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à‰volution du débat sur la rétroactivité de la norme prétorienne en droit privé : vers un droit transitoire pour la jurisprudence ?

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par Julien MOAL
Facultés des affaires internationales, Le Havre - Master de recherche en théorie générale du droit 2006
  

Disponible en mode multipage

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Université du HAVRE MOAL Julien

Faculté des Affaires Internationales

Master de Recherche en Théorie Générale du Droit

Evolution du débat sur la rétroactivité

de la norme prétorienne en droit privé :

vers un droit transitoire pour la jurisprudence ?

Mémoire effectué sous la direction de

Madame le Professeur Catherine PUIGELIER

Année universitaire 2006-2007

Remerciements :

Je souhaite remercier Madame le Professeur Catherine PUIGELIER pour avoir dirigé mon mémoire de façon efficace.

Je souhaite également remercier Monsieur le Professeur Pierre FLEURY-LE GROS pour avoir pris le temps de répondre à mes nombreuses questions concernant les théories des conflits de lois dans le temps.

Introduction

Jusqu'où une norme doit-elle étendre son champ d'application ? Cette question, en apparence anodine, et même innocente, est à la base du droit transitoire moderne. Mais elle est aussi la base théorique d'interrogations actuelles sur le rôle du juge qui, sans être nouvelles, ont trouvé depuis plusieurs années ce qui leur manquait pour provoquer une véritable crise du « statut constitutionnel » de la jurisprudence : une évolution pratique qui rend menaçante la création du droit par celui qui a toujours été le gardien des libertés.

En matière législative, la question paraît aujourd'hui innocente, et a été à l'origine de la refonte du droit transitoire dans l'optique des conflits de loi dans le temps. Cette optique a été résumée ainsi par le Professeur Jean-Luc AUBERT : « l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle soulève la question de savoir dans quelle conditions va s'opérer sa substitution à la loi antérieure. Il faut bien comprendre, à cet égard, qu'il ne suffit pas - même si c'est assurément nécessaire - de fixer le moment où elle a vocation à produire effet - le moment où elle entre en vigueur. Il faut encore déterminer son domaine d'application précis dans le temps. (...) En bref, il convient, dans chaque cas, de savoir quelle est l'étendue exacte de l'application de la loi nouvelle, et de rechercher si la loi antérieure ne conserve pas un certain empire, qu'il est nécessaire de déterminer précisément le cas échéant. C'est le problème des conflits de loi dans le temps »1(*).

Cette logique nouvelle a remplacé l'ancien critère des droits acquis, dont la logique, jugée aussi simple que simpliste, peut être résumée ainsi : la limite de l'application de la loi dans le temps est le respect des droits acquis, opposés aux simples expectatives. « Sa mise en oeuvre était difficile et somme toute dominée par l'arbitraire : c'est a posteriori, et souvent de manière artificielle, que telle ou telle prérogative était qualifiée, ou non, de droits acquis »2(*).

C'est pour cette raison que, sans l'abandonner, la jurisprudence lui préfère depuis longtemps un système fondé sur les théories du Doyen Paul ROUBIER pour mettre en oeuvre les prescriptions de l'article 2 du Code civil : «  La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. » Le système ainsi mis en oeuvre est basé sur plusieurs distinctions : celle des situations juridiques légales et des situations juridiques contractuelles, d'une part ; ensuite, une distinction entre la constitution et les effets d'une situation juridique donnée, qui sont tantôt instantanés, tantôt successifs.

Sur ces bases, trois principes sont conjugués. D'une part, la non-rétroactivité des lois : le principe « interdit de revenir non seulement sur la constitution d'une situation juridique donnée, antérieure à la loi nouvelle, mais encore sur les effets passés d'une situation juridique antérieurement constituée »3(*). Ensuite, pour l'avenir, le principe de l'application immédiate de la loi nouvelle et de la survie de la loi ancienne sont utilisés pour les effets futurs d'une situation juridique. Plusieurs exceptions existent, et notamment : hors la matière pénale, le législateur peut renoncer ponctuellement au principe de non-rétroactivité, et décider que la loi nouvelle s'appliquera aux rapports de droit nés antérieurement à son entrée en vigueur ; et les lois interprétatives, ne faisant en principe que « préciser le sens d'une disposition antérieure », sont appliquées à tous les rapports de droit soumis à la loi interprétée, y-compris ceux nés avant la loi interprétative, parce que celle-ci s'incorpore à la loi interprétée en en révélant le sens exact.

Mais dans le système Français, traditionnellement légicentriste, rien n'est prévu pour les hypothèses autres que la loi : en matière réglementaire, par exemple, c'est un principe général de notre droit qui impose la non-rétroactivité, comme le rappelle le Professeur jean-Luc AUBERT ; Et, s'agissant de la jurisprudence, rien n'est prévu car elle n'est pas censée exister, n'étant en principe rien d'autre qu'une interprétation évolutive de la loi, la norme d'origine jurisprudentielle s'appliquant dès lors de façon rétroactive4(*).

La jurisprudence, en Droit Français, est conçue comme « l'ensemble des décisions rendues pendant une certaine période dans une certaines matière », ou encore comme la « solution apportée par une juridiction à une question juridique discutée »5(*) ; la solution s'imposera non pas comme une norme obligatoire mais comme le résultat d'un processus plus complexe fait de l'autorité morale et technique des juridictions suprêmes, de la croyance en la solution proposée par la juridiction suprême, et de la possibilité pour la juridiction suprême d'unifier l'interprétation des tribunaux en cassant les décisions des juges du fond contraire à sa position sur une question de droit. Elle n'a pas en tant que telle de caractère obligatoire hors du litige pour lequel l'arrêt a été rendu, ce qui explique la possibilité de rébellion pour les juges du fond.

C'est d'ailleurs précisément ce qui distingue la conception romano-germanistes des systèmes de common law, ou l'autorité du précédent est assurée au moyen de la règle du stare decisis : s'en tenir à ce qui a été décidé auparavant, même par la juridiction qui a créé le précédent. Le juge Français, quant à lui, est tenu hors de l'ordonnancement juridique par la prohibition des arrêts de règlement et par l'autorité relative de la chose jugée : seule la loi est source de droit. Le pouvoir judiciaire, écarté de la création du droit par le principe de séparation des pouvoirs, n'a pour mission que d'appliquer la loi, et, au besoin, de l'interpréter si celle-ci n'est pas claire. Dès lors, pourquoi y'aurait-il un droit transitoire, puisqu'il n'y a pas de normes ? L'interprétation posée par la jurisprudence, n'étant rien d'autre que l'application de la loi, fera corps avec la loi interprétée de la même façon qu'une loi interprétative.

Pourtant, la jurisprudence « n'a jamais été absente depuis les codifications napoléoniennes. Une excellente thèse l'a démontré en droit pénal. En droit civil, le cours d'AUBRY et RAU, qui date, il est vrai, du XIXème siècle, est composé très largement de phrases extraites des motifs des arrêts de la Cour de Cassation et cousues bout à bout. Mais au fur et à mesure que le temps passait, la jurisprudence est devenue audacieuse et créatrice. Elle l'a été en matière de stipulation pour autrui et a favorisé ainsi le développement de l'assurance sur la vie. La responsabilité du fait des choses inanimées est née de l'arrêt dit de la chaudière, qui date de 1896. Bien que la réparation des dommages causés des accidents de la circulation ait fait - enfin - l'objet d'une loi écrite, la jurisprudence conserve un domaine étendu, elle ne cesse de recevoir des retouches. Dans un domaine voisin, elle a généralisé la responsabilité du fait d'autrui, de laquelle le législateur de 1804 n'avait donné qu'une application limitée »6(*).

Peu à peu, le rôle du juge et de la jurisprudence ont changé de nature et sont devenus de plus en plus importants, à tel point qu'il paraît nécessaire de repenser en profondeur la façon dont s'exerce leur action, et notamment ce pouvoir créateur si particulier, associé à une « autorité », et non à un pouvoir. « Le droit n'est plus simplement ce que font les « pouvoirs publics », il encadre leur action. Le signe le plus tangible en est que des juges sanctionnent la violation de règles dont l'existence même semblait jusqu'alors difficile à percevoir : le juge pénal s'attaque sans plus attendre aux irrégularités commises par des politiques, le juge constitutionnel sanctionne ou infléchit la loi, « expression de la volonté générale, le juge Européen des droits de l'homme condamne la République Française, « patrie des droits de l'homme » pour violation de ces mêmes droits, le juge communautaire impose le respect de règles supranationales, et même le juge administratif, comme le juge judiciaire, fait prévaloir la règle internationale sur la loi comme le juge constitutionnel fait prévaloir l'interprétation constitutionnellement conforme de la loi sur la loi votée par le Parlement ».7(*)

Comment cette montée en puissance récente du pouvoir judiciaire a-t-elle eu lieu ? Plusieurs facteurs peuvent être invoqués : outre une demande en ce sens8(*), outre les progrès de l'indépendance du juge9(*), outre la baisse de qualité de la loi qui favorise l'intervention du juge, et qui la rend, pour ainsi dire, nécessaire10(*), le développement d'instruments dont le juge seul trace les limites, tels que les principes généraux du droit11(*), mais aussi des règles internationales, que le juge doit faire prévaloir sur la loi nationale sur le fondement de l'article 55 de la Constitution de 1958, a fait sortir celui-ci de son rôle traditionnel de sentinelle de la loi. En 2001, l'avocat général de la Cour de Cassation, Jean-François BURGELIN, s'exprimait ainsi, évoquant le rôle de l'avocat général : « La tâche d'avocat de la loi n'a jamais été facile, spécialement quand la loi est obscure, contradictoire, désuète et, a fortiori, inexistante. L'époque contemporaine, malheureusement, nous montre, à chaque instant, des exemples concrets de semblables occurrences. Et c'est en ces occasions que l'intelligence, les recherches, l'imagination de l'avocat général sont particulièrement précieuses pour le juge. Elles vont, en bien des cas, l'aider à résoudre le problème délicat qui lui est posé.

A ces difficultés traditionnelles s'est ajouté un nouvel obstacle, plus redoutable encore : la montée en puissance des normes internationales qui jette le trouble sur la notion même de loi. Etre avocat de la loi, certes, est une tâche exaltante. Encore faut-il savoir de quelle loi on est le défenseur : de la loi française, votée par le Parlement ou de la norme internationale définie par les traités ratifiés par la France ? »12(*)

Cette influence sur le rôle du juge par rapport au législateur a connu ces dernières années des épisodes particulièrement marquants, au premier rang desquelles la récente affaire MAZUREK13(*), ou encore la crise des validations législatives14(*). Ces épisodes ont particulièrement marqué la doctrine, au point que Bertrand MATHIEU a pu écrire que « le droit développé par le juge de Strasbourg est un véritable instrument d'émancipation du juge national, notamment vis-à-vis du législateur »15(*), mais aussi qu' « il apparaît ainsi que nous sommes confrontés à deux logiques contradictoires qui ne peuvent aboutir à une solution de compromis. En fait, cette situation résulte d'une double confrontation qui traverse le droit contemporain : celle qui oppose le principe démocratique et la protection des droits fondamentaux et celle qui met face à face la souveraineté nationale déclinante et l'emprise croissante du droit conventionnel16(*). Or, « cette situation n'est probablement que l'une des expressions d'un phénomène plus général qui voit la montée en puissance du juge et une crise de légitimité du législateur. Cette évolution se manifeste de plusieurs manières. D'une part, le développement d'un droit fondé essentiellement sur le droits fondamentaux, qui, au surplus, offre une assez large marge d'appréciation, renforce incontestablement la figure du juge. D'autre part, le droit jurisprudentiel est un droit où la circularité joue un grand rôle. Ce jeu d'influence, à la fois dialogue et rapport de force à fleurets moucheté, concerne tant les juges nationaux que les juges Européens. Il est également développé par le jeu du droit comparé. Un deuxième indice de l'importance du juge tient à la pénalisation de la vie sociale et la substitution d'une responsabilité pénale à la responsabilité politique. Face cette situation, (...) le législateur voit sa légitimité contestée par celle des « sages », des experts et des juges. C'est dans cette crise de la démocratie que le juge apparaît alors comme l'autorité la plus apte à se substituer à un législateur faible ou défaillant pour exprimer l'intérêt général »17(*).

Le rôle de la Cour de Cassation change, tout comme les moyens pour elle d'exercer son action. La question se pose donc de savoir comment concilier de façon harmonieuse cette action avec les droits des justiciables. Il s'agit notamment, et même surtout, de repenser l'insertion dans le temps des décisions faisant jurisprudence.

Le débat n'est d'ailleurs pas nouveau ; en 1974, Pierre HEBRAUD écrivait ainsi que « l'attention des juristes a été attirée par [les problèmes] que pose l'empire de la jurisprudence dans le temps et ses fluctuations, d'autant plus que la rétroactivité en laquelle paraît se résumer, sous cet angle, l'efficacité propre à la jurisprudence apparaît toujours comme un phénomène anormal et inquiétant »18(*).

Mais c'est surtout dans les années 1990 que la doctrine a tenté de trouver des solutions à l'un des vices de la création jurisprudentielle : sa rétroactivité. Le débat n'est plus le même ; il est influencé par les théories de l'analyse économique du droit, et par l'idée de mise en concurrence des systèmes juridiques19(*), par le développement des demandes en matière de sécurité juridique, mais aussi par des travaux de droit comparé. Il ne s'agit plus alors de chercher jusque dans d'autre systèmes juridiques la meilleure façon de régler les problèmes posés par la rétroactivité de la jurisprudence. Le débat est notamment lancé par Christian MOULY20(*), qui propose d'utiliser le mécanisme du revirement pour l'avenir, utilisé devant les juridictions Américaines, mais aussi devant les Cours de Strasbourg et de Luxembourg. A cette époque, l'idée commence à s'imposer que les justiciables ne doivent pas se voir opposer des normes rétroactives, qu'elles soient d'origine législative ou jurisprudentielle, et que la sécurité juridique, impose de traiter les solutions jurisprudentielles, quelle que soit leur nature, comme on le fait des normes d'origine législative, c'est-à-dire en limitant leur portée.

Depuis, le débat s'est déplacé sur le terrain de la jurisprudence, et plusieurs justiciables, s'étant vus opposer des normes jurisprudentielles qui n'existaient pas au jour de leur action, ont choisi de contester la validité de ce mode d'application rétroactive. La Cour de Cassation a globalement refusé tous les arguments présentés, mais la solution est apparue tellement inquiétante que le Premier Président de la Cour de Cassation, Guy CANIVET, a demandé qu'une étude soit faite sur la possibilité de mettre en place un mécanisme de droit transitoire pour la jurisprudence. Le rapport21(*), écrit par un groupe de travail présidé par le Professeur Nicolas MOLFESSIS, a été remis le 30 novembre 2004 au Premier Président de la Cour de Cassation, et préconise la mise en place en France d'un système de droit transitoire pour les revirements de jurisprudence, après avoir au préalable reconnu le caractère normatif de la jurisprudence. Avant cette date, le rapport de VIRVILLE22(*) avait d'ailleurs lui aussi, dans le domaine du droit du travail, fait la même proposition.

Ce résultat est étonnant : traditionnellement, le débat sur la rétroactivité de la jurisprudence est envisagé sous l'angle du pouvoir normatif de la jurisprudence. Dans cette optique, l'idée de moduler les effets dans le temps des revirements de jurisprudence, en tant qu'elle est associée à la nécessité de reconnaître le caractère normatif de la jurisprudence, a toujours été rejetée par la doctrine, jusqu'à une époque récente. Pourtant, à l'heure actuelle, la situation semble s'être inversée, et les défenseurs du rapport MOLFESSIS - quelles que soient les nuances apportées - semblent être aujourd'hui plus nombreux que ses contempteurs.

Comment le débat a-t-il pu évoluer à ce point ? Comment la doctrine française, traditionnellement hostile - à juste titre - au principe de l'arrêt de règlement, est-elle parvenue majoritairement à la conclusion de la nécessité d'un droit transitoire pour les revirements de jurisprudence qui implique de reconnaître que la jurisprudence est source de droit ? L'évolution est étonnante, même si la figure de l'arrêt de règlement paraît moins effrayante aujourd'hui, l'arrêt de principe ayant depuis longtemps habitué les juristes à l'idée que la Cour de Cassation pouvait bel et bien faire des choix dans le cadre d'une politique jurisprudentielle cohérente. Il est donc nécessaire de retracer objectivement le débat qui s'est tenu au sein de la doctrine de droit privé et devant la Cour de cassation, afin de comprendre comment les arguments, mais aussi la manière d'appréhender ces arguments, ont pu évoluer, et comment des craintes qui font partie, d'une certaine façon, des fondements de notre droit, ont pu être écartées.

Ce débat n'est pas uniforme. Envisagé à des époques différentes, il est à certains égards le reflet des préoccupations de ces époques différentes. Le contexte actuel est marqué par la remise en cause grandissante de certains fondements du droit Français au profit de concepts hérités de systèmes juridiques fort différents du notre - et ce souvent pour des raisons politiques ou économiques s'inscrivant dans des évolutions à l'échelle de la planète - mais aussi par l'apparition d'impératifs nouveaux, souvent liés aux engagements internationaux de la France. Ce contexte a naturellement influencé les solutions proposées pour résoudre les problèmes liés à la rétroactivité de la norme jurisprudentielle.

Le débat, comme nous l'avons dit, n'est pas nouveau. Comme nous le verrons dans une première partie, il n'est pas passé par plusieurs arguments différents, mais bien par plusieurs types d'arguments différents, pour parvenir, comme nous le verrons dans une deuxième partie, à des conceptions irréconciliables d'un éventuel droit transitoire pour la jurisprudence.

Chapitre I : Evolution des conceptions de la norme jurisprudentielle rétroactive.

Section I : Critique de la rétroactivité de la règle jurisprudentielle d'après ses caractéristiques : les différents postulats.

La conception du rapport de la jurisprudence au temps dépend d'autres concepts. Elle n'est en effet que la conséquence de l'adoption d'un postulat de départ concernant la nature de la jurisprudence elle-même, ce postulat étant lui-même lié à une conception de l'office du juge. Classiquement, l'idée de rétroactivité de la règle jurisprudentielle n'a pas de sens ( I ) , soit parce que l'idée de règle jurisprudentielle n'a pas de sens, soit parce que les instruments employés pour caractériser ce rapport au temps ne sont pas adéquats. Mais dès lors que l'on admet que cette règle jurisprudentielle est insérée dans la hiérarchie des normes ( II ), il devient nécessaire de se préoccuper de son insertion dans le temps comme on le ferait pour les autres règles de droit - du moins comme on le ferait pour une règle de droit écrit.

Cette démonstration n'aura cependant pas pour but de départager les différents conceptions mises en oeuvre par la doctrine et par les acteurs du droit positif. Elle n'aura d'autre but que d'expliquer comment l'idée d'une norme rétroactive a pu apparaître dans les acteurs du droit Français, traditionnellement opposé à cette idée.

§ I / Le rapport au temps envisagé dans l'optique du rôle révélateur du juge.

Dans la conception classique du rôle du juge, héritée de la Révolution, et fondée sur l'idée de légicentrisme, la jurisprudence est hors de la hiérarchie des normes : le juge ne doit (A) ni ne peut (B) créer de règle, ou du moins pas de règle rétroactive.

A. La déclarativité de la règle jurisprudentielle.

Le rapport de la règle jurisprudentielle au temps est basé ici sur deux idées complémentaires : le procès étant placé dans une optique individuelle, la règle jurisprudentielle n'existe pas (1) , et la seule règle digne de considération est ici la règle écrite (2) .

1) L'inexistence de la règle jurisprudentielle.

Selon l'expression du Doyen CARBONNIER23(*), le jugement « est enfermé dans un statut constitutionnel destiné à l'empêcher de devenir source de droit ». Ce « statut » est formé à partir de deux dispositions du code civil, mais celles-ci sont destinées à régir l'activité du juge pour l'ensemble des matières - y-compris pour le droit administratif, où le principe a été consacré par le Conseil d'Etat sous la forme d'un principe général du droit.

Le premier principe est celui de la prohibition des arrêts de règlement, prévue par l'article 5 du code civil : « Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises. » . Ce principe empêche le juge d' établir des règles générales, ayant une portée au delà du litige qui leur est soumis. Mais il empêche l'également de se référer à d'autres causes pour déterminer la solution du litige. Selon un principe connu, la Cour de Cassation ne casse jamais une décision des juges du fond en visant sa propre jurisprudence.

« Ces règles, imposées il y a plus de deux siècles, sont effectivement appliquées dans toute leur rigueur. Les juridictions ne doivent pas renvoyer à leur propre passé et la Cour d'appel de Poitiers sera sanctionnée pour avoir fait référence à « son appréciation maximum habituelle en cette matière »24(*). » Pas plus qu'il ne peut se lier pour l'avenir par une position de principe25(*), le juge ne peut se contenter de « relever que la juridiction dont le jugement avait été cassé avait minutieusement examiné tous les moyens soumis par les parties et qu'elle avait pris une décision parfaitement motivée qu'il entendait suivre », se bornant donc à « à se référer aux motifs d'une précédente décision »26(*) ; Les juges doivent donc se « déterminer d'après les circonstances particulières de la cause »27(*) et uniquement par rapport à celles-ci. C'est donc la référence au précédent qui leur est interdite28(*).

Ce principe doit être concilié, et même associé29(*) avec un autre principe, celui prévu par l'article 4 du même code : « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice. » . Cet article est considéré comme autorisant l'effort de création du juge, pour pallier à « l'obscurité » ou « l'insuffisance de la loi », mais avec une limite : le juge doit formuler, « pour les besoins de la cause dont il est saisi, la règle qui sert de fondement à la solution du litige, chaque fois que celle-ci ne peut pas être immédiatement déduite des termes exprès du droit écrit »30(*). « La loi est bien souvent aussi bavarde qu'insuffisante et il incombe donc au juge d'y suppléer »31(*), mais ce pouvoir ne vaut alors que dans le seul cadre de la cause pour laquelle l'intervention du juge est nécessaire.

Le deuxième principe est celui de l'autorité relative de la chose jugée, prévue par l'article 1351 du code civil : « L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. » . Ces dispositions « déterminent restrictivement la portée de l'autorité de la chose jugée en la limitant dans ses effets à l'hypothèse où une nouvelle demande identique, portant sur la même cause et venue entre les mêmes parties prises dans leurs mêmes qualités, pourrait être alors utilement contrecarrée par l'existence d'un précédent définitivement tranché. »L'enjeu est ici de savoir ce qui, dans le jugement, a autorité de chose jugée, et la cour de cassation a adopté ici une conception stricte: seul le dispositif a autorité de chose jugée, les motifs n'étant qu'une justification circonstancielle qui n'a aucune autorité dans un autre litige, même similaire32(*).

Le jugement n'a donc « d'autorité, de force juridique qu'entre les personnes qui ont été parties au procès, il n'est pas opposable aux tiers. Par là, il apparaît comme tout le contraire d'une règle, disposition générale, applicable, opposable à tout le monde. On aura beau entasser les jugements couche sur couche, on n'aura jamais que des solutions particulières, sans rayonnement au-dehors, des accommodements, des arrangements de conflit individuel »33(*).

Bref, ce « statut constitutionnel a deux effets : d'une part, il empêche la Cour de cassation de créer des règles, « c'est-à-dire des dispositions abstraites, soit générales et permanentes dans le temps, qui supposent une virtualité d'applications à un nombre indéfini d'hypothèses futures »34(*) : frappée d'un « péché originel d'illégitimité »35(*), la jurisprudence ne peut être un acte d'autorité, car « dans un Etat de droit, un acte d'autorité ne vaut qu'à la condition que son auteur soit détenteur du pouvoir de l'édicter »36(*). Cela n'empêche pas la Cour de cassation d'avoir une doctrine, mais celle-ci n'a d'autorité qu'à l'égard des juridictions qui lui sont subordonnées, et uniquement dans le cadre du litige à l'occasion duquel cette doctrine a été élaborée, comme l'ont rappelé récemment les affaires Centéa et la Briocherie37(*). Mais en dehors de ce litige, le juge se voit « contraint à un exercice de création originale permanent, lui imposant à l'occasion de chacune des espèces qui lui est soumise, de reconstruire un micro-système juridique cohérent en soi. »38(*) et lui interdisant toute référence à son précédent : il ne peut jamais « faire reposer son raisonnement ou son dispositif sur les précédents jurisprudentiels »39(*).

Le juge n'est pas dépourvu pour autant de tout pouvoir normatif, mais celui-ci ne peut consister qu'en « l'obligation de produire, à la suite de demandes habilitées, des normes particulières ou individuelles, par concrétisation de normes générales et abstraites uniquement »40(*). Au-delà du litige, elle n'est qu'une « autorité » et non un « pouvoir »41(*).

La jurisprudence est donc placée dans une perspective individuelle : tout lien entre l'arrêt que le juge va prononcer et les précédents étant interdit par la prohibition des arrêts de règlement, anéanti par l'autorité relative de chose jugée, seul reste le lien avec la loi. De plus, toute valeur normative est retirée à ces précédents. Si ce lien entre arrêts censés être créateurs de droit est impossible à recréer, et si la création jurisprudentielle est interdite, alors la jurisprudence reste non seulement hors de la hiérarchie des normes mais aussi a-temporelle : comme le dit Laurent-Xavier SIMONEL, « le juge français doit disparaître du temps, être a-temporel en se projetant, à l'occasion de chaque espèce, dans un univers clos, n'existant qu'en soi, sans aucune temporalité. Cet univers doit être recréé à chaque fois ex nihilo »42(*). Comme nous le verrons, le phénomène jurisprudentiel n'est qu'un phénomène de fait, et le juge ne peut pas, en dehors de toute habilitation légale, créer du droit, soit en donnant une force obligatoire à son interprétation comme le font le Conseil constitutionnel ou la Cour de Justice des Communautés Européennes43(*), soit en invoquant une « norme » créée pour une autre cause, donc un précédent.

Si la jurisprudence ne peut créer du droit, s'il n'y a pas de normes jurisprudentielles, et que d'autre part, il n'y a pas de lien quelconque, donc de conflit potentiel, entre les normes individuelles ou les pseudo-normes (plus) générales - qui sont plutôt des raisonnements n'ayant pas d'autorité, en tant que motif non-intégré au dispositif, au-delà de l'arrêt - élaborées à l'occasion de chaque litige particulier, alors, la réflexion sur un droit transitoire destiné à éviter ou à régler un « conflit entre les jurisprudences successives »44(*) n'a pas de sens. « Parce que le pouvoir créateur du juge est nié, on ne saurait envisager de reporter dans le temps l'application de la règle jurisprudentielle, faute pour cette dernière d'exister »45(*).

2) la neutralité de l'intervention du juge.

Comme nous l'avons expliqué, la Cour de cassation et les juridictions qui lui sont subordonnées sont liées par la prohibition des arrêts de règlement ; contrairement au Conseil constitutionnel ou à la Cour de Justice des Communautés Européennes46(*), les motifs d'une décision de ces juridictions n'ont aucune force obligatoire : « La source de la jurisprudence est liée, l'acte de juger n'a pas de source propre, le juge est un agent de la loi qui la sert en la concrétisant, la jurisprudence n'est pas même normative, le terme de pouvoir n'est pas adéquat »47(*)

C'est dans l'Histoire que cette interdiction prend tout son sens : soucieux de préserver le monopole du pouvoir législatif dans l'édiction de la règle de droit48(*), les révolutionnaires puis tous les régimes qui leur ont succédé, ont retiré au juge le pouvoir de se lier et de lier les justiciables pour l'avenir. Ce pouvoir n'appartient qu'au pouvoir législatif, et dans une certaine mesure, au pouvoir exécutif, comme l'ont réaffirmé les articles 34 et 37 de la Constitution de 195849(*), qui ne reconnaît d'ailleurs pas à la jurisprudence le statut de pouvoir mais seulement d' « autorité ». Bref, le principe de la prohibition des arrêts de règlement est le corollaire du principe de séparation des pouvoirs parce que la seule autorité légitime pour édicter des règles de droit est le législateur, de même que la seule autorité légitime pour les appliquer est le juge, « bouche de la loi »50(*).

Encore cette application de la règle édictée par le législateur ne peut-elle se faire que d'une façon : au moyen d'un syllogisme associé à un acte d'interprétation. Comme l'explique Michel TROPER51(*), cette méthode avait été conçue, dans la continuité de la philosophie des lumières, comme un moyen d'empêcher le juge de fonder son jugement sur autre-chose que la loi (l'équité ou l'opportunité, par exemple, ou plus simplement ses précédents) . « Selon cette conception, la fonction juridictionnelle52(*) consiste à trancher des litiges, mais exclusivement en appliquant une loi préalable. Le juge procède par un raisonnement syllogistique : la prémisse majeure est le texte de la loi ; la mineure le fait et la sentence la conclusion. Comme les prémisses sont pour le tribunal un donné, il ne dispose d'aucun pouvoir propre de décision »53(*).

La seule norme digne de considération dans le travail du juge est donc la norme créée par le législateur. Comment le juge met-il en évidence le sens de cette norme ? Il le fait au moyen d'un acte de qualification des faits, données du litige, et d'interprétation si la norme à appliquer n'est pas claire (« obscure » ou « insuffisante », pour reprendre les termes de l'article 4 du code civil) . L'acte d'interprétation peut bien sûr être en soi dangereux, car celui qui interprète peut s'arroger le pouvoir de refaire la loi en modifiant son sens sous couvert d'interprétation54(*), raison pour laquelle le législateur révolutionnaire l'avait dans un premier temps conservé au moyen du référé législatif, ne laissant à la Cour de Cassation que « l'interprétation in concreto ». Mais une fois encore, c'est justement la raison d'être de la perspective individuelle des articles 4 et 5 du code civil.

Ainsi définie, la tache de la Cour de Cassation doit donc rester tout à fait neutre : elle ne consiste qu'à révéler ce qui est, à redonner à la norme créée par un autre - le législateur - son sens telle que celui-ci l'avait conçu. C'est ici, dans le caractère déclaratif de la jurisprudence, que se trouve la deuxième partie de la rétroactivité de la « norme » jurisprudentielle, et notamment de son revirement : « si à la date des faits dont le juge est saisi, la règle législative est connue mais que son contenu est incertain, la fixation de ce dernier par une décision de justice, qui fait ainsi oeuvre d'interprétation, n'est pas équivalente à l'application rétroactive d'une loi nouvelle »55(*). En effet, « L'interprétation relève de la fonction du juge qui est de dire, d'appliquer et d'interpréter le droit à l'occasion de litiges qui sont issus de faits qui se sont produits antérieurement. La décision de justice présente un caractère déclaratif qui imprègne l'interprétation retenue sans que l'on puisse, malgré son application à des faits antérieurs, considérer qu'elle est appliquée rétroactivement. Affirmer le contraire reviendrait à confondre l'effet déclaratif de la décision de justice et la déclarativité alors que ces deux notions sont distinctes »56(*).

Cette idée de déclarativité a pour corollaire la théorie de l'incorporation à la loi interprétée : la « norme » jurisprudentielle n'est pas détachée de la loi qu'elle applique fidèlement, n'étant que la reprise de son sens caché - on pourrait dire, dans cette optique, qu'il n'y a pas « incorporation » mais ré-incorporation, dans le sens où la norme jurisprudentielle n'est pas censée être autre-chose qu'un aspect de la norme écrite elle-même. En somme, la « norme » jurisprudentielle entre donc en vigueur au jour de l'entrée en vigueur de la loi, puisqu'elle n'est en réalité qu'un aspect de cette loi dont le juge clarifie ou révèle le sens.

Cela justifie donc un parallèle avec la loi interprétative, en ce qu'elle ne fait que dire ce qui avait déjà été dit en des termes plus clairs, et en ce qu'elle est naturellement rétroactive : « dans la mesure où la jurisprudence ne fait qu'appliquer la loi en vue de l'appliquer, les revirements de jurisprudence s'apparentent aux lois interprétatives : comme la loi interprétative, la jurisprudence fait corps avec le texte interprété et s'applique donc rétroactivement à la date de mise en vigueur de la loi »57(*).

Thierry BONNEAU s'interroge toutefois : « On peut toutefois se demander si, en cas de revirement de jurisprudence, on doit accorder à cet effet la même importance que dans l'hypothèse précédente parce que, en cas de revirement, une situation constituée valablement sous l'empire d'une ancienne jurisprudence est remise en cause par une nouvelle jurisprudence. A condition que l'on puisse déterminer la date du revirement, ne doit-on pas considérer que le changement de jurisprudence équivaut à un changement de législation, ce qui permettrait de parler de rétroactivité des revirements de jurisprudence ? L'application de la nouvelle jurisprudence à des faits antérieurs traduirait alors, non plus l'effet déclaratif des décisions de justice, mais la rétroactivité de l'application de la nouvelle norme. » Mais c'est pour exclure aussitôt cette hypothèse : la solution dégagée par le juge dans l'exercice de son pouvoir d'interprétation « ne peut être rattachée à la notion de rétroactivité parce qu'elle ne résulte pas d'une volonté délibérée, mais seulement de l'effet déclaratif des décisions de justice. »58(*)

C'est à cette conception que s'est ralliée la Cour de cassation dès 200059(*). Cette conception a été par la suite confirmée expressément par la chambre criminelle60(*) : dans ces affaires, le moyen, selon lequel une Cour d'appel aurait du faire application de l'interprétation jurisprudentielle soutenue par la Cour de cassation au moment des faits et non de l'interprétation soutenue au moment du jugement, est rejeté selon un critère formaliste61(*) car « en l'absence de modification de la loi pénale, et dès lors que le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle, le moyen est inopérant ».

Le résultat est le même car « ces deux notions impliquent des effets dans le passé. », mais la cause n'en est pas la même, et c'est cette différence qui légitime ce qui dans le cas de la rétroactivité, et plus particulièrement s'agissant des revirements de jurisprudence, a pu être considéré comme une « insoutenable » action à rebours du temps ayant pour effet d'anéantir les prévisions basées sur une autre interprétation62(*) : « alors que la rétroactivité est attachée, de par la volonté du législateur ou du juge, à l'application d'une règle nouvelle, l'effet déclaratif est seulement lié à l'intervention du juge à propos de faits antérieurement produits ».

L'action de la jurisprudence ne consiste donc qu'à révéler ce qui est, à créer une norme individuelle à partir le cas échéant, d'une interprétation de la loi, en recherchant une vérité juridique qui préexiste au procès, et non en pas un acte de création. La répétition des motifs ne sera pas la conséquence de la force obligatoire d'une norme qui n'existe pas, mais du ralliement par d'autres juges pour d'autres causes à un raisonnement qui leur paraît juste à double-titre : « l'affirmation selon laquelle la jurisprudence est source de droit ne peut être comprise autrement que comme la traduction d'un simple raisonnement. Elle signifie d'abord que, si une règle posée par un tribunal pour les besoins de la cause dont il est saisi, est satisfaisante, c'est-à-dire compatible non seulement avec l'ordonnancement juridique dans son ensemble mais également avec le sentiment commun de la justice à l'époque de sa formulation, elle a vocation à être reproduite à l'occasion d'instances relatives à des litiges identiques, parce qu'il est raisonnable de croire que les juridictions qui auront à les trancher se laisseront convaincre de son bien-fondé ; et elle signifie ensuite qu'une règle, même non satisfaisante, que la Cour de Cassation a maintes fois exprimé, a vocation à être appliquée par les juridictions inférieures, parce qu'il est également raisonnable de penser que le sens des responsabilités des magistrats les retiendra d'une « rébellion » qu'ils savent alors cependant vaine et qui n'aurait donc pour conséquence que de retarder l'issue définitive des litiges qu'ils ont à trancher, en incitant la partie qu'ils auraient voulu condamner à exercer un recours contre leurs décisions. »63(*) . Du reste, « il est difficilement concevable qu'un même texte ou un même principe soient interprétés différemment à un moment donné selon que le même fait reproché s'est produit avant ou après telle date ».64(*)

La jurisprudence n'étant donc pas une norme, et n'étant donc pas rétroactive mais déclarative, il n'est pas nécessaire d'envisager le rapport de la jurisprudence au temps, et donc la création d'un droit transitoire pour la jurisprudence pour s'assurer du champ d'application d'une « norme » qui n'en est pas vraiment une, puisqu'elle ne fait que révéler une vérité juridique qui préexistait au procès.

Là encore, cette conception a été expressément affirmée par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation le 9 octobre 200165(*) : une Cour d'appel ayant condamné un médecin pour avoir manqué à son devoir d'information vis-à-vis de sa patiente en 1974 en ne l'informant pas des risques exceptionnels auxquels l'exposaient l'intervention qu'il envisageait de lui faire subir, le médecin reproche à la Cour d'appel d'avoir fait application d'une jurisprudence qui n'a été consacrée qu'en 1998. La Cour de cassation, rappelant qu'elle doit « trancher des litiges », et non pas « définir abstraitement les obligations des médecins »66(*), rejette le pourvoi en expliquant que « l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés »67(*).

Cette conception du rapport de la jurisprudence au temps avait été historiquement fondée, comme nous l'avons dit, sur l'idée que les juges ne doivent pas créer de droit. Cette conception avait deux conséquences : d'une part, il n'y a pas de norme jurisprudentielle, donc pas de besoin de droit transitoire pour la jurisprudence ; d'autre part la seule norme à prendre en compte pour en déterminer le champ d'application dans le temps était celle sur laquelle s'appuie le juge, c'est-à-dire la norme législative, dont la jurisprudence ne fait que préciser le sens.

Avec le temps, cette conception a été partiellement « concurrencée » par l'apparition postérieure au code civil de théories plus modernes dans deux domaines : d'une part, des théories abordant le phénomène de l'interprétation sous des postulats sensiblement différents, bien qu'ils aboutissent plus à des nuances qu'à une remise en cause - ici, les deux théories coexistent dans la jurisprudence de la cour de cassation, de façon assez paradoxale à certains égards. D'autre part, la remise en cause des principes du droit transitoire au XXème siècle a eu une influence sur la conception du phénomène de rétroactivité.

B. L'évolution de la position classique.

La conception formulée par la première chambre civile et par la chambre criminelle n'a été qu'implicitement suivie par les deuxième et troisième chambres civiles et par la chambre sociale, qui ont concentré leur discours sur l'idée que la jurisprudence ne peut pas ne pas être rétroactive (1) . Par ailleurs, l'affinement des solutions en matière de droit transitoire pour la loi a permis a certains auteurs de proposer une analyse différentes du rapport de la jurisprudence au temps dans l'optique d'un juge créateur de droit (2) .

1) La jurisprudence : un ensemble de normes précaires.

a. L'évolution idéologique.

Comme nous l'avons dit, la conception classique de l'office du juge était basée sur l'interprétation des textes - et uniquement des textes - dans le but de révéler la volonté du législateur. Cette interprétation se fait au moyen de méthodes d'interprétation. C'est sur ce point qu'une évolution s'est faite,

Le XIXème siècle a d'abord été marqué par l'utilisation de la méthode exégétique, fondée sur l'idée d'un « véritable culte [de] la législation issue du Premier Empire »68(*), d'où la recherche de la volonté du législateur comme base de toutes les solutions pour les juges, et ce grâce à des techniques destinées uniquement à surmonter l'ambiguïté des textes de loi : une méthode documentaire basée sur le recours aux travaux préparatoires ou à la tradition juridique, pour « éclairer le sens immédiat des textes »69(*) ; et d'autre part une technique rationnelle, s'appuyant sur plusieurs types de raisonnement - par analogie, a fortiori, a contrario, et par induction suivi de déductions - pour déterminer la portée de la règle à interpréter.

C'est vers la fin du XIXème siècle que le contexte socio-économique imposa le recours à « des techniques contextuelles de plus en plus distantes du sens littéral de la loi et de la volonté de son auteur, pour finalement imposer la jurisprudence comme source de droit gouvernant de manière autonome des pans importants du domaine juridique, comme la responsabilité ou le contrat. »70(*)

Evoquant quant à lui « la créativité de la Cour de Cassation » plutôt qu' « un véritable pouvoir créateur »71(*), Bruno OPPETIT explique qu'en de nombreux domaines, la Cour de cassation « a considéré qu'il lui appartenait de donner de la loi une interprétation conforme aux nécessités du moment et, au besoin d'aller au-delà du texte de la loi, sinon de son esprit. »72(*) , rappelant que ces méthodes, notamment le principe de l'interprétation déformante »73(*) ont été utilisées notamment pour « découvrir »74(*) le principe de la responsabilité du fait des choses inanimées, transformer le droit de la filiation, ou construire le système Français de Droit International Privé.

L'essor de ces nouvelles méthodes d'interprétation donne ainsi un rôle plus actif à la Cour de cassation, dans la mesure où La Cour n'hésite plus à fonder son analyse sur des éléments extérieurs au texte, tout en continuant à s'appuyer sur ce texte. C'est pourquoi Jean-Luc Aubert explique que la jurisprudence est le « droit positif, c'est-à-dire la règle de droit appliquée et mise en oeuvre dans la réalité concrète »75(*). Il rappelle toutefois que la Cour de cassation n'est qu'une simple autorité dont la doctrine ne s'impose pas en dehors des causes pour lesquelles elles sont conçues, et que ces méthodes ne consistent pas à laisser le juge donner libre-cours à son arbitraire76(*), mais sont toujours basées sur l'idée d'interprétation : « la jurisprudence révèle donc la règle de droit applicable à telle ou telle situation et la signification exacte de cette règle »77(*). Mais par la voie de la cassation, la Cour peut malgré tout imposer une interprétation une interprétation unificatrice78(*), et même mener une politique jurisprudentielle79(*).

Ces méthodes d'interprétation, surtout, sont légitimées par l'idée de la nécessaire évolution du droit, et en particulier de la jurisprudence. Car si « l'article 5 a eu raison de condamner le caractère réglementaire des décisions juridictionnelles », c'est avant tout parce qu' « il ne serait pas sain de figer la jurisprudence, car c'est elle au contraire qui donne sa souplesse à la loi. (...) Le danger du revirement de jurisprudence dénoncé parfois par son caractère imprévisible, voire arbitraire, est dans l'ordinaire un bienfait. Un vieil arrêt qui tombe est une branche morte taillée qui fera produire à l'arbre de meilleurs fruits. Donner au juge la liberté du règlement serait lui soustraire celle de régler la loi »80(*). Jean-Luc AUBERT développe cette idée en expliquant que la jurisprudence a trois fonctions : interpréter, suppléer, et adapter la loi lorsque celle ci devient obsolète ou inadaptée aux circonstances81(*).

Cette idée, la Cour de Cassation l'a elle-même exprimé cette idée à plusieurs reprises dans son rapport annuel. Citons par exemple le rapport pour l'année 2003 : « Certaines de ces interprétations, peu nombreuses d'ailleurs, sont nouvelles et soulèvent la question récurrente de leur rétroactivité et de la mise en cause de la sécurité juridique, qui fait régulièrement l'objet d'une controverse aux motivations contradictoires. Mais dans une période de mutations accélérées dans tous les domaines, il n'est pas étonnant que la jurisprudence, qui n'est que le reflet de l'évolution des pratiques sociales, économiques, politiques ou des mentalités, connaisse elle aussi des changements. »82(*). Quant au rapport annuel pour l'année 2001, il rappelle que la Cour de Cassation ne fait ici qu'affirmer ce que la Cour Européenne de Droits de l'Homme avait déjà affirmé avant : « Le principe de l'immutabilité de la jurisprudence européenne n'existe donc pas dès lors qu'il existe un motif valable de s'en écarter »83(*).

b. La conséquence de cette évolution : la précarité naturelle de la jurisprudence.

c'est Jean-Luc AUBERT qui résume cette idée : la jurisprudence, conçue sur ces bases, produit certes des normes. Le juge a un rôle trop actif pour que son action ne soit basée que sur un « raisonnement ». Mais cette norme ne présente pas les caractères, notamment de permanence, que l'on doit pouvoir trouver dans la règle de droit stricto sensu. Cette norme « ne s'impose à personne, pas plus aux juges du fond qu'à la Cour de Cassation ». Il s'agit alors d'une « norme précaire », issue d'une « conception « molle » de la règle », « appelées à côtoyer les normes dures issues de la loi et du règlement »84(*).

Elle ne s'impose pas, bien sûr aux juges du fond, ni aux justiciables, parce que la Cour de Cassation, comme nous l'avons dit, n'est pas capable de produire une telle norme en raison de la prohibition des arrêts de règlement. La jurisprudence de la Cour s'impose par voie d'autorité morale, et par l'effet  « de l'organisation hiérarchique des juridictions, et en particulier de l'existence, au sommet de cette hiérarchie, d'une juridiction habilitée à imposer son interprétation aux juridictions subordonnées »85(*), mais pas en tout cas parce que les destinataires de cette norme seraient tenus de l'appliquer autrement que par la cassation.

Mais elle ne s'impose pas à la Cour de Cassation elle-même : évoquant la question des revirements de jurisprudence, Jean-Luc AUBERT explique qu'ils « marquent la précarité naturelle de la jurisprudence. Aussi bien fixée soit-elle, l'interprétation jurisprudentielle peut à tout moment être renversée ou modifiée. Il suffit pour cela que les juges découvrent des raisons nouvelles de donner à la règle de droit un sens différent de celui qu'ils lui reconnaissaient jusque-là. Rien dans la loi ne s'oppose à de telles variations. Tout au contraire, la loi interdit au juge de se lier pour l'avenir par les décisions qu'ils rendent ».86(*)

Voilà pour la consistance de cette norme précaire dans l'espace. Mais - et c'est là le point intéressant pour notre sujet - , cette norme, par voie de conséquence, est également précaire dans le temps. Cette norme ne s'imposant à personne, on ne peut en revendiquer le bénéfice si la Cour de Cassation voit une bonne raison de changer d'orientation ; ceci est le principe pour l'avenir. Mais la norme ne s'impose pas plus pour le passé : « la précarité naturelle de la jurisprudence se conjugue avec la non moins naturelle rétroactivité de la règle jurisprudentielle. Celle-ci a été fort clairement expliquée : « les arrêts de règlement étant interdits, le juge ne peut faire naître une règle qu'à travers la décision même qui statue sur des faits antérieurs. La formation de la règle est ainsi inséparable de son application à l'espèce. En énonçant la règle, le juge l'applique nécessairement de façon rétroactive » »87(*) Plus loin, il ajoute « lorsqu'une habitude constatée assure la consécration d'une norme jurisprudentielle, celle-ci peut, à tout moment et sans avertissement, être gommée par un revirement. Elle ne s'impose pas au juge, ce qui la différencie radicalement de la règle de droit »88(*).

Cette conception de la rétroactivité de la norme précaire est un effet du manque de légitimité du juge à édicter une règle de droit, mais une deuxième raison est à rechercher dans son origine. Rappelons-le, la norme précaire n'est pas issue d'une volonté arbitraire, mais bien d'un acte d'interprétation basée sur des données objectives. Même le principe de « l'interprétation déformante » ne s'éloigne pas de ces bases. Or, on peut ici répéter le principe de la déclarativité : « ainsi entendue, la jurisprudence révèle donc le sens de la règle de droit applicable à telle ou telle situation et la signification exacte de cette règle »89(*) ; la jurisprudence donne le sens de la règle de droit, elle ne le crée pas ex nihilo. Elle s'applique donc dès l'entrée en vigueur de la loi interprétée.

Bref, la précarité naturelle de la norme jurisprudentielle est à relier à la nécessaire évolutivité de la norme jurisprudentielle : comme nous l'avons dit, la norme jurisprudentielle est liée à un contexte. Si les juges « découvrent des raisons nouvelles de donner à la règle de droit un sens différent de celui qu'ils lui reconnaissaient jusque-là », ils peuvent du jour au lendemain, et de façon rétroactive, lui donner un sens différent.

C'est ainsi que le Professeur Béatrice BOURDELOIS résume cette position : « la prohibition des arrêts de règlement (art. 5 C. civ.) s'oppose à ce qu'on puisse soutenir que la solution donnée dans une autre affaire constitue un droit acquis à pour le plaideur dont le dossier présenterait des faits similaires ; la possibilité que se reconnaît la jurisprudence de changer d'avis - revirements de jurisprudence - et, dans un tel cas, de considérer que telle avait toujours été sa position, de sorte à imposer sa nouvelle interprétation aux instances en cours, y compris pour celles qui se déroulent devant la Cour de Cassation, démontre de plus l'absence de droit acquis (lorsqu'il est jurisprudentiel) jusqu'à ce qu'intervienne une décision définitive ; jusque là, le sort des attentes du plaideur est subordonné (sans qu'aucune assurance ne puisse lui être donnée) à la constance de la cour suprême ; si celle-ci est d'humeur versatile, tant pis pour lui ! »90(*). Plus loin, encore : « une décision judiciaire non définitive n'a pas pu donner lieu à un droit acquis au regard d'une solution jurisprudentielle antérieure concernant une autre instance. Si celle-ci a pu faire naître des espoirs, ceux-ci n'ont, à ce stade, pas été concrétisés de nature à figer, pour le demandeur, le contenu du droit ».

Quant à la jurisprudence, elle a elle aussi jugé que la rétroactivité était inhérente à l'office du juge : tant les arguments tirés de la sécurité juridique que ceux tirés de l'article 6.1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme ne sauraient « consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit ». Cette formule est tirée de l'arrêt du 21 mars 2000 rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation91(*), reprise par l'arrêt du 9 octobre 200192(*). Elle a été reprise par les deuxième et troisième chambres civile, ainsi que par la chambre sociale, la chambre commerciale n'ayant apparemment pas eu à se prononcer sur la question.

On signalera des nuances dans les formules employées correspondant probablement à des sensibilités différentes : la première chambre civile parle de « jurisprudence figée », alors que les deuxièmes et troisièmes chambres civiles parlent de façon plus neutre de « jurisprudence constante »93(*) et que la chambre sociale parle quant à elle de « jurisprudence immuable »94(*).

La jurisprudence, dans ces arrêts refuse donc d'aborder de front la question de la nature exacte de la norme jurisprudentielle. Cette question ne peut toutefois être comprise, comme l'a écrit le Professeur Christian ATIAS95(*), que dans une conception de la jurisprudence basée (dans une certaine mesure) sur l'interprétation. C'est d'ailleurs ce qu'a rappelé la chambre sociale96(*) en parlant d'une « interprétation jurisprudentielle » dont « l'application par la juges du fond », « fût-elle postérieure à l'instance », ne saurait constituer une violation de l'article 6.1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ».

Quoi qu'il en soit, cette conception de la jurisprudence est nécessairement évolutive, et les inconvénients occasionnés par l'abandon d'une norme précaire ne doivent pas faire oublier que « l'évolution de la jurisprudence [relève] de l'office du juge dans l'application du droit ». Ce qui est en cause, c'est la nécessaire évolution du droit « dès lors qu'il existe un motif valable de s'en écarter »97(*). L'emploi du qualificatif « figée » est particulièrement évocateur quant au danger encouru.

Cette norme précaire ne consacre aucun droit pour les justiciables, et celui-ci ne peut en refuser l'application rétroactive : il n'est en rien protégé contre le changement de jurisprudence, n'étant titulaire d'aucun « droit acquis à une jurisprudence figée », « constante » , ou « immuable » qui lui permettrait de paralyser l'évolution de l'interprétation jurisprudentielle en demandant l'application de l'interprétation consacrée au jour des faits contre l'interprétation reconnue ultérieurement ».

2) L'argument tiré de l'absence de rétroactivité dans une optique plus ouverte de l'office du juge.

Pour mettre en oeuvre les principes prévus par l'article 2 du code civil, la jurisprudence avait trouvé initialement un critère simple mais imprécis et ne correspondant pas à la réalité du rapport de la loi au temps : la loi nouvelle était contraire à l'article 5 du code civil selon qu'elle conduisait à remettre en cause les droits acquis sous l'empire de l'ancienne législation.

