc
procédé en trois temps.
Dans un premier temps, elle a reconnu l'existence d'une
règle de droit ; ceci facilitait grandement sa démarche,
voire la rendait tout simplement possible. Ce qui était en cause en
l'espèce était donc bien plus que la simple clarification d'une
loi obscure -une interprétation, dont la chambre criminelle a pu dire
que le principe de non rétroactivité ne s'y applique
pas332(*). - , il
s'agissait bien d'une règle s'intégrant au droit positif de
façon autonome. Elle parle à ce sujet d'une
« règle de prescription », même si elle n'en
précise pas le fondement exact.
Dans un deuxième temps, elle constate que la
règle nouvelle devrait conduire à la nullité de toute la
procédure : « c'est à tort que la cour d'appel a
décidé que le demandeur n'avait pas à
réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action
engagée ».
Dans un troisième temps, constatant que la règle
nouvelle a pour effet d'empêcher l'accès au juge, et donc de
« priver la victime d'un procès équitable »,
elle décide de ne pas faire application de cette règle pour le
litige en cause, accordant donc au demandeur le bénéfice de la
règle ancienne, sur laquelle il s'était fondé.
La Cour procède donc, comme nous l'avons dit, à
un revirement pour l'avenir : elle annonce l'apparition d'une règle
nouvelle mais n'en fait pas immédiatement application ;
l'hypothèse dans laquelle elle décide de revirer pour l'avenir
est bien précise : il s'agit ici du cas où
« l'application immédiate de cette règle de
prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime
d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ».
Comme le rappelle Patrick MORVAN, la solution ne s'est pas
imposée sur le fondement de la sécurité juridique,
même invoquée sur le fondement de l'article 6.1, mais sur le
fondement de l'équité333(*). « Ironie de l'histoire, l'article
6§1 Conv. EDH dont la Cour régulatrice refusait de déduire
un « droit acquis à une jurisprudence figée »
est devenu le socle textuel du revirement pour l'avenir, figeant bel et bien
pour le passé voire le présent (les instances en cours) , une
jurisprudence répudiée. » Comme nous l'avons dit, la
même deuxième chambre civile, le même jour, avait
refusé de procéder à un revirement pour l'avenir
demandé sur le fondement de la sécurité juridique et du
principe de la confiance légitime, reproduisant la motivation
désormais classique selon laquelle ceux-ci « ne sauraient
consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont
l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du
droit »334(*) : cette solution, refusée sur le
fondement de la sécurité juridique, devient nécessaire sur
le fondement du droit à un procès équitable.
Nous pouvons enfin faire une remarque : si la Cour ne
pouvait juger autrement sans nuire gravement aux intérêts du
demandeur, elle pouvait en revanche procéder à un revirement pour
l'avenir sans que sa décision ne soit gravement préjudiciable aux
intérêts de l'autre partie : dans un tel cas de figure il ne
s'agit pas de trancher le litige, mais simplement de faire perdre à
l'autre partie une chance de la conclure à ce moment précis.
Bref, dans un tel cas, la partie qui subit le revirement pour l'avenir ne perd
pas la guerre, mais seulement une bataille.
2) Un mécanisme d'exception à la
portée ambiguë.
Il est intéressant de noter qu'en l'espèce, la
deuxième chambre civile a utilisé ce mécanisme de sa
propre initiative : aucune demande n'avait été
formulée en ce sens par les parties, et elles ne le pouvaient d'ailleurs
pas, puisque le revirement et la limitation de la portée de la solution
ont été décidés dans le même arrêt.
C'est donc un choix qui s'est fait sans aucune contrainte, marquant une
volonté particulièrement forte de la deuxième chambre
civile de ne pas faire rétroagir la règle nouvelle.
C'est ensuite un choix qui a été confirmé
solennellement par l'assemblée plénière de la Cour de
Cassation, le 21 décembre 2006335(*), dans une autre affaire, mais avec un enjeu
absolument identique: il s'agissait en l'espèce de la même
controverse, et l'Assemblée Plénière aurait pu
réaffirmer la solution ancienne, désavouant l'initiative de la
deuxième chambre civile. Il n'en fut rien, l'assemblée
plénière profitant toutefois de l'occasion pour préciser
le sens de ce mécanisme d'exception.
Car il s'agit bien d'un mécanisme d'exception,
destiné à éviter que le droit de défendre sa cause
devant un juge ne soit menacé par la rétroactivité de la
jurisprudence, et pas à s'imposer à toutes les hypothèses
de revirement de jurisprudence. Cela, l'assemblée plénière
le montre clairement en ajoutant un élément à la formule
de la deuxième chambre civile « l'application immédiate
de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait
à priver la victime d'un procès équitable, au sens de
l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au
juge ». Bref, le seul cas où la Cour de Cassation a
accepté pour le moment d'écarter l'application d'un revirement de
jurisprudence pour des faits qui se sont passé avant le revirement est
le cas où la règle nouvelle a pour effet - quand bien même
ce ne serait pas son objectif - de priver un justiciable du droit
d'accéder au juge.
Et, il faut le préciser, c'est le seul cas où la
Cour de Cassation accepte de reconnaître pleinement à la
règle prétorienne un caractère normatif de jure336(*).
C'est aussi un mécanisme qui ne fait pas
l'unanimité : la solution classique a été
réaffirmée après l'arrêt de la deuxième
chambre par les autres chambres, y-compris dans un cas où une
règle procédurales nouvelle empêchait un justiciable de
pouvoir défendre sa cause devant un juge337(*). Toutefois, aucun
arrêt n'a été rendu à notre connaissance dans
l'hypothèse précise du droit à l'accès à un
juge impartial depuis l'arrêt de l'assemblée
plénière.
C'est d'ailleurs ce qui nous pousse à rappeler que le
procédé, s'il était nécessaire du point de vue des
engagements internationaux de la France, et plus précisément du
point de vue de l'article 6§1 invoqué ici, n'en est pas moins
profondément novateur : le juge a accepté de limiter de sa
propre initiative la portée de la décision que son statut lui
imposait de rendre, et cela avec un parfum d'arrêt de règlement -
nous développerons ce point dans une deuxième partie. De plus, le
mécanisme répondait à des demandes de la part d'une partie
de la doctrine, comme nous l'avons dit. Dans ces conditions, ce qui n'est pour
le moment qu'une exception - acceptée mais cantonnée pas
l'assemblée plénière - est-il destiné à le
rester, ou doit-on y voir une étape dans une politique de
« petits pas », ou encore un « ballon
d'essai » ?
L'arrêt laisse enfin des zones d'ombre : tout
d'abord, la Cour ne précise pas si elle apprécie l'atteinte
à l'article 6§1 in concreto ou in abstracto. Le choix de ce
critère peut ne pas être sans conséquence, par exemple,
dans le cas du revirement rendu prévisible par une politique de
« petits pas », ou par le caractère
controversé de la solution - en l'espèce, il y avait une
controverse, mais, sur ce point, elle était réglée depuis
1996, ce qui incite à penser qu'il faudrait une controverse
particulièrement importante pour convaincre d'une impossibilité
de se conformer à la règle nouvelle.
Ensuite, l'article 6§1 s'est imposé au juge en
l'espèce parce qu'il avait une force toute particulière en droit
Français, mais ce n'est pas exceptionnel : d'autres dispositions
ont la même force, à commencer par les autres articles de la
Convention, mais aussi tous les traités adoptés
régulièrement. Ces dispositions l'emportent-elles
également sur les principes dirigeant l'action du juge - entre autre la
rétroactivité de la règle jurisprudentielle - ou le cas de
l'atteinte au droit de défendre sa cause devant un juge est-elle le seul
cas de figure où la Cour accepterait de renoncer à la
rétroactivité ?
L'article 6§1, comme nous venons de le dire, s'est
imposé au juge en l'espèce parce qu'il avait une force toute
particulière en droit Français. Mais l'article 6§1 n'est pas
au somment de l'ordonnancement juridique - sauf, bien sûr, à
considérer que l'article bénéficie de l'
« aura » de l'article 55 de la Constitution de 1958. Les
dispositions du bloc de constitutionnalité pourraient
éventuellement conduire à sa remise en cause, les dispositions
constitutionnelles l'emportant sur les dispositions conventionnelles. Si une
norme d'origine constitutionnelle - telle que le « principe
constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne
humaine »338(*) ou la « liberté fondamentale
d'exercer une activité professionnelle »339(*)- était opposée
à l'article 6§1, quelle disposition l'emporterait ? La chambre
criminelle, en 2002 et en 2004340(*), a clairement opté pour la solution
classique. Mais cette solution date d'avant la solution de la deuxième
chambre civile - un ralliement n'est donc pas exclu - , mais surtout avant la
consécration de la solution par l'assemblée
plénière.
La solution choisie par la deuxième chambre civile dans
l'optique d'un mécanisme d'exception, solution consacrée par
l'assemblée plénière, n'est donc pas seulement
profondément novatrice - tout particulièrement dans ce contexte
intellectuel - , elle est aussi ambiguë. La question de son étendue
reste à déterminer, de même que la question de savoir si
elle convaincra.
B. La reconnaissance de la jurisprudence nationale par la
Cour de Strasbourg.
La Cour Européenne des Droits de l'Homme, soucieuse de
l'impératif de sécurité juridique depuis l'arrêt
MARCKX341(*), a
entrepris de ne pas laisser la norme prétorienne hors de la
hiérarchie des normes (1) . Cela lui a permis de sanctionner son
imprévisibilité, voire sa rétroactivité (2) .
1) La jurisprudence nationale, source accessoire de
droit.
Comme l'explique Patrick MORVAN, « la Cour
Européenne des Droits de l'Homme a, la première, admis la
jurisprudence nationale au rang des sources du droit positif. La
présence en son sein de juristes de common law l'y incitait
fortement »342(*). Cela ne passe pas, toutefois, par une assimilation
pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme
législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc
de légalité (lato sensu) »343(*), mais comme un accessoire
obligatoire pour des raisons logiques.
Selon quel schéma la jurisprudence de la Cour
Européenne des Droits de l'Homme a-t-elle intégré la
norme jurisprudentielle dans le droit positif ? Il s'agit d'une
conséquence du principe de légalité344(*), mais aussi d'une
affirmation logique345(*) : le droit ne peut pas être parfait, il a
besoin d'être précisé même après
l'entrée en vigueur de la norme. Le principe de légalité
implique notamment la qualité et la prévisibilité de la
loi : « Comme la Cour l'a dit dans son arrêt Kokkinakis c.
Grèce du 25 mai 1993 (série A n° 260-A, p. 22, par. 52),
l'article 7 ne se borne donc pas à prohiber l'application
rétroactive du droit pénal au désavantage de
l'accuséì: il consacre aussi, de manieÌre plus
générale, le principe de la légalité des
délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui
commande de ne pas appliquer la loi pénale de manieÌre extensive
au désavantage de l'accuseì, notamment par analogie. Il en
résulte qu'une infraction doit être clairement définie par
la loi. »346(*)
Or, la cour estime par ailleurs que le droit ne peut
être parfait. Dans l'affaire CANTONI, la Cour avait ainsi pu expliquer,
à propos de la définition des médicaments, que
« La Cour a déjàÌ constateì qu'en raison
même du principe de généralité ì des lois, le
libelléì de celles-ci ne peut présenter une
précision absolue. L'une des techniques types de réglementation
consiste aÌ recourir aÌ des catégories
générales plutôt qu'aÌ des listes exhaustives.
Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des choses de formules
plus ou moins floues, afin d'éviter une rigiditéì
excessive et de pouvoir s'adapter aux changements de
situation. »347(*) L'idée a été reprise dans
l'affaire PESSINO c. France348(*), ce qui permet à la Cour de ne laisser aucun
doute quant à sa généralité, en dehors du domaine
pour lequel elle a été invoquée, mais aussi d'ajouter que
« L'interprétation et l'application de pareils textes
dépendent de la pratique (...). La fonction de décision
confiée aux juridictions sert précisément à
dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à
l'interprétation des normes, en tenant compte des évolutions de
la pratique quotidienne. »
La jurisprudence peut alors être appelée
à jouer un rôle d'interprétation de la loi ; ce
faisant, l'interprétation sera intégrée au droit positif
comme ayant précisé, voire ajouté à la norme
législative. Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni, la Cour
concluait : « La Cour a donc indiqué que la notion de
"droit" ("law") utilisée à l'article 7 (art. 7) correspond
à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention,
notion qui englobe le droit écrit et non écrit et implique des
conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de
prévisibilité. »349(*) Elle s'est montrée plus précise dans
les affaires CANTONI et PESSINO, évoquant le « droit d'origine
tant législative que jurisprudentielle ».
L'idée n'est pas neuve : sans préciser
autant sa pensée, la Cour avait déjà affirmé le
caractère normatif de l'interprétation jurisprudentielle dans les
affaires KRUSLIN c. France350(*) et GEOUFFRE De La PRADELLE c. France351(*). Dans l'affaire KRUSLIN c.
France, elle avait précisé qu' « il convient d'entendre
le terme « loi » dans son acception matérielle et
non formelle ». Dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE c. France,
elle avait pu évoquer « l'extrême complexité du
droit positif, telle qu'elle résulte de la combinaison de la
législation (...) avec la jurisprudence ».
Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni (paragraphe 34) , elle
précisait encore que « Aussi clair que le libellé d'une
disposition légale puisse être, dans quelque système
juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe
immanquablement un élément d'interprétation judiciaire.
Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux
changements de situation. D'ailleurs il est solidement établi dans la
tradition juridique du Royaume-Uni comme des autres Etats parties
àÌ la Convention que la jurisprudence, en tant que source du
droit, contribue nécessairement àÌ l'évolution
progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article
7 (art. 7) de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des
règles de la responsabilitéì pénale par
l'interprétation judiciaire d'une affaire àÌ l'autre,
aÌ condition que le résultat soit cohérent avec la
substance de l'infraction et raisonnablement
prévisible. »352(*)
Bref, si la loi doit être précise, une part
d'imprécision est acceptable lorsque la jurisprudence précise par
la suite le sens de la loi : « la loi doit définir
clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette
condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir
du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de
l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes
et omissions engagent sa responsabilité
pénale »353(*).
Ce faisant, la Cour insère la jurisprudence dans la
hiérarchie des normes. Cela ne passe pas, comme nous l'avons dit, par
une assimilation pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme
législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc
de légalité (lato sensu) »354(*), non pas comme une source
autonome du droit, mais comme une source accessoire, probablement
subordonnée dans ce travail de création au seul créateur
de normes légitime, le législateur. La Cour trouve ainsi un moyen
de surmonter le problème des « infirmités
jurisprudentielles », celles-ci n'étant pas
nécessairement un obstacle dans le rôle qu'elle lui assigne.
La Cour ne donne pas de fondement à cette insertion de
la jurisprudence dans la hiérarchie des normes. Elle même estime
que sa propre jurisprudence est fondée sur l'idée
d'interprétation355(*). Il s'agit probablement d'une façon de
respecter le principe de subsidiarité en laissant chaque état
libre du fondement de sa jurisprudence - elle rappelle d'ailleurs
« qu'il incombe au premier chef aux autorités nationales,
notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit
interne ». Mais ce faisant, elle oblige toutefois les Etats à
inclure la jurisprudence dans les sources du droit, quel que soit le
fondement.
Or, comme nous allons le voir, cette reconnaissance d'un
pouvoir créateur en partie légitime du juge n'est pas un cadeau
qu'elle fait au juge - ou peut-être un cadeau empoisonné- , c'est,
plus subtilement, un moyen pour elle de veiller au respect par le juge de
certains impératifs dont elle impose le respect dans le cadre de la
production de la norme, et notamment des impératifs concernant la
portée de la jurisprudence dans le temps.
2) Un travail de création soumis à certains
impératifs.
Quels sont ces impératifs ? Il s'agit de la
qualité de la norme, ce qui implique sa prévisibilité, et
d'autre part sa non-rétroactivité dans le domaine pénal.
Ces objectifs sont ceux imposés à tout créateur de normes.
Avant même de préciser sa position en l'étendant clairement
au « droit non-écrit », la Cour avait
déjà eu l'occasion de donner de la loi une définition
intéressante : « il faut d'abord que la loi soit
suffisamment accessible ; le citoyen doit pouvoir disposer de
renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes
juridiques applicables à un cas donné ; en second lieu, on
ne peut considérer comme une loi qu'une norme énoncée avec
suffisamment de précision pour permettre à un citoyen de
régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils
éclairés, il doit être à même de
prévoir, à un degré raisonnable, dans les circonstances de
la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte
déterminé. »356(*)
Lorsqu'elle s'est préoccupée de l'insertion de
la jurisprudence parmi les sources du droit, la Cour a ainsi transposé
ces impératifs à la jurisprudence. Comme l'explique Patrick
MORVAN, « Investissant d'une autorité normative le juge
interne, le juge Européen lui enjoint en contrepartie de veiller
à la qualité de la « législation »
judiciaire, c'est-à-dire à sa clarté, sa
prévisibilité, et son accessibilité. En France, le Conseil
Constitutionnel adresse une mise en demeure similaire au législateur
lorsqu'il affirme que les incriminations pénales doivent être
rédigées en des « termes clairs et précis pour
exclure l'arbitraire »357(*) et, plus largement, que
« l'accessibilité et l'intelligibilité de la
loi » constituent « un objectif de valeur
constitutionnelle »358(*). (...) Avec quelques reculs, la question de savoir
si la jurisprudence est source de droit paraît (...)
dépassée. Le débat s'est déplacé
vers un autre thème autrement plus décisif : celui de la
qualité de la norme jurisprudentielle et de son
contrôle par le juge interne ou
international. »359(*)
La norme jurisprudentielle doit répondre aux
mêmes conditions de qualité que le droit écrit, tel que
précisé par les affaires Sunday Times360(*) et MALONE361(*). C'est
précisément l'intérêt de cette norme :
préciser le droit écrit. Le principe résulte notamment des
affaires KRUSLIN 362(*)
et GEOUFFRE De La PRADELLE363(*). Comme l'explique Patrick MORVAN, « Les
écoutes téléphoniques ordonnées par un juge
d'instruction constituaient une pratique admise depuis 1980 par la Cour de
Cassation sur le fragile fondement de l'article 81 du Code de procédure
pénal. Leur validité était en réalité
subordonnée à une série de conditions
jurisprudentielles déduites des « principes
généraux du droit ». Sûre de son fait, la chambre
criminelle concluait que « ces dispositions répondent aux
exigences résultant de l'article 8 de la Convention Européenne de
Sauvegarde des Droits d l'Homme et des libertés
fondamentales » consacrant le droit au respect de la vie
privée. Mais la Cour de Strasbourg ruina cette belle certitude en
déclarant que les écoutes téléphoniques
constituaient une violation de ce même texte. Certes,
concéda-t-elle, « l'ingérence litigieuse avait une
base légale en droit Français » puisqu'il
convient d'entendre « le terme « loi » dans son
acception matérielle et non formelle » ; à ce
titre, « on ne saurait faire abstraction d'une jurisprudence
établie ». Mais cette base légale ne
revêtait pas la « qualité » requise pour
fonder valablement une restriction à un droit fondamental.
Précisément, estime la Cour, « le droit
Français, écrit et non écrit, n'indique pas
avec assez de clarté l'étendue et les modalités
du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine
considéré. »364(*)
C'est sur un raisonnement similaire que la France fut
condamnée dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE :
« l'extrême complexité du droit positif, telle qu'elle
résulte de la combinaison de la législation (...) avec la
jurisprudence était propre à créer un état
d'insécurité juridique » privant le requérant
« d'une possibilité claire, concrète et
effective » d'accéder à un tribunal.
La jurisprudence, en tant que norme doit donc présenter
une certaine qualité, pour pouvoir être connue. Mais pour pouvoir
être connue, elle doit aussi être prévisible. Les
justiciables ne doivent se voir appliquer que des normes qu'ils peuvent
connaître ou prévoir. Ils ne peuvent donc pas se voir appliquer
des revirements de jurisprudence si ceux-ci ne sont pas prévisibles
Ainsi, dans les affaires BELLET c. France et F.E. c.
France365(*), la Cour a
condamné la France pour l'imprévisibilité de sa
jurisprudence dans le contentieux relatif à l'indemnisation des victimes
de transfusions sanguines contaminées par le virus du sida :
« ni le texte de la loi du 31 décembre 1991 ni ses travaux
préparatoires ne permettaient à l'intéressé de se
douter des conséquences juridiques que la Cour de Cassation allait
déduire de son acceptation de l'offre » du fonds de garantie
institué par cette loi, si bien que le requérant n'avait
« pas eu la possibilité claire et concrète de contester
devant un tribunal le montant de l'indemnisation » et n'avait donc
pas « bénéficié d'un droit d'accès
concret et effectif devant un tribunal ».
Mais c'est en droit pénal que la Cour a pu veiller
tout particulièrement à la prévisibilité de la
norme jurisprudentielle. Le principe était déjà contenu
dans les arrêts C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, et CANTONI c.
France, puis le raisonnement a été précisé quand la
France a été condamnée dans l'affaire PESSINO c.
France : « La Cour rappelle que l'article 7 de la Convention
consacre, de manière générale, le principe de la
légalité des délits et des peines (nullum crimen,
nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier, l'application
rétroactive du droit pénal lorsqu'elle s'opère au
détriment de l'accusé. (...) S'il interdit en particulier
d'étendre le champ d'application des infractions existantes à des
faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il
commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière
extensive au détriment de l'accusé, par exemple par analogie. Il
s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les
peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le
justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition
pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est
donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa
responsabilité pénale »
La norme doit donc être connue au moment où elle
est appliquée : « La tâche qui incombe à la
Cour est donc de s'assurer que, au moment où un accusé a commis
l'acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il
existait une disposition légale rendant l'acte punissable et que la
peine imposée n'a pas excédé les limites fixées par
cette disposition »366(*),et donc « rechercher si, en
l'espèce, le texte de la disposition légale, lue à la
lumière de la jurisprudence interprétative dont elle
s'accompagne, remplissait cette condition à l'époque des
faits »367(*).
Si un précédent existe, celui-ci doit remplir
les conditions de qualité pour pouvoir être pleinement
compris : « Si la Cour admet aisément que les
juridictions internes sont mieux placées qu'elle-même pour
interpréter et appliquer le droit national, elle rappelle
également que le principe de la légalité des délits
et des peines, contenu dans l'article 7 de la Convention, interdit que le droit
pénal soit interprété extensivement au détriment de
l'accusé, par exemple par analogie. Il en résulte que, faute au
minimum d'une interprétation jurisprudentielle accessible et
raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 ne sauraient
être regardées comme respectées à l'égard
d'un accusé. ».
Cela n'empêche pas, bien sûr, l'évolution
du droit. Mais si elle se fait de façon rétroactive, elle doit
alors être prévisible : « On ne saurait
interpréter l'article 7 (...) de la Convention comme proscrivant la
clarification graduelle des règles de la responsabilitéì
pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire aÌ
l'autre, aÌ condition que le résultat soit cohérent avec
la substance de l'infraction et raisonnablement
prévisible. »368(*)
Il semble que la Cour accepte que la
prévisibilité résulte exceptionnellement
d'éléments a-juridiques. Comparant plusieurs affaires, elle a
ainsi pu affirmer que l'affaire PESSINO, en matière de poursuite de
travaux de constructions malgré l'annulation du permis de construire
« se distingue clairement des arrêts S.W. et C.R. c.
Royaume-Uni (...), dans lesquelles il s'agissait d' un viol et d'une tentative
de viol de deux hommes sur leurs femmes. La Cour avait pris soin de noter dans
ces arrêts (§§ 44 et 42, respectivement) le caractère
par essence avilissant du viol, si manifeste que la qualification pénale
de ces actes, commis par des maris sur leurs épouses, devait être
regardée comme prévisible et non contraire à l'article 7
de la Convention, à la lumière des objectifs fondamentaux de
celle-ci, "dont l'essence même est le respect de la dignité et de
la liberté humaines". »
De même, et de façon plus systématique,
« la notion de prévisibilité dépend dans une
large mesure du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi
que du nombre et de la qualité de ses destinataires (...). La
prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la
personne concernée soit amenée à recourir à des
conseils éclairés pour évaluer, à un degré
raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant
résulter d'un acte déterminé (...). Il en va
spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir
faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier. Aussi
peut-on attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à
évaluer les risques qu'il comporte »369(*).
Si la norme n'existe pas encore au moment où le
justiciable agit, et si son apparition n'est pas prévisible, celle-ci ne
peut pas être appliquée rétroactivement. Le principe a
mené à trois condamnations, dans les affaires BELLET c. France,
F.E. c. France, et PESSINO c. France.
Si la Cour Européenne des Droits de l'Homme impose donc
aux Etats un objectif de prévisibilité de la norme
jurisprudentielle, elle laisse toutefois les états libres des moyens
à utiliser pour atteindre cet objectif. Toutefois, comme l'explique
Damien ROETS, assez peu de solutions semblent à même de permettre
de respecter les exigences Européennes : « seule
l'instauration d'une interprétation pour l'avenir inspirée de la
technique américaine du prospective overruling est de nature
à intégrer, dans notre système juridique, l'exigence
européenne de non-rétroactivité. Cette
interprétation pour l'avenir serait effectuée par la Chambre
criminelle (ou l'Assemblée plénière) sur pourvoi soit du
ministère public contestant une décision de non-lieu ou de
relaxe, soit du condamné s'estimant victime d'une interprétation
judiciaire in malam partem. Dans le premier cas, la Haute formation
rejetterait le pourvoi. Dans le second, en application de l'article L. 411-3 du
code de l'organisation judiciaire, elle casserait sans renvoi la
décision attaquée, les faits de la cause n'étant pas
susceptibles d'une qualification pénale.
Une forme moins solennelle d'interprétation in futurum
pourrait consister en un avertissement préalable, un obiter dictum
annonçant un changement imminent de jurisprudence. Pour satisfaire
à la condition de prévisibilité, son usage
nécessiterait une motivation d'une particulière clarté (la
solution nouvelle dégagée ne pourrait bien évidemment
être appliquée qu'à des faits commis postérieurement
à son édiction).
D'autres voies sont envisageables, telles, par exemple, celle
de la procédure de saisine pour avis ou encore celle du Rapport annuel
de la Cour de cassation. »370(*)
Pour une partie de la doctrine, de plus en plus importante,
certains disent même majoritaires, la constatation du pouvoir
créateur du juge impose une réflexion sur la création d'un
droit transitoire. Longtemps, cette conclusion logique n'a pas
été suivie, ou assez peu, de propositions concrètes en ce
sens. A l'époque, le problème, aussi fondamental soit-il,
n'apparaissait avoir des conséquences concrètes dignes
d'intérêt qu'à assez peu d'auteurs. Comme l'écrivait
Olivier DUPEYROUX, la question de la jurisprudence source de droit était
« une discussion théoriquement fondamentale, parce qu'est
fondamentale, au niveau de la théorie générale du droit,
la question de la nature et de la structure des règles juridiques.
Heureusement, comme bien des discussions de théorie
générale, c'est une discussion sans réelles
conséquences sur le terrain de la pratique, ce qui autorise certains
à la déclarer vaine »371(*).
Sur ce point, la discussion a commencé à
changer de nature lorsque la doctrine a commencé à
s'intéresser plus particulièrement aux effets des revirements de
jurisprudence, et surtout de leur rétroactivité. La montée
des préoccupations tenant à la sécurité juridique y
a grandement contribué, et le point culminant a été
atteint lorsque le problème a été explicitement
posé devant la Cour de Cassation, qui y a répondu le 21 mars
2000372(*) en
privilégiant la nécessaire évolutivité de la
jurisprudence, puis en ménageant une exception au sein de sa position -
les condamnations venant des juges de Strasbourg y incitaient fortement.
En changeant de nature, le débat s'est de plus en plus
porté sur les solutions à apporter à ce problème,
la contribution la plus fameuse restant celle de Christian MOULY373(*). C'est notamment cette
contribution qui inspirera quelques années plus tard les propositions du
rapport MOLFESSIS. Ces propositions, si elles ne furent pas les seules
propositions de solutions, sont probablement les plus importantes, de par leur
caractère officiel.
Les propositions de solutions n'ont pas, toutefois, toutes le
même objet, l'approche étant parfois indirecte ; certaines
d'entre elles sont déjà mises en oeuvre et sont en plein
développement.
Chapitre II / Les solutions proposées pour
concilier création jurisprudentielle et droits des justiciables.
Les solutions proposées contre les
inconvénients du revirement de jurisprudence ont suivi deux tendances
différentes. Dans la première tendance, les solutions ont
été conçues essentiellement dans l'optique de
protéger les justiciables contre les effets des revirements de
jurisprudence. Les solutions proposées avaient pour but de s'attaquer
directement au problème de la rétroactivité de la
jurisprudence (Section I) . Dans une deuxième tendance, les solutions
proposées prenaient pour objet la jurisprudence elle-même. Le but
est de s'attaquer indirectement aux effets de la jurisprudence en s'attaquant
à son imprévisibilité (Section II) .
Section I / Les solutions proposées au
problème de la rétroactivité de la
rétroactivité de la jurisprudence.
La réflexion sur ce sujet n'est pas nouvelle,
même si elle s'est grandement développée depuis quelques
années, notamment sous l'influence de la montée des
préoccupations concernant la sécurité juridique. La
spécificité de ces solutions est de proposer une limitation
de la portée du revirement de jurisprudence dans le but d'en
limiter les effets dans le temps. Nous évoquerons d'abord les
propositions faites en ce sens, et l'état du droit en la matière,
devant la Cour de Cassation, mais aussi devant d'autres juges (I) , puis nous
expliquerons ensuite les propositions du rapport MOLFESSIS sur la
possibilité d'introduire en droit privé un principe de revirement
pour l'avenir (II) .
§ I / L'état du droit et l'influence des
propositions classiques.
Par propositions classiques, nous désignons les
propositions se fondant sur des procédés admis ou ayant
été admis en droit Français, ces propositions étant
surtout le fait de la doctrine (A) . Puis nous évoquerons les
procédés utilisés, par la Cour de Cassation ou devant
d'autres juges, visant à moduler les effets dans le temps des
revirements de jurisprudence (B) .
A. L'insuffisance des solutions classiques.
Aussi séduisantes soient-elles, les solutions
classiques n'ont pas été retenues, ne menant pour la plupart
qu'à des impasses ou à des insuffisances. Plusieurs solutions
proposaient de partir de procédés admis ou ayant
été admis par le passé dans notre droit, soit en en
appelant à une tierce autorité (1) , soit en étendant
l'utilisation d'instruments déjà pleinement admis dans notre
droit (2) .
1) L'appel au législateur.
Nous expliquerons d'abord une proposition visant à
reprendre, en les modernisant, un procédé ancien (a) , puis la
possibilité de « consolider » ou, au contraire de
« combattre », selon l'expression du Doyen la norme
jurisprudentielle (b) .
a. Redonner le monopôle de l'interprétation au
créateur légitime de la règle.
Cette solution a été proposée
récemment comme alternative aux propositions du rapport MOLFESSIS.
L'idée était de moderniser l'ancien système du
référé législatif, qui obligeait Le Tribunal de
cassation, pendant la période révolutionnaire, à en
appeler à l'intervention du législateur à chaque fois
qu'un problème d'interprétation de la loi se posait ; de
cette façon, l'interprétation, restant dans les pouvoirs du
législateur, ne pouvait aboutir à la réécriture de
la loi par un tiers qui ne devait pas être chargé d'autre chose
que de son application. Mais la proposition n'est pas une reprise pure et
simple de l'ancien système, abandonné après avoir
montré d'évidentes limites.
« Une voie médiane, seule, permettrait de
sortir de l'impasse en respectant la cohérence de notre droit tout en
évitant que les justiciables ne soient victimes du piège
imprévisible de la rétroactivité. Elle consisterait, la
proposition choquera sans doute, à restaurer un
référé législatif d'un nouveau type, d'initiative
judiciaire mais plus obligatoire. L'objectif serait d'ouvrir à la Cour
de Cassation la possibilité d'en appeler à l'intervention de
législateur afin de fixer dans le temps le contenu du revirement qu'elle
aura, par hypothèse, estimé
nécessaire »374(*). L'avantage de cette proposition serait de donner au
législateur la possibilité de décider lui-même de la
nécessité d'une application rétroactive ; dans le cas
contraire, la consécration de la règle jurisprudentielle par une
loi serait soumise au principe de non-rétroactivité contenu dans
l'article 2 du Code civil, et plus largement au principes du droit transitoire,
bien assis en droit Français.
« Puisque la portée générale de
la décision autant que ses possibles effets pervers requièrent un
élargissement du débat à des organisations et
représentants des intérêts en cause dans la décision
à venir375(*),
autant que celui-ci ait lieu devant la représentation nationale,
constitutionnellement apte à prendre des décisions de nature
politique. Le caractère exceptionnel d'un tel revirement devrait encore
permettre que la passerelle, facultative, puisse fonctionner en pratique sans
connaître les blocages du passé.
Dans sa conception moderne, la séparation des pouvoirs
suppose non seulement leur répartition équilibrée mais
encore leur action en concert en fonction des besoins. Moins que le conflit
entre la loi et la jurisprudence, il convient de favoriser leur collaboration,
ce que les rapports officiels de la Cour de Cassation tendent
déjà à assurer »376(*).
L'idée n'est pas nouvelle, même si elle n'avait
pas encore été présentée sous cette forme. Ainsi,
Pierre VOIRIN en 1958 : « il existe un remède très
général, mais assez rarement employé. Son emploi
dépend d'ailleurs du bon plaisir du législateur. Que celui-ci
inscrive dans la loi la décision élaborée par la Cour de
Cassation et confirmée par une série de décisions
conformes. Par la suite, pour modifier la règle, il faudra une loi
nouvelle qui, en principe, ne sera pas rétroactive. La modification de
la loi n'offre pas l'inconvénient du revirement de jurisprudence.
(...)
Le remède est efficace. Aussi n'avons nous pas
hésité à préconiser qu'à l'occasion de la
refonte d'une législation, le législateur y incorpore
tout ce qui, sur la matière envisagée, constitue le
droit, c'est-à-dire « non seulement les lois spéciales
et dispersées, mais encore les coutumes formées et toujours en
vigueur, les décisions constantes de la jurisprudence non encore
intégrées au droit écrit... »377(*) »378(*)
Le remède préconisé par Yves-Marie
SERINET nous oblige toutefois à rappeler les reproches
résumés par le Doyen ROUBIER contre l'ancien système du
référé législatif : « ce
système du référé au législateur
était de nature à provoquer une législation
interprétative abondante : il aboutissait à remettre la
solution des litiges les plus importants à un organisme politique, qui
n'avait aucune des qualités auxquelles les parties peuvent tenir chez un
juge ; d'autre part, le cours de la justice était suspendu d'une
manière indéfinie, car la solution législative pouvait se
faire attendre, et, en fait, le Corps législatif, ayant beaucoup
d'autres préoccupations, la faisait trop longtemps
attendre »379(*). Le reproche s'accompagne par ailleurs d'un risque
accru d'atteinte à la séparation des pouvoirs.
La proposition présente aussi un autre
inconvénients : le système du référé
législatif a été prévu à une époque
où le nombre de pourvois en cassation était sans commune mesure
avec le phénomène d'encombrement que nous connaissons à
l`heure actuelle380(*).
Sur ce point, on pourra cependant garder un espoir en pensant à
l'affirmation que les revirements ayant des effets négatifs sont
relativement rares381(*) ; le système ne risquerait donc pas
nécessairement, a priori, l'asphyxie.
Un dernier inconvénient serait le risque potentiel de
voir ce procédé nuire à l'un des principaux avantages de
la création prétorienne : sa flexibilité et sa
réactivité en premières lignes de l'application du
droit ; cela ne disqualifie pas d'office cette solution, mais si celle-ci
était suivie, alors il serait nécessaire que le
législateur « joue le jeu » et sache conserver les
mêmes qualités dans son association avec le juge.
b. Une solution associant la Cour de Cassation à une
autre autorité : le droit de défaire une jurisprudence.
La solution est évoquée par Denys de BECHILLON,
à propos de l'arrêt rendu par l'assemblée
plénière le 24 janvier 2003382(*) : le législateur peut, sans contrevenir
aux exigences du procès équitable, aménager les effets
d'une jurisprudence nouvelle de nature à entraîner des dommages
excessifs. Ainsi, dans l'arrêt, la Cour avait pu estimer que le
législateur pouvait « aménager les effets d'une
jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la
pérennité du service public de la santé et de la
protection sociale » parce qu'elle répond, ce faisant,
à d'impérieux motifs d'intérêt
général ». Comme l'explique Denys de BECHILLON,
« il faut désormais prendre acte de ce que la Cour de
Cassation permet désormais au législateur de corriger, s'il le
juge utile, les effets rétroactifs de certains revirements de
jurisprudence »383(*).
C'est d'ailleurs ce qui pousse Vincent HEUZE, critiquant les
propositions du rapport MOLFESSIS, à affirmer que
« l'expérience montre que le législateur sait prendre
ses responsabilités lorsque cela s'avère réellement
indispensable, et notamment dans l'hypothèse, dont les auteurs du
rapport se préoccupent très justement, où une position
prise par les tribunaux risquent d'avoir des répercussions
économiques néfastes. Il n'hésite pas, alors, à
adopter des lois de validation rétroactive ou à imaginer des
solutions de compromis qui ménagent les intérêts de toutes
les parties en cause. N'est ce pas ce qu'il a fait, encore récemment,
dans le domaine de l'assurance de responsabilité, à propos des
clauses « base réclamation » que la jurisprudence
avait condamnées, en raison des conséquences abusivement
rigoureuses qu'elles pouvaient parfois entraîner pour les
assurés ? Et cet exemple même n'est-il pas
révélateur de la supériorité de la loi pour
l'aménagement des effets des revirements de jurisprudence ? Car
là où les tribunaux n'avaient le choix qu'entre la nullité
ou la validité de ces clauses, le législateur jouissait d'un
éventail illimité de possibilités pour arbitrer les
intérêts qui devaient être considérés, et
pouvait au surplus aménager un régime transitoire pour les
situations constituées antérieurement à l'expression de sa
position. »
Cependant, Denys de BECHILLON s'interroge
également : « cette - indéniable - avancée
frappée au coin d'un fort souci d'orthodoxie dans la protection du
carré de la loi, constitue-t-elle une réponse
suffisante » au problèmes posés par la
rétroactivité de la jurisprudence ? « On proposera
d'en douter, au moins en partie, pour une raison simple : cette
« délégation » par le juge, au
législateur, du pouvoir de corriger les effets pervers de la
rétroactivité des normes prétoriennes suppose une
attention du Parlement à la vie du droit qui est à la fois trop
peu fréquente et trop difficile à obtenir pour que l'on puisse se
satisfaire illico de cette seule solution. A fortiori au nom du principe
d'égalité de traitements due au justiciables. Car il ne faut pas
se voiler la face : sauf exception notoire, seuls les acteurs dotés
d'un pouvoir d'influence - voire d'une capacité de lobbying - suffisant
peuvent sérieusement espérer du législateur qu'il vienne
combattre telle conséquence rétroactive d'une décision de
justice. Encore leur faut-il compter avec la part - gigantesque - d'aléa
que l'on sait inhérente à la rédaction finale d'un texte
de loi possédant un tel objet. Bref, pour qui veut voir ici une question
de principe, munie d'une portée tout à fait
générale, il n'est guère loisible de penser que le recours
à des validations législatives constitue la solution miracle,
même si elle offre, au demeurant, dans un nombre de cas aujourd'hui
difficile à apprécier, une porte de sortie intéressante et
certainement très utile ».
2) Les solutions basées sur l'amplification de
l'utilisation d'instruments déjà admis dans notre droit.
La première proposition a été faîte
pour la jurisprudence pénale ; elle consiste à
exonérer le justiciable de toute responsabilité dans son
obligation de connaissance du droit (a) ; la deuxième consiste
à favoriser la stabilité des situations juridiques grâce
à la prescription (b) .
a. L'erreur du justiciable s'étant fondé sur la
position de la Cour de Cassation.
La première solution est envisagée par G-X
BOURIN384(*). Elle
consiste à utiliser, au moins dans le domaine du droit pénal, une
cause d'irresponsabilité introduite dans l'article 122-3 du Code
pénal de 1994, l'erreur sur le droit : « n'est pas
pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une
erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter,
pouvoir légitimement accomplir l'acte ».
Le raisonnement est alors le suivant : au moment d'agir,
le justiciable s'est fondé sur la position de la Cour de Cassation
concernant le sens de la règle de droit. Dès lors, peu importe
que la Cour de Cassation change sa position entre-temps : il se peut qu'au
moment de juger, le juge estime, par une nouvelle interprétation de la
loi, que les éléments constitutifs de l'infraction sont
réunis, mais le justiciable s'est fondé sur une position de la
Cour de Cassation elle-même, que celle-ci soit erronée ou
non ; il peut donc se voir appliquer cette cause d'irresponsabilité
qui retire à son comportement l'élément intentionnel.
« Au cours des débats parlementaires,
l'éventualité de l'application de l'erreur aux revirement de
jurisprudence n'a pas été abordée. Dans l'esprit des
élus, ce moyen de défense a vocation a exonérer le
justiciable dans trois cas de figure. La premier concerne l'erreur
provoquée par les renseignement erronés délivrés
par l'administration à une personne sur la légalité de
l'acte qu'elle envisage. Le second a trait aux défauts de publication
d'un texte normatif. Le troisième touche à l'ignorance de notre
droit ou à sa mauvaise compréhension par un étranger
même si la circulaire ministérielle, dans son commentaire du
nouveau Code pénal, passe sous silence cette dernière
hypothèse. Quant au règlement non-publié, il n'est pas
opposable au justiciables. Qu'aurait-on besoin de l'erreur sur le droit pour
faire échec aux poursuites ?
Pratiquement, l'article 122-3 du nouveau Code pénal se
présente donc comme une disposition dont l'objet est d'exonérer
de leur responsabilité pénale les personnes de bonne foi
trompées par l'autorité publique compétente
préalablement à leurs actes »385(*). Or, les personnes qui
s'appuient sur la position exprimée par la Cour de Cassation sur le sens
d'une règle de droit sont par hypothèse de bonne foi. Quant aux
juges, ils sont précisément une autorité publique
chargée de donner le sens de la règle pour un litige. En quelques
sortes des « experts » du droit tout
particulièrement dignes de confiance
« Parce qu'il n'y a pas lieu de distinguer là
où la loi ne distingue pas, force est de remarquer que l'action d'un
justiciable sur la foi d'une jurisprudence ferme, subitement
désavouée, entre dans les prévisions de l'article 122-3.
La solution adoptée dans une affaire analogue par l'autorité
judiciaire la plus élevée n'apparaît pas moins fiable que
l'avis de l'autorité administrative compétente qui énonce
toujours ses considérations « sous réserve de
l'interprétation souveraine des tribunaux. L'acte d'une personne commis
sur la fois d'une solution jurisprudentielle univoque établit le
caractère invincible de son erreur. L'agent est fondé à
invoquer l'exception de l'erreur de droit pour faire échec à
l'application de la décision de jurisprudence à son
égard. »386(*)
L'extension du mécanisme de l'erreur sur le droit,
comme le fait remarquer avec humour Xavier LAGARDE, fait partie de ces
« remèdes dont l'utilisation ne nécessite aucun
bouleversement institutionnel »387(*), permettant de ne stigmatiser ni le comportement du
justiciable, ni celui des juges, légitimement préoccupés
de « l'évolution de la jurisprudence », qui
relève, ne l'oublions pas, « de l'office du juge dans
l'application du droit »388(*). « Et si l'on peut avancer sans se
fâcher, on aurait tort de se priver »389(*).
Quelle serait alors sa portée ? « Toute
modification imprévisible d'une solution jurisprudentielle
justifie-t-elle pour autant l'application de l'article 122-3 ? D'une part,
on aurait pu se demander si l'élément matériel de cette
cause de non-responsabilité ne consistait pas en un acte positif, cette
disposition prévoyant que l'errans n'est responsable pénalement
qu'autant qu'il accomplit un acte. Partant, on aurait pu estimer que les
infractions d'omission restaient en dehors des prévisions du texte,
puisque le principe de légalité s'oppose à l'assimilation
d'une abstention à l'acte prévu par la loi. Cependant, aucune
raison cohérente ne permet de justifier une différence de
traitement entre les actes commis sous l'empire de l'erreur et les abstentions
provoquées par une méprise. Certes, la règle
d'interprétation stricte est établie pour protéger les
libertés individuelles. Mais si, en droit, le juge n'est pas tenu de
donner une interprétation large des lois pénales favorables au
prévenu, il faut souligner sa tendance marquée à
étendre les causes de non-imputabilité et les faits justificatifs
à des infractions qu'ils ne prévoient pas. » D'autre
part, comme le souligne l'auteur, le motif d'irresponsabilité que
constitue l'erreur sur le droit ne doit pas être appliqué
là où un motif plus adapté peut être
appliqué, par exemple dans le cas où le juge
« s'affranchit de l'obligation que font peser sur lui la loi et les
principes supérieurs d'interpréter strictement les textes
répressifs », même quand celle-ci serait
imprévisible. C'est alors l'article 111-4 disposant que
« la loi pénale est d'interprétation
stricte » qui trouve application.