Ce critère a été remis en cause au XXème siècle, notamment par le Doyen ROUBIER98(*), au profit d'une autre logique : celle des conflits de lois dans le temps. Partant de la mise en évidence de l'existence d'un conflit entre deux lois, la loi nouvelle et la loi ancienne, a priori également applicables à une situation, elle précisait et affinait les concepts relatifs au rapport de la loi au temps, notamment le concept de rétroactivité, et révolutionnait les solutions en matière de droit transitoire dans une optique fondamentalement différente - la mise en évidence d'un conflit et ses conséquences, plutôt que le simple respect des droits acquis - , optique qui n'a pas été remise en cause depuis par les auteurs proposant des solutions différentes en matière de droit transitoire.

Cet affinement des solutions en matière de droit transitoire destiné à la loi a amené une critique des propositions sur la construction d'un droit transitoire destiné à la loi, basées pour des questions de pragmatisme sur une logique proche du système des droits acquis : la préservation des prévisions légitimes des justiciables surpris par le revirement de jurisprudence ou l'apparition d'une jurisprudence nouvelle, dans une optique différente de celle des conflits de loi dans le temps.

Cette critique est le fait de deux auteurs, Thierry BONNEAU99(*) et Pierre FLEURY-LE GROS100(*) s'appuyant sur des travaux différents mais arrivant aux mêmes conclusions concernant l'existence d'un phénomène de rétroactivité de la norme jurisprudentielle, si norme jurisprudentielle il y a. Pour les besoins de la démonstration, cette critique est faite dans l'optique d'un juge créateur d'une interprétation jurisprudentielle qui serait une norme à part entière, sans toutefois se prononcer sur son fondement101(*) (nous parlerons simplement ici de norme jurisprudentielle, sans chercher à approfondir la question de ses caractéristiques) .

Cette critique se concentre en effet sur un autre problème : la conception du rapport de la jurisprudence au temps, et non pas l'existence d'une norme. Elles partent toutes deux d'un constat : la jurisprudence est considérée comme systématiquement rétroactive - rétroactivité par nature : « D'après les nombreux débats qui portent sur la question des revirements de jurisprudence, il semble que la rétroactivité du revirement soit considérée comme une caractéristique inhérente à ce mécanisme. Le rapport établi par le groupe de travail de M. le Professeur MOLFESSIS (...) et de nombreux autres travaux (...) considèrent en effet que la rétroactivité est l'essence même de la règle jurisprudentielle. »102(*).

C'est précisément cette donnée qui est contestée : le caractère systématiquement rétroactif du revirement. « Une analyse différente peut (...) être proposée, car il nous semble que le seul fait que le revirement de jurisprudence produise son effet dans le cadre d'une affaire en cours ne lui confère pas inéluctablement un effet rétroactif, indépendamment de la question de la distinction entre l'effet déclaratif et constitutif du jugement parfois évoquée »103(*).

Pour ce faire, les deux auteurs proposent d'appliquer les critères des conflits de lois dans le temps à la norme jurisprudentielle : « Pour démontrer que tout revirement de jurisprudence n'est pas par essence rétroactif, il convient de s'appuyer sur les règles qui régissent l'application de la loi dans le temps. » . En effet, « ces règles fournissent des repères propres à dépister la rétroactivité, et à être transposés dans le contexte du revirement de jurisprudence »104(*).

La question posée ici est la suivante : « si l'application de la solution commandée par le revirement de jurisprudence résultait d'une réforme législative, et non pas d'une évolution jurisprudentielle, celle-ci serait-elle qualifiée de rétroactive ? En d'autres termes, l'application d'un régime substantiel par le juge à l'égard d'un sujet de droit serait-elle qualifiée de rétroactive si cette même application était commandée par le législateur dans le cadre d'une loi nouvelle ? »105(*).

Cette question implique donc une démarche fondamentalement différente de celle consistant à partir des droits acquis ou des prévisions des justiciables : « Seule une réponse positive doit permettre de conclure que le revirement produit un effet rétroactif dans le contexte envisagé. Dans le cas contraire, l'absence d'effet rétroactif du revirement doit être déduite, le fait qu'il produise son effet dans des instances en cours étant indifférent. La démarche proposée repose sur l'idée suivante : lorsque les concepts caractéristiques des conflits de lois dans le temps permettent de conclure que l'application d'un régime substantiel par le législateur n'est pas rétroactive, la même application effectuée cette fois par un juge ne présente pas davantage ce caractère. La rétroactivité est en effet un processus technique dont l'existence ou la non existence ne sauraient dépendre de l'organe - jurisprudentiel ou législatif - qui assure sa mise en oeuvre. »106(*).

Les deux auteurs, comme nous l'avons dit, partent de travaux différents. Thierry BONNEAU part des concepts mis en évidence par les travaux du Doyen ROUBIER107(*), tandis que Pierre FLEURY-LE GROS part des travaux du Doyen BACH108(*), qu'il avait d'ailleurs précisés auparavant109(*). Mais, comme nous l'avons dit, en partant de travaux différents, les deux auteurs arrivent à la même conclusion : l'utilisation de concepts plus précis permet de repérer des situations où une norme jurisprudentielle ne sera pas considérée comme rétroactive alors même qu'un revirement interviendrait après l'introduction de l'instance, ou même concernerait des faits intervenus avant l'apparition de cette norme.

Thierry BONNEAU, sur ces bases explique donc qu'« il n'est (...) pas exact d'affirmer que tous les revirements de jurisprudence sont rétroactifs : ils ne le sont pas systématiquement comme le prouve la jurisprudence relative à la preuve de la filiation naturelle par la possession d'état. On se souvient en effet que, par un arrêt du 8 mai 1979, la Cour de cassation avait refusé, sur le fondement de l'ancien art. 334-8 c. civ., d'admettre une telle preuve alors que, toujours sur le même fondement, elle l'a admis dans des arrêts des 9 juill. 1982 et 1er déc. 1982110(*). Ce changement de jurisprudence s'est effectué sans aucune rétroactivité, tout au moins si l'on admet l'analyse classique, telle qu'elle est présentée par ROUBIER111(*) qui raisonne à partir d'une loi nouvelle : le rapport de filiation étant un état durable, il peut être atteint par la loi nouvelle, non en tant que fait du passé, mais en tant que fait du présent. Aussi toute loi prévoyant de nouvelles modalités d'établissement de la filiation peut s'appliquer sans aucune rétroactivité aux enfants nés antérieurement à son entrée en vigueur. Cette solution trouve d'ailleurs un renfort dans les règles admises en matière de preuve, le juge pouvant admettre, sans aucune rétroactivité, les preuves autorisées par les lois en vigueur au jour où il statue. Il en est de même d'une jurisprudence dont l'objet est identique »112(*).

Pierre FLEURY-LE GROS, appliquant des principes différents aux affaires Centéa et La Bricoherie113(*), se pose la question suivante : « lorsqu'un revirement de jurisprudence doit produire son effet à l'égard d'une « affaire en cours » , il faut rechercher si son effet concerne des actes et faits futurs ou passés par rapport à ce revirement. ».

Cela le conduit à des conclusions différentes dans chaque espèce, montrant également l'absence d'uniformité du phénomène jurisprudentiel sur ce point : « Dans l'affaire Centéa, le litige portait sur un contrat de prêt conclu avec une banque, laquelle ne disposait pas, lors de la conclusion de l'acte, de l'habilitation alors requise par l'article 15 de la loi du 24 janvier 1984. L'application du revirement intervenu dans l'arrêt d'Assemblée plénière du 4 mars 2005 - qui rend inutile cet agrément - aurait donc eu pour conséquence de rendre valide un acte dépourvu de validité lors de sa conclusion ; or, on sait que la même validation opérée cette fois par une loi conférerait sans aucun doute à celle-ci un caractère rétroactif ; par conséquent, on peut déduire de cette transposition que la recevabilité du pourvoi aurait pu conduire à appliquer rétroactivement la solution du revirement à une affaire en cours. Pour autant, cet effet rétroactif est loin d'être une caractéristique inhérente à tout revirement, ce que démontre parfaitement la seconde espèce. »114(*)

Utilisant ensuite le concept de « situations de droit ou de fait durables dont certaines peuvent avoir pris naissance dans le passé (tel est par exemple le cas de la situation de bailleur, de commerçant ou encore d'enfant mineur non émancipé) », il en arrive en effet à une conclusion différente pour l'affaire La Briocherie : « Dans l'affaire de la Briocherie, le litige portait sur le mode de calcul en matière de réévaluation de loyers. Le revirement opéré le 23 janvier 2004 - et dont l'application était réclamée en l'espèce - a consisté à écarter le mode prévu par la loi Murcef à l'égard des baux conclus antérieurement. Supposons alors de nouveau que cette éviction ait été commandée légalement, et non pas jurisprudentiellement. On aurait alors immédiatement conclu que la réforme ne soulevait aucun problème de rétroactivité : réservant son application aux seuls baux conclus postérieurement, elle n'aurait pu régir par hypothèse que les actes futurs pouvant survenir dans leur cadre, choix exclusif de toute question de rétroactivité si l'on se réfère à la logique des deux groupes de concepts précédemment présentés. Pourquoi qualifierait-on alors l'application de la solution résultant du revirement de « rétroactive », alors que cette même solution commandée par une évolution législative n'aurait pas présenté ce caractère ? Au moyen de la transposition proposée, il faut bien admettre que l'application de la solution du revirement à une affaire en cours n'aurait pas été rétroactive, ce qui confirme que la rétroactivité n'est pas une caractéristique inhérente à tout revirement de jurisprudence. »115(*)

En raisonnant par l'absurde, les deux démonstrations arrivent donc à la même conclusion : l'application des principes des conflits de lois dans le temps permet de relativiser la critique relative à la rétroactivité de la norme jurisprudentielle, tant relative à sa nature qu'à ses effets. En effet, ils montrent que le phénomène jurisprudentiel n'est pas uniforme, et que tous les revirements ne doivent pas déclencher les mêmes préoccupations. S'il s'agit dans tous les cas d'appliquer une « norme » à des faits survenus avant l'édiction de cette « norme », toutes ces situations ne peuvent être rattachées au phénomène de rétroactivité entendu strictement. S'il existe, le phénomène de rétroactivité de la jurisprudence n'est donc pas automatique, et n'est donc ni uniforme, ne réclamant donc pas toujours les mêmes solutions, ni aussi important que ce qu'affirment certains travaux116(*). La mauvaise perception du phénomène venant de l'utilisation de mauvais instruments, seule l'utilisation des critères employés en matière de conflits de lois dans le temps permet de restituer une image juste du phénomène de rétroactivité de la jurisprudence.

Pour Thierry BONNEAU, s'il faut admettre que les arrêts de revirement « entraînent des perturbations et que l'opportunité peut justifier une limitation dans le temps de tels arrêts », «  est-ce une raison suffisante pour qualifier de rétroactif ce qui ne l'est pas ».

On rappellera simplement que les deux démonstrations divergent sur un point : la démonstration de Thierry BONNEAU vise à rejeter les travaux de Christian MOULY, alors que celle de Pierre FLEURY-LE GROS vise quant à elle à corriger ce qu'il estime être des erreurs dans le rapport MOLFESSIS.

Si la valeur scientifique de ces principes est incontestable, ceux-ci n'ont toutefois pas été repris pas le droit positif. L'explication est ici très simple : comment un droit qui ne reconnaît pas l'existence en son sein de règles d'origine jurisprudentielle pourrait il reprendre des thèses partant du postulat, quand bien même elles ne le feraient qu'en raisonnant par l'absurde, que la jurisprudence serait source de droit ?

§ II / Critique de la conception déclarative de la jurisprudence : l'existence d'une norme jurisprudentielle rétroactive.

La conception classique de l'office du juge enferme le juge dans un « statut constitutionnel »117(*) qui non seulement l'empêche de créer une norme jurisprudentielle, mais l'empêche également de produire autre chose qu'une interprétation de la norme législative. Cet interdit supposé respecté est l'une des prémisses du raisonnement classique concernant le rapport de la « norme » jurisprudentielle au temps.

Mais cette conception d'un juge neutre dans son action, simple « bouche de la loi », a été assez tôt remise en cause par une partie de la doctrine. Or, dès lors que la norme jurisprudentielle retrouve une existence (que celle-ci soit ou pas légitime) , la question se pose de son rapport au temps, et la conclusion est sa rétroactivité naturelle (A) .

Cette conception de l'existence d'une norme jurisprudentielle, comme nous l'avons vu, n'a pas empêché la Cour de Cassation de réaffirmer la conception classique de l'office du juge et d'en tirer les conséquences. Pourtant, des « craquements », pour reprendre l'expression du Professeur Philippe JESTAZ118(*), apparaissent en plusieurs domaines. Surtout, cette jurisprudence est menacée par les engagements internationaux de la France (B) .

A. La remise en cause de la conception classique de l'office du juge et ses conséquences.

Comme nous l'avons dit, l'une des prémisses du raisonnement classique - l'inexistence de normes d'origine jurisprudentielle - a été contestée par une partie de la doctrine, qui n'y voit qu'un mythe (1) . La conséquence de cette insertion dans la hiérarchie des normes est de permettre la mise en évidence d'un « conflit entre jurisprudences successives »119(*) (2)

1) L`inadéquation de la pratique jurisprudentielle avec son statut

Les conceptions de l'office du juge diffèrent, mais elles partent toutes de la constatation de la normativité, au moins de fait, de la jurisprudence (a) . Cette constatation ne peut pas ne pas être sans conséquences pour notre sujet (b) .

Toutefois, Nous ne reprendrons là encore que les grandes lignes de ce débat, en tant qu'elles ont une incidence sur la prémisse du raisonnement classique concernant le rapport de la jurisprudence au temps.

a. le « désenchantement » de la doctrine

a.1) La remise en cause des postulats classiques : L'expression de « désenchantement » est de Denys de BECHILLON120(*). Elle traduit probablement bien l'état d'esprit apparu avec le temps chez une grande partie de la doctrine moderne, état d'esprit résumé par le Doyen Paul ROUBIER, « la doctrine contemporaine est devenue plus réaliste : elle a pris contact avec les formations coutumières de la jurisprudence ; elle y voit en général une source du droit moderne, quelques-uns disent même la seule source du droit coutumier moderne »121(*). C'est ainsi que, dès 1967, le Professeur Henri BATIFFOL a pu commencer sa « note sur les revirements de jurisprudence »122(*) par l'affirmation suivante : « les discussions sur le point de savoir si la jurisprudence est source de droit ont beaucoup plus pour objet aujourd'hui le choix entre les raisons de répondre affirmativement que l'hésitation sur l'affirmative ».

Cet état d'esprit a d'ailleurs atteint la Cour de Cassation lui-même, puisque, comme nous le verrons, les professionnels du droit doivent, sous peine de voir leur responsabilité engagée, avoir une connaissance aussi grande de la loi que de la jurisprudence. Mais c'est probablement aller un peu vite dans notre démonstration.

Comme nous le disions, une grande partie de la doctrine voit aujourd'hui dans la jurisprudence plus que la simple révélation, grâce à la découverte par le juge, de ce qui ne serait qu'une vérité juridique préexistante au jugement, et ce grâce à un acte d'interprétation. Elle y voit désormais une source de précédents, dans lesquels le juge donne non pas le sens de la norme législative, mais un sens à la norme législative. Ici est en cause l'idée d'une inadéquation entre le statut de la jurisprudence et le comportement réel des juges qui la font123(*).

Une source de précédents, tout d'abord. L'absence de précédents était à l'origine, comme nous l'avons dit, de la distinction entre arrêts de principes et arrêts de règlement, les premiers restant dans l'ombre de la loi, et n'ayant pas cette force obligatoire qui lierait tant les destinataires de ces principes que les juges qui l'ont rendu eux-même.

Or, cette distinction, aussi importante soit-elle en tant que fondement de notre droit, ne correspondrait pas à la pratique judiciaire, car pourquoi établir un principe si ce n'est pour le faire respecter dans d'autres arrêts ? Citant les écrits de A. RIEG - « Il est incontestable que, par leur formulation, ces décisions se présentent comme de véritables arrêts de règlement »124(*) - à propos des arrêts de principe, Bernard BEIGNIER écrit que « dans l'arrêt de cassation pour violation de la loi, l'attendu de principe, précédé du visa en guise d'appariteur, laisse tomber d'emblée l'argument d'autorité dont dépend le raisonnement qui va suivre : c'est l'assurance du dominicain ; dans l'arrêt de cassation pour défaut de base légale, il revêt la forme la plus modeste de la fine question : c'est l'habileté du jésuite. « Dans tous les cas, il semble se détacher de l'espèce pour se présenter comme le règlement permanent de toutes les difficultés analogues que prohibe l'article 5 du code civil »125(*). Mais l'arrêt de principe ne sera déclaré tel qu'au vu de sa postérité. C'est précisément là qu'est le caractère réglementaire occulte de l'arrêt de principe. Le « chapeau » devient l'accessoire obligé du « visa ». Et alors que la cour de Cassation se garde bien de citer sa propre jurisprudence, elle en reprend toutefois constamment le contenu : le résultat est identique. »126(*)

« Bref, « non seulement le revirement est rétroactif, mais encore, il débouche en fait, sur une variété d'arrêts de règlement : ce que la Cour de Cassation a dit une première fois, elle risque fort de le redire pour tous les autres litiges qui lui seront soumis, ce qui vaut a fortiori pour les juridictions du fond soumises à son contrôle » 127(*). L'opposant au juge Anglais, Laurent-Xavier SIMONEL explique que « si le juge français croit devoir trouver, dans les décisions précédentes adoptées par d'autres juges ou dans ses propres précédents, la source de la décision à rendre, alors il doit faire preuve d'une discrétion totale. Il lui faut accepter de s'impliquer directement, là et quand il juge, en faisant totalement siens les raisonnements et les solutions déjà retenus, par une incorporation qui va devoir nier l'histoire judiciaire en cause, pour la réduire à néant. S'il découvre une « ratio decidendi » suffisante, qu'il l'applique mais qu'il ne le dise jamais »128(*).

Opposant plus loin le « devoir d'amnésie » auquel est soumis le juge Français par rapport à « l'obligation qui est faite à son homologue Anglais d'habiter son temps », il explique que cette « amnésie contrainte et absolue est contredite par la réalité du processus juridictionnel, dont l'on peut penser qu'il se nourrit nécessairement d'une mémoire collective, d'une histoire commune composée par la succession, qu'il faut rendre cohérente, des faits historiques que constituent les décisions précédentes rendues dans des litiges similaires ou comparables. Cette réalité-là est bien traduite par les écritures prises, dans le procès, par les avocats, pour les parties. Les conclusions soumises aux juridictions judiciaires ou les mémoires déposés devant les juridictions administratives assoient toujours leurs principaux arguments sur des décisions jurisprudentielles identifiées, dont les termes ou les commentaires auxquels ils ont donné lieu sont souvent intégralement reproduits. »129(*)

Mais cette remarque vaut également pour les avocats-généraux de la Cour de Cassation, chargés de rendre compte des préoccupations qui devront être celles des magistrats durant leur délibéré :« Les conclusions du parquet général devant la Cour de cassation ou du commissaire du gouvernement devant les formations contentieuses du Conseil d'État restituent le litige et son issue possible dans la continuité d'une véritable « doctrine de la Cour » très proche de la « judicial doctrine » mise en oeuvre par le juge anglais. Une véritable opinion personnelle y est exprimée, parfaitement enracinée dans le déroulement linéaire du temps judiciaire, reposant sur les constructions juridiques de la « ratio decidendi », rappelant parfois certains «dicta » utiles, et proposant la solution en l'inscrivant dans le futur, en en présentant les conséquences prévisibles et en proposant une évaluation de son impact sur l'ordonnancement juridique ».130(*)

« Ce n'est pas là seulement l'effet de l'interprétation de règles ou de solutions antérieures. Ce n'est pas l'effet d'une découverte de solutions ou d'interprétations préexistantes que la Cour de Cassation révèlerait. C'est là l'effet de toute décision dont le contenu est admis au-delà du cercle des parties au litige. Dès lors qu'une décision de la Cour de Cassation est reconnue par les juridictions inférieures comme une ligne à suivre, elle a un effet normatif. Dès lors que cette décision instaure l'unité de la jurisprudence, et s'impose par l'autorité morale et hiérarchique de son auteur, elle devient norme. L'effet normatif donne une efficacité erga omnes à la solution de droit que contiennent certains arrêts des cours supérieures et concrétise la fonction unificatrice de la Cour de Cassation131(*).

Car pour cette partie de la doctrine, il y a plus grave : la Cour de Cassation n'est pas censée faire autre-chose qu'interpréter les règles mises en place par législateur afin d'en révéler le sens. Or, là encore, des auteurs de plus en plus nombreux n'y voient qu'un mythe ; le pouvoir d'interpréter la norme donnerait au juge le pouvoir de la refaire, pouvoir dont il use dans le cadre de politiques législatives liées autant à un contexte socio-économique qu'au sens de la règle de droit, comme avait pu l'expliquer Henri BATIFFOL : « Le magistrat penché objectivement sur le problème qui lui est soumis a conscience d'une dualité inéluctable : la droit s'élabore à partir d'une analyse des réalités, mais ne peut faire abstraction des résultats auxquels aboutissent les conséquences de l'analyse » 132(*).

Par ailleurs, « entendue comme la signification d'un acte, la norme vaut avant tout dans les termes où on la comprend. De sorte que l'interprète, bas situé pourtant, dit en fait la Loi ; bien plus que le législateur lui-même. »133(*) L'interprétation consiste donc parfois non en un acte de révélation, mais en un choix entre plusieurs interprétations possibles qu'aucun critère objectif ne permet de départager.

Evoquant les arrêts de principe comme n'étant rien d'autre que des « arrêts de règlement déguisés »134(*), le Professeur Catherine PUIGELIER cite ainsi Olivier TOURNAFOND à propos de ces « arrêts de règlement déguisés », « dans lesquels on retrouve deux éléments : un texte de loi elliptique ou ambigu ; une volonté législative putative en ce sens que la Cour de Cassation prête au législateur sa propre volonté pour en tirer méthodiquement un certain nombre de conséquences. Mais dans certains cas, la volonté du juge apparaît au grand jour et n'hésite pas à dénaturer le texte initial »135(*).

MM MARTY et RAYANAUD avaient ainsi pu résumer les fonctions « réelles » de la jurisprudence : « 1. la jurisprudence crée du droit par le seul fait qu'elle applique la loi. La loi très souvent s'en tient à des directives très générales, c'est l'application jurisprudentielle qui en précise les contours. Par exemple : l'article 1382 qui déclare qui déclare qu'on est responsable du dommage qu'on cause par sa faute, mais qui ne définit pas la faute. Les tribunaux ont à se demander dans chaque cas s'il y a faute ; lorsqu'un certain nombre de décisions concordantes ont dit qu'il y a faute à se conduire d'une certaine façon, la notion de faute se trouve précisée pour tous les cas semblables.

2. La jurisprudence crée le droit de façon beaucoup plus visible encore lorsqu'en présence d'un texte insuffisant ou vieilli, elle le complète ou le rajeunit par une interprétation déformante, par exemple l'interprétation constructive de l'article 1384, alinéa 1er, pour organiser la responsabilité des choses inanimées insuffisamment réglées par le code.

3. Enfin, a fortiori, la jurisprudence crée des règles juridiques lorsqu'elle fournit les solutions en l'absence de toute règle préexistante »136(*)

Le processus de création du droit par le juge reste d'ailleurs en partie un phénomène non seulement naturel mais aussi bénéfique du point de la sécurité juridique, comme l'explique le Professeur Petr MUZNY137(*) : la loi étant le plus souvent écrite en des termes assez généraux pour englober un certain nombre de situations, le juge, dans son travail de concrétisation de la norme, ajoutera des éléments qui serviront à l'observateur ayant besoin de critères pour déterminer dans quels cas la loi est applicable à la situation qu'il étudie.

Mais sur cette question, on citera aussi les travaux de David JACOTOT138(*), étudiant précisément un arrêt de la Cour de Cassation sous l'angle de la méthode du juge : « L'on peut comprendre que la jurisprudence fasse oeuvre créatrice lorsque la loi est obscure, désuète, ou encore en l'absence de textes ou en présence de dispositions contradictoires ; en bref, pour remédier au déclin de la loi sociale. En revanche, quand le juge déforme des dispositions claires, la perplexité l'emporte. Telle est bien l'hypothèse de cet arrêt où les termes de la loi ne sont pas équivoques, ce qui n'empêche pas la Cour de Cassation de modifier le contenu de la loi. Mais la règle d'origine prétorienne mérite parfois d'être précisée ; elle engendre lors un processus de création de nouvelles règles jurisprudentielles que les juges rattachent très naturellement à la loi dont le contenu ne cesse de s'étirer ».

Quant à Patrick MORVAN139(*), il va jusqu'à expliquer que « la thèse selon laquelle, en droit Français, la jurisprudence crée du droit trouve un impressionnant renfort dans la jurisprudence qui élabore des principes contra legem. », évoquant ensuite « quelques exemples illustres dont ne pourra contester le caractère... illégal ». Du reste, le juge « détient le pouvoir de restreindre la portée de la loi jusqu'au point de l'évincer complètement ».

Comment cette remise en cause des théories classiques a-t-elle pris de l'importance ? Le Professeur Pierre MAYER l'explique avec franchise : « Ce qui compte pour les individus ( et par voie de conséquence pour la façon dont la société fonctionne effectivement) , ce n'est pas le processus, situé en amont de leurs comportements, par lequel des normes ont été valablement posées, mais ce qui, en aval peut être prédit des effets attachés à ce comportement. Si une règle a été adoptée, conformément par la Constitution, par le législateur, mais que les tribunaux, de façon constante, en ont, sans que la Constitution leur en ait pourtant donné le pouvoir, déformé le sens (par exemple pour l'adapter à une évolution des moeurs) , ce que chacun, juriste ou simple particulier, considère comme la règle positive est celle que les tribunaux appliquent. Non parce qu'ils l'ont appliquée : qu'importeraient aujourd'hui, en eux-mêmes, quelques errements passés de la jurisprudence s'ils ne devaient pas se reproduire ? mais parce qu'ils vont l'appliquer, ou plus exactement parce que, au vu de la façon dont ils ont statué dans un passé récent, on peut raisonnablement prédire qu'ils vont établir une relation d'imputation entre une situation-type et un effet-type. On énonce la règle, légitimement, au présent, sur la base d'une prédiction, selon laquelle les juges vont faire leur la relation d'imputation qu'elle énonce »140(*).

C'est ainsi que Catherine PUIGELIER résume les choses : « le juge de cassation, qui dispose donc d'une procédure autoritaire [la cassation] lui permettant de préserver sa doctrine tout comme pourrait le faire un juge au cours d'un parcours judiciaire favorable à l'arrêt de règlement, accompagne son autorité d'un raisonnement, tel que celui-ci est dégagé par l'ouverture en cassation, suffisamment souple destiné aux revirements de jurisprudence nécessaires, mais également à fournir à ses décisions une coloration juridique irréprochable ; le plus remarquable étant le fait que la cour régulatrice condamne l'arrêt de règlement ou le grief d'origine prétorienne alors qu'elle repose sa position sur ce premier »141(*). La distinction entre arrêts de principe et arrêts de règlement ne pourrait finalement être éclairée que par la psychologie, plus particulièrement le cognitivisme142(*)

a.2) Le mode d'action du juge : Cette vision du pouvoir créateur du juge ne peut évidemment être dégagée de toute idée d'interprétation : c'est dans le cadre même de sa mission d'interprétation que la jurisprudence a pu établir des règles de droit : par son action dans les cas individuels, le juge crée une norme susceptible de s'appliquer au-delà du litige pour lequel cette solution a été créée. « La jurisprudence de la Cour de Cassation est faite de cette lente remontée du contentieux qui se nourrit des conflits et des stratégies de chacun. Elle se construit peut-être par tâtonnements, attentive à la résistance des juges du fond. Elle tiendra compte de l'avis de la doctrine : la fin de l'autolicenciement est un bon exemple de dialectique constructive. La critique doctrinale a conduit la Cour de Cassation à, selon son rapport annuel, « réfléchir de nouveau à la pertinence de sa première interprétation »143(*). La source jurisprudentielle a un avantage sur les autres : elle peut affiner son discours, rechercher progressivement la meilleure formulation, c'est-à-dire rechercher la sécurité par l'insécurité.»144(*)

Le pouvoir créateur doit d'ailleurs de ce point de vue être fortement relativisé : non seulement il ne peut surmonter totalement les « infirmités jurisprudentielles »145(*), mais il ne pourrait, même en le voulant, donner lieu à un « gouvernement des juges »146(*), si l'on en croit Denys de BECHILLON. Le juge est tout au plus un « législateur négatif »147(*), et ce point même est discutable.

Mais il n'empêche : pour toute une partie de la doctrine, c'est donc bien un pouvoir créateur qui se dessine. Loin de la vision d'un juge qui ne ferait que révéler le droit, l'action du juge viserait donc bien à construire, à partir des cas individuels des règles : « la règle de droit est d'abord une règle, c'est-à-dire une disposition abstraite, soit générale dans l'espace et permanente dans le temps, supposant une virtualité d'application à un nombre indéfini d'hypothèses futures. La norme jurisprudentielle présente bien ces caractères de la règle ; bien plus, on est conduit à observer que la norme jurisprudentielle n'a pas sur ce plan d'effets différents de ceux produits par la norme légale. Comme celle-ci, elle a en effet vocation à s'appliquer dans l'avenir à toutes les personnes qui viendront à se trouver dans la situation qu'elle envisage et réglemente. »148(*).

Plusieurs tentatives ont été faites pour rationaliser le phénomène jurisprudentiel. Si les secondes visaient à proposer une nouvelle approche scientifique du phénomène, les premières ont visé à l'insertion de la jurisprudence parmi les sources du droit.

Les premières partent de cette perception de la jurisprudence comme source de droit en fait. Si certains auteurs, comme le dit Olivier DUPEYROUX, se contentent de cette affirmation, estimant qu' « il est aussi vain de rechercher en quelque sorte le titre juridique de telles règles, que celui d'un passager clandestin »149(*), d'autres vont plus loin dans cette réflexion. On évoquera ici les principales thèses.

« Une première étape de leur recherche les conduit généralement à observer que les obstacles théoriques classiques à la reconnaissance de la jurisprudence comme source de droit ne sont pas absolument déterminants »150(*), et ce sur le fondement d'un critère formaliste151(*). Si le juge ne peut s'ériger en législateur, et si le système du précédent est rendu impossible par l'autorité de la chose jugée, ces auteurs estiment toutefois que l'interdiction du déni de justice permet de justifier l'intervention du juge au delà de la cause pour laquelle il se prononce.

Ces interdictions n'ayant plus la même force, plusieurs fondements ont été avancés pour l'action du juge. La première est l' « assimilation de celle-ci à la coutume, qui est traditionnellement admise au nombre des sources du droit », notamment par PLANIOL et LAMBERT.

Une autre tentative de justification est faite par Jacques MAURY : « deux éléments donnent, par leur réunion, à la règle jurisprudentielle, le caractère de source de norme juridique établie : la décision du pouvoir que sont les tribunaux, l'assentiment, le consensus des intéressés »152(*) A coté de cette thèse pluraliste, la thèse de Marcel WALINE, selon laquelle le législateur, en ne « combattant » pas la jurisprudence, ne s'oppose pas à son entrée dans la hiérarchie des normes.

On doit enfin évoquer une tentative faite par le Professeur René CHAPUS pour la jurisprudence administrative : il leur reconnaît une valeur « infra-législative » et « supra-décrétale », la loi s'imposant au juge mais pas les actes de l'exécutif, qu'il peut être chargé d'annuler153(*).

Enfin, l'approche scientifique la plus récente est proposée notamment par Michel TROPER, et a pris pour objet de recherche la nature réelle de l'interprétation opérée par le juge. La « théorie réaliste de l'interprétation » analyse certes le travail du juge comme un travail d'interprétation, mais le sens du terme interprétation n'est pas ici le même : « 1) l'interprétation est une fonction de la volonté et non de la connaissance. 2) elle n'a pas pour objet des normes mais des énoncés ou des faits. 3) elle confère à celui qui l'exerce un pouvoir spécifique. »154(*) Ces postulats ont pour conséquence la remise en cause de l'analyse hiérarchique classique, et entre autre de la supériorité de la loi sur le juge. En apparence, la hiérarchie des normes est saine, mais il y a en réalité une dualité : d'un coté, un « univers de discours et d'apparence », qui est la forme d'expression de la volonté de l'interprète, et de l'autre un univers « strictement réel et factuel »  sur lequel va « reposer l'essence du phénomène juridique dans son ensemble »155(*).

L'interprétation donnera donc le sens de la norme, sans que ce sens soit nécessairement conforme à celui qu'avait voulu lui donner le législateur à l'origine156(*). L'interprète est libre pour poser cette norme, et le seul contrôle qu'il peut recevoir dans son action est issu d'éléments extra-juridiques : les cadres de pensée et d'action auxquels doivent se conformer l'interprète, les « rapports de force ou de coopération », ... « Il y a à cela une raison simple, mais imparable : le pouvoir du juge repose d'abord sur un fait de force, pur et radical. Est souverain celui qui a le dernier mot. Le juge donc celui qui peut, dans l'efficacité la plus totale, s'affranchir des contraintes qui sont éventuellement susceptibles de peser sur lui à l'heure de donner au texte une signification au détriment d'une autre »157(*).

Denys de BECHILLON résume ainsi les propositions de Michel TROPER : « l'interprète est le seul auteur de la norme ; l'interprète n'est pas lié par une norme prétendument supérieure ; l'interprétation fonde donc une hiérarchie réelle, globalement inverse de la hiérarchie apparente »158(*). L'analyse scientifique du droit devient donc une analyse mi-juridique, mi-politique, et le juge, dans une certaine mesure devient un acteur doté d'un pouvoir créateur non-négligeable, et non plus seulement investi de la mission de révéler une vérité juridique qui préexisterait au jugement.

On rappellera simplement qu'il ne s'agit pas d'une tentative de légitimation du phénomène jurisprudentiel, ni d'une tentative de le faire entrer dans la hiérarchie des normes159(*), mais d'une approche scientifique d'un phénomène juridique.

b. Les conséquences : la remise en cause du raisonnement classique.

Ainsi s'élabore une vision de l'office du juge censée être dégagée de tout mythe, à partir de l'idée d'une inadéquation entre le statut de la jurisprudence et sa pratique réelle. C'est là la première étape d'un travail de sape : comment en effet continuer à soutenir le raisonnement selon lequel la jurisprudence n'existe pas et que, par conséquent, aucun droit transitoire ne peut lui être consacré et dans le même temps théoriser une pratique jurisprudentielle toujours plus vivante ?

Il est nécessaire, à ce stade, de préciser que nous ne nous intéressons pas encore, à proprement parler, au champ d'application de la règle jurisprudentielle. Mais la remise en cause des principes classiques concernant l'office du juge est à examiner sous l'angle du raisonnement classique et de son point de départ.

Le droit transitoire destiné à la jurisprudence était classiquement un non-sens : il n'y avait aucun intérêt, il n'y avait pas même de logique, à réglementer quelque chose qui n'existait pas. Mais la remise en cause de l'office du juge fondée sur cette idée d'inadéquation entre son office statutaire et son office réel remet également an cause toutes les conséquences de cette inexistence, et en premier lieu l'inutilité de la réflexion sur un droit transitoire jurisprudentiel. Classiquement, peu importe qu'il n'y ait rien de prévu pour les précédents puisque toute référence au précédent est interdite. Mais le problème se pose dans d'autres termes si le précédent réapparaît.

Mais il y a plus grave : si la jurisprudence n'est qu'une interprétation de la règle de droit, il n'y a donc pas rétroactivité de la règle jurisprudentielle mais simplement déclarativité ; mais ce « désenchantement » d'une partie de la doctrine conduit à remettre ce raisonnement en cause : si le juge a un rôle plus actif que la simple recherche de ce qui est simplement obscur, alors le pouvoir du juge n'est pas un pouvoir révélateur mais un pouvoir créateur, et le produit de son action est une norme à part entière. Thierry BONNEAU lui même explique ainsi que l' « effet déclaratif permet d'expliquer l'application d'une nouvelle jurisprudence aux faits qui sont à l'origine de la décision qui l'exprime, il paraît en revanche inapte à expliquer son application par des décisions postérieures à des faits similaires. Certes, les arrêts de règlement sont interdits : ce ne devrait donc pas être parce que des décisions uniformes se répètent que l'explication devrait être différente. Toutefois cette vision paraît bien artificielle à une époque où l'on admet le caractère normatif des règles jurisprudentielles. Aussi doit-on considérer que la nouvelle jurisprudence se détache des faits qui en ont été à l'origine et qu'ainsi l'effet déclaratif ne permet plus d'expliquer l'application de la nouvelle jurisprudence à des faits antérieurs. »160(*)

Par ailleurs, si la norme jurisprudentielle (quelle que soit la nature de cette norme) s'inscrit, comme nous l'avons dit, dans des politiques législatives liées autant à un contexte socio-économique qu'au sens de la règle de droit, alors la jurisprudence est liée à une époque ; elle essaie de devenir le reflet de ces préoccupations et de ces impératifs, et de s'adapter à ses impératifs autant que d'imposer le droit aux justiciables. Or, les préoccupations et les impératifs évoluent, la jurisprudence devient obsolète, et il devient nécessaire de changer les normes jurisprudentielles. Aujourd'hui, peu d'auteurs pensent même à reprocher à la Cour de cassation d'avoir affirmé qu'il n'y a pas de droit acquis à une jurisprudence figée. L'affirmation, en soi, est heureuse, l'adaptation du droit étant un signe de vie.

Mais si la jurisprudence est placée hors du temps, alors elle s'appliquera à des faits pour lesquels elle n'a pas été prévue : liée à une époque, elle est indissociable de ses valeurs, et l'appliquer à des situations passées contient un danger expliqué par William DROSS161(*), critiquant l'affirmation selon laquelle « l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés »162(*) : « l'interprétation - ou l'affirmation - d'une norme par le juge, loin de ne pouvoir être différente selon l'époque des faits considérés, se doit au contraire de l'être. La mission du juge est, en l'absence de loi, de trancher le litige selon ce qui est juste, et cela non pas selon ce qui est juste dans la société Française au moment où il se prononce, mais selon ce qui était juste dans la société Française au moment où le comportement contesté a eu lieu. N'oublions pas que, idéalement, le litige devrait être dénoué immédiatement et non après dix années de procédure. Surtout, c'est cette manière de raisonner qui fonde seule ce lien indissociable entre le litige et la règle de droit créée pour le résoudre et qui permet à la Cour de Cassation de respecter pleinement l'article 5 du code civil. Contrairement à ce qu'elle affirme, l'interprétation d'une même norme peut être différente selon l'époque des faits considérés, parce que ce qui apparaît comme juste aujourd'hui dans la société Française ne l'était pas nécessairement quelques dix ans plus tôt »163(*)

Or, de ce point de vue, il peut être assez dangereux de juger des faits d'après une jurisprudence qui sera faite pour une autre époque. C'est d'ailleurs ce qu'explique le Professeur Denys de BECHILLON à propos de la règle prétorienne de responsabilité, naturellement élaborée à rebours du temps dans le présent pour des faits passés164(*) : « En responsabilité, c'est le passé que l'on juge. Et on le fait toujours à la lumière du présent et ses preuves. » Le problème est encore plus grave lorsque la règle apparaît longtemps après le dommage, car les données et les opinions de l'époque peuvent être fondamentalement différentes : « plus le temps passe, plus la distance cognitive s'installe vis-à-vis des catégories de pensée qui régnaient au moment des faits. Jusqu'à les rendre incompréhensible ».

L'idée du pouvoir créateur du juge, même de fait, a donc un effet profondément déstabilisateur sur le raisonnement classique concernant la rapport de la jurisprudence au temps : en attaquant sa première prémisse, elle mine également le point de départ du raisonnement. La remise en cause de la conception classique du juge n'est donc pas un phénomène à prendre à la légère pour le sujet qui nous occupe car elle n'est rien de moins que la remise en cause de tout la construction dans laquelle le juge s'insère pour appréhender - ou pas - ses précédents.

Pour nous résumer, la question posée par les classiques est la suivante : quel sens aurait une réflexion orientée vers la maîtrise dans le temps de ce qui ne doit pas exister ? L'interrogation à laquelle arrive une partie de la doctrine moderne est aujourd'hui : pourquoi maintenir hors du temps ce qui existe de fait ?

Cette réflexion portée sur la maîtrise de quelque chose qui n'existe qu'en dehors de la hiérarchie des normes - qui ne peut exister qu'en dehors de la hiérarchie des normes, nous dit Denys de BECHILLON165(*) - a tout de même un défaut : le débat portant dans deux optiques différentes sur deux aspects différents du droit - d'un coté, le fait, d'un autre coté le droit - ne peut mettre en évidence que l'inadéquation du fait au droit. Mais le schéma imposé par le « statut constitutionnel du juge » reste en soi inattaquable.

C'est dans cette optique que doivent s'analyser les tentatives faites par la doctrine pour insérer les règles jurisprudentielles. A partir du moment où l'on insère la jurisprudence dans les sources du droit, qui plus est d'une façon qui est censée être légitime, il devient impossible d'éviter la réflexion sur un éventuel droit transitoire destiné à la jurisprudence, car cette réflexion devient alors une obligation pour les acteurs du droit : si l'existence d'une norme suppose de lui voir associée certaines garanties, et notamment de déterminer précisément son insertion temporelle dans la hiérarchie des normes, alors l'insertion de la jurisprudence dans la hiérarchie des normes - en dessous des règles édictées par le législateur, en dessous, ou même sur un plan différent comme l'explique Patrick MORVAN166(*) - oblige à entamer une réflexion sur la façon dont elle s'insère dans l'ordonnancement juridique, tant au niveau individuel qu'au niveau collectif.

Nous n'estimons pas à cette étape de notre démonstration, qu'il est nécessaire de mettre en place un droit transitoire pour la jurisprudence afin de moduler dans le temps les effets des arrêts de principe, voire de façon plus restrictive des revirements de jurisprudence. Nous ne nous prononçons d'ailleurs pas plus sur les mérites des différentes thèses. Mais l'évolution du débat pour une partie de la doctrine a conduit celle-ci à cette simple réflexion : si la jurisprudence a un pouvoir créateur, alors le système classique bâti sur la notion de déclarativité, parfaitement adapté pour une situation d'inexistence de la jurisprudence, devient sans objet et il de devient nécessaire de le remplacer. Pour le remplacer, une réflexion sur l'effet de la jurisprudence dans le temps est inévitable, et peut éventuellement mener à proposer un droit transitoire pour régler le problème de son insertion temporelle dans l'ordonnancement juridique.

L'idée est aussi, implicitement, qu'une règle doit présenter certaines garanties quant aux personnes dont elle régit les droits. Le principe de légalité, dans le domaine de la loi, oblige le juge à faire application de la loi telle qu'elle existait au moment des faits, et non pas de la loi, telle qu'elle existe au moment du jugement. On doit alors prévoir comment cette norme s'insère dans l'ordonnancement juridique, donc connaître précisément le champ d'application de cette norme, ce qui conduit alors à mettre en place un droit transitoire pour définir précisément le champ d'application de cette norme. Si la jurisprudence est source de droit, alors un droit transitoire devrait être prévu, dans l'optique que nous venons d'expliquer, pour la norme produite par la jurisprudence.

Quoi qu'il en soit, c'est finalement la position adoptée par le Rapport MOLFESSIS, ne s'intéressant toutefois, en définitive qu'aux seuls revirements de jurisprudence et non à toutes les décisions par lesquelles la cour de Cassation crée du droit : « la question ici soulevée n'est pas de savoir s'il est opportun que la Cour de Cassation crée des règles. Il n'est pas douteux qu'elle possède un tel pouvoir créateur et en use en diverses circonstances. Les décisions par lesquelles elle pose un nouveau principe ou encore retient une interprétation innovante, distincte de celle qui prévalait jusque-là, ont indéniablement vocation à avoir un effet normatif Dès lors que la portée créatrice de ses décisions est admise, on doit en prendre acte pour envisager dans quelle mesure l'effet rétroactif qui y est attaché est, ou non, source d'insécurité juridique. C'est à cette seule condition qu'il sera éventuellement possible d'y porter remède.

Ainsi, le groupe de travail a-t-il estimé que la fiction de l'absence d'effet créateur de droit de la décision de revirement faisait obstacle, par hypothèse, à toute possibilité de remédier aux inconvénients qui pourraient y être attachés, et que la seule possibilité d'améliorer éventuellement un système juridique au sein duquel la jurisprudence joue un rôle prépondérant est de reconnaître l'existence d'un tel rôle pour en permettre l'aménagement. »167(*)

Deux arguments sont ici ajoutés : d'une part, la prise en compte du pouvoir créateur de la jurisprudence serait non seulement compatible, mais dictée par l'évolution des rapports entre les pouvoirs dans le système juridique : « Nécessaire dans un système juridique qui repose tout entier sur l'affirmation de la suprématie de la loi et sur son exclusivisme, la négation du rôle créateur de la jurisprudence n'est plus justifiée dans un système qui veut s'intéresser à l'insertion des règles qui ont cours en son sein. L'attention croissante portée à la connaissance des règles et, plus généralement à la sécurité juridique, impose de lever la fiction de l'absence de pouvoir normatif de la jurisprudence. Elle ne saurait être soustraite, par statut, au contrôle croissant des règles qui caractérise les systèmes juridiques rationalisés »168(*)

Le deuxième argument est le suivant : la remise en cause de la « fiction » de l'absence de pouvoir créateur du juge pourrait être faite sans danger : « la légitimité des acteurs juridiques ne tient pas au respect intangible d'une distribution théorique des compétences normatives qui contraindraient, au cas présent, à faire un départ tranché entre la loi et le juge. Il faut prendre en compte l'acceptabilité sociale des fictions juridiques et ne pas négliger le réalisme que le traitement des phénomènes juridiques réclame. Parce que le juge n'est pas la bouche figée de la loi, il n'est pas possible que le système juridique dans son entier se comporte, sans nuance et toujours, comme s'il l'était. Admettre son pouvoir n'est pas ouvrir sur un « Gouvernement des juges » qui ferait retour à une conception avec laquelle les révolutionnaires ont voulu, il y a plusieurs siècles, rompre. La profondeur d'ancrage de l'Etat de droit dans notre pays, avec ce qu'elle suppose de solidité et de stabilité des institutions démocratiques, permet sans nul doute aujourd'hui de composer avec le dogme d'un juge serviteur de la loi169(*). Et ce d'autant plus que force restera toujours aux institutions démocratiquement élues puisque le législateur, voire s'il le faut le constituant, peuvent toujours décider de s'opposer au pouvoir normatif du juge. Dans les sociétés démocratiques, les évolutions juridiques s'opèrent toujours sous réserve : le souverain peut dresser un lit de justice, selon la formule du Doyen VEDEL, s'il entend avoir le dernier mot »170(*).

Il est regrettable, toutefois, que le rapport MOLFESSIS se soit contenté d'admettre le pouvoir créateur de la jurisprudence sans en préciser le fondement, ainsi que les caractéristiques de la règle prétorienne : « Concrètement, comment différer les effets du revirement, Théoriquement, comment le juge judiciaire crée-t-il de nouvelles règles, Il serait doux de penser que la première question est urgente quand la seconde pourra se bonifier avec le temps. Toutefois, s'aventurer dans l'exercice d'un pouvoir créateur sans avoir fait un choix théorique sur sa nature exacte relève plutôt de la précipitation imprudente, certes compréhensible après des années d'inhibition, mais non moins hasardeuse. »171(*)

Tout cela passe également par une réflexion approfondie sur son champ d'application. Nous avons déjà évoqué sur cette question les travaux de Thierry BONNEAU et de Pierre FLEURY-LE GROS ; d'autres travaux, plus anciens, partent toutefois sur des bases différentes, arrivant bien sûr à des conclusion différentes, que nous allons maintenant expliquer.

2) La rétroactivité naturelle de la jurisprudence.

a. La détermination du champ d'application de la jurisprudence nouvelle.

Ici, deux règles sont à prendre en compte : la règle nouvelle et la règle ancienne, à l'exclusion, bien sûr, de la règle écrite qui en fournit le support. La règle ancienne était le droit positif à l'époque des faits qui ont donné lieu au litige. L'acte - ou, par exemple, les faits - en cause est donc soumis à un certain régime substantiel le jour où il est pris. A ce moment là, la légalité de l'acte s'appréciera d'après cette règle ancienne. C'est cette règle, par comparaison avec la loi, qui devrait être appliquée par le juge, et elle l'aurait été si la jurisprudence n'avait pas évolué depuis. Mais en raison du changement dans la règle jurisprudentielle, c'est une nouvelle règle qui est appliquée par la jurisprudence au moment où le juge se prononce, la règle ancienne étant anéantie.

C'est ici qu'intervient une différence entre le droit écrit et le droit jurisprudentiel : le droit écrit est un droit de l'a priori ; il est écrit pour des faits qui se dérouleront en principe dans le futur - sauf le cas de la rétroactivité, mais c'est alors le fruit d'une volonté du législateur. La règle est, bien sûr écrite en pensant aux multiples hypothèses que recouvrent son application future, et ce en fonction de ce qui est observable dans le présent, mais il s`agit bien d'évènements postérieurs à l'intervention de la règle. De ce point de vue, le droit applicable à une situation peut donc bien rester donc celui qui était en vigueur au moment des faits en cause.

Le droit jurisprudentiel, quant à lui ne peut pas se permettre les mêmes précautions : la règle jurisprudentielle est faite pour - ou du moins à partir - des faits qui ont donné lieu au litige, qui se sont déroulés dans le passé. Le juge ne peut donc que créer et appliquer la règle nouvelle en même temps, pour les mêmes faits. C'est ici un droit de l'a posteriori, fait pour des faits concrets et passés, et non pas un droit fait a priori, pour s'appliquer de façon abstraite et hypothétique à des faits futurs.

« Le juge ne statue que sur le passé, un passé qui, par ses conséquences, se prolonge dans le présent, certes ; mais l'acte juridique ou le fait matériel sur lequel le juge se prononce se situe dans le temps (on s'excuse d'annoncer cette vérité de La Palisse !) , avant le jugement.

Or, le juge n'a pas d'autre occasion de poser une règle nouvelle ou de modifier sa règle antérieure que la solution des litiges qui lui sont soumis. L'arrêt de règlement n'ayant pas cours dans notre droit, il n'y a pour le juge qu'une technique de formulation plus ou moins explicite de la règle de droit : il énonce, dans les considérants, de façon plus ou moins explicite, la formule générale dont il va déduire la solution du cas particulier qui lui a été soumis. »172(*)

C'est d'ailleurs ce qui motive et justifie l'intervention du juge : si le règlement du litige passe par un acte de création, l'application de cette règle nouvelle se fait pour le litige qui justifie l'intervention du juge et auquel était destinée la règle nouvellement créée. De plus, l'adoption de la règle serait, autrement, dépourvue de légitimité.

Mais la conclusion est alors l'application de la règle nouvelle à des faits qui se sont déroulés avant l'intervention du juge : « Il en résulte nécessairement que, dans la mesure où le juge procède ainsi, en vertu de son pouvoir normatif, à une modification de la règle antérieure, la règle nouvelle va produire effet, non à partir du jugement, dont le prononcé lui confère l'existence, mais à l'égard des faits ou des actes sur lesquels il statue. Or, au moment où le fait s'est déroulé, où l'acte a été pris, la règle jurisprudentielle était, par hypothèse, fixée dans un certain sens. Ce n'est cependant pas cette règle, en vigueur à l'origine du litige, qui lui sera appliquée, mais celle que le juge lui substituera au terme de celui-ci. Il y a donc bien rétroactivité de la règle jurisprudentielle, non seulement à l'égard des données du litige à propos duquel elle a été élaborée, mais encore, dans la mesure où le juge s'en tiendra à la nouvelle règle, à l'égard de tous les litiges semblables dont il a été saisi avant la décision qui fait jurisprudence, et qui seront tranchés postérieurement à celle-ci »173(*).

Deux éléments son donc ici à distinguer : d'une part, la rétroactivité, d'autre part le caractère systématique de cette rétroactivité. Pour les auteurs dont nous expliquons ici les idées, le fait même que la jurisprudence s'applique à des faits qui se sont passés avant l'apparition de cette règle dans le droit positif, à une époque où une autre règle était en vigueur, suffit à démontrer sa rétroactivité. L'élément essentiel est ici le fait qu'une règle nouvelle en évince une autre pour le passé. Comme l'explique le Professeur Marie-Anne FRISON-ROCHE, « si la jurisprudence est de fait une source de droit, alors, au moment où elle émet une règle, qui s'appliquera dans tous les cas analogues, elle modifie les règles de droit ayant vocation à régir tous les litiges qui seront tranchés par les juges, même les faits constitués antérieurement à l'innovation jurisprudentielle, dès lors qu'ils n'ont pas fait l'objet d'un jugement définitif. »174(*)

Ainsi encore, le Professeur Nicolas MOLFESSIS : « la tare majeure du revirement de jurisprudence réside dans le fait qu'il saisit dans son orbe des situations constituées ou en cours de constitution - pour reprendre le langage de ROUBIER - en un temps qui ignorait, par hypothèse la solution nouvelle. D'où le fait qu'une personne va être responsable alors qu'à l'époque des faits, elle ne l'aurait pas été... »175(*).

Il faut noter que l'appréciation du caractère rétroactif du revirement se fait, dans une certaine mesure, par opposition à la théorie de la déclarativité et de l'incorporation à la loi. C'est par exemple dans cette optique que Pierre VOIRIN176(*) entreprend sa démonstration177(*).

La rétroactivité a ensuite un caractère systématique : tout revirement, en tant qu'il écarte, par l'effet même de son mode d'intervention, la solution en vigueur au moment des faits au profit d'une solution adoptée ultérieurement, a naturellement un effet rétroactif. Or, comme nous l'avons dit, cet aspect naturel de la rétroactivité est renforcé par l'absence de choix pour le juge : si le juge choisit d'adopter une nouvelle règle, il ne peut pas ne pas l'appliquer à la cause pour laquelle elle est créée et ensuite pour toutes les affaires qui lui seront présentées par la suite.

« la technique de création ou de modification de la norme par le juge, dans ses manifestations les plus typiques, suppose nécessairement l'application de la norme aux données - éventuellement antérieures - qui fournissent l'occasion de l'énoncer. On ne saurait concevoir, en effet, une dissociation entre création et application : le juge ne peut, dans un seul et même arrêt, formuler une règle nouvelle, et appliquer, à la solution de l'espèce, la règle antérieure, car la seule justification de son pouvoir normatif réside précisément dans la nécessité où il se trouve de donner, à la décision qu'il va prendre, le fondement d'une règle générale. Il y a là une différence essentielle entre l'édiction de la règle par l'autorité législative ou réglementaire, et son élaboration jurisprudentielle, notamment lorsqu'il s'agit de substituer une règle à celle qui s'appliquait antérieurement. »178(*)

Il est intéressant de rappeler ici les travaux de Thierry BONNEAU et de Pierre FLEURY-LE GROS, qui visaient précisément à contester cette vision de la rétroactivité par l'utilisation des critères du droit transitoire pour la loi179(*). On peut par ailleurs faire remarquer que ces arguments, même s'ils peuvent éviter l'emploi intempestif du concept de rétroactivité, n'ont pas pour conclusion l'absence de rétroactivité ; la conclusion est donc ici que, s'il n'y a pas systématiquement rétroactivité, celle ci existe dans un nombre considérable de cas.

Ce schéma, cependant, doit être nuancé : il ne s'applique qu'aux revirements de jurisprudence et non à tous les arrêts de principe. « Il ne s'applique pleinement qu'aux décisions proprement novatrices : celles qui consacrent une règle nouvelle là où aucune ne s'applique, celles qui renversent une règle antérieure. Là où la décision met fin à l'incertitude du droit préexistant ou encore apporte le point final à une évolution dont chaque terme ne constitue pas, pris isolément, une modification du droit antérieur, le phénomène qu'on analyse s'estompe jusqu'à s'évanouir. »180(*)

La démonstration de Pierre VOIRIN est encore plus tranchée sur ce point : « Le revirement n'a pas le monopôle de ces inconvénients. Une jurisprudence naissante les produit également, lorsqu'elle condamne une pratique constante, peut-être même une coutume sur la foi de laquelle se sont constituées des situations qu'on croyait inébranlables et qui, soudain, se trouvent remises en question. (...) Mais une pratique, fût-elle tenue pour un coutume, est sans force lorsqu'elle tend à faire tomber la loi (...) en désuétude. Si la Cour de cassation avait été saisie plus tôt, elle n'aurait pas manqué de couper court à ces errements de la pratique. Aussi ne peut-on assimiler à un revirement la réaction tardive de la jurisprudence contre de tels errements. Le revirement seul corrode la présomption de vérité attachée à la chose jugée. Du moins, dans les deux cas, la sécurité des justiciables est ébranlée. »181(*)

b. La nécessité d'un droit transitoire adapté

Partant de la mise en évidence de ce champ d'application, deux conclusions ont pu être faites. Certains auteurs ont estimé, par analogie avec les solutions des conflits de lois dans le temps et à partir d'un a priori défavorable vis-à-vis de la rétroactivité, qu'un système de droit transitoire devait être mis en place. C'est notamment l'opinion de Christian MOULY, évoquant « l'insoutenable rétroactivité » des revirements de jurisprudence : « dans un état de droit, où les solutions juridiques tracent le paysage dans lequel chaque individu détermine ses prévisions et ses actions, seules sont admissibles des normes et solutions connues de tous au moment où les prévisions sont formées et les actions engagées. Les normes ne doivent pas être rétroactives, car la rétroactivité fausse les données ; elle spolie ceux qui se sont engagés en fonction de l'état du droit antérieur ; elle mine la prévisibilité et bafoue la croyance commune. Elle porte atteinte au principe supérieur de sécurité juridique, dont la Cour Européenne des Droits de l'Homme fait grand cas.

C'est pourquoi les normes législatives et administratives sont soumises au principe de non-rétroactivité. Même les changements de doctrine administrative n'opèrent que pour l'avenir. 

Ce contexte rend moins admissibles l'imprévisibilité qui affecte les solutions jurisprudentielles. Elle est liée à l'insuffisance des débats qui les précèdent, à l'insuffisance de leur motivation et à l'insuffisance de leur publicité. Quant aux revirements de jurisprudence, leur rétroactivité est pire que celle des autres arrêts puisqu'elles conduit à sanctionner ceux-là même qui se sont conformés au droit antérieur. Elle devient insoutenable.»182(*)

Dans le même sens, on peut citer Christophe RADE183(*) : « Pour les justiciables, il importe peu de savoir si la règle nouvelle qu'on lui impose rétroactivement résulte de l'adoption d'une loi nouvelle ou d'un changement dans l'interprétation jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux hypothèses, le litige est en effet tranché par application d'une règle de droit, pure ou interprétée, dont le justiciable n'avait pas eu connaissance au moment des faits et dont il n'a pas pu, par hypothèse, tenir compte dans ses prévisions. La Cour de Cassation ne peut donc, à son égard, se retrancher derrière une lecture aussi formelle de l'office du juge. »

Sur cette question, le Doyen CARONNIER lui même va jusqu'à écrire que « l'article 2 n'a visé que les lois. Mais le droit d'aujourd'hui en grande partie est devenu jurisprudentiel. Or, les jurisprudences nouvelles, parce que ce sont des interprétations sont inévitablement rétroactives. Il faudrait introduire dans l'article 2 un complément garantissant les justiciables contre les changements de jurisprudence. L'article 80 A du Code des procédures fiscales est un modèle : ne déclare-t-il pas inopposables aux redevables les changements d'interprétation de l'Administration ? »184(*)

Ici, il n'y a pas à proprement parler mise en évidence d'un conflit entre jurisprudences. Mais la rétroactivité étant en soi un mal, il est nécessaire de trouver un moyen de l'éviter. C'est dans cette optique qu'une comparaison s'impose avec les conflits de loi dans le temps : si le principe de non-rétroactivité s'impose en matière législative, et si un droit transitoire permet de déterminer précisément le champ d'application de la loi nouvelle, alors il devient nécessaire de mettre en place un droit transitoire équivalent pour la jurisprudence - sans l'asseoir nécessairement sur les mêmes principes - pour déterminer quand une jurisprudence nouvelle peut être invoquée s'agissant de faits passée, et quand elle doit être écartée

C'est dans cette optique que Christian MOULY propose d'adopter un système de modulation dans le temps des effets des revirements de jurisprudence, propositions reprises en grande partie par le rapport MOLFESSIS. Sans entrer dans le détail de ces propositions, nous pouvons dire que celles-ci sont inspirées par les pratiques adoptées par plusieurs systèmes juridiques étrangers, ainsi que par les Cours de Strasbourg et de Luxembourg. Ce système a été présenté sous le nom de « revirement pour l'avenir », par référence à l'expression employée devant la Cour Suprême des.Etats-Unis : « prospective overruling ».

Elles partent de la possibilité de créer un système de droit transitoire analogue par rapport à celui des normes législatives, mais sans être exactement le même, puisque ces normes ne sont pas les mêmes.

Ce système de modulation des effets des revirements de jurisprudence, véritable « droit transitoire des arrêts de principe et de revirement »185(*), serait assis sur le principe de rétroactivité de la norme jurisprudentielle, mais en permettant au juge de déroger exceptionnellement à ce principe pour en éviter des effets négatifs et excessifs. Il y aurait donc deux étapes dans le raisonnement du juge : d'une part, l'annonce du principe nouveau ; d'autre part, la décision de ne pas appliquer ce principe nouveau à la cause sur laquelle le juge se prononce. L'entrée en vigueur du principe nouveau serait donc reculée dans le temps.

En construisant ce droit transitoire dans l'optique d'un remède aux effets des revirements, les propositions de Christian MOULY ne visent pas à une réflexion approfondie sur l'insertion dans le temps de la norme jurisprudentielle elle-même. C'est sur ce point que ses propositions divergent par rapport à celles du Doyen ROUBIER. Celui-ci propose en effet, à partir d'une réflexion sur la nature de la norme jurisprudentielle, de construire un système de droit transitoire pour la jurisprudence à partir de la mise en évidence d'un conflits de jurisprudence dans le temps.

« Le régime de la loi a atteint son apogée, au point qu'on en est arrivé un moment à considérer que le droit était tout entier contenu dans la loi. Etant donné cette manière de voir, on ne peut être surpris de constater que le droit transitoire n'ait envisagé que les changements de législation, et nullement les changements de jurisprudence. C'est en effet une règle certaine de notre droit Français qu'il ne peut y avoir de conflit entre des jurisprudences successives : une jurisprudence nouvelle s'applique toujours dans tous les procès nouveaux, sans que l'on prenne en considération la date à laquelle les faits se sont produits, et quand bien même ces faits seraient antérieurs au changement de jurisprudence. Le motif est bien simple : on se refuse à voir autre-chose dans les arrêts qu'une simple interprétation de la loi, et cette interprétation n'a pas d'autorité au delà de la cause dans laquelle elle est donnée. Ce point de vue a été donné avec vigueur par TRONCHET, à la séance du 14 Messidor an IV du Conseil des anciens : ce que les arrêts ont admis, d'autres arrêts peuvent le rejeter ; donc il n'y a pas de changement dans la règle de droit, il y a seulement des divergences entre les solutions des interprètes. Mais disons aussi que la doctrine contemporaine est devenue plus réaliste ; elle y voit en général une source du droit moderne, quelques-uns disent même la seule source du droit coutumier moderne.

La question se posera peut-être alors de savoir s'il ne serait pas possible de prévoir, et de régler, les conflits entre des jurisprudences successives. Nous avons admis, il est vrai, qu'il n'y avait pas de conflit lors d'un changement de coutume ; mais la jurisprudence moderne ne peut être comparée aux formations juridiques inconscientes des coutumes primitives ; elle suppose au contraire un travail actif du juge, appliqué à un règlement, aussi heureux que possible, de la lutte des intérêts ; lorsqu'elle supplée aux lacunes de la législation, son oeuvre est toute d'initiative et de volonté. Sans doute elle est plus asservie aux nécessités pratiques que le travail législatif ; cependant elle représente aussi un choix entre plusieurs directions, qui pouvaient être également suivies. D'autre part, les changements de jurisprudence sont connus et commentés comme les loi nouvelles. N'y aurait-il pas lieu, dans ces conditions, de définir les portée d'application des jurisprudences nouvelles ? »186(*)

En partant du point de vue de l'existence d'une norme jurisprudentielle, il serait possible de chercher à mettre en évidence le conflit entre deux jurisprudences : si l'existence d'une norme est admise, alors il est nécessaire de réfléchir à son champ d'application ; il est alors possible que la norme en vigueur au moment des faits aie vocation à s'appliquer à ces faits. L'application - souvent, si ce n'est systématiquement - rétroactive d'une norme créerait un conflit entre ces deux normes ; la mise en place d'un droit transitoire - probablement élaboré, là encore à partir ou en tenant compte des caractéristiques bien spécifiques de cette norme - permettraient de régler ou d'éviter ce conflit187(*).

B. Evolution du droit positif : les changements dans les postulats classiques.

1) L'évolution de la doctrine de la Cour de Cassation : l'admission d'exceptions au principe de la neutralité du juge.

a. Les « craquements » dans la jurisprudence.

La Cour de cassation, en deux occasions, a porté atteinte à l'unité de sa doctrine sur l'interprétation. En premier lieu, sa jurisprudence récente a provoqué une dualité dans le régime de l'interprétation. En second lieu, elle admet depuis longtemps que la jurisprudence puisse être source de droit dans un domaine précis.

a.1) Dualité du régime de l'interprétation : Cette dualité dans le régime de l'interprétation est le résultat de l'unification récente du régime des lois rétroactives. La Cour de Cassation, se conformant en la matière aux exigences de la Cour Européenne des Droits de l'Homme188(*), a entrepris depuis plusieurs années, de restreindre la possibilité pour le législateur d'adopter des lois rétroactives, et ce plus particulièrement dans le domaine des lois de validation, où le risque d'une ingérence dans l'exercice du pouvoir judiciaire est particulièrement grande189(*). Les évolutions de la matière, aussi intéressantes soient-elles pour les droits fondamentaux, paraissent pourtant a priori étrangères au sujet qui nous occupe, la rétroactivité de la loi n'étant pas celle de la jurisprudence.

Pourtant, une évolution s'est faite récemment en ce domaine, qui intéresse indirectement la doctrine de la Cour de Cassation sur l'interprétation jurisprudentielle. Traditionnellement, la loi interprétative était considérée comme naturellement rétroactive : « jusqu'alors, parmi toutes les hypothèses de rétroactivité en matière civile, la loi interprétative faisait figure d'exception. Par la grâce de son caractère interprétatif, la rétroactivité serait ici « naturelle »190(*), « nécessaire »191(*) ; la loi nouvelle prendrait corps, elle s'incorporerait, elle se fondrait dans la loi interprétée, et les deux règles n'en formeraient plus qu'une. Cette fusion des textes opèrera fusion des effets dans le temps : la loi interprétative s'appliquera au jour d'entrée en vigueur de la loi interprétée ; l'abrogation de la loi interprétée emportera abrogation de la loi interprétative. Cet effacement de la loi interprétative comme loi nouvelle, loin d'être une vue de l'esprit, emporte une rétroactivité d'autant plus forte qu'elle est censée ne pas être. Ainsi, la loi interprétative est appliquée aux instances en cours, y compris celles pendantes devant la Cour de Cassation192(*), et a autorisé l'application rétroactive d'une loi pénale plus sévère193(*). »194(*) Cette rétroactivité naturelle justifie donc un contrôle judiciaire strict, mais la constatation de son caractère interprétatif aura pour conséquence automatique sa rétroactivité.

Cette conception traditionnelle de la loi interprétative a été remise en cause par un arrêt d'Assemblée Plénière du 23 janvier 2004195(*) dans lequel la Cour de Cassation « modifie la nature des lois interprétatives pour les considérer comme des lois nouvelles définitivement avérées. Dès lors, aux conséquences découlant de l'effet rétroactif naturel vont se substituer les conséquences de l'effet rétroactif intentionnel. La loi pénale interprétative se verra soumise aux règles de rétroactivité de la matière ; la loi interprétative civile ne pourra être invoquée directement la Cour de Cassation. Enfin, le contrôle judiciaire de la qualification d' « interprétatif » devient secondaire, voire indifférent, puisque dénué d'effet dans le temps. En revanche, les lois interprétatives sont dorénavant soumises au principe de non-rétroactivité. Pour y déroger, il faut donc rechercher dans le texte de loi ou dans les travaux préparatoires la volonté de faire rétroagir la loi et l'impérieux motif d'intérêt général l'autorisant. On ne saurait être plus clair que l'arrêt commenté : les exigences imposées aux lois rétroactives « s'appliquent quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi » ; l'application rétroactive ne pouvant se justifier d'un impérieux motif d'intérêt général ni même d'une intention de faire rétroagir doit être écartée par le juge « peu important qu'elle ait été qualifiée d'interprétative »196(*).

Cette unification du régime des lois rétroactives laisse toutefois place à une dualité dans le régime de l'interprétation : jusqu'à présent, l'interprétation faite par le juge et celle faite par le législateur étaient soumises au même régime de rétroactivité, l'effet dans le temps découlant dans les deux cas du caractère déclaratif : la loi interprétative, tout comme la jurisprudence ne venaient que préciser ce qui était déjà prévu par une loi qui n'était qu'obscure. Sur ce point, le Doyen ROUBIER va plus loin encore : pour lui, l'explication de la rétroactivité de la loi interprétative ne se trouvait pas dans son caractère déclaratif, reposant non sur une fiction, mais dans un parallèle avec la jurisprudence : la loi interprétative serait interprétative comme l'est la jurisprudence...197(*)

« Désormais, l'interprétation de la loi se retrouve dans une situation paradoxale : l'une, opérée par le législateur, officielle, toute puissante, agirait comme une véritable nouvelle norme et serait soumise au principe de non-rétroactivité ; l'autre, produit du juge, réelle, nécessaire, ne serait pas nouvelle norme et ne pourrait en aucun cas être autre que rétroactive. Certes, les choses ne sont pas égales, par ailleurs : pour interprétative qu'elle soit, la loi reste loi198(*). Pourtant, au regard du droit Européen à l'aune duquel la rétroactivité est contrôlée, la jurisprudence n'est pas moins loi199(*). La position actuelle de la Cour de Cassation souffre ici d'une dissonance : pourtant ouverte ailleurs aux positions de la cour Européenne, elle rechigne toujours à intégrer la reconnaissance Européenne de la jurisprudence comme source de droit et la possibilité de sa non-rétroactivité200(*) »201(*)

Si « la construction idéologique de notre système se satisfait depuis longtemps de grandes ambiguïtés autour du statut de l'interprétation »202(*), la scission du régime de l'interprétation entre un acte normatif non-rétroactif et un acte d'autorité qui demeure déclaratif, qui n'est encore assise que sur un critère organique, pose un problème logique dans l'optique d'une jurisprudence qui serait source de droit : comment justifier que ce qui, pour l'un des créateurs du droit, reste rétroactif par nature, témoigne d'une « déloyauté sanctionnable », constitutive d'une atteinte à la séparation des pouvoirs, pour un autre pouvoir203(*).

C'est en ce sens que s'est prononcé le Rapport MOLFESSIS : évoquant cette évolution jurisprudentielle, le rapport poursuit : « la Cour de Cassation a ainsi refoulé la fiction du caractère déclaratif des lois interprétatives qui justifiait, jusqu'alors, qu'elles produisent des effets dans le passé. Comment admettre, dès lors, qu'elle puisse continuer à donner corps avec autant de constance à la fiction du caractère déclaratif des ses propres décisions lorsque ce sont les changements même de ses décision qui déterminent l'état du droit applicable ? »204(*)

a.2) La prise en compte de la jurisprudence en tant que source du droit dans le cadre de la responsabilité des professionnels du droit : Nous nous intéressons ici à un arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de Cassation le 7 mars 2006205(*) dans une affaire de manquement d'un notaire à son devoir de conseil concernant l'état du droit positif. Plus précisément, il était reproché au notaire de ne pas avoir prévu un revirement de jurisprudence. En la matière, la Cour de Cassation estime depuis longtemps que la jurisprudence fait partie du droit positif que les professionnels du droit se doivent de connaître206(*).

Elle a trouvé l'occasion de réaffirmer cette position de façon particulièrement claire : « les juges du fond auraient dû « rechercher si, eu égard aux textes applicables, l'état du droit positif existant à l'époque de l'intervention du notaire et de l'agent immobilier, fixé par l'arrêt du 27 mars 1985, ne procédait pas d'une évolution antérieure apparue dès un arrêt de la Cour de Cassation du 27 décembre 1983 (...) , de sorte qu'il leur incombait, soit de déconseiller l'opération litigieuse, soit, à tout le moins, d'avertir le preneur quant à la validité d'un paiement mis à la charge du preneur entrant ». Ici,  « la cassation ne tient donc pas à l'étendue du devoir de conseil du notaire : il est désormais bien acquis qu'il recouvre l'état du droit positif existant à l'époque de l'intervention, cet état incluant les revirements de jurisprudence passés. La censure repose sur une mauvaise datation par les juges du fond de la solution jurisprudentielle. »207(*). le notaire se devait de connaître non seulement les revirements de jurisprudence, mais également les évolutions en cours ; en l'espèce, le notaire aurait du prévoir qu'un revirement de jurisprudence allait bientôt intervenir, celui-ci ayant été rendu prévisible par l'intervention d'au moins un arrêt d'espèce adoptant une solution différente. La solution est donc plus sévère que celle adoptée dans un arrêt du 25 novembre 1997208(*).

Ce qui est intéressant ici est de voir que la Cour de Cassation admet que la jurisprudence appartient au droit positif. Cela ne veut pas dire que le revirement lie les justiciables pour l'avenir, violant ainsi la prohibition des arrêts de règlement ; Les revirements passés, donc les précédents « ne sont pas mentionnés en tant qu'ils lient les juges mais en ce qu'ils permettent, en retraçant le développement de la jurisprudence, de dater celle-ci pour apprécier l'éventuel manquement du professionnel (...) . L'arrêt transcende donc le cas, non en contemplation des espèces à venir, ce qui lui est formellement interdit, mais au regard rétrospectif des espèces passées. »209(*)

Le principe est étonnant, quand on sait que la Cour de Cassation refuse de prendre en compte les précédents s'agissant de donner un effet rétroactif à ces solutions nouvelles. En la matière, on sait que « l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés et nul ne peut se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée »210(*). Ici, c'est encore la première prémisse du raisonnement qui devrait être ébranlée.

Il est vrai qu'une différence importante a pu être invoquée sur cette question, à partir d'un parallèle entre ces deux cas : « cette solution n'entre pas en contradiction avec celle qui a, récemment, mis à la charge d'un médecin une obligation d'information pour une époque où cette obligation n'était pas encore consacrée par la jurisprudence. Dans le cas du notaire, il s'agit seulement de savoir si celui-ci a fait une application correcte de la loi et l'on ne peut tenir compte que de celle qui existait au moment de son intervention. Dans le cas du médecin, le juge est seulement invité à dire, au moment où il se prononce, quelles obligations produit, selon la jurisprudence, le contrat que l'on invoque devant lui. Or, la jurisprudence a une fonction déclarative et non constitutive : ce qu'elle dit être la loi est censé avoir toujours été dit par elle. Au demeurant, lorsque cette solution a été affirmée pour la première fois, il est évident que l'intervention du médecin concerné avait été antérieure ! L'aspiration à une jurisprudence non rétroactive est, au moins dans notre tradition juridique, un voeu irréaliste. On pourrait résumer la différence entre le cas du notaire et celui du médecin en observant que, pour le premier, la règle de droit n'est que l'objet de son intervention, tandis que, pour le second, elle est le cadre de son action. »211(*)

b. Le refus de donner un effet rétroactif à une règle jurisprudentielle nouvelle

Nous examinerons cette solution plus en détail dans une deuxième section ; mais nous pouvons ici nous intéresser à un arrêt rendu par les deuxième chambre civile du 8 juillet 2004212(*) et par l'Assemblée Plénière le 21 décembre 2006213(*) venant confirmer cette solution.

Ces deux arrêts prennent place dans un mouvement d'unification de la procédure en matière d'atteinte à la présomption d'innocence. Une controverse existait depuis longtemps sur la question du point de départ du délai de prescription de certaines de ses infractions.

L'apport du premier arrêt « consiste à aligner la prescription des atteintes à la présomption d'innocence, prévues par l'art. 9-1 c. civ., et dont le délai est porté (...) dans le giron même de la loi sur la presse à l'art. 65-1, pour en faire un délai lui aussi d'ordre public. »214(*)

La controverse est ainsi résumée par Christophe BIGOT : « Dans le régime général de l'art. 65, la prescription se trouve acquise « après trois mois révolus » à compter soit du jour de la commission de l'infraction, soit du « jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait ». En revanche, s'agissant de l'art. 65-1 de la loi sur la presse qui s'applique à la prescription des actions fondées sur l'art. 9-1 c. civ., l'action doit être engagée « après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité ». Ces différences textuelles ont conduit dans un premier temps à s'interroger sur le point de savoir si on devait appliquer, sur le terrain de l'art. 65-1, les principes bien connus des praticiens pour l'application de l'art. 65, qui conduisent à réitérer de manière trimestrielle leur volonté de poursuivre l'action, l'introduction de celle-ci n'ayant pas, en cette matière, un effet interruptif de prescription pour l'ensemble du litige, contrairement au droit commun.

Dans un premier temps, peu après l'entrée en vigueur de la loi du 4 janv. 1993, la Cour d'appel de Paris avait estimé, dans un arrêt du 5 juill. 1994, que le demandeur devait faire en sorte que la prescription soit interrompue tous les trois mois en notifiant sa volonté de poursuivre, les dispositions de l'art. 65-1 de la loi sur la presse sanctionnant une liberté fondamentale protégée constitutionnellement étant d'interprétation stricte. Mais, dans un arrêt du 4 déc. 1996, la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation avait cassé cet arrêt en retenant une solution inverse et en jugeant qu'il suffisait que l'action soit engagée dans les trois mois de l'acte de publicité, sans que, dans la suite de la procédure, il y ait lieu à interrompre de nouveau tous les trois mois la prescription. Les juges du fond ont ensuite globalement statué dans le même sens. C'est cette dernière solution que la Cour de cassation remet aujourd'hui en cause dans son arrêt du 8 juill. 2004. »215(*)

En principe, la thèse de la déclarativité aurait du inciter la Cour de Cassation à appliquer la règle jurisprudentielle nouvelle à l'instance en cours : l'intervention du juge est neutre, comme nous l'avons dit, elle ne doit viser qu'à clarifier la loi, et n'est donc pas autonome ; elle s'incorpore à la loi, et l'entrée en vigueur de ce régime substantiel est donc la date d'entrée en vigueur de la loi interprétée. Le même jour, la même chambre a d'ailleurs réaffirmé cette solution : « les exigences de sécurité juridique et la protection de la confiance légitime invoquées pour contester l'application d'une solution restrictive du droit d'agir résultant d'une évolution jurisprudentielle, ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit »216(*).

Pourtant, la Cour de Cassation a choisi de retarder l'entrée en vigueur de cette règle jurisprudentielle nouvelle : « si c'est à tort que la cour d'appel a décidé que le demandeur n'avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales »217(*). Ce faisant, elle a accompli un revirement pour l'avenir.

Nous examinerons plus tard le procédé et les raisons qu'a eu la deuxième chambre civile d'adopter ce système, mais ce qui doit être mis en évidence ici, c'est le fait que la deuxième chambre civile a dû admettre l'existence d'une règle jurisprudentielle s'intégrant au droit positif de façon autonome, et non pas comme la clarification d'une loi obscure. Elle parle à ce sujet d'une « règle de prescription », même si elle n'en précise pas le fondement exact. C'est cette insertion dans le droit positif qui a permis d'en retarder l'application, au lieu de la faire rétroagir à la date d'entrée en vigueur de la loi comme l'aurait fait une simple interprétation de ce qui est obscur.

Le mécanisme a été repris par l'Assemblée Plénière de la Cour de Cassation le 21 décembre 2006 dans une autre affaire, mais avec un enjeu absolument identique: il s'agissait en l'espèce de la même controverse, et l'Assemblée Plénière aurait pu réaffirmer la solution ancienne, désavouant l'initiative de la deuxième chambre civile. Il n'en fut rien : « si c'est à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle constatait que Mme X... n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge ». On remarque d'ailleurs que la formulation est presque la même, et que la seule différence de formulation ne vise qu'à préciser le champ d'application de la solution nouvelle.

Toutefois, ce mécanisme, dans l'état actuel de la jurisprudence de la Cour de Cassation, est destiné à ne rester qu'un mécanisme d'exception permettant de ne pas priver le justiciable du droit d'accès au juge, et ce sur le fondement de l'article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme. Non seulement le mécanisme n'a pas été repris par les autres chambres, mais la solution classique a été réaffirmée par la Chambre Sociale - certes, avant l'arrêt de l'Assemblée Plénière.

2) L'affirmation d'une conception normative de la jurisprudence nationale par la Cour Européenne des Droits de l'Homme.

Là encore, nous aborderons la question de manière plus précise dans la deuxième section. Mais il faut ici mettre en évidence le fait que, comme l'explique Patrick MORVAN, « la Cour Européenne des Droits de l'Homme  a, la première, admis la jurisprudence nationale au rang des sources du droit positif. La présence en son sein de juristes de common law l'y incitait fortement »218(*). Cela ne passe pas, toutefois, par une assimilation pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc de légalité (lato sensu) »219(*), mais comme un accessoire obligatoire pour des raisons logiques.

Selon quel schéma la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme a-t-elle intégré la norme jurisprudentielle dans la droit positif ? Il s'agit d'une conséquence du principe de légalité220(*), mais aussi d'une affirmation logique221(*) : le droit ne peut pas être parfait, il a besoin d'être précisé même après l'entrée en vigueur de la norme.

Le principe de légalité implique notamment la qualité et la prévisibilité de la loi : « Comme la Cour l'a dit dans son arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993 (série A n° 260-A, p. 22, par. 52), l'article 7 (art. 7) ne se borne donc pas à prohiber l'application rétroactive du droit pénal au désavantage de l'accuséì: il consacre aussi, de manieÌre plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manieÌre extensive au désavantage de l'accuseì, notamment par analogie. Il en résulte qu'une infraction doit être clairement définie par la loi. »222(*)

Or, la cour estime par ailleurs que le droit ne peut être parfait. Dans l'affaire CANTONI, la Cour avait ainsi pu expliquer, à propos de la définition des médicaments, que « La Cour a déjàÌ constateì qu'en raison même du principe de généralité ì des lois, le libelléì de celles-ci ne peut présenter une précision absolue. L'une des techniques types de réglementation consiste aÌ recourir aÌ des catégories générales plutôt qu'aÌ des listes exhaustives. Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des choses de formules plus ou moins floues, afin d'éviter une rigiditéì excessive et de pouvoir s'adapter aux changements de situation. »223(*)

La jurisprudence peut alors être appelée à jouer un rôle d'interprétation de la loi ; ce faisant, l'interprétation sera intégrée au droit positif comme ayant précisé, voire ajouté à la norme législative. Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni, la Cour concluait : « La Cour a donc indiqué que la notion de "droit" ("law") utilisée à l'article 7 (art. 7) correspond à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention, notion qui englobe le droit écrit et non écrit et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de Prévisibilité. »224(*) Dans son paragraphe 34, elle précisait encore que « aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. D'ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique du Royaume-Uni comme des autres Etats parties àÌ la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement àÌ l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 (art. 7) de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilitéì pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire àÌ l'autre, aÌ condition que le résultat soit cohérent avec la substance de 'infraction et raisonnablement prévisible. »225(*)

Comme nous le verrons, la Cour a rappelé dans plusieurs affaires226(*) que l'appréciation de la qualité de la loi dépend des destinataires et des matières. Par conséquent, « La prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé. »227(*)

La norme jurisprudentielle doit donc répondre aux mêmes conditions de qualité que le droit écrit, tel que précisé par les affaires Sunday Times228(*) et MALONE229(*). C'est précisément l'intérêt de cette norme - préciser le droit écrit - , et ce principe n'est pas nouveau. Il résulte notamment des affaires KRUSLIN 230(*) et GEOUFFRE De La PRADELLE231(*). Comme l'explique Patrick MORVAN, « Les écoutes téléphoniques ordonnées par un juge d'instruction constituaient une pratique admise depuis 1980 par la Cour de Cassation sur le fragile fondement de l'article 81 du Code de procédure pénal. Leur validité était en réalité subordonnée à une série de conditions jurisprudentielles déduites des « principes généraux du droit ». Sûre de son fait, la chambre criminelle concluait que « ces dispositions répondent aux exigences résultant de l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits d l'Homme et des libertés fondamentales » consacrant le droit au respect de la vie privée. Mais la Cour de Strasbourg ruina cette belle certitude en déclarant que les écoutes téléphoniques constituaient une violation de ce même texte. Certes, concéda-t-elle, « l'ingérence litigieuse avait une base légale en droit Français » puisqu'il convient d'entendre « le terme « loi » dans son acception matérielle et non formelle » ; à ce titre, « on ne saurait faire abstraction d'une jurisprudence établie ». Mais cette base légale ne revêtait pas la « qualité » requise pour fonder valablement une restriction à un droit fondamental. Précisément, estime la Cour, « le droit Français, écrit et non écrit, n'indique pas avec assez de clarté l'étendue et les modalités du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré. »232(*)

C'est sur un raisonnement similaire que la France fut condamnée dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE : « l'extrême complexité du droit positif, telle qu'elle résulte de la combinaison de la législation (...) avec la jurisprudence était propre à créer un état d'insécurité juridique » privant le requérant « d'une possibilité claire, concrète et effective » d'accéder à un tribunal.

Or, c'est sur ce terrain que la France fut condamnée à deux reprises dans les affaires F.E. c. France233(*) et PESSINO c. France234(*), après que le principe eut été précisé explicitement dans les affaires C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, et CANTONI c. France, pour avoir appliqué à des justiciables des revirements de jurisprudence imprévisibles de façon rétroactive. Dans ces affaires, comme nous le verrons, l'intégration de la jurisprudence dans les sources du droit positif n'est pas le seul élément en cause. Il y a aussi un élément de qualité. Mais la première étape du raisonnement est de reconnaître à la jurisprudence le caractère de source de droit, même en étant qu'une source subsidiaire ou accessoire.

On peut encore préciser que la Cour de Strasbourg ne donne pas de fondement de la jurisprudence. Elle même estime que sa propre jurisprudence est fondée sur l'idée d'interprétation235(*). Il s'agit probablement d'une façon de respecter le principe de subsidiarité en laissant chaque état libre du fondement de sa jurisprudence. Mais ce faisant, elle oblige toutefois les Etats à inclure la jurisprudence dans les sources du droit, quel que soit le fondement, ce qui a des conséquences sur la rétroactivité des revirements de jurisprudence.

Dans la mesure où cette discussion prend pour départ le caractère normatif ou non de la règle jurisprudentielle, cette discussion est probablement vouée à l'échec. Comme le disait M. ESMEIN, le débat sur la question de savoir si la jurisprudence est source de droit ou pas « est sans issue car il faut répondre non ou oui suivant qu'on se place dans le champ des idées pures ou qu'on considère la réalité des faits »236(*). C'est en somme ce qu'a pu écrire Denys de BECHILLON237(*), pour qui les tenants de la déclarativité ont le défaut de se concentrer sur le droit applicable, donc ce qui devrait être, et à négliger l'expérience, donc ce qui est, tandis que ceux que l'on appelle aujourd'hui les « réalistes », par référence aux théories réalistes de l'interprétation, ont le défaut de ne penser qu'à ce qui est en oubliant ce qui devrait être. Pourtant, comme l'explique l'auteur, les deux courants sont plus complémentaires qu'opposés, chacun des deux se concentrant sur un angle d'étude et un aspect essentiel du travail du juge.

Mais les deux courants paraissent irréconciliable, et il paraît aujourd'hui bien difficile d'établir un droit transitoire pour la jurisprudence sur ces seuls débats logiques, du moins si l'on estime que ce débat doit être tranché avant de déterminer les solutions de ce droit transitoire, afin de pouvoir construire à partir de postulats fermes et universellement acceptés. Mais le débat sur la rétroactivité de la jurisprudence a évolué depuis quelques années ; la question de la nature de la jurisprudence est, dans une certaine mesure, placée au second plan, et une nouvelle préoccupation a permis au débat de prendre de l'ampleur : l'observation des effets de la jurisprudence. Dans une certaine mesure, c'est aujourd'hui essentiellement à partir des effets de la jurisprudence que les tenants du caractère normatif de la règle jurisprudentiel raisonnent, et cela a contribué à élargir le fossé entre leurs contradicteurs et eux.

Section II / Critique de la rétroactivité du revirement de jurisprudence d'après ses effets.

C'est ici la deuxième partie de la critique sur la rétroactivité du revirement de jurisprudence. Si la règle jurisprudentielle a fait l'objet de critiques du point de vue logique - partant de l'idée que, si la jurisprudence est source de droit, alors elle doit être accompagnée d'un droit transitoire adapté comme toute règle de droit émanant de la volonté d'une autorité -, elle a également fait l'objet de critiques du point de vue des effets de revirements de jurisprudence rétroactifs. Ces critiques sont de deux ordres : elles tiennent à l'effet de cette rétroactivité du point de vue de la sécurité juridique, d'une part, et d'autre part, à l'idée d'un dévoiement de la règle de droit (I) .

Ces critiques n'ont pas été sans influence sur la jurisprudence. Le critère des effets dévastateurs de la rétroactivité de la jurisprudence a inspiré tant les juges du Quai de l'Horloge que les juges de Strasbourg, même si leur doctrine a su se détacher des opinions qui les ont inspiré (II) .

§ I / Le critère des effets : un fondement de la critique scientifique.

Une partie de la doctrine a pu attribuer deux défauts au revirement rétroactif : le changement brutal de norme, sans limitation de l'effet de la norme nouvelle dans le temps est attentatoire à la sécurité juridique (A) ; le refus de limiter l'effet dans le temps de la règle jurisprudentielle nouvelle, à l'instar de la norme écrite, est une façon de dévoyer la règle de droit (B) . Bien qu'il n'y ait pas unanimité sur les solutions à y apporter, l'existence de ces effets, dans leur ensemble, est souvent admise.

A. Conséquences de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle du point de vue de la sécurité juridique.

La valeur de l'argument de l'effet de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle du point de vue de la sécurité juridique peut être apprécié de deux façons : l'argument peut être examiné d'un point de vue juridique (1) , et l'examen aboutira alors au rejet ; l'argument peut être envisagé comme un argument d'équité, voire d'opportunité (2) , et il ne sera pas sans poids.

1) La valeur de l'argument de la sécurité juridique du point de vue du droit.

a. L'invocation d'un principe qui s'impose au juge.

Cet argument a été invoqué à plusieurs reprises dans des pourvois devant la Cour de Cassation. L'argument peut alors être décomposé comme suit.

Le juge peut être appelé, dans son action, à adopter une position ferme sur une question de droit - quelle que soit la nature de cette position : précédent, coutume, phénomène d'autorité, ... Ce faisant, il permet aux justiciables de savoir comment il seront jugés sur cette question de droit. Ce faisant, le juge crée une norme -au sens premier de signification d'un . Cette position du juge a donc une valeur normative.

Les justiciables, pour fonder raisonnablement leurs projets, veillent à la conformité de ceux-ci avec le droit positif. Pour connaître le droit positif, ils examineront la position du juge et fonderont donc leurs actions sur cette position. La position du juge doit donc garder une certaine stabilité, dans les limites du raisonnable, pour respecter les prévisions légitimes que les justiciables ont pu fonder sur cette jurisprudence.

La sécurité juridique est un principe supérieur de notre droit. Un tel principe s'impose au juge. Le juge, par son comportement, ne peut pas porter atteinte à un principe supérieur de notre droit - sauf le cas de la conciliation entre impératifs supérieurs, comme c'est parfois le cas en matière de libertés publiques, par exemple, mais ce n'est pas le cas ici. Donc, il ne peut pas porter atteinte au principe de sécurité juridique. En tant que droit fondamental, le principe pourrait même faire échec à d'autres grands principes du droit.

En faisant évoluer sa position, le juge ne porte pas atteinte à la sécurité juridique. Un droit qui n'évolue pas, c'est un droit qui finit inévitablement par mourir.

Mais en faisant évoluer sa position rétroactivement, le juge porte atteinte à la nécessaire stabilité de sa norme, et donc également aux prévisions légitimes des justiciables ; il empêche les justiciables de se fonder sur une position ferme de sa part. Le juge, en adoptant une norme rétroactive, adopte donc un comportement qui porte atteinte à cet impératif de sécurité juridique qui s'impose à lui.

Le raisonnement est séduisant, d'autant plus que les juges Allemands, suivis par les juges Européens, ont adopté un raisonnement analogue pour fonder un principe de non-rétroactivité de la règle jurisprudentielle dans des cas exceptionnels238(*).

Mais ce raisonnement, pour séduisant qu'il soit, n'en est pas moins erroné du point de vue du juriste de droit privé Français.

b. L'absence de valeur juridique du principe de sécurité juridique en droit Français

Sur cette question, on peut tout d'abord évoquer la tentative de définition que fait Sylvia CALMES de la notion de sécurité juridique : « pour appréhender son contenu exact, l'approche qui paraît la plus adaptée à sa nature est une approche dynamique, de type temporel, qui peut, me semble-t-il, se décliner en trois propositions.

D'abord, dans l'optique de « prévoir », la sécurité juridique se décrit comme la « prévisibilité » - ou encore « calculabilité » - des mesures ou comportements à venir de la puissance publique, ceux-ci ne pouvant pas être susceptibles de survenir de façon totalement inattendue. Cette idée renvoie notamment au principe de légalité, aux changements annoncés par la jurisprudence, à la non-rétroactivité, aux mesures de transition, ou encore au principe de protection de la confiance légitime, reconnu en droits Allemand et en droit communautaire : le droit doit avoir une dimension prospective permettant aux personnes, avec un degré suffisant de certitude, de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes et de leurs actions.

Ensuite, dans l'optique de « savoir » - afin de « prévoir » - , la sécurité juridique présuppose une autre valeur absolue, l' « accessibilité » - ou « saisissabilité », « lisibilité » - qualitative qui, par son double sens formel et matériel, englobe la « palpabilité » et la « mesurabilité » des dispositions prise et des comportements adoptés. Il s'agit donc, d'une part, sur un plan formel, de leur publicité effective, adéquate et suffisante (« palpabilité » donc accès au droit - et aux droits-) . Il s'agit, d'autre part, sur un plan matériel, de leur motivation, de leur cohérence, de leur clarté et de leur précision (« mesurabilité ») .

Enfin, par un phénomène de boucle, à nouveau dans l'optique de « prévoir », la sécurité juridique exige la « stabilité » - ou continuité, constance, permanence, régularité - des situations en vigueur. Une fois émis, les mesures ou comportements peuvent certes être modifiés ou supprimés - cette exigence étant donc relative - , mais seulement selon certaines formes et sous certaines conditions strictement délimitées. Cette idée renvoie notamment aux forces de chose jugée et décidée, aux règles en matière de prescription, de forclusion, d'usucapion, aux validations législatives, au respect des droits acquis, ou à la protection de la confiance légitime là encore. Ces changements, quand ils sont autorisés par ces mécanismes stabilisateurs, doivent en outre être prévisibles, en vertu de la première proposition déjà présentée. »239(*)

On peut rappeler ensuite que les tentatives pour introduire un principe autonome de sécurité juridique - un principe supérieur qui s'imposerait même au juge, bien sûr - , similaire à celui existant en droit Allemand240(*) ne sont pas nouvelles en droit Français. L'idée a séduit de nombreux juristes Français, et plus particulièrement depuis les années 1980. Mais quel en est le résultat concret241(*) ?

En Droit Public, le résultat est mitigé. Le Conseil Constitutionnel en a certes fait un « principe constitutionnel clandestin mais efficient », pour reprendre l'expression de Bertrand MATHIEU242(*). A ce titre, il inspire l'action du juge constitutionnel - « le juge a, de fait, reconnu valeur constitutionnelle aux exigences qui en constituent la substance »243(*) - sans pour autant avoir reçu de consécration explicite244(*). Les usages de ce principe implicite sont variés : Le juge constitutionnel l'utilise ainsi pour veiller à la qualité de la loi, notamment à son accessibilité et à son intelligibilité, mais aussi sa normativité245(*), bref, à sa qualité ; aux « garanties légales devant entourer des exigences de valeur constitutionnelles », par exemple dans les domaines de la propriété ou de la liberté contractuelle ; ou encore dans le contrôle des lois de validation.

Le Conseil d'Etat, quant à lui, s'en est longtemps tenu à une attitude similaire, faisant de la sécurité juridique l'une de ses préoccupations sans jamais l'admettre246(*), sauf dans les matières régies par le droit communautaire, où un principe de confiance légitime a été expressément reconnu par le juge communautaire. Et si, en 2006, la haute-juridiction a reconnu un principe général de sécurité juridique par l'arrêt K.P.M.G.247(*), elle ne semble vouloir en faire usage qu'avec parcimonie et ne l'a pas appliqué à sa propre action.

En droit privé, la question a été traitée sur un mode analogue : la Cour de cassation en tient compte, mais, en quelques sortes, n'en introduit que des principes dérivés sans en faire un principe autonome. La Cour de cassation a ainsi introduit plusieurs principes qui en sont des manifestations pour des sujets particuliers, mais n'a jamais reconnu à un principe de sécurité juridique une valeur générale comme l'a fait le Conseil d'Etat - bien que certains arrêts dans des domaines particuliers aient pu utiliser l'expression pour en désigner des applications particulières.

« le principe de sécurité juridique trouve de multiples expressions dans des principes plus spécifiques tels que l'obligation pour le juge de statuer en fonction du droit applicable au jour de la demande, la non-rétroactivité des normes juridiques, l'effet obligatoire des conventions entre les parties, l'interprétation restrictive des textes d'incrimination, l'existence de délais de recours et de prescription, le principe de la confiance légitime. Un tel constat explique pourquoi le principe de la sécurité juridique « à l'état pur » se rencontre rarement exprimé dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La concision de la Cour de cassation, qui n'explique pas pourquoi elle choisit d'établir telle norme de droit plutôt qu'une autre est sans doute aussi à l'origine de cet état de fait »248(*).

En particulier, elle n'a jamais admis qu'un principe de sécurité juridique puisse s'imposer à la jurisprudence, même si, là encore, elle en fait l'une de ses préoccupations, ce qui explique le développement des moyens permettant de lutter contre l'imprévisibilité du revirement - obiter dicta, maîtrise de la publication des arrêts, annonce des revirements au rapport annuel, ... ou en reconnaissant au législateur la possibilité de valider des actes menacés par une jurisprudence nouvelle pour d'impérieux motifs d'intérêt général249(*).

Bref, loin d'être devenu, comme certains auteurs le prédisent pour un avenir proche, un principe autonome de notre droit, la sécurité juridique n'est, pour la Cour de Cassation, qu'une préoccupation qu'elle ne paraît pour le moment, pas prête à reconnaître ; une préoccupation, mais pas un objectif officiel ou un principe autonome. A fortiori, il ne s'agit pas d'un principe supérieur qui s'imposerait au juge - pas encore, du moins.

Revenons-en maintenant au problème précis de la rétroactivité des revirements de jurisprudence. Comme nous l'avons dit, de nombreux pourvois invoquaient l'argument de la sécurité juridique pour contester la validité de l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence : la Cour de cassation ayant exprimé une position sur une question de droit, des justiciables se sont fondés sur cette position pour leurs prévisions. Le principe de sécurité juridique leur donnerait le droit de se voir appliquer cette position sur laquelle leurs actions sont fondées.

Or, lorsque la Cour de cassation change sa position, elle le fait pour l'avenir, mais aussi pour le passé, ce qui remet en cause les prévisions faites sur sa jurisprudence antérieure. Elle évince donc la norme qu'elle appliquait au jour de l'action des requérants, au profit d'une norme apparue postérieurement, sur le fondement de laquelle ils ne pouvaient pas fonder leur action, puisque, par hypothèse, ils ne la connaissaient pas encore. Ce faisant, la Cour de Cassation adopte un comportement contraire à la sécurité juridique.

Ce raisonnement a notamment été invoqué250(*) devant la première chambre civile (arrêt rendu le 21 mars 2000), devant la deuxième chambre civile (arrêt rendu le 8 juillet 2004251(*)), devant la troisième chambre civile (arrêt rendu le 2 octobre 2002252(*)) , et devant la chambre sociale (arrêts rendus le 7 janvier 2003253(*), le 25 février 2004, et le 23 février 2005254(*)) . Dans tous les cas, la réponse de la Cour de Cassation fut la même : le principe de sécurité juridique ne pouvait fonder un « droit acquis à une jurisprudence figée », « immuable » , ou « constante », même quand il est invoqué sur le fondement de l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales255(*). N'ayant aucune valeur, ce principe ne pouvait pas aller contre deux autres principes qui, par ailleurs, étaient reconnus en droit français, à savoir le principe de la déclarativité de la jurisprudence, et la nécessaire évolutivité de la jurisprudence, « l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit ».

Parmi ces arrêts, celui rendu par la deuxième chambre civile est particulièrement intéressant. En effet, la deuxième chambre civile, le même jour, a accepté de limiter l'effet dans le temps d'une jurisprudence nouvelle en ne l'appliquant pas à des faits qui remontaient à avant le revirement256(*). Or, si elle a refusé l'argument de la sécurité juridique, elle a accepté, sur le fondement du droit à l'accès au juge, reconnu par l'article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Refusé sur le fondement de la sécurité juridique pour des faits analogues - un revirement de jurisprudence sur une question de prescription empêche le requérant de défendre sa cause devant un juge - , la limitation de l'effet de l'arrêt de revirement « changeant la règle du jeu en cours de partie » est acceptée au nom d'un principe radicalement différent257(*). Ce qui confirme que la Cour de cassation refuse de prendre en compte l'argument de la sécurité juridique à propos de la rétroactivité du changement de jurisprudence, alors qu'au moins l'une de ses chambres admet un autre fondement.

2) La sécurité juridique invoquée du point de vue de l'opportunité ou de l'équité.

Il convient tout d'abord de rappeler que, pour les auteurs comme pour le rapport MOLFESSIS, le revirement de jurisprudence n'est pas en soi un phénomène négatif. En abordant la question des « conséquences néfastes attachées à la rétroactivité des revirements de jurisprudence » , le dit-rapport rappelle cette profession de foi : « Evoquer les conséquences néfastes de la rétroactivité des revirements de jurisprudence ne signifie pas qu'il faille condamner les revirements eux-mêmes. Le groupe de travail a entendu souligner la nécessité qu'il y a de distinguer les revirements et leurs effets.