Le mécanisme de l'erreur n'est toutefois pas la
solution à tous les problèmes posés par la
rétroactivité de la règle jurisprudentielle, même au
sein du droit pénal. Cette possibilité, comme l'explique Didier
REBUT390(*),
« est rendue difficile par le régime de l'erreur en droit. Son
application est (...) subordonnée à la croyance en la
licéité des faits commis. A ce titre, elle peut seulement
concerner les revirements de jurisprudence qui conduisent à
réprimer un fait qui demeurait auparavant impuni. (...) L'erreur sur le
droit est en revanche inapplicable au revirements qui aggravent seulement la
répression d'un fait en l'exposant à des peines ou un
régime plus sévère que précédemment. Dans
cette hypothèse, il est évident que l'auteur ne peut avoir
« cru pouvoir légitimement accomplir l'acte ». En ce
qui les concerne, l'atteinte sur le droit est incapable d'empêcher
l'atteinte au principe de la non-rétroactivité des lois
pénales plus sévères. Par ailleurs, l'erreur sur le droit
suppose une véritable certitude sur l'impunité de l'acte
accompli. On peut craindre que cette certitude ne soit pas aisément
reconnue dans le domaine des solutions jurisprudentielles qui est sujet
à interprétations. Il est évident que la moindre
incertitude sur la licéité de l'acte accompli serait
considéré comme incompatible avec une erreur de
droit. »
On peut aussi noter que le mécanisme de l'erreur sur le
droit n'est pas adapté à tous les domaines du droit. Il est
adapté lorsque l'application de la norme est conditionnée
à la commission d'une faute, mais surtout lorsque le justiciable avait
l'intention de commettre un acte alors que celui-ci est illégal - comme
c'est le cas lorsque le justiciable commet une infraction intentionnelle ou une
faute engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du
Code civil. Mais la solution est sans objet lorsque l'application de la norme
n'est pas conditionnée à l'apparition d'un comportement fautif
intentionnel, mais à l'apparition de faits constatés
objectivement - par exemple dans le domaine de la responsabilité du fait
des choses ou en matière de clauses compromissoires ou de clauses de
non-concurrence.
b. La réforme des délais de prescription.
C'est Xavier LAGARDE391(*) qui propose cette solution, permettant de
résoudre le problème de la remise en cause d'actes fondés
sur la position de la Cour de Cassation longtemps après leur adoption.
« La prescription constitue un puissant moyen de cantonner les
incertitudes qui s'attachent aux incertitudes de la Justice. C'est même
d'ailleurs son principal objet. En effet, le mécanisme de la
prescription n'est jamais que le moyen de préserver les situations
acquises de l'exercice d'une action en justice et donc d'un possible trouble
judiciaire. A l'instar de ce qu'est le principe de
non-rétroactivité des lois dans les rapports entre le
législateur et les citoyens, la prescription apparaît en quelques
sortes comme la garantie d'éviction que l'institution judiciaire doit au
justiciable ».
Reprend ainsi une proposition de Philippe MALAURIE, le
principe du délai de prescription trentenaire de droit commun serait
alors abandonné, au profit d'un délai beaucoup plus court, par
exemple trois ans, accompagné de prescriptions spéciales pour des
domaines spécifiques d'une durée plus longues.
« En attendant l'intervention du législateur,
la jurisprudence pourrait d'ores et déjà cantonner le domaine de
la prescription trentenaire. Dans cette perspective, la Cour de Cassation
dispose de deux leviers : le premier consiste à
généraliser la prescription quinquennale de l'article 1304 du
Code civil chaque fois qu'est en cause la sanction civile d'une règle
impérative relevant d'un ordre public de protection. Le second passe par
une application systématique de la prescription décennale du Code
de commerce chaque fois qu'est en cause un commerçant, en tout cas un
professionnel relevant des dispositions du code ».
Bref, les solutions basées sur des
procédés classiques sont prévues pour des domaines
particulier ; par hypothèse, elles permettent de résoudre
les difficultés liées à certains domaines particulier de
l'action de la jurisprudence, mais n'offrent pas de solution
générale. Le seul procédé à valeur
générale - la modernisation d'un référé
législatif - paraît intéressant, mais ne paraît pas
avoir été repris par la doctrine. Les solutions fondées
sur des procédés admis ou ayant été admis en droit
Français sont donc utiles, mais elles ne permettent pas d'offrir une
réponse générale à un phénomène
protéiforme aux conséquences complexes.
B. Les procédés utilisés pour moduler
l'effet dans le temps d'une jurisprudence.
Dans l'optique de bâtir un éventuel droit
transitoire pour la jurisprudence dans l'unité face aux autres juges
utilisant un tel système, les rapporteurs du rapport MOLFESSIS ont
procédé à l'étude des procédés mis en
oeuvre dans cette optique par les juges de common law, les juges
Allemands, les juges Européens (1) , et d'autre part par le Conseil
d'Etat et la Cour de cassation elle-même (2) . Nous allons examiner les
aspects qui ont retenu leur attention et ont donc constitué l'une des
bases de leur réflexion.
1) Les procédés utilisés dans
d'autres systèmes juridiques.
A partir de l'étude des pratiques des autres
systèmes juridiques, les rapporteurs ont mis en évidence quatre
caractéristiques qu'il leur paraissait nécessaire de reprendre
dans l'élaboration d'un système de droit transitoire
destiné à la jurisprudence. En reprenant ces différentes
caractéristiques, nous ajouterons plusieurs éléments,
tirés des études annexes, qui semblent avoir inspiré,
parfois indirectement les rapporteurs.
a.1)
Le premier élément concerne les fondements de
l'office du juge : « l'existence de règles visant
à moduler dans le temps les décisions de justice est intimement
liée à la place qu'occupe le juge dans le système
juridique. Elle dépend clairement de la place accordée à
la jurisprudence et de sa reconnaissance en tant que source du
droit ». Ceci conforte les rapporteurs dans l'idée que
« l'aménagement dans le temps de la jurisprudence et la
limitation de leur rétroactivité suppose admis le pouvoir
créateur du juge ».
Les modalités de cette reconnaissance diffère
selon les systèmes, mais cette base est commune à la plupart des
systèmes juridiques étudiés par les rapporteurs. Le
rapport sur les systèmes de common law s'ouvre-t-il sur cette
explication : « La gestion dans le temps de revirements de
jurisprudence dans les systèmes de common law donne lieu
à un débat important, à dimension fortement
idéologique. Ainsi, en Angleterre, la légitimité de la
pratique que l'on appelle prospective over-rulling prend place au sein
d'une réflexion sur la fonction de juger (theory of
adjudication) , et par là-même au coeur des discussions
contemporaines de philosophie du droit relatives à l'aptitude du
système juridique à intégrer les exigences,
évolutives, de la pratique sociale. »392(*) Si les
procédés de modulation des effets des revirements de
jurisprudence dans le temps ne sont pas toujours admis comme tels - Horatia
MUIR-WATT parle ainsi de « pragmatisme « bas
profil » »393(*) - ils s'inscrivent tous par nature dans une
réflexion donnant au juge de common law un rôle
infiniment plus actif qu'en droit Français.
« Aux Etats-Unis, où le pouvoir
quasi-législatif de la Cour suprême fédérale, en
tant que gardienne de la Constitution, l'avait conduite à se
reconnaître la maîtrise des effets dans le temps de ses propres
jugements, on relève que l'orientation influence fortement sa propension
à admettre ou non l'effet rétroactif de sa
jurisprudence. »394(*). Les rapporteurs évoquent le cas,
caractéristique, de la décision « BROWN v. Board of
education » : la décision, « déclarant
inconstitutionnelle la ségrégation raciale pratiquée par
les établissements scolaires dans de nombreux Etats, atteste ainsi que
le juge remplit une fonction quasi-législative ; il est
dépositaire de la vérité constitutionnelle, sa
décision dépassant largement les limites qu'impose son rôle
purement judiciaire. Le contentieux assume un rôle politique dans
l'intérêt du public (public interest litigation) ,
caractéristique de l'activité judiciaire
contemporaine. »395(*)
Le cas de l'Allemagne est plus intéressant
encore : si le rôle du juge reste lié à l'idée
d'interprétation, « le pouvoir créateur de la
jurisprudence est (...) reconnu de manière officielle. (...) Si le
débat sur la rétroactivité de la jurisprudence a
été engagé par la doctrine Allemande, c'est
précisément parce que la loi Allemande reconnaît
expressément aux juridictions suprêmes le droit de procéder
à un « développement du droit »
(Rechtsfortbildung) . Dès lors, les revirements ont une
existence officielle. »
Nous ajouterons simplement que cette base, si elle est commune
à la plupart des systèmes juridiques pratiquant cette technique,
n'est pas pour autant le point de départ admis par tous les juges. Les
juges de Strasbourg et de Luxembourg, en effet, refusent d'attribuer un
quelconque pouvoir normatif à leur jurisprudence. L'arrêt DEFRENNE
c. SABENA, par exemple, avant d'effectuer un revirement pour l'avenir, avait
ainsi pris la précaution d'affirmer que « si les
conséquences pratiques de toute décision juridictionnelle doivent
être pesées avec soin, on ne saurait cependant aller
jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre
son application future, en raison des répercussions qu'une
décision de justice peut entraîner pour le
passé »396(*).
L'arrêt DENKAVIT, quant à lui, expliquait que
« l'interprétation que, dans l'exercice de la
compétence que lui confère l'article 177, la Cour de Justice
donne d'une règle de droit communautaire, éclaire et
précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de
cette règle, telle qu'elle doit ou aurait du être comprise et
appliquée depuis le moment de sa mise ne vigueur. Il en résulte
que la règle ainsi appliquée peut et doit être
appliquée même à des rapports juridiques constitués
avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation, si par
ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions
compétentes un litige relatif à l'application de ladite
règle se trouve réunie. »397(*)
Par ailleurs, comme l'explique le rapport annuel de la Cour de
Cassation pour l'année 2001, « la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l'homme ne consacre pas davantage une
prohibition de l'effet "rétroactif" inhérent à la
jurisprudence. Elle a en effet indiqué à plusieurs reprises, et
à nouveau tout récemment dans des affaires concernant le
Royaume-Uni (CEDH 18 janvier 2001 CHAPMAN c/ Royaume uni req. n°
27238/95, paragraphe n° 70) que "sans être formellement tenue
de suivre l'un quelconque de ses arrêts antérieurs, la Cour
considère qu'il est dans l'intérêt de la
sécurité juridique, de la prévisibilité et de
l'égalité devant la loi qu'elle ne s'écarte
pas sans motif valable des précédents.
La Convention étant avant tout un mécanisme de défense des
droits de l'homme, la Cour doit cependant tenir compte de l'évolution de
la situation dans les Etats membres et réagir, par exemple, au consensus
susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (voir
entre autre l'arrêt COSSEY c/ Royaume Uni du 27 septembre 1990,
série A n° 184 p. 14 §35).
Le principe de l'immutabilité de la jurisprudence
européenne n'existe donc pas dès lors qu'il existe un motif
valable de s'en écarter. On doit d'ailleurs observer que l'arrêt
MARCKX c/ Belgique du 13 juin 1979, souvent cité, énonçait
déjà au § 58 qu' "on ne saurait aller jusqu'à
infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application
future en raison des répercussions qu'une décision de justice
peut entraîner pour le passé". »
Le revirement pour l'avenir n'est pas ici fondé sur le
rôle normatif du juge, mais sur une autre préoccupation du
rapport, le principe de sécurité juridique. Ceci nous permet
d'expliquer que les systèmes juridiques, outre une certaine vision du
rôle du juge, ont également pour caractéristique commune
d'accorder une place importante à la notion de sécurité
juridique. Ainsi, le Droit Allemand fonde-t-il le revirement pour l'avenir sur
les « principes de sécurité juridique
(Rechtssicherheit) et de protection de la confiance
(Vertrauensschutz) dégagés par la jurisprudence de la
Cour constitutionnelle fédérale »398(*).
La Cour de Luxembourg, après avoir affirmé la
neutralité de son intervention, a quant à elle
privilégié la sécurité juridique comme base du
revirement pour l'avenir, évoque dans l'arrêt DEFRENNE c. SABENA
les « considérations impérieuses de
sécurité juridique tenant à l'ensemble des
intérêts en jeu, tant publics que
privés »399(*). Quant aux juges de Strasbourg, se fondant
explicitement sur le précédent de l'arrêt DEFRENNE c.
SABENA, ils évoquent le « principe de sécurité
juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention
comme au droit communautaire »
Les rapporteurs sont donc dans une certaine unité par
rapport aux autres systèmes juridiques quand ils basent leur
réflexion sur un droit transitoire pour la jurisprudence sur le
rôle créateur du juge, quel qu'en soit le fondement, et sur un
impératif de sécurité juridique, considérations qui
constituent le cadre de réflexion des autres systèmes juridiques
dans ce domaine.
A.2)
Le deuxième élément, est le fait
« dans les différents systèmes, il existe une panoplie
de techniques - on pourrait dire parfois de
« stratégies » - ayant pour but d'atténuer
l'effet de surprise qui accompagne inéluctablement le revirement de
jurisprudence »400(*).
Ces techniques peuvent prendre des formes diverses. Les
systèmes de common law connaissent ainsi les pratique de
l'obiter dictum, destinée à annoncer un
revirement de jurisprudence imminent, ou la pratique du
« distinguishing », qui consiste à changer
la norme jurisprudentielle par petites touches, cette manière de
procéder étant « le moteur de l'évolution de la
common law »401(*)
Le droit Allemand, quant à lui, autorise, de
même que les juges Européens, la pratique des opinions
dissidentes, ainsi que la publication de la majorité par laquelle la
décision a été obtenue, sorte de
« score » permettant, en le mettant en parallèle
avec les opinions dissidentes, de connaître la fermeté de la
position des juridictions sur telle question de droit, et donc de
prévoir plus facilement un éventuel revirement de
jurisprudence
a.3)
Le troisième élément reste le
caractère exceptionnel d'un mécanisme qui ne doit avoir ni pour
but, ni pour effet de remettre en cause les bases du système juridique
dans lequel il est pratiqué. Ainsi, « lorsqu'elle existe, la
modulation dans le temps des effets des décisions de justice reste
exceptionnelle »402(*).
Le principe reste celui de la rétroactivité.
Par exemple, s'agissant du droit Allemand, « la Cour
Constitutionnelle de Karlsruhe a en effet déclaré que le principe
d'absence de rétroactivité des lois ne pouvait être
appliqué sans autre forme de procès aux décisions des
tribunaux, car ceux-ci seraient alors tenus par leur jurisprudence même
si elle s'avérait erronée ou inadaptée aux conditions
sociales, politiques ou économiques. La Cour constitutionnelle souligne
également qu'il n'y a pas lieu de se demander si une telle
rétroactivité aurait été inconstitutionnelle si
elle avait été le fait d'un changement législatif et non
pas jurisprudentiel, refusant l'extension pure et simple à la
jurisprudence des solutions retenues en matière de lois
rétroactives. Dans le cas contraire, les tribunaux seraient liés
par leur jurisprudence même si elle n'était plus
adaptée.
La Cour fédérale de Justice prend d'ailleurs
parfois en compte la nature controversée ou non, de la question de
droit, en doctrine et en jurisprudence, pour en déduire que le demandeur
victime du revirement aurait dès lors dû agir de façon plus
diligente et en tout cas envisager un possible revirement »403(*).
Le rapport cite également le cas de la CJCE : les
arrêts qui acceptent d'opérer un revirement que pour l'avenir
rappellent couramment le principe de la déclarativité, avant
d'admettre le revirement pour l'avenir par exception pour des raisons de
sécurité juridique.
Mais le cas le plus flagrant est probablement celui de la
Chambre des Lords, en Angleterre : « si elle a récemment
admis qu'un changement - assumé - de jurisprudence puisse ne produire
ses effets que pour l'avenir, c'est de façon dérogatoire et, au
fond, dissimulée », ne renonçant pas pour autant
à hostilité formelle au « prospective
over-rulling »
En effet, le mécanisme de modulation des effets des
revirements dans le temps reste un mécanisme destiné à
éviter au cas par cas des effets négatifs, en raison de
considérations de sécurité juridique ou
d'équité, par exemple, lorsque le justiciable s'est fondé
sur une règle, désavouée par les tribunaux, mais en
laquelle il pouvait avoir confiance. Ainsi, s'agissant du droit Allemand,
« ce n'est que dans des hypothèses spécifiques que la
Cour fédérale de Justice déroge au principe de la
rétroactivité, pour tenir compte de la sécurité
juridique et de la confiance qu'une partie a pu avoir de bonne foi en la
jurisprudence existante au moment de son engagement ou de la mesure
réalisée. C'est d'ailleurs la Cour constitutionnelle
fédérale qui l'y incite. Elle a, par exemple,
considéré dans un arrêt du 14 janvier 1987 mettant en cause
une décision de la Cour fédérale du travail, qu'un
revirement de jurisprudence de cette dernière n'était pas
conforme à l'Etat de droit (Rechtsstaatsprinzip) , les juges de
cassation n'ayant pas suffisamment respecté la confiance que le
requérant avait eu en la pérennité des solutions
antérieures »404(*).
Ce critère des effets peut toutefois être
tempéré par certains mécanismes, destinés par
exemple à s'assurer que les prévisions des justiciables ont
vraiment été trompées, comme c'est le cas devant la Cour
de Justice des Communautés Européennes : « La Cour
porte une appréciation sur la proportionnalité de l'incertitude
qui peut résulter pour les opérateurs ou les Etats membres du
comportement des institutions communautaires ou de l'état juridique de
la question.
Ainsi, dans une seconde affaire relative à l'octroi de
mer, « Lancry », la Cour a estimé, d'une part, que
le Gouvernement Français ne pouvait « continuer
raisonnablement à estimer que la législation nationale en la
matière était conforme au droit communautaire », et ce
alors même que seul l'avocat général - et non la Cour-
s'était prononcé sur cette question. D'autre part, la Cour a
souligné que « les intérêts des
collectivités locales sont suffisamment protégés par la
limitation dans le temps énoncée dans l'arrêt LEGROS
(...) ».
De même, dans l'arrêt DENKAVIT, La Cour s'est
interrogée sur le fait de avoir si les personnes avaient ou non
été « suffisamment informées » de la
portée d'une disposition communautaire »405(*).
Ceci implique d'ailleurs que le domaine du revirement pour
l'avenir soit volontairement réduit aux situations dans lesquelles les
prévisions des justiciables pouvaient jouer un rôle important,
c'est-à-dire principalement les matières contractuelles et
fiscales, les matières délictuelles étant notamment
exclues de ces mécanismes. Ainsi, s'agissant du droit
Américain : « comme l'admet le grand juge TRAYNOR dans un
essai magistral sur les effets des décisions dans le temps, cette
approche va conduire à admettre que la technique de prospective
overrulling concerne essentiellement les domaines du contrat, des droits
réels et du droit fiscal, où les comportements sont très
largement commandés par l'état de la jurisprudence en vigueur. En
revanche, dans le domaine de la responsabilité délictuelle comme
en matière pénale, la prévisibilité jouerait un
rôle minime, de sorte que l'application rétroactive des
revirements de jurisprudence ne serait normalement pas source d'injustice entre
les parties. »406(*)
Cet objectif de prise en compte des effets négatifs de
la norme jurisprudentielle peut toutefois impliquer de mettre en place des
mécanismes de consultation des tiers, soit dans l'optique de comprendre
grâce à un tiers à même d'éclairer la Cour,
soit dans l'optique de permettre à des tiers qui n'ont pas
d'intérêt dans l'instance elle-même d'être
représentés alors que la décision aura des
conséquences qui dépasseront les intérêts des seules
parties au litige. Plus simplement, « dès lors que la
rétroactivité d'une décision semble de nature semble de
nature à générer des conséquences
économiques ou sociales pour des catégories de justiciables qui
ne sont pas représentés à l'instance, la question se pose
de savoir comment la juridiction saisie peut être mise en mesure de les
évaluer »407(*).
Trois remarques s'imposent alors. D'une part,
« l'effet prospectif d'une décision se prête
lui-même le cas échéant au débat public. Avant
d'étendre à des situations passées les effets d'une
situation innovante, surtout lorsqu'elle a une portée
socio-économique importante, il semble éminemment raisonnable
d'entendre les représentants de groupe autre que les parties sur les
conséquences de cette extension. Répondant à ce besoin, la
technique de l'amicus curiae connaît un développement
sensible aux Etats-Unis. Il importe cependant de se rendre compte qu'elle n'est
pas à l'abri du risque d'instrumentalisation par les lobbies, son usage
devant être soigneusement encadré »408(*).
Par ailleurs, « le recours à la technique du
revirement pour l'avenir suppose que les décisions de revirement soient
clairement motivées, tant sur la raison et sur la portée des
changements envisagés que sur l'éventuelle modulation dans le
temps de leurs effets »409(*).
Il faut enfin remarquer que, pour Horatia MUIR-WATT, le mode
de raisonnement du juge, axé sur la prise en compte des effets de la
jurisprudence, a naturellement pour effet de provoquer la disparition du
raisonnement syllogistique au profit d'un mode de raisonnement
conséquentialiste, dans l'optique de prendre en compte les effets de la
norme comme le ferait le législateur, la tendance naturelle du juge
étant d'étendre ce mode de raisonnement non pas seulement
à la modulation de l'effet des revirements dans le temps, mais au
processus d'adoption de norme lui-même : « il semble
difficile en effet d'imaginer qu'une décision de la Cour de cassation
puisse continuer à emprunter une forme syllogistique dès lors
qu'elle s'appuie non pas sur les textes mais sur des considérations
à caractère utilitariste pour décider les effets de sa
décision dans le temps. Et dès lors, par ailleurs, que ce type de
raisonnement s'impose pour les effets dans le temps d'un revirement , il est
difficile de voir comment il pourrait ne pas concerner les modes
d'élaboration et de formulation de l'ensemble des décisions
innovantes, indépendamment de la question de leurs effets dans le
temps »410(*).
a.4)
Le dernier élément à prendre en compte
est le fait que « dans les différents systèmes, c'est
le juge lui-même qui met en place, au cas par cas, les conditions et les
effets de la modulation dans le temps de ses
décisions »411(*). Cela comporte deux aspects.
D'une part, les critères de mise en oeuvre du
revirement pour l'avenir sont laissés à l'appréciation des
juges eux-même, souvent au cas par cas, d'après les effets
négatifs de la décision : impact sur la
sécurité juridique des justiciables, conséquences
économiques des décisions, ... Des lignes directrices peuvent
alors être dégagées, même si l'approche est
essentiellement pragmatique.
Mais le revers de la médaille est que ce
procédé destiné à lutter contre
l'insécurité juridique s'accompagne lui-même,
paradoxalement, d'une certaine incertitude, du fait d'une difficile
systématisation des critères dirigeant l'action des juges. Devant
la Cour de Justice des Communautés Européennes, « la
systématisation des décisions est rendue incertaine : les
relations qu'entretiennent les critères entre eux et leur mise en oeuvre
restent à l'appréciation du juge »412(*). De même devant le
juge Allemand, « il est très difficile de synthétiser
la jurisprudence de la Cour fédérale de Justice sur la question
de la limitation de la rétroactivité de ses revirements de
jurisprudence. Il apparaît plutôt ça et là des
restrictions à cet effet rétroactif, restrictions toujours
fondées sur les notions de sécurité juridique, de
protection de la confiance (Vertrauensschutz) des parties ou de l'une
d'elles, de caractères prévisible ou non du
revirement »413(*).
Ainsi, les rapporteurs se sont attachés à la
mise en évidence de caractéristiques communes au
différents systèmes de modulation des effets des revirements dans
le temps. Outre la possibilité de bénéficier de
l'expérience des autres systèmes juridiques, cette mise en
évidence leur a permis de proposer un système conçu dans
une certaine unité par rapport à des systèmes juridiques
dont les traditions, si elles ne sont pas toujours incompatibles avec la
tradition juridique Française, comme c'est le cas pour l'une des autres
grandes familles du droit Romano-Germanique, n'en sont pas moins souvent
ressentis comme se situant à l'opposé des conceptions classiques
qui ont inspiré le droit Français. En privilégiant des
considérations de sécurité juridique dans un
système s'attachant aux effets du revirement, le rapport semble
s'être attaché à trouver des points communs entre ces
différents systèmes plutôt qu'à réaffirmer
les spécificités du droit Français. « Les
préconisations du rapport pour la mise en oeuvre de la modulation se
rapprochent des traditions étrangères par leur volonté de
pragmatisme, de refus de principes figés et d'appréciation sans
cesse renouvelées des anticipations des parties, qui vont de pair avec
une motivation soigneuse et spécifique »414(*).
Le revirement pour l'avenir à la Française, s'il
doit naître dans le droit fil des propositions du rapport MOLFESSIS, sera
ainsi conçu non pas seulement dans le respect de la tradition juridique
française, mais aussi et peut-être surtout en étant
inspiré par les pratiques des systèmes juridiques de quelques
pays occupant une place privilégiée sur la scène
internationale. Sans être vraiment nouvelle ou rare dans les travaux de
recherche ou les propositions de loi récents, une telle volonté
est suffisamment importante pour devoir être soulignée, quelles
qu'en soient les mérites ou les défauts.
Saluant le recours au droit comparé, Fabrice MELLERAY
écrivait à propos du rapport MOLFESSIS que « les
juristes Français, qu'ils soient d'ailleurs privatistes ou publicistes
nous semblent-ils, ont encore trop souvent tendance à se concentrer sur
l'évocation du « rayonnement » du droit
Français et à s'en féliciter en énumérant
ses « conquêtes » dans les contrées
lointaines. Ce temps nous semble pourtant largement révolu. Pour de
nombreuses raisons impossibles à détailler ici, l'heure doit
être aujourd'hui bien davantage à l'observation des influences
étrangères sur le droit Français qu'à
l'étude du phénomène inverse. Mieux, le droit
comparé nous semble changer de nature. De discipline essentiellement
spéculative, il acquiert une importance pratique beaucoup plus forte. On
ne répètera jamais assez que la globalisation économique
change radicalement les données de la question tant elle implique tout
à la fois la « perméabilisation », la
« compétition », et
l' « harmonisation » des systèmes
juridiques415(*).
Dès lors, il est salutaire d'aller observer ce qui se passe ailleurs,
même si cela n'implique évidemment pas qu'il faille s'en inspirer.
Ne pas le faire reviendrait à se priver de toute opportunité
d'influencer cette harmonisation ou d'occuper le meilleur rang possible dans
cette compétition (car le law-shopping ne devrait cesser de
croître) »416(*).
2) L'étude des cas de modulation de l'effet d'un
arrêt dans le temps par les juges Français eux-même.
Les rapporteurs ont étudié du point de vue de la
méthode l'arrêt « Association Agir contre le
chômage (AC !) et autres » rendu par le Conseil d'Etat le
11 mai 2004417(*), qui a
procédé à la limitation de l'effet d'un de ses
arrêts dans le temps (a) ; ils évoquent par ailleurs un
arrêt rendu par la Cour de cassation dans lequel celle-ci avait
modulé l'effet d'un de ses revirements sur la base d'un texte (b) .
a. les leçons de l'élaboration d'une technique
de modulation de l'effet d'un arrêt dans le temps.
En principe, l'annulation d'un acte juridique comporte un
effet rétroactif : l`acte annulé est réputé
n'avoir jamais existé, puisqu'il n'aurait jamais dû exister. Le
principe n'est pas différent s'agissant des actes administratifs :
leur annulation entraîne la disparition de l'acte de l'ordonnancement
juridique ab initio, avec comme conséquence l'obligation pour
l'administration de faire disparaître toutes les conséquences de
l'acte.
Le 11 mai 2004, dans une affaire aux « lourds enjeux
politiques, sociaux et financiers »418(*) le Conseil d'Etat a pourtant accepté de ne
pas annuler rétroactivement plusieurs actes administratifs :
« saisie de la légalité des arrêtés
portant agrément, d'une part, d'avenants à la convention
d'assurance chômage du 1er janvier 2001 et de ses actes
annexés, et d'autre part, de la convention du 1er janvier
2004 et de ses actes annexés, l'Assemblée a prononcé
l'annulation de l'ensemble des arrêtés attaqués. Elle a
toutefois précisé aussitôt, en justifiant cette modulation
par la nécessaire continuité du régime d'indemnisation du
chômage et par les risques de graves incertitudes pesant sur les
situations des cotisants et des allocataires, que cette annulation ne
remettrait pas en cause le caractère définitif des effets de
l'agrément des avenants à la convention du 1er janvier
2001 et, dans le cas de la convention du 1er janvier 2004, qu'elle
ne produirait ses effets qu'à compter du 1er juillet 2004,
soit quelques semaines après le prononcé de la
décision »419(*).
Le Conseil d'Etat avait ainsi motivé sa
décision : « Considérant que l'annulation d'un
acte administratif implique en principe que cet acte est réputé
n'être jamais intervenu ; que, toutefois, s'il apparaît que cet
effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des
conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet
acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il
était en vigueur que de l'intérêt général
pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient
au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les
observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre
public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la
légalité de l'acte en cause - de prendre en considération,
d'une part, les conséquences de la rétroactivité de
l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en
présence et, d'autre part, les inconvénients que
présenterait, au regard du principe de légalité et du
droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le
temps des effets de l'annulation ; qu'il lui revient d'apprécier, en
rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit
dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet
rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de
prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve
des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre
les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets
de cet acte antérieurs à son annulation devront être
regardés comme définitifs ou même, le cas
échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date
ultérieure qu'il détermine ».
Avant toute chose, il faut préciser qu'il ne s'agit pas
là d'un revirement pour l'avenir : l'objectif est de combattre la
rétroactivité, mais il s'agit de la rétroactivité
de l'annulation d'un acte juridique, et non pas de la
rétroactivité de l'application d'une norme jurisprudentielle. Le
Conseil d'Etat a d'ailleurs, tout comme la Cour de cassation, manifesté
son refus de limiter le champ d'application d'une norme jurisprudentielle
nouvelle420(*).
L'arrêt est toutefois intéressant pour deux
raisons : il intervient dans un certain cadre intellectuel, et il est
intéressant du point de vue de la méthode créée et
employée pour éviter la rétroactivité de
l'annulation.
L'arrêt intervient dans un certain cadre intellectuel.
Comme l'expliquent Claire LANDAIS et Frédéric LENICA,
l'arrêt marque une étape importante dans une évolution en
cours. Le juge administratif a en effet commencé à
« s'intéresser de plus en plus étroitement aux
conséquences de ses décisions et faire entrer dans son office la
responsabilité de veiller à « l'après-jugement.
(...) Trois objectifs, qui se recoupent parfois largement, paraissent
alors le guider : rendre des décisions qui puissent être
aisément être exécutées, éviter que ces
décisions soient excessivement déstabilisatrices pour les
situations juridiques constituées et, enfin, concilier efficacité
de la justice et intérêt général »
421(*). Bref, si
l'arrêt AC ! est intéressant pour le débat sur la
rétroactivité de la jurisprudence, c'est avant tout parce qu'il
répond à des préoccupations analogues : il s'agit de
créer ou d'améliorer des mécanismes permettant
d'éviter les conséquences négatives de la
rétroactivité d'une décision de justice, entre autre pour
la sécurité juridique.
Ensuite, les rapporteurs ont cherché à mettre en
évidence plusieurs caractéristiques pouvant être
extrapolées au débat sur la rétroactivité de la
jurisprudence. Il en ont trouvé six. La première est le fondement
de ce procédé nouveau. « Ce pouvoir de modulation est
rattaché à « l'office du juge ». dans son
ensemble. Dans une note sollicitée par le président de la section
du contentieux avant l'arrêt AC !422(*), Jacques-Henri STAHL et Anne COURREGES affirment
ainsi que cette évolution ne nécessite pas l'intervention du
législateur, la maîtrise du dispositif de la décision
d'annulation entrant dans le champ de la compétence du juge423(*)
Toutefois, le parallèle n'est pas total, car le
procédé « apparaît (...) comme l'accessoire
général dont tous les juges administratifs de l'annulation
disposent pour faire face à une situation exceptionnelle de
déséquilibre patent des intérêts en présence,
et non comme un privilège singulier du juge de cassation, justifiable
par les traits particuliers de sa mission. Sous ce rapport aussi, le
problème abordé par le Conseil d'Etat dans l'arrêt
AC ! possède une nature différente de celui que pose le
revirement de jurisprudence »424(*).
Ensuite, la méthode est intéressante :
l'arrêt choisit de procéder à un bilan entre les avantages
et les conséquences négatives de la rétroactivité
de l'annulation, ce qui permet au juge de maintenir la
rétroactivité de l'annulation, de renoncer à faire
rétroagir celle-ci, et (ou) de reporter la date de l'annulation.
Tout d'abord, la rétroactivité reste le
principe : « L'arrêt AC vise à offrir au juge un
moyen exceptionnel, d'usage profondément dérogatoire. Où
l'on retrouve à nouveau le fait que le principe reste posé du
caractère rétroactif de l'annulation, qui demeure un droit pour
le requérant. La mention expresse du « droit des justiciables
à un recours effectif » apporte à cet égard un
éclairage important : la rétroactivité de l'annulation est
manifestement conçue, par le Conseil d'État lui-même, comme
un élément majeur (voire comme la condition
générale) de l'effectivité du recours en excès de
pouvoir au sens - notamment - de l'article 13 de la Convention
européenne des droits de l'Homme. Il est donc prévu de ne porter
atteinte à ce droit que lorsque des conditions très
particulières sont réunies »425(*).
La modulation est conçue comme le moyen
d'éviter des effets négatifs, et non pas comme un
procédé lié par nature à l'annulation
elle-même : « le juge n'est habilité à
[procéder à la modulation de l'annulation] que lorsque des
conséquences « manifestement excessives » apparaissent
attachées au maintien d'un effet rétroactif à
l'annulation. Cet « excès manifeste » est susceptible
d'apparaître lorsque l'acte attaqué a déjà produit
des effets juridiques importants au moment où le juge prononce sa
sentence : d'autres normes sont nées sur son fondement, des situations
juridiques se sont constituées, etc. Le cas d'espèce de
l'arrêt AC est très illustratif à cet égard :
l'annulation de l'acte ministériel d'agrément des conventions
d'assurance-chômage en cause aboutissait à remettre en question le
jeu, déjà pleinement effectif, desdites
conventions. »426(*)
Mais, ces effets négatifs n'étant finalement
pas autre-chose que les effets de toute annulation d'un acte illicite, seul un
bilan entre plusieurs aspects de l'annulation permettra de déterminer la
nécessité de la modulation : « le juge n'est
habilité à décaler la prise d'effet de sa décision
d'annuler l'acte qu'après avoir procédé à un test
de proportionnalité particulièrement scrupuleux. On l'a dit, le
différé dans le temps de la prise d'effet d'une annulation pour
excès de pouvoir prive le requérant d'un élément
fort de son droit à un recours effectif. Le juge ne doit donc s'y
résoudre qu'au prix d'une très sérieuse mise en balance
des intérêts - « publics et privés » en cause de
part et d'autre »427(*) ; d'autre part, le juge doit examiner
« les inconvénients que présenterait, au regard du
principe de légalité et du droit des justiciables à un
recours effectif, une limitation dans le temps des effets de
l'annulation »428(*).
« Là encore, le contexte de l'arrêt AC
est topique : l'acte annulable n'était illégal que pour des
raisons d'ordre procédural et non de fond, son annulation
rétroactive eût emporté des conséquences
financières catastrophiques pour la collectivité, elle aurait
placé les acteurs de l'assurance-chômage dans
l'impossibilité de percevoir les cotisations et de verser les
prestations... Tout bien pesé, il paraissait donc proportionné de
laisser un délai aux partenaires sociaux pour régulariser ce qui
pouvait l'être sans grand dommage pour le droit des requérants -
et ce d'autant plus que le principe d'un « recalcul » de leurs droits
était pleinement acquis. »
Les moyens d'éviter les conséquences
négatives de l'annulation ont également intéressé
les rapporteurs : « Si sa conviction est acquise, à
l'issue de cette démarche, le juge administratif peut prononcer une
annulation dépourvue d'effet rétroactif. Celle-ci peut se
concevoir ex nunc, à la date de l'arrêt, mais elle peut
également se voir reporter pro futuro, à une date
ultérieure précisée dans la sentence. L'idée est
ici d'ouvrir, lorsque c'est possible et utile, un délai de
régularisation permettant à l'administration de remédier
à l'illégalité dans des conditions pratiques acceptables
de réélaboration d'un acte licite. Cela peut permettre, en
particulier, d'éviter les effets pernicieux du « vide »
né de l'annulation. Dans le cas de l'assurance-chômage, par
exemple, on ne disposait pas commodément d'un fondement juridique de
substitution au système conventionnel privé de son
applicabilité par l'annulation contentieuse. L'annulation
rétroactive aurait posé un problème considérable
à la collectivité comme aux partenaires
sociaux »429(*).
Mais deux garanties doivent alors être apportées
aux justiciables, non seulement le justiciable concerné directement par
le litige, mais encore tout autre justiciable pouvant demander l'annulation ou
l'ayant demandée. La première permet aux différentes
parties de défendre leur point de vue, et vise à respecter le
principe du contradictoire, avec un enjeu particulièrement importants -
le refus de tirer les conséquences de l'illégalité d'un
acte juridique qui devrait entraîner son annulation : « le
juge ne peut moduler les effets de l'annulation dans le temps qu'après
avoir invité les parties en présence à en discuter avec
lui. Le test de proportionnalité n'est pas seulement constitué
par la délibération intérieure du juge : il résulte
aussi, et peut-être surtout, d'une discussion contradictoire des parties.
Il en résulte que le juge administratif est dans l'obligation de
provoquer cette discussion, au cours de la procédure, dans des
conditions de transparence et de délais propres à garantir un
échange éclairé de tous sur l'opportunité de
renoncer à l'effet rétroactif de l'annulation. On voit ici se
profiler l'idée d'une délibération dans la
délibération, d'un échange contentieux portant non plus
sur le bien-fondé des prétentions des parties, mais sur la
gestion des conséquences pratiques de la décision à
prendre. »430(*)
La modulation de l'annulation est ensuite placée dans
une perspective purement individuelle : elle n'aura pas d'effet erga
omnes : « Cette modulation dans le temps reste (...)
dépourvue d'incidence sur le sort des autres actions contentieuses
déjà engagées, en particulier contre les actes
administratifs subséquents à l'acte annulé. Pour les
requérants au procès intenté contre un tel acte
subséquent, l'annulation du règlement qui lui tenait lieu de
fondement est toujours rétroactive. C'est de nouveau leur droit que de
faire constater la disparition ab initio de ce règlement, et
donc de pouvoir solliciter l'annulation, par voie de conséquence, de
l'acte d'application qu'ils avaient précédemment
attaqué. »431(*)
Bref, répondant à des préoccupations
analogues, l'arrêt AC ! donne plusieurs pistes de réflexions
aux rapporteurs dans l'élaboration d'un droit transitoire destiné
à éviter les effets négatifs de la
rétroactivité de la norme jurisprudentielle. Rappelant
l'importance du droit à l'exécution d'une décision de
justice, le Conseil d'Etat, dans l'optique de redéfinir l'office du
juge, a rappelé que la modulation ne doit concerner que les parties
à l'instance, tout en restant un mécanisme d'exception
destiné à éviter des effets dévastateurs là
où il n'est pas capital de faire exécuter la décision,
cette décision devant être entourée de certaines garanties
procédurales.
b. La modulation d'un revirement de jurisprudence sur la base
d'un texte.
Comme l'explique Christian MOULY, la Cour de cassation a fait
une tentative en ce sens en 1988, pour éviter qu'un de ces revirements
de jurisprudence dans le domaine bancaire n'ait des conséquences
excessives : « La Cour de cassation a limité dans le
passé son interprétation de l'article 1907 du Code civil dans un
arrêt original du 12 avril 1988432(*). Elle jugeait depuis le milieu du
XIXème siècle que l'article 1907 du Code civil qui
impose d'indiquer le taux de l'intérêt conventionnel ne s'applique
pas au compte-courant. Le 9 février 1988, elle changea son
interprétation433(*).Les banques qui avaient prélevé des
intérêts débiteurs sur les comptes de leurs clients pendant
des décennies sans en indiquer le taux, conformément à la
solution alors admise, auraient dû les rembourser à compter du 9
février 1988 puisque l'interprétation de ce texte
changeait. »434(*). Or, comme le note l'auteur dans un autre article,
« le Ministère des finances a évalué à
cinquante milliards de francs le coût de la rétroactivité
de cette décision. C'est la somme qu'auraient du rembourser les banques
à leur clients pour avoir prélevé des
intérêts sans en avoir indiqué le taux au préalable,
si tous leurs clients en avaient demandé la
répétition. »435(*)
« Pour éviter cette conséquence
injuste, il a fallu le stratagème intégré dans
l'arrêt du 12 avril 1988 faisant croire que l'article 1097, alinéa
2 du Code civil, en vigueur depuis 1804, n'était applicable au
compte-courant que depuis un décret de 1985 ! Il lui a fallu
affirmer contre le texte même « que la loi du 28
décembre 1966 n'était pas applicable avant l'entrée en
vigueur du décret du 4 septembre 1985 (...) lorsqu'il s'agissait d'un
découvert en compte »436(*). Il a fallu aussi une suite de solutions
incohérentes sur l'article 1906 du code civil. La résistance de
certaines Cours d'appel atteste l'insatisfaction que font naître ces
procédés ».437(*)
Ce faisant, la Cour de cassation a donc accepté de
moduler dans le temps les conséquences des revirements de jurisprudence,
se basant pour cela sur une interprétation extensive d'un texte proche
dans le temps qui pouvait fonder sa solution, en évinçant le
texte fondant l'ancienne interprétation.
Ce procédé, aussi efficace soit-il, n'a pourtant
jamais été repris dans d'autres arrêts ; Au contraire,
la Cour de cassation assume aujourd'hui pleinement les effets de ses
revirements, les impératifs de l'évolution de la jurisprudence
primant. Un arrêt rendu par la chambre sociale438(*) illustre d'ailleurs
parfaitement cet état d'esprit. En l'espèce, un revirement de
jurisprudence avait requalifié contrat de travail la relation
contractuelle entre un locataire de véhicule taxi et la
société propriétaire. Le pourvoi invoquait, entre autre
argument, le coût de ce revirement, qui remettait potentiellement en
cause la qualification de tous les contrats conclus par cette
société, alors même que ces contrats avaient
été conclus au vu et au su des « administrations
concernées », et que la qualification n'avait
été remise en cause que devant la Cour de Cassation ; la
Société affirmait donc ne pas être en mesure,
raisonnablement, de prévoir cette remise en cause. La chambre sociale ne
s'est pas directement préoccupé de cet argument, se contentant
d'expliquer que le moyen, « en ce qu'il se contente d' invoquer
une interprétation jurisprudentielle nouvelle, manque en
fait ».
Le rapport MOLFESSIS critique toutefois ce
procédé : le « report de la solution nouvelle sur
le fondement d'un texte qui permette au juge de limiter l'effet
rétroactif de sa décision » est
« difficilement praticable ». Comme le faisait remarquer un
auteur, il n'est pas toujours possible de fonder ce revirement sur un texte
suffisamment proche dans le temps du revirement pour éviter les effets
dévastateurs des effets d'un revirement de jurisprudence. « En
toute hypothèse, il n'est rien d'autre que la marque de la
volonté de la part de la Cour de moduler les effets dans le temps de ses
décisions : autant qu'elle puisse parvenir à cette fin sans
emprunter des voies indirectes et souvent chaotiques. »439(*)
§ II / Un droit transitoire original pour une norme
particulière.
En 1968, Jean RIVERO, expliquant que « le juge ne
peut, dans un seul et même arrêt, formuler une règle
nouvelle et appliquer, à la solution de l'espèce, la règle
antérieure, car la seule justification de son pouvoir normatif
réside précisément dans la nécessité
où il se trouve de donner, à la décision qu'il va prendre,
le fondement d'une règle générale »,
écrivait que « la technique d'édiction de la
règle juridictionnelle, qui lie formulation de la règle et
application à l'espèce, le condamne à la
rétroactivité : la sécurité juridique se
trouve ici nécessairement sacrifiée au progrès du
droit »440(*).
Trente-cinq ans plus tard, le Rapport MOLFESSIS, pour passer
outre cet obstacle, décidait de reconnaître officiellement le
rôle normatif de la jurisprudence. Cette reconnaissance, accomplie sans
pour autant résoudre le problème du fondement de la règle
jurisprudentielle, permettait au rapporteurs d'élaborer un
système de droit transitoire pour la jurisprudence441(*) construit sur quatre
piliers : sécurité juridique, prise en compte des effets du
revirement de jurisprudence, approche individuelle, au cas par cas, et
redéfinition partielle du revirement pour mieux appréhender le
domaine de ce droit transitoire, l'ensemble étant conçu comme un
mécanisme d'exception. Mais cette reconnaissance de l'existence de la
règle jurisprudentielle est faite pour des objectifs limités et
précis ; elle oblige à construire un système de droit
transitoire, mais il n'est pas prévu qu'elle ait d'autre
conséquence.
Bref, des caractères qui ne sont pas vraiment ceux du
droit transitoire moderne, pour une norme bien différente de la norme
législative, objet de la théorie des conflits de lois dans le
temps. Si la Cour de Cassation suit les propositions du Rapport, le droit
transitoire pour les revirements de jurisprudence serait donc construit, pour
paraphraser les termes du rapport, par comparaison avec la théorie des
conflits de lois dans le temps, mais sans assimilation.
Les propositions du Rapport MOLFESIS visent d'une part
à donner à ce droit transitoire un objet bien précis, le
revirement de jurisprudence dangereux pour la sécurité juridique
(A) , puis à appliquer une méthode de travail visant à
séparer la création de la norme nouvelle et son application au
cas d'espèce qui lui a permis de naître (B) .
A. Le domaine du revirement pour l'avenir.
C'est ici qu'apparaît la première
différence avec la théorie des conflits de lois dans le temps.
Celle-ci traite d'une norme codifiée constitutionnellement, dans un
souci de systématisation. Le rapport MOLFESSIS, traitant d'un
phénomène naturellement multiforme, aux contours parfois flous et
controversés (1) , a préféré proposer de
conditionner l'utilisation d'une certaine méthode au caractère
dangereux de cette norme, dans une logique de réaction face aux effets
négatifs de la rétroactivité du revirement (2) .
1) Les difficultés pour identifier la norme objet
du droit transitoire.
Face aux difficultés tenant à l'identification
du revirement, depuis longtemps soulignées par la doctrine (a) , le
rapport MOLFESSIS a entendu adopter une solution pragmatique, ne donnant par
ailleurs que des indications quant à l'identification du revirement.
Mais en évitant de donner un critère précis, le rapport
laisse le justiciable dans une certaine insécurité (b) .
a. Une norme dont l'identification reste
problématique.
Pour rappeler la nécessité de l'identification
de la norme issue du revirement, le rapport cite le Doyen ROUBIER : «
N'y aurait-il pas lieu [...] de définir la portée d'application
des jurisprudences nouvelles ? Cependant il faut bien convenir qu'il existe un
obstacle insurmontable dans notre droit : c'est l'impossibilité
où l'on est de déterminer, avec une précision suffisante,
le moment où la jurisprudence est fixée ; on ne peut, pour cette
raison, assimiler le changement qui se produit dans le droit des arrêts
à un changement de loi »442(*). Une lueur d'espoir surgit heureusement lorsque
l'auteur ajoute : « Peut-on envisager qu'une jurisprudence nouvelle
n'ait d'effet que pour les faits ou les situations postérieurs au jour
où elle a été dégagée ? Ce serait sans doute
possible, dès l'instant que l'on peut dater la nouvelle jurisprudence,
grâce au principe de l'autorité immédiate des
décisions, et ainsi on pourrait assimiler le traitement des changements
de jurisprudence à celui des changements de législation ».
Bref, il faut, par hypothèse, savoir précisément ce qu'est
un revirement pour élaborer un droit transitoire des revirements de
jurisprudence.
Cet objectif étant précisé, le
problème reste la difficulté à donner un critère
précis permettant d'identifier ce qu'est un revirement de jurisprudence.
« Certes, le revirement de jurisprudence renvoie à un
changement de la règle applicable au litige sous la seule action du
juge. Il manifeste « l'abandon par les tribunaux eux-mêmes d'une
solution qu'ils avaient jusqu'alors admise »443(*). On admettra donc sans peine
que, pour qu'il y ait revirement de jurisprudence, le changement ne doit pas
pouvoir être imputé à l'action d'une autre autorité
- un changement formel de la loi applicable, par exemple. Mais au-delà
de ces considérations élémentaires, il règne une
grande incertitude. Or de telles difficultés, ainsi qu'il vient
d'être rappelé, doivent impérativement être
levées si l'on entend que le revirement fasse l'objet d'un régime
ad hoc. »444(*)
Cette difficulté à identifier
précisément le revirement de jurisprudence parmi toutes les
aspects du phénomène jurisprudentiel, la doctrine l'a
déjà éprouvée depuis fort longtemps et ne semble
pas, pour le moment, parvenir à trouver de critères
précis. Avant même de parler de revirement, la jurisprudence
elle-même fait l'objet de débats quant à ses
caractéristiques exactes. Ainsi, comme l'explique le Professeur
Catherine PUIGELIER445(*), la notion de jurisprudence est censé
être caractérisé par la rupture dans une jurisprudence
constante. Or, à quoi renvoie cette notion de constance ? Souvent,
la constance de la jurisprudence est perçue comme liée à
un phénomène de répétition, provoquant un
parallèle entre la jurisprudence et la coutume. Ce parallèle est
d'ailleurs renforcé par l'élément d'adhésion
nécessaire à l'existence de toute règle
jurisprudentielle : « la règle jurisprudentielle se
consolide lorsque la solution est acceptée par les usagers,
spécialement par les juristes. On les a même parfois confondues en
tant que telle, n'existe pas : il n'y aurait que des règles
coutumières dont la formation est provoquée par les
décisions judiciaires »446(*). Mais dans le même temps, une jurisprudence
constante peut naître sans répétition : c'est parce
qu'une décision unique peut former une jurisprudence constante
« qu'il a fallu inventer la distinction entre l'arrêt de
principe (porteur de constance probable) et l'arrêt d'espèce
(entaché d'incertitude) . Ainsi, la véritable frontière
n'est pas entre un et plusieurs, mais elle passe entre l'incertitude et la
constance »447(*) « Enfin, Emile GARCON avait écrit
que les arrêts ne se comptent pas, « ils se pèsent et
s'apprécient ». Autant dire que la constance en droit ne
signifie pas toujours répétition, que le temps est là
trompeur, que la constance créatrice peut être paradoxalement
instantanée, se réduire à la force d'un message
plutôt qu'à la seule répétition de
celui-ci »448(*).
En 1984, le Professeur Christian ATIAS449(*) expliquait que
« pour que la qualification d'arrêts de principe constitue la
reconnaissance du pouvoir normatif de la jurisprudence, il faudrait que ces
décisions fussent véritablement porteuses d'un principe. Leur
force découlerait alors de leur signification dépourvue
d'ambiguïté pour l'avenir ; Les arrêts de principe
serait ceux qui donneraient directement vie à un principe de droit
applicable tel quel. Il n'en est pas toujours ainsi ; il se peut
même qu'il en soit très rarement ainsi. Dans bien des cas, le
principe est plus ou moins mêlé à d'autres significations
de l'arrêt. Celle qui devient dominante ne l'emporte que pour des raisons
relativement extérieures à la décision
elle-même ». L'auteur explique ainsi que les
« arrêts de principe »sont en réalité
des « arrêts à principe », souvent porteurs
non d'un principe indiscutable, mais de plusieurs significations possibles. Les
« arrêts de principe » sont même souvent des
arrêts d'espèce qu'il n'est pas possible d'étudier
indépendamment du contexte dans lequel ils sont rendus, des
circonstances de l'affaire...
Bref, même si l'on part du postulat que la norme
jurisprudentielle existe de façon autonome, restent des
difficultés pour identifier cette norme, issue d'un
phénomène complexe et multiforme, difficultés qui
devraient être résolues avant d'élaborer un régime
pour l'application de cette norme dans le temps.
Si ces difficultés devaient être résolues,
Christian ATIAS rappelle encore que le revirement lui-même est un
phénomène multiforme qui ne peut être
appréhendé de la même façon que la norme de droit
écrit : « Les revirements de jurisprudence sont
extrêmement différents les uns des autres. Il est douteux qu'une
seule et même règle puisse régir heureusement leurs effets.
Gardons nous de la trompeuse simplicité des principes ! La
modification de l'interprétation d'une disposition - approfondissement,
clarification, affinement - ne peut probablement pas être traitée
comme l'abandon pur et simple d'un principe consacré. Dans l'une et
l'autre hypothèse, la distance qui sépare la règle
ancienne de la règle nouvelle est incomparable. Elle est encore accrue
lorsque le revirement s'explique, moins par une amélioration
supposée de l'analyse, que par un changement du fait social ou
idéologique »450(*).
« Aux côtés de la technique de
cassation, divers phénomènes peuvent encore participer à
la découverte d'un faux revirement de jurisprudence. Parmi ceux-ci, on
peut citer le raisonnement par analogie ou le raisonnement par syllogisme qui
sont l'occasion de beaucoup d'incertitudes de compréhension - et l'on
sait que la matière juridique utilise beaucoup ces deux types de
raisonnement - , tout comme d'ailleurs les mots dont la place dans une phrase
peut faire fortement varier l'interprétation, tout comme encore
l'époque, l'environnement juridique, la politique judiciaire
adoptée qui peuvent faire varier le sens d'une phrase, d'un paragraphe,
d'un attendu. A ce point donné, démêler ce qui
relève du revirement ou non est loin d'être facile, même
pour les magistrats suprêmes. Parce qu'il est en effet des cas où
il ne s'agira en effet que d'une simple divergence - et non d'un revirement -
due (à nouveau) à une technique de cassation parfois difficile
à comprendre, à des faits sensiblement différents,
à des griefs soulevés différemment, à des
raisonnements et mots utilisés de façon différente. Bien
mieux, il peut n'être parfois question que d'une précision, d'un
point de droit déjà adopté de longue date, soit parce que
le problème ne s'était pas posé sous cet angle là,
soit parce qu'un fait nouveau pouvait autoriser les magistrats à
préciser, affiner la position qui étaient la
leur »451(*).
Mais la difficulté la plus subtile reste probablement
qu'au delà des faits bruts, la perception de ces faits compte aussi
beaucoup. Comme le note très justement Philippe MALAURIE,
« une divergence de jurisprudence, un flottement de jurisprudence, et
même un revirement de jurisprudence auxquels la doctrine ne s'est pas
intéressée n'existent pratiquement pas »452(*). Catherine PUIGELIER
explique de façon plus mesurée, que « dans ce domaine,
la doctrine joue un rôle considérable
d'interprétation ; c'est chaque jour qu'elle révèle
des bouleversements qui n'en sont pas vraiment »453(*).
Vincent HEUZE, enfin, rappelle « la grande
diversité du phénomène jurisprudentiel », mais
aussi « l'extrême complexité du processus qui, du
fondement parfois implicite de la solution retenue à l'occasion d'un
litige, donné, aboutit à la croyance éventuelle du corps
social en l'existence d'une règle véritable, et qui
résulte tout à la fois de l'attitude ultérieure de
l'ensemble des juridictions, souvent partagées entre l'ignorance,
l'adhésion la résistance et la résignation, des
commentaires de la doctrine savante, eux-mêmes constitués
d'extrapolations, de critiques, de réserves, d'approbations et de
justifications, et enfin des synthèses plus ou moins fiables qu'en
offrent les ouvrages de vulgarisation, la presse, spécialisée ou
non, et les représentants des syndicats ou des associations les plus
diverses »454(*).
Bref, le problème du revirement de jurisprudence, et
plus largement de la norme jurisprudentielle, reste la difficulté
à le caractériser de façon vraiment précise, aussi
bien dans l'abstrait que dans chaque cas particulier, pour chaque
précédent ; mais surtout, il est difficile de le
caractériser d'une façon qui soit universellement admise par les
acteurs du droit. Dès lors, si la doctrine, dont la raison d'être
est en partie de systématiser les phénomènes du droit ne
parvient pas à s'entendre, la question se pose de savoir si les juges
eux-même, au quotidien, lorsque la question de la limitation des effets
d'une norme dans le temps se posera, parviendront à s'entendre sur la
portée, le sens, ou les limites de la ratio decidendi...
Ces difficultés ne pouvaient échapper aux
rapporteurs eux-même : « la notion même de
revirement est sujette à débat. Faut-il parler de revirement
lorsque la nouveauté introduite par le juge n'induit pas,
concrètement, un changement de situation dans la personne même des
justiciables ? La question mérite d'être posée si l'on
songe aux hypothèses dans lesquelles l'innovation porte sur le fondement
retenu par le juge pour asseoir une solution. (...) Faut-il parler de
revirement lorsque la Cour de cassation choisit de paralyser le jeu des clauses
limitatives de responsabilité, non plus par une interprétation
extensive de la faute lourde - assimilée au dol (article 1150 c. civ.) -
mais sur le fondement de la cause (art. 1131 c. civ.) ?
Ensuite, parce que les évolutions jurisprudentielles,
comme on l'a vu, sont souvent progressives, de telle sorte que la rupture avec
la solution antérieure est parfois difficile à repérer ou
à dater. Comme le souligne François RIGAUX455(*) : « Seul le
renversement d'une jurisprudence établie donne à la solution un
caractère non douteux de nouveauté. Mais il est plus difficile de
décider si la Cour énonce une règle nouvelle quand elle
étend le raisonnement déjà suivi dans des décisions
antérieures. A peine est-il besoin d'ajouter que, sauf dans le cas
exceptionnel où la Cour renverse explicitement sa jurisprudence, le
degré de nouveauté du précédent est difficile
à évaluer »456(*).
Mais le fait de s'entendre sur la question de savoir s'il y a
un revirement ne serait qu'une première étape ; au
delà du fait de savoir s'il y création d'une nouvelle norme,
reste la détermination de la portée et le sens de la solution
voire son existence même. Sur ce dernier point, le Rapport note que
« si le revirement de jurisprudence suppose l'existence d'une
jurisprudence457(*) et
son abandon, ce simple truisme recèle souvent, en pratique, nombre de
difficultés. »
« L'incertitude se manifeste lorsque la rupture est
le fait d'une formation différente de celle qui avait consacré la
solution admise jusqu'alors. On pourrait fort bien, en effet, être en
présence d'une divergence de jurisprudences entre chambres et non d'un
revirement. Ainsi, selon Vincent DELAPORTE458(*) : « Pour qu'il y ait revirement, il faut que la
solution nouvelle s'oppose à une règle de même origine
jurisprudentielle, de la même juridiction et [...] de la même
formation. Car si les solutions opposées proviennent de
différentes formations de la Cour de cassation, il y a une contradiction
qui, si on peut se permettre un parallèle avec la contradiction de
motifs, équivaut à une absence de jurisprudence ».
Le fait qu'une chambre retienne une solution différente
de celle jusqu'alors consacrée par une autre ne signifie en effet pas
nécessairement qu'il y ait revirement de la Cour de cassation en son
entier ; celle-ci peut se trouver divisée.
Symétriquement, faut-il s'interdire de parler de
revirement de jurisprudence lorsqu'une formation supérieure de jugement
vient, de manière plus ou moins disciplinaire, mettre fin à de
telles discordances ?»459(*)
Le Rapport évoque ensuite quelques difficultés
techniques pouvant surgir quant à la portée de la solution :
« l'incertitude se manifeste lorsque l'on est conduit à
hésiter sur la portée de la solution, en raison de
l'imprécision de ses termes et des interrogations qu'ils
soulèvent. De très nombreuses illustrations pourraient en
être apportées, qui témoignent des difficultés
d'interprétation que peuvent provoquer les décisions de la Cour
de cassation.
Ainsi en a-t-il été de la solution
inaugurée par l'arrêt ROCHAS de la Chambre commerciale de la Cour
de cassation en matière de responsabilité du fait d'autrui.
Celle-ci a en effet jugé, par un arrêt du 12 octobre 1993, que la
responsabilité du préposé ne pouvait être
engagée lorsque celui-ci agit dans le cadre de la mission qui lui est
impartie par son employeur, là où auparavant il se trouvait tenu
avec le commettant. Or, non seulement l'arrêt n'émanait pas de la
deuxième Chambre civile mais encore il semblait ambigu, parce que rendu
sur le fondement de la faute et donc de l'article 1382 du Code civil.
D'où des lectures dissemblables: certains ont considéré
que l'arrêt constituait un revirement ; d'autres ont estimé qu'il
s'agissait uniquement d'une solution d'espèce, limitée à
la question de la faute commise par le préposé. C'est
l'arrêt COSTEDOAT de l'Assemblée plénière du 25
février 2000 qui lèvera les doutes.
On rangera également sous cette bannière les
arrêts dans lesquels les conclusions ou le rapport font croire à
un maintien de la jurisprudence antérieure alors que la solution
nouvelle semble ne pas être en continuité avec celles qui l'ont
précédée. Le changement est alors dissimulé ou
minoré, le dogme de la continuité jurisprudentielle pouvant
conduire à ce que les ruptures soient masquées.
Dans un registre différent, il faut compter aussi avec
les difficultés de qualification qu'entraîne l'adoption, par la
Cour de cassation, d'une solution qui, pour être nouvelle, ne constitue
pas expressément l'abandon d'une solution ancienne. Il en est notamment
ainsi lorsqu'elle n'a pas eu, antérieurement, l'occasion de statuer sur
la question soulevée. A proprement parler, on n'est pas en
présence d'un revirement faute d'abandon d'une solution
antérieure. Mieux vaut évoquer un aboutissement. Mais de nouveau,
est-ce suffisant pour faire sortir cette décision-là
»460(*).
On relèvera enfin que « la procédure
de la Cour de Cassation est elle-même assez opaque. Peu de textes la
réglementent et elle résulte pour une large part des usages du
palais ou des incitations issues de la lettre du premier président.
C'est ainsi que les modifications de procédure issues des condamnations
de la France par la Cour Européenne des droits de l'homme ont eu lieu
sans texte, « en interne ». »461(*)
b. Les propositions du rapport MOLFESSIS pour remédier
à l'imprécision de revirement.
Le groupe de travail a proposé de développer une
réflexion sur un sujet qui ne concerne pas directement la modulation
dans le temps des revirements de jurisprudence, mais qui influe sur la notion
de jurisprudence : en effet, il « déplore les
difficultés de repérage qui résultent de
l'hétérogénéité de la jurisprudence de la
Cour de cassation. Aux divergences entre chambres, s'ajoutent les risques de
disparités de solutions entre formations d'une même
chambre »462(*). Il a également de proposer de revenir sur
les techniques de motivation des arrêts. Mais ces thèmes seront
développé plus longuement dans une deuxième section,
relevant plus de la lutte contre l'imprévisibilité de la
jurisprudence que de la lutte contre sa rétroactivité.
Le groupe de travail a également fait plusieurs
propositions afin de faciliter l'identification des revirements - dans
l'optique de la seule modulation dans le temps du revirement ou dans une
optique plus générale - en remodelant leur visage, afin que
celui-ci ne soit plus que le fait des juridictions les plus haut
placées. Il affirme tout d'abord que « Le pouvoir de moduler
les effets dans le temps des revirements de jurisprudence doit appartenir
exclusivement à la Cour de cassation », justifiant ce choix
par l'idée que « le pouvoir de moduler les effets dans le
temps des revirements de jurisprudence doit être compris comme
résultant strictement de l'office du juge de cassation. Il ne saurait
être dévolu aux juges du fond.
Plusieurs arguments essentiels justifient ce choix. Le plus
important d'entre eux tient sans doute au fait que c'est bien la
rétroactivité d'un revirement de jurisprudence qu'il s'agit de
moduler. Or il ne saurait y avoir de jurisprudence judiciaire, au cas ici
visé, que de la seule Cour de cassation. La faculté de moduler
dans le temps les décisions de revirement est attachée au pouvoir
créateur du juge.
Au demeurant, une exigence d'égalité de
traitement des justiciables renforce cet exclusivisme. De la même
manière que la Cour de cassation a pour mission d'assurer l'unité
de l'interprétation de la règle, elle doit assumer l'unité
de son application dans le temps.
A quoi il faut ajouter que l'exigence de
sécurité juridique milite à son tour pour qu'un tel
pouvoir soit reconnu à la seule Cour de cassation, condition sine
qua non pour que les anticipations légitimes, que la réforme
ici envisagée entend protéger, soient
garanties »463(*).
Mais outre cet appel à la discipline des juges du fond,
le Rapport MOLFESSIS envisage également cette optique
hiérarchique du revirement de jurisprudence pour la Cour de cassation
elle-même : « Le pouvoir de procéder à un
revirement de jurisprudence comme le pouvoir d'en moduler les effets temporels
doivent être réservés aux formations de jugement aptes
à assurer l'unité d'interprétation de la règle au
sein de la Cour de cassation (Assemblée plénière, Chambre
mixte, plénières de Chambre)
Le Groupe de travail estime que le revirement lui-même
et donc par voie de conséquence la décision consécutive
portant sur son éventuelle modulation dans le temps doivent relever
d'une décision sans ambiguïté de la Cour de cassation. Parce
que le revirement traduit un choix et exprime le pouvoir créateur de la
Cour de cassation, un devoir de cohérence et l'exigence de certitude du
droit militent pour que des formations restreintes (formations à trois,
formations de sections) ne s'arrogent pas le pouvoir de procéder
à un revirement de jurisprudence.
Il importe en effet que la décision de moduler les
effets d'un revirement présente des caractéristiques suffisantes
de certitude et de stabilité. Indépendamment même de la
gravité de tout changement de jurisprudence et de la solennité
qui s'attacherait à l'éventuel prononcé d'une
décision visant à en limiter l'effet rétroactif, il faut
considérer qu'une contradiction interne entacherait la solution si elle
devait être incertaine ou fragile, puisqu'il s'agit de contribuer
à la sécurité juridique »464(*).
Cette idée, qui permettrait de mieux maîtriser le
revirement en ne le confiant qu'à quelques juges et uniquement dans une
optique hiérarchique, n'est pourtant pas sans
inconvénients : « elle exclut les formations de section
et leur compétence technique particulièrement
aiguës »465(*).
Le groupe de travail propose également de
préciser le domaine de la modulation dans le temps des revirements de
jurisprudence. Pour cela, il refuse ce qui avait été
demandé par une partie de la doctrine466(*), mais
également par le MEDEF467(*) dans l'avis remis au groupe de travail, et
cantonne le champ de la modulation dans le temps aux seuls revirements de
jurisprudence, et non à l'apparition de toute solution nouvelle. Ce
cantonnement de la modulation dans le temps aux seuls revirements de
jurisprudence permettrait ainsi de ne pas étendre ce qui consiste,
quelles qu'en soit les raisons, en un refus d'appliquer une règle qu'on
estime meilleure. En outre, il est inspiré par un souci de
rigueur : « Le revirement seul corrode la présomption de
vérité attachée à la chose
jugée »468(*).
Xavier BACHELLIER et Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER,
commentant les propositions du rapport, ont cependant regretté ce
choix : « La réflexion sur ce point ne doit pas, selon
nous, se limiter aux revirements proprement dits qui supposent une solution
antérieure contraire clairement affirmée mais doit
s'étendre à l'émergence d'une solution nouvelle dans un
domaine où auparavant la question ne s'était pas posée
parce que les effets nocifs de la rétroactivité peuvent
être les mêmes dans les deux cas »469(*).
Mais ces propositions ne concernent que des points
particuliers. En effet, « S'agissant du périmètre des
décisions dont il convient de soumettre les effets à un pouvoir
de modulation dans le temps, le Groupe de travail a estimé qu'il
n'existe aucune possibilité d'affirmer, de manière certaine et
indiscutable, ce qu'est un revirement de jurisprudence. Si les discussions dont
il vient d'être fait état sont essentielles, il n'empêche
que celles portant sur l'appréciation de la notion de revirement ou
encore sur l'existence d'un revirement n'apparaissent pas pouvoir être
tranchée par un criterium objectif incontestable.
En dépit de l'importance des débats autour de la
labellisation de « revirement de jurisprudence », le Groupe de
travail estime qu'il s'agit, sous l'aspect qui retient son attention, d'un faux
problème. Dès lors que l'on envisage l'instauration d'un droit
transitoire des revirements, il n'existe, en définitive, qu'une seule
manière cohérente de constituer ce cadre : elle consiste à
considérer que le juge, auteur du revirement, est le seul à
pouvoir conférer, de manière objective et surtout efficace, au
regard du système juridique lui-même, une telle qualification
à ses décisions »470(*).
Ce choix, placé sous le signe du pragmatisme et de la
souplesse, n'est pas sans inconvénients, ni sans risque, le groupe de
travail en convient : « Nul doute que l'on pourra, de
l'extérieur, critiquer la qualification qu'il aura pu effectuer, comme
on le peut pour toute décision. Ou encore que le juge pourra user d'un
tel pouvoir pour déroger à l'interrogation portant sur les effets
dans le temps de sa décision, empruntant sous cet aspect au
distinguishing »471(*).
Evoquant le risque d'un système arbitraire,
Bérangère LACOMBE affirme que, dès lors, « selon
que le juge souhaitera ou non se prévaloir de sa faculté de
moduler l'application dans le temps de son interprétation, il
déclarera opérer ou non un revirement. Ainsi, soit des
justiciables, théoriquement en droit de demander tout au moins l'examen
par le juge du problème de l'application rétroactive d'une
interprétation qui s'apparenterait à un revirement, pourront se
voir opposer de la part de ce dernier que, ne s'agissant pas d'un revirement,
cette question ne se pose pas ; soit à l'inverse, des justiciables
pourront se voir refuser le bénéfice d'une interprétation
qualifiée à tort par le juge de revirement dans le but de pouvoir
en moduler l'application dans le temps.
Et, dans ce cas, confier à un autre juge, même
supérieur, la fonction de déterminer s'il existe un revirement,
et nécessairement en suivant, s'il est nécessaire d'en moduler
les effets dans le temps, ne serait-ce que substituer un arbitraire à un
autre »472(*).
Dès lors, le choix de l'indétermination du champ
d'intervention de la non-rétroactivité n'aurait pour
conséquence qu'un « simple déplacement de
l'insécurité juridique »473(*)
Comme l'explique Philippe MALINVAUD, « on ne peut
néanmoins s'empêcher d'éprouver une certaine gène. A
la vérité, les décisions par lesquelles la Cour de
Cassation disposera que telle solution nouvelle est un revirement de
jurisprudence et ne sera pas rétroactive ne sont pas inquiétantes
car l'exigence de sécurité juridique n'est pas mise en cause. Il
n'en va pas de même pour celles qui, bien que modifiant la règle
de droit jurisprudentielle, ne seront pas reconnues comme revirement de
jurisprudence.
Paraphrasant la formule de l'article 1353 du Code civil, on
pourrait dire que le choix entre la rétroactivité et la
non-rétroactivité de la règle nouvelle est
« abandonnée aux lumières et à la prudence du
magistrat, ce qui ne laisse pas d'être assez inquiétant. On
aimerait ici suggérer aux juges de s'inspirer des principes qui
sous-tendent les règles de l'application de la loi dans le temps,
spécialement lorsqu'ils rendent des décisions dont les
conséquences sont majeures pour tout un secteur de
l'économie »474(*).
Pour le groupe de travail, cette démarche est pourtant
la seule qui permette d'avancer sans se heurter à un problème
insoluble. Par ailleurs, des considérations d'ordre théorique
permettraient de justifier cette solution : « la
possibilité pour le juge de moduler les effets temporels de la
jurisprudence suppose, comme on l'a déjà dit, que le pouvoir
créateur des décisions qu'il rend soit effectivement reconnu.
Dès lors, il est également logique de considérer que la
qualification même de revirement de jurisprudence relève de la
même décision créatrice. Il appartient à celui qui a
pris la décision de modifier l'état du droit d'assumer son
pouvoir, et de le faire reconnaître comme tel, dès lors que ce
pouvoir de création du droit ne lui est plus complètement
dénié.
Qui d'un point de vue pratique, pourrait « dire »
efficacement l'existence du revirement et posséder l'autorité
nécessaire pour se faire, sinon le juge lui-même ? Au reste, nul
ne saurait imposer au juge un tel choix et lui enjoindre de moduler les effets
de telle décision plutôt que de telle autre. Le réalisme
rejoint ici la cohérence intellectuelle : le juge est le seul à
disposer du moyen de faire que le revirement en soit un au regard du droit
positif »475(*).
On remarquera enfin que cette proposition laisse un vide sur
lequel le rapport ne dit rien. En effet, seul le juge qui procède
à un revirement doit pouvoir affirmer l'existence de ce revirement, de
façon à ce que lui ou d'autres juges, dans d'autres litiges,
puissent moduler les effets dans le temps de ce revirement. Mais cette
proposition de « marquage » du revirement par le juge
lui-même au moment du revirement ne peut logiquement s'appliquer qu'aux
revirements de jurisprudence qui auront lieu après l'adoption
éventuelle des propositions du Rapport MOLFESSIS. Les revirements qui
auront eu lieu avant l'adoption de ces propositions par la pratique ne seront
donc par « marqués » dans l'optique d'un meilleur
« repérage » des revirements.
Quel sera le sort des normes issues des revirements qui auront
eu lieu avant l'adoption des propositions par la pratique ? Le Rapport
MOLFESSIS n'en dit rien, ce qui laisse deux possibilités. La
première est de laisser le juge à qui il est demandé de
procéder à un revirement pour l'avenir apprécier
lui-même, a posteriori, l'existence d'un revirement.
L'inconvénient est ici de laisser exister deux procédures
incompatibles selon la date du revirement, alors que la procédure
appliquée aux revirements antérieurs aux propositions du rapport
MOLFESSIS n'aura été prévue qu'après l'adoption
éventuelle des propositions de ce rapport par la pratique, et non pas
prévue à l'époque du revirement.
La seconde possibilité, en l'absence de dispositions
transitoires, est de laisser ces revirements sous l'empire du droit - et de la
pratique - tel qu'il était conçu à l'époque du
revirement, et non pas tel qu'il sera conçu ultérieurement
après l'adoption éventuelle des propositions du Rapport
MOLFESSIS. Le revirement de jurisprudence serait donc considéré
comme déclaratif et non rétroactif, et les effets de la norme
issue du revirement ne seraient donc pas modulés dans le temps.
Ce qui ne serait peut-être pas conforme aux principes
des conflits de lois dans le temps si l'on considère que les
dispositions du rapport interviennent dans le domaine de la procédure,
et non pas dans le cadre d'un régime substantiel. Mais nous sommes
là dans un droit transitoire conçu comme étant analogue et
non pas identique à celui conçu pour régir les conflits de
lois dans le temps.
Cette seconde possibilité éviterait de voir les
propositions d'un rapport conçu pour empêcher l'application
rétroactive ou immédiate de normes de droit s'appliquer
ironiquement de façon rétroactive ou immédiate aux
revirements passés.
Voici comment Soraya AMRANI MEKKI476(*) résume
les possibilités pour qu'un revirement soit signalé :
« Puisqu'il s'agit d'un revirement de jurisprudence, il faut
considérer qu'il y avait préalablement une jurisprudence
établie en sens contraire. Or, depuis la procédure de
non-admission instaurée par la loi du 25 juin 2001, le pourvoi qui irait
à l'encontre d'une jurisprudence constante ne devrait pas être
admis. Cette procédure n'est pas la condamnation des revirements de
jurisprudence. Simplement, il est demandé aux avocats aux conseils une
honnêteté intellectuelle. Ils doivent reconnaître
l'existence de la jurisprudence constante et demander sa modification. Leurs
conclusions doivent alors contenir les motifs d'un tel revirement. En ce cas,
rien de plus aisé. La formation restreinte, si elle considère
qu'il y a effectivement des motifs sérieux d'opérer le
revirement, déclarera admis le pourvoi. Dans une telle hypothèse,
la solution ne s'imposant pas, il y aura renvoi de l'affaire à une
formation plénière, compétente pour connaître le
revirement selon le rapport.
Si les avocats aux conseils n'ont pas alerté la
formation, ce peut encore être le rôle du conseiller rapporteur
qui, intervenant au vu des conclusions, peut découvrir un possible
revirement ou souhaiter un revirement qui n'aurait pas été
requis. Ce dernier pourrait encore résulter de l'intervention de
l'avocat général. Néanmoins, ce serait plus
étonnant car il n'existe que 22 avocats généraux qui sont
aujourd'hui d'autant plus débordés que le conseiller rapporteur
ne leur communique plus qu'un rapport objectif, comme aux parties, pour
éviter une rupture de l'égalité des armes. Le revirement
devrait, ce qui devrait être assez rare, être décelé
en formation restreinte au stade des débats pour justifier un renvoi
à une autre formation, la décision ne s'imposant plus. Enfin,
dans l'hypothèse où personne ne se serait aperçu du
revirement, la doctrine pourrait le souligner a
posteriori477(*).Une voie de recours en omission de statuer
ne serait pas pour autant admise car il n'est pas possible de reprocher aux
juges de ne pas avoir statué sur la modulation dans le temps qui n'a pas
été demandée. Pourtant, la partie n'a pas à
demander ab initio une application dans le temps particulière.
Il ne s'agit pas d'une partie du litige stricto sensu mais des effets
juridiques de la détermination d'une norme. La question de l'application
dans le temps du revirement déborde la matière litigieuse, ce qui
se révèle matériellement par la suggestion du rapport de
rédiger un double dispositif. »
2) Détermination du revirement dangereux.
L'identification du revirement de jurisprudence, à
l'origine d'une norme jurisprudentielle nouvelle, n'est que la première
étape vers la modulation éventuelle des effets du revirement dans
le temps. Tout revirement de jurisprudence ne sera pas opéré sur
le mode du revirement pour l'avenir ; le Rapport MOLFESSIS ne propose pas
l'extension de l'article 2 du Code civil à la jurisprudence, et la
non-rétroactivité ne sera pas un principe général
applicable sauf exception, comme cela a parfois été
proposé.
En effet, une fois cette identification opérée,
la deuxième question est de savoir si ce revirement est dangereux. Le
critère de cette dangerosité sera la sécurité
juridique, mais une sécurité juridique « à la
Française » qui ne sera pas appréciée de la
même façon qu'en droit Allemand ou devant les systèmes de
common law.
« Le groupe de travail rappellera le constat
dressé précédemment : certains revirements de
jurisprudence, par l'effet rétroactif qui leur est attaché,
comportent un risque de méconnaissance des anticipations
légitimes des justiciables, qui doit être évité.
Le groupe rappellera que les situations dans lesquelles le
revirement de jurisprudence produit des effets néfastes liés
à l'imprévisibilité et à l'effet rétroactif
de la situation sont peu fréquentes. La plupart des revirements de
jurisprudence n'appellent pas de traitement
spécifique »478(*).
Quels revirements peuvent appeler un traitement
spécifique ? Ce sont précisément ceux qui
déjouent les prévisions légitimes des justiciables. Nous
avons déjà expliqué quelle était la logique du
Rapport MOLFESSIS sur cette question : le revirement de jurisprudence ne
porte pas nécessairement atteinte aux prévisions des
parties ; même lorsque c'est la cas, il ne porte pas toujours
atteinte à des prévisions légitimes. Trois cas doivent
être distingués : En dehors de cas où l'atteinte aux
prévisions des parties doit être déterminée au cas
par cas, « le revirement ne déjouera aucunement les
prévisions des parties lorsque leur comportement n'aura pas
dépendu de la solution jurisprudentielle retenue à
l'époque des faits »479(*), ce qui est le cas le plus courant. Il en
va ainsi des revirements qui visent à améliorer le sort des
justiciables, sans créer de préjudice à d'autres
justiciables, mais aussi du cas où le revirement préjudicie
à l'une des parties sans avoir méconnu ses anticipations, ce qui
est le cas notamment lorsque le revirement a pour effet de valider un acte qui
n'aurait pas été valide sur le fondement de l'ancienne
jurisprudence.
Dans un troisième cas, « il faut
considérer que la décision de revirer méconnaît les
anticipations des justiciables à chaque fois qu'un comportement a
été ou aurait pu être orienté par la solution que le
revirement entend abandonner »480(*). C'est ici
qu'intervient une spécificité des propositions du Rapport
MOLFESSIS par rapport aux revirements pour l'avenir des autres systèmes
juridiques : ce critère de prévisions légitimes est
ici plus ouvert que le champ logiquement prévu par les juges de
common law, ou par les juges Allemands, par exemple.
Dans ces systèmes juridiques, le revirement pour
l'avenir ne peut logiquement concerner, comme nous l'avons dit, que des
domaines où la prévision des parties jouera un rôle
particulièrement important. Ces domaines ne peuvent donc être que
la matière contractuelle, ou la fiscalité. Le Rapport MOLFESSIS,
quant à lui, a une vision plus large de la prévision : il
admet que les prévisions des parties peuvent être prises en compte
dans des domaines qui n'ont a priori rien à voir, tels que la
responsabilité civile délictuelle.
Ainsi, l'un des exemples phares du Rapport est l'arrêt
précité du 9 octobre 2001, dans lequel la première chambre
civile a condamné un médecin pour avoir manqué à
son devoir d'information, alors qu'à l'époque des faits, la
jurisprudence admettait que l'acte du médecin n'était ni
illicite, ni fautif. Le rapport aurait pu écarter cet exemple, puisqu'il
intervenait dans une matière où les prévisions des
justiciables ne jouent pas systématiquement un rôle
important ; or, il a au contraire décidé d'en faire l'un de
ces exemples les plus marquants.
Dans cette optique, d'autres matières, où le
revirement pour l'avenir est en principe sans objet, pourraient être
concernées. Par exemple, la matière pénale - où
toutes les infractions ne sont pas censées être des actes
irrationnels ou irréfléchis- , ou du Droit International
Privé - par exemple dans le domaine de l'exequatur ou des
immunités de juridiction et d'exécution.
De plus, on remarquera que le revirement pour l'avenir
opéré par la deuxième chambre civile, et confirmé
par l'assemblée plénière, a précisément
été opéré en matière délictuelle,
suivant implicitement le même raisonnement.
Ainsi, si le revirement pour l'avenir devait être
construit d'après les propositions du Rapport MOLFESSIS, ce serait bien
un revirement pour l'avenir à la Française, construit en partie
sur le modèle des procédures utilisées dans d'autres
systèmes juridiques, mais avec certaines spécificités qui
pourraient éventuellement inspirer les acteurs de droits
étrangers.
« En toute hypothèse, on observera qu'il est
indispensable de procéder, au cas par cas, à une recherche des
anticipations qui ont pu ou auraient pu être celles du justiciable auquel
le revirement va porter préjudice. C'est à cette condition que
l'on peut statuer sur l'imprévisibilité que représente le
revirement »481(*). « Le groupe de travail estime
qu'il est nécessaire de procéder, au cas par cas, à une
recherche des anticipations légitimes qui ont pu être celles des
justiciables auxquels le revirement va porter préjudice. L'analyse doit
toutefois se faire logiquement in abstracto : il ne s'agit pas de
savoir si tel justiciable a effectivement fondé son comportement sur la
règle prétorienne qui sera abandonnée par le
revirement ; il s'agit de déterminer si un justiciable normalement
diligent et supposé connaître la règle jurisprudentielle -
au même titre que la règle législative - a pu adopter un
comportement qui soit fonction de la solutions
jurisprudentielle »482(*).
Ce choix du revirement de jurisprudence dangereux pour les
prévisions légitimes comme fondement du revirement pour l'avenir
n'a pas été sans susciter des critiques - on
précisera toutefois que les critiques ne semblent pas porter sur les
conclusions elles-mêmes, mais uniquement sur les postulats choisis. Nous
avons déjà évoqué certaines d'entre elles,
relatives au caractère illégitime des critères choisis, ou
au fait que le système proposé n'est pas à même de
protéger efficacement la partie la plus faible.
Mais la notion de sécurité juridique
elle-même comme fondement du système de droit transitoire a fait
l'objet de critiques. Ainsi, Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI :
« le rapport n'opère pas de distinction entre les actes et les
faits juridiques. Tantôt, il envisage l'application d'une règle
jurisprudentielle à des faits, tantôt à des faits
et des actes (p.8-10) . Il existe toutefois une différence
entre les deux.
Le faits ne sont pas accomplis dans l'intention de produire
des effets de droit. Au moment où ils sont perpétrés, il
est des faits licites et des faits illicites. Le rapport dénonce,
à juste raison, les méfaits de l'application rétroactive
(stricto sensu) d'une règle à des faits passés et
l'insécurité qu'elle génère. Il rappelle aussi que
l'application immédiate d'une règle à des litiges en cours
peut conduire à perturber le droit à un procès
équitable.
Toutefois, le Rapport vise également à offrir
une sécurité aux actes juridiques. Loin de se réduire
à agiter le spectre de la rétroactivité, il s'agit aussi
d'éviter l'application immédiate de règles
jurisprudentielles nouvelles. La défense de la sécurité
juridique s'accompagne ici d'une fervente prise de position en faveur de la
validité des actes juridiques. Selon le rapport, la règle
nouvelle devrait être appliquée lorsqu'elle rend valides des
contrats nuls sous l'empire de la règle ancienne ; en revanche,
elle ne devrait pas l'être dans le cas inverse où son application
conduirait à annuler une disposition antérieurement
considérée comme valable (p.19 et note 32 et33) . Ne pas
déjouer les prévisions des parties, contribuer à la
sécurité juridique, ce serait donc rendre les actes juridiques
toujours valables, soit par validation, soit par absence d'annulation ! La
sécurité juridique est ainsi repliée sur la
sécurité contractuelle. Un tel raisonnement nous paraît
fallacieux et impraticable. Car un acte juridique n'est pas valable par
définition. Plus encore, les actes nuls produisent des effets de droit
jusqu'à leur annulation. C'est pourquoi l'annulation a en principe un
effet rétroactif, même s'il peut y avoir sur ce point des
exceptions (...) .
Les personnes juridiques concluent souvent, en toute
connaissance de cause, des conventions à la validité incertaine.
La sécurité juridique consiste-t-elle à paralyser le
pouvoir d'annulation des juges ? La Cour de Cassation aurait-elle
dû, par exemple, renoncer à prohiber les conventions organisant
les maternités de substitution en n'appliquant pas immédiatement
le principe nouveau d'indisponibilité du corps humain au nom du
principe de sécurité juridique ? Une réponse
négative s'impose. La sécurité juridique consiste aussi
à sanctionner ce qui doit l'être. Différer l'application
d'une règle jurisprudentielle dans le temps ne doit pas conduire une
prime aux actes nuls. Dans le domaine économique et social, il a
toujours été de bonne guerre d'établir des conventions
à la lisière du droit pour optimiser son avantage. La
prévisibilité est alors anticipation prospective du droit futur.
Elle est moins recherche de stabilité du droit en vigueur que pari sur
la validité à venir d'une clause ou d'un montage contractuel. Les
juges sont d'ailleurs souvent appelés à statuer sur le sort
d'actes juridiques qui produisent des conséquences tant qu'ils ne sont
pas annulés. Que les entreprises et les employeurs (Rapport p.145 et s.)
soient plus favorables aux propositions du rapport que les consommateurs et les
salariés (Rapport p.175 et s.) montre leur intérêt à
retarder l'application de règles jurisprudentielles susceptibles
d'anéantir des opérations juridiques qu'elles ont le plus souvent
conçues. Pourquoi la Cour de Cassation devrait-elle contribuer à
une telle politique d'externalisation des risques juridiques ? La raison
tient sans doute à une certaine conception des rapports entre le droit
et l'économie que nous ne partageons pas »483(*).
Patrick MORVAN, quant à lui, estime que le fondement de
la sécurité juridique ne peut pas servir de fondement pour le
revirement pour l'avenir : « Il ne s'agit que
d'un « produit d'importation sous douane » en provenance de l'ordre
juridique communautaire : comme tous les principes généraux du
droit qui en sont issus, il ne s'applique que dans les situations relevant du
champ du droit communautaire (...) et, à l'inverse, est inapplicable
« en l'absence de tout rattachement à l'une quelconque des
situations envisagées » par ce même
droit »484(*).
Le fondement de la sécurité juridique ne serait que l'instrument
de luttes de pouvoir entre les pouvoirs législatifs, exécutifs et
judiciaires, et qui plus est un instrument obsolète.