Les revirements de jurisprudence sont la manifestation de la vie du droit, le signe de son adaptation aux faits. Un droit sans revirement de jurisprudence - à supposer l'hypothèse envisageable, ce qui n'est pas - serait au fond un droit entièrement sclérosé. Comme l'a affirmé Yves CHARTIER : « les revirements font partie de la Cour de cassation, comme d'ailleurs des autres juridictions. Une jurisprudence qui ne se modifie pas est une jurisprudence qui se dessèche. Que serait devenu le droit de la responsabilité si la Cour de cassation n'avait pas pu adapter aux circonstances les vieux textes du Code civil ? »258(*)

Il n'est pas envisageable de réserver au législateur la tâche d'assurer l'évolution et l'adaptation du droit aux réalités sociales. PORTALIS l'avait souligné. Maints avantages sont attachés à ce que la jurisprudence change et évolue. Le revirement de jurisprudence est donc avant tout la manifestation heureuse d'une certaine plasticité -nécessaire - de notre droit »259(*)

Il conclut, délimitant le champ à la fois de ses recherches et de la critique : « Ce sont donc les effets négatifs induits par les revirements qui doivent retenir l'attention. Précisément en raison de l'insécurité juridique qu'ils peuvent entraîner. »260(*)

Le Premier Président Guy CANIVET, qui avait commandé ce rapport, n'affirmait pas autre-chose lorsqu'il rappelait que, si « les revirements de jurisprudence engendrent un déséquilibre pour la partie qui succombe en vertu d'une jurisprudence nouvelle qu'elle ne pouvait pas connaître au moment des faits et un déséquilibre de masse pour toutes les situations affectées par la nouvelle règle jurisprudentielle », il ne faut pas pour autant oublier que « le revirement de jurisprudence a (...) pour effet positif de donner une interprétation de la loi mieux adaptée au contexte économique et social mais, dans quelques rares situations, il peut aussi être facteur de désorganisation et de coût »261(*).

La sécurité juridique a été invoquée par de nombreux requérants comme un argument de droit susceptible de s'imposer même au juge. Dans cette optiques, l'argument a toujours été rejeté par la Cour de Cassation, qu'il ait été invoqué contre la rétroactivité de la jurisprudence ou pour d'autres sujets.

Mais en doctrine, la sécurité juridique n'a été que peu invoquée du point de vue du droit. C'est dans des arguments d'opportunité et d'équité que la critique a trouvé toute sa force. Deux arguments ont été envisagés de ce point de vue : le revirement de jurisprudence rétroactif a un impact destructeur sur les situations individuelles (a) ; il a par ailleurs un impact économique non-négligeable (b) .

a. L'impact du revirement de jurisprudence rétroactif sur les situations individuelles et collectives.

a.1) le revirement « à la Française » et ses conséquences : L'argument de la sécurité juridique, dans cette optique individuelle, présente de nombreuses similitudes par rapport à l'argument de la sécurité juridique dans l'optique du droit.

Les principes selon lesquels l'intervention de la Cour de cassation est neutre et se fait sans prendre ses précédents en compte reposent, au moins en partie, sur une fiction. En réalité, la Cour de cassation, en se prononçant sur une question de droit, adopte une position qui a vocation à être ferme, et à s'appliquer au-delà du litige pour lequel ou à l'occasion duquel elle a été adoptée ; lors des pourvois qui lui sont présentés, elle cassera les arrêts et rejettera les pourvois en fonction de cette position.

Les justiciables se fondent donc sur cette position, sorte d'avis émanant des « experts » chargés de mettre en oeuvre la loi, pour s'assurer de la validité de leur action en droit. Les règles jurisprudentielles sont donc à l'origine de prévisions légitimes. Cette question des prévisions légitimes fondées sur la jurisprudence fournira donc un critère de qualité de l'action des pouvoirs publics.

Ces prévisions légitimes devant se faire dans un environnement sécurisé, il est nécessaire d'accorder aux justiciables le bénéfice de la jurisprudence sur laquelle ils se sont fondés au moment de leur prévisions262(*).

Or, les revirements de jurisprudence, s'opérant rétroactivement, ont pour effet d'imposer une position nouvelle - ou « règle » nouvelle, ou « norme » nouvelle, ... - pour l'avenir comme pour le passé. Cette application rétroactive, systématique et non volontaire263(*), a plusieurs effets.

En premier lieu, les justiciables ont fondé leurs actions sur la règle ancienne. Dans la mesure où ce n'est pas cette règle qui leur sera appliquée, mais la règle nouvelle, la rétroactivité conduit à juger les justiciables d'après une autre règle que celle sur laquelle ils ont fondé leurs actions. Ainsi, « le revirement menace des actes que leurs auteurs, sur la foi de la jurisprudence, avaient cru réguliers au moment où ils les ont conclu »264(*) ; les revirements sont donc dangereux en ce qu' « ils modifient dans le passé des millions de situations, alors même que leurs auteurs avaient fidèlement respecté les solutions ou prescriptions alors en vigueur », l'auteur concluant donc à « l'insoutenable rétroactivité » des revirements de jurisprudence »265(*).

Leurs actions, si elles n'étaient donc pas illicites au départ, le deviennent au moment où le juge statue. « Le revirement démasque l'artifice de la présomption de vérité attachée à la chose jugée : vérité hier, erreur aujourd'hui. »266(*).

En deuxième lieu, les justiciables ne peuvent fonder leur action sur la règle nouvelle, puisqu'elle n'est par hypothèse adoptée qu'après que ceux-ci aient fait leurs prévisions. Bref, la norme n'est pas sécurisante. « Ceux qui ont cru que la solution antérieure était du droit sont démentis ; s'ils ont contracté, ils sont floués ; s'ils l'ont intégrée dans leur prévisions, ils perdent tout bénéfice et récoltent des pertes. La croyance commune, synonyme de stabilité, est bafouée. »267(*)

Donc, « le revirement engendre une imprévision dans l'interprétation de la loi. »268(*). Denys de BECHILLON va encore plus loin, écrivant à propos de l'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 octobre 2001269(*), que cette jurisprudence « aboutit à placer les acteurs juridiques dans une situation d'insécurité insupportable. Que dire d'autre, en effet, d'un système juridique qui se donne à voir comme dépourvu de toute prévisibilité puisque, selon toute évidence, ses sujets peuvent y être punis, sans préavis, pour des actes ou des abstentions qui ne sont pas illicites au moment où ils sont commis. Et ce plus encore lorsque lesdits sujets n'ont rigoureusement aucun moyen de savoir ou même de penser qu'ils pourraient ou auraient pu, ce faisant, commettre une faute. Qu'on le veuille ou pas, cet engagement de responsabilité là ressemble à celui qu'impose la main d'un dieu terrible, seul connaisseur de ses propres desseins, frappant où bon lui semble des hommes stupéfiés. Pas vraiment à du droit »270(*).

Par ailleurs, cette rétroactivité est associée à ce qui est considéré, nous l'avons dit, comme un dogme : celui de la neutralité du juge, aboutissant à la déclarativité de la norme jurisprudentielle. Or, « pour le justiciable, (...) , il importe peu de savoir si la règle nouvelle qu'on lui impose rétroactivement résulte de l'adoption d'une loi nouvelle ou d'un changement dans l'interprétation jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux hypothèses, le litige est en effet tranché par application d'une règle de droit, pure ou interprétée, dont le justiciable n'avait pas eu connaissance au moment des faits et dont il n'a donc pas pu, par hypothèse, tenir compte dans ses prévisions. La Cour de cassation ne peut donc, à son égard, se retrancher derrière une lecture aussi formelle de l'office du juge ; au regard du justiciable, créancier de sécurité juridique envers l'Etat, le revirement de jurisprudence porte effectivement atteinte à la sécurité juridique »271(*).

Tout cela a conduit les auteurs du rapport MOLFESSIS à affirmer que « le revirement de jurisprudence peut avoir pour effet, en premier lieu, d'imposer aux justiciables l'application d'une règle qu'ils ignoraient et dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment où ils ont agi »272(*). Plus loin, encore : « on pourrait aisément gloser sur cette imprévisibilité. Elle signe l'incompréhension du droit et dès lors porte en elle son rejet : comment expliquer à un médecin qu'il a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard d'un patient sans manquement à une règle obligatoire à l'époque où il a prodigué les soins à l'origine du litige ? Comment justifier, sans faire appel à des notions que seuls les juristes manient - sans pour autant y adhérer - , une solution qui défie le bon sens pour s'acquitter de l'effet déclaratif de la jurisprudence ? La rétroactivité comporte ainsi le risque de contredire les prévisions et anticipations des acteurs, alors que c'est le droit lui-même qui les avait rendues parfaitement légitimes »273(*).

Mais l'impact sur les situations individuelles, dans la mesure où la norme nouvelle sera appliquée pour toutes les situations similaires qui seront présentées à la Cour de cassation, s'accompagne logiquement d'un impact sur le plan collectif. En effet, le revirement de jurisprudence ne concerne jamais qu'une cause, mais potentiellement toutes les causes similaires. Dans tous les procès de même type achevés après le revirement, c'est donc une règle nouvelle qui ne pouvait pas être envisagée à l'époque du litige qui sera appliquée rétroactivement à toute une catégorie de justiciables ou de situations ; le revirement , s'il n'est envisagé que du point de vue individuel par les juges qui y procèdent, dans le seul cadre de l'affaire pour laquelle ils se prononcent, a pourtant un impact collectif.

De ce point de vue collectif, la rétroactivité du revirement est donc également susceptible d'avoir un impact économique considérable, et ceci pour deux raisons : comme nous l'avons dit, le revirement a un impact, quantifiable, en ce qu'il menace un certain nombre de situations274(*), mais aussi un impact psychologique en ce qu'il crée une incertitude.

Sur le point, Christian MOULY prenait plusieurs exemples : « Lorsque le 9 février 1988, la Cour de cassation a subitement déclaré que l'article 1907 du Code civil s'appliquait au régime de l'intérêt débiteur des comptes courants, alors qu'elle admettait le contraire depuis un siècle et demi, le Ministère des finances a évalué à cinquante milliards de francs le coût de la rétroactivité de cette décision. C'est la somme qu'aurait dû rembourser les banques à leurs clients pour avoir pour avoir prélevé des intérêts sans en avoir indiqué le taux au préalable, si tous les clients en avaient demandé la répétition. Lorsque le 15 octobre 1991, la même Cour de cassation a affirmé que les déclarations de créance devaient être signés par un mandataire spécialement autorisé, des milliers de créances déclarées par un directeur du contentieux ou un directeur d'agence des banques on été remises en question sans qu'il soit possible de les régulariser en raison de l'expiration des délais. Lorsque le même jour, la Cour de cassation décidait, contrairement à la pratique antérieure, que les sociétés de crédit-bail devaient revendiquer les biens auprès du mandataire liquidateur ou de l'administrateur, des milliards de francs furent perdus, là encore sans possibilité de régularisation »275(*).

« On aura compris que la rétroactivité des revirements de jurisprudence peut placer les acteurs juridiques dans une situation d'insécurité insupportable. Notamment en ceci qu'elle déjoue toute prévisibilité : les sujets de droit peuvent être sanctionnés, sans préavis, pour des actes ou des abstentions qui n'étaient pas illicites au moment où ils ont été commis. Par suite, les revirements peuvent remettre en cause par série des actes ou des agissements dont l'adoption volontaire reposait sur un calcul économique et supposait une organisation logiquement mise en place en considération de la solution antérieure. Le revirement condamne dès lors le schéma instauré sur la foi de la solution abandonnée. Il crée donc un coût a posteriori, puisqu'il affecte des actes qui furent anticipés comme n'en ayant pas »276(*).

Le rapport rappelle également qu'un tel impact économique n'affecte pas seulement les parties au(x) procès, mais également les tiers qui en subissent indirectement les répercussions : « on aurait au demeurant tort de croire que le risque pèse unilatéralement sur les seules entreprises et uniquement sur les seuls secteurs juridiquement structurés et organisés. La répercussion sur le tarif des prestations ou sur le prix des produits, qui peut résulter de la naissance d'une charge imprévue sur les entreprises, affecte potentiellement la situation des consommateurs de ces produits ou services. Ce qui s'énonce autrement : le destinataire final est souvent le premier à souffrir des conséquences économiques et des surcoûts engendrés par un changement de solution. Car il faut bien que les répercussions des revirement soient assumées, souvent par ceux-là même qui étaient censés en profiter... »277(*)

Mais le risque est également d'ordre psychologique : dans l'optique d'éviter des « effets fondamentalement anti-économiques » et à propos de l'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 octobre 2001 en matière de responsabilité médicale, Denys de BEHILLON explique que « peu de choses sont moins immédiatement performantes que la généralisation d'un sentiment d'inquiétude lié à l'impondérabilité d'obligations juridiques aussi lourdes que celles susceptibles de peser sur les acteurs du droit de la responsabilité. Mieux vaudrait, à ce propos et de manière générale, ne pas perdre trop de vue le rapport intime qui relie le dynamisme économique à la prévisibilité juridique. Max WEBER avait noté cela il y a longtemps : « Pour les intéressés au marché, la rationalisation et la systématisation du droit signifient en général (...) prévisibilité croissante du fonctionnement de la juridiction, une des conditions les plus importantes à l'existence d'entreprises économiques devant fonctionner de façon permanentes, plus spécialement les entreprises capitalistes qui ont besoin de la « sécurité juridique du commerce »278(*).

Et il ne fait pas de doute que la leçon soit actuelle. Même et peut-être surtout, si le fantasme prend le pas sur la réalité, et que le sentiment d'insécurité juridique dans les entreprises, démultiplié par la connaissance qu'elles peuvent avoir de règles aussi inquiétantes que celles dont nous parlons, excède le contentieux objectif, fût-ce de beaucoup. C'est aussi de la peur qu'il faut craindre les effets.

D'autant plus qu'elle s'exploite aisément. Dans la sphère médicale, en particulier, où l'on sait la prégnance d'une anxiété sévère au sujet de la prétendue « dérive à l'américaine » dans laquelle le droit Français serait embarqué. Postulant que tout le monde y croit en gros, et que personne, sauf exception, ne cherche à savoir si une telle évolution existe, voire si ce mouvement est simplement possible, la voie est d'autant plus royale pour conclure à l'existence bien réelle d'un environnement juridique hostile, pour de bon, au corps médical. Et c'est encore plus vrai lorsque, comme ici, le droit positif se met à ressembler effectivement au film d'horreur que beaucoup de médecins ont déjà dans la tête.»279(*).

C'est également la conclusion du rapport MOLFESSIS : « le peur de l'inconnu que produit le revirement peut avoir des effets d'anticipation, eux aussi préjudiciables à ceux que les revirements entendent protéger. Il n'est ainsi pas dit que les acteurs économiques n'adoptent pas des comportements orientés par la crainte d'un éventuel revirement. Autrement dit, qu'ils expriment d'emblée un manque de confiance dans la règle qui leur est applicable, celle-ci ayant en effet vocation à disparaître rétroactivement.

Cela pourrait se traduire, par exemple, par un surcroît de pesanteurs que s'imposeraient certains, par prévention, et corrélativement par l'existence de contreparties destinées à assumer les coûts d'une règle qui n'existe pourtant pas et qui n'existera peut-être jamais. Le processus d'anticipation des revirements met en scène le combat du rationnel contre l'irrationnel.

Il en ressort à nouveau que le débat sur les revirements n'intéresse pas que les seules parties litige. Les intérêts particuliers ne sont pas - il s'en faut de beaucoup - les seuls à se trouver impliqués dans le jeu. C'est aussi en ce sens qu'un intérêt proprement général s'attache à ce que puisse être modulée l'application dans le temps des créations prétoriennes »280(*).

a.2) Critiques doctrinales et officielles de l'argument de la sécurité juridique : Fonder cette critique de la rétroactivité de la jurisprudence sur le critère des légitimes prévisions des parties n'a toutefois pas été sans amener certaines critiques. Celles-ci ont surtout été adressées aux propositions du rapport MOLFESSIS. On peut notamment évoquer les reproches adressés par le président SARGOS et par Vincent HEUZE.

Pierre SARGOS a ainsi pu écrire que le critère des prévisions légitimes n'était pas adapté, dans le domaine du contrat, à la protection de la partie plus faible281(*) : « une telle critique relève d'une conception que l'on croyait réservée à d'autres temps de l'autonomie de la volonté du renard libre au milieu des poules libres, pour reprendre une image connue.

On a quelques scrupules à rappeler que le contrat de travail met en présence - sauf rares cas d'espèce - des parties fondamentalement inégales, inégalités encore aggravée en période de fort chômage. Comme l'a encore rappelé la Cour de Justice des Communautés Européennes dans son récent arrêt PFEIFFER du 5 octobre 2004, « ...le travailleur doit être considéré comme la partie faible du contrat de travail, de sorte qu'il est nécessaire d'empêcher que l'employeur dispose de la faculté de circonvenir la volonté du contractant ou de lui imposer une restriction de ses droits sans que ce dernier ai manifesté explicitement son consentement282(*).

Comment alors les auteurs du rapport peuvent-ils oser parler, à propos d'une clause de non-concurrence sans contrepartie financière, de « méconnaissance des prévisions raisonnables d'une partie » ? La seule « prévision raisonnable » que peut faire un candidat à un emploi dont dépend sa survie économique est celle-ci : « ou j'accepte la clause sans contrepartie financière, ou bien je n`ai pas l'emploi » . Le salarié est donc en réalité contraint d'accepter la clause de non-concurrence sans contrepartie financière alors même qu'elle porte atteinte, lorsqu'il aura quitté cet emploi, à sa liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle »283(*).

Le Professeur Vincent HEUZE284(*) va plus loin encore : il estime qu'aucune prévision légitime ne peut être fondé sur la règle jurisprudentielle ancienne, la règle jurisprudentielle nouvelle étant par hypothèse meilleure et plus adaptée qu'une règle qui a montré des limites tellement graves qu'elle a été abandonnées285(*).

Il part de l'idée que les auteurs du rapport MOLFESSIS « considèrent que les prévisions des parties sot légitimes par le simple fait qu'elles sont celles-là mêmes que permettait de nourrir la jurisprudence antérieure au revirement. Et ils estiment que, par un raisonnement in abstracto, ils faut tenir ces prévisions pour avérées lorsque le comportement des parties, non seulement a effectivement été dicté, mais encore pourrait l'avoir été par cette jurisprudence antérieure. Ce double-parti est pourtant en contradiction flagrante avec les termes mêmes de la question posée.

En effet, lorsqu'un revirement de jurisprudence est envisagé, c'est, par hypothèse, que la solution antérieurement retenue n'est pas satisfaisante. Et si elle n'apparaît pas satisfaisante, c'est en principe (...) , parce que son application à une espèce donnée conduit à des résultats inopportuns, ou parce qu'elle n'est pas compatible avec l'esprit, sinon même la lettre de la loi. Mais si telle est en effet la cause de l'insatisfaction des magistrats, alors il y a tout lieu de penser que les justiciables qui ont connaissance de cette solution ne peuvent qu'avoir conscience qu'elle est, à tout le moins, discutable, et par suite susceptible d'une remise en cause. Si bien que, s'ils peuvent certainement nourrir l'espoir qu'elle sera maintenue, il est assurément contestable de considérer que cet espoir mérite la qualification de prévisions légitimes ».

Bref, « au lieu de considérer que le droit qui se déduit de la jurisprudence est une oeuvre de la raison, [les auteurs du rapport] le regardent comme un acte d'autorité, derrière lequel celui des plaideurs auquel il est favorable serait toujours autorisé à se réfugier » , alors même que cette oeuvre est - ou devient - inadaptée ou dangereuse.

L'auteur conteste ensuite la validité des illustrations prises par le rapport : « c'est ainsi qu'apparaît fort contestable l'affirmation que les « anticipations légitimes » des parties sont méconnues chaque fois que « le revirement revient à rendre nul tout ou partie d'un acte juridique valable sous l'empire de la solution abandonnée ». Car si la nullité est prononcée, c'est par hypothèse même que l'acte apparaît socialement néfaste ou que la liberté contractuelle a été utilisée par l'une des parties, la plus forte ou la moins scrupuleuse, pour obtenir de l'autre un avantage injuste. Et de cet état de fait, les contractants avaient vraisemblablement conscience ; en tout cas, ils ne pouvaient pas légitimement ne pas en avoir conscience. Par conséquent, s'ils pouvaient sans doute espérer que cet état de fait continuerait à n'être pas sanctionné, la seule chose qu'ils étaient réellement en droit de déduire de la jurisprudence antérieure est qu'il était jusqu'alors seulement toléré. Cette analyse explique en particulier qu'à la différence des auteurs du rapport, on ne voit pas en quoi la Cour de cassation mérite le reproche d'avoir porté atteinte aux prévisions légitimes des employeurs lorsque, rompant avec sa tolérance antérieure, elle a décidé en 2002 qu'une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de travail ne devait pas produire effet si l'entrave à la liberté du travail qu'elle imposait au salarié était dépourvue de contrepartie financière » .

Mais le Rapport MOLFESSIS prend également le contre-pied d'autres rapports émanant de la Cour de Cassation elle-même. Nous avons déjà évoqué en effet le travail de justification des réponses données par la Cour de Cassation sur le problème de la rétroactivité des revirements, explication apportée par les Conseillers dans les rapports annuels pour les années 2001 et 2003286(*), mais il convient de les citer à nouveau : le rapport annuel pour l'année 2001, comme nous l'avons dit, évoquait le problème de l'interprétation. Sur ce point, il citait, pour montrer le consensus en la matière, les arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés Européenne dans l'affaire BARBER et par la Cour Européenne dans l'affaire MARCKX.

Or, la citation issue de cet arrêt ne fait pas que condamner la vision d'un droit transitoire fondé sur le constat d'une jurisprudence de source de droit, mais elle condamne également l'idée selon laquelle la sécurité juridique pourrait imposer une limitation de l'effet des arrêts de revirement : « Le principe de l'immutabilité de la jurisprudence européenne n'existe donc pas dès lors qu'il existe un motif valable de s'en écarter. On doit d'ailleurs observer que l'arrêt Marckx c/ Belgique du 13 juin 1979, souvent cité, énonçait déjà au § 58 qu' "on ne saurait aller jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application future en raison des répercussions qu'une décision de justice peut entraîner pour le passé". »287(*) Bref, les juges du Quai de l'Horloge, sur le modèle de leurs homologues de Strasbourg, ne pourraient laisser la sécurité juridique aller contre ce qui ne serait que le cours normal des choses.

La deuxième condamnation de l'argument de la sécurité juridique était plus précise encore : « dans une période de mutations accélérées dans tous les domaines, il n'est pas étonnant que la jurisprudence, qui n'est que le reflet de l'évolution des pratiques sociales, économiques, politiques ou des mentalités, connaisse elle aussi des changements. Cependant il ne faut pas exagérer l'impact des bouleversements entraînés par la modification de l'interprétation jurisprudentielle d'une norme légale. Relativement rares, et fort heureusement, sont les revirements qui ont notamment un impact économique lourd, voire difficilement supportable pour le passé. Au surplus certaines évolutions étaient largement prévisibles. »288(*)

b. Facteurs pouvant influer sur la gravité de la rétroactivité du revirement.

b.1) Facteurs communs à tous les revirements : Plusieurs facteurs pouvant influer sur l'impact de la rétroactivité ont pu être envisagés, dont on peut citer quelques exemples. Ainsi, la matière dans laquelle le revirement est opéré. « cette gravité de la règle jurisprudentielle est d'ailleurs variable ; il est certain qu'elle est toujours regrettable par le seul fait qu'elle interdit au justiciable de savoir à l'avance quelles conséquences juridiques seront attachées à son comportement, mais le regret n'est pas uniforme »289(*)

En matière contractuelle, par exemple, le revirement a des effets particulièrement dévastateurs : dans une matière où la volonté joue un rôle des plus importants, l'échec des « prévisions légitimes » a un effet particulièrement dévastateur. A propos de l'arrêt rendu par la chambre sociale de a Cour de Cassation le 21 décembre 2004, le Professeur Pierre-Yves GAUTIER explique ainsi qu' « on est en matière contractuelle, où on sait que la prévision des parties, doublant en quelque sorte celle de citoyens, joue un rôle considérable du point de vue de la connaissance et des garanties fournies par le cadre juridique tel qu'il existait au moment où elles ont échangé leur consentement »290(*)

En matière de responsabilité civile délictuelle, par contre, l'effet sera moindre : Comme le résume Alain HERVIEU en une formule pleine d'humour, « il est certain que la jeune Carole METTETAL n'est pas allée s'exposer aux brûlures résultant de l'explosion parce qu'elle savait que la faute de la victime était normalement sans incidence sur son droit à indemnisation !... ».

Un autre facteur, expliqué par Pierre VOIRIN291(*), pouvant influer sur la gravité de la rétroactivité est la possibilité pour les parties à l'acte - si acte juridique il y a - de régulariser l'acte. Un exemple récent a ainsi marqué les esprits : celui du revirement effectué par la chambre sociale en matière de clause de non concurrence le 10 juillet 2002292(*) : l'impact est ici renforcé par la jurisprudence en matière de modification du contrat de travail : « l'employeur n'a en effet pas le droit d'imposer au salarié la révision de la clause et l'introduction d'une juste contrepartie financière, même pour répondre aux exigences jurisprudentielles nouvelles293(*). Or, on sait que ce droit est absolu et qu'il ne saurait être remis en question sous prétexte que la révision lui serait plus favorable ou conforme à la commune intention des parties, comme cela pourrait être le cas »294(*).

Un revirement aura un impact plus ou moins important selon son imprévisibilité : annoncé par des « petits pas », il pourra éventuellement, par exemple susciter des modifications d'un acte juridique menacé ; mais les prévisions des parties sont déjouées « surtout lorsque le revirement est inopiné et surprend par sa soudaineté »295(*). Sur cette question, Christian MOULY notait en 1994 que « les décisions de la Cour de Cassation sont semblables en la forme, qu'elles portent revirement de jurisprudence ou non. Rares sont celles qui sont annoncées et certaines font l'effet d'une bombe : par exemple, l'arrêt du 9 février 1988 annulant les intérêts débiteurs prélevés sur les comptes courants ou celui du 6 avril 1993 annulant les dates de valeur. Leurs conséquences humaines et financières sont considérables, et pourtant leur contenu n'a pas fait l'objet d'un débat de grande ampleur. Parfois, au contraire, le débat est passionné mais la surprise naît de la soudaineté du revirement, après une longue résistance de la Cour de Cassation. L'arrêt DESMARRES en 1982 est un bon exemple.

L'imprévisibilité est aggravée par une motivation insuffisante. Les décisions de revirement ne sont pas davantage motivées que les autres, ce qui revient à dire qu'elles ne le sont pas. Leur compréhension en est rendue difficile et incertaine. »296(*)

Les auteurs divergent sur un point : si l'accord est unanime sur le fait que la rétroactivité des arrêts de revirement « est pire que celle des autres arrêts puisqu'elle les conduit à sanctionner ceux-là même qui se sont conformés au droit antérieur »297(*), tous ne sont pas d'accord sur le fait de ne considérer que la rétroactivité des revirements de jurisprudence ou celle de tous les arrêts de principe.

Ainsi, pour Pierre VOIRIN, « le revirement seul corrode la présomption de vérité attachée à la chose jugée »298(*). Comme nous le verrons, c'est d'ailleurs l'optique choisie par le rapport MOLFESSIS. Mais tel n'était pas le cas de Christian MOULY, qui écrit en 1994 qu'« une solution jurisprudentielle n'intervient jamais dans un paysage juridique totalement vide. Même si la position prise par un arrêt est la première expression judiciaire sur une question, elle peut bouleverser un état de droit antérieur, le plus souvent concrétisé par une doctrine et une pratique communément admises », il en conclut donc que « les arrêts de principe ou de règlement doivent bien relever du même régime transitoire que les arrêts de revirement »299(*)

b.2) Détermination des revirements de jurisprudence dangereux : Le Rapport MOLFESSIS prend comme point de départ pour sa démonstration l'idée que la jurisprudence est à l'origine de normes. Mais les propositions de modulation des effets des revirements de jurisprudence dans le temps ne sont basées que sur la deuxième partie de sa démonstration, celle de l'atteinte à la sécurité juridique : les seuls revirements de jurisprudence qui peuvent poser problème sont ceux qui portent atteinte à la sécurité juridique, correspondant aux « hypothèses dans lesquelles la solution nouvelle déjoue les prévisions des justiciables ; mais « tous les revirements n'ont pas de conséquences injustes ni ne désorganisent les secteurs économiques visés par la décision », ce qui signifie que rares sont les revirements qui nécessitent la mise en place d'un régime particulier. »300(*)

L'identification de ces revirements est alors d'autant plus nécessaire. Les problèmes constatés concernant essentiellement le respect des prévisions des parties, c'est le critère de l'atteinte aux prévisions légitimes des parties au procès qui fournira le critère séparant les revirements dangereux de ceux qui ne le sont pas. Dans la première catégorie, on trouvera les cas où le comportement des parties n'aurait pas dépendu de la solution nouvelle retenue à l'occasion du revirement - c'est-à-dire la plupart des revirements. Il s'agit notamment des revirements visant à améliorer la situation des justiciables, mais aussi ceux qui préjudicient à l'une des parties au litige sans pour autant méconnaître ses prévisions. Le rapport ne donne toutefois pas de critère permettant de détecter a priori ces revirements, mais donne plusieurs exemples : ainsi, la décision d'autoriser la modification de l'état civil des transsexuels ne fait qu'améliorer leur situation sa ns préjudicier à qui que ce soit ; ainsi, le changement dans l'appréciation du caractère d'une nullité et donc du droit d'agir, ou encore la modification d'une règle procédurale telle que les modalités de preuve, le changement d'appréciation de la force probante d'un type de documents, ... ne déjoueront pas les prévisions des parties.

Deux constatations sont d'ailleurs évoquées : le revirement peut préjudicier à une personne, par exemple en la rendant responsable ou en alourdissant ses obligations, sans pour autant porter atteinte à ses prévisions - du moins à ses prévisions légitimes : par exemple, le responsable d'un dommage ne peut légitimement prévoir un acte engageant sa responsabilité parce qu'il sait que la réparation du préjudice par ricochet n'est pas admise. Par ailleurs, le revirement peut affecter une situation contractuelle sans pour autant déjouer les prévisions des parties : le revirement visant à réduire les possibilité d'invoquer la nullité dans les contrats-cadre, par exemple, affecte la situation contractuelle, mais ne déjoue pas les prévisions des parties puisqu'il sauve l'acte qu'elles voulaient conclure - à moins qu'elles aient voulu conclure un acte nul, mais il ne s'agit pas, alors, de prévisions légitimes. L'a priori, la catégorisation n'est donc pas possible de ce point de vue, seule l'appréciation au cas par cas des prévisions des parties permet de mettre en évidence la dangerosité d'un revirement.

La deuxième catégorie concerne les cas dans lesquels la décision de revirer « méconnaît les anticipations légitimes de justiciables », ce qui est le cas à chaque fois qu'un « comportement a été ou aurait pu être orienté par la solution que le revirement entend donner ». Le justiciable a cru en la solution ancienne, il n'est pas juste de lui en refuser le bénéfice. Les deux exemples sont les arrêts rendus le 9 octobre 2001 par la première chambre civile et le 10 juillet 2002 par la chambre sociale.

Reste enfin les cas « à part », qu'il est impossible de ranger dans l'une de ces deux catégories : « la solution retenue en conséquence du revirement peut, selon les cas, déjouer ou non les prévisions des parties. Il en sera ainsi, par exemple, selon que la décision de revirement reviendra à valider ou au contraire à prohiber le comportement jugé. Le prix doit-il être déterminé dans les contrats-cadres pour que ces derniers soient valablement formés ? Un changement de solution conduisant à l'affirmative déjouera les prévisions des contractants en conduisant à la nullité des actes conclu. A l'inverse, un revirement se soldant par une réponse négative ne violera logiquement pas les prévisions contractuelles. » Là encore, seule l'appréciation au cas par cas permettra de déterminer quels revirements peuvent être dangereux.

B. Le reproche d'un dévoiement de la règle de droit.

Des problèmes différents trouvant parfois leur problème dans les mêmes causes, il est également nécessaire d'évoquer le reproche de l'effet de dévoiement de la règle de droit qui a pu être fait à propos du phénomène de rétroactivité de la jurisprudence. Comme nous le verrons, le Rapport MOLFESSIS propose les mêmes solutions, ce problème reposant sur les mêmes causes.

Les conséquences négatives de ce phénomène de rétroactivité reposent sur deux idées : la rétroactivité naturelle viole l'idéal social de la règle de droit (aspect individuel) , mais elle donne également au juge un pouvoir que n'a pas le législateur (1) . Il faudra alors s'attarder plus longtemps sur une conséquence particulière de ce dernier point : le dévoiement de la règle de droit en matière pénale (2) .

Là encore, nous ne cherchons pas, bien sûr à prendre parti sur cette question, mais simplement à expliquer comment les critiques développées à propos du phénomène de rétroactivité de la jurisprudence ont pu marquer les esprits au point de provoquer une possible évolution du droit en la matière.

1) Les effets de la rétroactivité de la jurisprudence sur la conception de la règle de droit.

a. Principe de légalité et rétroactivité de la jurisprudence.

En parlant d'idéal, nous ne cherchons pas, bien sûr à dévaloriser la critique que nous expliquons maintenant, mais simplement à rappeler la dimension dans laquelle se place cette critique. Elle va plus loin que la « simple » insécurité juridique, même s'il s'agit là encore d'un lien de confiance : il ne s'agit plus ici de constater que le revirement anéantit les prévisions des parties, avec, parfois un impact économique redouté, il s'agit de relier ce phénomène à un certain idéal de la règle de droit, lié à l'extension du principe de légalité à la règle jurisprudentielle.

a.1) l'incompatibilité de la rétroactivité avec les objectifs du droit moderne : Cet idéal est notamment expliquée par Denys de BECHILLON301(*), auquel le rapport MOLFESSIS se réfère d'ailleurs au moment d'entreprendre cette analyse : « même pour celui qui, comme l'auteur de ces lignes, cultive une certaine prudence devant le maniement des idées un peu trop abstraites au sujet de mission sociale du droit, il n'est tout de même pas interdit de penser que certaines fonctions sont attachées à l'existence même d'un système juridique au sens moderne du terme. Sous ce rapport, on ne risque pas de choquer grand-monde en avançant que les normes de droit ont pour fonction première de fournir aux personnes un guide et un cadre pour leur action, et que, dit autrement, les obligations juridiques sont là d'abord pour fournir aux sujets de droit des repères et des modèles pour déterminer leur conduite dans le monde. (...) La rationalité sous-jacente à un système juridique tend donc sans équivoque à la satisfaction du même objectif : il s'agit de donner aux personnes des normes pour régler leur comportement. »

Dans l'optique d'un rapprochement entre la norme jurisprudentielle et la norme législative, ce reproche porte donc non plus sur l'idéal de sécurité, mais sur l'idéal de connaissance de la règle. Ce reproche est bien sûr lié à la conception de la jurisprudence comme créatrice de droit, ce qui sera également une faiblesse aux yeux de ceux qui ne partagent pas cette conviction.

« Lorsqu'on a affaire à une règle du même type que celle que formule la Cour dans notre arrêt, cette intention est entièrement déjouée. La règle mise en cause ne peut prétendre avoir eu un rapport quelconque avec la direction publique de la personne jugée pour les faits qui lui sont reprochés, puisque par hypothèse, cette règle ne pouvait rien diriger avant que d'apparaître. Symétriquement - et ce n'est pas forcément le moins grave - elle rend l'utilité sociale de la norme illisible aux sujets de droit dans leur ensemble.

A quoi sert, en effet, de vouloir se conformer parfaitement aux normes en vigueur si l'on ne peut même pas, ce faisant, cultiver pour soi-même la conviction de n'avoir, comme dit l'expression populaire, rien à se reprocher ? A quoi bon l'effort pour agir légalement, si cela n'autorise même pas un minimum de sûreté, raisonnablement entretenue, devant le droit et ses punitions. C'est cette conviction et cette sûreté, primordiales, que la rétroactivité d'une obligation de responsabilité rend impossibles, puisqu'elle revient à punir celui qui n'a transgressé aucune norme et qui ne pouvait même pas chercher à se conformer à elle, puisqu'elle n'existait pas. L'incohérence de tout cela est profonde en regard de ce à quoi sert, à la base, n'importe quel système de droit moderne. Il suffit de lire BECCARIA pour s'en convaincre. »

Les défauts ainsi allégués ont une importance particulière dans certaines matières, dont le fonctionnement recèle certaines particularités. Ainsi, la responsabilité civile : Denys de BECHILLON, à propos de l'arrêt du 9 octobre 2001, en matière de responsabilité des médecins, explique que le décalage entre la règle telle qu'elle existait au moment des faits et celle qui existe au moment du jugement est amplifiée par les « traits « naturellement » associés par la mécanique du droit aux règles impliquées dans la genèse d'une obligation de responsabilité ». Pour cela, il dégage quatre facteurs spécifiques au domaine de la responsabilité civile.

Le point de départ est bien sûr la rétroactivité naturelle de la règle prétorienne : « Jean RIVERO avait en son temps rendu cela éclatant302(*). La règle créée au prétoire l'est forcément après qu'ont eu lieu les faits ou les situations auxquels il s'agit de l'appliquer. On sait bien, d'ailleurs, que les juges Français ont une assez claire conscience de ce trait puisqu'ils ont, souvent, cherché à atténuer son impact en recourant à divers procédés d'adoucissement. »

Le deuxième facteur est le suivant : « toute règle de responsabilité est tournée vers le passé » : « dans tous les cas, puisqu'il est appelé à réparer un préjudice constitué, au moins en partie, le juge a pour mission de statuer à l'expérience, de qualifier une situation désormais donnée, au vu de conséquences déjà produites. » Le contentieux de la responsabilité conduit donc à juger des choix non a priori, mais « dans l'après-coup, au vu des résultats dommageables qu'ils ont pu provoquer. En responsabilité, c'est le passé que l'on juge. Et on le fait toujours à la lumière du présent et de ses preuves. »

Le troisième facteur est « l'anachronisme naturel de la règle de responsabilité », qui est « amplifié lorsque le dommage considéré apparaît longtemps après le phénomène qui est réputé en fournir la cause ». : « tel est le problème rencontré dans la quasi-totalité des cas de contamination sérielles qui font le plus gros de l'actualité juridique en matière sanitaire [amiante, maladie de KREUTZFELT-JACOB, sang contaminé, etc...] : nous sommes portés à qualifier les situations passées avec les catégories et les schémas de perception en vigueur au moment où la question se pose à nous. Or, il est bien clair que ce phénomène de décalage est encore plus sensible lorsque ces évènements sont appréciés des dizaines d'années plus tard, alors que les états d'esprit ont, le cas échéant, changé en profondeur. A fortiori si, comme c'est inévitable, ces événements sont jugés à l'aune des valeurs nouvelles que les conséquences dommageables de ces actes ont précisément fait advenir. (...) Bref, plus le temps passe, plus la distance cognitive s'installe vis-à-vis des catégories de pensée qui régnaient au moment des faits. Jusqu'à les rendre incompréhensibles ».

Enfin, « Cet anachronisme amplifié est renforcé lorsque la règle prétorienne qu'il s'agit d'appliquer crée une obligation de prévention, dirigée vers le futur ». Il s'agit ici de blâmer « les acteurs d'aujourd'hui pour n'avoir pas anticipé pertinemment notre actualité, c'est-à-dire leur futur. »

Le décalage pourrait être atténué par la prise en compte du droit positif tel qu'il existait à l'époque des faits, et non pas le droit au moment où le juge statue. Mais dans la mesure où le juge refuse de prendre en compte la jurisprudence telle qu'elle existait au moment des faits - ainsi, dans l'affaire qui fournit le point de départ de la réflexion de Denys de BECHILLON, la Cour estime que le médecin peut être condamné « alors même qu'à l'époque des faits, la jurisprudence admettait qu'un médecin ne commettait pas de faute s'il ne révélait pas à son patient des risques exceptionnels »303(*) - , ce décalage sera amplifié jusqu'à créer une « obligation de prévention indéfinie parce que logiquement impossible à satisfaire. ».

a.2) Conséquences concrètes : Cette idée de l'atteinte au principe de légalité n'est pas sans conséquences concrètes : comme nous le verrons, il a provoqué la condamnation de la France à plusieurs reprises ; mais le Rapport MOLFESSIS met également en relief une autre conséquence de la perte de confiance en la norme jurisprudentielle : « une telle insécurité risque de se solder par un surcroît d'actions en justice. Le revirement de jurisprudence, en ce qu'il peut offrir à un justiciable une issue qui mette à mal les anticipations de son adversaire, est facteur de « litigiosité ». Il incite à tenter sa chance pour tirer profit de la versatilité de a règle. D'où un surcroît de pourvois dans les domaines en prise aux revirements »304(*).

Ce problème, comme nous l'avons dit, est lié à la conception normative de la jurisprudence, qui indique tout à fois les effets et les causes de cette situation ; « difficilement supportable, parce qu'elle porte en elle-même une contradiction profonde avec l'idée même d'Etat de droit, cette issue est pourtant inéluctable dès lors que notre système juridique se refuse à admettre que la jurisprudence constitue une source de droit, autrement dit qu'elle est la matrice de situations juridiques qu'il convient d'insérer dans l'ordre juridique.

Comme l'avait démontre Jean RIVERO, « la technique d'édiction de la règle jurisprudentielle qui lie formulation de la règle et application à l'espèce, condamne [le juge] à la rétroactivité : la sécurité juridique se trouve ici nécessairement sacrifiée au progrès présumé du droit ». »305(*)

b. L'idéal de la coexistence entre des règles issues de pouvoirs complémentaires.

Cet idéal est celui d'une création prétorienne qui serait faite en harmonie avec celle du législateur, sur la base de la complémentarité. Cet idée est présentée par Pascale DEUMIER : « chaque source est utile au système juridique par ses qualités propres : la loi présente le cadre général traduisant les orientations décidées par la volonté générale ; la jurisprudence adapte le droit vivant à mesure des cas. Sa capacité d'adaptation au cas, son aptitude à l'évolution, sa précarité naturelle, souvent critiquées comme signes de son incapacité à être source de droit, sont au contraire ses principales qualités car elles sont la manifestation que le droit vivant est bien en mouvement permanent. En voulant poser du droit à l'instar du législateur, elle en adopte les travers en termes de fixité, généralité, distance avec la variété des situations, et ce sans en avoir la légitimité et sans en procurer les garanties d'accessibilité et de sécurité. S'appuyant sur une autorité dont elle est dépourvue, elle perd en puissance, là où la persuasion, la conviction, la présentation du sens pourrait donner un surplus de légitimité à l'affirmation nouvelle de son action créatrice. Il appartient à la Cour de cassation d'assumer ce pouvoir non à la façon du législateur mais à la manière d'un juge : en respectant les contraintes du texte, en recourant aux techniques d'interprétation, en justifiant ses constructions afin que l'acceptation d'un tel pouvoir ne se solde pas par une concurrence entre deux législateurs mais en une complémentarité entre la règle générale et la règle du cas » 306(*).

Or, la rétroactivité de la règle jurisprudentielle s'inscrit dans une négation de cette relation de complémentarité, en ne plaçant pas les deux autorités au même niveau : au titulaire de la potestas, les contraintes de la non-rétroactivité de principe ; à l'auctoritas, la rétroactivité naturelle. Deux aspects sont ici à prendre en compte : le contexte idéologique et les raisons de cet état de fait.

Or, la rétroactivité de la règle jurisprudentielle s'inscrit dans une négation de cette relation de complémentarité, en ne plaçant pas les deux autorités au même niveau : au titulaire de la potestas, les contraintes de la non-rétroactivité de principe ; à l'auctoritas, la rétroactivité naturelle. Deux aspects sont ici à prendre en compte : le contexte idéologique et les raisons de cet état de fait.

Le contexte idéologique est celui d'une remise en cause des schémas classiques de la séparation des pouvoirs307(*). Le rôle du juge face au législateur évolue, celui-ci voit sa légitimité de plus en plus contestée, tandis que le juge, sous la pression de contraintes liées notamment aux engagements internationaux de la France, se voit accorder un pouvoir qu'il ne demande pas toujours, et qui ne devait pas lui être attribué en principe. Or, les craintes liées à cette redistribution du pouvoir interviennent dans le cadre d'une tradition juridique légicentriste, qui fait du législateur le seul créateur de normes légitimes. Dès lors, le fait de voir le législateur faire face à des contraintes de plus en plus lourdes alors que le pouvoir créateur du juge s'affirmerait sans limite participe des inquiétudes grandissantes d'une partie importante de la doctrine.

Ensuite, l'effet négatif visé ici est moins celui de la rétroactivité que celui des prémisses du raisonnement qui aboutit à cette rétroactivité. D'après Christian ATIAS, l'origine de ce déséquilibre serait à trouver dans la négation par le juge de son pouvoir créateur. Ainsi, il explique, à propos de l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 21 mars 2000308(*), que « l'enjeu [de cette négation] était bien là : il s`agissait de sauvegarder la liberté de décision judiciaire en lui octroyant ce privilège de rétroactivité dont le législateur n'oserait se prévaloir comme tel.

Plusieurs traits caractérisent l'analyse ici reconduite. Sans les évoquer, la Cour invoque les rapports entre les dispositions légales et les décisions juridictionnelles. La « jurisprudence » est neutralisée ; dissimulée sous la loi, elle évite de s'exposer en prenant rang parmi les sources du droit. Elle y puise la suprématie qui résulte de sa mise à l'écart de tout contrôle, de toute limite.  « L'application » du droit est plus libre que sa « création ». »309(*) La mise à l'écart de la jurisprudence, contexte conceptuel dans lequel s'inscrit la rétroactivité de la jurisprudence, aboutirait non pas à « la neutralité de la jurisprudence ou la jurisprudence sous la loi », mais à « l'immunité de la jurisprudence ou la jurisprudence au-dessus de la loi ».

La critique, bien sûr, ne sera admise que dans l'optique de la reconnaissance d'un pouvoir créateur du juge. Si on préserve toute leur valeur aux prémisses du raisonnement sur la précarité naturelle de la norme jurisprudentielle dans le temps, ou sur le rôle révélateur du juge, alors la critique est relativisée, voire sans aucune valeur. C'est donc là encore de cette conception fondamentale du rôle du juge que dépend le choix entre deux logiques en grande partie incompatibles, d'où une divisions profonde au sein du monde du droit.

2) Le revirement de jurisprudence en droit pénal.

Si l'on admet que la rétroactivité de la jurisprudence peut présenter un danger, alors le revirement de jurisprudence en droit pénal présente un danger tout particulier, du fait des enjeux de la rétroactivité en matière pénale. C'est une donnée qui a longtemps été ignorée par les pénalistes, car le danger d'une jurisprudence source de droit y est dénoncé de façon plus insistante que dans les autres matières.

Pour mieux comprendre les enjeux particulier du revirement en droit pénal, les auteurs du rapport MOLFESSIS avaient demandé à Didier REBUT310(*), Professeur à l'université Panthéon-Assas (Paris II) de préparer une étude sur ce sujet nouveau en droit pénal311(*). Le revirement intervient dans un contexte idéologique particulier, celui d'une crainte toute particulière à la fois de la rétroactivité et du pouvoir du juge ; mais la question ne peut être ignorée dès lors que le rôle créateur du juge est reconnu.

En matière pénale, le spectre de la privation arbitraire de liberté a donné une importance toute particulière au principe de légalité. « Soumises par la Constitution au principe de légalité, les solutions pénales doivent avoir un fondement légal »312(*). La conséquence a été de placer l'application de la norme dans le temps et la jurisprudence dans deux optiques différentes et incompatibles.

Les seules normes reconnues en droit pénal - issues d'un droit écrit, et non d'un droit prétorien - , sont soumises à des principes différents selon qu'il s'agisse des lois de fond ou de forme313(*). Les lois pénales de fond « plus douces » sont rétroactives, tandis que les lois pénales de fond « plus sévères » sont soumises au principe de non-rétroactivité ; les lois pénales de forme sont soumises au principe de l'application immédiate. Etant donnée l'importance des enjeux en la matière, le principe a une valeur constitutionnelle.

L'application de la norme pénale dans le temps est donc soumise à un régime strict. Mais la norme jurisprudentielle en est tenue à l'écart, parce qu'ici, il est justement particulièrement important que le juge se contente d'appliquer la loi sans prendre part à la création du droit pénal. Le juge est donc tenu au principe d'interprétation stricte de la loi pénale, et sa mission est purement déclarative ; ne devant créer aucune norme, il n'est donc pas concerné par les principes qui régissent l'application de la loi pénale dans le temps.

Cette vision des choses a « cependant perdu de sa force avec l'observation de l'importance prises par les solutions judiciaires dans la connaissance du droit pénal. Celle-ci a inévitablement conduit à reconnaître que le juge pénal exerce un pouvoir créateur quand il définit ou précise la loi pénale. Le principe de l'interprétation stricte a en effet cessé d'être considéré comme faisant obstacle à l'émergence d'une jurisprudence pénale, dès lors qu'il est acquis que les lois pénales doivent parfois être précisées ou adaptées. Aussi l'existence de solutions jurisprudentielles complétant les dispositions légales n'est-elle plus guère contestée. »314(*)

C'est dans ce contexte que le régime de l'interprétation jurisprudentielle en matière pénale a été critiqué : laissant les normes jurisprudentielles hors de l'ordonnancement juridique, il avait pour effet de priver les justiciables de garanties d'ordre constitutionnel concernant l'application de la loi pénale dans le temps. C'est en effet « par rapport à ces solutions légales qu'il convient d'apprécier la rétroactivité des revirements de jurisprudence, parce qu'ils ont les mêmes effets que les modifications légales », sans pour autant sortir du principe de la « rétroactivité naturelle » quel que soit leur effet. Les effets de « dévoiement de la règle de droit » sont ici plus graves qu'ailleurs, car ici, ce n'est pas « simplement » l'effet concret de la norme jurisprudentielle, qui est en cause, ou l'incompatibilité de son action avec une vision du droit, mais bien son incompatibilité avec des principes supérieurs de notre droit, des principes d'ordre constitutionnel.

Pour préciser sa pensée, Didier REBUT applique aux revirements les mêmes distinctions que celles prévues pour la loi, rappelant pour chaque catégorie les principes à l'oeuvre en matière législative.

Il étudie tout d'abord les « revirements de fond » prévoyant des règles plus douces. Prévue par l'article 112-1, alinéa 3 du Code Pénal, le principe de rétroactivité est justifié par l'idée de nécessité de la peine : dès lors que le maintien d'une infraction, ou d'une répression d'une certaine force, n'est plus jugé nécessaire pour les besoins de la société, les justiciables doivent bénéficier de cette clémence nouvelle de façon rétroactive. La rétroactivité in mitius a en outre une force constitutionnelle depuis que le Conseil Constitutionnel l'a rattachée au principe de nécessité des peines en droit pénal, déduit de l'article 8 de la Déclaration de droits de l'homme.