« Partant, la source des règles qui
protègent l'« objectif » ou l'« impératif »
de sécurité juridique (puisque le statut de « principe
» ne lui sied pas) réside avant tout dans le droit de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme. L'ordre juridique
communautaire n'offre pas, à cet égard, de solutions importables
et généralisables dans l'ordre juridique interne. Le Conseil
constitutionnel s'abstient lui-même de s'y référer
lorsqu'il vante « l'objectif de valeur constitutionnelle
d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi », « le
principe de clarté de la loi », pourfend les dispositions à
« caractère tautologique » ou à « portée
normative incertaine », et entrave diversement la
rétroactivité des lois non répressives. La Cour de
cassation a donc exactement situé le centre de gravité de la
sécurité juridique lorsqu'elle plaça, en 2004, le
revirement prospectif dans le giron de l'article 6, paragraphe 1er, de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ».
Bref, la première étape dans le processus de
modulation de la norme jurisprudentielle dans le temps consiste à
savoir, d'une part s'il y a un revirement, d'autre part si ce revirement est
dangereux d'après les prévisions que les parties ont pu
légitimement former sur l'ancienne jurisprudence - pour connaître
le droit pour le présent, mais pas pour son maintien pour l'avenir - au
moment où ils ont agi. Si le revirement de jurisprudence existe, et si
sa rétroactivité présente un danger pour les
prévisions que les justiciables ont pu faire sur le fondement de
l'ancienne jurisprudence, alors la deuxième étape de la
procédure de report (éventuel) des effets du revirement de
jurisprudence dans le temps sera engagée.
B. Les propositions concernant la procédure de
report des effets d'un revirement de jurisprudence dans le temps.
L'idée qui inspire ces propositions est la
suivante : dès lors que l'on reconnaît le pouvoir
créateur de la jurisprudence, on peut concevoir une norme
jurisprudentielle qui ne soit pas nécessairement destinée aux
faits du litige qui lui ont permis de naître, à la
différence des fondements actuels de la règle jurisprudentielle.
Il est alors possible de distinguer au sein de l'arrêt de revirement la
création de la règle, abstraction faîte de la mission
principale de la Cour, qui est d'appliquer la règle de droit aux faits.
Cette mission d'application sera donc faite sur la base de la règle
ancienne, et l'effet de la règle jurisprudentielle nouvelle sera
reporté de façon à ne concerner que les faits survenus
après l'apparition de cette règle nouvelle (1) . Mais la question
se pose alors de savoir s'il n'existe pas d'autres obstacles à
l'élaboration de ce système (2) .
1) Les propositions concernant le droit transitoire.
a. Un droit transitoire fondé sur une procédure
originale.
Cette procédure, engagée à partir de la
mise en évidence d'un revirement de jurisprudence potentiellement
dangereux, n'a pas pour but de paralyser systématiquement l'application
rétroactive du revirement de jurisprudence. Elle n'est qu'une
procédure par exception envisagée dans une optique individuelle
impliquant une appréciation au cas par cas.
Une procédure par exception, tout d'abord. Comme nous
l'avons expliqué, les cas de revirement de jurisprudence
« produisant des effets néfastes liés à
l'imprévisibilité et à l'effet rétroactif de la
solution sont peu fréquentes », si bien que « la
plupart des revirements de jurisprudence n'appelle pas de traitements
spécifique »485(*). La rétroactivité du revirement de
jurisprudence reste donc le principe, la modulation de ses effets dans le temps
l'exception.
Lorsque la procédure est engagée, le Rapport
MOLFESSIS propose alors une séparation entre deux aspects du
débat : le débat de fond, sur le revirement de
jurisprudence, doit être séparé d'un deuxième
débat sur l'application dans le temps de la norme issue du revirement.
« Il apparaît indispensable au groupe de travail que
l'interrogation sur les effets d'un éventuel revirement soit
elle-même l'objet d'un débat judiciaire distinct de celui portant
sur la décision de revirer. Un tel débat doit être nourri
d'informations diverses fournies au juge aux fins de lui permettre
d'apprécier la portée de la décision de revirement qui
pourrait être rendue. Dans une large mesure, il permet aussi de
libérer le débat de fond : parce qu'elle pourrait moduler
les effets de sa décision en sorte d'en limiter (ou d'en annihiler)
certains effets secondaires indésirables, la Cour serait mieux à
même de décider d'infléchir sa position de principe sur tel
ou tel point. »486(*)
D'un point de vue plus technique, « il importe que
la Cour adopte en pareil cas une séquence invariable de
délibération, et que cette séquence trouve un écho
explicite dans la délibération du dispositif de l'arrêt de
revirement. La modulation suppose en effet que deux décisions soient
explicitement prises et contradictoirement débattues l'une
après l'autre :
- La décision - de fond - de procéder à
un revirement de jurisprudence, explicitement reconnu comme tel ;
La décision de moduler les effets dans le temps de ce
revirement de jurisprudence. »487(*)
Après cette séparation entre les deux
débats, le second débat sur la question de la modulation dans le
temps de l'effet du revirement de jurisprudence doit consister en un bilan
coût-avantage entre les inconvénients de la
rétroactivité du revirement et les bénéfice
retiré de l'application de la nouvelle norme. Ces inconvénients
doivent être appréciés, comme nous l'avons dit, dans une
optique de sécurité juridique, de façon à
évaluer l'impact qu'aurait la rétroactivité du revirement
sur la situation des justiciables, situation prévue en fonction de
prévisions faites sur le fondement de l'ancienne jurisprudence.
Une difficulté survient pour apprécier les
critères de ce bilan : « Le Groupe de
travail n'estime pas opportun d'établir ici une grille contraignante qui
devrait s'imposer en toute hypothèse pour décider de la
modulation dans le temps du revirement. Il serait d'ailleurs contreproductif de
figer l'exercice d'un pouvoir de modulation alors même que celui-ci vise
précisément à prendre en compte des situations dont
l'appréciation nécessite un débat au cas par
cas »488(*).
Pas de critères précis, donc, mais tout de
même des directives, car « Il n'en reste pas moins que
l'exercice d'un tel pouvoir ne saurait s'exercer sans cadre, et a fortiori sans
justification d'ordre juridique. Le Groupe est donc d'avis que plusieurs
paramètres doivent être pris en compte et explicités par le
juge pour que ce pouvoir soit exercé d'une manière
cohérente et justifiée »489(*). Deux sortes de
critères peuvent alors être envisagés pour apprécier
l'impact concret du revirement :
« - soit une évaluation des
inconvénients que pourrait emporter l'application rétroactive du
revirement - qui reste la règle. Précisément, il s'agit
alors de rechercher s'il existe une disproportion manifeste entre les avantages
attachés à la rétroactivité normale du revirement
et les inconvénients qu'emporterait cette rétroactivité
sur la situation des justiciables. A ce titre, il convient de prendre en
considération les anticipations sur la stabilité de leur
situation juridique que les justiciables ont pu légitimement former et
le risque que ces anticipations soient déjouées par l'existence
même du revirement.
- soit la mise en évidence d'un impérieux motif
d'intérêt général qui justifierait l'exception
apportée à la règle générale de
rétroactivité »490(*).
Pour pouvoir pleinement mesurer l'impact du revirement
rétroactif, le rapport propose un élargissement du débat.
« Le Groupe de travail est d'avis que la question de la modulation
dans le temps du revirement doit elle-même faire l'objet d'un
débat contradictoire spécifique entre les parties.
Le débat dont il s'agit est celui qui doit porter non
plus sur la question de fond objet du pourvoi mais bien sur les effets dans le
temps de cet éventuel revirement et sur l'éventuel
aménagement qui devrait s'ensuivre. A partir du moment où il
revient au juge de décider de la modulation dans le temps de sa
décision, une telle décision ne peut être prise
qu'après que les parties ont été effectivement
sollicitées de donner leur avis et entendues sur cette question.
Aussi, la discussion est-elle toujours duale : elle porte
à la fois sur la question substantielle que soulève
l'éventuel revirement et sur sa mise en oeuvre ratione
temporis »491(*).
Mais le Rapport propose aussi que le débat soit aussi
étendu à des tiers. L'objectif est double : à partit
du moment où la Cour de Cassation « introduit une modification
dans l'état du droit positif », le groupe de travail estime
qu'elle doit se préoccuper de l'impact de la norme nouvelle pour le
passé. De plus, il est « justifié que ceux dont les
intérêts sont mis en cause à l'occasion de la
décision de revirement puissent exprimer leur
position »492(*).
Ce « débat au-delà des
parties » serait possible grâce à un
développement de l'amicus curiae, la mission étant alors
confiée au Parquet général de la Cour de Cassation. Les
tiers consultés pouvant être indifféremment des ordres
professionnels, des personnes publiques, des syndicats, ...
Mais la situation de ces tiers restent alors à
définir : s'agit-il d'un rôle de représentation
d'intérêts ? Doivent-ils seulement renseigner la Cour sur
l'impact de sa décision de façon objective ?
« Sous ce rapport, il ne saurait évidemment être
question de transformer ces tiers en parties à l'instance. Les
intérêts extérieurs doivent pouvoir être entendus,
mais ils ne sauraient évidemment être représentés au
sens strict sans porter une atteinte injustifiable aux droits
procéduraux des parties. Celles-ci sont les seules à nouer le
lien d'instance, avec tous les droits et garanties associés à
leur qualité. Le statut de ces contributions ne peut être que
celui d'un avis, d'une opinion librement formulée par des tiers dans le
cadre d'un litige vis-à-vis duquel leurs auteurs restent, en droit,
absolument extérieurs »493(*).
La méthode n'est toutefois pas neutre. En effet, comme
l'explique Horatia MUIR-WATT494(*), La démarche de l'amicus curiae est
par nature associée à une démarche intellectuelle de type
utilitariste incompatible avec la démarche syllogistique, dès
lors qu'une norme n'est plus considérée comme « juste
parce qu'elle est conforme à une norme abstraite, mais parce que ses
conséquences sociales et économiques sont utiles ».
L'objectif implique une « pesée - politique ou
économique - des intérêts en présence »,
« mais il importe de souligner que ce type d'approche ne peut
être enfermé dans un syllogisme, car l'obligation de motivation
oblige le juge à mettre cartes sur tables et montrer qu'il est parvenu
à sa décision non pas par voie de déduction logique, mais
sur le fondement de considérations de type utilitariste ».
« Dès lors que le juge s'interroge sur les
conséquences sociales et économiques de sa décision sous
l'angle de ses effets dans le temps - jouant carte sur table dans la motivation
sur ce point - il est difficile de concevoir qu'il ne le fasse pas dans
tous les cas, c'est-à-dire, pour tout revirement qu'il envisage
d'effectuer. Ainsi, l'enseignement d'une démarche comparatiste
porté sur la question des effets des revirements dans le temps est que
l'introduction d'une approche conséquentialiste sur ce point est de
nature à entraîner des répercussions sur l'ensemble du
raisonnement judiciaire ».
Bref, « la question de la gestion des effets dans le
temps des revirements n'est que la partie visible de l'iceberg ».
On peut remarquer que les critères proposés
semblent inspirées du système mis en place par l'arrêt
AC ! , dont le groupe de travail s'est explicitement
inspiré : les préoccupations du juge doivent être
d'une part les « conséquences manifestement
excessives » de la rétroactivité, soit en raison
« des effets que cet acte a produits », soit en raison des
« situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en
vigueur », et d'autre part, « l'intérêt
général pouvant s'attacher à un maintien
temporaire » des effets de l'acte dont l'annulation est requise.
Cette préoccupation doit alors être mise en balance par rapport
aux impératifs poussant à l'annulation : le juge doit
« prendre en considération, d'une part, les
conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les
divers intérêts publics ou privés en présence et,
d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du
principe de légalité et du droit des justiciables à un
recours effectif ».
Comme on l'a vu, le rapport MOLFESSIS, tout en s'inspirant
des méthodes développées devant d'autres juges, n'a pas
choisi de les transposer sans adaptation. De plus, le juge reste libre de
retenir ces propositions ou de les adapter selon des considérations
juridiques ou des considérations d'opportunité, comme l'ont fait
la deuxième chambre civile et l'assemblée plénière
en procédant à un revirement pour l'avenir495(*). Il est donc permis de se
demander si la Cour de Cassation, si elle devait suivre les propositions du
Rapport, adopterait les mêmes critères que le Conseil d'Etat, ou
si la méthode proposée serait modifiée à
l'étape de l'arrêt. On remarquera d'ailleurs que les
critères et la méthode choisis par l'arrêt AC ! ne
sont pas en tout point identiques par rapport à ce que proposaient
Jacques-Henri STAHL et Anne COURREGES496(*).
Il est intéressant de constater que le Rapport
MOLFESSIS n'a pas envisagé de reprendre une partie des acquis de
l'évolution dans laquelle s'inscrit l'arrêt AC ! . En effet,
comme l'expliquent Claire LANDAIS et Frédéric LENICA,
l'évolution dans laquelle s'inscrit l'arrêt AC !, et qui
passe notamment par les arrêts VASSILIKIOTIS et TITRAN, amène
à un effacement au moins partiel de la distinction entre recours pour
excès de pouvoir et recours de plein contentieux497(*). Le recours pour
excès de pouvoir était conçu classiquement comme
« un « recours-guillotine » par lequel on
requiert la mort de l'acte et rien d'autre »498(*). Le recours de plein
contentieux, quant à lui, offre une gamme de solutions, adaptées
aux besoins des justiciables, plus étendue que ce que permet
classiquement le recours pour excès de pouvoir. Ce mouvement
d'unification partiel avait permis à l'arrêt AC ! de faire
usage de plusieurs techniques dans le même arrêt. D'une part,
certaines des dispositions annulées continueront à produire leurs
effets pour le passé. D'autre part, certaines des dispositions
annulées devaient encore produire leur effet pendant quelques semaines
après le prononcé de l'arrêt d'annulation.
On aurait pu imaginer que le groupe de travail, dont on a vu
l'intérêt pour le travail du Conseil d'Etat, proposerait de
reprendre également ces techniques. Cela aurait permis au juge, dans son
travail de modulation des effets de la norme jurisprudentielle dans le temps de
disposer, à l'instar du législateur dans son activité de
« modulation » de la norme législative dans le temps
(lorsqu'il doit faire le choix entre la rétroactivité sans limite
de temps, la rétroactivité avec une limite de temps, la
rétroactivité pour certains types d'actes, ...) , de disposer
d'une gamme d'instruments plus étendue que le simple choix entre la
rétroactivité de l'interprétation jurisprudentielle
nouvelle et sa non-rétroactivité. Pierre SARGOS avait d'ailleurs
proposé d'aller plus loin, parfois, que ce que proposait le Rapport
MOLFESSIS. Ainsi, « dans certains cas, la nullité d'un acte
pourrait être différée dans le temps ; en droit du
travail, on pense par exemple à l'annulation d'un accord collectif dont
la prise d'effet pourrait être retardée de quelques mois pour
permettre aux partenaires sociaux de négocier un nouvel
accord »499(*).
En quelques sortes, en paraphrasant le Doyen Gilles LEBRETON,
on pourrait dire que la procédure proposée par le rapport
MOLFESSIS est une « procédure-guillotine », plus
qu'une « procédure-scalpel ».
Cet aspect du Rapport MOLFESSIS est intéressant, comme
nous l'avons dit, dès lors qu'on le met en parallèle avec les
observations de Bertrand MATHIEU sur l'arrêt AC ! :
« les conditions ainsi fixées sont le décalque presque
exact de celles qui justifient le recours aux validations législatives,
comme en témoigne d'ailleurs l'application in concreto de cette
nouvelle jurisprudence »500(*). Dès lors, comme l'explique
François-Charles BERNARD501(*), « les évolutions dans lesquelles
les validations législatives se révèleraient
indispensables pourraient être, de fait,
contingentées », et le juge, de fait pourrait intervenir dans
ce qui était en principe le pré carré du
législateur, la validation d'actes menacés par une jurisprudence
nouvelle.
Cela révèle que les rapporteurs n'ont,
semble-t-il, pas souhaité donner au juge une maîtrise de son
activité normative aussi importante que celle que le juge administratif
a sur sa norme prétorienne - du moins sur les conséquences de son
activité normative rétroactive sur la validité d'actes
juridiques. Le choix d'une « procédure-scalpel »
aurait permis au juge judiciaire de maîtriser l'entrée en vigueur
de sa norme comme l'aurait fait le législateur. Sans faire d'une
quelconque façon du juge l'égal du législateur502(*), une telle proposition
aurait eu pour effet de réduire le manque de maîtrise affectant le
juge dans son activité normative, du fait des
« infirmités jurisprudentielles ». Il est donc
intéressant de voir que le Rapport MOLFESSIS, qui part du point de vue
du pouvoir créateur du juge, pouvoir qu'il semble considérer
comme étant par certains aspects assez légitime, n'envisage pas
de donner au juge la même maîtrise de son activité normative
que ce que permet l'arrêt AC ! au juge administratif dans le cadre
de l'annulation contentieuse.
Il est à noter, enfin, que l'optique individuelle
adoptée par le groupe de travail se trouve jusque dans la situation du
justiciable ayant demandé le revirement. Cette question trouve des
solutions diverses selon les systèmes juridiques ; la Cour de
Justice des Communautés Européennes, par exemple, prévoit
un traitement particulier pour les procédures entamées avant le
revirement.
« Deux arguments militeraient pour cette application
dérogatoire. D'une part, l'instauration d'un droit transitoire des
revirements de jurisprudence comporterait un risque d'épuisement des
pourvois dès lors que la solution nouvelle se trouverait
écartée dans l'espèce jugée. Pour y
remédier, il faudrait en quelque sorte récompenser le justiciable
qui aurait contribué à l'avènement de la solution nouvelle
en lui en faisant profiter, avant de retourner à l'application de
l'interprétation jurisprudentielle antérieure. D'autre part,
l'équité militerait dans le même sens. Ainsi qu'on l'a
souligné, « peut-on raisonnablement dire à un justiciable
qui a pris le risque de poursuivre une procédure jusqu'à la Cour
de cassation - avec tout le temps et le coût que cela entraîne -,
nonobstant une jurisprudence qui lui était défavorable et dont il
demandait le changement, qu'il avait parfaitement raison, mais que ce sont
d'autres justiciables qui bénéficieront de l'avancée du
droit qu'il a permis de faire consacrer ? ». L'objection est
évidemment importante : en empêchant l'application de la solution
nouvelle au pourvoi qui en a donné l'occasion, on risque de substituer
une injustice à une autre, pour remplacer l'incompréhension de
l'un - le défendeur au pourvoi - par celle de
l'autre »503(*).
Pourtant, le groupe de travail a estimé que la
situation du justiciable demandant le revirement n'était pas
différente de celle du justiciable subissant le revirement. Il ne
pourrait recevoir un traitement de faveur que si la règle avait une
portée obligatoire ; Or, le groupe de travail en profite pour
réaffirmer son attachement à la prohibition des arrêts de
règlement et à la nécessaire évolutivité de
la jurisprudence. « En admettant que la solution consacrée par
le revirement doive ne pas être appliquée aux faits qui lui sont
antérieurs, et ce pour des raisons de sécurité juridique
et de confiance légitime, il devra en être de même à
l'égard de la partie qui aura obtenue le revirement. ».
Quant à l'autre argument qui a été
invoqué, celui du risque d'épuisement des pourvois, le groupe de
travail estime que ce risque serait atténué par la
possibilité de plaider au cas par cas pour l'application du revirement
aux faits antérieurs au revirement.
b. influences de la théorie des conflits de lois dans
le temps et critiques.
« les règles qui pourraient présider
à la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence doivent
être parfaitement distinctes de celles qui peuvent régir
l'application de la loi dans le temps ». L'approche est ici
individuelle et par exception ; les théories de conflits de lois
dans le temps sont, quant à elles, orientée vers la
systématisation a priori pour éviter ou régler le conflit
entre normes successives. Celle-ci propose de mettre en oeuvre un
système où le choix serait fait a priori entre deux
normes selon l'époque des faits, en partant de concepts tels que la
situation juridique ou les caractéristiques de la norme. Le Rapport
MOLFESSIS propose un droit transitoire dans lequel le choix s'effectue au cas
par cas, dans une logique d'effets concrets de la rétroactivité
de la norme.
Le système est aussi plus proche de la théorie
des droits acquis504(*)
que de la théorie des conflits de lois dans le temps, par son approche
négative - protéger les actes faits dans le passé contre
la rétroactivité de la norme - plutôt que positive -
déterminer la norme applicable, faire un choix entre deux normes afin de
régler ou d'éviter un conflit entre deux normes.
Bref, le droit transitoire pour les revirements de
jurisprudence proposé par le Rapport MOLFESSIS se distingue de la
théorie des conflits de loi dans le temps en ce qu' « Il
ne s'agit pas de protéger un droit ou une situation, mais de garantir le
respect des expectatives des justiciables là où elles ne peuvent
pas être considérées comme infondées au regard du
droit initialement applicable. L'approche qu'il convient de retenir est
pragmatique : elle ne tient pas - du moins pas exclusivement - au seul domaine
visé. Par suite, il ne saurait exister de solution directrice propre
à l'application dans le temps de la règle jurisprudentielle en
matière contractuelle, en matière délictuelle, relative
à la prescription ou à la preuve,
etc. »505(*)
Il a par ailleurs été reproché au
système proposé par le Rapport MOLFESSIS de négliger
certaines des distinctions essentielles en matière de conflits de loi
dans le temps. Nous avons déjà étudié les travaux
de Pierre FLEURY-LE GROS sur cette question ; nous pouvons
également évoquer les commentaires de Rafaël ENCINAS DE
MUNAGORRI506(*), qui rappelle que le Rapport ne parle que
de la rétroactivité et de la non-rétroactivité de
la norme alors que la problématique du conflit de normes dans le temps
ne se résume pas qu'à ces deux situations. D'autres concepts
interviennent, tels que l'application immédiate d'une règle
nouvelle, « qui permet de dissocier deux problèmes
radicalement distincts. L'un concerne l'application proprement
rétroactive d'une règle de droit à une situation
passée », ce qui correspond par exemple à l'arrêt
rendu par la première chambre civile le 9 octobre 2001.
« L'autre problème vise le point de savoir si une règle
nouvelle doit régir immédiatement les situations nées
avant son entrée en vigueur (principe dit d'application
immédiate) , ou s'il est préférable de maintenir la
règle ancienne (exception dite de survie de la loi ancienne) »
.
Le danger est alors de choisir une conception large de la
rétroactivité, et de confondre les deux problématique. Le
système proposé par le rapport fausserait donc les données
et ne serait donc pas fondé sur une approche parfaitement rigoureuse
d'un problème autrement plus complexe.
Jean-Luc AUBERT va plus loin : pour lui, le
système est impraticable. Celui-ci implique la coexistence idéale
de « décisions « nouvelle jurisprudence »
et de ancienne jurisprudence ». (...) Mais les choses pourraient
aussi se passer moins bien. D'abord par la résistance toujours possible
de certains juges soit au revirement lui-même, soit à sa
modulation ou à l'exacte portée de celle-ci. Ensuite, on ne peut
exclure des erreurs dans l'application temporelle du revirement pour l'avenir.
Il est à craindre que lisibilité de la jurisprudence en souffre
quelque peu.
Enfin, il ne peut être exclu, comme les auteurs du
rapport l'admettent, que la Cour de Cassation elle-même vienne à
changer d'avis par un nouveau revirement ou par une remise en cause de la
modulation initialement consacrée. L'éventualité ne
relève pas d'une très grande improbabilité : la
composition de la Cour de Cassation est en perpétuel changement ;
les conseillers passent, assez vite, et les nouveaux venus peuvent - ainsi
qu'il en a toujours été - ne pas être toujours convaincus
par le produit de la réflexion de leurs anciens. Ainsi peut survenir un
abandon du revirement modulé. On peut même imaginer que cet
abandon intervienne à un moment où le revirement pour l'avenir
n'aura jamais encore été appliqué. On parviendra alors
à cette situation assez étrange que le revirement annoncé
n'aura reçu aucune application ! Mais il est vrai que rien
n'interdit de moduler dans le temps ce nouveau revirement, ce qui pourrait bien
réaliser de nouveau une consécration rétroactive du
premier arrêt de revirement pour l'avenir en arrêt de
règlement, et ce qui aura en tout cas pour résultat
étonnant que deux générations successives de magistrats
à la Cour de Cassation n'auront pu qu'appliquer des solutions qu'ils
condamnaient »507(*).
Par ailleurs, ce qui est encore plus grave, il faut voir dans
l'arrêt rendu le 17 décembre 2004 par la chambre sociale de la
Cour de Cassation508(*),
soit quelques semaines après la publication du Rapport MOLFESSIS, sinon
un camouflet pour les propositions du Rapport, du moins la volonté
d'ajouter une limite à la possibilité de moduler les effets d'un
revirement.
Pour rejeter un moyen qui soutenait que l'application d'une
jurisprudence exigeant une contrepartie financière à une clause
de non-concurrence à un contrat passé à l'époque de
l'ancienne jurisprudence consistait en une violation de l'article 6.1 du
Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, la Cour de
Cassation retient « que l'exigence d'une contrepartie
financière à la clause de non-concurrence répond à
l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et
l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une
activité professionnelle ; que loin de les textes visés par
le moyen et notamment l'article 6 de la Convention Européenne de
Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, la Cour
d'appel en a au contraire fait une exacte application en décidant que
cette exigence était d'application immédiate ».
La chambre sociale a ici refusé de procéder
à un revirement pour l'avenir. Pour cela, elle a invoqué
l'existence d'un impératif supérieur aux préoccupations de
sécurité juridique : la « liberté
fondamentale d'exercer une activité professionnelle » , dont
elle semble dire qu'elle est garantie également par la Convention
Européenne des Droits de l'Homme.
On pourrait dire que, en opérant une pesée entre
les avantages et les inconvénients du revirement509(*), la chambre sociale a
estimé qu'il fallait inclure dans les considérations
invoquées pour la rétroactivité du revirement la
supériorité de certains impératifs supérieurs,
même s'il n'est pas précisé lesquels. Ainsi, il n'est pas
précisé si ces impératifs supérieurs doivent
forcément être des impératifs d'ordre juridique, ou si des
considérations d'opportunité peuvent entrer en ligne de compte.
On ne sait pas non plus si seuls des impératifs d'ordre constitutionnel
peuvent être invoqués, ou si des normes haut-placées dans
la hiérarchie des normes peuvent produire le même résultat
- tels que des principes généraux du droit ou des dispositions
conventionnelles.
Evoquant cet arrêt, Pierre SARGOS a pu affirmer que
« la nécessité d'assurer, au bénéfice de
la partie la plus faible, la protection de certains de ses droits fondamentaux
est de nature à imposer un revirement jurisprudentiel. Et un tel
revirement fondé sur un tel impératif démocratique ne peut
qu'être à effet immédiat, sauf à contredire la
nécessité même du revirement. Dès lors qu'un
revirement est fondé sur la nécessité même d'assurer
la protection d'une liberté fondamentale, il ne peut être que
rétroactif car il doit assurer la protection recherchée tant pour
le passé que pour le futur. Dans le rapport de proportionnalité
entre, d'une part, une liberté aussi fondamentale que celle d'exercer
une activité professionnelle et, d'autre part, la sécurité
juridique de l'une des parties au contrat, la balance ne peut que pencher en
faveur de la liberté. C'est seulement lorsqu'un revirement n'est pas
fondé sur un tel impératif de protection de la personne humaine
que peut se poser la question de la limitation dans le temps des effets du
revirement. Il est regrettable que les auteurs du rapport focalisés
jusqu'à l'obsession sur la seule dimension économique des
rapports juridiques n'aient pas perçu cette évidence non
seulement démocratique, mais tout simplement
humaine »510(*).
On notera d'ailleurs que, sans le rendre obligatoire, la Cour
de Strasbourg semble avoir légitimé ce raisonnement. Dans
l'affaire C.R. c. Royaume-Uni, notamment, elle a d'abord
développé un raisonnement novateur, expliquant sa nouvelle
position sur la rétroactivité de la jurisprudence, tout en
expliquant que le Royaume-Uni avait en l'espèce respecté ces
impératifs ; puis elle a tenu à rappeler que même si
le Royaume-Uni avait rendu se norme jurisprudentielle sur le viol entre
époux rétroactive de façon imprévisible, il n'y
aurait pas eu de sanction car « Le caractère par essence
avilissant du viol est si manifeste qu'on ne saurait tenir le résultat
des décisions de la Court of Appeal et de la Chambre des lords -
d'après lesquelles le requérant pouvait être reconnu
coupable de tentative de viol quelles que fussent ses relations avec la victime
- pour contraires aÌ l'objet et au but de l'article 7 (art. 7) de la
Convention, qui veut que nul ne soit soumis aÌ des poursuites, des
condamnations ou des sanctions arbitraires (...). De surcroit, l'abandon de
l'idée inacceptable qu'un mari ne pourrait être poursuivi pour le
viol de sa femme eìtait conforme non seulement aÌ une notion
civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux
de la Convention dont l'essence même est le respect de la
dignitéì et de la liberté humaines. »
Evoquant à la suite de cet arrêt la
« complexité du débat », du fait de la
difficulté à « séparer nettement la question de
l'application dans le temps des arrêts de la Cour de Cassation de celle
qui concerne l'opportunité des revirements » , Christophe
RADE511(*)explique que
« le « dialogue » qui s'est instauré entre
la commission MOLFESSIS et le président de la chambre sociale de la Cour
de Cassation montre combien il est difficile de faire abstraction du
débat entourant la nécessité même du revirement de
jurisprudence pour ne s'intéresser qu'aux conditions de son application
dans le temps. La force d'abstraction du revirement est tout à fait
compréhensible. Si un revirement apparaît contestable dans son
principe, son application rétroactive n'en est logiquement que plus
critiquable. Mais si le revirement réalise un
« progrès », alors tentation est grande de lui
conférer la plus grande portée possible ; c'est d'ailleurs
pour cette raison que la jurisprudence considère aujourd'hui que les
lois qui relèvent du champ de l'ordre public social doivent s'appliquer
immédiatement aux conventions en cours, ce qui est contraire aux
principes qui gouvernent l'application de la loi nouvelle aux actes juridiques
conclus antérieurement ».
Pour Christophe RADE, le revirement pour l'avenir
confié au juge qui a procédé au revirement est par nature
voué à l'échec : « le moins qu'on puisse
dire est que dans cette affaire la chambre sociale de la Cour de cassation est
à la fois juge et partie puisqu'elle devait déterminer
elle-même si ses arrêts rendus le 10 juillet 2002 se justifiaient
par une nécessité suffisante pour devoir s'appliquer de
manière immédiate. Or, peut-on sérieusement imaginer que
la Cour de cassation, qui fait précéder ses décisions de
débats riches et nécessairement contradictoires, pourrait
confirmer l'un de ses revirements tout en admettant que des
intérêts supérieurs s'opposent à une application
immédiate ?
La lecture de l'arrêt rendu le 17 décembre 2004
montre d'ailleurs bien que la question de la légitimité du
revirement et celle de son application dans le temps sont, dans l'esprit des
magistrats, indissociables et que le refus de moduler ses effets dans le temps
est fondé sur la seule légitimité du revirement
lui-même. »
Quelle serait alors la solution ? Une solution, dans
l'optique de « l'appel à l'autodiscipline », serait
de réserver la décision portant sur la modulation d'un revirement
« qui pose la question de principe de sa compatibilité avec le
principe de sécurité juridique » à
l'assemblée plénière. « Par ailleurs, et lorsque
la question de l'application immédiate d'un revirement de jurisprudence
se pose devant les juges du fond, il serait souhaitable que ces derniers
utilisent la procédure de la saisine pour avis afin de permettre de
dégager (...) des principes clairs applicables à tous les
litiges ».
Mais l'autre possibilité, plus sûre mais
impliquant une réforme législative, serait de confier le
débat de l'application du revirement dans le temps à une tierce
autorité, tandis que la Cour de Cassation garderait la maîtrise du
débat de fond sur le revirement. Christophe RADE envisage trois
possibilités quant à la constitution de cette
« autorité de contrôle ». La première
serait d'élargir le recours en révision prévu par la loi
du 15 juin 2000, lorsque la France a été condamnée par la
Cour Européenne des Droits de l'Homme en matière pénale.
La deuxième possibilité serait de poser la question
préjudicielle à la Cour de Luxembourg. La troisième
possibilité de faire appel au Conseil Constitutionnel.
2) La consécration de la procédure par la
Cour de Cassation elle-même.
Cette consécration de la procédure de modulation
des effets du revirement de jurisprudence dans le temps par la Cour de
cassation elle-même peut se heurter à deux obstacles, a priori
infranchissables. Le principe ne heurte-t-il pas la prohibition des
arrêts de règlement (a) ? Et la consécration d'une
telle procédure ne relève-t-elle pas avant tout de la
compétence exclusive du législateur (b) ?
a. Le premier obstacle : la prohibition des arrêts
de règlement.
Un droit transitoire pour les revirements de jurisprudence
suppose que trois périodes soient mises en place :
schématiquement, la première période de temps sera
l'élaboration par la Cour de cassation de la règle nouvelle.
Ensuite, l'application par la Cour de cassation de la règle ancienne aux
rapports de droit nés avant le revirement de jurisprudence. Puis,
lorsque les litiges relatifs à des faits antérieurs au revirement
se seront raréfiés, la dernière période, où
la Cour de cassation commencera à appliquer la règle nouvelle
issue du revirement de jurisprudence.
Pendant une période de temps plus ou moins longue, la
Cour de cassation n'appliquera donc pas la règle issue du revirement. Si
la règle n'a pas de force obligatoire, alors il n'est pas certain que
cette règle soit appliquée, lorsque le temps aura passé,
si elle ne s'impose pas de jure.
Reprenant une formule de jean RIVERO, Antoine BOLZE512(*) rappelle qu' « il
existe une « irréductibilité de la règle
jurisprudentielle au principe de non-rétroactivité »,
dont la doctrine a rapporté depuis longtemps la cause : le juge
n'est pas lié par sa propre erreur ; ce que les arrêts ont
admis, d'autres peuvent le rejeter. On ne peut que prendre acte d'un tel droit
à l'erreur accordé au juge, tant il est vrai que les obstacles
théoriques se révèlent difficilement franchissables. Un
droit transitoire jurisprudentiel suppose, en effet, de reconnaître
à la jurisprudence le statut d'égale de la loi, ce qui va
directement à l'encontre de la prohibition des arrêts de
règlement prévue par l'article 5 du Code civil ». En
effet, seul le caractère réglementaire de l'arrêt
permettrait de fixer dans le temps la portée de la règle
nouvelle ».
Dans ces conditions, la seule solution consisterait donc
à modifier le « statut constitutionnel du juge »,
soit en assouplissant la prohibition des arrêts de règlement -
mais alors l'arrêt ne bénéficierait pas de
l'autorité nécessaire pour s'imposer dans le temps - , soit en
abrogeant purement et simplement l'article 5.
Le Rapport MOLFESSIS, partant d'une redéfinition de
l'arrêt de règlement, n'est pas de cet avis. « l'article
5 prohibe l'exercice, par le juge, d'un pouvoir législatif. A ce titre,
il interdit au juge de prendre une décision qui s'imposerait, par sa
force propre, au-delà des seules parties dont il doit trancher le
litige. Ce qui est interdit, c'est de transformer une décision en
loi. (...)Le caractère réglementaire d'une décision
serait ainsi patent si elle prétendait posséder en
elle-même un effet contraignant au-delà des parties. A fortiori si
la décision entendait lier les juges dans les autres affaires qu'ils
pourraient avoir à juger, juges du fond ou, à nouveau, juges de
cassation.»513(*) La prohibition des arrêts de
règlement est donc liée à deux
éléments : le caractère obligatoire de la norme issue
du revirement et sa force obligatoire au-delà du litige qui l'a vue
naître. « Or le Groupe de travail entend souligner qu'aucun
justiciable « extérieur » à l'arrêt de revirement
n'est immédiatement contraint par ce dernier, qu'il s'agisse de ce qui
est jugé au fond - c'est-à-dire de la décision novatrice -
ou de l'éventuelle inapplication de la solution nouvelle au litige en
cours.
De même, ni les juges du fond ni la Cour de cassation
elle-même ne seraient contraints pour l'avenir si la Cour de cassation
décidait de moduler les effets dans le temps de sa décision. La
Cour de cassation reste en effet parfaitement libre de ses jugements à
venir au point de pouvoir revenir sur la solution retenue - un nouveau
revirement - ou de décider autrement de l'application de la solution
nouvelle à l'espèce. »
Bref, pour le groupe de travail, c'est dans l'approche
individuelle que nous évoquions précédemment que se trouve
la solution à l'obstacle de la prohibition des arrêts de
règlement : « Pas plus que le revirement lui-même,
la modulation dans le temps, dès lors qu'elle ne vaut de façon
obligatoire que dans le cadre du litige qui en est l'occasion, ne
possède de caractère réglementaire.
Au demeurant, il convient de souligner que la question de la
modulation dans le temps de la décision de revirement se posera
logiquement à l'occasion des instances postérieures à
celle ayant donné lieu au revirement : tous les justiciables dont le
comportement pourrait être apprécié à l'aune de la
règle dont l'interprétation est nouvelle, parce qu'issue du
revirement, auront intérêt à solliciter le report dans le
temps de ladite interprétation. La question sera ainsi examinée
à chaque fois qu'elle sera posée »514(*).
Cependant, le moins qu'on puisse dire est que cette
argumentation n'a pas fait l'unanimité dans la doctrine, y-compris parmi
les défenseurs du Rapport MOLFESSIS, et ce pour des raisons d'ordre
pratique plus que juridique. Ainsi, Philippe THERY : « Si juger,
c'est trancher un litige - on rappelle souvent que les juridictions ne sont pas
instituées pour rendre des consultations - une juridiction n'a donc nul
besoin de faire état dans sa décision de principes qu'elle
n'entend pas appliquer. Psychologiquement, pourquoi le juge dirait-il plus
qu'il n'est nécessaire s'il n'a en vue que la solution du litige dont il
est saisi ? Aussi, dire que la Cour conserve une totale liberté de
décision quant elle rend un arrêt de revirement
aménagé est une pure fiction : l'arrêt annonce ce
qu'il dira demain et précise aujourd'hui pourquoi il ne le dit pas
aujourd'hui et cette dualité de décisions dissipe la confortable
confusion du juridictionnel et du jurisprudentiel qui permet de contourner
l'article 5. Y voir un arrêt ordinaire sous prétexte que la
solution retenue peut être remise en cause à l'occasion de chaque
pourvoi contredit d'ailleurs ouvertement le postulat de départ qui
demeure le caractère normatif de la jurisprudence et relève du
même irréalisme que l'on a pu reprocher à ceux qui
contestaient la création de règles à travers la
jurisprudence. Certes, il faut bien admettre comme postulat que la Cour de
cassation n'est pas tenue par ses arrêts - le serait-elle que tout ce
débat n'aurait pas de raison d'être - mais qui croira jamais qu'un
arrêt rendu après s'être entouré de tant de
précautions a vocation à rester un exemplaire unique ?
Pourquoi affirmer un principe nouveau si son application est purement
conjecturale ? Pourquoi insister sur le caractère normatif de la
jurisprudence pour conclure que la Cour juge hic et nunc ? C'est
un peu trop de juridisime pour une proposition qui se veut réaliste.
C'est faire comme si le propre de l'autorité normative des arrêts
de la Cour de Cassation n'était pas de varier entre deux positions l'une
et l'autre intenables : ne jamais répéter une solution ou la
reprendre toujours »515(*).
« Le principe de réalisme qui a
suscité et qui a conduit le rapport ne doit-il pas nous mener au bout du
chemin ? La décision des juges de cassation est, en pratique,
suivie. Elle peut changer, mais il en va de même de la loi.
L'intervention de l'amicus curiae montre à quel point la
décision dépasse le litige. Ou bien il faut tirer les
conséquences de leur intervention et considérer qu'il y a une
altération de l'article 5 du Code civil, au moins en ce qui concerne la
modulation dans le temps. A défaut, à quoi sert-elle au
delà de l'espèce ? Il s'agirait d'arrêts de
règlement d'un genre nouveau qui ne s'identifient pas à la
loi »516(*).
Bref, malgré le « respect formel des canons
de la jurisdictio », Yves-Marie SERINET remarque enfin que
« au nom du caractère fictif de l'absence d'effets
créateur de droit de la décision de revirement, le principe de
réalisme conduirait à reconnaître que
l'interprétation innovante a indéniablement
« vocation » à avoir un effet normatif qui la
dépasse. Mais s'agissant de contourner la prohibition des arrêts
de règlement, il faudrait s'en tenir, sans réalisme aucun,
à l'autorité toute relative de la chose jugée et au
caractère non-obligatoire du revirement ainsi
posé »517(*).
Quelle que soit la valeur des positions du Rapport MOLFESSIS
sur ce point, on peut cependant faire remarquer que le rapport n'avait tout
simplement pas d'autre choix. Ayant revendiqué son attachement à
la nécessaire évolutivité de la
jurisprudence518(*), le rapport ne pouvait dans le même
temps proposer de remettre au goût du jour un mécanisme ayant pour
effet de figer la jurisprudence519(*). Proposer de rétablir la force
obligatoire des arrêts de principe aurait eu pour conséquence de
les transformer en arrêts de règlement ; ce faisant, le
rapport aurait été à juste titre rejeté par une
doctrine, cette fois, unanime.
Bref, plutôt que de revenir
à une solution obsolète, il fallait trouver une troisième
voie ; quelle que soit la valeur des propositions du rapport MOLFESSIS sur
ce point, c'est probablement avant tout dans cet esprit qu'il faut lire ces
propositions.
Le rapport termine par ailleurs ces propositions par un
commentaire qui reste assez mystérieux : il rappelle qu'
« il convient en effet de ne pas oublier que la reconnaissance de la
jurisprudence comme source de droit ne tient pas au caractère
réglementaire de ses décisions mais à des
mécanismes autrement plus complexes, parmi lesquels il faut compter avec
la réception de l'arrêt nouveau par les justiciables »,
semblant vouloir rassurer sur la capacité de la Cour de cassation
à imposer le respect d'une règle de droit par son
autorité, sans avoir besoin pour cela de doter ses arrêts de
principe d'une force obligatoire520(*). Sur ce point, on ne peut d'ailleurs que
rappeler que les discussions sur la nature de la jurisprudence renvoient
souvent à des mécanismes d'ordre moral, sociologique,
institutionnel, voire psychologique qui font l'autorité de la
jurisprudence depuis toujours, ayant remplacé avantageusement le
caractère réglementaire de ses décisions (la discipline
des magistrats, l'autorité morale et technique de la Cour de Cassation,
la légitimité de son action, la volonté de faire un droit
jurisprudentiel accepté des destinataires de la norme, ...)
521(*).
telle serait, semble-t-il, d'après le groupe de travail, la solution lui
permettant d'imposer ces décisions avec un temps de décalage,
sans avoir besoin d'abroger l'article 5, comme l'affirmait Antoine
BOLZE522(*).
Le rapport ajoute enfin un argument qui ne semble
étrangement pas avoir directement fait l'objet de commentaires
nombreux : « En toute hypothèse, que la Cour de cassation
crée des règles impose l'aménagement dans le temps de
certaines de ses décisions ; ce n'est pas cet aménagement qui lui
confère la capacité de créer du droit. L'ordre des
causalités ne saurait être
inversé »523(*).
b. Le caractère injustifié d'une intervention
législative ?
Le rapport MOLFESSIS fait des propositions
particulièrement innovantes, mais aussi assez dangereuses. En effet,
quel que soient les raisons de mettre en place ce système de droit
transitoire, celui-ci consiste avant tout refuser au justiciable une solution
nouvelle à laquelle il avait droit, et qui, souvent, n'aurait pas vu le
jour sans son intervention. La Cour de cassation doit-elle prendre la
responsabilité de la mise en place de ce système, ou doit-elle
laisser cette responsabilité au législateur ? La
réponse apportée par le rapport est négative.
En effet, les rapporteurs ont estimé que la mise en
place d'un système de droit transitoire pour la jurisprudence
rentrait dans le rôle naturel du juge. A cela, trois raisons. Seul le
juge serait à même de définir précisément et
de façon légitime les limites de son action, comme le montrerait
les exemples de droit comparé : « la définition de
la portée exacte d'une décision est logiquement du ressort de la
compétence du juge lui-même. L'appréciation des effets dans
le temps de la décision constituant un élément à
part entière de cette portée, il est cohérent de
considérer qu'elle se trouve incluse dans le périmètre
« naturel » du pouvoir du juge. Plus encore, s'il devait y avoir
modulation, ce serait précisément du fait de l'innovation
prétorienne que représente le revirement de jurisprudence : on ne
voit pas pour quelle raison l'aménagement temporel de cette innovation
exigerait une forme d'habilitation législative alors même que
l'innovation qui la justifie relève de la seule intervention du
juge »524(*).
Les deux arguments ont trait à la maîtrise du
dispositif. La décision rendue par le juge constituant sa raison
d'être, il serait « également cohérent que le
juge maîtrise de part en part le processus de modulation dans le temps
des ses revirements de jurisprudence ». Ce qui amène le
rapport à étendre à la genèse d'un droit
transitoire pour la jurisprudence le principe affirmé par J.-H. Stahl et
A. Courrèges à propos de l'arrêt AC ! : la
portée de l'annulation serait au premier chef l'affaire du juge, donc
reporter l'application d'une norme jurisprudentielle relèverait
également de l'office du juge.
Le rapport apporte enfin un argument qui semble tiré
d'une certaine méfiance vis-à-vis du législateur :
« en raison de l'évolution contemporaine du droit
européen comme de celle du droit constitutionnel, le législateur
est considéré comme de moins en moins légitime à
intervenir dans le champ du dispositif des décisions de justice. Le
contrôle des validations législatives comme celui des lois
interprétatives l'illustre clairement ».
Ces arguments semblent avoir choqué une partie
importante de la doctrine. Vincent HEUZE, par exemple, semble estimer que
l'idée participe d'une « conception condescendante et
très pernicieuse de la démocratie
représentative »525(*). Jean-Luc AUBERT, quant à lui, doute
que « la jurisprudence, en général, et la Cour de
Cassation, en particulier, ait le pouvoir de déroger à la
rétroactivité naturelle de la décision judiciaire, qu'elle
soit ou non de revirement. C'est donner au juge un pouvoir qui quelles que
puissent être sa pertinence et son opportunité, me paraissent
relever de la compétence de la loi et du règlement, sources que
le rapport récuse curieusement au profit de la Cour de cassation parce
qu'elle a « la capacité de créer du droit ».
Au reste, un tel pouvoir ne saurait aller sans une réglementation
détaillée (conditions de la modulation, modalités de sa
mise en oeuvre - critères d'application de la norme ancienne et de
survie de l'ancienne) qu'un arrêt, fût-il de revirement, ne saurait
préciser sans constituer un arrêt de
règlement »526(*).
Quoi qu'il en soit, on peut remarquer qu'il est
étonnant de voir le législateur écarté du processus
de formation de la norme. Si le fait de voir la Cour de cassation prendre
l'initiative d'une innovation prétorienne est finalement assez
fréquent, il serait assez étrange que le législateur ne
puisse pas intervenir a posteriori, surtout dans un domaine mettant en cause le
droit d'accès au juge. Comme l'a écrit Patrick MORVAN à
propos des deux arrêts dans lesquels la Cour de Cassation a
procédé à des revirements pour l'avenir, « les
hautes-juridictions ont prouvé le droit en
marchant »527(*) ; il est par contre fort probable que
le législateur souhaite en imposer l'itinéraire.
Plus largement, l'affirmation selon laquelle le
législateur ne serait plus à même d'agir en matière
de droit jurisprudentiel sans porter atteinte au principe de séparation
des pouvoirs a été jugée comme ignorant « la
dialectique démocratique entre le juge et le
législateur » : « le droit pour le
législateur d'intervenir à la suite d'une jurisprudence,
notamment en cas de revirement, relève (...) d'un processus
légitime et qui est sans doute le correctif le plus démocratique
aux effets rétroactifs trop lourds de conséquence pour
l'intérêt général »528(*), comme l'avait
autrefois souligné Jean RIVERO529(*).
Sur cette question, on peut enfin rappeler cette remarque de
Philippe THERY : « il est frappant qu'aucun parlementaire n'ait
été associé à un débat auquel ont
participé les syndicats, les consommateurs et le patronat. La
légitimité que donne l'élection est-elle si
médiocre ? A moins de penser que le droit est une chose trop
sérieuse pour être confiée au
Parlement... »530(*)
Bref, sur cette question, on peut remarquer que la
dialectique proposée par le rapport MOLFESSIS ne semble pas avoir
convaincu la doctrine, et que les voeux exprimés par le rapport ne
semblent pas avoir été repris par la doctrine.
Bref, le rapport MOLFESSIS propose précisément
ce qui avait été écarté jadis par jean
RIVERO comme solution éventuelle à la
rétroactivité : la dissociation entre la création de la
règle et son application aux faits qui lui ont permis de naître.
C'est le fondement d'un droit transitoire original fondé sur des
principes originaux pour une norme bien particulière, fondé sur
une logique d'effet et sur une logique individuelle.
Ce faisant, le rapport propose de revenir sur le statut
actuel de la jurisprudence, d'une part en reconnaissant son pouvoir
créateur, d'autre part en supprimant - certes au cas par cas - ce qui
est devenu pour elle un attribut naturel : sa rétroactivité.
Cette proposition n'a pas fait l'unanimité parmi les acteurs du droit,
et l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation quelques
semaines après le rapport531(*) le montre bien.
Les auteurs du rapport, et plus largement les partisans des
propositions du rapport MOLFESSIS, ne doivent pas l'oublier : de
même que la Cour de Cassation ne peut imposer ses idées par
autre-chose que la voie de son autorité, les propositions d'instituer un
droit transitoire pour la jurisprudence doivent avant tout convaincre si l'on
veut qu'elles soient adoptées. Si le législateur ne souhaite pas
intervenir, c'est avant tout parce que les juges seraient convaincus de la
nécessité de moduler la norme jurisprudentielle dans le temps
qu'une procédure touchant aux attributs traditionnellement reconnus
à la jurisprudence pourrait voir le jour. Il est impossible de forcer
ces acteurs du droit, qui font respecter aujourd'hui ce qui a toujours
été ressenti comme légitime, à rejeter deux
siècles d'application rétroactive de la jurisprudence, mais il
est possible de les convaincre de la nécessité d'une innovation
jurisprudentielle. C'est seulement ainsi qu'une innovation jurisprudentielle
peut voir le jour devant la Cour de Cassation, et c'est ce principe qu'il faut
avoir à l'esprit en lisant les propositions du rapport MOLFESIS.
Section II / La lutte contre
l'imprévisibilité de la jurisprudence.
Le lien entre la prévisibilité de la
jurisprudence et sa rétroactivité est indirect,
l'imprévisibilité de la jurisprudence étant a priori plus
un phénomène parallèle. Mais ce phénomène
qu'on pourrait croire distinct peut avoir pour conséquence
d'accroître les effets dévastateurs de la
rétroactivité de la norme jurisprudentielle. Lorsque le
changement de norme jurisprudentielle est prévu, les justiciables
peuvent agir en conséquence ; ils peuvent éviter de
commettre tel acte qui paraît pour le moment licite, mais qui
apparaît de plus en plus controversé ; ils peuvent modifier
telle disposition contractuelle que la jurisprudence considère peu
à peu avec plus de méfiance. Mais lorsque la jurisprudence reste
trop mystérieuse pour être prévisible, alors son effet
rétroactif est aggravé par le fait que les justiciables sont pris
au dépourvu. Bref, si la rétroactivité n'est plus
directement en cause, son effet dévastateur est en effet
amplifié.
Christian MOULY a pu écrire que « La
question essentielle des revirements de jurisprudence devient alors de savoir
si leur contenu peut être perçu avec suffisamment de délai
pour que l'adaptation soit possible avant que leur effet rétroactif ne
cause trop de dommages. Ne faudrait-il pas pour réduire les deux
inconvénients actuels des revirements de jurisprudence, leur
imprévisibilité et leur effet rétroactif, rendre leur
venue davantage perceptible ? ». La lutte contre l'effet
dévastateur de la rétroactivité de la jurisprudence
rejoint donc celle contre l'imprévisibilité de la
jurisprudence sur cette préoccupation : rendre la venue de la
norme jurisprudentielle plus prévisible, c'est faciliter les
prévisions des parties sur le fondement de la jurisprudence.
L'imprévisibilité peut alors être
envisagée de deux façons. La première consiste à
permettre à la Cour de Cassation de mieux maîtriser sa
jurisprudence, soit dans son expression(I) , soit dans son
homogénéité. (II) .
§ I / La maîtrise de la jurisprudence par
la Cour de Cassation.
La norme jurisprudentielle peut être rendue plus
prévisible par la Cour de Cassation. Pour ce faire, la Cour peut
modifier la façon dont elle rend ses arrêts, pour que leur sens
apparaisse plus clairement (A) . Mais la diffusion de la jurisprudence reste
alors un enjeu fondamental (B) .
A. La maîtrise de l'expression de la norme
jurisprudentielle à travers ses arrêts.
1) Les enjeux : rôle de la Cour de Cassation et
clarté.
Deux types de considérations sont ici prises en compte
par la doctrine : le style actuel de rédaction des arrêts de
la Cour de Cassation rend plus difficile la pleine compréhension de la
norme jurisprudentielle ; les méthodes de rédaction de
l'arrêt sont associées à une certaine conception du
rôle normatif de la jurisprudence.
Sur le premier point, plusieurs impératifs sont pris en
compte pour apprécier la qualité de la motivation de
l'arrêt parmi lesquels on peut citer notamment : le principe d'une
adhésion raisonnée des juges du fond à la norme
jurisprudentielle532(*),
des impératifs de sécurité juridique, l'audience
grandissante des arrêts de la Cour de Cassation, ou plus simplement
l'accessibilité au droit. Le raisonnement, mais aussi certaines
considérations d'opportunité qui expliquent l'arrêt,
devraient apparaître plus clairement.
Dans cette optique Christian MOULY écrit par
exemple: « le constat formulé par M. PERDRIAU533(*) est simple :
« l'interprétation des arrêts de la Cour de Cassation
est importante... parce qu'il est nécessaire de bien comprendre les
messages juridiques qu'entend délivrer la Cour
régulatrice... »
Pour se faire comprendre, il est nécessaire de
s'expliquer. L'explication sur les raisons de choisir une solution plutôt
qu'une autre et l'examen détaillé des arguments rejetés
comme des arguments retenus permettrait à la Cour de Cassation
d'insérer ses solutions dans le corpus juridique. Le juriste raisonnant
essentiellement par analogie, seul l'arrêt motivé peut servir de
référence et faire fonction de précédent. La
Cour de Cassation doit pour cela en donner les fondements et la fonction par
une motivation détaillée, longue, parfois redondantes et
digressive. Seule cette motivation permet de mesurer la portée
d'une solution, de la distinguer de celles qui en sont divergentes et
l'utiliser par analogie à bon escient »534(*).
« Sous l'influence des lumières, l'argument
d'autorité devint indisponible, [la motivation] répondait
à une exigence de crédibilité et d'acceptabilité
sociale, destinée à obtenir l'adhésion raisonnée
des destinataires de la décision. D'autre part, plus important encore
car spécifique au raisonnement judiciaire, elle s'affirma garantie
argumentative contre l'arbitraire »535(*).
Cette nécessité de l'explication s'explique
notamment par l'audience grandissante des arrêts de la Cour de Cassation,
passant d'une élite de juristes et de juges du fond formés
à la compréhension des arrêts à un public plus
large, comprenant notamment les « opérateurs
économiques », les « partenaires
sociaux », ... : « la rhétorique accorde
à l'audience un rôle déterminant. Celle de la Cour de
Cassation était conçue au 19ème siècle
comme constituée uniquement des juridictions inférieures et des
juristes professionnels. La Cour de Cassation interprétait la loi
à leur intention.
Aujourd'hui, l'audience de la Cour de Cassation est
élargie à l'ensemble de la nation Française. Source
acceptée de normes juridiques, la Cour de Cassation doit les faire
comprendre de lecteurs qui ne sont pas entraînés à la
divination de ses silences. Son nouveau rôle implique une nouvelle
motivation »536(*).
Surtout, le style rédactionnel de la Cour de Cassation
est associé à une certaine conception de son rôle,
où la « motivation à la Française »
est souvent opposée au style des juges de common law.
« Dans cette quête de la meilleure motivation possible, le
rôle du juge, et à travers lui, de la fonction de la
décision de la justice, constitue le meilleur étalon (et le plus
souvent utilisé) . Le désaccord sur la motivation
souhaitée ne résulte dès lors ni de positions plus ou
moins « exactes » ou « conformes au droit
positif » mais de perceptions différentes du rôle de la
Cour de Cassation, selon que l'on privilégie la
spécificité de sa fonction de cassation, sa fonction symbolique,
de régulation sociale, de recours pour le rétablissement du juste
ou enfin sa fonction d'interprète authentique du
droit »537(*).
Le modèle adopté par la Cour de Cassation reste
étroitement associé à l'idée d'intervention neutre
du juge : la fonction du juge est essentiellement déclarative, elle
ne doit pas créer du droit, mais uniquement appliquer le droit
créé par le seul créateur de normes légitime. Pour
cela, seule le raisonnement syllogistique exprimé par une phrase unique
et la plus brève possible est nécessaire ; aller plus loin,
c'est laisser le juge abuser de son pouvoir. L'arrêt est donc peu
détaillé, le modèle est celui de
« l'impérieuse brièveté », puisque
l'interprétation donnée par le juge doit découler
directement de la norme posée par le législateur. La
rédaction de l'arrêt ne laissera donc voir qu'une simple
opération de déduction logique, faite sans aucune
difficulté. « Dès lors que l'on conçoit [l'ordre
juridique] comme un ensemble de normes hiérarchisées et
fermées, dont l'interprétation répond par
conséquent à une rationalité déductive, la
pesée des valeurs est reléguée à la
périphérie ; les choix idéologiques, sociaux ou
économiques, appartiennent dans cette optique au seul domaine politique,
celui du législateur »538(*).
Mais ce faisant, la motivation cacherait parfois une
opération plus complexe.« Au mieux, la Cour de Cassation
recourt de temps à autres à quelques codes permettant de
déduire que le texte a été l'objet d'une
interprétation constructive, selon que le visa est suivi d'un
« attendu qu'aux termes de cet article », annonçant
l'énoncé du texte, ou d'un « attendu qu'il
résulte de cet article », laissant attendre une
interprétation. Voulant camoufler la distorsion introduite entre le
texte et l'interprétation, la Cour préfère paradoxalement
substituer l'une à l'autre, assimilant le texte (d'origine
légale) à son interprétation (d'origine
jurisprudentielle) »539(*).
Ce modèle de rédaction est parfois remis en
cause par la comparaison avec certains modèles de droit, où le
rôle créateur de droit du juge est pleinement reconnu.
L'idée ici mise en avant est que, dès lors que l'on
dénonce l'absence de pouvoir créateur du juge comme étant
une pure fiction, il devient nécessaire de mettre son style
rédactionnel en adéquation avec son action de création de
droit. Comme l'explique Pascale DEUMIER540(*), celle-ci peut prendre des formes diverses,
calquée sur la fonction législative ou simplement basée
sur l'interprétation mais le changement est alors nécessaire.
L'arrêt ne devrait donc pas seulement révéler
l'interprétation choisie par le juge dans le seul contexte de
l'arrêt mais également les raisons de ce choix. Evoquant les
travaux d'André TUNC, Horatia MUIR-WATT résume ainsi la
pensée de l'auteur : la lecture de l'arrêt devrait
révéler les raisons de politique judiciaire permettant de
comprendre pourquoi, entre plusieurs possibles que justifierait le droit
posé, telle voie a été empruntée de
préférence à une autre »541(*).
Dès lors, « la concurrence, outre-Manche
comme outre-Atlantique, d'un modèle rhétorique très
différent de celui que pratique la Cour de Cassation Française,
oblige à revenir, une nouvelle fois, sur l'interrogation lancée
par André TUNC et le Procureur Général TOUFFAIT il y a
déjà une trentaine d'années542(*) : l'écriture
parcimonieuse des arrêts de la Cour régulatrice, occultant
soigneusement derrière les austères exigences de la technique de
cassation la « part d'arbitraire »543(*) que comporte toute
décision judiciaire, est-elle véritablement ajustée
à sa vocation créatrice de droit ? »544(*).
« D'un côté, la phrase unique,
impersonnelle, avec sa syntaxe syllogistique, qui réduit
l'activité normative à une exégèse et fait taire
les opinions individuelles par une mystérieuse « alchimie
psychologique »545(*).il y a là une sorte de modélisation du
processus décisionnel collectif, qui est à l'image
idéologique du raisonnement juridique lui-même, opération
de logique déductive plutôt que d'ingénierie sociale. A
l'inverse, en effet, du juge suprême de common law, la Cour de
cassation est bien logicienne : elle assure la rectitude du raisonnement
mais n'argumente pas. Caché du justiciable, le
délibéré est lieu de confrontation et de doute ;
c'est là que s'exprime, dans les cas difficiles, l'indéterminisme
essentiel du droit. Mais l'habillage grammatical dont se pare l'arrêt
lui-même maintient l'apparence d'une conclusion logique inévitable
et sert de mode de légitimation de la décision finale. Comme le
dit très bien Michel TROPER, la fonction de la phrase judiciaire unique
est précisément de faire passer pour une compétence
liée, ce qui ne peut être que le fruit de la création ou de
la discrétion du juge546(*). Dans cette phrase impersonnelle,
épurée, la personnalité de ce dernier s'efface ;
c'est toujours la loi qui parle »547(*).
A l'inverse, les systèmes de common law
connaissent des styles rédactionnels beaucoup plus souples, liés
à une idéologie différente, ou l'opinion du juge
apparaît plus clairement, le cas échéant comme
étant un choix, mais aussi les raisons qui l'ont poussé à
prendre telle ou telle décision, alors même que ces raisons
seraient, en France, considérées comme extra-juridiques, et
étrangères au rôle du juge : l'arrêt livre alors
« les considérations morales, éthiques, humaines, et
encore socio-économiques qui en justifient le
dispositif »548(*). « On sait que la common law ne
s'élabore pas selon une rationalité abstraite, mais se sert de
l'argument conséquentialiste et du raisonnement analogique, qui ne
favorisent pas une séparation étanche du fait et du droit. (...)
Dans les hard cases, où le droit posé ne permet pas de
trancher, la réponse ne s'induit pas directement du tissu social ;
la common law n'est pas un « savoir symbolique »,
mais une connaissance directe du réel »549(*).
La « motivation à la
Française » est alors un obstacle à la clarté du
droit, ne permettant pas de connaître la portée réelle de
l'arrêt. Mais, si l'abandon du style de rédaction à la
Française ne représente pas la solution, il serait
peut-être nécessaire d'assouplir les exigences de motivation de la
rédaction à la Française, et la question se pose de savoir
comment exprimer plus clairement la position de la Cour de cassation sur tel
point de droit.
2) Les solutions envisagées.
Plusieurs techniques permettent de réduire la part
d'incertitude sur la portée réelle de l'arrêt, et sur ses
motifs réels. Certains consistent à insérer des
éléments supplémentaires dans l'arrêt de principe
lui-même, d'autres consistent à donner ces éléments
hors de l'arrêt mais dans le contexte de l'arrêt.
Dans la première catégorie, on peut tout d'abord
évoquer une technique permettant de réduire la surprise
crée par le revirement en rendant le changement de doctrine progressif.
Il s'agit de la politique des « petits pas », ou encore
celle des « ballons d'essai ». « L'arrêt
qui inaugure la solution nouvelle, en n'épuisant pas toutes les
interrogations, peut alors laisser aux justiciables le temps et le soin de
s'adapter. Ainsi l'arrêt BLIECK a-t-il laissé ouvertes
non-seulement des questions liées au domaine de la nouvelle
responsabilité du fait d'autrui qu'il inaugurait, mais aussi celles
portant sur le régime de cette responsabilité, sans encore
trancher entre un système reposant sur la faute ou une
responsabilité de plein droit. Il faudra attendre 1997 pour être
définitivement fixé sur le régime adopté, en
conséquence du revirement de jurisprudence »550(*).
Ces techniques, si elles ne sont pas un remède contre
les effets négatifs de la rétroactivité du revirement,
permettent du moins de laisser du temps aux justiciables pour préparer
le changement de droit, et sont parfois mises en oeuvre par la Cour de
Cassation.
Plusieurs autres procédés permettraient de
préparer le revirement, soit en l'annonçant plus ou moins
directement, soit en laissant entendre que l'actuelle interprétation
jurisprudentielle est de plus controversée. Christian MOULY551(*) en évoque notamment
deux : l'obiter dictum et la possibilité de laisser les
juges exprimer des opinions dissidentes. « L'obiter dictum
est cette incidente ajoutée dans un raisonnement, inutile à
la solution mais instructive sur la position que le rédacteur tiendrait
dans un autre cas. Cette remarque faite en passant, sans qu'elle ait de
conséquence dans l'arrêt qui la contient, est un excellent moyen
pour le juge de laisser deviner ses intentions lorsqu'il devra évoquer
le problème à peine évoqué ». Ainsi,
l'observateur assidu de la Cour de Cassation peut plus facilement
connaître ses intentions futures. Mais le procédé reste
associé à une conscience par la Cour de son rôle normatif,
si bien que « la Cour de Cassation utilise ce
procédé, mais elle ne le fait que rarement et avec une grande
difficulté en raison de sa volonté de réduire au maximum
la motivation de ses arrêts ».
Un autre procédé assez efficace est de donner
à l'observateur de la Cour de Cassation des indices sur le
caractère controversé ou bien affirmé de la jurisprudence.
On évoque parfois la pratique de certaines juridictions, telles la Cour
Européenne des Droits de l'Homme, qui publient dans l'arrêt
même la majorité à laquelle a été obtenu
l'arrêt, le « score » permettant d'apprécier
de la fermeté de la position de la Cour. Mais le procédé
le plus connu est sans doute la possibilité de publier les opinions
dissidentes. L'opinion dissidente consiste à laisser au parti
minoritaire la possibilité d'exprimer à la fin de l'arrêt
les motifs pour lesquels il ne partage pas la solution adoptée. Elle est
une vivante source de revirement, car l'expression des arguments en renforce la
finesse, et leur lecture ouvre le débat. Préparation et
amélioration des solutions nouvelles en sont la conséquence. La
revendication est ancienne, comme l'est la pratique des cours de common
law ou celle de la Cour Européenne des Droits de l'Homme dès
sa création. Le rôle de l'opinion dissidente dans
l'évolution des solutions peut être essentiel. (...)
L'opinion dissidente peut être celle du rapporteur, ou
de l'avocat général, et sera divulguée par la publication
du rapport ou des conclusions ; C'est une première étape.
L'opinion dissidente pourrait être ouverte à
l'opinion minoritaire d'une chambre entière de la Cour de cassation,
dans les arrêts de chambre mixte ou d'assemblée
plénière, ce qui préserverait l'anonymat auquel les juges
français sont encore attachés. Mais elle est encore plus utile
lorsqu'elle exprime la position d'une minorité dans une chambre et
qu'elle est signée par celui qui prend la charge de la
rédiger ».
Mais l'expression des opinions dissidentes n'est pas sans
risque. On lui reproche en effet de nuire à l'autorité de
l'arrêt. Or, comme l'explique Pascale DEUMIER, dans le système
Français où la Cour de Cassation doit compter sur son
autorité au moins autant que sur le rapport de force pour imposer son
interprétation unificatrice, cette donnée n'est pas
négligeable. De plus, « ces suggestions de diffusion
dépassent les simples questions de choix rédactionnels
puisqu'elles heurteraient de plein front le secret du
délibéré et malmèneraient l'indépendance des
juges. Une tell individualisation est plus justifiée pour les
juridictions fortement politiques, à l'instar de la Cour suprême
des Etats-Unis ou la Cour Internationale de Justice, que pour une juridictions
fondée sur la compétence technique »552(*).
Mais c'est surtout la possibilité de porter à la
connaissance du public les raisons qui ont poussé les juges à
choisir telle solutions plutôt qu'une autre qui permettront de
réduire les incertitudes sur la portée des solutions
jurisprudentielles. Dans cette optique, deux pistes sont
proposées : le développement de la motivation des
décisions, et la possibilité de porter à la connaissance
du public les données culturelles, économiques et sociales qui
ont pu intéresser les juges. Et plusieurs pistes sont possibles, outre
la possibilité d'insérer ces différents dans l'arrêt
lui-même.
Sur ce sujet, quelques précisions sont alors
nécessaires. Tout d'abord, comme l'explique Pascale DEUMIER553(*), le besoin de motivation
diffère selon le type d'arrêt. Reprenant le modèle des
trois fonctions de l'interprétation - la fonction d'application de la
loi, la fonction de suppléance de la loi, et la fonction d'adaptation de
la loi, auxquelles elle ajoute la fonction de contrôle de la
conformité de la loi à une norme internationale, dont
l'importance n'est apparue que plus récemment - Pascale DEUMIER explique
que ces quatre fonctions ne provoquent pas le même besoin
d'interprétation, puisqu'elles « ne mettent pas en oeuvre un
égal pouvoir créateur du juge ».
Plus encore, les hypothèses dans lesquelles la Cour de
cassation n'exerce tout simplement pas ou peu son pouvoir créateur sont
également à ranger dans ces hypothèses de motivation
différenciée : « nombreuses seront les
décisions rendues par la Cour de Cassation qui ne soulèveront pas
de difficultés sur l'interprétation de la loi et n'exigeront pas
une motivation détaillée. Aux décisions de non-admission
peuvent s'ajouter les hypothèses d'irrecevabilité, de rejet
manifeste mais aussi de cassation disciplinaire, qui appellent peu de
précisions et peuvent conserver la forme d'arrêts concis, si ce
n'est « bréviaires ». L'arrêt de la Cour de
cassation ne répond pas à un modèle unique et la
Haute-juridiction sait déjà utiliser la palette qui s'offre
à elle ». Outre la possibilité d'aborder le
phénomène de façon plus rigoureuse, la données
permet de résoudre un problème pratique :
« l'argument de l'engorgement de l'engorgement de la juridiction,
parfois avancé pour justifier la concision des arrêts, perd en
pertinence s'il est admis que seuls les arrêts porteurs de doctrine, et
justement parce qu'ils sont porteurs d'une doctrine, appellent une motivation
plus explicite ».
Ensuite, jusqu'à quel point la Cour de cassation
doit-elle changer ses habitudes ? Il n'est probablement pas
nécessaire d'abandonner totalement la « motivation à la
Française », d'autant plus que les systèmes de
common law n'offrent pas une alternative exempte de reproches. Comme
l'explique Horatia MUIR -WATT554(*), les efforts de motivation ne permettent pas de
cacher le caractère parfois politique des décisions rendues, et
la possibilité offerte au juge de common law d'assumer son
rôle politique a tendance à l'éloigner de la technique
juridique, si bien que la tendance y est parfois à une volonté de
retour au « bon vieux formalisme juridique ». Dès
lors, il n'est pas nécessaire d'abandonner totalement le modèle
de rédaction à la Française, mais seulement de
réduire l'écart entre les modèles.
Le besoin de motivation peut ainsi répondre à
des besoins différents. Le premier, comme l'explique Horatia MUIR-WATT,
est de préciser « l'univers de
référence » de la Cour de cassation. Mais d'autres
besoins peuvent également se faire sentir, et notamment le besoin de
préciser le raisonnement employé par les juges. Le débat
et les choix qu'a fait la Cour devraient apparaître plus clairement dans
l'arrêt, au moins dans les réserves, mais aussi la
référence aux précédents, dans le but de respecter
la cohérence de l'ordonnancement dans lequel prend place l'arrêt.
D'autres données extérieures à ce débat peuvent
également éclairer le sens de l'arrêt : les critiques
doctrinales, les résistances des juges du fond, les critiques faites par
d'autres juridictions, dont la cour a pu tenir compte, et qui expliqueront le
revirement autant qu'elles montreront la force du maintien d'une position
antérieurement critiquée. Mais les destinataires de l'arrêt
ont parfois aussi besoin de connaître le contexte économique et
social dans lequel s'inscrit l'arrêt, soit pour comprendre pleinement la
position de la Cour dans sa fonction de suppléance de la loi, soit la
position de la Cour dans sa fonction de création du droit. La
difficulté est alors d'exprimer ces données de la façon la
plus claire et la plus exhaustive possible, mais aussi de déterminer la
valeur de ces considérations d'ordre a priori extra juridique :
s'imposant aux juges, les guidant, ...555(*)
La meilleure méthode n'étant pas toujours la
publication dans l'arrêt lui-même, mais plutôt l'utilisation
du contexte. « dans cette perspective, deux publications peuvent
être exploitées : celle du rapport du conseiller-rapporteur
et de l'avis de l'avocat général, aux fonctions officielles
identifiées mais aux positions construites avant le prononcé de
l'arrêt et dont la part exacte de consécration est
hypothétique ; celle des divers supports diffusés par le
Service de documentation et d'études de la Cour de Cassation (B.I.C.C.,
Bulletin, Communiqués) , qui ne participent pas au choix de
l'interprétation mais s'affirme progressivement comme la voix de la cour
de Cassation, mi-officielle (ces analyses ne pouvant pas être
rangées au même rang que les hypothèses doctrinales) ,
mi-officieuse (ces analyses n'engageant pas la Cour de
Cassation) »556(*). A tous ces moyens de publication on peut d'ailleurs
ajouter le rapport annuel de la Cour de cassation, moyen par lequel la Cour a
ainsi pu parfois influencer fortement le législateur, mais aussi les
efforts accomplis par le service de documentation pour mettre en place un
marquage particulier pour chaque type de décisions, selon leur
importance pour le droit positif557(*).
Les communiqués de la Cour de Cassation offrent un bon
exemple de cette évolution des moyens de publication558(*). Accompagnant depuis 2001
les arrêts de principe, les communiqués permettent de clarifier le
sens de l'arrêt pour le profane. Mais ils sont parfois également
« porteurs d'informations qui dépassent la simple
clarification pour y ajouter un supplément de sens »,
informations que la discipline rédactionnelle ne permet pas
d'insérer dans l'arrêt. Ces informations peuvent être des
plus diverses : état du droit avant l'arrêt,
précédents, enjeux pratiques, divergences, critiques,
méthodes d'interprétation employée par la Cour,
jurisprudence d'autres formations de la Cour ou d'autres juridictions, travaux
de droit comparé, ... Le communiqué pourra parfois
préciser la portée exacte de l'arrêt.
Mais le recours au contexte de l'arrêt pour expliquer
celui-ci n'est pas sans risque, et les communiqués en offrent là
encore un bon exemple : d'une part, il devient alors nécessaire de
préciser la nature de ces moyens d'information : quelle en est la
valeur ? Ont-ils une valeur normative ? « L'absence de
normativité du communiqué ne l'empêche en rien de
participer à ce processus de construction, seule restant la question de
savoir à quel titre il le fera. Il s'ajoute à
l'interprétation du texte par l'interprète authentique sur le
support officiel ; en ombre, il donne l'interprétation de
l'interprétation par l'interprète authentique sur un support
officieux ; il précède, sans les lier, les
interprètes non-authentiques sur un support privé.
Dépourvus d'authenticité, cette interprétation de
l'arrêt se rapproche des commentaires d'arrêt ; émanant
de la juridiction, elle porte une sur-motivation officieuse d'un arrêt
qui demeure sibyllin ».
Un deuxième danger survient alors : « la
démultiplication des supports utilisés gêne. Avec l'annonce
à venir de la mise en ligne des rapports, l'on imagine
déjà le commentateur qui, pour comprendre l'arrêt de la
Cour de cassation, devra lire en parallèle l'arrêt, le
communiqué, le rapport, l'avis - le tout dépassant largement en
volume un arrêt soigneusement motivé, sans en avoir la
fiabilité faute de certitude quant aux informations
délivrées hors l'arrêt. Le communiqué vient ainsi
ajouter une strate à un processus de construction de la jurisprudence,
déjà complexe et diffus, au point que l'on puisse commencer
à douter du progrès réel en termes
d'intelligibilité »559(*).
Mais l'expression claire d'une norme jurisprudentielle
inscrite de façon cohérente dans un certain contexte ne suffit
pas. Encore faut-il que le public puisse effectivement en prendre
connaissance.
B. La diffusion de la jurisprudence, nouvelle mission de
service public.
On le sait, l'accès aux arrêts pour y distinguer
ceux qui forment la jurisprudence fait partie des conditions nécessaires
à la connaissance du droit560(*). Longtemps, cette activité n'a
été conçue que dans une perspective commerciale, ce qui
n'a d'ailleurs semble-t-il jamais nui à la qualité du service
offert par les grands éditeurs privés qui se sont imposé
sur ce marché. « Le secteur privé de l'édition
juridique en France a toujours occupé une position de premier plan dans
la diffusion de la jurisprudence. Il est juste d'observer qu'il a dans une
large mesure pallié la relative carence du service public de la justice
dans la diffusion de sa production et qu'à certaines périodes, il
fut même le seul à assumer cette mission. S'agissant en
particulier de la jurisprudence des juridictions du fond, l'État s'en
est, jusqu' à tout récemment, principalement remis à
l'initiative privée. »561(*)
Mais l'idée s'est affirmée récemment que
l'impératif de connaissance du droit, et notamment de la jurisprudence,
devait être conçu dans une perspective offrant certaines garanties
que n'offre pas forcément une activité entreprise dans
un but lucratif, quelle que soit la qualité du service proposé.
« Un certain nombre de critiques portaient sur le coût des
produits commercialisés au sein du "marché captif"
constitué par les professionnels du droit et, corrélativement,
dénonçaient une certaine "confiscation" de la connaissance du
droit, ainsi qu'une sélection insuffisamment représentative et
pluraliste. Surtout, cette situation apparaissait en décalage avec le
puissant mouvement vers la "transparence administrative". L'amélioration
de l'accès aux documents administratifs, comme, de façon
générale, des relations de l'administration et des citoyens, ne
pouvait pas manquer d'alimenter le débat sur la diffusion des
données publiques, notamment juridiques. Le droit à l'information
devenait liberté publique. Le passage "du papier au
numérique" et le développement des bases de données
privées et publiques allaient favoriser les mutations
nécessaires.»562(*)
C'est ainsi que l'accès à la jurisprudence a
été récemment repensé comme devant offrir certaines
garanties que seul un service public peut fournir à coups sûr, et
le développement des nouvelles technologies, et plus
particulièrement de l'informatique et de l'internet, allait fournir des
moyens nouveaux pour cette mission, mais aussi un cadre d'intervention dans
lequel la diffusion de la jurisprudence allait être repensée pour
faciliter la connaissance, et donc la prévisibilité de la
jurisprudence.
« Depuis une vingtaine d'années, s'affirme
une politique profondément novatrice qui entend désormais
traduire les objectifs de valeur constitutionnelle d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi. Elle a pour atout décisif l'apport
des techniques de l'information et de la communication à telle enseigne
que, ce dont il est aujourd'hui question, ce n'est plus tant d'accès au
droit - ce qui postule une démarche du citoyen pour obtenir
l'information -, que de diffusion du droit. Le numérique abolit
quasiment la distance entre l'usager et l'informateur. "Internet pour le droit"
est devenu un sujet de colloque au même titre que "le droit de
l'internet". »563(*)
La problématique, au début des années
1980, dévient alors celle de la conciliation entre deux
impératifs : celui de l'accès au droit, droit fondamental du
justiciable564(*), et
celui de la liberté du commerce et de l'industrie, droit fondamental des
acteurs privés de la diffusion du droit. La
« réorganisation du système informatique d'accès
au droit » devient alors une priorité du gouvernement, qui
mène logiquement à la création par un décret du 24
octobre 1984 du « service public des bases et banques de
données appelé à traiter la jurisprudence du Conseil
d'État et de la Cour de cassation. Le secteur privé se voit, pour
sa part, confier le traitement de la jurisprudence des cours et tribunaux. La
commercialisation des données produites par l'État est
assurée par une filiale de la Caisse des dépôts et
consignations. »
Le développement de ce service public restera
dès lors une priorité des gouvernements successifs jusqu'à
aujourd'hui, même si la compatibilité de cette politique avec la
liberté du commerce et de l'industrie a pu être contestée
pendant les années 1990, notamment au moment de l'étape
intermédiaire de la concession de service public. L'action du
gouvernement aurait eu pour effet de placer les données juridiques sous
monopole étatique. Ce fut l'occasion pour le Conseil d'Etat de consacrer
la validité de la politique visant à faire de la diffusion de la
jurisprudence une mission de service public, tout en y ajoutant certaines
limites. L'arrêt rendu le 17 décembre 1997 (Ordre des avocats
à la cour d'appel de Paris) a ainsi pu affirmer notamment que
« que la mise à la disposition et la diffusion de textes,
décisions et documents juridiques de la nature de ceux mentionnés
à l'article 1er précité du décret attaqué,
dans des conditions adaptées à l'état des techniques,
s'appliquant, sans exclusive ni distinction, à l'ensemble de ces textes,
décisions et documents - et notamment de ceux dont la diffusion ne
serait pas économiquement viable - et répondant aux exigences
d'égalité d'accès, de neutralité et
d'objectivité découlant du caractère de ces textes,
constituent, par nature, une mission de service public au bon accomplissement
de laquelle il appartient à l'État de veiller. »
« Confortant cette consécration, le Conseil constitutionnel
devait, dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999
relative à la loi portant habilitation du Gouvernement à
procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie
législative de certains codes, saisir l'occasion d'énoncer
"l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et
d'intelligibilité de la loi". Puis au début des années
2000, cette politique s'est déplacée sur le terrain
législatif.
La diffusion de la jurisprudence est donc envisagée
aujourd'hui dans une double perspective de service public, sur fond de
directives Européennes, et de respect des garanties du procès
équitable imposées par la Cour Européenne des Droits de
l'Homme. Ce dernier point ayant déjà été
examiné, nous rappellerons simplement qu'il s'agit ici « soit
de permettre d'assurer aux justiciables "le degré minimal de protection
voulu par la prééminence du droit dans une société
démocratique" ainsi que la connaissance de leurs droits et obligations,
soit de mettre les États en mesure de justifier de leurs
éventuelles ingérences lorsqu'elles ne sont pas prévues
par les textes .(...) Le Considérant 16 de la Directive 2003/98/CE
du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du
secteur public traduit la même exigence : "la publicité de tous
les documents disponibles qui sont détenus par le secteur public - non
seulement par la filière politique, mais également par la
filière judiciaire et la filière administrative - constitue un
instrument essentiel pour développer le droit à la connaissance,
principe fondamental de la démocratie. Cet objectif est applicable aux
institutions, et ce, à tous les niveaux, tant local que national et
international".»565(*)
Cette politique visant à repenser la diffusion de la
jurisprudence, notamment grâce à l'informatique, comme une mission
de service public permet ainsi de donner aux justiciables les garanties que
doit respecter la personne titulaire d'une telle mission, et qui facilite la
connaissance du droit. « Comme l'exprime le décret du 7
août 2002, elle doit tout d'abord, au moins s'agissant des juridictions
suprêmes, être exhaustive ; elle ne peut reposer
sur des critères de sélection dont la neutralité peut
être contestée. La valeur marchande de l'information ou les
intérêts catégoriels ne sauraient déterminer les
choix de diffusion.
L'exhaustivité est gage
d'égalité de chances des
citoyens dans l'accès au droit. Si, en ce qui concerne les juridictions
du fond, la sélection s'impose au regard des volumes en cause et des
solutions dénuées soit d'intérêt normatif soit de
portée informative pratique, des garanties de
représentativité et de neutralité doivent être
assurées. La Cour de cassation elle-même distingue les
arrêts publiés de ceux qui ne sont pas publiés dans les
bulletins de jurisprudence.
Par ailleurs, l'égalité de traitement des
citoyens implique la gratuité à la seule
réserve d'un coût de mise à disposition.
Il importe également de veiller à la
fiabilité de l'information, notamment par la
rapidité de la mise à jour de
l'information. Il en va de la sécurité juridique
des citoyens. »566(*)
Outre ces garanties essentielles pour la connaissance du droit
et donc la prévisibilité de la jurisprudence, le service public
de la diffusion de la jurisprudence doit veiller à la protection des
données personnelles contenues dans les décisions de justice, ce
qui implique notamment leur anonymisation. Ce service public, comme a pu le
rappeler le Conseil d'Etat, doit aussi être construit dans une logique de
complémentarité avec l'initiative du secteur privé. Peu
à peu, le schéma qui se dessine est celui d'un domaine
réservé au secteur privé consistant en un traitement des
informations plus ou moins brute fournie par les tribunaux.
L'initiative des personnes privées n'est ainsi pas
privée d'intérêt, bien au contraire, mais un minimum
d'informations sont ainsi en permanence disponibles pour permettre de
connaître la jurisprudence, prévoir et comprendre ses
évolutions. Le service public de la diffusion de la jurisprudence est
donc un nouvel aspect de la question de la prévisibilité de la
jurisprudence, au delà de sa clarté.
II / L'homogénéité de la
jurisprudence, condition de sa clarté.
A. Les enjeux de l'unité de la jurisprudence pour la
clarté de la norme jurisprudentielle.
C'est le deuxième obstacle pour la
prévisibilité de la jurisprudence : pour une
hypothèse précise, les justiciables doivent pouvoir observer une
réponse de la part des juridictions, en particulier de la Cour de
Cassation, et non une par juridiction. La Cour de cassation, en particulier,
doit veiller à préserver l'unité de la jurisprudence sur
telle question de droit.
C'est d'ailleurs son rôle depuis sa création,
comme l'explique le Premier Président de la Cour de cassation Guy
CANIVET567(*),
expliquant la façon, dont elle fut organisée à
l'origine : « le point de départ était (...) une
structure restreinte conçue selon un principe d'unité.
« Il y a, pour toute la république, une Cour de
Cassation » est, on le sait, le postulat fondateur de la Cour de
cassation expressément repris dans le Code de l'organisation judiciaire
(L.111-1) . Il s'explique par la façon de la Cour de cassation d'unifier
la jurisprudence de toutes les juridictions du fond. Ainsi, la démarche
de la Cour rejoint la démarche de codification. Une seule loi pour tout
le territoire, donc une interprétation conforme de cette loi
imposée par une juridiction unique qui en est la gardienne.
L'architecture de la Cour de cassation était donc logiquement
déterminée par cette fonction unificatrice : la
concentration nationale du contrôle de la méthode
d'interprétation de la loi - à une époque la
méthode exégétique - , la
« dogmatisation » du raisonnement, la normalisation de
la présentation des moyens et du mécanisme d'examen des pourvois,
la codification de la construction et de la sémantique des arrêts,
le tout réuni dans le concept de « technique de cassation.
Selon l'option unitaire de sa création, la Cour de Cassation comprenait
donc une seule chambre pénale, la chambre criminelle, et une seule
chambre civile dont l'accès était commandé par une chambre
des requêtes jouant le rôle de filtre ».
Paradoxalement, à l'époque où la
méfiance était de mise vis-à-vis du pouvoir judiciaire, et
où la Cour de cassation devait, entre autres missions, être la
« sentinelle de la loi » luttant contre l'apparition de la
jurisprudence568(*), la
Cour de Cassation était donc parfaitement adaptée à cette
mission d'unification de la jurisprudence. Mais « l'augmentation
continue du contentieux, avec des accès de forte progression, a conduit
(...) à remettre en cause le principe d'unité selon le choix
contestable d'adapter le nombre des décisions rendues à celui des
pourvois formés plutôt que de renforcer les modes de
sélection ». Et la réponse fut, alors que la mission de
la Cour devenait peu à peu de maîtriser la norme jurisprudentielle
plutôt que de l'éviter, de rompre avec le principe d'unité,
en supprimant la chambre des requêtes en 1947, et en créant de
nouvelles chambres spécialisées pour chaque contentieux :
chambre sociale en 1938, , chambre commerciale, économique et
financière en 1947, et deuxième et troisième chambre
civile en 1962 et 1967569(*). « Ainsi a été
favorisé, sinon voulu l'engrenage inflationniste »570(*).
L'inflation de la jurisprudence, dans une logique pourtant
louable de libre-accès à la Cour de Cassation, et
accompagnée de cette logique de spécialisation, a ainsi un effet
pervers pour la clarté de la jurisprudence. Le premier effet, dû
à la multiplication des décisions rendues, est de menacer,
parfois, la lisibilité de la jurisprudence. « Tout d'abord, en
imposant aux membres de la Cour de Cassation une rigoureuse gestion du temps,
pour ne pas dire une précipitation, le trop grand nombre de pourvois
n'est pas favorable à l'élaboration d'une jurisprudence
méditée. C'est typiquement un phénomène de
surproduction ». La conséquence logique en est une
incapacité à traiter le contentieux dans l'optique de faire
apparaître une position de façon cohérente et lisible, au
profit des méthodes de gestion rationalisées du
contentieux : « sélection, répartition,
création de filières », ces méthodes impliquant
un investissement humain et matériel incompatible avec
l'approfondissement des dossiers. « La Cour de Cassation est
entrée dans l'ère du Taylorisme pour laquelle elle n'est pas
faite ». Dès lors, « la production de masse des
décision brouille le message doctrinal de la Cour, d'autant plus que les
arrêts de seconde importance, motivés selon la technique du
pourvoi en réponse à d'obscurs moyens, sont difficilement
lisibles. Ce qui empêche les professionnels concernés de tout lire
et de tout comprendre ».