« Dans ces conditions, la rétroactivité des revirements de jurisprudence est en parfaite harmonie avec les règles du droit pénal quand elles conduit à adoucir la répression. » Son effet sera alors identique à celui des normes d'origine législatives, mais ne choquera pas, alors même que l'apparition de cette normes serait imprévisible : « il faut en effet rappeler que [l'imprévisibilité de la norme] n'est rejetée en droit pénal que dans la mesure où elle est susceptible de porter préjudice à la personne poursuivie en aggravant la répression à laquelle elle était exposée quand elle a commis son infraction. »315(*)

« A l'opposé, les lois pénales plus sévères sont soumises à un principe de non-rétroactivité. Celui-ci est le corollaire classique du principe de la légalité envisagé comme instrument de protection contre l'arbitraire de la répression. Cet objectif ne peut pas admettre que des peines puissent être appliquées à des faits qui ne les encouraient pas au moment où ils ont été commis. A ce titre, le principe de la non-rétroactivité a été formulé conjointement au principe de la légalité. A son instar, il a pris une valeur constitutionnelle, puisqu'il est expressément affirmé par l'article 8 de la déclaration de droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il a aussi une valeur internationale, étant donné qu'il est posé par l'article 7§1 de la CESDH. Il est par ailleurs prévu par l'article 121-1 du code pénal suivant lequel « sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis » et « peuvent être prononcés les peines légalement applicables à la même date ». »316(*)

Dans l'optique du pouvoir créateur du juge, « la rétroactivité de la jurisprudence lui est bien entendue résolument contraire ; Son application immédiate à l'instance en cours et à l'ensemble des faits identiques qui ont été commis avant lui et qui n'ont pas encore été définitivement jugés conduit à les soumettre à une répression plus sévère que celle qu'ils encouraient au moment de leur commission. L'application récente de l'abus de confiance aux biens incorporels peut servir d'illustration ; Alors que la chambre criminelle refusait classiquement de punir le détournement d'un bien incorporel au motif que le délit d'abus de confiance exigeait la nature corporelle du bien détourné, elle est revenue sur sa jurisprudence dans un arrêt en date du 14 novembre 2000317(*). Nonobstant le fait que la chambre criminelle a pris prétexte d'une modification textuelle de l'incrimination de l'abus de confiance par le Code Pénal de 1992, sa solution donnait bien lieu à un revirement, puisqu'elles s'opposaient à celles qui avaient été données auparavant. Ce revirement a été appliqué à l'instance même qui en a été l'occasion, alors que le prévenu se défendait précisément en invoquant la jurisprudence ancienne sur l'impossibilité de punir le détournement d'un bien incorporel au titre de l'abus de confiance. Il va de soi que cette rétroactivité pose problème au regard du principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères puisqu'elle le transgresse ouvertement. »

L'argument tiré de cette incompatibilité a été soulevée par la suite dans une autre affaire. A partir d'un raisonnement par analogie avec les principes de l'application de la loi pénale dans le temps, et s'inspirant des principes gouvernant la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme en matière de prévisibilité de la jurisprudence pénale318(*), le pourvoi concluait que l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence constitue une atteinte au principe de légalité. La chambre criminelle a rejeté le pourvoi dans un arrêt rendu le 30 janvier 2002, estimant que le principe de non-rétroactivité est prévu pour une « modification de la loi pénale » et non pas pour une « simple interprétation jurisprudentielle » 319(*).

« C'est une position éminemment formaliste qui entend attacher la non-rétroactivité aux seules solutions qui émanent d'une norme de nature légale. Elle ignore le fait que la jurisprudence peut avoir la même valeur normative et que, de toute façon, sa modification produit les mêmes effets. C'est incontestable quand ce changement conduit à punir un fait qui ne l'était pas auparavant ou quand il conduit à l'exposer à une répression plus sévère. Cette application formaliste et, au bout du compte, étriquée du principe de la non-rétroactivité s'écarte des objectifs du principe de la légalité par-delà l'apparence de son respect. Si elle semble s'accorder avec lui en refusant d'assimiler la jurisprudence à la loi, elle le méconnaît substantiellement en permettant qu'une répression plus sévère puisse rétroagir, et, à ce titre, s'appliquer à des faits commis avant sa prévision. Elle est en outre exposée à être considérée comme incompatible avec la Convention Européenne, dès lors que celle-ci inclut la jurisprudence dans les sources du droit soumises à ses stipulations. Dans ces conditions, l'application rétroactive d'un revirement de jurisprudence apparaît contraire à l'article 7§1 CESDH, puisqu'il conduit à soumettre un fait à une répression plus sévère que celle qu'il encourait quand il a été commis. »320(*)

Le dernier point concerner les normes en matière pénale relatives à des questions de procédure et de prescription. Le principe est ici celui de l'application immédiate. A distinguer du principe de rétroactivité, ce principe conduit à l'application des dispositions nouvelles aux instances en cours, sans pour autant conduire à l'annulation des actes de procédure valablement accomplis sous l'empire des dispositions anciennes. « Supposées porteuses d'améliorations procédurales, elles doivent être appliquées immédiatement ; Cette application immédiate ne se heurte pas en outre à l'exigence de prévisibilité de la répression en raison de l'absence présumée d'effets répressifs des lois de procédure. Ayant pour objet les procès pénal, les lois de procédure n'intéressent pas les infractions, ce qui explique qu'elles n'ont pas d'incidence répressives. »321(*)

Ici, l'effet de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle n'est évidemment pas calqué sur l'effet de la norme d'origine législative : elle va plus loin, « puisqu'elle conduit à remettre en cause les actes qui ont été accomplis sous l'empire des solutions jurisprudentielles précédentes. »322(*) La norme jurisprudentielle est donc porteuse d'une certaine insécurité, qui n'est, là encore, pas contraire à la conception formaliste de la norme jurisprudentielle, mais entre en contradiction avec les objectifs du principe d'application immédiate. La norme n'a donc pas le même effet selon qu'elle est d'origine législative ou jurisprudentielle, aboutissant à neutraliser les principes constitutionnels prévus pour cette matière.

Didier REBUT illustre son propos avec le revirement intervenu sur la recevabilité des actions civiles des associés et des actionnaires en matière d'abus de biens sociaux : « après avoir admis qu'un actionnaire ou un associé engage une action civile en réparation du préjudice personnel que pouvait lui causer l'abus de biens sociaux du dirigeant, la chambre criminelle est revenue sur sa solution en estimant que le préjudice né de la dépréciation des titres ou de la dévalorisation du capital social à la suite d'un abus de biens sociaux était un dommage subi par la société elle-même et non un dommage propre à chaque associé. Ce revirement s'est appliqué rétroactivement, ce qui a conduit à déclarer irrecevables des actions civiles qui ne l'étaient pas quand elles avaient été engagées. Un plaideur a précisément contesté cette application rétroactive d'un revirement de jurisprudence au motif que « lorsqu'une nouvelle jurisprudence conduit à violer un droit garanti par la convention Européenne, le principe de sécurité juridique s'oppose à ce que cette jurisprudence soit rétroactive et fasse disparaître un droit qu'elle consacrait jusqu'à la date du revirement » et que « le revirement restreignant à la seule société le droit de se constituer partie civile du chef d'abus de biens sociaux ne peut être opposé à l'actionnaire qui s'était régulièrement constitué partie civile en l'état du droit positif alors en vigueur ». La prétention a été repoussée par la chambre criminelle qui a répété sa solution selon laquelle « le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle »323(*). Cette position n'est pas surprenante dès lors que la chambre criminelle admet même la rétroactivité des revirements qui ont pour effet d'aggraver la répression. Il n'empêche que la rétroactivité des revirements de procédure met à mal la sécurité juridique en permettant la remise en cause d'actes sur le fondement de solutions qui ne leur était pas applicables au moment où ils ont été accomplis. Elle s'écarte donc de la solution légale de sorte que la question de son maintien peut donc être posée. »324(*)

La logique gouvernant les principes constitutionnels de l'application de la loi pénale dans le temps était basée sur le principe de légalité, lui-même basé sur l'idée d'une certaine sécurité juridique. Or, ce même principe de légalité, en enfermant l'interprétation jurisprudentielle dans le principe de l'interprétation stricte, est également à l'origine d'un problème d'incompatibilité de la norme jurisprudentielle avec cette nécessaire sécurité juridique : la création d'une norme pénale étant un acte grave qui ne peut être accompli que par le législateur, le principe de légalité conduit donc à écarter l'interprétation jurisprudentielle de la hiérarchie des normes, alors qu'elle aurait précisément été le motif d'une extension des garanties entourant la loi pénale.

En appliquant strictement le principe de légalité dans ses deux applications, la chambre criminelle s'est donc enfermée dans un paradoxe : appliquant strictement les principes prévoyant des garanties pour l'application de la loi pénale dans le temps, elle ne pouvait que laisser les normes qu'elle crée - quelle que soit la nature de ces normes - hors du champ justifiant l'intervention de ces garanties, alors même que ces garanties sont d'ordre constitutionnel.

Bref, on peut conclure sur cette question en expliquant que, pour une partie de la doctrine, le revirement de jurisprudence est un bienfait, mais que sa rétroactivité naturelle, dans l'optique du pouvoir créateur de la jurisprudence, a naturellement des effets négatifs. D'après cette partie de la doctrine, la jurisprudence consiste, pour la Cour de Cassation, à affirmer une position sur une question de droit, et notamment sur le sens à donner à une règle de droit, position d'après laquelle elle déterminera la solution des litiges qui suivront et présenteront les mêmes caractéristiques.

Dans une certaine mesure, peu importe la nature de cette solution, puisqu'on constate que la rétroactivité de la règle jurisprudentielle conduit non seulement à priver le justiciable du bénéfice de cette position sur laquelle il s'était fondé pour déterminer son action, mais encore à lui appliquer une règle qu'il ne pouvait connaître au moment de son action. Car cette réalité comporte deux inconvénients majeurs : les justiciables, qui ont besoin de la jurisprudence pour connaître le droit qui leur est applicable, sont alors dans l'impossibilité d'agir dans un environnement sécurisé. Il y a alors atteinte au principe de sécurité juridique, ce qui n'aura aucune incidence sur un plan strictement juridique, puisque le principe de sécurité juridique - s'il existe - ne pourra pas être appliqué à l'action du juge. Mais dans l'optique de l'opportunité et de l'équité, la rétroactivité du revirement aura des inconvénients graves qu'on ne peut ignorer ; le droit ayant une finalité, et s'inscrivant dans un contexte, les critères de la qualité du droit ne peuvent être exclusivement juridiques.

Le deuxième inconvénient est le dévoiement de la règle de droit : la règle ne peut plus fournir un cadre aux actions des justiciables, un cadre a priori, du moins, leur permettant de se fonder sur la loi pour avoir une attitude conforme aux besoins de la société ; quant à la deuxième atteinte, c'est la constatation que le juge, qui ne devrait, d'après son statut constitutionnel, n'être qu'une simple « autorité », dispose alors dans son action d'un pouvoir plus fort que le législateur.

Cette critique n'est pourtant pas admise par une autre partie de la doctrine, ce désaccord ayant parfois été relayé par la Cour de Cassation elle-même. Le désaccord peut alors porter sur deux points. La première attitude consiste à relativiser les effets négatifs de la rétroactivité de la jurisprudence, sans nécessairement les nier ; la conclusion est alors la suivante : pourquoi remettre en cause les principes dirigeant l'office du juge, puisqu'il n'y a là que des inconvénients, sinon mineurs, du moins exceptionnels325(*) ?

Le deuxième reproche est de rappeler que la constatation de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle doit, par hypothèse, partir de la constatation d'un certain pouvoir créateur de la jurisprudence. En partant du postulat de l'absence de normes jurisprudentielles - légitimes, du moins - , la conclusion est que ces reproches, pensés dans l'optique du pouvoir créateur du juge, ne concernent pas un phénomène légitime, mais surtout qu'ils aboutissent à la remise en cause de principes nécessaires : la déclarativité de la jurisprudence est avant tout un corollaire de la séparation des pouvoirs dans sa conception stricte. La mise en balance de ces deux données - les principes fondant l'office du juge et les inconvénients de l'action du juge dans la pratique - aboutit alors à assumer ces inconvénients au nom d'impératifs supérieurs326(*). S'il n'y a pas de « droit acquis à une jurisprudence figée », c'est parce que « l'évolution de la jurisprudence relève de l'office du juge dans l'application du droit » ; et si tel est son office, c'est parce que la jurisprudence doit nécessairement évoluer, et même, parce qu'il est vital que la jurisprudence évolue.

Dans l'optique de la critique, on rappellera que des problèmes différents sont parfois liés. Celui du champ d'application de la règle jurisprudentielle, « naturellement rétroactive » d'après cette partie de la doctrine, est lié aux problèmes que nous venons d'expliquer, et qui sont allégués par cette même doctrine. Les causes sont identiques : le juge ne peut limiter le champ d'application de la norme qu'il produit. La solution préconisée ici est donc la même : la limitation du champ d'application de la norme jurisprudentielle, éventuellement dans l'optique de ne pas porter atteinte aux prévisions légitimes des justiciables.

Cette solution, la Cour de Cassation l'a utilisée à deux reprises, comme nous allons le voir maintenant, mais en se fondant sur une autre préoccupation, celle du droit à un procès équitable. La Cour de Strasbourg, quant à elle, a pris position sur ce sujet depuis les années 1990, et a depuis condamné la France à plusieurs reprises.

§ II / Le critère des effets : un fondement de la critique par les juges.

L'inquiétude quant aux effets de la rétroactivité de la jurisprudence n'est pas uniquement le fait de la doctrine. Si la Cour de cassation s'est prononcée pour la thèse de la déclarativité, assumant les conséquences négatives de ses postulats, elle a aussi ménagé une exception dans ses principes, estimant que ceux-ci peuvent, en certaines hypothèses précises, ne pas être conformes à certains principes qui s'imposent même à la loi, et a fortiori à la jurisprudence (A) . La Cour de Strasbourg, quant à elle, ne partage pas les conceptions de la Cour de Cassation quant à la place de l'interprétation jurisprudentielle dans la hiérarchie des normes, ce dont elle tire certaines conséquences quant aux effets de cette interprétation, et notamment quant à sa prévisibilité (B) .

A. L'hypothèse de l'atteinte au droit à un procès équitable par la rétroactivité de la jurisprudence.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, pour trancher un conflit entre deux impératifs, a pris l'initiative de procéder à un revirement pour l'avenir (1) ; Après avoir expliqué comment et pourquoi elle a procédé, nous nous pencherons sur la portée de cette solution (2) .

1) Le résultat d'un conflit entre deux impératifs.

Cette hypothèse de l'atteinte au droit à un procès équitable par la rétroactivité de la jurisprudence a été envisagée pour la première fois dans un arrêt de la deuxième chambre civile le 8 juillet 2004327(*) à l'initiative de la Cour de Cassation elle-même.

En l'espèce, comme nous avons pu le dire, « la discussion portait sur les conséquences de l'interruption de la prescription de trois mois prévue par l'article 65-1 de la loi de 1881 à propos des atteintes à la présomption d'innocence : le délai courant après l'interruption était-il le délai ordinaire ou, à nouveau, le délai de trois mois ? Alors que la Cour d'appel a estimé que la demanderesse n'avait pas à « réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée », la deuxième chambre civile décide au contraire que « ces dispositions spéciales d'ordre public dérogeant au droit commun, le délai de trois mois courait à nouveau à chaque acte interruptif de la prescription abrégée prévue par ce texte »328(*). La Cour de Cassation abandonne donc une règle qu'elle a définie dans un arrêt du 4 décembre 1996.

En principe, la thèse de la déclarativité aurait dû inciter la Cour de Cassation à appliquer la règle jurisprudentielle nouvelle à l'instance en cours : l'intervention du juge est neutre, comme nous l'avons dit, elle ne doit viser qu'à clarifier la loi, et n'est donc pas autonome ; elle s'incorpore à la loi, et l'entrée en vigueur de ce régime substantiel - qui n'est basé que sur une interprétation - est donc la date d'entrée en vigueur de la loi interprétée. Le même jour, la même chambre a d'ailleurs réaffirmé cette solution : « les exigences de sécurité juridique et la protection de la confiance légitime invoquées pour contester l'application d'une solution restrictive du droit d'agir résultant d'une évolution jurisprudentielle, ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit »329(*).

Pourtant, la Cour de Cassation a choisi de retarder l'entrée en vigueur de cette règle jurisprudentielle nouvelle : « si c'est à tort que la cour d'appel a décidé que le demandeur n'avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales »330(*). Ce faisant, la Cour de Cassation décide donc de limiter la portée dans le temps de sa propre jurisprudence, procédant donc à un revirement pour l'avenir.

Rappelons-le : l'objet de la règle intervenue ici était bien particulier : il s'agissait d'une règle de prescription, moins favorable que l'ancienne règle pour le demandeur. Celui-ci n'avait respecté que les exigences de l'ancienne règle, moins contraignante. La règle aboutissait ici à rendre nulle toute la procédure, sur le fondement d'une règle que les parties ne pouvaient pas encore connaître puisqu'elle n'a été adoptée que dans l'arrêt du 8 juillet 2004. Le demandeur ne pouvait pas prévoir l'intervention de la règle jurisprudentielle nouvelle, et ne pouvait donc pas se conformer aux exigences procédurales nouvelles.

Or, en l'espèce, l'intervention de la règle nouvelle ne concernait pas l'issue du litige mais son existence-même. Elle ne concernait pas la solution au fond, mais la possibilité d'engager la procédure. La question n'était pas de savoir si les parties pouvaient prévoir ou non l'intervention de la règle qui allait trancher la procédure, mais de savoir si les parties pouvaient ou non engager l'action d'après les exigences procédurales nouvelles.

Ce n'est donc pas en soi l'intervention rétroactive de la règle nouvelle en cours d'instance qui est en cause. Ce qui est en cause, c'est la possibilité même de défendre sa cause devant un juge. Et cette possibilité, garantie par l'article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, aurait été anéantie si une règle moins favorable au demandeur était intervenue en cours d'instance alors que celui-ci, ne pouvant connaître son existence, ne l'avait pas appliquée. Le résultat était donc bien plus grave.

C'est ici qu'interviennent donc deux impératifs contradictoires : d'un coté, la volonté d'adopter une position nouvelle, s'inscrivant dans le cadre d'une politique jurisprudentielle confirmée depuis une dizaine d'années331(*) ; d'autre part , le droit de défendre sa cause devant un juge, garanti par une norme à laquelle l'article 55 de la Constitution de 1958 confère une valeur toute particulière, puisqu'elle s'impose même au législateur. A fortiori, elle s'impose au juge, qui ne doit pas, par son comportement, empêcher une partie de défendre sa cause devant un juge.

Nous avons dit que le principe de sécurité juridique, s'il existe en droit privé Français, n'avait pas une force telle qu'il puisse aboutir à la remise en cause des principes fondant l'office du juge. Mais l'article 6§1 a, quant à lui, cette force obligatoire qui s'impose au juge dans son action. Entre ces principes qui dirigent l'action du juge - entre autres la règle de rétroactivité naturelle - qui sont déduits des articles du Code civil, et l'impératif de ne pas entraver le droit de défendre sa cause devant un juge, la Cour de Cassation ne pouvait que trancher en faveur de la règle imposée par une règle qui ne plie que devant la Constitution.

L'objectif de la Cour de Cassation étant donc d'adopter une règle nouvelle qu'elle estime nécessaire sans pour autant empêcher le justiciable de défendre sa cause, la Cour a donc procédé en trois temps.

Dans un premier temps, elle a reconnu l'existence d'une règle de droit ; ceci facilitait grandement sa démarche, voire la rendait tout simplement possible. Ce qui était en cause en l'espèce était donc bien plus que la simple clarification d'une loi obscure -une interprétation, dont la chambre criminelle a pu dire que le principe de non rétroactivité ne s'y applique pas332(*). - , il s'agissait bien d'une règle s'intégrant au droit positif de façon autonome. Elle parle à ce sujet d'une « règle de prescription », même si elle n'en précise pas le fondement exact.

Dans un deuxième temps, elle constate que la règle nouvelle devrait conduire à la nullité de toute la procédure : « c'est à tort que la cour d'appel a décidé que le demandeur n'avait pas à réitérer trimestriellement son intention de poursuivre l'action engagée ».

Dans un troisième temps, constatant que la règle nouvelle a pour effet d'empêcher l'accès au juge, et donc de « priver la victime d'un procès équitable », elle décide de ne pas faire application de cette règle pour le litige en cause, accordant donc au demandeur le bénéfice de la règle ancienne, sur laquelle il s'était fondé.

La Cour procède donc, comme nous l'avons dit, à un revirement pour l'avenir : elle annonce l'apparition d'une règle nouvelle mais n'en fait pas immédiatement application ; l'hypothèse dans laquelle elle décide de revirer pour l'avenir est bien précise : il s'agit ici du cas où « l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

Comme le rappelle Patrick MORVAN, la solution ne s'est pas imposée sur le fondement de la sécurité juridique, même invoquée sur le fondement de l'article 6.1, mais sur le fondement de l'équité333(*). « Ironie de l'histoire, l'article 6§1 Conv. EDH dont la Cour régulatrice refusait de déduire un « droit acquis à une jurisprudence figée » est devenu le socle textuel du revirement pour l'avenir, figeant bel et bien pour le passé voire le présent (les instances en cours) , une jurisprudence répudiée. » Comme nous l'avons dit, la même deuxième chambre civile, le même jour, avait refusé de procéder à un revirement pour l'avenir demandé sur le fondement de la sécurité juridique et du principe de la confiance légitime, reproduisant la motivation désormais classique selon laquelle ceux-ci « ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante, dont l'évolution relève de l'office du juge dans l'application du droit »334(*) : cette solution, refusée sur le fondement de la sécurité juridique, devient nécessaire sur le fondement du droit à un procès équitable.

Nous pouvons enfin faire une remarque : si la Cour ne pouvait juger autrement sans nuire gravement aux intérêts du demandeur, elle pouvait en revanche procéder à un revirement pour l'avenir sans que sa décision ne soit gravement préjudiciable aux intérêts de l'autre partie : dans un tel cas de figure il ne s'agit pas de trancher le litige, mais simplement de faire perdre à l'autre partie une chance de la conclure à ce moment précis. Bref, dans un tel cas, la partie qui subit le revirement pour l'avenir ne perd pas la guerre, mais seulement une bataille.

2) Un mécanisme d'exception à la portée ambiguë.

Il est intéressant de noter qu'en l'espèce, la deuxième chambre civile a utilisé ce mécanisme de sa propre initiative : aucune demande n'avait été formulée en ce sens par les parties, et elles ne le pouvaient d'ailleurs pas, puisque le revirement et la limitation de la portée de la solution ont été décidés dans le même arrêt. C'est donc un choix qui s'est fait sans aucune contrainte, marquant une volonté particulièrement forte de la deuxième chambre civile de ne pas faire rétroagir la règle nouvelle.

C'est ensuite un choix qui a été confirmé solennellement par l'assemblée plénière de la Cour de Cassation, le 21 décembre 2006335(*), dans une autre affaire, mais avec un enjeu absolument identique: il s'agissait en l'espèce de la même controverse, et l'Assemblée Plénière aurait pu réaffirmer la solution ancienne, désavouant l'initiative de la deuxième chambre civile. Il n'en fut rien, l'assemblée plénière profitant toutefois de l'occasion pour préciser le sens de ce mécanisme d'exception.

Car il s'agit bien d'un mécanisme d'exception, destiné à éviter que le droit de défendre sa cause devant un juge ne soit menacé par la rétroactivité de la jurisprudence, et pas à s'imposer à toutes les hypothèses de revirement de jurisprudence. Cela, l'assemblée plénière le montre clairement en ajoutant un élément à la formule de la deuxième chambre civile « l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge ». Bref, le seul cas où la Cour de Cassation a accepté pour le moment d'écarter l'application d'un revirement de jurisprudence pour des faits qui se sont passé avant le revirement est le cas où la règle nouvelle a pour effet - quand bien même ce ne serait pas son objectif - de priver un justiciable du droit d'accéder au juge.

Et, il faut le préciser, c'est le seul cas où la Cour de Cassation accepte de reconnaître pleinement à la règle prétorienne un caractère normatif de jure336(*).

C'est aussi un mécanisme qui ne fait pas l'unanimité : la solution classique a été réaffirmée après l'arrêt de la deuxième chambre par les autres chambres, y-compris dans un cas où une règle procédurales nouvelle empêchait un justiciable de pouvoir défendre sa cause devant un juge337(*). Toutefois, aucun arrêt n'a été rendu à notre connaissance dans l'hypothèse précise du droit à l'accès à un juge impartial depuis l'arrêt de l'assemblée plénière.

C'est d'ailleurs ce qui nous pousse à rappeler que le procédé, s'il était nécessaire du point de vue des engagements internationaux de la France, et plus précisément du point de vue de l'article 6§1 invoqué ici, n'en est pas moins profondément novateur : le juge a accepté de limiter de sa propre initiative la portée de la décision que son statut lui imposait de rendre, et cela avec un parfum d'arrêt de règlement - nous développerons ce point dans une deuxième partie. De plus, le mécanisme répondait à des demandes de la part d'une partie de la doctrine, comme nous l'avons dit. Dans ces conditions, ce qui n'est pour le moment qu'une exception - acceptée mais cantonnée pas l'assemblée plénière - est-il destiné à le rester, ou doit-on y voir une étape dans une politique de « petits pas », ou encore un « ballon d'essai » ?

L'arrêt laisse enfin des zones d'ombre : tout d'abord, la Cour ne précise pas si elle apprécie l'atteinte à l'article 6§1 in concreto ou in abstracto. Le choix de ce critère peut ne pas être sans conséquence, par exemple, dans le cas du revirement rendu prévisible par une politique de « petits pas », ou par le caractère controversé de la solution - en l'espèce, il y avait une controverse, mais, sur ce point, elle était réglée depuis 1996, ce qui incite à penser qu'il faudrait une controverse particulièrement importante pour convaincre d'une impossibilité de se conformer à la règle nouvelle.

Ensuite, l'article 6§1 s'est imposé au juge en l'espèce parce qu'il avait une force toute particulière en droit Français, mais ce n'est pas exceptionnel : d'autres dispositions ont la même force, à commencer par les autres articles de la Convention, mais aussi tous les traités adoptés régulièrement. Ces dispositions l'emportent-elles également sur les principes dirigeant l'action du juge - entre autre la rétroactivité de la règle jurisprudentielle - ou le cas de l'atteinte au droit de défendre sa cause devant un juge est-elle le seul cas de figure où la Cour accepterait de renoncer à la rétroactivité ?

L'article 6§1, comme nous venons de le dire, s'est imposé au juge en l'espèce parce qu'il avait une force toute particulière en droit Français. Mais l'article 6§1 n'est pas au somment de l'ordonnancement juridique - sauf, bien sûr, à considérer que l'article bénéficie de l' « aura » de l'article 55 de la Constitution de 1958. Les dispositions du bloc de constitutionnalité pourraient éventuellement conduire à sa remise en cause, les dispositions constitutionnelles l'emportant sur les dispositions conventionnelles. Si une norme d'origine constitutionnelle - telle que le « principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine »338(*) ou la « liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle »339(*)- était opposée à l'article 6§1, quelle disposition l'emporterait ? La chambre criminelle, en 2002 et en 2004340(*), a clairement opté pour la solution classique. Mais cette solution date d'avant la solution de la deuxième chambre civile - un ralliement n'est donc pas exclu - , mais surtout avant la consécration de la solution par l'assemblée plénière.

La solution choisie par la deuxième chambre civile dans l'optique d'un mécanisme d'exception, solution consacrée par l'assemblée plénière, n'est donc pas seulement profondément novatrice - tout particulièrement dans ce contexte intellectuel - , elle est aussi ambiguë. La question de son étendue reste à déterminer, de même que la question de savoir si elle convaincra.

B. La reconnaissance de la jurisprudence nationale par la Cour de Strasbourg.

La Cour Européenne des Droits de l'Homme, soucieuse de l'impératif de sécurité juridique depuis l'arrêt MARCKX341(*), a entrepris de ne pas laisser la norme prétorienne hors de la hiérarchie des normes (1) . Cela lui a permis de sanctionner son imprévisibilité, voire sa rétroactivité (2) .

1) La jurisprudence nationale, source accessoire de droit.

Comme l'explique Patrick MORVAN, « la Cour Européenne des Droits de l'Homme  a, la première, admis la jurisprudence nationale au rang des sources du droit positif. La présence en son sein de juristes de common law l'y incitait fortement »342(*). Cela ne passe pas, toutefois, par une assimilation pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc de légalité (lato sensu) »343(*), mais comme un accessoire obligatoire pour des raisons logiques.

Selon quel schéma la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme a-t-elle intégré la norme jurisprudentielle dans le droit positif ? Il s'agit d'une conséquence du principe de légalité344(*), mais aussi d'une affirmation logique345(*) : le droit ne peut pas être parfait, il a besoin d'être précisé même après l'entrée en vigueur de la norme. Le principe de légalité implique notamment la qualité et la prévisibilité de la loi : « Comme la Cour l'a dit dans son arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993 (série A n° 260-A, p. 22, par. 52), l'article 7 ne se borne donc pas à prohiber l'application rétroactive du droit pénal au désavantage de l'accuséì: il consacre aussi, de manieÌre plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manieÌre extensive au désavantage de l'accuseì, notamment par analogie. Il en résulte qu'une infraction doit être clairement définie par la loi. »346(*)

Or, la cour estime par ailleurs que le droit ne peut être parfait. Dans l'affaire CANTONI, la Cour avait ainsi pu expliquer, à propos de la définition des médicaments, que « La Cour a déjàÌ constateì qu'en raison même du principe de généralité ì des lois, le libelléì de celles-ci ne peut présenter une précision absolue. L'une des techniques types de réglementation consiste aÌ recourir aÌ des catégories générales plutôt qu'aÌ des listes exhaustives. Aussi de nombreuses lois se servent-elles par la force des choses de formules plus ou moins floues, afin d'éviter une rigiditéì excessive et de pouvoir s'adapter aux changements de situation. »347(*) L'idée a été reprise dans l'affaire PESSINO c. France348(*), ce qui permet à la Cour de ne laisser aucun doute quant à sa généralité, en dehors du domaine pour lequel elle a été invoquée, mais aussi d'ajouter que « L'interprétation et l'application de pareils textes dépendent de la pratique (...). La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l'interprétation des normes, en tenant compte des évolutions de la pratique quotidienne. »

La jurisprudence peut alors être appelée à jouer un rôle d'interprétation de la loi ; ce faisant, l'interprétation sera intégrée au droit positif comme ayant précisé, voire ajouté à la norme législative. Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni, la Cour concluait : « La Cour a donc indiqué que la notion de "droit" ("law") utilisée à l'article 7 (art. 7) correspond à celle de "loi" qui figure dans d'autres articles de la Convention, notion qui englobe le droit écrit et non écrit et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d'accessibilité et de prévisibilité. »349(*) Elle s'est montrée plus précise dans les affaires CANTONI et PESSINO, évoquant le « droit d'origine tant législative que jurisprudentielle ».

L'idée n'est pas neuve : sans préciser autant sa pensée, la Cour avait déjà affirmé le caractère normatif de l'interprétation jurisprudentielle dans les affaires KRUSLIN c. France350(*) et GEOUFFRE De La PRADELLE c. France351(*). Dans l'affaire KRUSLIN c. France, elle avait précisé qu' « il convient d'entendre le terme « loi » dans son acception matérielle et non formelle ». Dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE c. France, elle avait pu évoquer « l'extrême complexité du droit positif, telle qu'elle résulte de la combinaison de la législation (...) avec la jurisprudence ».

Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni (paragraphe 34) , elle précisait encore que « Aussi clair que le libellé d'une disposition légale puisse être, dans quelque système juridique que ce soit, y compris le droit pénal, il existe immanquablement un élément d'interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s'adapter aux changements de situation. D'ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique du Royaume-Uni comme des autres Etats parties àÌ la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement àÌ l'évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l'article 7 (art. 7) de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilitéì pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire àÌ l'autre, aÌ condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible. »352(*)

Bref, si la loi doit être précise, une part d'imprécision est acceptable lorsque la jurisprudence précise par la suite le sens de la loi : « la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale »353(*).

Ce faisant, la Cour insère la jurisprudence dans la hiérarchie des normes. Cela ne passe pas, comme nous l'avons dit, par une assimilation pure et simple de la norme jurisprudentielle à la norme législative. La norme jurisprudentielle « fait partie du bloc de légalité (lato sensu) »354(*), non pas comme une source autonome du droit, mais comme une source accessoire, probablement subordonnée dans ce travail de création au seul créateur de normes légitime, le législateur. La Cour trouve ainsi un moyen de surmonter le problème des « infirmités jurisprudentielles », celles-ci n'étant pas nécessairement un obstacle dans le rôle qu'elle lui assigne.

La Cour ne donne pas de fondement à cette insertion de la jurisprudence dans la hiérarchie des normes. Elle même estime que sa propre jurisprudence est fondée sur l'idée d'interprétation355(*). Il s'agit probablement d'une façon de respecter le principe de subsidiarité en laissant chaque état libre du fondement de sa jurisprudence - elle rappelle d'ailleurs « qu'il incombe au premier chef aux autorités nationales, notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquer le droit interne ». Mais ce faisant, elle oblige toutefois les Etats à inclure la jurisprudence dans les sources du droit, quel que soit le fondement.

Or, comme nous allons le voir, cette reconnaissance d'un pouvoir créateur en partie légitime du juge n'est pas un cadeau qu'elle fait au juge - ou peut-être un cadeau empoisonné- , c'est, plus subtilement, un moyen pour elle de veiller au respect par le juge de certains impératifs dont elle impose le respect dans le cadre de la production de la norme, et notamment des impératifs concernant la portée de la jurisprudence dans le temps.

2) Un travail de création soumis à certains impératifs.

Quels sont ces impératifs ? Il s'agit de la qualité de la norme, ce qui implique sa prévisibilité, et d'autre part sa non-rétroactivité dans le domaine pénal. Ces objectifs sont ceux imposés à tout créateur de normes. Avant même de préciser sa position en l'étendant clairement au « droit non-écrit », la Cour avait déjà eu l'occasion de donner de la loi une définition intéressante : « il faut d'abord que la loi soit suffisamment accessible ; le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné ; en second lieu, on ne peut considérer comme une loi qu'une norme énoncée avec suffisamment de précision pour permettre à un citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable, dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé. »356(*)

Lorsqu'elle s'est préoccupée de l'insertion de la jurisprudence parmi les sources du droit, la Cour a ainsi transposé ces impératifs à la jurisprudence. Comme l'explique Patrick MORVAN, « Investissant d'une autorité normative le juge interne, le juge Européen lui enjoint en contrepartie de veiller à la qualité de la « législation » judiciaire, c'est-à-dire à sa clarté, sa prévisibilité, et son accessibilité. En France, le Conseil Constitutionnel adresse une mise en demeure similaire au législateur lorsqu'il affirme que les incriminations pénales doivent être rédigées en des « termes clairs et précis pour exclure l'arbitraire »357(*) et, plus largement, que « l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi » constituent « un objectif de valeur constitutionnelle »358(*). (...) Avec quelques reculs, la question de savoir si la jurisprudence est source de droit paraît (...) dépassée. Le débat s'est déplacé vers un autre thème autrement plus décisif : celui de la qualité de la norme jurisprudentielle et de son contrôle par le juge interne ou international. »359(*)

La norme jurisprudentielle doit répondre aux mêmes conditions de qualité que le droit écrit, tel que précisé par les affaires Sunday Times360(*) et MALONE361(*). C'est précisément l'intérêt de cette norme : préciser le droit écrit. Le principe résulte notamment des affaires KRUSLIN 362(*) et GEOUFFRE De La PRADELLE363(*). Comme l'explique Patrick MORVAN, « Les écoutes téléphoniques ordonnées par un juge d'instruction constituaient une pratique admise depuis 1980 par la Cour de Cassation sur le fragile fondement de l'article 81 du Code de procédure pénal. Leur validité était en réalité subordonnée à une série de conditions jurisprudentielles déduites des « principes généraux du droit ». Sûre de son fait, la chambre criminelle concluait que « ces dispositions répondent aux exigences résultant de l'article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits d l'Homme et des libertés fondamentales » consacrant le droit au respect de la vie privée. Mais la Cour de Strasbourg ruina cette belle certitude en déclarant que les écoutes téléphoniques constituaient une violation de ce même texte. Certes, concéda-t-elle, « l'ingérence litigieuse avait une base légale en droit Français » puisqu'il convient d'entendre « le terme « loi » dans son acception matérielle et non formelle » ; à ce titre, « on ne saurait faire abstraction d'une jurisprudence établie ». Mais cette base légale ne revêtait pas la « qualité » requise pour fonder valablement une restriction à un droit fondamental. Précisément, estime la Cour, « le droit Français, écrit et non écrit, n'indique pas avec assez de clarté l'étendue et les modalités du pouvoir d'appréciation des autorités dans le domaine considéré. »364(*)

C'est sur un raisonnement similaire que la France fut condamnée dans l'affaire GEOUFFRE De La PRADELLE : « l'extrême complexité du droit positif, telle qu'elle résulte de la combinaison de la législation (...) avec la jurisprudence était propre à créer un état d'insécurité juridique » privant le requérant « d'une possibilité claire, concrète et effective » d'accéder à un tribunal.

La jurisprudence, en tant que norme doit donc présenter une certaine qualité, pour pouvoir être connue. Mais pour pouvoir être connue, elle doit aussi être prévisible. Les justiciables ne doivent se voir appliquer que des normes qu'ils peuvent connaître ou prévoir. Ils ne peuvent donc pas se voir appliquer des revirements de jurisprudence si ceux-ci ne sont pas prévisibles

Ainsi, dans les affaires BELLET c. France et F.E. c. France365(*), la Cour a condamné la France pour l'imprévisibilité de sa jurisprudence dans le contentieux relatif à l'indemnisation des victimes de transfusions sanguines contaminées par le virus du sida : « ni le texte de la loi du 31 décembre 1991 ni ses travaux préparatoires ne permettaient à l'intéressé de se douter des conséquences juridiques que la Cour de Cassation allait déduire de son acceptation de l'offre » du fonds de garantie institué par cette loi, si bien que le requérant n'avait « pas eu la possibilité claire et concrète de contester devant un tribunal le montant de l'indemnisation » et n'avait donc pas « bénéficié d'un droit d'accès concret et effectif devant un tribunal ».

Mais c'est en droit pénal que la Cour a pu veiller tout particulièrement à la prévisibilité de la norme jurisprudentielle. Le principe était déjà contenu dans les arrêts C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, et CANTONI c. France, puis le raisonnement a été précisé quand la France a été condamnée dans l'affaire PESSINO c. France : « La Cour rappelle que l'article 7 de la Convention consacre, de manière générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et prohibe, en particulier, l'application rétroactive du droit pénal lorsqu'elle s'opère au détriment de l'accusé. (...) S'il interdit en particulier d'étendre le champ d'application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l'accusé, par exemple par analogie. Il s'ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale »

La norme doit donc être connue au moment où elle est appliquée : « La tâche qui incombe à la Cour est donc de s'assurer que, au moment où un accusé a commis l'acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l'acte punissable et que la peine imposée n'a pas excédé les limites fixées par cette disposition »366(*),et donc « rechercher si, en l'espèce, le texte de la disposition légale, lue à la lumière de la jurisprudence interprétative dont elle s'accompagne, remplissait cette condition à l'époque des faits »367(*).

Si un précédent existe, celui-ci doit remplir les conditions de qualité pour pouvoir être pleinement compris : « Si la Cour admet aisément que les juridictions internes sont mieux placées qu'elle-même pour interpréter et appliquer le droit national, elle rappelle également que le principe de la légalité des délits et des peines, contenu dans l'article 7 de la Convention, interdit que le droit pénal soit interprété extensivement au détriment de l'accusé, par exemple par analogie. Il en résulte que, faute au minimum d'une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible, les exigences de l'article 7 ne sauraient être regardées comme respectées à l'égard d'un accusé. ».

Cela n'empêche pas, bien sûr, l'évolution du droit. Mais si elle se fait de façon rétroactive, elle doit alors être prévisible : « On ne saurait interpréter l'article 7 (...) de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilitéì pénale par l'interprétation judiciaire d'une affaire aÌ l'autre, aÌ condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l'infraction et raisonnablement prévisible. »368(*)

Il semble que la Cour accepte que la prévisibilité résulte exceptionnellement d'éléments a-juridiques. Comparant plusieurs affaires, elle a ainsi pu affirmer que l'affaire PESSINO, en matière de poursuite de travaux de constructions malgré l'annulation du permis de construire « se distingue clairement des arrêts S.W. et C.R. c. Royaume-Uni (...), dans lesquelles il s'agissait d' un viol et d'une tentative de viol de deux hommes sur leurs femmes. La Cour avait pris soin de noter dans ces arrêts (§§ 44 et 42, respectivement) le caractère par essence avilissant du viol, si manifeste que la qualification pénale de ces actes, commis par des maris sur leurs épouses, devait être regardée comme prévisible et non contraire à l'article 7 de la Convention, à la lumière des objectifs fondamentaux de celle-ci, "dont l'essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines". »

De même, et de façon plus systématique, « la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s'agit, du domaine qu'il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (...). La prévisibilité de la loi ne s'oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (...). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d'une grande prudence dans l'exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d'eux qu'ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu'il comporte »369(*).

Si la norme n'existe pas encore au moment où le justiciable agit, et si son apparition n'est pas prévisible, celle-ci ne peut pas être appliquée rétroactivement. Le principe a mené à trois condamnations, dans les affaires BELLET c. France, F.E. c. France, et PESSINO c. France.

Si la Cour Européenne des Droits de l'Homme impose donc aux Etats un objectif de prévisibilité de la norme jurisprudentielle, elle laisse toutefois les états libres des moyens à utiliser pour atteindre cet objectif. Toutefois, comme l'explique Damien ROETS, assez peu de solutions semblent à même de permettre de respecter les exigences Européennes : « seule l'instauration d'une interprétation pour l'avenir inspirée de la technique américaine du prospective overruling est de nature à intégrer, dans notre système juridique, l'exigence européenne de non-rétroactivité. Cette interprétation pour l'avenir serait effectuée par la Chambre criminelle (ou l'Assemblée plénière) sur pourvoi soit du ministère public contestant une décision de non-lieu ou de relaxe, soit du condamné s'estimant victime d'une interprétation judiciaire in malam partem. Dans le premier cas, la Haute formation rejetterait le pourvoi. Dans le second, en application de l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, elle casserait sans renvoi la décision attaquée, les faits de la cause n'étant pas susceptibles d'une qualification pénale. 

Une forme moins solennelle d'interprétation in futurum pourrait consister en un avertissement préalable, un obiter dictum annonçant un changement imminent de jurisprudence. Pour satisfaire à la condition de prévisibilité, son usage nécessiterait une motivation d'une particulière clarté (la solution nouvelle dégagée ne pourrait bien évidemment être appliquée qu'à des faits commis postérieurement à son édiction).

D'autres voies sont envisageables, telles, par exemple, celle de la procédure de saisine pour avis ou encore celle du Rapport annuel de la Cour de cassation. »370(*)

Pour une partie de la doctrine, de plus en plus importante, certains disent même majoritaires, la constatation du pouvoir créateur du juge impose une réflexion sur la création d'un droit transitoire. Longtemps, cette conclusion logique n'a pas été suivie, ou assez peu, de propositions concrètes en ce sens. A l'époque, le problème, aussi fondamental soit-il, n'apparaissait avoir des conséquences concrètes dignes d'intérêt qu'à assez peu d'auteurs. Comme l'écrivait Olivier DUPEYROUX, la question de la jurisprudence source de droit était « une discussion théoriquement fondamentale, parce qu'est fondamentale, au niveau de la théorie générale du droit, la question de la nature et de la structure des règles juridiques. Heureusement, comme bien des discussions de théorie générale, c'est une discussion sans réelles conséquences sur le terrain de la pratique, ce qui autorise certains à la déclarer vaine »371(*).

Sur ce point, la discussion a commencé à changer de nature lorsque la doctrine a commencé à s'intéresser plus particulièrement aux effets des revirements de jurisprudence, et surtout de leur rétroactivité. La montée des préoccupations tenant à la sécurité juridique y a grandement contribué, et le point culminant a été atteint lorsque le problème a été explicitement posé devant la Cour de Cassation, qui y a répondu le 21 mars 2000372(*) en privilégiant la nécessaire évolutivité de la jurisprudence, puis en ménageant une exception au sein de sa position - les condamnations venant des juges de Strasbourg y incitaient fortement.

En changeant de nature, le débat s'est de plus en plus porté sur les solutions à apporter à ce problème, la contribution la plus fameuse restant celle de Christian MOULY373(*). C'est notamment cette contribution qui inspirera quelques années plus tard les propositions du rapport MOLFESSIS. Ces propositions, si elles ne furent pas les seules propositions de solutions, sont probablement les plus importantes, de par leur caractère officiel.

Les propositions de solutions n'ont pas, toutefois, toutes le même objet, l'approche étant parfois indirecte ; certaines d'entre elles sont déjà mises en oeuvre et sont en plein développement.

Chapitre II / Les solutions proposées pour concilier création jurisprudentielle et droits des justiciables.

Les solutions proposées contre les inconvénients du revirement de jurisprudence ont suivi deux tendances différentes. Dans la première tendance, les solutions ont été conçues essentiellement dans l'optique de protéger les justiciables contre les effets des revirements de jurisprudence. Les solutions proposées avaient pour but de s'attaquer directement au problème de la rétroactivité de la jurisprudence (Section I) . Dans une deuxième tendance, les solutions proposées prenaient pour objet la jurisprudence elle-même. Le but est de s'attaquer indirectement aux effets de la jurisprudence en s'attaquant à son imprévisibilité (Section II) .

Section I / Les solutions proposées au problème de la rétroactivité de la rétroactivité de la jurisprudence.

La réflexion sur ce sujet n'est pas nouvelle, même si elle s'est grandement développée depuis quelques années, notamment sous l'influence de la montée des préoccupations concernant la sécurité juridique. La spécificité de ces solutions est de proposer une limitation de la portée du revirement de jurisprudence dans le but d'en limiter les effets dans le temps. Nous évoquerons d'abord les propositions faites en ce sens, et l'état du droit en la matière, devant la Cour de Cassation, mais aussi devant d'autres juges (I) , puis nous expliquerons ensuite les propositions du rapport MOLFESSIS sur la possibilité d'introduire en droit privé un principe de revirement pour l'avenir (II) .

§ I / L'état du droit et l'influence des propositions classiques.

Par propositions classiques, nous désignons les propositions se fondant sur des procédés admis ou ayant été admis en droit Français, ces propositions étant surtout le fait de la doctrine (A) . Puis nous évoquerons les procédés utilisés, par la Cour de Cassation ou devant d'autres juges, visant à moduler les effets dans le temps des revirements de jurisprudence (B) .

A. L'insuffisance des solutions classiques.

Aussi séduisantes soient-elles, les solutions classiques n'ont pas été retenues, ne menant pour la plupart qu'à des impasses ou à des insuffisances. Plusieurs solutions proposaient de partir de procédés admis ou ayant été admis par le passé dans notre droit, soit en en appelant à une tierce autorité (1) , soit en étendant l'utilisation d'instruments déjà pleinement admis dans notre droit (2) .

1) L'appel au législateur.

Nous expliquerons d'abord une proposition visant à reprendre, en les modernisant, un procédé ancien (a) , puis la possibilité de « consolider » ou, au contraire de « combattre », selon l'expression du Doyen la norme jurisprudentielle (b) .

a. Redonner le monopôle de l'interprétation au créateur légitime de la règle.

Cette solution a été proposée récemment comme alternative aux propositions du rapport MOLFESSIS. L'idée était de moderniser l'ancien système du référé législatif, qui obligeait Le Tribunal de cassation, pendant la période révolutionnaire, à en appeler à l'intervention du législateur à chaque fois qu'un problème d'interprétation de la loi se posait ; de cette façon, l'interprétation, restant dans les pouvoirs du législateur, ne pouvait aboutir à la réécriture de la loi par un tiers qui ne devait pas être chargé d'autre chose que de son application. Mais la proposition n'est pas une reprise pure et simple de l'ancien système, abandonné après avoir montré d'évidentes limites.

« Une voie médiane, seule, permettrait de sortir de l'impasse en respectant la cohérence de notre droit tout en évitant que les justiciables ne soient victimes du piège imprévisible de la rétroactivité. Elle consisterait, la proposition choquera sans doute, à restaurer un référé législatif d'un nouveau type, d'initiative judiciaire mais plus obligatoire. L'objectif serait d'ouvrir à la Cour de Cassation la possibilité d'en appeler à l'intervention de législateur afin de fixer dans le temps le contenu du revirement qu'elle aura, par hypothèse, estimé nécessaire »374(*). L'avantage de cette proposition serait de donner au législateur la possibilité de décider lui-même de la nécessité d'une application rétroactive ; dans le cas contraire, la consécration de la règle jurisprudentielle par une loi serait soumise au principe de non-rétroactivité contenu dans l'article 2 du Code civil, et plus largement au principes du droit transitoire, bien assis en droit Français.

« Puisque la portée générale de la décision autant que ses possibles effets pervers requièrent un élargissement du débat à des organisations et représentants des intérêts en cause dans la décision à venir375(*), autant que celui-ci ait lieu devant la représentation nationale, constitutionnellement apte à prendre des décisions de nature politique. Le caractère exceptionnel d'un tel revirement devrait encore permettre que la passerelle, facultative, puisse fonctionner en pratique sans connaître les blocages du passé.

Dans sa conception moderne, la séparation des pouvoirs suppose non seulement leur répartition équilibrée mais encore leur action en concert en fonction des besoins. Moins que le conflit entre la loi et la jurisprudence, il convient de favoriser leur collaboration, ce que les rapports officiels de la Cour de Cassation tendent déjà à assurer »376(*).

L'idée n'est pas nouvelle, même si elle n'avait pas encore été présentée sous cette forme. Ainsi, Pierre VOIRIN en 1958 : « il existe un remède très général, mais assez rarement employé. Son emploi dépend d'ailleurs du bon plaisir du législateur. Que celui-ci inscrive dans la loi la décision élaborée par la Cour de Cassation et confirmée par une série de décisions conformes. Par la suite, pour modifier la règle, il faudra une loi nouvelle qui, en principe, ne sera pas rétroactive. La modification de la loi n'offre pas l'inconvénient du revirement de jurisprudence. (...)

Le remède est efficace. Aussi n'avons nous pas hésité à préconiser qu'à l'occasion de la refonte d'une législation, le législateur y incorpore tout ce qui, sur la matière envisagée, constitue le droit, c'est-à-dire « non seulement les lois spéciales et dispersées, mais encore les coutumes formées et toujours en vigueur, les décisions constantes de la jurisprudence non encore intégrées au droit écrit... »377(*) »378(*)

Le remède préconisé par Yves-Marie SERINET nous oblige toutefois à rappeler les reproches résumés par le Doyen ROUBIER contre l'ancien système du référé législatif : « ce système du référé au législateur était de nature à provoquer une législation interprétative abondante : il aboutissait à remettre la solution des litiges les plus importants à un organisme politique, qui n'avait aucune des qualités auxquelles les parties peuvent tenir chez un juge ; d'autre part, le cours de la justice était suspendu d'une manière indéfinie, car la solution législative pouvait se faire attendre, et, en fait, le Corps législatif, ayant beaucoup d'autres préoccupations, la faisait trop longtemps attendre »379(*). Le reproche s'accompagne par ailleurs d'un risque accru d'atteinte à la séparation des pouvoirs.

La proposition présente aussi un autre inconvénients : le système du référé législatif a été prévu à une époque où le nombre de pourvois en cassation était sans commune mesure avec le phénomène d'encombrement que nous connaissons à l`heure actuelle380(*). Sur ce point, on pourra cependant garder un espoir en pensant à l'affirmation que les revirements ayant des effets négatifs sont relativement rares381(*) ; le système ne risquerait donc pas nécessairement, a priori, l'asphyxie.

Un dernier inconvénient serait le risque potentiel de voir ce procédé nuire à l'un des principaux avantages de la création prétorienne : sa flexibilité et sa réactivité en premières lignes de l'application du droit ; cela ne disqualifie pas d'office cette solution, mais si celle-ci était suivie, alors il serait nécessaire que le législateur « joue le jeu » et sache conserver les mêmes qualités dans son association avec le juge.

b. Une solution associant la Cour de Cassation à une autre autorité : le droit de défaire une jurisprudence.