Le deuxième danger, dans l'optique de la clarté
de la jurisprudence, vient de son manque d'homogénéité,
soit entre la jurisprudence de la Cour de Cassation et les
« jurisprudences » des juges du fond - c'est
précisément parce qu'elles existent et qu'il faut veiller
à leur harmonisation que la Cour de cassation existe - , soit au sein de
la Cour de cassation elle-même. Ce dernier phénomène vient,
selon Guy CANIVET, de la création de formations
spécialisées (chambres, sections, ...) , chacune ayant une
culture propre liée à des sensibilités propres à
chaque formations. « Quoique subtil, le phénomène est
perceptible. Dès lors qu'on dédie une chambre à un
contentieux particulier, elle élabore une jurisprudence propre à
celui-ci qu'on dit alors spécialisée et qui s'identifie par
opposition aux autres. On en connaît de multiples exemples. La
création de la chambre sociale en 1938 a, sans aucun doute,
renforcé l'autonomie du droit social, celle de la chambre commerciale, a
provoqué l'émergence d'un droit de l'entreprise,
influencée par le libéralisme économique
(...) ». Or, « le risque de discordance ou de contradiction
interne de la jurisprudence est induit par la multiplication des formations de
jugement qui provoque des différences observables autant sur la
méthode de cassation que dans l'interprétation des règles
de fond ». A culture spécifique, technique de cassation
spécifique, et donc vocabulaire spécifique, réflexes
spécifiques, ... « Mais la division en chambres engendre
aussi des divergences d'interprétation de la loi de fond. Il s'agit,
dans certains cas, de véritables ruptures dans l'unité
d'interprétation de la loi. D'un même texte, deux chambres font
une lecture contraire », si bien qu'on a parfois pu dire
« qu'il n'y avait pas une mais six Cours de Cassation ».
A la croisée de plusieurs phénomènes -
volonté de maîtrise de cette véritable inflation,
développement des attentes concernant la clarté et
l'accessibilité du droit, associée à un désir
croissant de sécurité juridique, ... - , le besoin se fait sentir
de veiller à l'homogénéité de la jurisprudence sans
pour autant remettre en cause les postulats sur lesquels l'actuelle Cour de
Cassation a été progressivement construite : accès au
juge de cassation spécialisation des chambres, mais en même temps,
unification et harmonisation du contentieux autour d'une position ferme. La
Cour de Cassation, dans un contexte idéologique et technologique nouveau
a donc mis au point des moyens de prévenir et réduire ces
obstacles à son unité.
B. Les mécanismes correcteurs mis en place par la
Cour de cassation.
Pour lutter contre ces obstacles à l'unité de la
jurisprudence, et par là-même à sa
prévisibilité, la Cour de cassation a choisi de mettre en place
une politique volontariste, afin de retrouver une certaine maîtrise de la
jurisprudence. Cette politique passe, comme l'explique Guy CANIVET, par la
maîtrise des flux, pour dégager de la masse des arrêts les
principes, pendant et après l'instruction, mais aussi par le
« traitement des discordances de jurisprudence ». Plusieurs
procédés se sont finalement imposés, leur combinaison
permettant de pallier aux aspects négatifs des structures de la Cour de
cassation.
Le premier axe de cette politique volontariste consiste
à maîtriser le flux des arrêts, en amont et en aval. En
amont, c'est d'une part la sélection des pourvois qui permet de
résoudre en partie le problème de l'encombrement. « On
sait que jusqu'en 1947, en matière civile, a existé une phase de
sélection des pourvois par la chambre des requêtes. Le
procédé était simple, il consistait en une
procédure non-contradictoire destinée à apprécier
la valeur des requêtes et qui aboutissait, soit à un arrêt
motivé rejetant le pourvoi, soit à un arrêt motivé
d'admission devant la chambre civile571(*). Par ce procédé, La Cour de Cassation
écartait au stade préalable de l'examen de la requête
3/5e des pourvois. Après la suppression de la chambre des
requêtes, la Cour de Cassation a tenté, de diverses
manières, de restaurer une procédure de
sélection ». Guy CANIVET évoque trois moyens pour
atteindre ce résultat : « en un premier lieu, elle
répond par une motivation succinctes, selon des formules
pré-rédigées, aux pourvois ne visant qu'à remettre
en cause les faits de la cause souverainement appréciés par le
juges du fond. Bien que cette motivation sommaire ait été
contestée, notamment par l'emploi du terme péjoratif
« d'arrêt tampon », la Cour Européenne en a,
dans certaines limites, admis la conformité aux garanties du
procès équitable ». C'est également dans cet
optique qu'a été créé « un autre
procédé permettant, à la requête du
défendeur, de retirer du rôle les pourvois formés contre
des arrêts qui, bien que le pourvoi ne soit pas suspensif, n'ont pas
été exécutées572(*) ». Mais le procédé souffre
d'une certaine lourdeur, du fait de la nécessité d'ajouter
« tout ce qui est indispensable pour l'insérer dans l'appareil
procédural et [le] rendre compatible avec l'article 6 de la Convention
Européenne des Droits de l'Homme ». Le procédé
permet de consacrer le droit d'exécution des décisions nonobstant
pourvoi, mais pas d'alléger la charge de la Cour.
« C'est finalement la loi du 25 juin 2001 qui, devant la
cour de cassation, a recréé une procédure de
sélection des affaires »573(*). par cette procédure simple, « la
formation de trois magistrats de chaque chambre, y compris de la chambre
criminelle, peut déclarer non-admis les pourvois irrecevables ou non
fondés sur un moyen sérieux de cassation. (...) Cette
procédure sera sans aucun doute le moyen de libérer la Cour de
cassation de la logique productiviste qui l'oblige à répondre par
une décision motivée, après une longue instruction,
même aux pourvois qui, dès le premier examen, apparaissent
manifestement artificiels ».
Parallèlement à cette sélection, un
deuxième moyen de maîtriser la « production »
des arrêts a été de mettre en place un système de
classement, dans un travail de coopération entre les chambres et le
service de documentation et d'études. Avant même le début
de l'instruction, la méthode consiste à classer les pourvois, par
exemple selon leur objet ou la question de droit qu'ils posent, mais aussi
à relier les pourvois à des précédents, à
relier les pourvois à d'autres pourvois selon des rapports de
connexité, ou à détecter les divergences ou
rébellions des juges du fond. Pour cela, l'informatique devient un
instrument de classement efficace, en permettant de faciliter le travail de
classement, mais aussi le travail de recoupement. Le Président Guy
CANIVET évoque ainsi le logiciel « nomos », mais
aussi la tentative de création d'un système d'aide à la
décision574(*).
« outre la nécessité primaire pour une
Cour de connaître en permanence les catégories d'affaires en
instance, d'observer la progression différenciée de chacune
d'elles pour lui permettre de prendre les dispositions de gestion qui
s'imposent, le classement méthodique des pourvois permet un traitement
rationnel des dossiers qui, sans doute, mériterait d'être
davantage exploité par le regroupement plus systématique
d'affaires similaires ou encore la constitution d'audiences thématiques
rassemblant, le même jour, dans un débat unique ou successif, les
dossiers posant une même question de droit ».
En aval, plusieurs procédés s'imposent. D'une
part, la publication ordonnée et rationalisée des arrêts,
et ensuite, la correction des discordances. L'importance des moyens de
publication de la jurisprudence pour la connaissance du droit n'est pas
nouvelle575(*), mais la
volonté de maîtrise de la Cour de cassation elle-même est
assez récente.
Comme l'explique le Premier Président Guy CANIVET, la
publication de la jurisprudence par la Cour de cassation est faite de
façon rationalisée et ordonnée, selon
l'intérêt normatif des arrêts. « La
sélection et le classement de la jurisprudence sont l'oeuvre commune des
chambres et du service de documentation et d'études ».
Plusieurs moyens sont mis en oeuvre dans cette optique pour porter à la
connaissance des justiciables en temps utile les arrêts importants. Le
premier est bien sûr la publication aux Bulletins mensuels des
arrêts civils et criminels : « lorsque l'arrêt le
mérite, la chambre décide de sa publication. Elle établit
alors un sommaire de la décision reprenant sous une forme cursive
l'apport normatif de l'arrêt qui sera ensuite classé à
partir d'un titre établi, selon une technique très
précise, par le service de documentation et d'études. Ce
procédé construit à partir d'une série unique de
rubriques, de sous-rubriques, et de maillons, permet de retrouver les
arrêts par une démarche logique. Chaque arrêt publié
mentionne, en outre, les précédents dont il s'inspire soit pour
les suivre, les confirmer, ou les préciser, soit pour les contredire, en
cas de revirement. Ainsi s'établissent des filiations de jurisprudence.
Les plus importants de ces arrêts, ceux qui marquent
particulièrement la construction jurisprudentielle, sont cités au
rapport annuel de la Cour ». La publication est aussi
envisagée sur le long terme, grâce à la compilation des
arrêts dans les tables quinquennales, où ils sont classés
selon les rubriques de titrage. « Ces tables périodiques sont
pour tous les professionnels du droit des instruments qui permettent, à
partir d'une recherche brève mais complète de faire le point
définitif sur une question à l'époque
envisagée ». Sur le court terme, la publication des
arrêts au Bulletin bimensuel, encore appelé
« Flash », permet, depuis les années 1970, de faire
connaître rapidement les arrêts nouveaux. De plus, l'utilisation
d'un marquage spécifique facilite la reconnaissance rapide des
arrêts576(*).
Mais c'est probablement l'utilisation de l'outil informatique
qui a permis de profondément changer les habitudes des professionnels en
la matière. Pour permettre aux professionnels, et en premier lieu aux
magistrats, d'embrasser rapidement toute la jurisprudence, des bases de
jurisprudence ont été créées, certaines à
usage interne, d'autres à l'usage du public, mises en ligne soit sur des
réseaux intranet, soir sur le réseau internet pour le public,
notamment à travers le site « légifrance ».
« Ainsi, par ces procédés, la production
jurisprudentielle est hiérarchisée de manière à
corriger l'effet de nombre par distinction progressive de
l'essentiel ». Ainsi, la jurisprudence est élaborée et
perçue de façon plus raisonnée, et même plus
rationnelle.
Mais outre les procédés permettant de faciliter
l'élaboration ou la compréhension de la jurisprudence, d'autres
procédés sont nécessaires pour harmoniser la
jurisprudence, afin de lui conserver unité et
homogénéité. Pour cela, il est nécessaire de
réduire les discordances. Cette correction commence, bien sûr, par
leur détection. C'est en premier lieu l'affaire du
conseiller-rapporteur, qui « lors de l'examen des pourvois et des
recherches auxquelles ils se livrent, discernent aussi bien les cas de
divergence ou d'incohérence de la jurisprudence entre les chambres de la
Cour que les oppositions entre la Cour de cassation et les Cours d'appel ou au
sein des Cours d'appel. La même fonction est assurée par le
parquet général de la Cour de cassation dont c'est l'un des
aspects essentiels de la mission ». Outre les magistrats
chargés du dossier, c'est également le rôle du service de
documentation et d'études qui détecte ces discordances, en
même temps qu'il collecte les arrêts des Cours d'appel, et qu'il
examine de façon systématique les commentaires doctrinaux sur les
arrêts de la Cour. De plus, depuis quelques années, les avocats,
grâce à des « fiches de tri », sont
associés au processus.
Une fois ces discordances détectées, plusieurs
moyens peuvent être mis en oeuvre pour corriger ces discordances, de
façon préventive ou curative. Le premier moyen, et souvent le
plus efficace, consiste à utiliser des remèdes humains
plutôt qu'institutionnels : en favorisant le décloisonnement
des dossiers, mais aussi la rencontre, informelle ou au sein de consultations
ou de réunions d'informations, des magistrats, au sein de la Cour de
cassation ou entre les juges du droit et les juges du fond, ce n'est pas
seulement le partage d'une expérience qui est favorisé, c'est
aussi l'échange de préoccupations concernant la cohérence
de la jurisprudence, ce qui est souvent le premier pas vers la
résolution rapide de ces difficultés577(*). « Si, à
une certaine époque, s'était développée une culture
de forte autonomie entre les chambres qui conduisaient à des divergences
parfois irréductibles entre elles, l'état d'esprit a beaucoup
changé, chacune des chambres ayant aujourd'hui, heureusement, conscience
de la nécessité d'une jurisprudence unitaire ».
Toujours dans cette optique préventive, la loi du 15
mars 1991 a donné à la Cour un instrument efficace pour
éviter les discordances, résoudre les difficultés
d'application des lois nouvelles, ... Il s'agit de la saisine pour avis, qui
permet aux juges du fond, devant une question de droit nouvelle, posant des
difficultés sérieuses d'application, et se posant dans de
nombreux litiges, de demander l'avis de la Cour de Cassation sur la meilleure
solution pour résoudre cette question. « On suppose que l'avis
ainsi rendu, bien qu'il ne lie pas même la juridiction qui a
formulé la demande, s'imposera par son unité de conviction,
à l'ensemble des juridictions du fond, prévenant ainsi par avance
les risques de compréhension contradictoires des lois
nouvelles ». Toutefois, comme l'explique Dominique POUYAUD578(*), l'intérêt de
cette procédure a été atténué par l'attitude
pour le moins réservée de la Cour de cassation. Contrairement au
Conseil d'Etat, qui avait auparavant accueilli avec bienveillance une
procédure qui ne faisait que prolonger ses habitudes, la Cour de
cassation a très tôt entrepris de limiter l'usage de cette
procédure qui ne correspondait pas à sa culture, par une
application stricte des textes, tant dans leur lettre que dans leur esprit.
Mais tous ces moyens reposant sur la volonté des
acteurs du droit ne seraient rien, bien sûr, si des mécanismes
curatifs n'avaient pas été prévus. Ces solutions
« sont bien connues et répertoriées au Code de
l'organisation judiciaire qui prévoit les cas de renvoi en
Assemblée plénière ou en chambre mixte. Le renvoi devant
une chambre mixte peut être ordonné lorsqu'une affaire pose une
question relevant normalement des attributions de plusieurs chambres ou si la
question a reçu ou est susceptible de recevoir devant les chambres une
solution divergente. Ainsi, selon le Code l'organisation judiciaire, la chambre
mixte est l'instrument spécialement créé pour
régler les divergences résultant de la séparation de la
Cour en chambres multiples. Le renvoi en Assemblée
plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose
une question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit
entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de Cassation,
notamment en cas de rébellion de jurisprudence. L'Assemblée
plénière est donc l'instrument de règlement des conflits
de jurisprudence entre les juridictions du fond et entre celles-ci et la Cour
de cassation.
Ainsi, après la détection des discordances qui
obscurcissent le sens de la norme jurisprudentielle, la Cour de Cassation
dispose de moyens pour régler ces discordances, soit de façon
préventive, soit de façon curative. De cette façon, la
jurisprudence devient plus claire, et, de cette façon, plus
prévisible.
Conclusion :
I/ Il y a plus de deux siècles, les
révolutionnaires ont eu l'ambition de créer un droit parfait, ou
du moins le plus parfait possible. Le droit devait être non plus
l'expression de la volonté du souverain, et sa légitimité
celle du droit divin, mais bien l'oeuvre de la raison avec comme critère
de légitimité la volonté générale, source
première du droit. Ce droit enfin rationnel, et créé par
les élus de la nation, ne devait pas pouvoir être modifié
par une autre autorité, même une autorité aussi
légitime que le troisième pouvoir.
Cette ambition louable a permis de consacrer et de
concrétiser la séparation des pouvoirs. Mais n'avait-elle pas des
limites naturelles que l'expérience ne pouvait qu'éprouver ?
Le droit peut-il être parfait au point de ne reléguer le juge
qu'à un simple rôle de vox legis neutre dans son
application du droit, un simple automate qui n'aurait besoin pour son action
que de ses yeux et de sa bouche ? La justice peut-elle toujours être
rendue si le juge ne dispose d'aucun pouvoir créateur ?
Le pouvoir du juge n'est pas celui du législateur.
Celui-ci intervient a priori ; le juge a pour mission d'appliquer la loi,
et doit donc confronter celle-ci à des faits que le législateur
n'a pas toujours pu prévoir. Le juge doit alors interpréter,
adapter, voire suppléer la loi. Son pouvoir créateur ne vient pas
des institutions mais de nécessités pratiques qu'il est le
premier à constater, et, partant, souvent le mieux placé pour
traiter. C'est cette nécessité que constate l'article 4 du code
civil, même s'il ne place le juge que dans ne perspective
individuelle.
La question préoccupe et fascine les acteurs du droit
depuis la révolution, autant qu'elle les divise. Mais peu à peu,
une autre question vint s'imposer : n'y a-t-il pas un danger à
laisser le juge hors de l'ordonnancement juridique ? Plus
concrètement, si le juge ajoute à la loi, doit-il le faire
rétroactivement ?
La réponse à cette question, classiquement,
doit dépendre de la réponse à la question de la
légitimité de la création jurisprudentielle. Et la
réponse donnée par la Cour de cassation s'inscrit
profondément dans cette perspective. La jurisprudence n'est pas source
de droit, ne doit pas être source de droit, et ne peut pas être
source de droit. Dès lors, elle ne peut être rétroactive.
Tout au plus la Cour admet-elle que l'interprétation peut ne pas
être tout à fait neutre, mais tout en rappelant qu'il ne peut ni
ne doit y avoir de droit acquis à une jurisprudence figée, tant
pour l'avenir que pour le passé. Et quand elle a jugé autrement,
elle n'a accepté de poser qu'un mécanisme d'exception.
Mais la question a agité la doctrine, au point d'avoir
provoqué non-seulement l'intervention d'un rapport officiel, mais
d'avoir aussi poussé la Cour de cassation, même dans l'optique
d'une exception, à reconnaître le caractère normatif de la
jurisprudence, pour pouvoir en limiter la portée. Le débat est
lancé, et en termes particulièrement violents : là
où certains dénoncent, indignés et incrédules,
« une conception condescendante et très pernicieuse de la
démocratie représentative »579(*), affirmant que
« ce qui est en cause, ce n'est rien d'autre que la forme
démocratique de notre mode de gouvernement »580(*), ou encore dénoncent
des procédés de nature
« totalitaires »581(*), d'autres répondent que cette
« scotomisation de la réalité »582(*) permet au juge d'agir hors
de toute contrainte. Bref, le débat est lancé, il est
acharné, et il ne sera probablement plus possible de parvenir à
l'unanimité sur la position classique.
Mais les impératifs ont eux aussi changé de
visage : de la limitation de la portée de la jurisprudence
découlant logiquement de son caractère normatif, on est
passé à la limitation de la portée de la jurisprudence
découlant des effets négatifs de cette
rétroactivité. Le changement n'est pas à négliger,
car comme l'explique Marie-Anne FRISON-ROCHE583(*), la qualité de la norme ne s'apprécie
plus alors à ses seules qualités intrinsèques, mais aussi
- et même également - à ses effets concrets. Le changement
est à la fois source de simplification et de complications s'agissant du
travail du juge, puisque là n'est pas son rôle principal.
Le changement pousse en tout cas à dissocier la
question du fondement de l'intervention du juge de la question des effets
produits concrètement par cette intervention. Cela oblige alors à
prendre en compte des problèmes liés notamment à des
considérations - dont l'importance est de plus en plus grande - de
sécurité juridique.
Le débat, dès lors qu'il se déplace vers
la question de la création d'un droit transitoire, amène des
difficultés nouvelles, auxquelles des réponses nouvelles sont
trouvées. La première difficulté est bien sûr de
rationaliser l'intervention du juge, et plus particulièrement le
revirement de jurisprudence, pour en tirer une définition qui puisse
servir de base à une limitation de sa portée. Mais arrive aussi
une autre difficulté : celle de systématiser les solutions
à la rétroactivité de la jurisprudence, justement parce
qu'il est difficile de dire et de reconnaître concrètement ce que
sont la jurisprudence et son revirement.
La solution semble alors être de se tourner, là
encore, vers les effets de la jurisprudence plutôt que vers sa nature.
Mais le danger est alors de déprécier l'intervention du juge, en
concevant la limitation de la portée de la norme jurisprudentielle comme
devant être une solution à un problème plutôt que
comme une façon de comprendre quand la norme a vocation à
s'appliquer et quand elle doit être évincée parce qu'une
autre norme a vocation à s'appliquer. Bref, l'intervention du juge
devient alors un méfait - certes par exception- , alors que le
rôle du juge est, rappelons-le, d'être la vox legis dans
sa fonction juridictionnelle, et un constructeur de normes dans sa fonction
jurisprudentielle.
La solution présente aussi un deuxième
danger : faire passer le mode d'intervention du juge du syllogisme au
conséquentialisme systématique, alors qu'il ne tient son pouvoir
que d'une compétence technique, et qu'il n'est pas le créateur de
normes légitime.
Si la jurisprudence est rétroactive, alors elle a des
effets d'autant plus graves qu'elle est souvent imprévisible du fait des
« infirmités jurisprudentielles », mais aussi des
spécificités de la jurisprudence Française. Le juge doit
alors s'interroger : comment améliorer la qualité, la
clarté, et donc la prévisibilité de la norme ?
On peut enfin retenir deux choses de l'évolution du
débat sur la rétroactivité de la jurisprudence. La
première est qu'il est regrettable que ce débat, en dehors de
problèmes particuliers résolus de façon ponctuelle par des
lois de validation, soit resté un débat techniques auquel seuls
les juges, les professionnels, et la doctrine s'intéressent, alors qu'il
s'agit au contraire d'un débat fondamental qui devrait être
réglé par les élus de la nation plutôt que par des
juges, même au sein de la formation la plus solennelle de la plus
prestigieuse des juridictions de l'ordre judiciaire Français.
Et aussi, incitant cette fois à l'optimisme, que dans
la violence du débat, dans les échecs, et dans les paradoxes, on
peut toutefois trouver un débat, certes acharné, non pas pour
imposer une vision entre deux visions antagonistes, mais pour choisir les
meilleurs moyens de parvenir à un résultat pareillement
recherché : cantonner l'intervention du juge à ce qui est
acceptable dans une démocratie et dans un état de droit.
II/ Mais au fond, quel est exactement le
risque de l'élaboration d'un système de droit transitoire pour la
jurisprudence en droit privé français ? Le risque est
peut-être moins grave qu'on ne le pense parfois.
Le droit transitoire offre un pouvoir énorme au juge.
Il lui permet de refuser à un justiciable de bénéficier
d'une norme jurisprudentielle à laquelle il avait droit, et, souvent, il
avait lui-même provoquée l'intervention. Mais il ne lui offre pas
la possibilité de maîtriser sa norme : le juge peut limiter
la portée de sa norme, et non pas l'étendre. De plus, comme le
rappelle le rapport MOLFESSIS : « que la Cour de cassation
crée des règles impose l'aménagement dans le temps de
certaines de ses décisions ; ce n'est pas cet aménagement qui lui
confère la capacité de créer du droit. L'ordre des
causalités ne saurait être inversé. »584(*)
Mais indirectement, il y aussi d'autres dangers : le
risque existe de voir légitimer l'idée de création du
droit par le juge, non plus comme un phénomène inévitable,
mais bien comme un phénomène positif ; non seulement le
phénomène deviendrait alors légitime, mais il devrait
même se développer. Les constructions jurisprudentielles sont
souvent bonnes, étant l'oeuvre de magistrats expérimentés
et hautement qualifiés, et le principe même de la construction
jurisprudentielle est, sinon légitime, du moins difficilement
évitable. Mais le juge doit rester juge, et ne pas devenir le rival du
législateur.
Paradoxalement, le plus dangereux de ce point de vue n'est pas
le droit transitoire pour les revirements de jurisprudence que propose le
rapport MOLFESSIS, mais plutôt le mouvement de développement
d'instruments et de techniques destinées à maîtriser la
jurisprudence pour la rendre plus prévisible. Maîtriser la
jurisprudence, c'est la rendre plus prévisible ; mais
maîtriser la jurisprudence, c'est favoriser l'élaboration de la
norme par ce créateur de normes si controversé, et ce en avouant
clairement l'objectif. Mais le risque est peut-être difficilement
évitable si l'on veut lutter contre ce mal au moins aussi grave que la
rétroactivité qu'est l'imprévisibilité.
Il y a donc bien un risque à créer un droit
transitoire pour les revirements de jurisprudence. Mais il y a aussi un risque
à laisser la jurisprudence hors de l'ordonnancement juridique. Ce risque
est individuel : c'est l'atteinte à la sécurité
juridique ; il est également collectif : c'est l'impact
socio-économique du revirement rétroactif ; et il est
idéologique : c'est l'atteinte au principe de
légalité - du moins si l'on accepte l'impact du produit de
l'action du juge comme équivalent à la loi.
Et enfin, il y a un risque juridique, plus grave
encore car il a déjà été
concrétisé sans contestation possible plusieurs fois en une
quinzaine d'années : c'est celui pour la France d'être
considéré comme un pays ne se préoccupant pas des droits
de l'Homme. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a
déjà condamné la France en 1990585(*) et en 1992586(*) pour le manque de
clarté de sa jurisprudence ; la France a échappé
à une condamnation en 1996587(*), mais la Cour a posé un principe qui
constituait bien un avertissement ; elle a condamné la France,
d'abord dans un domaine sensible588(*), puis en 2006589(*) dans un domaine sinon anodin, du moins où il
n'y avait pas d'enjeu idéologique majeur. La Cour de Strasbourg a
parlé, la France ne peut plus que s'incliner.
Finalement, jusqu'à quel point les juges de la Cour de
cassation peuvent-ils être un sujet d'inquiétude ? Au
delà de leurs erreurs possibles, car l'erreur, comme chacun sait, est
humaine, y'a-t-il lieu outre mesure de s'inquiéter pour le danger qu'il
feraient courir à la démocratie ? Les juges, depuis deux
siècles, ne semblent jamais avoir usé de leur pouvoir
jurisprudentiel pour s'arroger un pouvoir qui n'est pas le leur -
l'auraient-ils voulu qu'ils ne l'auraient pas pu. Toutefois, Il n'est, bien
sûr, rien qui ne puisse changer, même le meilleur.
Pour conclure, peut-être pouvons nous indiquer deux
directions dans lesquelles devrait évoluer ce débat pour pouvoir
évoluer sereinement et de façon pertinente. Nous pouvons d'abord
citer Aharon BARAK : « Le juge doit être conscient de son
pouvoir ainsi que de ses limites. Dans une démocratie, les pouvoirs
conférés au juge sont très importants. Le pouvoir
judiciaire comme n'importe quelle autre forme de pouvoir peut faire l'objet
d'abus. Il faut que le juge comprenne que son pouvoir se limite à son
rôle judiciaire proprement dit. » et encore :
« Une autre condition que je considère essentielle par rapport
au magistrat, c'est la confiance du public, c'est à dire ... la
confiance dans le respect de la déontologie judiciaire ; la
confiance accordée aux juges quant au fait qu'ils n'ont pas
d'intérêt dans le contentieux et qu'ils ne luttent pas pour leur
propre pouvoir mais pour la protection de la Constitution et de la
démocratie... »590(*)
La deuxième piste nous est rappelé par
Catherine PUIGELIER et Jerry SAINTE-ROSE : « Rappelons-nous que
l'on a la justice que l'on mérite, et que comme l'ont souligné
MM. BURGELIN et LOMBARD, celle-ci n'est que l'expression du système
politique qui l'a organisé. « Dès lors, sa remise en
cause procède de la critique du système socio-politique
lui-même. En d'autres termes, la critique de l'institution judiciaire est
un signe déterminant d'une crise plus profonde du fonctionnement de
l'Etat »591(*) »592(*)
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n°99-421 DC
Conseil d'Etat :
- CE Ass., 11 mai 2004, Association AC !, n° 255886
- CE, 25 février 2005, France télécom,
n° 247866
- CE Sect., 10 mars 2006, Société LEROY MERLIN,
n° 278220
- CE 24 mars 2006, n\u176 288460
Cour de Cassation :
- Civ., 1ère, 21 mars 2000, pourvoi n°
98-11982
- Crim., 14 novembre 2000, pourvoi n° 99.84522
- Civ., 1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n°
00-14564
- Crim., 30 janvier 2002, pourvoi n° 01-82593
- Civ., 3ème, 2 octobre 2002, pourvoi n°
01-02073
- Soc., 7 janvier 2003, pourvoi n° 00-46476
- Soc., 26 novembre 2003, pourvoi n° 01-45486
- Ass. Pl., 24 janvier 2003, Bull. AP, n°2
- Ass. Pl., 23 janvier 2004, Bull. AP, n°2
- Soc., 28 janvier 2004, pourvoi n° 02-40173
- Soc., 28 janvier 2004, pourvoi n° 02-40174
- Soc., 25 février 2004
- civ., 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°
03-14717
- Civ., 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°
01-10426
- Soc., 17 décembre 2004, pourvoi n° 03-40008
- Crim., 5 mai 2004, pourvoi n° 03-82801
- Soc., 18 janvier 2005, pourvoi n° 02-46737
- Soc., 26 janvier2005, pourvoi n° 02-42656
- Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 02-42615
- Civ. 1ère, 7 mars 2006, pourvoi n°
04-10101
- Ass. Pl., 21 décembre 2006, pourvoi n° 05-11966
- Ass. Pl., 21 décembre 2006, pourvoi n° 05-17690
- Ass. Pl., 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20493
Cour de Justice des Communautés
Européennes :
- aff. C-43/75, DEFRENNE/SABENA, 8 avril 1976
- aff. 61/79, DENKAVIT, 27 mars 1980
- aff. 24/86, BLAIZOT, 2 février 1988
- aff.C-262/88, BARBER, 17 mai 1990
- aff. C-163/90, LEGROS, 16 juillet 1992
- aff. C-13/92, DRIESSEN, 5 octobre 1993
- aff. C-100/91, MORONI, 14 décembre 1993
- aff.C-367/93, RODERS, 11 août 1995
- aff. C-137/94, RICHARDSON, 19 octobre 1995
- aff. C-197/94, BAUTIAA, 13 février 1996,
- aff. C-35/97, Commission/France, 24 septembre 1998
- aff.C-184/99, GRZELCZYK, 20 septembre 2001
- aff. C-366/99, GRIESMAR, 29 novembre 2001
Cour Européenne des Droits de l'Homme :
- AFFAIRE MARCKX c. Belgique, 13 juin 1979, A31
- AFFAIRE MALONE c. Royaume-Uni, 2 août 1984, A82
- AFFAIRE KRUSLIN c. France, 24 avril1990, A176-A
- AFFAIRE VERMEIRE c. Belgique, 29 novembre 1991, A214-C
- AFFAIRE DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE c. France, 16
décembre 1992, A253-B
- AFFAIRE KOKKINAKIS c. GRÈCE , 25 mai 1993, A260-A
- CEDH, 21 novembre 1994, Raffineries Grecques STRAN et STRATIS
ANDREADIS c. Grèce, n°22/1993/417/496
- AFFAIRE C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre1995, A335-C
- AFFAIRE S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, A335-B
- AFFAIRE CANTONI c. France, 15 novembre 1996
- CEDH, 28 octobre 1999, ZIELINSKI et PRADAL, req. 24846/94 et
34165/96 à 34173/96
- AFFAIRE PESSINO c. France, 10 octobre 2006
SOMMAIRE
Introduction p.1
Chapitre I : Evolution des conceptions de la norme
jurisprudentielle rétroactive p.8
Section I : Critique de la
rétroactivité de la règle jurisprudentielle d'après
ses caractéristiques. p.8
§ I / Le rapport au temps envisagé dans
l'optique du rôle révélateur du juge. p.8
A. La déclarativité de la règle
jurisprudentielle. p.8
1) L'inexistence de la règle jurisprudentielle.
p.8
2) la neutralité de l'intervention du juge.
p.11
B. L'évolution de la position classique. p.15
1) La jurisprudence : un ensemble de normes
précaires. p.15
a. L'évolution idéologique. p.15
b. La conséquence de cette évolution : la
précarité naturelle de la jurisprudence. p.17
2) L'argument tiré de l'absence de
rétroactivité dans une optique plus ouverte de l'office du
juge. p.19
§ II / Critique de la conception
déclarative de la jurisprudence : l'existence d'une norme
jurisprudentielle rétroactive. p.23
A. La remise en cause de la conception classique de
l'office du juge et ses conséquences. p.23
1) L`inadéquation de la pratique jurisprudentielle
avec son statut p.24
a. le « désenchantement » de la
doctrine p.24
b. Les conséquences : la remise en cause du
raisonnement classique. p.31
2) La rétroactivité naturelle de la
jurisprudence. p.35
a. La détermination du champ d'application de la
jurisprudence nouvelle. p.35
b. La nécessité d'un droit transitoire
adapté. p.38
B. Evolution du droit positif : les changements dans les
postulats classiques. p.40
1) L'évolution de la doctrine de la Cour de
Cassation : l'admission d'exceptions au principe de la neutralité
du juge. p.40
a. Les « craquements » dans la
jurisprudence. p.40
b. Le refus de donner un effet rétroactif à une
règle jurisprudentielle nouvelle p.44
2) L'affirmation d'une conception normative de la
jurisprudence nationale par la Cour Européenne des Droits de
l'Homme. p.46
Section II / Critique de la
rétroactivité du revirement de jurisprudence d'après ses
effets. p.49
§ I / Le critère des effets : un
fondement de la critique scientifique. p.49
A. Conséquences de la rétroactivité de
la norme jurisprudentielle du point de vue de la sécurité
juridique. p.49
1) La valeur de l'argument de la sécurité
juridique du point de vue du droit. p.49
a. L'invocation d'un principe qui s'impose au juge.
p.49
b. L'absence de valeur juridique du principe de
sécurité juridique en droit Français p.50
2) La sécurité juridique invoquée du
point de vue de l'opportunité ou de l'équité.
p.53
a. L'impact du revirement de jurisprudence rétroactif
sur les situations individuelles et collectives. p.54
b. Facteurs pouvant influer sur la gravité de la
rétroactivité du revirement. p.60
B. Le reproche d'un dévoiement de la règle de
droit. p.63
1) Les effets de la rétroactivité de la
jurisprudence sur la conception de la règle de droit. p.64
a. Principe de légalité et
rétroactivité de la jurisprudence. p.64
b. L'idéal de la coexistence entre des règles
issues de pouvoirs complémentaires. p.66
2) Le revirement de jurisprudence en droit
pénal. p.67
§ II / Le critère des effets : un
fondement de la critique par les juges. p.73
A. L'hypothèse de l'atteinte au droit à un
procès équitable par la rétroactivité de la
jurisprudence. p.73
1) Le résultat d'un conflit entre deux
impératifs. p.73
2) Un mécanisme d'exception à la
portée ambiguë. p.75
B. La reconnaissance de la jurisprudence nationale par la
Cour de Strasbourg. p.77
1) La jurisprudence nationale, source accessoire de
droit. p.77
2) Un travail de création soumis à certains
impératifs. p.79
Chapitre II / Les solutions proposées pour
concilier création jurisprudentielle et droits des
justiciables. p.84
Section I / Les solutions proposées au
problème de la rétroactivité de la
rétroactivité de la jurisprudence. p.84
§ I / L'état du droit et l'influence des
propositions classiques. p.84
A. L'insuffisance des solutions classiques. p.84
1) L'appel au législateur. p.84
a. Redonner le monopôle de l'interprétation au
créateur légitime de la règle. p.84
b. Une solution associant la Cour de Cassation à une
autre autorité : le droit de défaire une jurisprudence.
p.86
2) Les solutions basées sur l'amplification de
l'utilisation d'instruments déjà admis dans notre droit.
p.87
a. L'erreur du justiciable s'étant fondé sur la
position de la Cour de Cassation. p.87
b. La réforme des délais de prescription.
p.89
B. Les procédés utilisés pour moduler
l'effet dans le temps d'une jurisprudence. p.90
1) Les procédés utilisés dans
d'autres systèmes juridiques. p.90
2) L'étude des cas de modulation de l'effet d'un
arrêt dans le temps par les juges Français eux-même.
p.96
a. les leçons de l'élaboration d'une technique
de modulation de l'effet d'un arrêt dans le temps. p.96
b. La modulation d'un revirement de jurisprudence sur la base
d'un texte. p.100
§ II / Un droit transitoire original pour une norme
particulière. p.101
A. Le domaine du revirement pour l'avenir. p.102
1) Les difficultés pour identifier la norme objet
du droit transitoire. p.102
a. Une norme dont l'identification reste problématique.
p.102
b. Les propositions du rapport MOLFESSIS pour remédier
à l'imprécision de revirement. p.107
2) Détermination du revirement dangereux.
p.111
B. Les propositions concernant la procédure de
report des effets d'un revirement de jurisprudence dans le temps.
p.115
1) Les propositions concernant le droit
transitoire. p.115
a. Un droit transitoire fondé sur une
procédure originale. p.115
b. influences de la théorie des conflits de
lois dans le temps et critiques. p.120
2) La consécration de la procédure
par la Cour de Cassation elle-même.
p.123
a. Le premier obstacle : la prohibition des
arrêts de règlement. p.123
b. Le caractère injustifié d'une intervention
législative ? p.126
Section II / La lutte contre
l'imprévisibilité de la jurisprudence. p.130
§ I / La maîtrise de la jurisprudence par
la Cour de Cassation. p.130
A. La maîtrise de l'expression de la norme
jurisprudentielle à travers ses arrêts. p.130
1) Les enjeux : rôle de la Cour de Cassation et
clarté. p.130
2) Les solutions envisagées. p.133
B. La diffusion de la jurisprudence, nouvelle mission de
service public. p.137
II / L'homogénéité de la
jurisprudence, condition de sa clarté. p.139
A. Les enjeux de l'unité de la jurisprudence pour la
clarté de la norme jurisprudentielle. p.139
B. Les mécanismes correcteurs mis en place par la
Cour de cassation. p.141
Conclusion p.146
Bibliographie. p.150
Table des matières p.160
* 1 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand
COLLIN, p.92
* 2 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand
COLLIN, p.92
* 3 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand
COLLIN, p.95
* 4 : Civ.
1ère, 21 mars 2000, Pourvoi n°98-11982
* 5 : Dictionnaire du
vocabulaire juridique, sous la direction de Rémy CABRILLAC, Litec
2000
* 6 : Jean FOYER,
« Allocution d'ouverture », in La création du
droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE
et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89
* 7 ; Otto PFERSMANN,
« A quoi bon un pouvoir judiciaire ? », in
L'office du juge : part de souveraineté ou puissance
nulle ? , p.181
* 8 : Sur cette question,
voir par exemple Valéry TURCEY, L'horreur juridique : vers une
société de procès, Plon, 2002
* 9 : comme l'explique,
par exemple Jean-Claude SOYER, « Pèlerinage aux sources du
droit privé », in Le droit privé Français
à la fin du XXème siècle
* 10 : En 1991, le
Conseil d'Etat évoquait un droit à l'état
« gazeux » ; la baisse de qualité de la loi a
depuis entraîné l'intervention du Conseil Constitutionnel, comme
l'a expliqué le Président Pierre MAZEAUD lors de l'échange
de voeux avec le Président de la République en 2005 (Pierre
MAZEAUD, « La loi ne doit pas être un rite
incantatoire », JCP G n°6, 9 février 2005, p.245) ;
sur cette question, voir notamment François TERRE, Observations
sociologiques sur les nouvelles sources de la loi », in La
loi, Catherine PUIGELIER (Dir.) , Economica 2005 ,et Véronique
CHAMPEIL-DESPLATS, « Les nouveaux commandements du contrôle de
la production législative, in L'architecture du droit,
mélanges en l'honneur de Michel TROPER, Economica, 2006, p.267
* 11 : Sur cette
question, voir par exemple Dominique BUREAU, « L'ambivalence des
principes généraux du droit devant la Cour de
Cassation », in La Cour de Cassation et l'élaboration du
droit, Nicolas MOLFESSIS, (Dir.) , Economica 2004, p.181
* 12 :
Jean-François BURGELIN, Allocution prononcée lors de l'audience
solennelle de début d'année judiciaire, le jeudi 11 janvier 2001,
in Rapport annuel de la Cour de Cassation pour l'année 2001
* 13 : Sur cette
question, voir par exemple Caroline PELLETIER, « Première
application de la jurisprudence « MAZUREK » par le juge
Français », Dalloz 2001, n°16, p.1270
* 14 : Sur cette
question, voir notamment Béatrice BOURDELOIS, « Lois
rétroactives et droits fondamentaux », étude
présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la
personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de
Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de
la Faculté des Affaires Internationales du Havre. p.100, et Philippe
MALINVAUD, « L'étrange montée du contrôle du juge
sur les lois rétroactives, in Le Code civil, un passé, un
présent, un avenir
* 15 : Bertrand MATHIEU,
La loi, Dalloz 2004
* 16 : Bertrand MATHIEU,
« Les rôles du juge et du législateur dans
l'intérêt général », « Lois
rétroactives et droits fondamentaux », étude
présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la
personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de
Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de
la Faculté des Affaires Internationales du Havre.p.41
* 17 : Bertrand MATHIEU,
« Les rôles du juge et du législateur dans
l'intérêt général »
précité
* 18 : Pierre HEBRAUD,
« Le juge et la jurisprudence », Mélanges COUZINET,
1974, p.366
* 19 : Sur cette
question, voir par exemple rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI,
« L'analyse économique est-elle une source du
droit ? », RTD civ., Juillet/Septembre 2006, p.505
* 20 : « Le
revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325 ;
« Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage
prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994,
n°33, p.15 ; « Comment limiter la portée des
arrêts de principe et des arrêts de revirement ? »,
Les petites affiches, 4 mai 1994, n°53
* 21 : « Les
revirements de jurisprudence, rapport remis à Monsieur le Premier
Président Guy CANIVET », Litec 2004 ; ce rapport sera
désormais désigné sous le nom de « rapport
MOLFESSIS », tel qu'il est couramment appelé par la
doctrine.
* 22 : « Pour
un Code du travail plus efficace », rapport au ministre des affaires
sociales et de la solidarité, La Documentation Française, coll.
Les rapports officiels, 2004, proposition n°10
* 23 :
Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du
droit civil, Armand COLLIN, p.227
* 24 : Crim., 3 novembre
1955, Dalloz 1956, p. 557, note R. SAVATIER., cité dans Laurent-Xavier
SIMONEL, « Le juge et son précédent »,
Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999
* 25 : Voir par exemple
Crim., 4 février 1970, pourvoi n° 68-93464 : les juges « ne
sauraient se référer, dans une espèce
déterminée, à des règles établies à
l'avance pour justifier leur décision ».
* 26 : Cass. soc., 27
février 1991
* 27 : Cass. civ.
1re, 4 avril 1991, pourvoi n° 90-04005
* 28 : « s'ils
peuvent procéder dans leur motivation par affirmations d'ordre
général, c'est toujours à la condition que les principes
ainsi formulés leur servent à résoudre le litige qui est
soumis à leur appréciation. Ils ne sauraient de même
transposer sans retouche à un cas nouveau des considérations
précédemment établies pour juger d'autres
affaires » Alain SERIAUX, « Le juge au miroir, l'article 5
du code civil et l'ordre juridictionnel Français
contemporain », in Mélanges Christian Mouly
* 29 : sur cette
question, voir Bernard BEIGNIER, « les arrêts de
règlement », Droits n°9, 1989, p. 45
* 30 V. HEUZE,
« à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence,
une réaction entre indignation et incrédulité »,
JCP G n°14, 6 avril 2005, p. 671
* 31 : Philippe
MALINVAUD, « A propos de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence », RTD civ., avril :juin 2005, p.
313
* 32 :
Sur la controverse relative aux motifs déterminants, voir notamment
GHESTIN Jacques, « L'autorité de chose jugée des motifs
d'une décision judiciaire en droit privé », in
Mélanges WALINE ; HERON Jacques,
« Localisation de la chose jugée ou rejet de l'autorité
positive de la chose jugée », in Nouveaux juges, nouveaux
pouvoirs ?, Mélanges en l'honneur de Roger PERROT,
p.131 ; KERNALEGUEN Francis, « Choses jugées entre
elles (variations sur une harmonie bien tempérée) », in
« Justice et droits fondamentaux, études offertes à
J. NORMAND »
* 33 : CARBONNIER
Jean, Droit civil, introduction, PUF, p.227
* 34 : J. CARBONNIER,
Introduction au droit et au Droit civil, P.U.F., 1964, p.7, cité dans
Alain HERVIEU, « Observations sur l'insécurité de la
règle jurisprudentielle », RRJ 1989-2,
* 35 : Denys de
BECHILLON, « le juge et son oeuvre, in
« Mélanges Michel Troper », p.365
* 36 : V. HEUZE,
« à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence,
une réaction entre indignation et incrédulité »
précité
* 37 : Ass. Pl. , 21
décembre 2006, pourvoi n°05-11966, et pourvoi
n°05-17690 : Dans ces deux affaires, la Cour de cassation avait
jugé qu'était irrecevable le moyen consistant à relever
que la décision d'une Cour d'appel de renvoi est conforme à
l'arrêt qui a cassé, mais n'est pas conforme à une solution
prévue postérieurement dans le cadre d'une autre affaire. Ces
deux affaires sont d'autant plus intéressantes que, comme l'explique
Pierre FLEURY-LE GROS, la Cour de cassation aurait pu et aurait du faire
application de la dernière solution et non pas d'une solution
désuète (Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée
Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La
Briocherie, JCP E)
* 38 : Laurent-Xavier
SIMONEL, « Le juge et son précédent »,
Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999
* 39 : Laurent-Xavier
SIMONEL, « Le juge et son précédent »,
Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999
* 40 Otto PFERSMANN,
« à quoi bon un « pouvoir
judiciaire » ? », in l'office du juge, part
de souveraineté ou puissance nulle
* 41 : Jean CARBONNIER,
Droit civil, introduction, PUF, p.227
* 42 : Laurent-Xavier
SIMONEL, « Le juge et son précédent »,
Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999
* 43 : Jean-Luc
AUBERT, Introduction au droit et thèmes
fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.171
* 44 : ROUBIER Paul,
Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz,
2ème édition
* 45 : Rapport MOLFESSIS,
p.11
* 46 : cf infra
* 47 : Marie-anne
FRISON-ROCHE, « La théorie de l'action comme principe de
l'application dans le temps des revirements de jurisprudence », RTD
civ, Avril/juin 2005, p.310
* 48 : sur cette question, voir notamment
Michel TROPER, « La question du pouvoir judiciaire en l'an
III », in L'office du juge : part de souveraineté ou
puissance nulle ?, Bruylant 2002 et Jean-Louis HALPERIN, « La
souveraineté de la cour de Cassation : une idée longtemps
contestée », in l'office du juge : part de
souveraineté ou puissance nulle, Bruylant, 2002
* 49 : « Ce
n'est pas par inadvertance que la Constitution (...) écarte
« l'Autorité judiciaire » des
« Pouvoirs » entre lesquels elle répartit, dans ses
articles 34 et 37 les compétences pour édicter des règles
générales. » V. HEUZE, « à propos du
rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre
indignation et incrédulité » précité
* 50 : Les juges ne sont
« que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des
êtres inanimés qui n'en peuvent modérer ni la force ni la
rigueur » MONTESQUIEU, L'esprit des Lois , livre XI,
chapitre VI . Cette citation de Montesquieu, particulièrement claire
dans le principe qu'elle formule, a marqué les esprits, encore que Guy
CANIVET explique qu'elle repose sur un malentendu historique, n'y voyant qu'une
« formule curieusement attribuée à
MONTESQUIEU » (« Activisme judiciaire et prudence
interprétative », in La création du droit par le
juge, p.9)
* 51 : « La
question du pouvoir judiciaire en l'an III » précité
* 52 : et, a fortiori, la
fonction jurisprudentielle, si tant est qu'elle soit admise
* 53 : Il poursuit en
expliquant que le principe cher à Beccaria (« En
présence de tout délit, le juge doit former un syllogisme
parfait : la majeure doit être la loi générale, la
mineure l'acte conforme ou non à la loi, la conclusion étant
l'acquittement ou la condamnation ») a été repris dans
ce qui constitue aujourd'hui le droit positif, et notamment dans la
Déclaration des droits de l'Homme
* 54 : La formule la plus
souvent citée sur cette idée est probablement celle de
l'évêque Hoadley au XVIIe siècle, d'ailleurs citée
par Michel TROPER dans son article : « Whoever Hath an absolute
authority to interpret any writen or spoken law, it is he who is truly the
Law-giver to all intents and purposes and not the person who first wrote or
spoke them »
* 55 : Thierry BONNEAU,
« Brèves remarques sur la prétendue
rétroactivité des arrêts de principe et des arrêtes
de revirement », Recueil Dalloz, 1995, p.24
* 56 Thierry BONNEAU,
« Brèves remarques sur la prétendue
rétroactivité des arrêts de principe et des arrêtes
de revirement » précité
* 57 : Philippe MALINVAUD
« A propos de la rétroactivité des revirements de
jurisprudence » RTD civ. Avril/juin 2005, p.314
* 58 Thierry BONNEAU,
« Brèves remarques sur la prétendue
rétroactivité des arrêts de principe et des arrêtes
de revirement » précité
* 59 : Civ ;
1ère, 21 mars 2000, pourvoi n°98-11982 ; Recueil
Dalloz 2000, n°28, p.593, note Christian ATIAS
* 60 : Crim. , 30 janvier
2002, Bull. n°16 ; Crim. , 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801. Le
premier arrêt est particulièrement intéressant car le
premier moyen est l'exacte reprise du raisonnement tenu par le Cour
Européenne des droits de l'Homme dans les affaires C.R. c. R-U, S.R. c.
R-U, Cantoni et Pessino (cf infra)
* 61 : Sur la question du
critère formaliste, voir Didier REBUT, « le revirement de
jurisprudence en droit pénal », repris dans les annexes du
Rapport MOLFESSIS
* 62 : Christian MOULY,
« Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27,
p.325
* 63 : V. HEUZE,
« à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence,
une réaction entre indignation et incrédulité »
précité
* 64 : Rapport annuel
pour l'année 2001, p.421 à p.425
* 65 : civ.
1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n°00-14564
* 66 : V. HEUZE,
« à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence,
une réaction entre indignation et incrédulité »
précité
* 67 : civ.
1ère, 9 octobre 2001 précité
* 68 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN, p.119 et s.
* 69 : AUBERT Jean-Luc,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.119 et s.
* 70 : Guy CANIVET,
« Vision prospective de la Cour de Cassation »,
conférence prononcée devant l'Académie des Sciences
Morales et Politiques le Lundi 13 novembre 2006
* 71 Bruno Oppetit,
« Le rôle créateur de la Cour de cassation »,
in Bicentenaire de la Cour de cassation, La documentation
française, 1991
* 72 : Il estime par
ailleurs que « ce faisant, la Cour de Cassation ne trahissait
nullement sa mission : elle obéissait au contraire aux directives
exprimées par Portalis dans son Discours préliminaire de
présentation du Code civil, qui excluaient certes
l'interprétation judiciaire « par voie
d'autorité », débouchant sur des arrêts de
règlement, mais encourageaient au contraire les tribunaux à
développer l'interprétation « par voie de
doctrine », consistant à « saisir le vrai sens des
lois, à les appliquer avec discernement et à les suppléer
dans les cas qu'elles n'ont pas réglés ».
* 73 : Sur cette
question, voir notamment AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et
thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.119 et s.
* 74 : L'expression est
de Jacques FLOUR, Jean-Luc AUBERT et Eric SAVAUX, Droit civil, les
obligations, Tome 2, p.228
* 75 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.170
* 76 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.118 et s.
* 77 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.171
* 78 : C'est d'ailleurs
le rôle qui lui est depuis longtemps reconnue : « il y a,
pour toute la république, une Cour de cassation ». Sur cette
question, voir notamment Guy CANIVET et Jean-François BURGELIN :
« L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle
l'élaboration de sa propre jurisprudence », in La Cour de
Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas Molfessis (dir.) ,
économica 2004
* 79 : Su cette question,
voir par notamment Guy CANIVET, « Vision prospective de la Cour
de Cassation », conférence prononcée devant
l'Académie des Sciences Morales et Politiques le Lundi 13 novembre
2006
* 80 : Bernard BEIGNIER,
« Les arrêts de règlement », Droits 9-1989,
p.54
* 81 : Jean-Luc AUBERT,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN
* 82 : Rapport annuel
pour 2003, p.291 ; Le rapport, p. 292 va plus loin : « En
outre lorsqu'une nouvelle jurisprudence s'élabore en s'écartant
des solutions jusqu'alors acquises, il s'agit pour l'essentiel de questions
particulièrement controversées où il était devenu
nécessaire de corriger certains excès ou de fixer une ligne
directrice plus cohérente
* 83 : rapport annuel
pour l'année 2001, p. 421 à 425
* 84 : Jean-Luc AUBERT,
« Faut-il « moduler » dans le temps les
revirements de jurisprudence ?... J'en doute ? », RTD civ,
Avril/juin 2005, p.302
* 85 : AUBERT Jean-Luc,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.172
* 86 : AUBERT Jean-Luc,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.172
* 87 : AUBERT Jean-Luc,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.172
* 88 : AUBERT Jean-Luc,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN.176
* 89 : AUBERT Jean-Luc,
Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil,
Armand COLLIN p.171
* 90 : Béatrice
BOURDELOIS, « Lois rétroactives et droits
fondamentaux », étude présentée lors du colloque
sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004,
organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental,
International et comparé de la Faculté des Affaires
Internationales du Havre.
* 91 : civ.
1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982 ; la
formule exacte dans l'arrêt était « la
sécurité juridique invoquée ne saurait consacrer un droit
acquis à une jurisprudence figée, l'évolution de la
jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du
droit », l'argument tiré de la violation de l'article 6.1
n'ayant été invoqué qu'ultérieurement dans d'autres
affaires.
* 92 : civ.ère,
9octobre 2001 précité. La juxtaposition de cette formule et de
la formule classique sur l'inexistence de la norme jurisprudentielle
(« « l'interprétation jurisprudentielle d'une
même norme à un moment donné ne peut être
différente selon l'époque des faits
considérés » ») ne va pas sans un certain
paradoxe, comme le rappelle Denys de Béchillon : « de la
rétroactivité de la règle jurisprudentielle »,
in mélanges en l'honneur de Franck Moderne, p.5
* 93 : civ.
2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717 ; civ.
3ème, 2 octobre 2002, pourvoi n°01-02073 ; Il est
d'ailleurs intéressant de constater que, le même jour, la
deuxième chambre civile a rendu un arrêt où elle admettait
le principe d'une non-rétroactivité limitée de la norme
jurisprudentielle (pourvoi n°01-10426, cf infra)
* 94 : soc.7 janvier
2003, pourvoi n° 00-46476 ; soc. 26 novembre 2003, pourvoi
n°01-45486 ; soc. 25 février 2004, RJS 5/04, p.366 ; soc.
18 janvier 2005, pourvoi n° 02-46737 ; soc. 23 février
2005 ; pourvoi n° 02-42615
* 95 : Recueil Dalloz
2000, n°28, p.593, note sous civ. 1ère, 21 mars 2000
* 96 : soc. 28 janvier
2004, pourvois n° 02-40173 et n°02-40174. On signalera simplement que
la formule, moins développée que celle employée par la
chambre criminelle, renseigne moins sur la vision de la jurisprudence. On peut
penser que la chambre sociale a simplement profité de ces arrêts
pour préciser le cadre de son intervention, avant de reprendre
l'ancienne formule (soc. 25 février 2004, RJS 5/04, p.366)
* 97 : rapport annuel de
la cour de cassation pour l'année 2001 précité
* 98 : ROUBIER Paul,
Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps) , Dalloz,
2ème édition
* 99 :
« Brèves remarques sur la prétendue
rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de
revirement » précité, dirigé contre les
propositions de Christian MOULY
* 100 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E dirigé contre les
propositions du rapport MOLFESSIS
* 101 : On peut
d'ailleurs noter que Thierry BONNEAU revient au principe de la
déclarativité, tandis que Pierre FLEURY-LE GROS accepte de rester
dans l'optique d'un juge créateur.
* 102 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E
* 103 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E
* 104 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E
* 105 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E
* 106 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E
* 107 : Paul ROUBIER,
« Le Droit transitoire », 2ème
éd., 1960
* 108 : L. BACH,
« Contribution à l'étude du problème de
l'application des lois dans le temps », R.T.D.civ., 1969, pp. 405
à 468
* 109 : P. FLEURY-LE
GROS, Contribution à l'analyse normative des conflits de lois dans
le temps en droit privé interne, thèse, préface L.
BACH, P. MAYER, postface. J. PETIT, éd. Dalloz, Nouvelle
bibliothèque de thèse, vol 43, février 2005
* 110 : Thierry BONNEAU
indique les référence suivantes : Cass. 1re civ., 8 mai
1979, D. 1979.477, note Huet-Weiller ; JCP 1980.II.19301, note Paire ; Gaz.
Pal. 1979.2.426, note Massip ; Cass. ass. plén., 9 juill. 1982, JCP
1983.II.19993, concl. Cabannes ; RTD civ. 1983.729, obs. Nerson et
Rubellin-Devichi, et 1984.150, obs. Normand. ; Cass. 1re civ., 1er
déc. 1982, D. 1983.573, note Agostini.
* 111 : Paul ROUBIER,
« Le Droit transitoire » précité
* 112 :
« Brèves remarques sur la prétendue
rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de
revirement » précité
* 113 : Ass. Pl., 21
décembre 2006 précité
* 114 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E
* 115 : Pierre FLEURY-LE
GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre
2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E
* 116 : Pierre FLEURY-LE
GROS concentre sa critique sur les prémisses du rapport MOLFESSIS ;
Thierry BONNEAU évoque principalement les articles de Christian MOULY
dans les années 1990 : C. Mouly, Comment rendre les revirements de
jurisprudence davantage prévisibles ?, Petites affiches, n° 33, 18
mars 1994, p. 15. ; C. Mouly, art. préc. ; Le revirement pour
l'avenir, JCP 1994.I.3776 ; rapport sur les revirements de jurisprudence de la
Cour de cassation, in L'image doctrinale de la Cour de cassation, Doc. fr.,
1994, p. 123 s.
* 117 : Jean CARBONNIER,
Droit civil, introduction, PUF, p.227
* 118 : Philippe JESTAZ,
« La jurisprudence constante de la Cour de cassation », in
Autour du droit civil, écrits dispersés, idées
convergentes, Dalloz 2005, p.113
* 119 : ROUBIER Paul,
Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps , Dalloz,
2ème édition, p.25
* 120 : Denys de
BECHILLON« Comment traiter le pouvoir normatif du juge »,
in mélanges Philippe JESTAZ, p.29
* 121 : ROUBIER Paul,
Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps) ,
Dalloz, 2ème édition, p.25
* 122 : « Note
sur les revirements de jurisprudence », Archives philosophiques du
droit, 1967, p.335
* 123 : Le vocabulaire
employé est d'ailleurs frappant. Ainsi, Denys de Béchillon,
concluant sur l'opposition entre les classiques et les
« réalistes », par référence aux
théories réalistes de l'interprétation, évoque
leurs opposants en doctrine comme les
« idéalistes », par référence à
un statut légal que l'on ne retrouverait pas dans la
réalité : Denys de BECHILLON, « Le gouvernement
des juges, une question à dissoudre », Dalloz 2002, n°12,
p.973. Il ne va pas aussi loin que J. BOULANGER : « Nous ne
sommes pas très sûrs que par rapport à la jurisprudence le
problème des sources de droit ait été examiné avec
un souci suffisant de la réalité. » (Répertoire
de droit civil, Dalloz, tome 3, jurisprudence, n°22, cité dans
Olivier DUPEYROUX La doctrine Française et le problème de la
jurisprudence source de droit, in Mélanges Gabriel MARTY)
* 124 : A. RIEG,
Jurisclasseurs de droit civil, art. 5, n°35
* 125 : C. ATIAS,
« l'ambiguïté des arrêts dits de principe en droit
privé », JCP, 1984.I.3145, n°3
* 126 : Bernard
BEIGNIER, « Les arrêts de règlement »
précité
* 127 : Pierre-Yves
GAUTIER, « Rétroactivité de la jurisprudence et
arrêts de règlement : au sujet de la contrepartie à la
clause de non-concurrence », RTD civ. , Janvier/mars 2005, p.159
* 128 : SIMONEL
Laurent-Xavier, « Le juge et son précédent »,
Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999
* 129 : Il
poursuit : « Les démonstrations des parties trouvent
fréquemment le point d'orgue de leurs moments de conviction lorsqu'elles
parviennent à se clore par une référence à une
décision univoque rendue, si possible, par la Cour suprême et,
mieux encore, par la formation la plus solennelle de cette Cour. Le dossier de
plaidoirie qui, dans la plupart des cas, va établir le premier
véritable contact entre le juge et l'affaire et sur lequel la plaidoirie
orale va se fonder, contient certes, dans ses cotes, les principales
pièces discutées devant la juridiction, mais ils sont surtout
rendus volumineux par la reproduction intégrale, notes et commentaires y
compris, des décisions topiques dont l'avocat espère que le
faisceau créera le tracé du chemin lumineux de la solution
juridique à laquelle il veut conduire le juge.»
* 130 : David JACOTOT,
dans un article sur la méthode suivie par les juges a propos de
l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de Cassation le 24 avril
2001 , arrivait d'ailleurs aux mêmes conclusions sur la prise en compte
explicite, par l'avocat général, des
précédents
* 131 : Christian MOULY,
« Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27,
p.325
* 132 : « Note
sur les revirements de jurisprudence », Archives philosophiques du
droit, 1967, p.335
* 133 : Denys de
BECHILLON, « L'ordre de la hiérarchie des normes et la
théorie réaliste de l'interprétation, réflexions
critiques », RRJ 1994-1, p.245
* 134 : Catherine
PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une
erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean
FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205
* 135 : olivier
TOURNAFOND, « Considérations sur les nouveaux arrêts de
règlement (à partir de quelques exemples tirés du droit
des obligations et du droit des biens) », in mélanges P.
JESTAZ, p.556
* 136 : G. MARTY et P.
RAYNAUD, « Droit Civil, tome 1, 2e édition, p.217,
cité dans « La doctrine Française et le problème
de la jurisprudence source de droit », in mélanges Gabriel
MARTY
* 137 : Petr MUZNY,
« Quelques considérations en faveur d'une meilleure
prévisibilité de la loi », Dalloz 2006, n°32,
p.2214
* 138 : David JACOTOT,
« Retour sur le phénomène jurisprudentiel, à
propos de l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 24
avril 2001 », RRJ 2002-4, p.1631
* 139 : Patrick MORVAN,
« En droit, la jurisprudence est une source du droit », RRJ
2001-1, p.77
* 140 : Pierre MAYER,
« Existe-t-il des normes individuelles ? », in
Mélanges Michel TROPER
* 141 : Catherine
PUIGELIER, « La création du droit, libre propos sur la norme
jurisprudentielle », RRJ 2004-1, p.17
* 142 : sur cette
question, pour un parallèle entre l'arrêt de principe et
l'arrêt de règlement sous l'angle de l'analyse cognitiviste,
révélatrice de l'emploi de mécanismes d'ordre
psychologique pour asseoir l'autorité du juge, voir aussi
« d'une approche cognitive de l'arrêt de principe »
RRJ 2002-4, p. 1631
* 143 : Rapport annuel
pour l'année 2003.
* 144 : Antoine MAZEAUD,
« La sécurité juridique et les décisions du
juge », Droit social, n°7/8 Juillet/août 2006,
p.744 ; sur cette question, voir notamment Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation », in La création du droit par le
juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine
PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89
* 145 : Jean
CARBONNIER, Droit civil, introduction, PUF,
p.232 : ces infirmités sont la lenteur, l'incertitude qui entoure
souvent l'arrêt de principe, l'insécurité,
l'indifférence aux justiciables, l'impuissance à dépasser
certains obstacles pratiques, telles que la modification d'un texte de loi
* 146 : Denis de
BECHILLON, « Le gouvernement des juges, une question à
dissoudre », Dalloz 2002, n°12, p.973
* 147 : sur cette
question, Michel TROPER, « Le bon usage des spectres, du gouvernement
des juges au gouvernement par les juges », in Mélanges
CONAC
* 148 : Alain HERVIEUX,
« Observations sur l'insécurité de la règle
jurisprudentielle », RRJ 1989-2, p.257
* 149 : Olivier
DUPEYROUX, « La doctrine Française et le problème de la
jurisprudence source de droit », in mélanges Gabriel
MARTY
* 150 : Olivier
DUPEYROUX, « La doctrine Française et le problème de la
jurisprudence source de droit » précité
* 151 : Voir par
exemple, Patrick MORVAN (« Le revirement de jurisprudence pour
l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le
Rubicon », Dalloz 2005, n°4, p.247) : « La
prohibition des arrêts de règlement ne bride en rien la
faculté créatrice du juge. Elle signifie que les juges
« ne sauraient (...) se lier pour l'avenir en déclarant qu'ils
jugeront les mêmes questions d'après les principes par eux
posés » (civ. 2ème,16 juin 1955). En
revanche, « ils peuvent mais encore ils doivent indiquer les
règles et principes généraux de droit sur lesquels ils
fondent leurs décisions » (cass. req. 1er
fév. 1882) . En somme, l'article 5 n'interdit au juge que d'exercer
« un pouvoir législatif, en la forme et à la
manière qui est celle du législateur » (P. HEBRAUD,
« le juge et la jurisprudence, in Mélanges COUZINET) . Or, la
Cour de Cassation n'énonce jamais le droit qu'à l'occasion de
litiges particuliers ; elle ne légifère jamais ex nihilo, en
dehors des faits, à l'image des Parlements de l'Ancien
Régime. »
* 152 : Jacques MAURY,
« Observations sur la jurisprudence en tant que source de
droit » in mélanges RIPPERT, cité dans O.
DUPEYROUX, « La doctrine Française et le problème de la
jurisprudence source de droit » précité
* 153 : Sur cette
question, voir notamment Gilles LEBRETON, « Droit administratif
général », p.52 à 55
* 154 : Michel TROPER,
« La théorie du droit, le droit, l'Etat », Paris,
PUF, 2001, cité dans Manuel ATIENZA, « Les limites de
l'interprétation constitutionnelle, retour sur les cas
tragiques », in mélanges Michel TROPER
* 155 : Denys de
BECHILLON, « L'ordre de la hiérarchie des normes et la
théorie réaliste de l'interprétation, réflexions
critiques » précité, p. 250
* 156 : « Si
la signification (d'un) acte, par exemple la signification de l'acte du
législateur, est déterminé par l'organe d'application, il
en résulte immanquablement qu'une Loi valide est la signification d'un
acte humain telle qu'elle est déterminée par le juge. L'existence
juridique d'une norme législative ne résulte pas de sa
conformité à la Constitution, mais de l'interprétation par
le juge. La validité ne provient pas de la norme supérieure mais
du processus de production de normes inférieures. En d'autres termes, si
la Loi est non pas l'acte de volonté du législateur, ni le texte
publié au journal officiel, mais la norme que ce texte contient, c'est
le juge qui énonce la loi, et non le législateur. »
Michel TROPER, « Kelsen , la théorie de
l'interprétation et la structure de l'ordre juridique »,
cité dans Denys de BECHILLON, « L'ordre de la
hiérarchie des normes et la théorie réaliste de
l'interprétation, réflexions critiques »
* 157 : Denys de
BECHILLON, « Comment traiter le pouvoir normatif du
juge ? », in Mélanges JESTAZ, p.29
* 158 : Denys de
BECHILLON, « L'ordre de la hiérarchie des normes et la
théorie réaliste de l'interprétation, réflexions
critiques » précité
* 159 : même si
des tentatives ont été faites en ce sens, voir par exemple
Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du
droit » précité
* 160 Thierry BONNEAU,
Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des
arrêts de principe et des arrêts de revirement, Recueil Dalloz 1995
p. 24 ; il ajoute toutefois : « Doit-on pour autant
considérer que celle-ci s'explique par la rétroactivité ?
Il ne le semble pas parce que cette application ne se fonde pas sur la
volonté de l'auteur de la nouvelle jurisprudence, mais sur son
acceptation par la communauté des juristes. »
* 161 : William DROSS,
« La jurisprudence est-elle seulement
rétroactive ? », Dalloz 2006, p.472
* 162 :
Civ.1ère, 9 octobre 2001, Pourvoi n° 00-14564
* 163 : Poursuivant sur
l'exemple de l'arrêt du 9 octobre 2001, il estime qu': « en
l'espèce, les juges de la Cour de Cassation auraient dû se
demander si, en 1974, il était juste que le médecin informe ou
non sa patiente des risques graves mais exceptionnels que présentait un
tel accouchement. Les magistrats peuvent répondre positivement ou
négativement : il en va précisément de leur mission,
en l'absence de tout texte de loi explicite. Le fait qu'ils aient
estimé, en 1998 que le médecin était tenu d'une telle
obligation n'a en soi aucune portée contraignante, sauf alors à
se demander à quelle époque s'étaient produits les faits
examinés par la Cour de Cassation dans cette espèce. Or, il
s'agissait d'un acte médical remontant à 1987, ce dont il faut
alors déduire que, pour la jurisprudence, en 1987, la justice commandait
qu'un médecin informe ses patients sur les risques exceptionnels de
l'opération. Mais rien ne peut laisser penser qu'il devait en aller de
même treize années auparavant. S'ils avaient estimé dans
cet arrêt de 2001 qu'une telle obligation n'existait pas en 1974, leur
décision n'aurait absolument pas fait figure de revirement de
jurisprudence, par cela qu'ils ne sont pas législateurs : ils ne
posent pas par un acte de pouvoir une norme au jour où ils statuent,
mais ils disent par un acte d'autorité ce qui devait être tenu
pour juste dans la société Française au jour où la
situation litigieuse s'est produite. »
* 164 : Denys de
BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle en matière de responsabilité », in
mélanges Franck MODERNE, p. 5
* 165 : Denis de
BECHILLON, « Le gouvernement des juges, une question à
dissoudre » précité
* 166 : Patrick MORVAN,
« En droit, la jurisprudence est une source du droit »
précité
* 167 : Rapport
MOLFESSIS, p. 12
* 168 : Rapport
MOLFESSIS, p.13
* 169 : Sur ce point, on
peut évoquer la réponse de Vincent HEUZE (« A propos
du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre
indignation et incrédulité », JCP G 2005, n°14,
p.671) , exprimant son vif désaccord, expliquant que cette
« profondeur d'ancrage de l'Etat de droit dans notre pays, avec ce
qu'elle suppose de solidité et de stabilité des institutions
démocratiques », « loin d'être une
réalité, en est une simple représentation, dont
l'optimisme est certainement aussi imprudent que l'était la croyance, si
largement répandue à l'orée de XXème
sicle, dans le caractère définitif du triomphe des valeurs de la
civilisation »
* 170 : Rapport
MOLFESSIS, p.13
* 171 : Pascale DEUMIER,
Rafael ENCINAS DE MUNAGORRI, « Faut-il différer l'application
des règles jurisprudentielles ? Interrogations à partir d'un
rapport », RTD civ., janvier/Mars 2005, p.83
* 172 : Jean RIVERO,
« Sur la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle », AJDA 1968, p. 15
* 173 : Jean RIVERO,
« Sur la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle » précité
* 174 : « Le
juge et son objet » précité
* 175 : Nicolas
MOLFESSIS, « Les revirements de jurisprudence », in La cour
de Cassation et l'élaboration du droit, cité dans Catherine
PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une
erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean
FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205
* 176 : VOIRIN Pierre,
« Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP
1959, I, 1467
* 177 : Citant le
Doyen CARBONNIER, « Le revirement est rétroactif par
nature ; la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout
ce que les particuliers avaient pu faire sur la base et sur la foi de la
jurisprudence ancienne » (CARBONNIER, « Droit
civil », t. I, n°31, p.109 et n°34, p.113. ; rappr.
RIPPERTet boulanger, « Traité de droit civil
d'après PLANIOL », t. I, n°244), il poursuit :
« Tout revirement équivaut à une loi
rétroactive.
Certains, il est vrai, corrigent ce qui est excessif dans
cette affirmation. « Il n'y a pas théoriquement
rétroactivité, disent-ils, puisqu'il n'y a pas modification de la
loi. Mais, en fait, les conséquences du renversement de la jurisprudence
sont, pour les particuliers, semblables à celles d'une loi
rétroactive. » (JULLIOT de la MORANDIERE,
« Traité de droit civil de COLIN et CAPITANT », t.
I, n°244) Cette mise au point substitue comme terme de comparaison la loi
interprétative à la loi rétroactive.
Mais l'idée même d'une comparaison avec la loi
est suspecte, car on ne compare que les choses de même ordre. Or, il est
permis de douter que la jurisprudence soit une source de droit parallèle
à la loi. Qu'on dise que l'usage conventionnel est vis-à-vis de
la coutume dans le même rapport que la loi supplétive
vis-à-vis de la loi impérative ou prohibitive, c'est raisonner
juste, car loi et coutume sont sources de droit. Il en va différemment
de la jurisprudence ; elle se borne à invoquer la violation ou la
mauvaise interprétation de la loi.
Cependant le résultat pratique du revirement est analogue
à celui que produit la loi interprétative : les situations
juridiques antérieurement constituées se trouvent soumises
à l'interprétation nouvelle, leur constitution même peut
s'en trouver ébranlée, le même risque
d'insécurité pèse sur les justiciables »
* 178 : Jean RIVERO,
« Sur la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle » précité. Sur ce point, Christian
MOULY proposait de ne faire aucune différence entre les arrêts de
principe et les arrêts de revirement : « une solution
jurisprudentielle n'intervient jamais dans un paysage juridique totalement
vide. Même si la position prise par un arrêt est la première
expression judiciaire sur une question, elle peut bouleverser un état de
droit antérieur, le plus souvent concrétisé par une
doctrine et une pratique communément admise (...)Les arrêts de
principe ou de règlement doivent bien relever du même
régime transitoire que les arrêts de revirement »
(Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir », JCP G
n°27, p.325)
* 179 : Thierry BONNEAU,
« Brèves remarques sur la prétendue
rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de
revirement » précité ; Pierre FLEURY-LE GROS, Note
sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires
Centéa et La Briocherie, JCP E
* 180 : Jean RIVERO,
« Sur la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle » précité
* 181 : VOIRIN Pierre,
« Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP
1959, I, 1467
* 182 : Christian MOULY,
« Le revirement pour l'avenir » précité. Dans
le même sens, on peut citer Christophe RADE (« De la
rétroactivité des revirements de jurisprudence »,
Dalloz 2005, n°15, p.988) : Pour les justiciables, il importe peu de
savoir si la règle nouvelle qu'on lui impose rétroactivement
résulte de l'adoption d'une nouvelle ou d'un changement dans
l'interprétation jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux
hypothèses, le litige est en effet tranché par application d'une
règle de droit, pure ou interprétée, dont le justiciable
n'avait pas eu connaissance au moment des faits et dont il n'a pas pu, par
hypothèse, tenir compte dans ses prévisions. La Cour de Cassation
ne peut donc, à son égard, se retrancher derrière une
lecture aussi formelle de l'office du juge. »
* 183 : « De
la rétroactivité des revirements de jurisprudence »,
Dalloz 2005, n°15, p.988
* 184 : Jean CARBONNIER,
Droit civil, introduction, PUF, p.207
* 185 : « l'on
peut admettre que les normes jurisprudentielles méritent un domaine
d'application dans le temps qui soit l'égal de celui des normes
législatives » (Christian MOULY, « Comment limiter
la rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts
de revirement ? » , LPA, 4 mai 1994, n°53)
* 186 : ROUBIER Paul,
Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz,
2ème édition, p.25 et s.
* 187 : Le Doyen ROUBIER
estime toutefois qu'un tel objectif est matériellement
irréalisable : « Il faut bien convenir qu'il existe un
obstacle insurmontable dans notre droit : c'est l'impossibilité
où l'on est de déterminer, avec une précision suffisante,
le moment où la jurisprudence est fixée ; on ne peut, pour
cette raison, assimiler le changement qui se produit dans le droit des
arrêts à un changement de loi ». Comme nous le verrons,
l'évolution qui s'est faite dans le domaine de la publication des
arrêts pourrait conduire à remettre en cause cette conclusion
pessimiste.
* 188 : Voir notamment
CEDH, 21 novembre 1994, Raffineries Grecques STRAN et STRATIS ANDREADIS c.
Grèce, n°22/1993/417/496 ; CEDH, 28 octobre 1999, ZIELINSKI et
PRADAL, req. 24846/94 et 34165/96 à 34173/96
* 189 : Sur cette
question, voir notamment Philippe MALINVAUD, « l'étrange
montée du contrôle du juge sur les lois
rétroactives », in Le Code Civil, un passé, un
présent, un avenir ; Béatrice BOURDELOIS,
« Lois rétroactives et droits fondamentaux »,
étude présentée lors du colloque sur les droits
fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par
le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et
comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.;
François-Charles BERNARD, « Les validations
législatives, bilan et perspectives », in La loi,
Catherine PUIGELIER (Dir.) , économica, 2005
* 190 : Jean-Luc AUBERT,
« Introduction au droit », n°108
* 191 : Civ.
3ème, 1er février 1984, Bull. civ. III,
n°25
* 192 : Civ. 23
décembre 1845, Civ. 2ème, 16 juin 1961, Bull. civ. II,
n°470
* 193 Crim., 12 janvier 2000,
Bull. crim., n°20
* 194 : Pascale DEUMIER,
« Lois interprétatives, d'une scission à
l'autre », RTD civ., Juillet/Septembre 2004, p.603
* 195 : Ass. Pl., 23
janvier 2004, Bull. A.P. n°2
* 196 : Pascale DEUMIER,
« Lois interprétatives, d'une scission à
l'autre » précité
* 197 : ROUBIER Paul,
Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz,
2ème édition, p.245 et s.
* 198 : Patrick MORVAN
lui-même admet d'ailleurs que « Certes, il est une
différence notable entre la rétroactivité de la loi et
celle de la jurisprudence. Le législateur qui modifie les règles
du jeu en cours de procès agit délibérément dans ce
but, témoignant ainsi d'une déloyauté
répréhensible ; ce faisant, il transgresse le principe
constitutionnel de la séparation des pouvoirs. A l'inverse, le juge qui
opère un revirement n'est a priori animé que d'une volonté
de promouvoir une solution conforme au droit, à la justice ou,
simplement, à sa politique judiciaire ; ce faisant, il agit dans le
cadre de son pouvoir juridictionnel. Il est indéniable, à cet
égard, que « l'évolution de la jurisprudence relève
de l'office du juge dans l'application du droit » (Civ. 1re, 21 mars 2000,
). Nulle immixtion dans la sphère législative ou violation de la
séparation des pouvoirs (en sens inverse du législateur) n'en
résulte, à défaut d'arrêt de règlement
véritable au sens de l'article 5 du code civil. La
rétroactivité, qui est une faute pour le législateur,
relève de l'office naturel du juge et participe donc, en principe, de
son devoir. » (« Le sacre du revirement prospectif sur
l'autel de l'équitable » Recueil Dalloz 2007 p. 835)
* 199 : CEDH, 24 avril
1990, KRUSLIN c. France, Grands arrêts n°5
* 200 : CEDH, MARCKX c.
Belgique ; CJCE, 8 avril 1976, DEFRENNE c. SABENNA
* 201 : Pascale DEUMIER,
« Lois interprétatives, d'une scission à
l'autre » précité
* 202 : Pascale DEUMIER,
« Lois interprétatives, d'une scission à
l'autre » précité
* 203 : Patrick MORVAN,
« Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse
aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz,2005, n°4,
p.247
* 204 : Rapport
MOLFESSIS, p.13
* 205 : Pourvoi n°
04-10101
* 206 : Sur cette
question, voir également Patrick MORVAN « En droit, la
jurisprudence est source de droit », RRJ 2001-1, p.77 et Antoine
BOLZE, « La norme jurisprudentielle et son revirement en droit
privé », RRJ 1997.3, p.855
* 207 : Pascale DEUMIER,
« Le formation de la jurisprudence vue par
elle-même », RTD civ. Juillet/septembre 2006, p.521
* 208 : Civ.
1ère,k 25 novembre 1997, Bull. civ. , IV, n°328
* 209 : Pascale DEUMIER,
« Le formation de la jurisprudence vue par
elle-même » précité
* 210 : Civ.
1ère, 9 octobre 2001 précité
* 211 : Jean-Luc AUBERT,
La responsabilité civile professionnelle des notaires, LPA, 11 juin 2002
n° 116, P. 9
* 212 : Civ.
2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426
* 213 : Ass. Pl. 21
décembre 2006, pourvoi n° 00-20493
* 214 : Christophe
Bigot, « Atteinte à la présomption d'innocence :
changement du régime de la prescription », Dalloz 2004 p.
2956
* 215 : Christophe
Bigot, « Atteinte à la présomption d'innocence :
changement du régime de la prescription »
précité
* 216 : Civ. ,
2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717
* 217 : Civ.
2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426
précité
* 218 : Patrick MORVAN,
« En droit, la jurisprudence est une source du droit »
précité
* 219 : Damien Roets
« La non-rétroactivité de la jurisprudence
pénale in malam partem consacrée par la Cour
européenne des droits de l'homme » , Recueil Dalloz 2007 p.
124
* 220 : Sur cette
question, voir notamment Damien Roets « La
non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam
partem consacrée par la Cour européenne des droits de
l'homme » précité
* 221 : Le mot logique
n'a pas pour but, ici de manifester notre attachement à cette
thèse. Comme nous l'avons dit, nous tentons d'expliquer les
différentes thèses, pas de la départager selon leurs
mérites. Ici, nous estimons simplement que, pour la Cour, il s'agit plus
d'un principe logique que d'un principe de droit
* 222 : CEDH,C.R.. c.
Royaume-Uni, 22 novembre 1995
* 223 : CEDH, CANTONI c.
France, 15 novembre 1996
* 224 : CEDH,C.R.. c.
Royaume-Uni, 22 novembre 1995
* 225 : CEDH,C.R.. c.
Royaume-Uni, 22 novembre 1995
* 226 : CEDH, CANTONI c.
France, 15 novembre 1996 ;
* 227 : CEDH, PESSINO c.
France, 10 octobre 2006
* 228 : CEDH, Sunday
Times, 26 avril 1979
* 229 : CEDH, MALONE, 2
août 1984
* 230 : CEDH, KRUSLIN c.
France, 24 avril 1990
* 231 : CEDH, 16
décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE
* 232 : Patrick MORVAN,
« En droit, la jurisprudence est une source du droit »
précité
* 233 : F.E. c. France,
30 octobre 1998
* 234 : CEDH, PESSINO c.
France, 10 octobre 2006
* 235 : Voir par exemple
CEDH, MARCKX c/ Belgique, 13 juin 1979
* 236 : P. ESMEIN,
« La jurisprudence et la loi », RTD civ. 1952, p.19
* 237 : Denys de
BECHILLON, « Le gouvernement des juges : une question à
dissoudre », Dalloz 2002, n°12, p.973, ainsi que
« Comment traiter le pouvoir normatif des juges, in Mélanges
JESTAZ, p. 29
* 238 : Sur cette
question, voir Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et
droits fondamentaux », étude présentée lors du
colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et
2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit
Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires
Internationales du Havre.
* 239 : Sylvia
CALMES, « Sécurité juridique et droits
fondamentaux », étude présentée lors du colloque
sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004,
organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental,
International et comparé de la Faculté des Affaires
Internationales du Havre.
* 240 : Voir par exemple
Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et
droits fondamentaux » précité
* 241 : Sur cette
question, voir notamment les études réunies et
présentées par Bertrand MATHIEU : « Le principe
de sécurité juridique », Les cahiers du Conseil
Constitutionnel, n°11, 2001
* 242 : Bertrand
MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe
constitutionnel clandestin mais efficient », in Mélanges
GELLARD. Sur cette question, voir également François
LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit
constitutionnel Français », Les cahiers du Conseil
Constitutionnel, n°11, 2001, p.67
* 243 : Bertrand
MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe
constitutionnel clandestin mais efficient » précité
* 244 :
« L'explication du silence opposé au grief [de
sécurité juridique] est évidente : tout d'abord, le
concept de sécurité juridique est absent de notre corpus
constitutionnel ; ensuite, il pourrait faire croire que les situations
juridiques résultant des lois sont définitivement établies
et que le législateur ne pourrait les modifier »
(François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en
droit constitutionnel Français » précité)
* 245 : Sur le rapport
entre ces notions et le concept de sécurité juridique, voir par
exemple François LUCHAIRE, « La sécurité
juridique en droit constitutionnel Français »
précité) ; Pierre MAZEAUD, « La loi ne doit pas
être un rite incantatoire », JCP G 2005, n°6, p.
245 ; Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les nouveaux
commandements de la production législative », in
Mélanges Michel TROPER
* 246 : Voir par exemple
Sophie BOISSARD, « Comment garantir la stabilité des
situations juridiques individuelles sans priver l'autorité
administrative de tous moyens d'action et sans transiger sur le respect du
principe de légalité ? Le difficile dilemme du juge
administratif », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11,
2001, p. 70 ; Antoine CRISTEAU, « L'exigence de
sécurité juridique », Dalloz 2002, n°37,
p.2814 ; Manuel DELAMARRE, « La sécurité juridique
et le juge administratif Français », AJDA 2004, p.186
* 247 : Conseil d'Etat,
24 mars 2006, K.P.M.G. ; Claire LANDAIS et Frédéric LENICA,
Sécurité juridique : la consécration, AJDA 2006 p. 1028
* 248 : Jean-Guy HUGLO,
« La Cour de Cassation et le principe de la sécurité
juridique »
* 249 : Voir notamment
Ass. Pl. , 24 janvier 2003, Evelyne X. et autres c. Association Promotion des
handicapés dans le Loiret, Bull, A.P. n°2
* 250 : cf
supra
* 251 : Pourvoi
n°03-14717
* 252 : Pourvoi
n°01-02073
* 253
_ : Pourvoi n°00-46476
* 254 : Pourvoi
n°02-42615
* 255 : Soc. , 7 janvier
2003, précité
* 256 : cf
infra
* 257 : Sur cette
question, voir Patrick MORVAN, « Le sacre du revirement prospectif
sur l'autel de l'équitable », Dalloz 2007 p. 835
* 258 Yves CHARTIER,
« Les revirements de jurisprudence » in L'image
doctrinale de la Cour de Cassation, p.149
* 259 : Rapport
MOLFESSIS, p. 14
* 260 : Rapport
MOLFESSIS, p. 14
* 261 : Guy CANIVET,
Nicolas MOLFESSIS, « Les revirements de jurisprudence ne vaudront-ils
que pour l'avenir ? » , JCP G 2004, n°51, p.2295
* 262 : Suivant la
conception de la norme jurisprudentielle, il s'agira de l'état du droit
tel qu'il existait ou tel qu'il était conçu au moment des faits,
mais l'essentiel est d'atteindre une certaine sécurité.
* 263 : l'accent est
alors mis sur la différence avec la loi, qui, au contraire, n'agit par
principe que pour l'avenir, l'exception étant la loi rétroactive,
mais surtout cette exception est alors le fruit de la volonté du
législateur, et n'est plus possible, étant donnée les
condamnations de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, que pour
« d'impérieux motifs d'intérêt
général »
* 264 : Pierre VOIRIN,
« Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP
1959, I, 1467
* 265 : Christian MOULY,
« Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27,
p.325
* 266 : Pierre VOIRIN,
Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences »
précité
* 267 : Christian MOULY,
« Comment limiter la rétroactivité des arrêts de
principe et des arrêts de revirement ? », LPA, 04 mai
1994, n°53
* 268 : Pierre VOIRIN,
Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences »
précité
* 269 : Civ.
1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n°00-14564
* 270 : Denys de
BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle en matière de responsabilité », in
Mélanges Franck MODERNE, p.5
* 271 : Christophe RADE,
« De la rétroactivité des revirements de
jurisprudence », Dalloz 2005, n°15, p.988
* 272 : Rapport
MOLFESSIS, p.14
* 273 : Rapport
MOLFESSIS, p.15
* 274 : Sur cette
question, l'arrêt rendu par la chambre sociale le 26 janvier 2005 (Droit
social mai 2005, n°5, p.567) donne une bonne illustration, même si
le moyen fut rejeté en l'espèce : un revirement de
jurisprudence avait requalifié contrat de travail la relation
contractuelle entre un locataire de véhicule taxi et la
société propriétaire. Le pourvoi invoquait, entre autre
argument, le coût de ce revirement, qui remettait potentiellement en
cause la qualification de tous les contrats conclus par cette
société, alors même que ces contrats avaient
été conclus au vu et au su des « administrations
concernées », et que la qualification n'avait
été remise en cause que devant la Cour de Cassation ; la
Société affirmait donc ne pas être en mesure,
raisonnablement, de prévoir cette remise en cause. La chambre sociale ne
s'est pas directement préoccupé de cet argument, se contentant
d'expliquer que le moyen, « en ce qu'il se contente d' invoquer
une interprétation jurisprudentielle nouvelle, manque en
fait ».
* 275 : Christian MOULY,
« Le revirement pour l'avenir » précité
* 276 : Rapport
MOLFESSIS, p.15
* 277 : Rapport
MOLFESSIS, p.16
* 278 : Max WEBER,
« Sociologie du droit », PUF, 1986, p.223
* 279 : Denys de
BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle en matière de responsabilité »
précité
* 280 : Rapport
MOLFESSIS, p.16
* 281 : Pierre SARGOS
prend ici l'exemple du marché de l'emploi ; mais on aurait pu
penser également au droit de la consommation ou au contrat
d'adhésion, par exemple
* 282 : « aff.