La solution est évoquée par Denys de BECHILLON, à propos de l'arrêt rendu par l'assemblée plénière le 24 janvier 2003382(*) : le législateur peut, sans contrevenir aux exigences du procès équitable, aménager les effets d'une jurisprudence nouvelle de nature à entraîner des dommages excessifs. Ainsi, dans l'arrêt, la Cour avait pu estimer que le législateur pouvait « aménager les effets d'une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du service public de la santé et de la protection sociale » parce qu'elle répond, ce faisant, à d'impérieux motifs d'intérêt général ». Comme l'explique Denys de BECHILLON, « il faut désormais prendre acte de ce que la Cour de Cassation permet désormais au législateur de corriger, s'il le juge utile, les effets rétroactifs de certains revirements de jurisprudence »383(*).

C'est d'ailleurs ce qui pousse Vincent HEUZE, critiquant les propositions du rapport MOLFESSIS, à affirmer que « l'expérience montre que le législateur sait prendre ses responsabilités lorsque cela s'avère réellement indispensable, et notamment dans l'hypothèse, dont les auteurs du rapport se préoccupent très justement, où une position prise par les tribunaux risquent d'avoir des répercussions économiques néfastes. Il n'hésite pas, alors, à adopter des lois de validation rétroactive ou à imaginer des solutions de compromis qui ménagent les intérêts de toutes les parties en cause. N'est ce pas ce qu'il a fait, encore récemment, dans le domaine de l'assurance de responsabilité, à propos des clauses « base réclamation » que la jurisprudence avait condamnées, en raison des conséquences abusivement rigoureuses qu'elles pouvaient parfois entraîner pour les assurés ? Et cet exemple même n'est-il pas révélateur de la supériorité de la loi pour l'aménagement des effets des revirements de jurisprudence ? Car là où les tribunaux n'avaient le choix qu'entre la nullité ou la validité de ces clauses, le législateur jouissait d'un éventail illimité de possibilités pour arbitrer les intérêts qui devaient être considérés, et pouvait au surplus aménager un régime transitoire pour les situations constituées antérieurement à l'expression de sa position. »

Cependant, Denys de BECHILLON s'interroge également : « cette - indéniable - avancée frappée au coin d'un fort souci d'orthodoxie dans la protection du carré de la loi, constitue-t-elle une réponse suffisante » au problèmes posés par la rétroactivité de la jurisprudence ? « On proposera d'en douter, au moins en partie, pour une raison simple : cette « délégation » par le juge, au législateur, du pouvoir de corriger les effets pervers de la rétroactivité des normes prétoriennes suppose une attention du Parlement à la vie du droit qui est à la fois trop peu fréquente et trop difficile à obtenir pour que l'on puisse se satisfaire illico de cette seule solution. A fortiori au nom du principe d'égalité de traitements due au justiciables. Car il ne faut pas se voiler la face : sauf exception notoire, seuls les acteurs dotés d'un pouvoir d'influence - voire d'une capacité de lobbying - suffisant peuvent sérieusement espérer du législateur qu'il vienne combattre telle conséquence rétroactive d'une décision de justice. Encore leur faut-il compter avec la part - gigantesque - d'aléa que l'on sait inhérente à la rédaction finale d'un texte de loi possédant un tel objet. Bref, pour qui veut voir ici une question de principe, munie d'une portée tout à fait générale, il n'est guère loisible de penser que le recours à des validations législatives constitue la solution miracle, même si elle offre, au demeurant, dans un nombre de cas aujourd'hui difficile à apprécier, une porte de sortie intéressante et certainement très utile ».

2) Les solutions basées sur l'amplification de l'utilisation d'instruments déjà admis dans notre droit.

La première proposition a été faîte pour la jurisprudence pénale ; elle consiste à exonérer le justiciable de toute responsabilité dans son obligation de connaissance du droit (a) ; la deuxième consiste à favoriser la stabilité des situations juridiques grâce à la prescription (b) .

a. L'erreur du justiciable s'étant fondé sur la position de la Cour de Cassation.

La première solution est envisagée par G-X BOURIN384(*). Elle consiste à utiliser, au moins dans le domaine du droit pénal, une cause d'irresponsabilité introduite dans l'article 122-3 du Code pénal de 1994, l'erreur sur le droit :  « n'est pas pénalement responsable la personne qui justifie avoir cru, par une erreur sur le droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte ».

Le raisonnement est alors le suivant : au moment d'agir, le justiciable s'est fondé sur la position de la Cour de Cassation concernant le sens de la règle de droit. Dès lors, peu importe que la Cour de Cassation change sa position entre-temps : il se peut qu'au moment de juger, le juge estime, par une nouvelle interprétation de la loi, que les éléments constitutifs de l'infraction sont réunis, mais le justiciable s'est fondé sur une position de la Cour de Cassation elle-même, que celle-ci soit erronée ou non ; il peut donc se voir appliquer cette cause d'irresponsabilité qui retire à son comportement l'élément intentionnel.

« Au cours des débats parlementaires, l'éventualité de l'application de l'erreur aux revirement de jurisprudence n'a pas été abordée. Dans l'esprit des élus, ce moyen de défense a vocation a exonérer le justiciable dans trois cas de figure. La premier concerne l'erreur provoquée par les renseignement erronés délivrés par l'administration à une personne sur la légalité de l'acte qu'elle envisage. Le second a trait aux défauts de publication d'un texte normatif. Le troisième touche à l'ignorance de notre droit ou à sa mauvaise compréhension par un étranger même si la circulaire ministérielle, dans son commentaire du nouveau Code pénal, passe sous silence cette dernière hypothèse. Quant au règlement non-publié, il n'est pas opposable au justiciables. Qu'aurait-on besoin de l'erreur sur le droit pour faire échec aux poursuites ?

Pratiquement, l'article 122-3 du nouveau Code pénal se présente donc comme une disposition dont l'objet est d'exonérer de leur responsabilité pénale les personnes de bonne foi trompées par l'autorité publique compétente préalablement à leurs actes »385(*). Or, les personnes qui s'appuient sur la position exprimée par la Cour de Cassation sur le sens d'une règle de droit sont par hypothèse de bonne foi. Quant aux juges, ils sont précisément une autorité publique chargée de donner le sens de la règle pour un litige. En quelques sortes des « experts » du droit tout particulièrement dignes de confiance

« Parce qu'il n'y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas, force est de remarquer que l'action d'un justiciable sur la foi d'une jurisprudence ferme, subitement désavouée, entre dans les prévisions de l'article 122-3. La solution adoptée dans une affaire analogue par l'autorité judiciaire la plus élevée n'apparaît pas moins fiable que l'avis de l'autorité administrative compétente qui énonce toujours ses considérations « sous réserve de l'interprétation souveraine des tribunaux. L'acte d'une personne commis sur la fois d'une solution jurisprudentielle univoque établit le caractère invincible de son erreur. L'agent est fondé à invoquer l'exception de l'erreur de droit pour faire échec à l'application de la décision de jurisprudence à son égard. »386(*)

L'extension du mécanisme de l'erreur sur le droit, comme le fait remarquer avec humour Xavier LAGARDE, fait partie de ces « remèdes dont l'utilisation ne nécessite aucun bouleversement institutionnel »387(*), permettant de ne stigmatiser ni le comportement du justiciable, ni celui des juges, légitimement préoccupés de « l'évolution de la jurisprudence », qui relève, ne l'oublions pas, « de l'office du juge dans l'application du droit »388(*). « Et si l'on peut avancer sans se fâcher, on aurait tort de se priver »389(*).

Quelle serait alors sa portée ? « Toute modification imprévisible d'une solution jurisprudentielle justifie-t-elle pour autant l'application de l'article 122-3 ? D'une part, on aurait pu se demander si l'élément matériel de cette cause de non-responsabilité ne consistait pas en un acte positif, cette disposition prévoyant que l'errans n'est responsable pénalement qu'autant qu'il accomplit un acte. Partant, on aurait pu estimer que les infractions d'omission restaient en dehors des prévisions du texte, puisque le principe de légalité s'oppose à l'assimilation d'une abstention à l'acte prévu par la loi. Cependant, aucune raison cohérente ne permet de justifier une différence de traitement entre les actes commis sous l'empire de l'erreur et les abstentions provoquées par une méprise. Certes, la règle d'interprétation stricte est établie pour protéger les libertés individuelles. Mais si, en droit, le juge n'est pas tenu de donner une interprétation large des lois pénales favorables au prévenu, il faut souligner sa tendance marquée à étendre les causes de non-imputabilité et les faits justificatifs à des infractions qu'ils ne prévoient pas. » D'autre part, comme le souligne l'auteur, le motif d'irresponsabilité que constitue l'erreur sur le droit ne doit pas être appliqué là où un motif plus adapté peut être appliqué, par exemple dans le cas où le juge « s'affranchit de l'obligation que font peser sur lui la loi et les principes supérieurs d'interpréter strictement les textes répressifs », même quand celle-ci serait imprévisible. C'est alors l'article 111-4 disposant que  « la loi pénale est d'interprétation stricte » qui trouve application.

Le mécanisme de l'erreur n'est toutefois pas la solution à tous les problèmes posés par la rétroactivité de la règle jurisprudentielle, même au sein du droit pénal. Cette possibilité, comme l'explique Didier REBUT390(*), « est rendue difficile par le régime de l'erreur en droit. Son application est (...) subordonnée à la croyance en la licéité des faits commis. A ce titre, elle peut seulement concerner les revirements de jurisprudence qui conduisent à réprimer un fait qui demeurait auparavant impuni. (...) L'erreur sur le droit est en revanche inapplicable au revirements qui aggravent seulement la répression d'un fait en l'exposant à des peines ou un régime plus sévère que précédemment. Dans cette hypothèse, il est évident que l'auteur ne peut avoir « cru pouvoir légitimement accomplir l'acte ». En ce qui les concerne, l'atteinte sur le droit est incapable d'empêcher l'atteinte au principe de la non-rétroactivité des lois pénales plus sévères. Par ailleurs, l'erreur sur le droit suppose une véritable certitude sur l'impunité de l'acte accompli. On peut craindre que cette certitude ne soit pas aisément reconnue dans le domaine des solutions jurisprudentielles qui est sujet à interprétations. Il est évident que la moindre incertitude sur la licéité de l'acte accompli serait considéré comme incompatible avec une erreur de droit. »

On peut aussi noter que le mécanisme de l'erreur sur le droit n'est pas adapté à tous les domaines du droit. Il est adapté lorsque l'application de la norme est conditionnée à la commission d'une faute, mais surtout lorsque le justiciable avait l'intention de commettre un acte alors que celui-ci est illégal - comme c'est le cas lorsque le justiciable commet une infraction intentionnelle ou une faute engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil. Mais la solution est sans objet lorsque l'application de la norme n'est pas conditionnée à l'apparition d'un comportement fautif intentionnel, mais à l'apparition de faits constatés objectivement - par exemple dans le domaine de la responsabilité du fait des choses ou en matière de clauses compromissoires ou de clauses de non-concurrence.

b. La réforme des délais de prescription.

C'est Xavier LAGARDE391(*) qui propose cette solution, permettant de résoudre le problème de la remise en cause d'actes fondés sur la position de la Cour de Cassation longtemps après leur adoption. « La prescription constitue un puissant moyen de cantonner les incertitudes qui s'attachent aux incertitudes de la Justice. C'est même d'ailleurs son principal objet. En effet, le mécanisme de la prescription n'est jamais que le moyen de préserver les situations acquises de l'exercice d'une action en justice et donc d'un possible trouble judiciaire. A l'instar de ce qu'est le principe de non-rétroactivité des lois dans les rapports entre le législateur et les citoyens, la prescription apparaît en quelques sortes comme la garantie d'éviction que l'institution judiciaire doit au justiciable ».

Reprend ainsi une proposition de Philippe MALAURIE, le principe du délai de prescription trentenaire de droit commun serait alors abandonné, au profit d'un délai beaucoup plus court, par exemple trois ans, accompagné de prescriptions spéciales pour des domaines spécifiques d'une durée plus longues.

« En attendant l'intervention du législateur, la jurisprudence pourrait d'ores et déjà cantonner le domaine de la prescription trentenaire. Dans cette perspective, la Cour de Cassation dispose de deux leviers : le premier consiste à généraliser la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil chaque fois qu'est en cause la sanction civile d'une règle impérative relevant d'un ordre public de protection. Le second passe par une application systématique de la prescription décennale du Code de commerce chaque fois qu'est en cause un commerçant, en tout cas un professionnel relevant des dispositions du code ».

Bref, les solutions basées sur des procédés classiques sont prévues pour des domaines particulier ; par hypothèse, elles permettent de résoudre les difficultés liées à certains domaines particulier de l'action de la jurisprudence, mais n'offrent pas de solution générale. Le seul procédé à valeur générale - la modernisation d'un référé législatif - paraît intéressant, mais ne paraît pas avoir été repris par la doctrine. Les solutions fondées sur des procédés admis ou ayant été admis en droit Français sont donc utiles, mais elles ne permettent pas d'offrir une réponse générale à un phénomène protéiforme aux conséquences complexes.

B. Les procédés utilisés pour moduler l'effet dans le temps d'une jurisprudence.

Dans l'optique de bâtir un éventuel droit transitoire pour la jurisprudence dans l'unité face aux autres juges utilisant un tel système, les rapporteurs du rapport MOLFESSIS ont procédé à l'étude des procédés mis en oeuvre dans cette optique par les juges de common law, les juges Allemands, les juges Européens (1) , et d'autre part par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation elle-même (2) . Nous allons examiner les aspects qui ont retenu leur attention et ont donc constitué l'une des bases de leur réflexion.

1) Les procédés utilisés dans d'autres systèmes juridiques.

A partir de l'étude des pratiques des autres systèmes juridiques, les rapporteurs ont mis en évidence quatre caractéristiques qu'il leur paraissait nécessaire de reprendre dans l'élaboration d'un système de droit transitoire destiné à la jurisprudence. En reprenant ces différentes caractéristiques, nous ajouterons plusieurs éléments, tirés des études annexes, qui semblent avoir inspiré, parfois indirectement les rapporteurs.

a.1)

Le premier élément concerne les fondements de l'office du juge : « l'existence de règles visant à moduler dans le temps les décisions de justice est intimement liée à la place qu'occupe le juge dans le système juridique. Elle dépend clairement de la place accordée à la jurisprudence et de sa reconnaissance en tant que source du droit ». Ceci conforte les rapporteurs dans l'idée que « l'aménagement dans le temps de la jurisprudence et la limitation de leur rétroactivité suppose admis le pouvoir créateur du juge ».

Les modalités de cette reconnaissance diffère selon les systèmes, mais cette base est commune à la plupart des systèmes juridiques étudiés par les rapporteurs. Le rapport sur les systèmes de common law s'ouvre-t-il sur cette explication : « La gestion dans le temps de revirements de jurisprudence dans les systèmes de common law donne lieu à un débat important, à dimension fortement idéologique. Ainsi, en Angleterre, la légitimité de la pratique que l'on appelle prospective over-rulling prend place au sein d'une réflexion sur la fonction de juger (theory of adjudication) , et par là-même au coeur des discussions contemporaines de philosophie du droit relatives à l'aptitude du système juridique à intégrer les exigences, évolutives, de la pratique sociale. »392(*) Si les procédés de modulation des effets des revirements de jurisprudence dans le temps ne sont pas toujours admis comme tels - Horatia MUIR-WATT parle ainsi de « pragmatisme « bas profil » »393(*) - ils s'inscrivent tous par nature dans une réflexion donnant au juge de common law un rôle infiniment plus actif qu'en droit Français.

« Aux Etats-Unis, où le pouvoir quasi-législatif de la Cour suprême fédérale, en tant que gardienne de la Constitution, l'avait conduite à se reconnaître la maîtrise des effets dans le temps de ses propres jugements, on relève que l'orientation influence fortement sa propension à admettre ou non l'effet rétroactif de sa jurisprudence. »394(*). Les rapporteurs évoquent le cas, caractéristique, de la décision « BROWN v. Board of education » : la décision, « déclarant inconstitutionnelle la ségrégation raciale pratiquée par les établissements scolaires dans de nombreux Etats, atteste ainsi que le juge remplit une fonction quasi-législative ; il est dépositaire de la vérité constitutionnelle, sa décision dépassant largement les limites qu'impose son rôle purement judiciaire. Le contentieux assume un rôle politique dans l'intérêt du public (public interest litigation) , caractéristique de l'activité judiciaire contemporaine. »395(*)

Le cas de l'Allemagne est plus intéressant encore : si le rôle du juge reste lié à l'idée d'interprétation, « le pouvoir créateur de la jurisprudence est (...) reconnu de manière officielle. (...) Si le débat sur la rétroactivité de la jurisprudence a été engagé par la doctrine Allemande, c'est précisément parce que la loi Allemande reconnaît expressément aux juridictions suprêmes le droit de procéder à un « développement du droit » (Rechtsfortbildung) . Dès lors, les revirements ont une existence officielle. »

Nous ajouterons simplement que cette base, si elle est commune à la plupart des systèmes juridiques pratiquant cette technique, n'est pas pour autant le point de départ admis par tous les juges. Les juges de Strasbourg et de Luxembourg, en effet, refusent d'attribuer un quelconque pouvoir normatif à leur jurisprudence. L'arrêt DEFRENNE c. SABENA, par exemple, avant d'effectuer un revirement pour l'avenir, avait ainsi pris la précaution d'affirmer que « si les conséquences pratiques de toute décision juridictionnelle doivent être pesées avec soin, on ne saurait cependant aller jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application future, en raison des répercussions qu'une décision de justice peut entraîner pour le passé »396(*).

L'arrêt DENKAVIT, quant à lui, expliquait que « l'interprétation que, dans l'exercice de la compétence que lui confère l'article 177, la Cour de Justice donne d'une règle de droit communautaire, éclaire et précise, lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle, telle qu'elle doit ou aurait du être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise ne vigueur. Il en résulte que la règle ainsi appliquée peut et doit être appliquée même à des rapports juridiques constitués avant l'arrêt statuant sur la demande d'interprétation, si par ailleurs, les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l'application de ladite règle se trouve réunie. »397(*)

Par ailleurs, comme l'explique le rapport annuel de la Cour de Cassation pour l'année 2001, « la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ne consacre pas davantage une prohibition de l'effet "rétroactif" inhérent à la jurisprudence. Elle a en effet indiqué à plusieurs reprises, et à nouveau tout récemment dans des affaires concernant le Royaume-Uni (CEDH 18 janvier 2001 CHAPMAN c/ Royaume uni req. n° 27238/95, paragraphe n° 70) que "sans être formellement tenue de suivre l'un quelconque de ses arrêts antérieurs, la Cour considère qu'il est dans l'intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l'égalité devant la loi qu'elle ne s'écarte pas sans motif valable des précédents. La Convention étant avant tout un mécanisme de défense des droits de l'homme, la Cour doit cependant tenir compte de l'évolution de la situation dans les Etats membres et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (voir entre autre l'arrêt COSSEY c/ Royaume Uni du 27 septembre 1990, série A n° 184 p. 14 §35)

Le principe de l'immutabilité de la jurisprudence européenne n'existe donc pas dès lors qu'il existe un motif valable de s'en écarter. On doit d'ailleurs observer que l'arrêt MARCKX c/ Belgique du 13 juin 1979, souvent cité, énonçait déjà au § 58 qu' "on ne saurait aller jusqu'à infléchir l'objectivité du droit et compromettre son application future en raison des répercussions qu'une décision de justice peut entraîner pour le passé". »

Le revirement pour l'avenir n'est pas ici fondé sur le rôle normatif du juge, mais sur une autre préoccupation du rapport, le principe de sécurité juridique. Ceci nous permet d'expliquer que les systèmes juridiques, outre une certaine vision du rôle du juge, ont également pour caractéristique commune d'accorder une place importante à la notion de sécurité juridique. Ainsi, le Droit Allemand fonde-t-il le revirement pour l'avenir sur les « principes de sécurité juridique (Rechtssicherheit) et de protection de la confiance (Vertrauensschutz) dégagés par la jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale »398(*).

La Cour de Luxembourg, après avoir affirmé la neutralité de son intervention, a quant à elle privilégié la sécurité juridique comme base du revirement pour l'avenir, évoque dans l'arrêt DEFRENNE c. SABENA les « considérations impérieuses de sécurité juridique tenant à l'ensemble des intérêts en jeu, tant publics que privés »399(*). Quant aux juges de Strasbourg, se fondant explicitement sur le précédent de l'arrêt DEFRENNE c. SABENA, ils évoquent le « principe de sécurité juridique, nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire »

Les rapporteurs sont donc dans une certaine unité par rapport aux autres systèmes juridiques quand ils basent leur réflexion sur un droit transitoire pour la jurisprudence sur le rôle créateur du juge, quel qu'en soit le fondement, et sur un impératif de sécurité juridique, considérations qui constituent le cadre de réflexion des autres systèmes juridiques dans ce domaine.

A.2)

Le deuxième élément, est le fait « dans les différents systèmes, il existe une panoplie de techniques - on pourrait dire parfois de « stratégies » - ayant pour but d'atténuer l'effet de surprise qui accompagne inéluctablement le revirement de jurisprudence »400(*).

Ces techniques peuvent prendre des formes diverses. Les systèmes de common law connaissent ainsi les pratique de l'obiter dictum, destinée à annoncer un revirement de jurisprudence imminent, ou la pratique du « distinguishing », qui consiste à changer la norme jurisprudentielle par petites touches, cette manière de procéder étant « le moteur de l'évolution de la common law »401(*)

Le droit Allemand, quant à lui, autorise, de même que les juges Européens, la pratique des opinions dissidentes, ainsi que la publication de la majorité par laquelle la décision a été obtenue, sorte de « score » permettant, en le mettant en parallèle avec les opinions dissidentes, de connaître la fermeté de la position des juridictions sur telle question de droit, et donc de prévoir plus facilement un éventuel revirement de jurisprudence

a.3)

Le troisième élément reste le caractère exceptionnel d'un mécanisme qui ne doit avoir ni pour but, ni pour effet de remettre en cause les bases du système juridique dans lequel il est pratiqué. Ainsi, « lorsqu'elle existe, la modulation dans le temps des effets des décisions de justice reste exceptionnelle »402(*).

Le principe reste celui de la rétroactivité. Par exemple, s'agissant du droit Allemand, « la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a en effet déclaré que le principe d'absence de rétroactivité des lois ne pouvait être appliqué sans autre forme de procès aux décisions des tribunaux, car ceux-ci seraient alors tenus par leur jurisprudence même si elle s'avérait erronée ou inadaptée aux conditions sociales, politiques ou économiques. La Cour constitutionnelle souligne également qu'il n'y a pas lieu de se demander si une telle rétroactivité aurait été inconstitutionnelle si elle avait été le fait d'un changement législatif et non pas jurisprudentiel, refusant l'extension pure et simple à la jurisprudence des solutions retenues en matière de lois rétroactives. Dans le cas contraire, les tribunaux seraient liés par leur jurisprudence même si elle n'était plus adaptée.

La Cour fédérale de Justice prend d'ailleurs parfois en compte la nature controversée ou non, de la question de droit, en doctrine et en jurisprudence, pour en déduire que le demandeur victime du revirement aurait dès lors dû agir de façon plus diligente et en tout cas envisager un possible revirement »403(*).

Le rapport cite également le cas de la CJCE : les arrêts qui acceptent d'opérer un revirement que pour l'avenir rappellent couramment le principe de la déclarativité, avant d'admettre le revirement pour l'avenir par exception pour des raisons de sécurité juridique.

Mais le cas le plus flagrant est probablement celui de la Chambre des Lords, en Angleterre : « si elle a récemment admis qu'un changement - assumé - de jurisprudence puisse ne produire ses effets que pour l'avenir, c'est de façon dérogatoire et, au fond, dissimulée », ne renonçant pas pour autant à hostilité formelle au « prospective over-rulling »

En effet, le mécanisme de modulation des effets des revirements dans le temps reste un mécanisme destiné à éviter au cas par cas des effets négatifs, en raison de considérations de sécurité juridique ou d'équité, par exemple, lorsque le justiciable s'est fondé sur une règle, désavouée par les tribunaux, mais en laquelle il pouvait avoir confiance. Ainsi, s'agissant du droit Allemand, « ce n'est que dans des hypothèses spécifiques que la Cour fédérale de Justice déroge au principe de la rétroactivité, pour tenir compte de la sécurité juridique et de la confiance qu'une partie a pu avoir de bonne foi en la jurisprudence existante au moment de son engagement ou de la mesure réalisée. C'est d'ailleurs la Cour constitutionnelle fédérale qui l'y incite. Elle a, par exemple, considéré dans un arrêt du 14 janvier 1987 mettant en cause une décision de la Cour fédérale du travail, qu'un revirement de jurisprudence de cette dernière n'était pas conforme à l'Etat de droit (Rechtsstaatsprinzip) , les juges de cassation n'ayant pas suffisamment respecté la confiance que le requérant avait eu en la pérennité des solutions antérieures »404(*).

Ce critère des effets peut toutefois être tempéré par certains mécanismes, destinés par exemple à s'assurer que les prévisions des justiciables ont vraiment été trompées, comme c'est le cas devant la Cour de Justice des Communautés Européennes : « La Cour porte une appréciation sur la proportionnalité de l'incertitude qui peut résulter pour les opérateurs ou les Etats membres du comportement des institutions communautaires ou de l'état juridique de la question.

Ainsi, dans une seconde affaire relative à l'octroi de mer, « Lancry », la Cour a estimé, d'une part, que le Gouvernement Français ne pouvait « continuer raisonnablement à estimer que la législation nationale en la matière était conforme au droit communautaire », et ce alors même que seul l'avocat général - et non la Cour- s'était prononcé sur cette question. D'autre part, la Cour a souligné que « les intérêts des collectivités locales sont suffisamment protégés par la limitation dans le temps énoncée dans l'arrêt LEGROS (...) ».

De même, dans l'arrêt DENKAVIT, La Cour s'est interrogée sur le fait de avoir si les personnes avaient ou non été « suffisamment informées » de la portée d'une disposition communautaire »405(*).

Ceci implique d'ailleurs que le domaine du revirement pour l'avenir soit volontairement réduit aux situations dans lesquelles les prévisions des justiciables pouvaient jouer un rôle important, c'est-à-dire principalement les matières contractuelles et fiscales, les matières délictuelles étant notamment exclues de ces mécanismes. Ainsi, s'agissant du droit Américain : « comme l'admet le grand juge TRAYNOR dans un essai magistral sur les effets des décisions dans le temps, cette approche va conduire à admettre que la technique de prospective overrulling concerne essentiellement les domaines du contrat, des droits réels et du droit fiscal, où les comportements sont très largement commandés par l'état de la jurisprudence en vigueur. En revanche, dans le domaine de la responsabilité délictuelle comme en matière pénale, la prévisibilité jouerait un rôle minime, de sorte que l'application rétroactive des revirements de jurisprudence ne serait normalement pas source d'injustice entre les parties. »406(*)

Cet objectif de prise en compte des effets négatifs de la norme jurisprudentielle peut toutefois impliquer de mettre en place des mécanismes de consultation des tiers, soit dans l'optique de comprendre grâce à un tiers à même d'éclairer la Cour, soit dans l'optique de permettre à des tiers qui n'ont pas d'intérêt dans l'instance elle-même d'être représentés alors que la décision aura des conséquences qui dépasseront les intérêts des seules parties au litige. Plus simplement, « dès lors que la rétroactivité d'une décision semble de nature semble de nature à générer des conséquences économiques ou sociales pour des catégories de justiciables qui ne sont pas représentés à l'instance, la question se pose de savoir comment la juridiction saisie peut être mise en mesure de les évaluer »407(*).

Trois remarques s'imposent alors. D'une part, « l'effet prospectif d'une décision se prête lui-même le cas échéant au débat public. Avant d'étendre à des situations passées les effets d'une situation innovante, surtout lorsqu'elle a une portée socio-économique importante, il semble éminemment raisonnable d'entendre les représentants de groupe autre que les parties sur les conséquences de cette extension. Répondant à ce besoin, la technique de l'amicus curiae connaît un développement sensible aux Etats-Unis. Il importe cependant de se rendre compte qu'elle n'est pas à l'abri du risque d'instrumentalisation par les lobbies, son usage devant être soigneusement encadré »408(*).

Par ailleurs, « le recours à la technique du revirement pour l'avenir suppose que les décisions de revirement soient clairement motivées, tant sur la raison et sur la portée des changements envisagés que sur l'éventuelle modulation dans le temps de leurs effets »409(*).

Il faut enfin remarquer que, pour Horatia MUIR-WATT, le mode de raisonnement du juge, axé sur la prise en compte des effets de la jurisprudence, a naturellement pour effet de provoquer la disparition du raisonnement syllogistique au profit d'un mode de raisonnement conséquentialiste, dans l'optique de prendre en compte les effets de la norme comme le ferait le législateur, la tendance naturelle du juge étant d'étendre ce mode de raisonnement non pas seulement à la modulation de l'effet des revirements dans le temps, mais au processus d'adoption de norme lui-même : « il semble difficile en effet d'imaginer qu'une décision de la Cour de cassation puisse continuer à emprunter une forme syllogistique dès lors qu'elle s'appuie non pas sur les textes mais sur des considérations à caractère utilitariste pour décider les effets de sa décision dans le temps. Et dès lors, par ailleurs, que ce type de raisonnement s'impose pour les effets dans le temps d'un revirement , il est difficile de voir comment il pourrait ne pas concerner les modes d'élaboration et de formulation de l'ensemble des décisions innovantes, indépendamment de la question de leurs effets dans le temps »410(*).

a.4)

Le dernier élément à prendre en compte est le fait que « dans les différents systèmes, c'est le juge lui-même qui met en place, au cas par cas, les conditions et les effets de la modulation dans le temps de ses décisions »411(*). Cela comporte deux aspects.

D'une part, les critères de mise en oeuvre du revirement pour l'avenir sont laissés à l'appréciation des juges eux-même, souvent au cas par cas, d'après les effets négatifs de la décision : impact sur la sécurité juridique des justiciables, conséquences économiques des décisions, ... Des lignes directrices peuvent alors être dégagées, même si l'approche est essentiellement pragmatique.

Mais le revers de la médaille est que ce procédé destiné à lutter contre l'insécurité juridique s'accompagne lui-même, paradoxalement, d'une certaine incertitude, du fait d'une difficile systématisation des critères dirigeant l'action des juges. Devant la Cour de Justice des Communautés Européennes, « la systématisation des décisions est rendue incertaine : les relations qu'entretiennent les critères entre eux et leur mise en oeuvre restent à l'appréciation du juge »412(*). De même devant le juge Allemand, « il est très difficile de synthétiser la jurisprudence de la Cour fédérale de Justice sur la question de la limitation de la rétroactivité de ses revirements de jurisprudence. Il apparaît plutôt ça et là des restrictions à cet effet rétroactif, restrictions toujours fondées sur les notions de sécurité juridique, de protection de la confiance (Vertrauensschutz) des parties ou de l'une d'elles, de caractères prévisible ou non du revirement »413(*).

Ainsi, les rapporteurs se sont attachés à la mise en évidence de caractéristiques communes au différents systèmes de modulation des effets des revirements dans le temps. Outre la possibilité de bénéficier de l'expérience des autres systèmes juridiques, cette mise en évidence leur a permis de proposer un système conçu dans une certaine unité par rapport à des systèmes juridiques dont les traditions, si elles ne sont pas toujours incompatibles avec la tradition juridique Française, comme c'est le cas pour l'une des autres grandes familles du droit Romano-Germanique, n'en sont pas moins souvent ressentis comme se situant à l'opposé des conceptions classiques qui ont inspiré le droit Français. En privilégiant des considérations de sécurité juridique dans un système s'attachant aux effets du revirement, le rapport semble s'être attaché à trouver des points communs entre ces différents systèmes plutôt qu'à réaffirmer les spécificités du droit Français. « Les préconisations du rapport pour la mise en oeuvre de la modulation se rapprochent des traditions étrangères par leur volonté de pragmatisme, de refus de principes figés et d'appréciation sans cesse renouvelées des anticipations des parties, qui vont de pair avec une motivation soigneuse et spécifique »414(*).

Le revirement pour l'avenir à la Française, s'il doit naître dans le droit fil des propositions du rapport MOLFESSIS, sera ainsi conçu non pas seulement dans le respect de la tradition juridique française, mais aussi et peut-être surtout en étant inspiré par les pratiques des systèmes juridiques de quelques pays occupant une place privilégiée sur la scène internationale. Sans être vraiment nouvelle ou rare dans les travaux de recherche ou les propositions de loi récents, une telle volonté est suffisamment importante pour devoir être soulignée, quelles qu'en soient les mérites ou les défauts.

Saluant le recours au droit comparé, Fabrice MELLERAY écrivait à propos du rapport MOLFESSIS que « les juristes Français, qu'ils soient d'ailleurs privatistes ou publicistes nous semblent-ils, ont encore trop souvent tendance à se concentrer sur l'évocation du « rayonnement » du droit Français et à s'en féliciter en énumérant ses « conquêtes » dans les contrées lointaines. Ce temps nous semble pourtant largement révolu. Pour de nombreuses raisons impossibles à détailler ici, l'heure doit être aujourd'hui bien davantage à l'observation des influences étrangères sur le droit Français qu'à l'étude du phénomène inverse. Mieux, le droit comparé nous semble changer de nature. De discipline essentiellement spéculative, il acquiert une importance pratique beaucoup plus forte. On ne répètera jamais assez que la globalisation économique change radicalement les données de la question tant elle implique tout à la fois la « perméabilisation », la « compétition », et l' « harmonisation » des systèmes juridiques415(*). Dès lors, il est salutaire d'aller observer ce qui se passe ailleurs, même si cela n'implique évidemment pas qu'il faille s'en inspirer. Ne pas le faire reviendrait à se priver de toute opportunité d'influencer cette harmonisation ou d'occuper le meilleur rang possible dans cette compétition (car le law-shopping ne devrait cesser de croître) »416(*).

2) L'étude des cas de modulation de l'effet d'un arrêt dans le temps par les juges Français eux-même.

Les rapporteurs ont étudié du point de vue de la méthode l'arrêt « Association Agir contre le chômage (AC !) et autres » rendu par le Conseil d'Etat le 11 mai 2004417(*), qui a procédé à la limitation de l'effet d'un de ses arrêts dans le temps (a) ; ils évoquent par ailleurs un arrêt rendu par la Cour de cassation dans lequel celle-ci avait modulé l'effet d'un de ses revirements sur la base d'un texte (b) .

a. les leçons de l'élaboration d'une technique de modulation de l'effet d'un arrêt dans le temps.

En principe, l'annulation d'un acte juridique comporte un effet rétroactif : l`acte annulé est réputé n'avoir jamais existé, puisqu'il n'aurait jamais dû exister. Le principe n'est pas différent s'agissant des actes administratifs : leur annulation entraîne la disparition de l'acte de l'ordonnancement juridique ab initio, avec comme conséquence l'obligation pour l'administration de faire disparaître toutes les conséquences de l'acte.

Le 11 mai 2004, dans une affaire aux « lourds enjeux politiques, sociaux et financiers »418(*) le Conseil d'Etat a pourtant accepté de ne pas annuler rétroactivement plusieurs actes administratifs : « saisie de la légalité des arrêtés portant agrément, d'une part, d'avenants à la convention d'assurance chômage du 1er janvier 2001 et de ses actes annexés, et d'autre part, de la convention du 1er janvier 2004 et de ses actes annexés, l'Assemblée a prononcé l'annulation de l'ensemble des arrêtés attaqués. Elle a toutefois précisé aussitôt, en justifiant cette modulation par la nécessaire continuité du régime d'indemnisation du chômage et par les risques de graves incertitudes pesant sur les situations des cotisants et des allocataires, que cette annulation ne remettrait pas en cause le caractère définitif des effets de l'agrément des avenants à la convention du 1er janvier 2001 et, dans le cas de la convention du 1er janvier 2004, qu'elle ne produirait ses effets qu'à compter du 1er juillet 2004, soit quelques semaines après le prononcé de la décision »419(*).

Le Conseil d'Etat avait ainsi motivé sa décision : « Considérant que l'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu ; que, toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation ; qu'il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine ».

Avant toute chose, il faut préciser qu'il ne s'agit pas là d'un revirement pour l'avenir : l'objectif est de combattre la rétroactivité, mais il s'agit de la rétroactivité de l'annulation d'un acte juridique, et non pas de la rétroactivité de l'application d'une norme jurisprudentielle. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs, tout comme la Cour de cassation, manifesté son refus de limiter le champ d'application d'une norme jurisprudentielle nouvelle420(*).

L'arrêt est toutefois intéressant pour deux raisons : il intervient dans un certain cadre intellectuel, et il est intéressant du point de vue de la méthode créée et employée pour éviter la rétroactivité de l'annulation.

L'arrêt intervient dans un certain cadre intellectuel. Comme l'expliquent Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, l'arrêt marque une étape importante dans une évolution en cours. Le juge administratif a en effet commencé à « s'intéresser de plus en plus étroitement aux conséquences de ses décisions et faire entrer dans son office la responsabilité de veiller à « l'après-jugement. (...) Trois objectifs, qui se recoupent parfois largement, paraissent alors le guider : rendre des décisions qui puissent être aisément être exécutées, éviter que ces décisions soient excessivement déstabilisatrices pour les situations juridiques constituées et, enfin, concilier efficacité de la justice et intérêt général » 421(*). Bref, si l'arrêt AC ! est intéressant pour le débat sur la rétroactivité de la jurisprudence, c'est avant tout parce qu'il répond à des préoccupations analogues : il s'agit de créer ou d'améliorer des mécanismes permettant d'éviter les conséquences négatives de la rétroactivité d'une décision de justice, entre autre pour la sécurité juridique.

Ensuite, les rapporteurs ont cherché à mettre en évidence plusieurs caractéristiques pouvant être extrapolées au débat sur la rétroactivité de la jurisprudence. Il en ont trouvé six. La première est le fondement de ce procédé nouveau. « Ce pouvoir de modulation est rattaché à « l'office du juge ». dans son ensemble. Dans une note sollicitée par le président de la section du contentieux avant l'arrêt AC !422(*), Jacques-Henri STAHL et Anne COURREGES affirment ainsi que cette évolution ne nécessite pas l'intervention du législateur, la maîtrise du dispositif de la décision d'annulation entrant dans le champ de la compétence du juge423(*)

Toutefois, le parallèle n'est pas total, car le procédé « apparaît (...) comme l'accessoire général dont tous les juges administratifs de l'annulation disposent pour faire face à une situation exceptionnelle de déséquilibre patent des intérêts en présence, et non comme un privilège singulier du juge de cassation, justifiable par les traits particuliers de sa mission. Sous ce rapport aussi, le problème abordé par le Conseil d'Etat dans l'arrêt AC ! possède une nature différente de celui que pose le revirement de jurisprudence »424(*).

Ensuite, la méthode est intéressante : l'arrêt choisit de procéder à un bilan entre les avantages et les conséquences négatives de la rétroactivité de l'annulation, ce qui permet au juge de maintenir la rétroactivité de l'annulation, de renoncer à faire rétroagir celle-ci, et (ou) de reporter la date de l'annulation.

Tout d'abord, la rétroactivité reste le principe : « L'arrêt AC vise à offrir au juge un moyen exceptionnel, d'usage profondément dérogatoire. Où l'on retrouve à nouveau le fait que le principe reste posé du caractère rétroactif de l'annulation, qui demeure un droit pour le requérant. La mention expresse du « droit des justiciables à un recours effectif » apporte à cet égard un éclairage important : la rétroactivité de l'annulation est manifestement conçue, par le Conseil d'État lui-même, comme un élément majeur (voire comme la condition générale) de l'effectivité du recours en excès de pouvoir au sens - notamment - de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Il est donc prévu de ne porter atteinte à ce droit que lorsque des conditions très particulières sont réunies »425(*).

La modulation est conçue comme le moyen d'éviter des effets négatifs, et non pas comme un procédé lié par nature à l'annulation elle-même : « le juge n'est habilité à [procéder à la modulation de l'annulation] que lorsque des conséquences « manifestement excessives » apparaissent attachées au maintien d'un effet rétroactif à l'annulation. Cet « excès manifeste » est susceptible d'apparaître lorsque l'acte attaqué a déjà produit des effets juridiques importants au moment où le juge prononce sa sentence : d'autres normes sont nées sur son fondement, des situations juridiques se sont constituées, etc. Le cas d'espèce de l'arrêt AC est très illustratif à cet égard : l'annulation de l'acte ministériel d'agrément des conventions d'assurance-chômage en cause aboutissait à remettre en question le jeu, déjà pleinement effectif, desdites conventions. »426(*)

Mais, ces effets négatifs n'étant finalement pas autre-chose que les effets de toute annulation d'un acte illicite, seul un bilan entre plusieurs aspects de l'annulation permettra de déterminer la nécessité de la modulation : « le juge n'est habilité à décaler la prise d'effet de sa décision d'annuler l'acte qu'après avoir procédé à un test de proportionnalité particulièrement scrupuleux. On l'a dit, le différé dans le temps de la prise d'effet d'une annulation pour excès de pouvoir prive le requérant d'un élément fort de son droit à un recours effectif. Le juge ne doit donc s'y résoudre qu'au prix d'une très sérieuse mise en balance des intérêts - « publics et privés » en cause de part et d'autre »427(*) ; d'autre part, le juge doit examiner « les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation »428(*).

« Là encore, le contexte de l'arrêt AC est topique : l'acte annulable n'était illégal que pour des raisons d'ordre procédural et non de fond, son annulation rétroactive eût emporté des conséquences financières catastrophiques pour la collectivité, elle aurait placé les acteurs de l'assurance-chômage dans l'impossibilité de percevoir les cotisations et de verser les prestations... Tout bien pesé, il paraissait donc proportionné de laisser un délai aux partenaires sociaux pour régulariser ce qui pouvait l'être sans grand dommage pour le droit des requérants - et ce d'autant plus que le principe d'un « recalcul » de leurs droits était pleinement acquis. »

Les moyens d'éviter les conséquences négatives de l'annulation ont également intéressé les rapporteurs : « Si sa conviction est acquise, à l'issue de cette démarche, le juge administratif peut prononcer une annulation dépourvue d'effet rétroactif. Celle-ci peut se concevoir ex nunc, à la date de l'arrêt, mais elle peut également se voir reporter pro futuro, à une date ultérieure précisée dans la sentence. L'idée est ici d'ouvrir, lorsque c'est possible et utile, un délai de régularisation permettant à l'administration de remédier à l'illégalité dans des conditions pratiques acceptables de réélaboration d'un acte licite. Cela peut permettre, en particulier, d'éviter les effets pernicieux du « vide » né de l'annulation. Dans le cas de l'assurance-chômage, par exemple, on ne disposait pas commodément d'un fondement juridique de substitution au système conventionnel privé de son applicabilité par l'annulation contentieuse. L'annulation rétroactive aurait posé un problème considérable à la collectivité comme aux partenaires sociaux »429(*).

Mais deux garanties doivent alors être apportées aux justiciables, non seulement le justiciable concerné directement par le litige, mais encore tout autre justiciable pouvant demander l'annulation ou l'ayant demandée. La première permet aux différentes parties de défendre leur point de vue, et vise à respecter le principe du contradictoire, avec un enjeu particulièrement importants - le refus de tirer les conséquences de l'illégalité d'un acte juridique qui devrait entraîner son annulation : « le juge ne peut moduler les effets de l'annulation dans le temps qu'après avoir invité les parties en présence à en discuter avec lui. Le test de proportionnalité n'est pas seulement constitué par la délibération intérieure du juge : il résulte aussi, et peut-être surtout, d'une discussion contradictoire des parties. Il en résulte que le juge administratif est dans l'obligation de provoquer cette discussion, au cours de la procédure, dans des conditions de transparence et de délais propres à garantir un échange éclairé de tous sur l'opportunité de renoncer à l'effet rétroactif de l'annulation. On voit ici se profiler l'idée d'une délibération dans la délibération, d'un échange contentieux portant non plus sur le bien-fondé des prétentions des parties, mais sur la gestion des conséquences pratiques de la décision à prendre. »430(*)

La modulation de l'annulation est ensuite placée dans une perspective purement individuelle : elle n'aura pas d'effet erga omnes : « Cette modulation dans le temps reste (...) dépourvue d'incidence sur le sort des autres actions contentieuses déjà engagées, en particulier contre les actes administratifs subséquents à l'acte annulé. Pour les requérants au procès intenté contre un tel acte subséquent, l'annulation du règlement qui lui tenait lieu de fondement est toujours rétroactive. C'est de nouveau leur droit que de faire constater la disparition ab initio de ce règlement, et donc de pouvoir solliciter l'annulation, par voie de conséquence, de l'acte d'application qu'ils avaient précédemment attaqué. »431(*)

Bref, répondant à des préoccupations analogues, l'arrêt AC ! donne plusieurs pistes de réflexions aux rapporteurs dans l'élaboration d'un droit transitoire destiné à éviter les effets négatifs de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle. Rappelant l'importance du droit à l'exécution d'une décision de justice, le Conseil d'Etat, dans l'optique de redéfinir l'office du juge, a rappelé que la modulation ne doit concerner que les parties à l'instance, tout en restant un mécanisme d'exception destiné à éviter des effets dévastateurs là où il n'est pas capital de faire exécuter la décision, cette décision devant être entourée de certaines garanties procédurales.

b. La modulation d'un revirement de jurisprudence sur la base d'un texte.

Comme l'explique Christian MOULY, la Cour de cassation a fait une tentative en ce sens en 1988, pour éviter qu'un de ces revirements de jurisprudence dans le domaine bancaire n'ait des conséquences excessives : « La Cour de cassation a limité dans le passé son interprétation de l'article 1907 du Code civil dans un arrêt original du 12 avril 1988432(*). Elle jugeait depuis le milieu du XIXème siècle que l'article 1907 du Code civil qui impose d'indiquer le taux de l'intérêt conventionnel ne s'applique pas au compte-courant. Le 9 février 1988, elle changea son interprétation433(*).Les banques qui avaient prélevé des intérêts débiteurs sur les comptes de leurs clients pendant des décennies sans en indiquer le taux, conformément à la solution alors admise, auraient dû les rembourser à compter du 9 février 1988 puisque l'interprétation de ce texte changeait. »434(*). Or, comme le note l'auteur dans un autre article, « le Ministère des finances a évalué à cinquante milliards de francs le coût de la rétroactivité de cette décision. C'est la somme qu'auraient du rembourser les banques à leur clients pour avoir prélevé des intérêts sans en avoir indiqué le taux au préalable, si tous leurs clients en avaient demandé la répétition. »435(*)

« Pour éviter cette conséquence injuste, il a fallu le stratagème intégré dans l'arrêt du 12 avril 1988 faisant croire que l'article 1097, alinéa 2 du Code civil, en vigueur depuis 1804, n'était applicable au compte-courant que depuis un décret de 1985 ! Il lui a fallu affirmer contre le texte même « que la loi du 28 décembre 1966 n'était pas applicable avant l'entrée en vigueur du décret du 4 septembre 1985 (...) lorsqu'il s'agissait d'un découvert en compte »436(*). Il a fallu aussi une suite de solutions incohérentes sur l'article 1906 du code civil. La résistance de certaines Cours d'appel atteste l'insatisfaction que font naître ces procédés ».437(*)

Ce faisant, la Cour de cassation a donc accepté de moduler dans le temps les conséquences des revirements de jurisprudence, se basant pour cela sur une interprétation extensive d'un texte proche dans le temps qui pouvait fonder sa solution, en évinçant le texte fondant l'ancienne interprétation.

Ce procédé, aussi efficace soit-il, n'a pourtant jamais été repris dans d'autres arrêts ; Au contraire, la Cour de cassation assume aujourd'hui pleinement les effets de ses revirements, les impératifs de l'évolution de la jurisprudence primant. Un arrêt rendu par la chambre sociale438(*) illustre d'ailleurs parfaitement cet état d'esprit. En l'espèce, un revirement de jurisprudence avait requalifié contrat de travail la relation contractuelle entre un locataire de véhicule taxi et la société propriétaire. Le pourvoi invoquait, entre autre argument, le coût de ce revirement, qui remettait potentiellement en cause la qualification de tous les contrats conclus par cette société, alors même que ces contrats avaient été conclus au vu et au su des « administrations concernées », et que la qualification n'avait été remise en cause que devant la Cour de Cassation ; la Société affirmait donc ne pas être en mesure, raisonnablement, de prévoir cette remise en cause. La chambre sociale ne s'est pas directement préoccupé de cet argument, se contentant d'expliquer que le moyen, « en ce qu'il se contente d' invoquer une interprétation jurisprudentielle nouvelle, manque en fait ».

Le rapport MOLFESSIS critique toutefois ce procédé : le « report de la solution nouvelle sur le fondement d'un texte qui permette au juge de limiter l'effet rétroactif de sa décision » est « difficilement praticable ». Comme le faisait remarquer un auteur, il n'est pas toujours possible de fonder ce revirement sur un texte suffisamment proche dans le temps du revirement pour éviter les effets dévastateurs des effets d'un revirement de jurisprudence. « En toute hypothèse, il n'est rien d'autre que la marque de la volonté de la part de la Cour de moduler les effets dans le temps de ses décisions : autant qu'elle puisse parvenir à cette fin sans emprunter des voies indirectes et souvent chaotiques. »439(*)

§ II / Un droit transitoire original pour une norme particulière.

En 1968, Jean RIVERO, expliquant que « le juge ne peut, dans un seul et même arrêt, formuler une règle nouvelle et appliquer, à la solution de l'espèce, la règle antérieure, car la seule justification de son pouvoir normatif réside précisément dans la nécessité où il se trouve de donner, à la décision qu'il va prendre, le fondement d'une règle générale », écrivait que « la technique d'édiction de la règle juridictionnelle, qui lie formulation de la règle et application à l'espèce, le condamne à la rétroactivité : la sécurité juridique se trouve ici nécessairement sacrifiée au progrès du droit »440(*).

Trente-cinq ans plus tard, le Rapport MOLFESSIS, pour passer outre cet obstacle, décidait de reconnaître officiellement le rôle normatif de la jurisprudence. Cette reconnaissance, accomplie sans pour autant résoudre le problème du fondement de la règle jurisprudentielle, permettait au rapporteurs d'élaborer un système de droit transitoire pour la jurisprudence441(*) construit sur quatre piliers : sécurité juridique, prise en compte des effets du revirement de jurisprudence, approche individuelle, au cas par cas, et redéfinition partielle du revirement pour mieux appréhender le domaine de ce droit transitoire, l'ensemble étant conçu comme un mécanisme d'exception. Mais cette reconnaissance de l'existence de la règle jurisprudentielle est faite pour des objectifs limités et précis ; elle oblige à construire un système de droit transitoire, mais il n'est pas prévu qu'elle ait d'autre conséquence.

Bref, des caractères qui ne sont pas vraiment ceux du droit transitoire moderne, pour une norme bien différente de la norme législative, objet de la théorie des conflits de lois dans le temps. Si la Cour de Cassation suit les propositions du Rapport, le droit transitoire pour les revirements de jurisprudence serait donc construit, pour paraphraser les termes du rapport, par comparaison avec la théorie des conflits de lois dans le temps, mais sans assimilation.

Les propositions du Rapport MOLFESIS visent d'une part à donner à ce droit transitoire un objet bien précis, le revirement de jurisprudence dangereux pour la sécurité juridique (A) , puis à appliquer une méthode de travail visant à séparer la création de la norme nouvelle et son application au cas d'espèce qui lui a permis de naître (B) .

A. Le domaine du revirement pour l'avenir.

C'est ici qu'apparaît la première différence avec la théorie des conflits de lois dans le temps. Celle-ci traite d'une norme codifiée constitutionnellement, dans un souci de systématisation. Le rapport MOLFESSIS, traitant d'un phénomène naturellement multiforme, aux contours parfois flous et controversés (1) , a préféré proposer de conditionner l'utilisation d'une certaine méthode au caractère dangereux de cette norme, dans une logique de réaction face aux effets négatifs de la rétroactivité du revirement (2) .