397/01 à 403/01 PFEIFFER C ; Deutsches Rotes Kreuz Kreibverband
Waldshut, n°82 »
* 283 : Pierre SARGOS,
« L'horreur économique dans la relation de droit (libres
propos sur le « rapport sur les revirements de
jurisprudence », Droit social, février 2005, n°2,
p.123
* 284 : Vincent HEUZE,
« A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une
réaction entre indignation et incrédulité »
précité
* 285 : On peut
toutefois, sur ce point précis, rapprocher cette idée de la
problématique des conflits de lois dans le temps telle que
théorisée par Jean-Luc AUBERT (Introduction au droit et
thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.93) : l'auteur
relève « trois perspectives d'appréciation du
problème de l'étendue de la loi nouvelle » : celle
de l'opportunité (« si le législateur a cru bon
d'établir un régime juridique nouveau, c'est sans doute parce que
le précédent était jugé déficient. En bref,
la loi nouvelle est jugée meilleure que celle qu'elle doit remplacer. Il
est donc raisonnable, et souhaitable, qu'elle s'y substitue le plus rapidement
et le plus complètement possible. C'est une condition du progrès
social ») , celle de l'égalité, qui incitent à
donner à la loi nouvelle le plus grand champ d'application possible, et
celle de la sécurité juridique, qui, au contraire, vient limiter
cette tentation (« la règle de droit - et donc la loi - est
destinée à organiser la vie sociale et à établir
des rapports harmonieux et stables entre ceux qui l'animent. Il y a là
une considération qui milite puissamment contre la tentation qui vient
d'être évoquée, c'est-à-dire contre une remise en
cause rétroactive situations acquises conformément
à la loi antérieures. Quelle harmonie sociale pourrait-on
attendre d'une loi dont la stricte observance ne mettrait pas à l'abri
d'un remaniement des solutions qu'elle consacre ? Sans compter que la
révision des situations antérieurement acquises peut susciter des
difficultés pratiques malcommodément
surmontables. »)
Quelle que soit sa valeur, l'argument n'est donc pas
nécessairement disqualifié d'après ce point de vue, mais
la conclusion qu'on peut tirer de cette comparaison est qu'il ne faut pas
perdre de vue la nécessité de concilier plusieurs
impératifs lors d'un changement de normes. Cependant, ce problème
disparaît dans l'optique de la norme précaire telle que
théorisée par Jean-Luc AUBERT (cf supra) : la norme
jurisprudentielle est une norme différente de celle
développée par le législateur, les solutions concernant
l'étendue de son champ d'application ne sont pas nécessairement
les mêmes.
* 286 : cf supra
* 287 : « La
responsabilité civile », in Rapport Annuel de la Cour de
cassation pour l'année 2001
* 288 : « Le
droit du travail et de la sécurité sociale », in
Rapport Annuel de la Cour de cassation pour l'année 2003
* 289 : Alain HERVIEU,
« Observations sur l'insécurité de la règle
jurisprudentielle » précité
* 290 : Pierre-Yves
GAUTIER, « rétroactivité de la jurisprudence et
arrêts de règlement : au sujet de la contrepartie à la
clause de non concurrence » , RTD civ. , Janvier/mars 2005, p.159
* 291 : Pierre VOIRIN,
Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences »
précité
* 292 : BICC,
n°562, 15 septembre 2002 ; Dalloz 2002, jur. P.2491
* 293 : Ce thème
peut d'ailleurs être rattaché aux « infirmités
jurisprudentielles », et en particulier à l'idée que la
jurisprudence bute sur des obstacles formalistes, comme l'impossibilité
d'exiger ou d'autoriser de telles régularisations à l'occasion
d'un revirement de jurisprudence ; on pourra également faire un
parallèle avec l'évolution en cours devant le Conseil d'Etat,
vers des efforts en matière de
« pédagogie » : le Conseil d'Etat, depuis les
arrêts TITRAN, VASSILIKIOTIS, et AC !, a en effet
développé son pouvoir d'injonction de façon à
pouvoir réformer les actes susceptibles d'annulation, voire de
façon à pouvoir donner des instructions à l'administration
pour la bonne exécution du jugement. Or, c'est justement devant ce type
de difficultés que le Conseil d'Etat a entrepris de développer ce
pouvoir. Sur cette question, voir notamment Claire LANDAIS et
Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le
temps d'une annulation pour excès de pouvoir », AJDA 14 juin
2004, p.1183
* 294 : Christophe RADE,
« De la rétroactivité des revirements de
jurisprudence » précité
* 295 : Pierre VOIRIN,
Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences »
précité
* 296 : Christian MOULY,
« Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage
prévisibles ?, Les petites affiches, 18 mars 1994, n°33,
p.15
* 297 : Christian MOULY,
« Le revirement pour l'avenir » précité
* 298 : Pierre VOIRIN,
Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences »
précité ; il admet toutefois que « dans les deux
cas, la sécurité des justiciables est
ébranlée. »
* 299 : Christian MOULY,
« Comment limiter la rétroactivité des arrêts de
principe et de revirement » précité
* 300 : Rapport
MOLFESSIS, p.18
* 301 : Denys de
BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle en matière de responsabilité »
précité
* 302 : Jean RIVERO,
« Sur la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle, AJDA 1968, p.15
* 303 : Civ.,
1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n° 00-14564
* 304 : Rapport
MOLFESSIS, p.17
* 305 : Rapport
MOLFESSIS, p.17
* 306 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation », in La création du droit par le
juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine
PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89
Sur cette question, voir également Petr MUZNY,
« Quelques considérations en faveur d'une meilleure
prévisibilité de la loi », Dalloz 2006, n°32,
p.2214
* 307 : Sur cette question,
voir notamment Bertrand MATHIEU, « Les rôles du juge et du
législateur dans la détermination de l'intérêt
général », in La création du droit par le
juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine
PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89
* 308 : Dalloz 2000,
n°28, p.593
* 309 : Christian ATIAS,
« Nul ne peut prétendre au maintien d'une jurisprudence
constante, même s'il a agi avant son abandon, Dalloz 2000, n°28,
p.593 ; sur cette question, voir aussi Denys de BECHILLON, « De
la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en
matière de responsabilité » précité
* 310 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale », in Rapport MOLFESSIS, p.95
* 311 : L'idée
d'un revirement de jurisprudence rétroactif, comparable à la loi
rétroactive, est nouvelle en droit pénal, matière
où le rôle créateur du juge est jugé
particulièrement dangereux. Les premières études en la
matière sont récentes. Didier REBUT n'en cite que deux :
G.X. BOURIN, « échec aux conséquences funestes des
revirements en droit pénal ? », Gaz. Pal., 1995.1,
p.599 ; M.-C. SORDINO, « La protection de la personne poursuivie
en cas de modification de la législation pénale », in
Droits et libertés fondamentaux, 9e éd. , Dalloz,
2003, p.489
* 312 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité, p. 97
* 313 : En paraphrasant
Didier REBUT, on expliquera que les lois pénales de fond sont celles qui
affectent les éléments constitutifs ou la répression d'une
infraction, tandis que les lois pénales de forme sont celles qui
concernent la procédure ou la prescription
* 314 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité p.96
* 315 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité p.98
* 316 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité p.98
* 317 : Crim, 14
novembre 2000, Bull. crim., n°338
* 318 : Voir notamment
les affaires C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, CANTONI ; cf supra
* 319 : Crim ;, 30
janvier 2002, Bull. crim., n°16 : « Attendu qu'en l'absence
de modification de la loi pénale, et dès lors que le principe de
non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple
interprétation jurisprudentielle, le moyen est
inopérant. »
* 320 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité p.100
* 321 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité p.102
* 322 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité p.103
* 323 : Crim., 5 mai
2004, pourvoi n°03-82801
* 324 : Didier REBUT
« Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité p.103
* 325 : En ce sens, voir
notamment Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la
relation de droit (libres propos sur le « rapport sur les revirements
de jurisprudence » précité
* 326 : En ce sens, voir
notamment, Béatrice BOURDELOIS, « Lois
rétroactives et droits fondamentaux » précité.et
Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de
jurisprudence, une réaction entre indignation et
incrédulité » précité
* 327 : Civ.
2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°01-10426
* 328 : Philippe THERY,
« A propos d'un arrêt sur les revirements de jurisprudence ou
comment faire un omelette sans casser les oeufs », RTD civ.,
Janvier/Mars 2005, p.176
* 329 : Civ. ,
2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717
* 330 : Civ.
2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426
* 331 : Comme l'explique
par exemple Christophe Bigot : « Atteinte à la
présomption d'innocence : changement du régime de la
prescription » précité
* 332 : Crim. 30 janvier
2002, Bull. crim.n°16 ; Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801
* 333 : Patrick MORVAN,
« Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse
aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, n°4,
p.247
* 334 : Civ.
2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°03-14717
* 335 : Ass. Pl. , 21
décembre 2006, pourvoi n°00-20493 : « si c'est
à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de
prescription alors qu'elle constatait que Mme X... n'avait accompli aucun acte
interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration
d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa
décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que
l'application immédiate de cette règle de prescription dans
l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès
équitable, au sens de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant
l'accès au juge »
* 336 : Voir par exemple
les affaires Centéa (pourvoi n°05-11966) et La Briocherie (pourvoi
n°05-17960) , que nous avons déjà évoqué dans
la Section I, rendues le même jour.
* 337 : Crim. 5 mai 2004
précité
* 338 : Civ.
1ère, 9 mai 2001 précité
* 339 : Soc. 17
décembre 2004, pourvoi n°03-40008
* 340 : Crim. 30 janvier
2002, Bull. crim.n°16 ; Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801
* 341 CEDH, MARCKX c/
Belgique, 13 juin 1979
* 342 : Patrick MORVAN,
« En droit, la jurisprudence est une source du droit »
précité
* 343 : Damien Roets
« La non-rétroactivité de la jurisprudence
pénale in malam partem consacrée par la Cour
européenne des droits de l'homme » précité
* 344 : Sur cette
question, voir notamment Damien Roets « La
non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam
partem consacrée par la Cour européenne des droits de
l'homme » précité
* 345 : Le mot logique
n'a pas pour but, ici de manifester notre attachement à cette
thèse. Comme nous l'avons dit, nous tentons d'expliquer les
différentes thèses, pas de la départager selon leurs
mérites. Ici, nous estimons simplement que, pour la Cour, il s'agit plus
d'un principe logique que d'un principe de droit
* 346 : CEDH,C.R.. c.
Royaume-Uni, 22 novembre 1995
* 347 : CEDH, CANTONI c.
France, 15 novembre 1996
* 348 : CEDH, PESSINO c.
France, 10 octobre 2006
* 349 : CEDH,C.R.. c.
Royaume-Uni, 22 novembre 1995
* 350 : CEDH, 24 Avril
1990, KRUSLIN c. France
* 351 : GEOUFFRE De La
PRADELLE c. France
* 352 : CEDH,C.R.. c.
Royaume-Uni, 22 novembre 1995
* 353 : CEDH, CANTONI c.
France, 15 novembre 1996 ; CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006
* 354 : Damien Roets
« La non-rétroactivité de la jurisprudence
pénale in malam partem consacrée par la Cour
européenne des droits de l'homme » précité
* 355 : Voir par exemple
CEDH, MARCKX c/ Belgique, 13 juin 1979
* 356 : CEDH, 2
août 1984, MALONE
* 357 : Cons. Const.
19-20 janvier 1981, Loi « Sécurité et
liberté », décis. n°80-127 DC
* 358 : Cons. Const. 16
décembre 1999, décis. n°99-421 DC
* 359 : Patrick MORVAN,
« En droit, la jurisprudence est une source du droit »
précité
* 360 : CEDH, Sunday
Times, 26 avril 1979
* 361 : CEDH, MALONE, 2
août 1984
* 362 : CEDH, KRUSLIN c.
France, 24 avril 1990
* 363 : CEDH, 16
décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE
* 364 : Patrick MORVAN,
« En droit, la jurisprudence est une source du droit »
précité
* 365 : BELLET c.
France, 4 décembre 1995 ; F.E. c. France, 30 octobre 1998, affaires
citées par Patrick MORVAN dans son article « Le revirement de
jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi
le Rubicon » précité
* 366 : affaire PESSINO,
paragraphe 30
* 367 : affaire PESSINO,
paragraphe 32
* 368 : C.R. c.
Royaume-Uni, paragraphe 34
* 369 Affaire PESSINO ;
la condition était déjà présente dans l'affaire
CANTONI
* 370 : Damien Roets
« La non-rétroactivité de la jurisprudence
pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne
des droits de l'homme » précité
* 371 : Olivier
DUPEYROUX, La doctrine Française et le problème
de la jurisprudence source de droit », in Mélanges
MARTY
* 372 : Civ.,
1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982
* 373 :
Christian MOULY: « Le revirement pour l'avenir », JCP
G 1994, n°27, p.325 ; « Comment rendre les revirements de
jurisprudence davantage prévisibles ? », Les petites
affiches, 18 mars 1994, n°33, p.15 ; « comment limiter la
rétroactivité des arrêts de principe et de
revirement », Les petites affiches, Les petites affiches, 4 mai 1994,
n°53
* 374 : Yves-Marie
SERINET, « Par elle, avec elle et en elle ? La Cour de Cassation
et l'avenir des revirements de jurisprudence », RTD civ., avril/juin
2005, p. 328
* 375 : Rapport
MOLFESSIS, p. 41
* 376 : Yves-Marie
SERINET, « Par elle, avec elle et en elle ? La Cour de Cassation
et l'avenir des revirements de jurisprudence »
précité
* 377 : P. VOIRIN,
« Le vieillissement du Code civil », dans Annales
Universitatis Saraviensis, 1955, p.68
* 378 : Pierre VOIRIN,
« Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP
1959, I, 1467
* 379 : Paul ROUBIER,
Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz,
2ème édition p. 244
* 380 :
« Entre 1821 et 1830, le nombre moyen de pourvois par an a
été de 570 en matière civile et de 1500 en matière
criminelle, donnant lieu à la publication d'une centaine d'arrêts
au Bulletin civil (97) et de près de 200 (193) au Bulletin
criminel. Schématiquement la haute juridiction de l'ordre
judiciaire était dimensionnée et structurée pour recevoir
2000 recours par an et prononcer 300 arrêts significatifs. Il n'est pas
douteux qu'à l'origine, son organisation était parfaitement
adaptée à sa fonction. » Le nombre des pourvois, par la
suite, a connu une augmentation continue : « en 1947, le nombre
des pourvois était déjà de 4143 en matière civile
et de 3000 en matière criminelle. En 1960, il était de 5700 en
matière civile et de 5000 en matière criminelle. En 2000, il est
passé à 21000 en matière civile et à 9000 en
matière criminelle. » (Guy CANIVET, « L'organisation
interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa
jurisprudence, », in La Cour de Cassation et l'élaboration
du droit, p.4)
* 381 : cf supra
* 382 : Denys de
BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle en matière de responsabilité », in
Mouvements du Droit public : du Droit administratif au Droit
constitutionnel, du Droit Français aux autres droits, Mélanges en
l'honneur de Franck MODERNE, p.5
* 383 : Denys de
BECHILLON « De la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle » précité
* 384 : G-X BOURIN,
« échec aux conséquences funestes des revirements en
droit pénal ? », Gaz. Pal. 1995.1, p.599
* 385 : G-X BOURIN,
« échec aux conséquences funestes des revirements en
droit pénal ? » précité
* 386 : G-X BOURIN,
« échec aux conséquences funestes des revirements en
droit pénal ? » précité
* 387 : Xavier LAGARDE,
« Brèves réflexions sur les revirements pour
l'avenir », in La création du droit par le juge, sous la
direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz,
2007, p.89
* 388 : Civ.
1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982
* 389 : Xavier LAGARDE,
« Brèves réflexions sur les revirements pour
l'avenir » précité
* 390 : «Didier
REBUT, « Les revirements de jurisprudence en matière
pénale » précité
* 391 : Xavier LAGARDE,
« Brèves réflexions sur les revirements pour
l'avenir » précité
* 392 : Horatia
MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence : système de common
law », in Rapport MOLFESSIS, p.53
* 393 : Horatia
MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence : système de common
law », in Rapport MOLFESSIS, p.59
* 394 : Horatia
MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence : système de common
law », in Rapport MOLFESSIS, p.53
* 395 : Rapport
MOLFESSIS, p.23
* 396 : CJCE, 8 avril
1976, DEFRENNE c. SABENA
* 397 : CJCE, 27 mars
1980, DENKAVIT
* 398 :
Frédérique FERRAND, « La rétroactivité
des revirements de jurisprudence et le droit Allemand », in
Rapport MOLFESSIS, p.82
* 399 : CJCE, 8 avril
1976, DEFRENNE c. SABENA
* 400 : Rapport
MOLFESSIS, p.23
* 401 : Rapport
MOLFESSIS, p.23
* 402 : Rapport
MOLFESSIS, p.24
* 403 : Rapport
MOLFESSIS, p. 26
* 404 : Rapport
MOLFESSIS, p. 26
* 405 : Nicolas CHARBIT,
« La limitation de l'effet rétroactif des arrêts par le
juge communautaire », in Rapport MOLFESSIS, p. 78
* 406 : Horatia
MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence : système de common law »,
in Rapport MOLFESSIS, p.64
* 407 : Horatia
MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence : système de common law »,
in Rapport MOLFESSIS, p. 66
* 408 : Rapport
MOLFESSIS, p. 28
* 409 : Rapport
MOLFESSIS, p. 29
* 410 : Horatia
MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence : système de common law »,
in Rapport MOLFESSIS, p.70 ; Cette idée, sur laquelle nous
reviendrons plus tard, nous permet à présent de souligner une
limite de la proposition de moderniser le référé
législatif que nous évoquions précédemment :
ce référé législatif ne permettrait pas
d'ôter au contentieux la dimension utilitariste, voire politique,
à laquelle aboutirait la prise en compte des effets des décision.
Bien au contraire, la solutions aboutit, comme l'écrivait le Doyen
ROUBIER, à « remettre la solution des litiges les plus
importants à un organisme politique, qui n'avait aucune des
qualités auxquelles les parties peuvent tenir chez un juge ».
Le remède est intéressant, mais ne concerne que la question de la
légitimité de celui qui aménage l'apparition de la norme
dans l'ordonnancement juridique ; il ne permet pas d'éviter
l'apparition d'une dimension utilitariste, voire politique dans le litige
* 411 : Rapport
MOLFESSIS, p.27
* 412 : Rapport
MOLFESSIS, p.27
* 413 :
Frédérique FERRAND, « La rétroactivité
des revirements de jurisprudence et le droit Allemand », in
Rapport MOLFESSIS,p.90
* 414 : Pascale DEUMIER
et Rafaêl ENCINAS DE MUNAGORRI, « Faut-il différer
l'application des règles jurisprudentielles nouvelles ?
Interrogations à partir d'un rapport. », RTD civ. Janvier/Mars
2005, p.83
* 415 : Jean-Bernard
AUBY, « La globalisation, le droit et l'Etat »,
Montchrestien, 2003, p.78
* 416 : Fabrice
MELLERAY, « Réjouissant mais déroutant », RTD
civ. Avril/Juin 2005, p.318
* 417 : CE Ass., 11 mai
2004, n°255886
* 418 : Claire LANDAIS
et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le
temps d'une annulation pour excès de pouvoir », AJDA 2004,
p.1183.
* 419 : Claire LANDAIS
et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le
temps d'une annulation pour excès de pouvoir »
précité
* 420 : CE Sect. 10mars
2006, Société Leroy Merlin, n°278220 ; Claire LANDAIS
et Frédéric LENICA, « Quand l'exposition de la
théorie de l'obligation de recours administratif préalable cache
la question de la rétroactivité des revirements de
jurisprudence », AJDA 2006, p.796
* 421 : Claire LANDAIS
et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le
temps d'une annulation pour excès de pouvoir »
précité
* 422 : Jacques-Henri
STAHL et Anne COURREGES, « Note à l'attention de M. le
Président de la section du contentieux », document reproduit
en annexe du Rapport MOLFESSIS, p.105
* 423 : « la
question des effets dans le temps des annulations contentieuses n'excède
pas le pré carré juridictionnel et ne concerne que la
maîtrise par le juge du dispositif de ses décisions. Comme telle,
elle ne paraît pas subordonnée à une intervention
préalable du législateur. »
* 424 : Rapport
MOLFESSIS, p.31
* 425 : Rapport
MOLFESSIS, p.30
* 426 : Rapport
MOLFESSIS, p.30
* 427 : Rapport
MOLFESSIS, p.30
* 428 : CE Ass., 11 mai
2004, AC ! précité
* 429 : Rapport
MOLFESSIS, p.31
* 430 : Rapport
MOLFESSIS p. 30
* 431 : Rapport
MOLFESSIS p. 31
* 432 : Com., 12 avril
1988, Bull. civ. IV, n°130
* 433 : Civ.
1ère, 9 février 1988, Bull. civ. I, n°34
* 434 : Christian MOULY,
« Comment limiter la rétroactivité des arrêts de
principe et des arrêts de revirement ? »
précité
* 435 : Christian MOULY,
« Le revirement pour l'avenir » précité
* 436 : Com. 21 novembre
1989, Bull. civ. IV n°292
* 437 : Christian MOULY,
« Comment limiter la rétroactivité des arrêts de
principe et des arrêts de revirement ? »
précité
* 438 Soc. 26 janvier 2005,
Droit social mai 2005, n°5, p.567
* 439 : Rapport
MOLFESSIS, p.34
* 440 : Jean RIVERO,
« Sur la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle » précité
* 441 :
« Dès lors que la portée créatrice de ses
décisions est admise, on doit en prendre acte pour envisager dans quelle
mesure l'effet rétroactif qui y est attaché est, ou non, source
d'insécurité juridique. C'est à cette seule condition
qu'il sera éventuellement possible d'y porter remède. Ainsi, le
groupe de travail a-t-il que la fiction de l'absence d'effet créateur de
droit de la décision de revirement faisait obstacle, par
hypothèse, à toute possibilité de remédier aux
inconvénients qui pourraient y être attachés et que la
seule possibilité d'améliorer éventuellement un
système juridique au sein duquel la jurisprudence joue un rôle
prépondérant est de reconnaître l'existence d'un tel
rôle pour en permettre l'aménagement. » (Rapport
MOLFESSIS, p.12) ; le Rapport avait déjà admis qu'
« admettre à la fois qu'elle a un effet rétroactif et
qu'elle constitue une règle nouvelle oblige nécessairement, par
comparaison avec la règle législative mais sans assimilation,
à maîtriser son insertion dans le droit positif »
(Rapport MOLFESSIS, p.8) .
Plus loin le rapport se défendait d'ailleurs de vouloir
instaurer un nouveau règne de la jurisprudence : « Le
Groupe de travail tient à ajouter qu'une éventuelle modulation
dans le temps de la décision de revirement ne revient pas, contrairement
à ce qui est parfois craint - et comme en témoigne d'ailleurs
l'opinion émise par certains des organismes professionnels
consultés -, à empêcher l'application du « bon »
droit à la situation jugée. Sans aucun doute, s'il y a
revirement, c'est que le juge estime l'interprétation nouvelle meilleure
que l'ancienne. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il soit juste ou sans
inconvénients d'en faire application à des situations qui ont pu
se constituer - pour reprendre le langage de ROUBIER - sous l'empire de
l'ancienne interprétation. Une chose est l'amélioration du droit
que le revirement est censé permettre ; une autre son application
rétroactive. » Rapport MOLFESSIS, p.32) ; il ajoutait,
plus tard : « que la Cour de cassation crée des
règles impose l'aménagement dans le temps de certaines de ses
décisions ; ce n'est pas cet aménagement qui lui confère
la capacité de créer du droit. L'ordre des causalités ne
saurait être inversé. »
* 442 : Paul
ROUBIER, Le droit transitoire (conflits des lois dans le
temps, Dalloz, 2ème édition
* 443 : Vocabulaire H.
CAPITANT sous la dir. De G. CORNU, V. « Revirement »
* 444 : Rapport
MOLFESSIS, p.45
* 445 : Catherine
PUIGELIER, « Temps et création jurisprudentielle »,
« Temps et création jurisprudentielle », in La
création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER,
François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89, p.109 et
s.
* 446 : François
TERRE, « Introduction générale au droit »,
n°288, cité dans Catherine PUIGELIER, « Temps et
création jurisprudentielle », in La création du
droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE
et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89
* 447 :
Frédéric ZENATI, « La jurisprudence »,
Dalloz, 1991, p.146
* 448 : Catherine
PUIGELIER, « Temps et création jurisprudentielle »,
in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean
FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89,
p.111
* 449 : Christian ATIAS,
« L'ambiguïté des arrêts dits de principe en droit
privé », JCP G 1984, I, 3145
* 450 : Christian ATIAS,
« Sur les revirements de jurisprudence », RTD civ.,
Avril/Juin 2005, p.298
* 451 : Catherine
PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une
erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean
FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205
* 452 : Philippe
MALAURIE, « Les créations de la doctrine à la
création du droit par les juges », Defresnois 1980.32345,
n°16, p.870
* 453 : Catherine
PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une
erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean
FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205 ;
sur cette question, voir également, du même auteur, « A
propos du revirement de jurisprudence en droit du travail », JCP E
2004, p.600, où l'auteur analyse plusieurs revirements de la chambre
sociale de la Cour de cassation, expliquant que des mêmes principes, ou
des principes aboutissant aux mêmes résultats, sont parfois repris
sous des formulations différentes
* 454 : Vincent HEUZE,
« A propos du revirement de jurisprudence, une réaction entre
indignation et incrédulité » précité
* 455 : F. RIGAUX,
Rapport de synthèse », in L'image doctrinale de la Cour de
Cassation, La documentation Française, 1994, p.247
* 456 : Rapport
MOLFESSIS, p.45
* 457 : F. Terré,
« Rapport de synthèse », in L'image doctrinale de la Cour
de cassation, La documentation française, 1994, p. 247 : «
Pour que l'on puisse pleinement faire état d'un revirement, il faut
supposer que la Cour de cassation abandonne non pas même une solution
isolée adoptée précédemment par telle ou telle de
ses Chambres, mais une position qu'en termes de jurisprudence, sinon constante,
du moins suffisamment établie, elle a retenue dans le passé
».
* 458 : V. DELAPORTE,
« Les revirements de jurisprudence de la Cour de
Cassation », in L'image doctrinale de la Cour de cassation,
La documentation française, 1994, p.160
* 459 : Rapport
MOLFESSIS, p.45
* 460 : Rapport
MOLFESSIS, p.47
* 461 : Soraya AMRANI
MEKKI, « Quelques réflexions procédurales »,
RTD civ., Avril/Juin 2003
* 462 : Rapport
MOLFESSIS, p.47
* 463 : Rapport
MOLFESSIS, p.39
* 464 : Rapport
MOLFESSIS, p.39
* 465 : Jean-Luc AUBERT,
« Faut-il « moduler » dans le temps les
revirements de jurisprudence ?...J'en doute ? », RTD civ.,
Avril/Juin 2005, p.300
* 466 : Voir notamment
Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des
arrêts de principe et des arrêts de revirement ? » ,
LPA, 4 mai 1994, n°53
* 467 : « La
réforme proposée est de portée générale en
ce sens que, même si c'est en présence d'un changement de
jurisprudence qu'elle trouvera le plus souvent à s'appliquer, le pouvoir
conféré à la Cour de Cassation pourra être
utilisé en présence d'une jurisprudence nouvelle dans un domaine
où la Cour de Cassation n'avait eu encore l'occasion de se prononcer,
situation plus fréquente qu'on ne le pense. Limiter ce pouvoir aux seuls
cas de revirement soulèverait, en outre, des problèmes de
qualification du revirement » (Pour de nouvelles règles
d'application dans le temps des décisions de justice »,
contribution du MEDEF au rapport MOLFESSIS, in Rapport MOLFESSIS,
p.145)
* 468 : Pierre VOIRIN,
« Les revirements de jurisprudence et leurs
conséquences » précité
* 469 : Xavier
BACHELLIER et Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Les revirements
de jurisprudence », RTD civ., Avril/juin 2005, p.304
* 470 : Rapport
MOLFESSIS, p.48
* 471 : Rapport
MOLFESSIS, p.48
* 472 :
Bérangère LACOMBE, La rétroactivité des revirements
de jurisprudence en droit du travail », Mémoire de DEA Droit
social, Université MONTESQUIEU Bordeaux IV, Année universitaire
2004-2005, 111 pages, p.58
* 473 :
Bérangère LACOMBE, La rétroactivité des revirements
de jurisprudence en droit du travail », p.56
* 474 : Philippe
MALINVAUD, « A propos de la rétroactivité des
revirements de jurisprudence », RTD civ., Avril/Juin 2005, p.312
* 475 ; Rapport
MOLFESSIS, p.48
* 476 : Soraya AMRANI
MEKKI, « Quelques réflexions procédurales »,
précité
* 477 : Le rapport, dans
cette optique, ajoutait d'ailleurs que « La doctrine, en outre, ne
serait ici privée d'aucune prérogative dont elle serait
aujourd'hui détentrice : elle ne perdrait rien de son pouvoir de
critique sur la solution ainsi adoptée. Bien au contraire. »
(Rapport MOLFESSIS p.49
* 478 : Rapport
MOLFESSIS, p.32
* 479 : Rapport
MOLFESSIS, p.18
* 480 : Rapport
MOLFESSIS, p.19
* 481 : Rapport
MOLFESSIS, p.19
* 482 : Rapport
MOLFESSIS, p.21
* 483 : Pascale DEUMIER
et Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI, « faut-il différer
l'application des règles jurisprudentielles dans le temps ?
Interrogations à partir d'un rapport »
précité
* 484 : Patrick Morvan
« Le sacre du revirement prospectif sur l'autel de
l'équitable », Recueil Dalloz 2007 p. 835
* 485 : Rapport
MOLFESSIS, p.32
* 486 : Rapport
MOLFESSIS, p.21
* 487 : Rapport
MOLFESSIS, p.49
* 488 : Rapport
MOLFESSIS, p.39
* 489 : Rapport
MOLFESSIS, p.40
* 490 : Rapport
MOLFESSIS, p.40
* 491 : Rapport
MOLFESSIS, p.40
* 492 : Rapport
MOLFESSIS, p.41
* 493 : rapport
MOLFESSIS, p.42
* 494 Horatia MUIR-WATT,
« La gestion de la rétroactivité des revirements de
jurisprudence : systèmes de common law »
précité
* 495 : Civ.,
2ème, 8 juillet 2004 précité ; Ass. Pl.,
21 décembre 2006
* 496 : Jacques-Henri
STAHL et Anne COURREGES, « Note à l'attention de M. le
Président de la section du contentieux »
précité
* 497 : Claire LANDAIS
et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le
temps d'une annulation pour excès de pouvoir »
précité
* 498 : Gilles LEBRETON,
« Droit administratif général », éd.
Armand COLLIN, 2000, p.369
* 499 : Pierre SARGOS,
« L'horreur économique dans la relation de droit, libres
propos sur le « Rapport sur les revirements de
jurisprudence » », Droit social, février 2005,
n°2, p.123
* 500 : Bertrand
MATHIEU, « le juge et la sécurité juridique : vues
du Palais Royal et du Quai de l'Horloge », Dalloz 2004, p.1603
* 501 :
François-Charles BERNARD, « Les validations
législatives, bilan et perspectives », in La loi,
Catherine PUIGELIER (Dir.) Economica, 2005, p.37
* 502 : Sur cette
question, voir notamment Denys de BECHILLON, « Le gouvernement des
juges, une question à dissoudre », Dalloz 2002, n°12,
p.973
* 503 : Rapport
MOLFESSIS, p.42
* 504 : même si le
Rapport MOLFESSIS a entendu distinguer ses propositions des deux types de
théories : « On ne peut abstraitement raisonner ni au
regard de la notion de droit acquis ni à partir du concept de situation
juridique. » (Rapport MOLFESSIS, p.20)
* 505 : Rapport
MOLFESSIS, p.20
* 506 : Pascale DEUMIER
et Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI, « faut-il différer
l'application des règles jurisprudentielles dans le temps ?
Interrogations à partir d'un rapport »
précité
* 507 : Jean-Luc AUBERT,
« Faut-il « moduler » dans le temps les
revirements de jurisprudence ?...J'en doute ? »
précité
* 508 : Soc. 17
décembre 2004, pourvoi n°03-40008
* 509 : Sur cette
question, voir notamment Christophe RADE, « De la
rétroactivité des revirements de jurisprudence »,
Dalloz 2005, n°15, p.988
* 510 : Pierre SARGOS,
« L'horreur économique dans la relation de droit, libres
propos sur le « Rapport sur les revirements de
jurisprudence » » précité
* 511 : Christophe RADE,
« De la rétroactivité des revirements de
jurisprudence » précité
* 512 : Antoine BOLZE,
« La norme jurisprudentielle et son revirement en droit
privé », RRJ 1997-3, p.855
* 513 : rapport
MOLFESSIS, p.36
* 514 : rapport
MOLFESSIS, p.37
* 515 : Philippe THERY,
« A propos d'un arrêt sur les revirements de jurisprudence ou
comment faire une omelette sans casser les oeufs... », RTD civ.,
Janvier/mars 2005, p.176
* 516 : Soraya
AMRANI-MEKKI, « Quelques réflexions
procédurales » précité
* 517 : Yves-Marie
SERINET, Par elle, en elle, et pour elle ? La Cour de Cassation et
l'avenir des revirements de jurisprudence », RTD civ., Avril/Juin
2005, p.328
* 518 : Sur ce point,
voir par exemple p.14 : « Les revirements de jurisprudence sont
la manifestation de la vie du droit, le signe de son adaptation aux faits. Un
droit sans revirement de jurisprudence - à supposer l'hypothèse
envisageable, ce qui n'est pas - serait au fond un droit entièrement
sclérosé. Comme l'a affirmé Yves Chartier : « les
revirements font partie de la Cour de cassation, comme d'ailleurs des autres
juridictions. Une jurisprudence qui ne se modifie pas est souvent aussi une
jurisprudence qui se dessèche. Que serait devenu le droit de la
responsabilité si la Cour de cassation n'avait pas pu adapter aux
circonstances du temps les vieux textes du Code civil ? ».
* 519 : le Rapport cite
d'ailleurs sur ce point Bernard BEIGNIER« Le danger du revirement de
jurisprudence dénoncé parfois par son caractère
imprévisible, voire arbitraire, est dans l'ordinaire un bienfait. Un
vieil arrêt qui tombe est une branche morte taillée qui fera
produire à l'arbre de meilleurs fruits. Donner au juge la liberté
du règlement serait lui soustraire celle de régler la loi »
(B. Beignier, « Les arrêts de règlement », Droits,
n° 9, 1989, p. 45, spéc., p. 49)
* 520 :
Sue cette question, voir par exemple Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation », in La création du droit par le
juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine
PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89
* 521 : Sur ce point,
voir par exemple Christian ATIAS, « L'ambiguïté des
arrêts dits de principe en droit privé »
précité ; Christian ATIAS, « Sur les revirements
de jurisprudence » précité ; Catherine PUIGELIER,
« D'une approche cognitive de l'arrêt de principe »
précité
* 522 : Antoine BOLZE,
« La norme jurisprudentielle et son revirement en droit
privé » précité
* 523 : Rapport
MOLFESSIS, p.37
* 524 : Rapport
MOLFESSIS, p.38
* 525 : Vincent HEUZE,
« A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une
réaction entre indignation et incrédulité »
précité
* 526 : Jean-Luc AUBERT,
« Faut-il « moduler » dans le temps les
revirements de jurisprudence ?...J'en doute ? »
précité
* 527 Patrick MORVAN,
« Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse
aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, n°4,
p.247
* 528 : Pierre SARGOS,
« L'horreur économique dans la relation de droit, libres
propos sur le « Rapport sur les revirements de
jurisprudence » » précité ; dans le
même sens, voir également Béatrice BOURDELOIS,
« Lois rétroactives et droits fondamentaux »,
étude présentée lors du colloque sur les droits
fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par
le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et
comparé de la Faculté des Affaires Internationales du HAVRE.
* 529 : Jean RIVERO,
« Sur la rétroactivité de la règle
jurisprudentielle » précité
* 530 Philippe THERY,
« A propos d'un arrêt sur les revirements de jurisprudence ou
comment faire une omelette sans casser les oeufs... »
précité
* 531 : Soc. 17
décembre 2004 précité
* 532 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation », in La création du droit par le
juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine
PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89
* 533 : A. PERDRIAU,
« La portée doctrinale des arrêts civils de la Cour de
Cassation », Rapport annuel de la Cour de Cassation pour
l'année 1990, p.59
* 534 : Christian MOULY,
« Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage
prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994,
n°33, p.15
* 535 : Horatia
MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation
et l'élaboration de la norme », in La Cour de Cassation et
l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) , Economica,
2004
* 536 : Christian MOULY,
« Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage
prévisibles ? » précité
* 537 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation » précité
* 538 : Horatia
MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation
et l'élaboration de la norme » précité
* 539 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation » précité
* 540 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation » précité
* 541 : Horatia
MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation
et l'élaboration de la norme » précité
* 542 : « Pour
une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment celles
de la Cour de Cassation », RTD civ., 1974.487. Une anecdote revient
souvent sur ce thème : « Un jour, [M. TOUFFAIT] lit une
décision et ne la comprend pas. C'est déjà quelque chose
d'assez frappant de penser qu'un des deux plus hauts magistrats de la nation
peut ne pas comprendre un arrêt de la Cour de Cassation. M. TOUFFAIT
téléphone donc à l'avocat général qui avait
présenté des conclusions dans cette affaire pour lui avouer son
embarras. Il s'entend répondre : « naturellement, M. le
Procureur général, vous ne pouvez pas comprendre cette
décision puisque vous ne participiez pas au
délibéré » Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation » précité (note 89)
* 543 : Philippe JESTAZ,
« une question d'épistémologie (à propos de
l'arrêt PERRUCHE), RTD civ. 2001.547
* 544 : Horatia MUIR-WATT,
« la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et
l'élaboration de la norme » précité
* 545 : Jean-Luc AUBERT,
« De quelques risques d'une image troublée de la jurisprudence
de la Cour de Cassation, in Le juge entre deux millénaires,
Mélanges offerts à Pierre DRAI, p.13
* 546 : « La
motivation des décisions constitutionnelles », in La
motivation des décisions de justice, p.287
* 547 : Horatia
MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation
et l'élaboration de la norme » précité
* 548 : Horatia
MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation
et l'élaboration de la norme » précité
* 549 : Horatia
MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation
et l'élaboration de la norme » précité
* 550 : Rapport
MOLFESSIS, p.33
* 551 : Christian MOULY,
« Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage
prévisibles ? » précité
* 552 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation » précité
* 553 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation » précité
* 554 : Horatia
MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation
et l'élaboration de la norme » précité
* 555 : sur cette
question, voir Henri BATIFFOL, « Note sur les revirements de
jurisprudence », Arch. Phil. Du Droit, 1967, p.335
* 556 : Pascale DEUMIER,
« Création du droit et rédaction des arrêts par
le cour de cassation » précité
* 557 : Sur cette
question, voir Emmanuel TOIS, « La signification des lettres
utilisées pour rendre compte de l'étendue de la publication des
arrêts de la Cour de Cassation », in Rapport
MOLFESSIS, p.139
* 558 Sur cette question,
voir notamment Pascale DEUMIER, « Les communiqués de la Cour
de Cassation : d'une source d'information à une source
d'interprétation », RTD civ., Juillet/Septembre 2006, p.510
* 559 : pour d'autres
inquiétudes face à l'utilisation de ces moyens d'information
parallèles, voir notamment Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI,
« Faut-il annoncer un revirement de jurisprudence par voie de
presse ? Propos sur l'autorité du président de la chambre
sociale de la Cour de Cassation », RTD civ., Juillet/Septembre 2004,
p.590
* 560 : Sur cette
question, voir notamment Frédéric ZENATI, « La
jurisprudence » précité
* 561 : Emmanuel Lesueur
de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service
public », in Rapport annuel de la Cour de Cassation pour
l'année 2003
* 562 : Emmanuel Lesueur de
Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service
public » précité
* 563 : Emmanuel Lesueur
de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service
public » précité
* 564 : Emmanuel LESUEUR
de GIVRY rappelle d'ailleurs ce problème :
« Souvenons-nous quand même que c'est parce que les services
des traducteurs étaient proposés aux citoyens romains
que les magistrats tenaient pour certain que nul n'était
censé ignorer la loi ! » (Emmanuel Lesueur de Givry,
« La diffusion de la jurisprudence, mission du service
public » précité)
* 565 : Emmanuel Lesueur de
Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service
public » précité
* 566 : Emmanuel Lesueur
de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service
public » précité
* 567 :
« L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle
l'élaboration de sa jurisprudence ? », in La Cour de
Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) ,
Econimca, 2005, p.3 ; « Vision prospective de la Cour de
cassation », conférence prononcée devant
l'Académie des Sciences Morales et Politiques le lundi 13 novembre
2006
* 568 : Sur cette
question, voir par exemple, Jean-François BURGELIN, :
« L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle
l'élaboration de sa jurisprudence ? », in La Cour de
Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) ,
Econimca, 2005, p.20
* 569 : Sur cette
question, voir notamment Guy CANIVET et Jean-François BURGELIN, :
« L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle
l'élaboration de sa jurisprudence ? », in La Cour de
Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) ,
Econimca, 2005
* 570 : Guy CANIVET,
« L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle
l'élaboration de sa jurisprudence ? »
précité
* 571 : J. BORE,
« La cassation en matière civile », p.4
* 572 : Article 1009-1
du nouveau code procédure civile, décret du 20 juillet 1989
* 573 : Article L.131-6
du Code de l'organisation judiciaire ; sur cette question voir notamment
André PERDRIAU, « La loi organique du 25 juin 2001 et la Cour
de Cassation, extensoin des « saisines pour avis »,
possibilité de « non -admission de certains
pourvois », JCP G n°37, 12 septembre 2001, p.1657
* 574 : Guy CANIVET,
« L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle
l'élaboration de sa jurisprudence ? »
précité, p.10 et 11
* 575 : sur cette
question, voir notamment Frédéric ZENATI, « La
jurisprudence », Dalloz 1991, p.65 à 76
* 576 : Voir sur cette
question Emmanuel TOIS, « La signification des lettres
utilisées pour rendre compte de l'étendue de la publication des
arrêts de la Cour de Cassation » précité
* 577 : Sur cette
question, voir notamment Guy CANIVET, « L'organisation interne de la
Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa
jurisprudence ? » précité, spécialement
p.16-17, et 18-19
* 578 : Dominique
POUYAUD, « Les avis contentieux du Conseil d'Etat et de la Cour de
cassation, la pratique », in Mouvements du Droit public : du
Droit administratif au Droit constitutionnel, du Droit Français aux
autres droits, Mélanges en l'honneur de Franck MODERNE
* 579 : Vincent HEUZE,
« A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une
réaction entre indignation et incrédulité », JCP
G, n°14, 6 avril 2005, p.671
* 580 : Vincent HEUZE,
« A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une
réaction entre indignation et incrédulité »
précité
* 581 : Pierre SARGOS,
« L'horreur économique dans la relation de droit (libres
propos sur le « rapport sur les revirements de
jurisprudence ») , Droit social, février 2005, n°2,
p.123
* 582 : Denys de
BECHILLON, « Comment traiter le pouvoir normatif du juge, in
Mélanges Philippe JESTAZ, p.29
* 583 : Marie-Anne
FRISON-ROCHE, « Le juge et son objet », in
Mélanges Christian MOULY, p.21
* 584 : Rapport
MOLFESSIS, p.
* 585 : CEDH, KRUSLIN c.
France, 24 avril 1990
* 586 : CEDH, 16
décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE
* 587 : CEDH, CANTONI c.
France, 15 novembre 1996
* 588 : BELLET c.
France, 4 décembre 1995 ; F.E. c. France, 30 octobre 1998, affaires
citées par Patrick MORVAN dans son article « Le revirement de
jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi
le Rubicon » précité
* 589 : CEDH, PESSINO c.
France, 10 octobre 2006
* 590 : Aharon BARAK,
«A Judge on Judging : The Role of a Supreme Court in a
Democracy», The Harvard Law Review, novembre 2002, vol. 116,
n°1 (pour la version résumée et traduite en français
de cet article : RFDC, 2006, n°66) cité dans
* 591 : j-F BURGELIN et
P. LOMBARD, « Le procès de la justice, Plon, 2003, p.134
* 592 : Catherine
PUIGELIER et Jerry SAINTE-ROSE, « Critique et justice », in
La liberté de critique, sous la direction de Danielle
CORRIGNAN-CARSIN, Litec, 2007, p.157
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