1) Les difficultés pour identifier la norme objet du droit transitoire.

Face aux difficultés tenant à l'identification du revirement, depuis longtemps soulignées par la doctrine (a) , le rapport MOLFESSIS a entendu adopter une solution pragmatique, ne donnant par ailleurs que des indications quant à l'identification du revirement. Mais en évitant de donner un critère précis, le rapport laisse le justiciable dans une certaine insécurité (b) .

a. Une norme dont l'identification reste problématique.

Pour rappeler la nécessité de l'identification de la norme issue du revirement, le rapport cite le Doyen ROUBIER : « N'y aurait-il pas lieu [...] de définir la portée d'application des jurisprudences nouvelles ? Cependant il faut bien convenir qu'il existe un obstacle insurmontable dans notre droit : c'est l'impossibilité où l'on est de déterminer, avec une précision suffisante, le moment où la jurisprudence est fixée ; on ne peut, pour cette raison, assimiler le changement qui se produit dans le droit des arrêts à un changement de loi »442(*). Une lueur d'espoir surgit heureusement lorsque l'auteur ajoute : « Peut-on envisager qu'une jurisprudence nouvelle n'ait d'effet que pour les faits ou les situations postérieurs au jour où elle a été dégagée ? Ce serait sans doute possible, dès l'instant que l'on peut dater la nouvelle jurisprudence, grâce au principe de l'autorité immédiate des décisions, et ainsi on pourrait assimiler le traitement des changements de jurisprudence à celui des changements de législation ». Bref, il faut, par hypothèse, savoir précisément ce qu'est un revirement pour élaborer un droit transitoire des revirements de jurisprudence.

Cet objectif étant précisé, le problème reste la difficulté à donner un critère précis permettant d'identifier ce qu'est un revirement de jurisprudence. « Certes, le revirement de jurisprudence renvoie à un changement de la règle applicable au litige sous la seule action du juge. Il manifeste « l'abandon par les tribunaux eux-mêmes d'une solution qu'ils avaient jusqu'alors admise »443(*). On admettra donc sans peine que, pour qu'il y ait revirement de jurisprudence, le changement ne doit pas pouvoir être imputé à l'action d'une autre autorité - un changement formel de la loi applicable, par exemple. Mais au-delà de ces considérations élémentaires, il règne une grande incertitude. Or de telles difficultés, ainsi qu'il vient d'être rappelé, doivent impérativement être levées si l'on entend que le revirement fasse l'objet d'un régime ad hoc. »444(*)

Cette difficulté à identifier précisément le revirement de jurisprudence parmi toutes les aspects du phénomène jurisprudentiel, la doctrine l'a déjà éprouvée depuis fort longtemps et ne semble pas, pour le moment, parvenir à trouver de critères précis. Avant même de parler de revirement, la jurisprudence elle-même fait l'objet de débats quant à ses caractéristiques exactes. Ainsi, comme l'explique le Professeur Catherine PUIGELIER445(*), la notion de jurisprudence est censé être caractérisé par la rupture dans une jurisprudence constante. Or, à quoi renvoie cette notion de constance ? Souvent, la constance de la jurisprudence est perçue comme liée à un phénomène de répétition, provoquant un parallèle entre la jurisprudence et la coutume. Ce parallèle est d'ailleurs renforcé par l'élément d'adhésion nécessaire à l'existence de toute règle jurisprudentielle : « la règle jurisprudentielle se consolide lorsque la solution est acceptée par les usagers, spécialement par les juristes. On les a même parfois confondues en tant que telle, n'existe pas : il n'y aurait que des règles coutumières dont la formation est provoquée par les décisions judiciaires »446(*). Mais dans le même temps, une jurisprudence constante peut naître sans répétition : c'est parce qu'une décision unique peut former une jurisprudence constante « qu'il a fallu inventer la distinction entre l'arrêt de principe (porteur de constance probable) et l'arrêt d'espèce (entaché d'incertitude) . Ainsi, la véritable frontière n'est pas entre un et plusieurs, mais elle passe entre l'incertitude et la constance »447(*) « Enfin, Emile GARCON avait écrit que les arrêts ne se comptent pas, « ils se pèsent et s'apprécient ». Autant dire que la constance en droit ne signifie pas toujours répétition, que le temps est là trompeur, que la constance créatrice peut être paradoxalement instantanée, se réduire à la force d'un message plutôt qu'à la seule répétition de celui-ci »448(*).

En 1984, le Professeur Christian ATIAS449(*) expliquait que « pour que la qualification d'arrêts de principe constitue la reconnaissance du pouvoir normatif de la jurisprudence, il faudrait que ces décisions fussent véritablement porteuses d'un principe. Leur force découlerait alors de leur signification dépourvue d'ambiguïté pour l'avenir ; Les arrêts de principe serait ceux qui donneraient directement vie à un principe de droit applicable tel quel. Il n'en est pas toujours ainsi ; il se peut même qu'il en soit très rarement ainsi. Dans bien des cas, le principe est plus ou moins mêlé à d'autres significations de l'arrêt. Celle qui devient dominante ne l'emporte que pour des raisons relativement extérieures à la décision elle-même ». L'auteur explique ainsi que les « arrêts de principe »sont en réalité des « arrêts à principe », souvent porteurs non d'un principe indiscutable, mais de plusieurs significations possibles. Les « arrêts de principe » sont même souvent des arrêts d'espèce qu'il n'est pas possible d'étudier indépendamment du contexte dans lequel ils sont rendus, des circonstances de l'affaire...

Bref, même si l'on part du postulat que la norme jurisprudentielle existe de façon autonome, restent des difficultés pour identifier cette norme, issue d'un phénomène complexe et multiforme, difficultés qui devraient être résolues avant d'élaborer un régime pour l'application de cette norme dans le temps.

Si ces difficultés devaient être résolues, Christian ATIAS rappelle encore que le revirement lui-même est un phénomène multiforme qui ne peut être appréhendé de la même façon que la norme de droit écrit : « Les revirements de jurisprudence sont extrêmement différents les uns des autres. Il est douteux qu'une seule et même règle puisse régir heureusement leurs effets. Gardons nous de la trompeuse simplicité des principes ! La modification de l'interprétation d'une disposition - approfondissement, clarification, affinement - ne peut probablement pas être traitée comme l'abandon pur et simple d'un principe consacré. Dans l'une et l'autre hypothèse, la distance qui sépare la règle ancienne de la règle nouvelle est incomparable. Elle est encore accrue lorsque le revirement s'explique, moins par une amélioration supposée de l'analyse, que par un changement du fait social ou idéologique »450(*).

« Aux côtés de la technique de cassation, divers phénomènes peuvent encore participer à la découverte d'un faux revirement de jurisprudence. Parmi ceux-ci, on peut citer le raisonnement par analogie ou le raisonnement par syllogisme qui sont l'occasion de beaucoup d'incertitudes de compréhension - et l'on sait que la matière juridique utilise beaucoup ces deux types de raisonnement - , tout comme d'ailleurs les mots dont la place dans une phrase peut faire fortement varier l'interprétation, tout comme encore l'époque, l'environnement juridique, la politique judiciaire adoptée qui peuvent faire varier le sens d'une phrase, d'un paragraphe, d'un attendu. A ce point donné, démêler ce qui relève du revirement ou non est loin d'être facile, même pour les magistrats suprêmes. Parce qu'il est en effet des cas où il ne s'agira en effet que d'une simple divergence - et non d'un revirement - due (à nouveau) à une technique de cassation parfois difficile à comprendre, à des faits sensiblement différents, à des griefs soulevés différemment, à des raisonnements et mots utilisés de façon différente. Bien mieux, il peut n'être parfois question que d'une précision, d'un point de droit déjà adopté de longue date, soit parce que le problème ne s'était pas posé sous cet angle là, soit parce qu'un fait nouveau pouvait autoriser les magistrats à préciser, affiner la position qui étaient la leur »451(*).

Mais la difficulté la plus subtile reste probablement qu'au delà des faits bruts, la perception de ces faits compte aussi beaucoup. Comme le note très justement Philippe MALAURIE, « une divergence de jurisprudence, un flottement de jurisprudence, et même un revirement de jurisprudence auxquels la doctrine ne s'est pas intéressée n'existent pratiquement pas »452(*). Catherine PUIGELIER explique de façon plus mesurée, que « dans ce domaine, la doctrine joue un rôle considérable d'interprétation ; c'est chaque jour qu'elle révèle des bouleversements qui n'en sont pas vraiment »453(*).

Vincent HEUZE, enfin, rappelle « la grande diversité du phénomène jurisprudentiel », mais aussi « l'extrême complexité du processus qui, du fondement parfois implicite de la solution retenue à l'occasion d'un litige, donné, aboutit à la croyance éventuelle du corps social en l'existence d'une règle véritable, et qui résulte tout à la fois de l'attitude ultérieure de l'ensemble des juridictions, souvent partagées entre l'ignorance, l'adhésion la résistance et la résignation, des commentaires de la doctrine savante, eux-mêmes constitués d'extrapolations, de critiques, de réserves, d'approbations et de justifications, et enfin des synthèses plus ou moins fiables qu'en offrent les ouvrages de vulgarisation, la presse, spécialisée ou non, et les représentants des syndicats ou des associations les plus diverses »454(*).

Bref, le problème du revirement de jurisprudence, et plus largement de la norme jurisprudentielle, reste la difficulté à le caractériser de façon vraiment précise, aussi bien dans l'abstrait que dans chaque cas particulier, pour chaque précédent ; mais surtout, il est difficile de le caractériser d'une façon qui soit universellement admise par les acteurs du droit. Dès lors, si la doctrine, dont la raison d'être est en partie de systématiser les phénomènes du droit ne parvient pas à s'entendre, la question se pose de savoir si les juges eux-même, au quotidien, lorsque la question de la limitation des effets d'une norme dans le temps se posera, parviendront à s'entendre sur la portée, le sens, ou les limites de la ratio decidendi...

Ces difficultés ne pouvaient échapper aux rapporteurs eux-même : « la notion même de revirement est sujette à débat. Faut-il parler de revirement lorsque la nouveauté introduite par le juge n'induit pas, concrètement, un changement de situation dans la personne même des justiciables ? La question mérite d'être posée si l'on songe aux hypothèses dans lesquelles l'innovation porte sur le fondement retenu par le juge pour asseoir une solution. (...) Faut-il parler de revirement lorsque la Cour de cassation choisit de paralyser le jeu des clauses limitatives de responsabilité, non plus par une interprétation extensive de la faute lourde - assimilée au dol (article 1150 c. civ.) - mais sur le fondement de la cause (art. 1131 c. civ.) ?

Ensuite, parce que les évolutions jurisprudentielles, comme on l'a vu, sont souvent progressives, de telle sorte que la rupture avec la solution antérieure est parfois difficile à repérer ou à dater. Comme le souligne François RIGAUX455(*) : « Seul le renversement d'une jurisprudence établie donne à la solution un caractère non douteux de nouveauté. Mais il est plus difficile de décider si la Cour énonce une règle nouvelle quand elle étend le raisonnement déjà suivi dans des décisions antérieures. A peine est-il besoin d'ajouter que, sauf dans le cas exceptionnel où la Cour renverse explicitement sa jurisprudence, le degré de nouveauté du précédent est difficile à évaluer »456(*).

Mais le fait de s'entendre sur la question de savoir s'il y a un revirement ne serait qu'une première étape ; au delà du fait de savoir s'il y création d'une nouvelle norme, reste la détermination de la portée et le sens de la solution voire son existence même. Sur ce dernier point, le Rapport note que « si le revirement de jurisprudence suppose l'existence d'une jurisprudence457(*) et son abandon, ce simple truisme recèle souvent, en pratique, nombre de difficultés. »

« L'incertitude se manifeste lorsque la rupture est le fait d'une formation différente de celle qui avait consacré la solution admise jusqu'alors. On pourrait fort bien, en effet, être en présence d'une divergence de jurisprudences entre chambres et non d'un revirement. Ainsi, selon Vincent DELAPORTE458(*) : « Pour qu'il y ait revirement, il faut que la solution nouvelle s'oppose à une règle de même origine jurisprudentielle, de la même juridiction et [...] de la même formation. Car si les solutions opposées proviennent de différentes formations de la Cour de cassation, il y a une contradiction qui, si on peut se permettre un parallèle avec la contradiction de motifs, équivaut à une absence de jurisprudence ».

Le fait qu'une chambre retienne une solution différente de celle jusqu'alors consacrée par une autre ne signifie en effet pas nécessairement qu'il y ait revirement de la Cour de cassation en son entier ; celle-ci peut se trouver divisée.

Symétriquement, faut-il s'interdire de parler de revirement de jurisprudence lorsqu'une formation supérieure de jugement vient, de manière plus ou moins disciplinaire, mettre fin à de telles discordances ?»459(*)

Le Rapport évoque ensuite quelques difficultés techniques pouvant surgir quant à la portée de la solution : « l'incertitude se manifeste lorsque l'on est conduit à hésiter sur la portée de la solution, en raison de l'imprécision de ses termes et des interrogations qu'ils soulèvent. De très nombreuses illustrations pourraient en être apportées, qui témoignent des difficultés d'interprétation que peuvent provoquer les décisions de la Cour de cassation.

Ainsi en a-t-il été de la solution inaugurée par l'arrêt ROCHAS de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en matière de responsabilité du fait d'autrui. Celle-ci a en effet jugé, par un arrêt du 12 octobre 1993, que la responsabilité du préposé ne pouvait être engagée lorsque celui-ci agit dans le cadre de la mission qui lui est impartie par son employeur, là où auparavant il se trouvait tenu avec le commettant. Or, non seulement l'arrêt n'émanait pas de la deuxième Chambre civile mais encore il semblait ambigu, parce que rendu sur le fondement de la faute et donc de l'article 1382 du Code civil. D'où des lectures dissemblables: certains ont considéré que l'arrêt constituait un revirement ; d'autres ont estimé qu'il s'agissait uniquement d'une solution d'espèce, limitée à la question de la faute commise par le préposé. C'est l'arrêt COSTEDOAT de l'Assemblée plénière du 25 février 2000 qui lèvera les doutes.

On rangera également sous cette bannière les arrêts dans lesquels les conclusions ou le rapport font croire à un maintien de la jurisprudence antérieure alors que la solution nouvelle semble ne pas être en continuité avec celles qui l'ont précédée. Le changement est alors dissimulé ou minoré, le dogme de la continuité jurisprudentielle pouvant conduire à ce que les ruptures soient masquées.

Dans un registre différent, il faut compter aussi avec les difficultés de qualification qu'entraîne l'adoption, par la Cour de cassation, d'une solution qui, pour être nouvelle, ne constitue pas expressément l'abandon d'une solution ancienne. Il en est notamment ainsi lorsqu'elle n'a pas eu, antérieurement, l'occasion de statuer sur la question soulevée. A proprement parler, on n'est pas en présence d'un revirement faute d'abandon d'une solution antérieure. Mieux vaut évoquer un aboutissement. Mais de nouveau, est-ce suffisant pour faire sortir cette décision-là »460(*).

On relèvera enfin que « la procédure de la Cour de Cassation est elle-même assez opaque. Peu de textes la réglementent et elle résulte pour une large part des usages du palais ou des incitations issues de la lettre du premier président. C'est ainsi que les modifications de procédure issues des condamnations de la France par la Cour Européenne des droits de l'homme ont eu lieu sans texte, « en interne ». »461(*)

b. Les propositions du rapport MOLFESSIS pour remédier à l'imprécision de revirement.

Le groupe de travail a proposé de développer une réflexion sur un sujet qui ne concerne pas directement la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, mais qui influe sur la notion de jurisprudence : en effet, il « déplore les difficultés de repérage qui résultent de l'hétérogénéité de la jurisprudence de la Cour de cassation. Aux divergences entre chambres, s'ajoutent les risques de disparités de solutions entre formations d'une même chambre »462(*). Il a également de proposer de revenir sur les techniques de motivation des arrêts. Mais ces thèmes seront développé plus longuement dans une deuxième section, relevant plus de la lutte contre l'imprévisibilité de la jurisprudence que de la lutte contre sa rétroactivité.

Le groupe de travail a également fait plusieurs propositions afin de faciliter l'identification des revirements - dans l'optique de la seule modulation dans le temps du revirement ou dans une optique plus générale - en remodelant leur visage, afin que celui-ci ne soit plus que le fait des juridictions les plus haut placées. Il affirme tout d'abord que « Le pouvoir de moduler les effets dans le temps des revirements de jurisprudence doit appartenir exclusivement à la Cour de cassation », justifiant ce choix par l'idée que « le pouvoir de moduler les effets dans le temps des revirements de jurisprudence doit être compris comme résultant strictement de l'office du juge de cassation. Il ne saurait être dévolu aux juges du fond.

Plusieurs arguments essentiels justifient ce choix. Le plus important d'entre eux tient sans doute au fait que c'est bien la rétroactivité d'un revirement de jurisprudence qu'il s'agit de moduler. Or il ne saurait y avoir de jurisprudence judiciaire, au cas ici visé, que de la seule Cour de cassation. La faculté de moduler dans le temps les décisions de revirement est attachée au pouvoir créateur du juge.

Au demeurant, une exigence d'égalité de traitement des justiciables renforce cet exclusivisme. De la même manière que la Cour de cassation a pour mission d'assurer l'unité de l'interprétation de la règle, elle doit assumer l'unité de son application dans le temps.

A quoi il faut ajouter que l'exigence de sécurité juridique milite à son tour pour qu'un tel pouvoir soit reconnu à la seule Cour de cassation, condition sine qua non pour que les anticipations légitimes, que la réforme ici envisagée entend protéger, soient garanties »463(*).

Mais outre cet appel à la discipline des juges du fond, le Rapport MOLFESSIS envisage également cette optique hiérarchique du revirement de jurisprudence pour la Cour de cassation elle-même : « Le pouvoir de procéder à un revirement de jurisprudence comme le pouvoir d'en moduler les effets temporels doivent être réservés aux formations de jugement aptes à assurer l'unité d'interprétation de la règle au sein de la Cour de cassation (Assemblée plénière, Chambre mixte, plénières de Chambre)

Le Groupe de travail estime que le revirement lui-même et donc par voie de conséquence la décision consécutive portant sur son éventuelle modulation dans le temps doivent relever d'une décision sans ambiguïté de la Cour de cassation. Parce que le revirement traduit un choix et exprime le pouvoir créateur de la Cour de cassation, un devoir de cohérence et l'exigence de certitude du droit militent pour que des formations restreintes (formations à trois, formations de sections) ne s'arrogent pas le pouvoir de procéder à un revirement de jurisprudence.

Il importe en effet que la décision de moduler les effets d'un revirement présente des caractéristiques suffisantes de certitude et de stabilité. Indépendamment même de la gravité de tout changement de jurisprudence et de la solennité qui s'attacherait à l'éventuel prononcé d'une décision visant à en limiter l'effet rétroactif, il faut considérer qu'une contradiction interne entacherait la solution si elle devait être incertaine ou fragile, puisqu'il s'agit de contribuer à la sécurité juridique »464(*).

Cette idée, qui permettrait de mieux maîtriser le revirement en ne le confiant qu'à quelques juges et uniquement dans une optique hiérarchique, n'est pourtant pas sans inconvénients : « elle exclut les formations de section et leur compétence technique particulièrement aiguës »465(*).

Le groupe de travail propose également de préciser le domaine de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence. Pour cela, il refuse ce qui avait été demandé par une partie de la doctrine466(*), mais également par le MEDEF467(*) dans l'avis remis au groupe de travail, et cantonne le champ de la modulation dans le temps aux seuls revirements de jurisprudence, et non à l'apparition de toute solution nouvelle. Ce cantonnement de la modulation dans le temps aux seuls revirements de jurisprudence permettrait ainsi de ne pas étendre ce qui consiste, quelles qu'en soit les raisons, en un refus d'appliquer une règle qu'on estime meilleure. En outre, il est inspiré par un souci de rigueur : « Le revirement seul corrode la présomption de vérité attachée à la chose jugée »468(*).

Xavier BACHELLIER et Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, commentant les propositions du rapport, ont cependant regretté ce choix : « La réflexion sur ce point ne doit pas, selon nous, se limiter aux revirements proprement dits qui supposent une solution antérieure contraire clairement affirmée mais doit s'étendre à l'émergence d'une solution nouvelle dans un domaine où auparavant la question ne s'était pas posée parce que les effets nocifs de la rétroactivité peuvent être les mêmes dans les deux cas »469(*).

Mais ces propositions ne concernent que des points particuliers. En effet, « S'agissant du périmètre des décisions dont il convient de soumettre les effets à un pouvoir de modulation dans le temps, le Groupe de travail a estimé qu'il n'existe aucune possibilité d'affirmer, de manière certaine et indiscutable, ce qu'est un revirement de jurisprudence. Si les discussions dont il vient d'être fait état sont essentielles, il n'empêche que celles portant sur l'appréciation de la notion de revirement ou encore sur l'existence d'un revirement n'apparaissent pas pouvoir être tranchée par un criterium objectif incontestable.

En dépit de l'importance des débats autour de la labellisation de « revirement de jurisprudence », le Groupe de travail estime qu'il s'agit, sous l'aspect qui retient son attention, d'un faux problème. Dès lors que l'on envisage l'instauration d'un droit transitoire des revirements, il n'existe, en définitive, qu'une seule manière cohérente de constituer ce cadre : elle consiste à considérer que le juge, auteur du revirement, est le seul à pouvoir conférer, de manière objective et surtout efficace, au regard du système juridique lui-même, une telle qualification à ses décisions »470(*).

Ce choix, placé sous le signe du pragmatisme et de la souplesse, n'est pas sans inconvénients, ni sans risque, le groupe de travail en convient : « Nul doute que l'on pourra, de l'extérieur, critiquer la qualification qu'il aura pu effectuer, comme on le peut pour toute décision. Ou encore que le juge pourra user d'un tel pouvoir pour déroger à l'interrogation portant sur les effets dans le temps de sa décision, empruntant sous cet aspect au distinguishing »471(*).

Evoquant le risque d'un système arbitraire, Bérangère LACOMBE affirme que, dès lors, « selon que le juge souhaitera ou non se prévaloir de sa faculté de moduler l'application dans le temps de son interprétation, il déclarera opérer ou non un revirement. Ainsi, soit des justiciables, théoriquement en droit de demander tout au moins l'examen par le juge du problème de l'application rétroactive d'une interprétation qui s'apparenterait à un revirement, pourront se voir opposer de la part de ce dernier que, ne s'agissant pas d'un revirement, cette question ne se pose pas ; soit à l'inverse, des justiciables pourront se voir refuser le bénéfice d'une interprétation qualifiée à tort par le juge de revirement dans le but de pouvoir en moduler l'application dans le temps.

Et, dans ce cas, confier à un autre juge, même supérieur, la fonction de déterminer s'il existe un revirement, et nécessairement en suivant, s'il est nécessaire d'en moduler les effets dans le temps, ne serait-ce que substituer un arbitraire à un autre »472(*).

Dès lors, le choix de l'indétermination du champ d'intervention de la non-rétroactivité n'aurait pour conséquence qu'un « simple déplacement de l'insécurité juridique »473(*)

Comme l'explique Philippe MALINVAUD, « on ne peut néanmoins s'empêcher d'éprouver une certaine gène. A la vérité, les décisions par lesquelles la Cour de Cassation disposera que telle solution nouvelle est un revirement de jurisprudence et ne sera pas rétroactive ne sont pas inquiétantes car l'exigence de sécurité juridique n'est pas mise en cause. Il n'en va pas de même pour celles qui, bien que modifiant la règle de droit jurisprudentielle, ne seront pas reconnues comme revirement de jurisprudence.

Paraphrasant la formule de l'article 1353 du Code civil, on pourrait dire que le choix entre la rétroactivité et la non-rétroactivité de la règle nouvelle est « abandonnée aux lumières et à la prudence du magistrat, ce qui ne laisse pas d'être assez inquiétant. On aimerait ici suggérer aux juges de s'inspirer des principes qui sous-tendent les règles de l'application de la loi dans le temps, spécialement lorsqu'ils rendent des décisions dont les conséquences sont majeures pour tout un secteur de l'économie »474(*).

Pour le groupe de travail, cette démarche est pourtant la seule qui permette d'avancer sans se heurter à un problème insoluble. Par ailleurs, des considérations d'ordre théorique permettraient de justifier cette solution : « la possibilité pour le juge de moduler les effets temporels de la jurisprudence suppose, comme on l'a déjà dit, que le pouvoir créateur des décisions qu'il rend soit effectivement reconnu. Dès lors, il est également logique de considérer que la qualification même de revirement de jurisprudence relève de la même décision créatrice. Il appartient à celui qui a pris la décision de modifier l'état du droit d'assumer son pouvoir, et de le faire reconnaître comme tel, dès lors que ce pouvoir de création du droit ne lui est plus complètement dénié.

Qui d'un point de vue pratique, pourrait « dire » efficacement l'existence du revirement et posséder l'autorité nécessaire pour se faire, sinon le juge lui-même ? Au reste, nul ne saurait imposer au juge un tel choix et lui enjoindre de moduler les effets de telle décision plutôt que de telle autre. Le réalisme rejoint ici la cohérence intellectuelle : le juge est le seul à disposer du moyen de faire que le revirement en soit un au regard du droit positif »475(*).

On remarquera enfin que cette proposition laisse un vide sur lequel le rapport ne dit rien. En effet, seul le juge qui procède à un revirement doit pouvoir affirmer l'existence de ce revirement, de façon à ce que lui ou d'autres juges, dans d'autres litiges, puissent moduler les effets dans le temps de ce revirement. Mais cette proposition de « marquage » du revirement par le juge lui-même au moment du revirement ne peut logiquement s'appliquer qu'aux revirements de jurisprudence qui auront lieu après l'adoption éventuelle des propositions du Rapport MOLFESSIS. Les revirements qui auront eu lieu avant l'adoption de ces propositions par la pratique ne seront donc par « marqués » dans l'optique d'un meilleur « repérage » des revirements.

Quel sera le sort des normes issues des revirements qui auront eu lieu avant l'adoption des propositions par la pratique ? Le Rapport MOLFESSIS n'en dit rien, ce qui laisse deux possibilités. La première est de laisser le juge à qui il est demandé de procéder à un revirement pour l'avenir apprécier lui-même, a posteriori, l'existence d'un revirement. L'inconvénient est ici de laisser exister deux procédures incompatibles selon la date du revirement, alors que la procédure appliquée aux revirements antérieurs aux propositions du rapport MOLFESSIS n'aura été prévue qu'après l'adoption éventuelle des propositions de ce rapport par la pratique, et non pas prévue à l'époque du revirement.

La seconde possibilité, en l'absence de dispositions transitoires, est de laisser ces revirements sous l'empire du droit - et de la pratique - tel qu'il était conçu à l'époque du revirement, et non pas tel qu'il sera conçu ultérieurement après l'adoption éventuelle des propositions du Rapport MOLFESSIS. Le revirement de jurisprudence serait donc considéré comme déclaratif et non rétroactif, et les effets de la norme issue du revirement ne seraient donc pas modulés dans le temps.

Ce qui ne serait peut-être pas conforme aux principes des conflits de lois dans le temps si l'on considère que les dispositions du rapport interviennent dans le domaine de la procédure, et non pas dans le cadre d'un régime substantiel. Mais nous sommes là dans un droit transitoire conçu comme étant analogue et non pas identique à celui conçu pour régir les conflits de lois dans le temps.

Cette seconde possibilité éviterait de voir les propositions d'un rapport conçu pour empêcher l'application rétroactive ou immédiate de normes de droit s'appliquer ironiquement de façon rétroactive ou immédiate aux revirements passés.

Voici comment Soraya AMRANI MEKKI476(*) résume les possibilités pour qu'un revirement soit signalé : « Puisqu'il s'agit d'un revirement de jurisprudence, il faut considérer qu'il y avait préalablement une jurisprudence établie en sens contraire. Or, depuis la procédure de non-admission instaurée par la loi du 25 juin 2001, le pourvoi qui irait à l'encontre d'une jurisprudence constante ne devrait pas être admis. Cette procédure n'est pas la condamnation des revirements de jurisprudence. Simplement, il est demandé aux avocats aux conseils une honnêteté intellectuelle. Ils doivent reconnaître l'existence de la jurisprudence constante et demander sa modification. Leurs conclusions doivent alors contenir les motifs d'un tel revirement. En ce cas, rien de plus aisé. La formation restreinte, si elle considère qu'il y a effectivement des motifs sérieux d'opérer le revirement, déclarera admis le pourvoi. Dans une telle hypothèse, la solution ne s'imposant pas, il y aura renvoi de l'affaire à une formation plénière, compétente pour connaître le revirement selon le rapport.

Si les avocats aux conseils n'ont pas alerté la formation, ce peut encore être le rôle du conseiller rapporteur qui, intervenant au vu des conclusions, peut découvrir un possible revirement ou souhaiter un revirement qui n'aurait pas été requis. Ce dernier pourrait encore résulter de l'intervention de l'avocat général. Néanmoins, ce serait plus étonnant car il n'existe que 22 avocats généraux qui sont aujourd'hui d'autant plus débordés que le conseiller rapporteur ne leur communique plus qu'un rapport objectif, comme aux parties, pour éviter une rupture de l'égalité des armes. Le revirement devrait, ce qui devrait être assez rare, être décelé en formation restreinte au stade des débats pour justifier un renvoi à une autre formation, la décision ne s'imposant plus. Enfin, dans l'hypothèse où personne ne se serait aperçu du revirement, la doctrine pourrait le souligner a posteriori477(*).Une voie de recours en omission de statuer ne serait pas pour autant admise car il n'est pas possible de reprocher aux juges de ne pas avoir statué sur la modulation dans le temps qui n'a pas été demandée. Pourtant, la partie n'a pas à demander ab initio une application dans le temps particulière. Il ne s'agit pas d'une partie du litige stricto sensu mais des effets juridiques de la détermination d'une norme. La question de l'application dans le temps du revirement déborde la matière litigieuse, ce qui se révèle matériellement par la suggestion du rapport de rédiger un double dispositif. »

2) Détermination du revirement dangereux.

L'identification du revirement de jurisprudence, à l'origine d'une norme jurisprudentielle nouvelle, n'est que la première étape vers la modulation éventuelle des effets du revirement dans le temps. Tout revirement de jurisprudence ne sera pas opéré sur le mode du revirement pour l'avenir ; le Rapport MOLFESSIS ne propose pas l'extension de l'article 2 du Code civil à la jurisprudence, et la non-rétroactivité ne sera pas un principe général applicable sauf exception, comme cela a parfois été proposé.

En effet, une fois cette identification opérée, la deuxième question est de savoir si ce revirement est dangereux. Le critère de cette dangerosité sera la sécurité juridique, mais une sécurité juridique « à la Française » qui ne sera pas appréciée de la même façon qu'en droit Allemand ou devant les systèmes de common law.

« Le groupe de travail rappellera le constat dressé précédemment : certains revirements de jurisprudence, par l'effet rétroactif qui leur est attaché, comportent un risque de méconnaissance des anticipations légitimes des justiciables, qui doit être évité.

Le groupe rappellera que les situations dans lesquelles le revirement de jurisprudence produit des effets néfastes liés à l'imprévisibilité et à l'effet rétroactif de la situation sont peu fréquentes. La plupart des revirements de jurisprudence n'appellent pas de traitement spécifique »478(*).

Quels revirements peuvent appeler un traitement spécifique ? Ce sont précisément ceux qui déjouent les prévisions légitimes des justiciables. Nous avons déjà expliqué quelle était la logique du Rapport MOLFESSIS sur cette question : le revirement de jurisprudence ne porte pas nécessairement atteinte aux prévisions des parties ; même lorsque c'est la cas, il ne porte pas toujours atteinte à des prévisions légitimes. Trois cas doivent être distingués : En dehors de cas où l'atteinte aux prévisions des parties doit être déterminée au cas par cas, « le revirement ne déjouera aucunement les prévisions des parties lorsque leur comportement n'aura pas dépendu de la solution jurisprudentielle retenue à l'époque des faits »479(*), ce qui est le cas le plus courant. Il en va ainsi des revirements qui visent à améliorer le sort des justiciables, sans créer de préjudice à d'autres justiciables, mais aussi du cas où le revirement préjudicie à l'une des parties sans avoir méconnu ses anticipations, ce qui est le cas notamment lorsque le revirement a pour effet de valider un acte qui n'aurait pas été valide sur le fondement de l'ancienne jurisprudence.

Dans un troisième cas, « il faut considérer que la décision de revirer méconnaît les anticipations des justiciables à chaque fois qu'un comportement a été ou aurait pu être orienté par la solution que le revirement entend abandonner »480(*). C'est ici qu'intervient une spécificité des propositions du Rapport MOLFESSIS par rapport aux revirements pour l'avenir des autres systèmes juridiques : ce critère de prévisions légitimes est ici plus ouvert que le champ logiquement prévu par les juges de common law, ou par les juges Allemands, par exemple.

Dans ces systèmes juridiques, le revirement pour l'avenir ne peut logiquement concerner, comme nous l'avons dit, que des domaines où la prévision des parties jouera un rôle particulièrement important. Ces domaines ne peuvent donc être que la matière contractuelle, ou la fiscalité. Le Rapport MOLFESSIS, quant à lui, a une vision plus large de la prévision : il admet que les prévisions des parties peuvent être prises en compte dans des domaines qui n'ont a priori rien à voir, tels que la responsabilité civile délictuelle.

Ainsi, l'un des exemples phares du Rapport est l'arrêt précité du 9 octobre 2001, dans lequel la première chambre civile a condamné un médecin pour avoir manqué à son devoir d'information, alors qu'à l'époque des faits, la jurisprudence admettait que l'acte du médecin n'était ni illicite, ni fautif. Le rapport aurait pu écarter cet exemple, puisqu'il intervenait dans une matière où les prévisions des justiciables ne jouent pas systématiquement un rôle important ; or, il a au contraire décidé d'en faire l'un de ces exemples les plus marquants.

Dans cette optique, d'autres matières, où le revirement pour l'avenir est en principe sans objet, pourraient être concernées. Par exemple, la matière pénale - où toutes les infractions ne sont pas censées être des actes irrationnels ou irréfléchis- , ou du Droit International Privé - par exemple dans le domaine de l'exequatur ou des immunités de juridiction et d'exécution.

De plus, on remarquera que le revirement pour l'avenir opéré par la deuxième chambre civile, et confirmé par l'assemblée plénière, a précisément été opéré en matière délictuelle, suivant implicitement le même raisonnement.

Ainsi, si le revirement pour l'avenir devait être construit d'après les propositions du Rapport MOLFESSIS, ce serait bien un revirement pour l'avenir à la Française, construit en partie sur le modèle des procédures utilisées dans d'autres systèmes juridiques, mais avec certaines spécificités qui pourraient éventuellement inspirer les acteurs de droits étrangers.

« En toute hypothèse, on observera qu'il est indispensable de procéder, au cas par cas, à une recherche des anticipations qui ont pu ou auraient pu être celles du justiciable auquel le revirement va porter préjudice. C'est à cette condition que l'on peut statuer sur l'imprévisibilité que représente le revirement »481(*). « Le groupe de travail estime qu'il est nécessaire de procéder, au cas par cas, à une recherche des anticipations légitimes qui ont pu être celles des justiciables auxquels le revirement va porter préjudice. L'analyse doit toutefois se faire logiquement in abstracto : il ne s'agit pas de savoir si tel justiciable a effectivement fondé son comportement sur la règle prétorienne qui sera abandonnée par le revirement ; il s'agit de déterminer si un justiciable normalement diligent et supposé connaître la règle jurisprudentielle - au même titre que la règle législative - a pu adopter un comportement qui soit fonction de la solutions jurisprudentielle »482(*).

Ce choix du revirement de jurisprudence dangereux pour les prévisions légitimes comme fondement du revirement pour l'avenir n'a pas été sans susciter des critiques - on précisera toutefois que les critiques ne semblent pas porter sur les conclusions elles-mêmes, mais uniquement sur les postulats choisis. Nous avons déjà évoqué certaines d'entre elles, relatives au caractère illégitime des critères choisis, ou au fait que le système proposé n'est pas à même de protéger efficacement la partie la plus faible.

Mais la notion de sécurité juridique elle-même comme fondement du système de droit transitoire a fait l'objet de critiques. Ainsi, Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI : « le rapport n'opère pas de distinction entre les actes et les faits juridiques. Tantôt, il envisage l'application d'une règle jurisprudentielle à des faits, tantôt à des faits et des actes (p.8-10) . Il existe toutefois une différence entre les deux.

Le faits ne sont pas accomplis dans l'intention de produire des effets de droit. Au moment où ils sont perpétrés, il est des faits licites et des faits illicites. Le rapport dénonce, à juste raison, les méfaits de l'application rétroactive (stricto sensu) d'une règle à des faits passés et l'insécurité qu'elle génère. Il rappelle aussi que l'application immédiate d'une règle à des litiges en cours peut conduire à perturber le droit à un procès équitable.

Toutefois, le Rapport vise également à offrir une sécurité aux actes juridiques. Loin de se réduire à agiter le spectre de la rétroactivité, il s'agit aussi d'éviter l'application immédiate de règles jurisprudentielles nouvelles. La défense de la sécurité juridique s'accompagne ici d'une fervente prise de position en faveur de la validité des actes juridiques. Selon le rapport, la règle nouvelle devrait être appliquée lorsqu'elle rend valides des contrats nuls sous l'empire de la règle ancienne ; en revanche, elle ne devrait pas l'être dans le cas inverse où son application conduirait à annuler une disposition antérieurement considérée comme valable (p.19 et note 32 et33) . Ne pas déjouer les prévisions des parties, contribuer à la sécurité juridique, ce serait donc rendre les actes juridiques toujours valables, soit par validation, soit par absence d'annulation ! La sécurité juridique est ainsi repliée sur la sécurité contractuelle. Un tel raisonnement nous paraît fallacieux et impraticable. Car un acte juridique n'est pas valable par définition. Plus encore, les actes nuls produisent des effets de droit jusqu'à leur annulation. C'est pourquoi l'annulation a en principe un effet rétroactif, même s'il peut y avoir sur ce point des exceptions (...) .

Les personnes juridiques concluent souvent, en toute connaissance de cause, des conventions à la validité incertaine. La sécurité juridique consiste-t-elle à paralyser le pouvoir d'annulation des juges ? La Cour de Cassation aurait-elle dû, par exemple, renoncer à prohiber les conventions organisant les maternités de substitution en n'appliquant pas immédiatement le principe nouveau d'indisponibilité du corps humain au nom du principe de sécurité juridique ? Une réponse négative s'impose. La sécurité juridique consiste aussi à sanctionner ce qui doit l'être. Différer l'application d'une règle jurisprudentielle dans le temps ne doit pas conduire une prime aux actes nuls. Dans le domaine économique et social, il a toujours été de bonne guerre d'établir des conventions à la lisière du droit pour optimiser son avantage. La prévisibilité est alors anticipation prospective du droit futur. Elle est moins recherche de stabilité du droit en vigueur que pari sur la validité à venir d'une clause ou d'un montage contractuel. Les juges sont d'ailleurs souvent appelés à statuer sur le sort d'actes juridiques qui produisent des conséquences tant qu'ils ne sont pas annulés. Que les entreprises et les employeurs (Rapport p.145 et s.) soient plus favorables aux propositions du rapport que les consommateurs et les salariés (Rapport p.175 et s.) montre leur intérêt à retarder l'application de règles jurisprudentielles susceptibles d'anéantir des opérations juridiques qu'elles ont le plus souvent conçues. Pourquoi la Cour de Cassation devrait-elle contribuer à une telle politique d'externalisation des risques juridiques ? La raison tient sans doute à une certaine conception des rapports entre le droit et l'économie que nous ne partageons pas »483(*).

Patrick MORVAN, quant à lui, estime que le fondement de la sécurité juridique ne peut pas servir de fondement pour le revirement pour l'avenir : « Il ne s'agit que d'un « produit d'importation sous douane » en provenance de l'ordre juridique communautaire : comme tous les principes généraux du droit qui en sont issus, il ne s'applique que dans les situations relevant du champ du droit communautaire (...) et, à l'inverse, est inapplicable « en l'absence de tout rattachement à l'une quelconque des situations envisagées » par ce même droit »484(*). Le fondement de la sécurité juridique ne serait que l'instrument de luttes de pouvoir entre les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, et qui plus est un instrument obsolète.

« Partant, la source des règles qui protègent l'« objectif » ou l'« impératif » de sécurité juridique (puisque le statut de « principe » ne lui sied pas) réside avant tout dans le droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. L'ordre juridique communautaire n'offre pas, à cet égard, de solutions importables et généralisables dans l'ordre juridique interne. Le Conseil constitutionnel s'abstient lui-même de s'y référer lorsqu'il vante « l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi », « le principe de clarté de la loi », pourfend les dispositions à « caractère tautologique » ou à « portée normative incertaine », et entrave diversement la rétroactivité des lois non répressives. La Cour de cassation a donc exactement situé le centre de gravité de la sécurité juridique lorsqu'elle plaça, en 2004, le revirement prospectif dans le giron de l'article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ».

Bref, la première étape dans le processus de modulation de la norme jurisprudentielle dans le temps consiste à savoir, d'une part s'il y a un revirement, d'autre part si ce revirement est dangereux d'après les prévisions que les parties ont pu légitimement former sur l'ancienne jurisprudence - pour connaître le droit pour le présent, mais pas pour son maintien pour l'avenir - au moment où ils ont agi. Si le revirement de jurisprudence existe, et si sa rétroactivité présente un danger pour les prévisions que les justiciables ont pu faire sur le fondement de l'ancienne jurisprudence, alors la deuxième étape de la procédure de report (éventuel) des effets du revirement de jurisprudence dans le temps sera engagée.

B. Les propositions concernant la procédure de report des effets d'un revirement de jurisprudence dans le temps.

L'idée qui inspire ces propositions est la suivante : dès lors que l'on reconnaît le pouvoir créateur de la jurisprudence, on peut concevoir une norme jurisprudentielle qui ne soit pas nécessairement destinée aux faits du litige qui lui ont permis de naître, à la différence des fondements actuels de la règle jurisprudentielle. Il est alors possible de distinguer au sein de l'arrêt de revirement la création de la règle, abstraction faîte de la mission principale de la Cour, qui est d'appliquer la règle de droit aux faits. Cette mission d'application sera donc faite sur la base de la règle ancienne, et l'effet de la règle jurisprudentielle nouvelle sera reporté de façon à ne concerner que les faits survenus après l'apparition de cette règle nouvelle (1) . Mais la question se pose alors de savoir s'il n'existe pas d'autres obstacles à l'élaboration de ce système (2) .

1) Les propositions concernant le droit transitoire.

a. Un droit transitoire fondé sur une procédure originale.

Cette procédure, engagée à partir de la mise en évidence d'un revirement de jurisprudence potentiellement dangereux, n'a pas pour but de paralyser systématiquement l'application rétroactive du revirement de jurisprudence. Elle n'est qu'une procédure par exception envisagée dans une optique individuelle impliquant une appréciation au cas par cas.

Une procédure par exception, tout d'abord. Comme nous l'avons expliqué, les cas de revirement de jurisprudence « produisant des effets néfastes liés à l'imprévisibilité et à l'effet rétroactif de la solution sont peu fréquentes », si bien que « la plupart des revirements de jurisprudence n'appelle pas de traitements spécifique »485(*). La rétroactivité du revirement de jurisprudence reste donc le principe, la modulation de ses effets dans le temps l'exception.

Lorsque la procédure est engagée, le Rapport MOLFESSIS propose alors une séparation entre deux aspects du débat : le débat de fond, sur le revirement de jurisprudence, doit être séparé d'un deuxième débat sur l'application dans le temps de la norme issue du revirement. « Il apparaît indispensable au groupe de travail que l'interrogation sur les effets d'un éventuel revirement soit elle-même l'objet d'un débat judiciaire distinct de celui portant sur la décision de revirer. Un tel débat doit être nourri d'informations diverses fournies au juge aux fins de lui permettre d'apprécier la portée de la décision de revirement qui pourrait être rendue. Dans une large mesure, il permet aussi de libérer le débat de fond : parce qu'elle pourrait moduler les effets de sa décision en sorte d'en limiter (ou d'en annihiler) certains effets secondaires indésirables, la Cour serait mieux à même de décider d'infléchir sa position de principe sur tel ou tel point. »486(*)

D'un point de vue plus technique, « il importe que la Cour adopte en pareil cas une séquence invariable de délibération, et que cette séquence trouve un écho explicite dans la délibération du dispositif de l'arrêt de revirement. La modulation suppose en effet que deux décisions soient explicitement prises et contradictoirement débattues l'une après l'autre :

- La décision - de fond - de procéder à un revirement de jurisprudence, explicitement reconnu comme tel ;

La décision de moduler les effets dans le temps de ce revirement de jurisprudence. »487(*)

Après cette séparation entre les deux débats, le second débat sur la question de la modulation dans le temps de l'effet du revirement de jurisprudence doit consister en un bilan coût-avantage entre les inconvénients de la rétroactivité du revirement et les bénéfice retiré de l'application de la nouvelle norme. Ces inconvénients doivent être appréciés, comme nous l'avons dit, dans une optique de sécurité juridique, de façon à évaluer l'impact qu'aurait la rétroactivité du revirement sur la situation des justiciables, situation prévue en fonction de prévisions faites sur le fondement de l'ancienne jurisprudence.

Une difficulté survient pour apprécier les critères de ce bilan : « Le Groupe de travail n'estime pas opportun d'établir ici une grille contraignante qui devrait s'imposer en toute hypothèse pour décider de la modulation dans le temps du revirement. Il serait d'ailleurs contreproductif de figer l'exercice d'un pouvoir de modulation alors même que celui-ci vise précisément à prendre en compte des situations dont l'appréciation nécessite un débat au cas par cas »488(*).

Pas de critères précis, donc, mais tout de même des directives, car « Il n'en reste pas moins que l'exercice d'un tel pouvoir ne saurait s'exercer sans cadre, et a fortiori sans justification d'ordre juridique. Le Groupe est donc d'avis que plusieurs paramètres doivent être pris en compte et explicités par le juge pour que ce pouvoir soit exercé d'une manière cohérente et justifiée »489(*). Deux sortes de critères peuvent alors être envisagés pour apprécier l'impact concret du revirement :

« - soit une évaluation des inconvénients que pourrait emporter l'application rétroactive du revirement - qui reste la règle. Précisément, il s'agit alors de rechercher s'il existe une disproportion manifeste entre les avantages attachés à la rétroactivité normale du revirement et les inconvénients qu'emporterait cette rétroactivité sur la situation des justiciables. A ce titre, il convient de prendre en considération les anticipations sur la stabilité de leur situation juridique que les justiciables ont pu légitimement former et le risque que ces anticipations soient déjouées par l'existence même du revirement.

- soit la mise en évidence d'un impérieux motif d'intérêt général qui justifierait l'exception apportée à la règle générale de rétroactivité »490(*).

Pour pouvoir pleinement mesurer l'impact du revirement rétroactif, le rapport propose un élargissement du débat. « Le Groupe de travail est d'avis que la question de la modulation dans le temps du revirement doit elle-même faire l'objet d'un débat contradictoire spécifique entre les parties.

Le débat dont il s'agit est celui qui doit porter non plus sur la question de fond objet du pourvoi mais bien sur les effets dans le temps de cet éventuel revirement et sur l'éventuel aménagement qui devrait s'ensuivre. A partir du moment où il revient au juge de décider de la modulation dans le temps de sa décision, une telle décision ne peut être prise qu'après que les parties ont été effectivement sollicitées de donner leur avis et entendues sur cette question.

Aussi, la discussion est-elle toujours duale : elle porte à la fois sur la question substantielle que soulève l'éventuel revirement et sur sa mise en oeuvre ratione temporis »491(*).

Mais le Rapport propose aussi que le débat soit aussi étendu à des tiers. L'objectif est double : à partit du moment où la Cour de Cassation « introduit une modification dans l'état du droit positif », le groupe de travail estime qu'elle doit se préoccuper de l'impact de la norme nouvelle pour le passé. De plus, il est « justifié que ceux dont les intérêts sont mis en cause à l'occasion de la décision de revirement puissent exprimer leur position »492(*).

Ce « débat au-delà des parties » serait possible grâce à un développement de l'amicus curiae, la mission étant alors confiée au Parquet général de la Cour de Cassation. Les tiers consultés pouvant être indifféremment des ordres professionnels, des personnes publiques, des syndicats, ...

Mais la situation de ces tiers restent alors à définir : s'agit-il d'un rôle de représentation d'intérêts ? Doivent-ils seulement renseigner la Cour sur l'impact de sa décision de façon objective ? « Sous ce rapport, il ne saurait évidemment être question de transformer ces tiers en parties à l'instance. Les intérêts extérieurs doivent pouvoir être entendus, mais ils ne sauraient évidemment être représentés au sens strict sans porter une atteinte injustifiable aux droits procéduraux des parties. Celles-ci sont les seules à nouer le lien d'instance, avec tous les droits et garanties associés à leur qualité. Le statut de ces contributions ne peut être que celui d'un avis, d'une opinion librement formulée par des tiers dans le cadre d'un litige vis-à-vis duquel leurs auteurs restent, en droit, absolument extérieurs »493(*).

La méthode n'est toutefois pas neutre. En effet, comme l'explique Horatia MUIR-WATT494(*), La démarche de l'amicus curiae est par nature associée à une démarche intellectuelle de type utilitariste incompatible avec la démarche syllogistique, dès lors qu'une norme n'est plus considérée comme « juste parce qu'elle est conforme à une norme abstraite, mais parce que ses conséquences sociales et économiques sont utiles ». L'objectif implique une « pesée - politique ou économique - des intérêts en présence », « mais il importe de souligner que ce type d'approche ne peut être enfermé dans un syllogisme, car l'obligation de motivation oblige le juge à mettre cartes sur tables et montrer qu'il est parvenu à sa décision non pas par voie de déduction logique, mais sur le fondement de considérations de type utilitariste ».

« Dès lors que le juge s'interroge sur les conséquences sociales et économiques de sa décision sous l'angle de ses effets dans le temps - jouant carte sur table dans la motivation sur ce point - il est difficile de concevoir qu'il ne le fasse pas dans tous les cas, c'est-à-dire, pour tout revirement qu'il envisage d'effectuer. Ainsi, l'enseignement d'une démarche comparatiste porté sur la question des effets des revirements dans le temps est que l'introduction d'une approche conséquentialiste sur ce point est de nature à entraîner des répercussions sur l'ensemble du raisonnement judiciaire ».

Bref, « la question de la gestion des effets dans le temps des revirements n'est que la partie visible de l'iceberg ».

On peut remarquer que les critères proposés semblent inspirées du système mis en place par l'arrêt AC ! , dont le groupe de travail s'est explicitement inspiré : les préoccupations du juge doivent être d'une part les « conséquences manifestement excessives » de la rétroactivité, soit en raison « des effets que cet acte a produits », soit en raison des « situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur », et d'autre part, « l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire » des effets de l'acte dont l'annulation est requise. Cette préoccupation doit alors être mise en balance par rapport aux impératifs poussant à l'annulation : le juge doit « prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif ».

Comme on l'a vu, le rapport MOLFESSIS, tout en s'inspirant des méthodes développées devant d'autres juges, n'a pas choisi de les transposer sans adaptation. De plus, le juge reste libre de retenir ces propositions ou de les adapter selon des considérations juridiques ou des considérations d'opportunité, comme l'ont fait la deuxième chambre civile et l'assemblée plénière en procédant à un revirement pour l'avenir495(*). Il est donc permis de se demander si la Cour de Cassation, si elle devait suivre les propositions du Rapport, adopterait les mêmes critères que le Conseil d'Etat, ou si la méthode proposée serait modifiée à l'étape de l'arrêt. On remarquera d'ailleurs que les critères et la méthode choisis par l'arrêt AC ! ne sont pas en tout point identiques par rapport à ce que proposaient Jacques-Henri STAHL et Anne COURREGES496(*).

Il est intéressant de constater que le Rapport MOLFESSIS n'a pas envisagé de reprendre une partie des acquis de l'évolution dans laquelle s'inscrit l'arrêt AC ! . En effet, comme l'expliquent Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, l'évolution dans laquelle s'inscrit l'arrêt AC !, et qui passe notamment par les arrêts VASSILIKIOTIS et TITRAN, amène à un effacement au moins partiel de la distinction entre recours pour excès de pouvoir et recours de plein contentieux497(*). Le recours pour excès de pouvoir était conçu classiquement comme « un « recours-guillotine » par lequel on requiert la mort de l'acte et rien d'autre »498(*). Le recours de plein contentieux, quant à lui, offre une gamme de solutions, adaptées aux besoins des justiciables, plus étendue que ce que permet classiquement le recours pour excès de pouvoir. Ce mouvement d'unification partiel avait permis à l'arrêt AC ! de faire usage de plusieurs techniques dans le même arrêt. D'une part, certaines des dispositions annulées continueront à produire leurs effets pour le passé. D'autre part, certaines des dispositions annulées devaient encore produire leur effet pendant quelques semaines après le prononcé de l'arrêt d'annulation.

On aurait pu imaginer que le groupe de travail, dont on a vu l'intérêt pour le travail du Conseil d'Etat, proposerait de reprendre également ces techniques. Cela aurait permis au juge, dans son travail de modulation des effets de la norme jurisprudentielle dans le temps de disposer, à l'instar du législateur dans son activité de « modulation » de la norme législative dans le temps (lorsqu'il doit faire le choix entre la rétroactivité sans limite de temps, la rétroactivité avec une limite de temps, la rétroactivité pour certains types d'actes, ...) , de disposer d'une gamme d'instruments plus étendue que le simple choix entre la rétroactivité de l'interprétation jurisprudentielle nouvelle et sa non-rétroactivité. Pierre SARGOS avait d'ailleurs proposé d'aller plus loin, parfois, que ce que proposait le Rapport MOLFESSIS. Ainsi, « dans certains cas, la nullité d'un acte pourrait être différée dans le temps ; en droit du travail, on pense par exemple à l'annulation d'un accord collectif dont la prise d'effet pourrait être retardée de quelques mois pour permettre aux partenaires sociaux de négocier un nouvel accord »499(*).

En quelques sortes, en paraphrasant le Doyen Gilles LEBRETON, on pourrait dire que la procédure proposée par le rapport MOLFESSIS est une « procédure-guillotine », plus qu'une « procédure-scalpel ».

Cet aspect du Rapport MOLFESSIS est intéressant, comme nous l'avons dit, dès lors qu'on le met en parallèle avec les observations de Bertrand MATHIEU sur l'arrêt AC ! : « les conditions ainsi fixées sont le décalque presque exact de celles qui justifient le recours aux validations législatives, comme en témoigne d'ailleurs l'application in concreto de cette nouvelle jurisprudence »500(*). Dès lors, comme l'explique François-Charles BERNARD501(*), « les évolutions dans lesquelles les validations législatives se révèleraient indispensables pourraient être, de fait, contingentées », et le juge, de fait pourrait intervenir dans ce qui était en principe le pré carré du législateur, la validation d'actes menacés par une jurisprudence nouvelle.

Cela révèle que les rapporteurs n'ont, semble-t-il, pas souhaité donner au juge une maîtrise de son activité normative aussi importante que celle que le juge administratif a sur sa norme prétorienne - du moins sur les conséquences de son activité normative rétroactive sur la validité d'actes juridiques. Le choix d'une « procédure-scalpel » aurait permis au juge judiciaire de maîtriser l'entrée en vigueur de sa norme comme l'aurait fait le législateur. Sans faire d'une quelconque façon du juge l'égal du législateur502(*), une telle proposition aurait eu pour effet de réduire le manque de maîtrise affectant le juge dans son activité normative, du fait des « infirmités jurisprudentielles ». Il est donc intéressant de voir que le Rapport MOLFESSIS, qui part du point de vue du pouvoir créateur du juge, pouvoir qu'il semble considérer comme étant par certains aspects assez légitime, n'envisage pas de donner au juge la même maîtrise de son activité normative que ce que permet l'arrêt AC ! au juge administratif dans le cadre de l'annulation contentieuse.

Il est à noter, enfin, que l'optique individuelle adoptée par le groupe de travail se trouve jusque dans la situation du justiciable ayant demandé le revirement. Cette question trouve des solutions diverses selon les systèmes juridiques ; la Cour de Justice des Communautés Européennes, par exemple, prévoit un traitement particulier pour les procédures entamées avant le revirement.

« Deux arguments militeraient pour cette application dérogatoire. D'une part, l'instauration d'un droit transitoire des revirements de jurisprudence comporterait un risque d'épuisement des pourvois dès lors que la solution nouvelle se trouverait écartée dans l'espèce jugée. Pour y remédier, il faudrait en quelque sorte récompenser le justiciable qui aurait contribué à l'avènement de la solution nouvelle en lui en faisant profiter, avant de retourner à l'application de l'interprétation jurisprudentielle antérieure. D'autre part, l'équité militerait dans le même sens. Ainsi qu'on l'a souligné, « peut-on raisonnablement dire à un justiciable qui a pris le risque de poursuivre une procédure jusqu'à la Cour de cassation - avec tout le temps et le coût que cela entraîne -, nonobstant une jurisprudence qui lui était défavorable et dont il demandait le changement, qu'il avait parfaitement raison, mais que ce sont d'autres justiciables qui bénéficieront de l'avancée du droit qu'il a permis de faire consacrer ? ». L'objection est évidemment importante : en empêchant l'application de la solution nouvelle au pourvoi qui en a donné l'occasion, on risque de substituer une injustice à une autre, pour remplacer l'incompréhension de l'un - le défendeur au pourvoi - par celle de l'autre »503(*).

Pourtant, le groupe de travail a estimé que la situation du justiciable demandant le revirement n'était pas différente de celle du justiciable subissant le revirement. Il ne pourrait recevoir un traitement de faveur que si la règle avait une portée obligatoire ; Or, le groupe de travail en profite pour réaffirmer son attachement à la prohibition des arrêts de règlement et à la nécessaire évolutivité de la jurisprudence. « En admettant que la solution consacrée par le revirement doive ne pas être appliquée aux faits qui lui sont antérieurs, et ce pour des raisons de sécurité juridique et de confiance légitime, il devra en être de même à l'égard de la partie qui aura obtenue le revirement. ».

Quant à l'autre argument qui a été invoqué, celui du risque d'épuisement des pourvois, le groupe de travail estime que ce risque serait atténué par la possibilité de plaider au cas par cas pour l'application du revirement aux faits antérieurs au revirement.

b. influences de la théorie des conflits de lois dans le temps et critiques.

« les règles qui pourraient présider à la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence doivent être parfaitement distinctes de celles qui peuvent régir l'application de la loi dans le temps ». L'approche est ici individuelle et par exception ; les théories de conflits de lois dans le temps sont, quant à elles, orientée vers la systématisation a priori pour éviter ou régler le conflit entre normes successives. Celle-ci propose de mettre en oeuvre un système où le choix serait fait a priori entre deux normes selon l'époque des faits, en partant de concepts tels que la situation juridique ou les caractéristiques de la norme. Le Rapport MOLFESSIS propose un droit transitoire dans lequel le choix s'effectue au cas par cas, dans une logique d'effets concrets de la rétroactivité de la norme.

Le système est aussi plus proche de la théorie des droits acquis504(*) que de la théorie des conflits de lois dans le temps, par son approche négative - protéger les actes faits dans le passé contre la rétroactivité de la norme - plutôt que positive - déterminer la norme applicable, faire un choix entre deux normes afin de régler ou d'éviter un conflit entre deux normes.

Bref, le droit transitoire pour les revirements de jurisprudence proposé par le Rapport MOLFESSIS se distingue de la théorie des conflits de loi dans le temps en ce qu' « Il ne s'agit pas de protéger un droit ou une situation, mais de garantir le respect des expectatives des justiciables là où elles ne peuvent pas être considérées comme infondées au regard du droit initialement applicable. L'approche qu'il convient de retenir est pragmatique : elle ne tient pas - du moins pas exclusivement - au seul domaine visé. Par suite, il ne saurait exister de solution directrice propre à l'application dans le temps de la règle jurisprudentielle en matière contractuelle, en matière délictuelle, relative à la prescription ou à la preuve, etc. »505(*)

Il a par ailleurs été reproché au système proposé par le Rapport MOLFESSIS de négliger certaines des distinctions essentielles en matière de conflits de loi dans le temps. Nous avons déjà étudié les travaux de Pierre FLEURY-LE GROS sur cette question ; nous pouvons également évoquer les commentaires de Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI506(*), qui rappelle que le Rapport ne parle que de la rétroactivité et de la non-rétroactivité de la norme alors que la problématique du conflit de normes dans le temps ne se résume pas qu'à ces deux situations. D'autres concepts interviennent, tels que l'application immédiate d'une règle nouvelle, « qui permet de dissocier deux problèmes radicalement distincts. L'un concerne l'application proprement rétroactive d'une règle de droit à une situation passée », ce qui correspond par exemple à l'arrêt rendu par la première chambre civile le 9 octobre 2001. « L'autre problème vise le point de savoir si une règle nouvelle doit régir immédiatement les situations nées avant son entrée en vigueur (principe dit d'application immédiate) , ou s'il est préférable de maintenir la règle ancienne (exception dite de survie de la loi ancienne) » .

Le danger est alors de choisir une conception large de la rétroactivité, et de confondre les deux problématique. Le système proposé par le rapport fausserait donc les données et ne serait donc pas fondé sur une approche parfaitement rigoureuse d'un problème autrement plus complexe.

Jean-Luc AUBERT va plus loin : pour lui, le système est impraticable. Celui-ci implique la coexistence idéale de « décisions « nouvelle jurisprudence » et de ancienne jurisprudence ». (...) Mais les choses pourraient aussi se passer moins bien. D'abord par la résistance toujours possible de certains juges soit au revirement lui-même, soit à sa modulation ou à l'exacte portée de celle-ci. Ensuite, on ne peut exclure des erreurs dans l'application temporelle du revirement pour l'avenir. Il est à craindre que lisibilité de la jurisprudence en souffre quelque peu.

Enfin, il ne peut être exclu, comme les auteurs du rapport l'admettent, que la Cour de Cassation elle-même vienne à changer d'avis par un nouveau revirement ou par une remise en cause de la modulation initialement consacrée. L'éventualité ne relève pas d'une très grande improbabilité : la composition de la Cour de Cassation est en perpétuel changement ; les conseillers passent, assez vite, et les nouveaux venus peuvent - ainsi qu'il en a toujours été - ne pas être toujours convaincus par le produit de la réflexion de leurs anciens. Ainsi peut survenir un abandon du revirement modulé. On peut même imaginer que cet abandon intervienne à un moment où le revirement pour l'avenir n'aura jamais encore été appliqué. On parviendra alors à cette situation assez étrange que le revirement annoncé n'aura reçu aucune application ! Mais il est vrai que rien n'interdit de moduler dans le temps ce nouveau revirement, ce qui pourrait bien réaliser de nouveau une consécration rétroactive du premier arrêt de revirement pour l'avenir en arrêt de règlement, et ce qui aura en tout cas pour résultat étonnant que deux générations successives de magistrats à la Cour de Cassation n'auront pu qu'appliquer des solutions qu'ils condamnaient »507(*).

Par ailleurs, ce qui est encore plus grave, il faut voir dans l'arrêt rendu le 17 décembre 2004 par la chambre sociale de la Cour de Cassation508(*), soit quelques semaines après la publication du Rapport MOLFESSIS, sinon un camouflet pour les propositions du Rapport, du moins la volonté d'ajouter une limite à la possibilité de moduler les effets d'un revirement.

Pour rejeter un moyen qui soutenait que l'application d'une jurisprudence exigeant une contrepartie financière à une clause de non-concurrence à un contrat passé à l'époque de l'ancienne jurisprudence consistait en une violation de l'article 6.1 du Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme, la Cour de Cassation retient « que l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non-concurrence répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle ; que loin de les textes visés par le moyen et notamment l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, la Cour d'appel en a au contraire fait une exacte application en décidant que cette exigence était d'application immédiate ».

La chambre sociale a ici refusé de procéder à un revirement pour l'avenir. Pour cela, elle a invoqué l'existence d'un impératif supérieur aux préoccupations de sécurité juridique : la « liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle » , dont elle semble dire qu'elle est garantie également par la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

On pourrait dire que, en opérant une pesée entre les avantages et les inconvénients du revirement509(*), la chambre sociale a estimé qu'il fallait inclure dans les considérations invoquées pour la rétroactivité du revirement la supériorité de certains impératifs supérieurs, même s'il n'est pas précisé lesquels. Ainsi, il n'est pas précisé si ces impératifs supérieurs doivent forcément être des impératifs d'ordre juridique, ou si des considérations d'opportunité peuvent entrer en ligne de compte. On ne sait pas non plus si seuls des impératifs d'ordre constitutionnel peuvent être invoqués, ou si des normes haut-placées dans la hiérarchie des normes peuvent produire le même résultat - tels que des principes généraux du droit ou des dispositions conventionnelles.

Evoquant cet arrêt, Pierre SARGOS a pu affirmer que « la nécessité d'assurer, au bénéfice de la partie la plus faible, la protection de certains de ses droits fondamentaux est de nature à imposer un revirement jurisprudentiel. Et un tel revirement fondé sur un tel impératif démocratique ne peut qu'être à effet immédiat, sauf à contredire la nécessité même du revirement. Dès lors qu'un revirement est fondé sur la nécessité même d'assurer la protection d'une liberté fondamentale, il ne peut être que rétroactif car il doit assurer la protection recherchée tant pour le passé que pour le futur. Dans le rapport de proportionnalité entre, d'une part, une liberté aussi fondamentale que celle d'exercer une activité professionnelle et, d'autre part, la sécurité juridique de l'une des parties au contrat, la balance ne peut que pencher en faveur de la liberté. C'est seulement lorsqu'un revirement n'est pas fondé sur un tel impératif de protection de la personne humaine que peut se poser la question de la limitation dans le temps des effets du revirement. Il est regrettable que les auteurs du rapport focalisés jusqu'à l'obsession sur la seule dimension économique des rapports juridiques n'aient pas perçu cette évidence non seulement démocratique, mais tout simplement humaine »510(*).

On notera d'ailleurs que, sans le rendre obligatoire, la Cour de Strasbourg semble avoir légitimé ce raisonnement. Dans l'affaire C.R. c. Royaume-Uni, notamment, elle a d'abord développé un raisonnement novateur, expliquant sa nouvelle position sur la rétroactivité de la jurisprudence, tout en expliquant que le Royaume-Uni avait en l'espèce respecté ces impératifs ; puis elle a tenu à rappeler que même si le Royaume-Uni avait rendu se norme jurisprudentielle sur le viol entre époux rétroactive de façon imprévisible, il n'y aurait pas eu de sanction car « Le caractère par essence avilissant du viol est si manifeste qu'on ne saurait tenir le résultat des décisions de la Court of Appeal et de la Chambre des lords - d'après lesquelles le requérant pouvait être reconnu coupable de tentative de viol quelles que fussent ses relations avec la victime - pour contraires aÌ l'objet et au but de l'article 7 (art. 7) de la Convention, qui veut que nul ne soit soumis aÌ des poursuites, des condamnations ou des sanctions arbitraires (...). De surcroit, l'abandon de l'idée inacceptable qu'un mari ne pourrait être poursuivi pour le viol de sa femme eìtait conforme non seulement aÌ une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l'essence même est le respect de la dignitéì et de la liberté humaines. »

Evoquant à la suite de cet arrêt la « complexité du débat », du fait de la difficulté à « séparer nettement la question de l'application dans le temps des arrêts de la Cour de Cassation de celle qui concerne l'opportunité des revirements » , Christophe RADE511(*)explique que « le « dialogue » qui s'est instauré entre la commission MOLFESSIS et le président de la chambre sociale de la Cour de Cassation montre combien il est difficile de faire abstraction du débat entourant la nécessité même du revirement de jurisprudence pour ne s'intéresser qu'aux conditions de son application dans le temps. La force d'abstraction du revirement est tout à fait compréhensible. Si un revirement apparaît contestable dans son principe, son application rétroactive n'en est logiquement que plus critiquable. Mais si le revirement réalise un « progrès », alors tentation est grande de lui conférer la plus grande portée possible ; c'est d'ailleurs pour cette raison que la jurisprudence considère aujourd'hui que les lois qui relèvent du champ de l'ordre public social doivent s'appliquer immédiatement aux conventions en cours, ce qui est contraire aux principes qui gouvernent l'application de la loi nouvelle aux actes juridiques conclus antérieurement ».

Pour Christophe RADE, le revirement pour l'avenir confié au juge qui a procédé au revirement est par nature voué à l'échec : « le moins qu'on puisse dire est que dans cette affaire la chambre sociale de la Cour de cassation est à la fois juge et partie puisqu'elle devait déterminer elle-même si ses arrêts rendus le 10 juillet 2002 se justifiaient par une nécessité suffisante pour devoir s'appliquer de manière immédiate. Or, peut-on sérieusement imaginer que la Cour de cassation, qui fait précéder ses décisions de débats riches et nécessairement contradictoires, pourrait confirmer l'un de ses revirements tout en admettant que des intérêts supérieurs s'opposent à une application immédiate ?

La lecture de l'arrêt rendu le 17 décembre 2004 montre d'ailleurs bien que la question de la légitimité du revirement et celle de son application dans le temps sont, dans l'esprit des magistrats, indissociables et que le refus de moduler ses effets dans le temps est fondé sur la seule légitimité du revirement lui-même. »

Quelle serait alors la solution ? Une solution, dans l'optique de « l'appel à l'autodiscipline », serait de réserver la décision portant sur la modulation d'un revirement « qui pose la question de principe de sa compatibilité avec le principe de sécurité juridique » à l'assemblée plénière. « Par ailleurs, et lorsque la question de l'application immédiate d'un revirement de jurisprudence se pose devant les juges du fond, il serait souhaitable que ces derniers utilisent la procédure de la saisine pour avis afin de permettre de dégager (...) des principes clairs applicables à tous les litiges ».

Mais l'autre possibilité, plus sûre mais impliquant une réforme législative, serait de confier le débat de l'application du revirement dans le temps à une tierce autorité, tandis que la Cour de Cassation garderait la maîtrise du débat de fond sur le revirement. Christophe RADE envisage trois possibilités quant à la constitution de cette « autorité de contrôle ». La première serait d'élargir le recours en révision prévu par la loi du 15 juin 2000, lorsque la France a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme en matière pénale. La deuxième possibilité serait de poser la question préjudicielle à la Cour de Luxembourg. La troisième possibilité de faire appel au Conseil Constitutionnel.

2) La consécration de la procédure par la Cour de Cassation elle-même.

Cette consécration de la procédure de modulation des effets du revirement de jurisprudence dans le temps par la Cour de cassation elle-même peut se heurter à deux obstacles, a priori infranchissables. Le principe ne heurte-t-il pas la prohibition des arrêts de règlement (a) ? Et la consécration d'une telle procédure ne relève-t-elle pas avant tout de la compétence exclusive du législateur (b) ?

a. Le premier obstacle : la prohibition des arrêts de règlement.

Un droit transitoire pour les revirements de jurisprudence suppose que trois périodes soient mises en place : schématiquement, la première période de temps sera l'élaboration par la Cour de cassation de la règle nouvelle. Ensuite, l'application par la Cour de cassation de la règle ancienne aux rapports de droit nés avant le revirement de jurisprudence. Puis, lorsque les litiges relatifs à des faits antérieurs au revirement se seront raréfiés, la dernière période, où la Cour de cassation commencera à appliquer la règle nouvelle issue du revirement de jurisprudence.

Pendant une période de temps plus ou moins longue, la Cour de cassation n'appliquera donc pas la règle issue du revirement. Si la règle n'a pas de force obligatoire, alors il n'est pas certain que cette règle soit appliquée, lorsque le temps aura passé, si elle ne s'impose pas de jure.

Reprenant une formule de jean RIVERO, Antoine BOLZE512(*) rappelle qu' « il existe une « irréductibilité de la règle jurisprudentielle au principe de non-rétroactivité », dont la doctrine a rapporté depuis longtemps la cause : le juge n'est pas lié par sa propre erreur ; ce que les arrêts ont admis, d'autres peuvent le rejeter. On ne peut que prendre acte d'un tel droit à l'erreur accordé au juge, tant il est vrai que les obstacles théoriques se révèlent difficilement franchissables. Un droit transitoire jurisprudentiel suppose, en effet, de reconnaître à la jurisprudence le statut d'égale de la loi, ce qui va directement à l'encontre de la prohibition des arrêts de règlement prévue par l'article 5 du Code civil ». En effet, seul le caractère réglementaire de l'arrêt permettrait de fixer dans le temps la portée de la règle nouvelle ».

Dans ces conditions, la seule solution consisterait donc à modifier le « statut constitutionnel du juge », soit en assouplissant la prohibition des arrêts de règlement - mais alors l'arrêt ne bénéficierait pas de l'autorité nécessaire pour s'imposer dans le temps - , soit en abrogeant purement et simplement l'article 5.

Le Rapport MOLFESSIS, partant d'une redéfinition de l'arrêt de règlement, n'est pas de cet avis. « l'article 5 prohibe l'exercice, par le juge, d'un pouvoir législatif. A ce titre, il interdit au juge de prendre une décision qui s'imposerait, par sa force propre, au-delà des seules parties dont il doit trancher le litige. Ce qui est interdit, c'est de transformer une décision en loi. (...)Le caractère réglementaire d'une décision serait ainsi patent si elle prétendait posséder en elle-même un effet contraignant au-delà des parties. A fortiori si la décision entendait lier les juges dans les autres affaires qu'ils pourraient avoir à juger, juges du fond ou, à nouveau, juges de cassation.»513(*) La prohibition des arrêts de règlement est donc liée à deux éléments : le caractère obligatoire de la norme issue du revirement et sa force obligatoire au-delà du litige qui l'a vue naître. « Or le Groupe de travail entend souligner qu'aucun justiciable « extérieur » à l'arrêt de revirement n'est immédiatement contraint par ce dernier, qu'il s'agisse de ce qui est jugé au fond - c'est-à-dire de la décision novatrice - ou de l'éventuelle inapplication de la solution nouvelle au litige en cours.

De même, ni les juges du fond ni la Cour de cassation elle-même ne seraient contraints pour l'avenir si la Cour de cassation décidait de moduler les effets dans le temps de sa décision. La Cour de cassation reste en effet parfaitement libre de ses jugements à venir au point de pouvoir revenir sur la solution retenue - un nouveau revirement - ou de décider autrement de l'application de la solution nouvelle à l'espèce. »

Bref, pour le groupe de travail, c'est dans l'approche individuelle que nous évoquions précédemment que se trouve la solution à l'obstacle de la prohibition des arrêts de règlement : « Pas plus que le revirement lui-même, la modulation dans le temps, dès lors qu'elle ne vaut de façon obligatoire que dans le cadre du litige qui en est l'occasion, ne possède de caractère réglementaire.

Au demeurant, il convient de souligner que la question de la modulation dans le temps de la décision de revirement se posera logiquement à l'occasion des instances postérieures à celle ayant donné lieu au revirement : tous les justiciables dont le comportement pourrait être apprécié à l'aune de la règle dont l'interprétation est nouvelle, parce qu'issue du revirement, auront intérêt à solliciter le report dans le temps de ladite interprétation. La question sera ainsi examinée à chaque fois qu'elle sera posée »514(*).

Cependant, le moins qu'on puisse dire est que cette argumentation n'a pas fait l'unanimité dans la doctrine, y-compris parmi les défenseurs du Rapport MOLFESSIS, et ce pour des raisons d'ordre pratique plus que juridique. Ainsi, Philippe THERY : « Si juger, c'est trancher un litige - on rappelle souvent que les juridictions ne sont pas instituées pour rendre des consultations - une juridiction n'a donc nul besoin de faire état dans sa décision de principes qu'elle n'entend pas appliquer. Psychologiquement, pourquoi le juge dirait-il plus qu'il n'est nécessaire s'il n'a en vue que la solution du litige dont il est saisi ? Aussi, dire que la Cour conserve une totale liberté de décision quant elle rend un arrêt de revirement aménagé est une pure fiction : l'arrêt annonce ce qu'il dira demain et précise aujourd'hui pourquoi il ne le dit pas aujourd'hui et cette dualité de décisions dissipe la confortable confusion du juridictionnel et du jurisprudentiel qui permet de contourner l'article 5. Y voir un arrêt ordinaire sous prétexte que la solution retenue peut être remise en cause à l'occasion de chaque pourvoi contredit d'ailleurs ouvertement le postulat de départ qui demeure le caractère normatif de la jurisprudence et relève du même irréalisme que l'on a pu reprocher à ceux qui contestaient la création de règles à travers la jurisprudence. Certes, il faut bien admettre comme postulat que la Cour de cassation n'est pas tenue par ses arrêts - le serait-elle que tout ce débat n'aurait pas de raison d'être - mais qui croira jamais qu'un arrêt rendu après s'être entouré de tant de précautions a vocation à rester un exemplaire unique ? Pourquoi affirmer un principe nouveau si son application est purement conjecturale ? Pourquoi insister sur le caractère normatif de la jurisprudence pour conclure que la Cour juge hic et nunc ? C'est un peu trop de juridisime pour une proposition qui se veut réaliste. C'est faire comme si le propre de l'autorité normative des arrêts de la Cour de Cassation n'était pas de varier entre deux positions l'une et l'autre intenables : ne jamais répéter une solution ou la reprendre toujours »515(*).

« Le principe de réalisme qui a suscité et qui a conduit le rapport ne doit-il pas nous mener au bout du chemin ? La décision des juges de cassation est, en pratique, suivie. Elle peut changer, mais il en va de même de la loi. L'intervention de l'amicus curiae montre à quel point la décision dépasse le litige. Ou bien il faut tirer les conséquences de leur intervention et considérer qu'il y a une altération de l'article 5 du Code civil, au moins en ce qui concerne la modulation dans le temps. A défaut, à quoi sert-elle au delà de l'espèce ? Il s'agirait d'arrêts de règlement d'un genre nouveau qui ne s'identifient pas à la loi »516(*).

Bref, malgré le « respect formel des canons de la jurisdictio », Yves-Marie SERINET remarque enfin que « au nom du caractère fictif de l'absence d'effets créateur de droit de la décision de revirement, le principe de réalisme conduirait à reconnaître que l'interprétation innovante a indéniablement « vocation » à avoir un effet normatif qui la dépasse. Mais s'agissant de contourner la prohibition des arrêts de règlement, il faudrait s'en tenir, sans réalisme aucun, à l'autorité toute relative de la chose jugée et au caractère non-obligatoire du revirement ainsi posé »517(*).

Quelle que soit la valeur des positions du Rapport MOLFESSIS sur ce point, on peut cependant faire remarquer que le rapport n'avait tout simplement pas d'autre choix. Ayant revendiqué son attachement à la nécessaire évolutivité de la jurisprudence518(*), le rapport ne pouvait dans le même temps proposer de remettre au goût du jour un mécanisme ayant pour effet de figer la jurisprudence519(*). Proposer de rétablir la force obligatoire des arrêts de principe aurait eu pour conséquence de les transformer en arrêts de règlement ; ce faisant, le rapport aurait été à juste titre rejeté par une doctrine, cette fois, unanime.

Bref, plutôt que de revenir à une solution obsolète, il fallait trouver une troisième voie ; quelle que soit la valeur des propositions du rapport MOLFESSIS sur ce point, c'est probablement avant tout dans cet esprit qu'il faut lire ces propositions.

Le rapport termine par ailleurs ces propositions par un commentaire qui reste assez mystérieux : il rappelle qu' « il convient en effet de ne pas oublier que la reconnaissance de la jurisprudence comme source de droit ne tient pas au caractère réglementaire de ses décisions mais à des mécanismes autrement plus complexes, parmi lesquels il faut compter avec la réception de l'arrêt nouveau par les justiciables », semblant vouloir rassurer sur la capacité de la Cour de cassation à imposer le respect d'une règle de droit par son autorité, sans avoir besoin pour cela de doter ses arrêts de principe d'une force obligatoire520(*). Sur ce point, on ne peut d'ailleurs que rappeler que les discussions sur la nature de la jurisprudence renvoient souvent à des mécanismes d'ordre moral, sociologique, institutionnel, voire psychologique qui font l'autorité de la jurisprudence depuis toujours, ayant remplacé avantageusement le caractère réglementaire de ses décisions (la discipline des magistrats, l'autorité morale et technique de la Cour de Cassation, la légitimité de son action, la volonté de faire un droit jurisprudentiel accepté des destinataires de la norme, ...) 521(*). telle serait, semble-t-il, d'après le groupe de travail, la solution lui permettant d'imposer ces décisions avec un temps de décalage, sans avoir besoin d'abroger l'article 5, comme l'affirmait Antoine BOLZE522(*).

Le rapport ajoute enfin un argument qui ne semble étrangement pas avoir directement fait l'objet de commentaires nombreux : « En toute hypothèse, que la Cour de cassation crée des règles impose l'aménagement dans le temps de certaines de ses décisions ; ce n'est pas cet aménagement qui lui confère la capacité de créer du droit. L'ordre des causalités ne saurait être inversé »523(*).

b. Le caractère injustifié d'une intervention législative ?

Le rapport MOLFESSIS fait des propositions particulièrement innovantes, mais aussi assez dangereuses. En effet, quel que soient les raisons de mettre en place ce système de droit transitoire, celui-ci consiste avant tout refuser au justiciable une solution nouvelle à laquelle il avait droit, et qui, souvent, n'aurait pas vu le jour sans son intervention. La Cour de cassation doit-elle prendre la responsabilité de la mise en place de ce système, ou doit-elle laisser cette responsabilité au législateur ? La réponse apportée par le rapport est négative.

En effet, les rapporteurs ont estimé que la mise en place d'un système de droit transitoire pour la jurisprudence rentrait dans le rôle naturel du juge. A cela, trois raisons. Seul le juge serait à même de définir précisément et de façon légitime les limites de son action, comme le montrerait les exemples de droit comparé : « la définition de la portée exacte d'une décision est logiquement du ressort de la compétence du juge lui-même. L'appréciation des effets dans le temps de la décision constituant un élément à part entière de cette portée, il est cohérent de considérer qu'elle se trouve incluse dans le périmètre « naturel » du pouvoir du juge. Plus encore, s'il devait y avoir modulation, ce serait précisément du fait de l'innovation prétorienne que représente le revirement de jurisprudence : on ne voit pas pour quelle raison l'aménagement temporel de cette innovation exigerait une forme d'habilitation législative alors même que l'innovation qui la justifie relève de la seule intervention du juge »524(*).

Les deux arguments ont trait à la maîtrise du dispositif. La décision rendue par le juge constituant sa raison d'être, il serait « également cohérent que le juge maîtrise de part en part le processus de modulation dans le temps des ses revirements de jurisprudence ». Ce qui amène le rapport à étendre à la genèse d'un droit transitoire pour la jurisprudence le principe affirmé par J.-H. Stahl et A. Courrèges à propos de l'arrêt AC ! : la portée de l'annulation serait au premier chef l'affaire du juge, donc reporter l'application d'une norme jurisprudentielle relèverait également de l'office du juge.

Le rapport apporte enfin un argument qui semble tiré d'une certaine méfiance vis-à-vis du législateur : « en raison de l'évolution contemporaine du droit européen comme de celle du droit constitutionnel, le législateur est considéré comme de moins en moins légitime à intervenir dans le champ du dispositif des décisions de justice. Le contrôle des validations législatives comme celui des lois interprétatives l'illustre clairement ».

Ces arguments semblent avoir choqué une partie importante de la doctrine. Vincent HEUZE, par exemple, semble estimer que l'idée participe d'une « conception condescendante et très pernicieuse de la démocratie représentative »525(*). Jean-Luc AUBERT, quant à lui, doute que « la jurisprudence, en général, et la Cour de Cassation, en particulier, ait le pouvoir de déroger à la rétroactivité naturelle de la décision judiciaire, qu'elle soit ou non de revirement. C'est donner au juge un pouvoir qui quelles que puissent être sa pertinence et son opportunité, me paraissent relever de la compétence de la loi et du règlement, sources que le rapport récuse curieusement au profit de la Cour de cassation parce qu'elle a « la capacité de créer du droit ». Au reste, un tel pouvoir ne saurait aller sans une réglementation détaillée (conditions de la modulation, modalités de sa mise en oeuvre - critères d'application de la norme ancienne et de survie de l'ancienne) qu'un arrêt, fût-il de revirement, ne saurait préciser sans constituer un arrêt de règlement »526(*).

Quoi qu'il en soit, on peut remarquer qu'il est étonnant de voir le législateur écarté du processus de formation de la norme. Si le fait de voir la Cour de cassation prendre l'initiative d'une innovation prétorienne est finalement assez fréquent, il serait assez étrange que le législateur ne puisse pas intervenir a posteriori, surtout dans un domaine mettant en cause le droit d'accès au juge. Comme l'a écrit Patrick MORVAN à propos des deux arrêts dans lesquels la Cour de Cassation a procédé à des revirements pour l'avenir, « les hautes-juridictions ont prouvé le droit en marchant »527(*) ; il est par contre fort probable que le législateur souhaite en imposer l'itinéraire.

Plus largement, l'affirmation selon laquelle le législateur ne serait plus à même d'agir en matière de droit jurisprudentiel sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs a été jugée comme ignorant « la dialectique démocratique entre le juge et le législateur » : « le droit pour le législateur d'intervenir à la suite d'une jurisprudence, notamment en cas de revirement, relève (...) d'un processus légitime et qui est sans doute le correctif le plus démocratique aux effets rétroactifs trop lourds de conséquence pour l'intérêt général »528(*), comme l'avait autrefois souligné Jean RIVERO529(*).

Sur cette question, on peut enfin rappeler cette remarque de Philippe THERY : « il est frappant qu'aucun parlementaire n'ait été associé à un débat auquel ont participé les syndicats, les consommateurs et le patronat. La légitimité que donne l'élection est-elle si médiocre ? A moins de penser que le droit est une chose trop sérieuse pour être confiée au Parlement... »530(*)

Bref, sur cette question, on peut remarquer que la dialectique proposée par le rapport MOLFESSIS ne semble pas avoir convaincu la doctrine, et que les voeux exprimés par le rapport ne semblent pas avoir été repris par la doctrine.

Bref, le rapport MOLFESSIS propose précisément ce qui avait été écarté jadis par jean RIVERO comme solution éventuelle à la rétroactivité : la dissociation entre la création de la règle et son application aux faits qui lui ont permis de naître. C'est le fondement d'un droit transitoire original fondé sur des principes originaux pour une norme bien particulière, fondé sur une logique d'effet et sur une logique individuelle.

Ce faisant, le rapport propose de revenir sur le statut actuel de la jurisprudence, d'une part en reconnaissant son pouvoir créateur, d'autre part en supprimant - certes au cas par cas - ce qui est devenu pour elle un attribut naturel : sa rétroactivité. Cette proposition n'a pas fait l'unanimité parmi les acteurs du droit, et l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation quelques semaines après le rapport531(*) le montre bien.

Les auteurs du rapport, et plus largement les partisans des propositions du rapport MOLFESSIS, ne doivent pas l'oublier : de même que la Cour de Cassation ne peut imposer ses idées par autre-chose que la voie de son autorité, les propositions d'instituer un droit transitoire pour la jurisprudence doivent avant tout convaincre si l'on veut qu'elles soient adoptées. Si le législateur ne souhaite pas intervenir, c'est avant tout parce que les juges seraient convaincus de la nécessité de moduler la norme jurisprudentielle dans le temps qu'une procédure touchant aux attributs traditionnellement reconnus à la jurisprudence pourrait voir le jour. Il est impossible de forcer ces acteurs du droit, qui font respecter aujourd'hui ce qui a toujours été ressenti comme légitime, à rejeter deux siècles d'application rétroactive de la jurisprudence, mais il est possible de les convaincre de la nécessité d'une innovation jurisprudentielle. C'est seulement ainsi qu'une innovation jurisprudentielle peut voir le jour devant la Cour de Cassation, et c'est ce principe qu'il faut avoir à l'esprit en lisant les propositions du rapport MOLFESIS.

Section II / La lutte contre l'imprévisibilité de la jurisprudence.

Le lien entre la prévisibilité de la jurisprudence et sa rétroactivité est indirect, l'imprévisibilité de la jurisprudence étant a priori plus un phénomène parallèle. Mais ce phénomène qu'on pourrait croire distinct peut avoir pour conséquence d'accroître les effets dévastateurs de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle. Lorsque le changement de norme jurisprudentielle est prévu, les justiciables peuvent agir en conséquence ; ils peuvent éviter de commettre tel acte qui paraît pour le moment licite, mais qui apparaît de plus en plus controversé ; ils peuvent modifier telle disposition contractuelle que la jurisprudence considère peu à peu avec plus de méfiance. Mais lorsque la jurisprudence reste trop mystérieuse pour être prévisible, alors son effet rétroactif est aggravé par le fait que les justiciables sont pris au dépourvu. Bref, si la rétroactivité n'est plus directement en cause, son effet dévastateur est en effet amplifié.

Christian MOULY a pu écrire que « La question essentielle des revirements de jurisprudence devient alors de savoir si leur contenu peut être perçu avec suffisamment de délai pour que l'adaptation soit possible avant que leur effet rétroactif ne cause trop de dommages. Ne faudrait-il pas pour réduire les deux inconvénients actuels des revirements de jurisprudence, leur imprévisibilité et leur effet rétroactif, rendre leur venue davantage perceptible ? ». La lutte contre l'effet dévastateur de la rétroactivité de la jurisprudence rejoint donc celle contre l'imprévisibilité de la jurisprudence sur cette préoccupation : rendre la venue de la norme jurisprudentielle plus prévisible, c'est faciliter les prévisions des parties sur le fondement de la jurisprudence.

L'imprévisibilité peut alors être envisagée de deux façons. La première consiste à permettre à la Cour de Cassation de mieux maîtriser sa jurisprudence, soit dans son expression(I) , soit dans son homogénéité. (II) .

§ I / La maîtrise de la jurisprudence par la Cour de Cassation.

La norme jurisprudentielle peut être rendue plus prévisible par la Cour de Cassation. Pour ce faire, la Cour peut modifier la façon dont elle rend ses arrêts, pour que leur sens apparaisse plus clairement (A) . Mais la diffusion de la jurisprudence reste alors un enjeu fondamental (B) .

A. La maîtrise de l'expression de la norme jurisprudentielle à travers ses arrêts.

1) Les enjeux : rôle de la Cour de Cassation et clarté.

Deux types de considérations sont ici prises en compte par la doctrine : le style actuel de rédaction des arrêts de la Cour de Cassation rend plus difficile la pleine compréhension de la norme jurisprudentielle ; les méthodes de rédaction de l'arrêt sont associées à une certaine conception du rôle normatif de la jurisprudence.

Sur le premier point, plusieurs impératifs sont pris en compte pour apprécier la qualité de la motivation de l'arrêt parmi lesquels on peut citer notamment : le principe d'une adhésion raisonnée des juges du fond à la norme jurisprudentielle532(*), des impératifs de sécurité juridique, l'audience grandissante des arrêts de la Cour de Cassation, ou plus simplement l'accessibilité au droit. Le raisonnement, mais aussi certaines considérations d'opportunité qui expliquent l'arrêt, devraient apparaître plus clairement.

Dans cette optique Christian MOULY écrit par exemple: « le constat formulé par M. PERDRIAU533(*) est simple : « l'interprétation des arrêts de la Cour de Cassation est importante... parce qu'il est nécessaire de bien comprendre les messages juridiques qu'entend délivrer la Cour régulatrice... »

Pour se faire comprendre, il est nécessaire de s'expliquer. L'explication sur les raisons de choisir une solution plutôt qu'une autre et l'examen détaillé des arguments rejetés comme des arguments retenus permettrait à la Cour de Cassation d'insérer ses solutions dans le corpus juridique. Le juriste raisonnant essentiellement par analogie, seul l'arrêt motivé peut servir de référence et faire fonction de précédent. La Cour de Cassation doit pour cela en donner les fondements et la fonction par une motivation détaillée, longue, parfois redondantes et digressive. Seule cette motivation permet de mesurer la portée d'une solution, de la distinguer de celles qui en sont divergentes et l'utiliser par analogie à bon escient »534(*).

« Sous l'influence des lumières, l'argument d'autorité devint indisponible, [la motivation] répondait à une exigence de crédibilité et d'acceptabilité sociale, destinée à obtenir l'adhésion raisonnée des destinataires de la décision. D'autre part, plus important encore car spécifique au raisonnement judiciaire, elle s'affirma garantie argumentative contre l'arbitraire »535(*).

Cette nécessité de l'explication s'explique notamment par l'audience grandissante des arrêts de la Cour de Cassation, passant d'une élite de juristes et de juges du fond formés à la compréhension des arrêts à un public plus large, comprenant notamment les « opérateurs économiques », les « partenaires sociaux », ... : « la rhétorique accorde à l'audience un rôle déterminant. Celle de la Cour de Cassation était conçue au 19ème siècle comme constituée uniquement des juridictions inférieures et des juristes professionnels. La Cour de Cassation interprétait la loi à leur intention.

Aujourd'hui, l'audience de la Cour de Cassation est élargie à l'ensemble de la nation Française. Source acceptée de normes juridiques, la Cour de Cassation doit les faire comprendre de lecteurs qui ne sont pas entraînés à la divination de ses silences. Son nouveau rôle implique une nouvelle motivation »536(*).

Surtout, le style rédactionnel de la Cour de Cassation est associé à une certaine conception de son rôle, où la « motivation à la Française » est souvent opposée au style des juges de common law. « Dans cette quête de la meilleure motivation possible, le rôle du juge, et à travers lui, de la fonction de la décision de la justice, constitue le meilleur étalon (et le plus souvent utilisé) . Le désaccord sur la motivation souhaitée ne résulte dès lors ni de positions plus ou moins « exactes » ou « conformes au droit positif » mais de perceptions différentes du rôle de la Cour de Cassation, selon que l'on privilégie la spécificité de sa fonction de cassation, sa fonction symbolique, de régulation sociale, de recours pour le rétablissement du juste ou enfin sa fonction d'interprète authentique du droit »537(*).

Le modèle adopté par la Cour de Cassation reste étroitement associé à l'idée d'intervention neutre du juge : la fonction du juge est essentiellement déclarative, elle ne doit pas créer du droit, mais uniquement appliquer le droit créé par le seul créateur de normes légitime. Pour cela, seule le raisonnement syllogistique exprimé par une phrase unique et la plus brève possible est nécessaire ; aller plus loin, c'est laisser le juge abuser de son pouvoir. L'arrêt est donc peu détaillé, le modèle est celui de « l'impérieuse brièveté », puisque l'interprétation donnée par le juge doit découler directement de la norme posée par le législateur. La rédaction de l'arrêt ne laissera donc voir qu'une simple opération de déduction logique, faite sans aucune difficulté. « Dès lors que l'on conçoit [l'ordre juridique] comme un ensemble de normes hiérarchisées et fermées, dont l'interprétation répond par conséquent à une rationalité déductive, la pesée des valeurs est reléguée à la périphérie ; les choix idéologiques, sociaux ou économiques, appartiennent dans cette optique au seul domaine politique, celui du législateur »538(*).

Mais ce faisant, la motivation cacherait parfois une opération plus complexe.« Au mieux, la Cour de Cassation recourt de temps à autres à quelques codes permettant de déduire que le texte a été l'objet d'une interprétation constructive, selon que le visa est suivi d'un « attendu qu'aux termes de cet article », annonçant l'énoncé du texte, ou d'un « attendu qu'il résulte de cet article », laissant attendre une interprétation. Voulant camoufler la distorsion introduite entre le texte et l'interprétation, la Cour préfère paradoxalement substituer l'une à l'autre, assimilant le texte (d'origine légale) à son interprétation (d'origine jurisprudentielle) »539(*).

Ce modèle de rédaction est parfois remis en cause par la comparaison avec certains modèles de droit, où le rôle créateur de droit du juge est pleinement reconnu. L'idée ici mise en avant est que, dès lors que l'on dénonce l'absence de pouvoir créateur du juge comme étant une pure fiction, il devient nécessaire de mettre son style rédactionnel en adéquation avec son action de création de droit. Comme l'explique Pascale DEUMIER540(*), celle-ci peut prendre des formes diverses, calquée sur la fonction législative ou simplement basée sur l'interprétation mais le changement est alors nécessaire. L'arrêt ne devrait donc pas seulement révéler l'interprétation choisie par le juge dans le seul contexte de l'arrêt mais également les raisons de ce choix. Evoquant les travaux d'André TUNC, Horatia MUIR-WATT résume ainsi la pensée de l'auteur : la lecture de l'arrêt devrait révéler les raisons de politique judiciaire permettant de comprendre pourquoi, entre plusieurs possibles que justifierait le droit posé, telle voie a été empruntée de préférence à une autre »541(*).

Dès lors, « la concurrence, outre-Manche comme outre-Atlantique, d'un modèle rhétorique très différent de celui que pratique la Cour de Cassation Française, oblige à revenir, une nouvelle fois, sur l'interrogation lancée par André TUNC et le Procureur Général TOUFFAIT il y a déjà une trentaine d'années542(*) : l'écriture parcimonieuse des arrêts de la Cour régulatrice, occultant soigneusement derrière les austères exigences de la technique de cassation la « part d'arbitraire »543(*) que comporte toute décision judiciaire, est-elle véritablement ajustée à sa vocation créatrice de droit ? »544(*).

« D'un côté, la phrase unique, impersonnelle, avec sa syntaxe syllogistique, qui réduit l'activité normative à une exégèse et fait taire les opinions individuelles par une mystérieuse « alchimie psychologique »545(*).il y a là une sorte de modélisation du processus décisionnel collectif, qui est à l'image idéologique du raisonnement juridique lui-même, opération de logique déductive plutôt que d'ingénierie sociale. A l'inverse, en effet, du juge suprême de common law, la Cour de cassation est bien logicienne : elle assure la rectitude du raisonnement mais n'argumente pas. Caché du justiciable, le délibéré est lieu de confrontation et de doute ; c'est là que s'exprime, dans les cas difficiles, l'indéterminisme essentiel du droit. Mais l'habillage grammatical dont se pare l'arrêt lui-même maintient l'apparence d'une conclusion logique inévitable et sert de mode de légitimation de la décision finale. Comme le dit très bien Michel TROPER, la fonction de la phrase judiciaire unique est précisément de faire passer pour une compétence liée, ce qui ne peut être que le fruit de la création ou de la discrétion du juge546(*). Dans cette phrase impersonnelle, épurée, la personnalité de ce dernier s'efface ; c'est toujours la loi qui parle »547(*).

A l'inverse, les systèmes de common law connaissent des styles rédactionnels beaucoup plus souples, liés à une idéologie différente, ou l'opinion du juge apparaît plus clairement, le cas échéant comme étant un choix, mais aussi les raisons qui l'ont poussé à prendre telle ou telle décision, alors même que ces raisons seraient, en France, considérées comme extra-juridiques, et étrangères au rôle du juge : l'arrêt livre alors « les considérations morales, éthiques, humaines, et encore socio-économiques qui en justifient le dispositif »548(*). « On sait que la common law ne s'élabore pas selon une rationalité abstraite, mais se sert de l'argument conséquentialiste et du raisonnement analogique, qui ne favorisent pas une séparation étanche du fait et du droit. (...) Dans les hard cases, où le droit posé ne permet pas de trancher, la réponse ne s'induit pas directement du tissu social ; la common law n'est pas un « savoir symbolique », mais une connaissance directe du réel »549(*).

La « motivation à la Française » est alors un obstacle à la clarté du droit, ne permettant pas de connaître la portée réelle de l'arrêt. Mais, si l'abandon du style de rédaction à la Française ne représente pas la solution, il serait peut-être nécessaire d'assouplir les exigences de motivation de la rédaction à la Française, et la question se pose de savoir comment exprimer plus clairement la position de la Cour de cassation sur tel point de droit.

2) Les solutions envisagées.

Plusieurs techniques permettent de réduire la part d'incertitude sur la portée réelle de l'arrêt, et sur ses motifs réels. Certains consistent à insérer des éléments supplémentaires dans l'arrêt de principe lui-même, d'autres consistent à donner ces éléments hors de l'arrêt mais dans le contexte de l'arrêt.

Dans la première catégorie, on peut tout d'abord évoquer une technique permettant de réduire la surprise crée par le revirement en rendant le changement de doctrine progressif. Il s'agit de la politique des « petits pas », ou encore celle des « ballons d'essai ». « L'arrêt qui inaugure la solution nouvelle, en n'épuisant pas toutes les interrogations, peut alors laisser aux justiciables le temps et le soin de s'adapter. Ainsi l'arrêt BLIECK a-t-il laissé ouvertes non-seulement des questions liées au domaine de la nouvelle responsabilité du fait d'autrui qu'il inaugurait, mais aussi celles portant sur le régime de cette responsabilité, sans encore trancher entre un système reposant sur la faute ou une responsabilité de plein droit. Il faudra attendre 1997 pour être définitivement fixé sur le régime adopté, en conséquence du revirement de jurisprudence »550(*).

Ces techniques, si elles ne sont pas un remède contre les effets négatifs de la rétroactivité du revirement, permettent du moins de laisser du temps aux justiciables pour préparer le changement de droit, et sont parfois mises en oeuvre par la Cour de Cassation.

Plusieurs autres procédés permettraient de préparer le revirement, soit en l'annonçant plus ou moins directement, soit en laissant entendre que l'actuelle interprétation jurisprudentielle est de plus controversée. Christian MOULY551(*) en évoque notamment deux : l'obiter dictum et la possibilité de laisser les juges exprimer des opinions dissidentes. « L'obiter dictum est cette incidente ajoutée dans un raisonnement, inutile à la solution mais instructive sur la position que le rédacteur tiendrait dans un autre cas. Cette remarque faite en passant, sans qu'elle ait de conséquence dans l'arrêt qui la contient, est un excellent moyen pour le juge de laisser deviner ses intentions lorsqu'il devra évoquer le problème à peine évoqué ». Ainsi, l'observateur assidu de la Cour de Cassation peut plus facilement connaître ses intentions futures. Mais le procédé reste associé à une conscience par la Cour de son rôle normatif, si bien que « la Cour de Cassation utilise ce procédé, mais elle ne le fait que rarement et avec une grande difficulté en raison de sa volonté de réduire au maximum la motivation de ses arrêts ».

Un autre procédé assez efficace est de donner à l'observateur de la Cour de Cassation des indices sur le caractère controversé ou bien affirmé de la jurisprudence. On évoque parfois la pratique de certaines juridictions, telles la Cour Européenne des Droits de l'Homme, qui publient dans l'arrêt même la majorité à laquelle a été obtenu l'arrêt, le « score » permettant d'apprécier de la fermeté de la position de la Cour. Mais le procédé le plus connu est sans doute la possibilité de publier les opinions dissidentes. L'opinion dissidente consiste à laisser au parti minoritaire la possibilité d'exprimer à la fin de l'arrêt les motifs pour lesquels il ne partage pas la solution adoptée. Elle est une vivante source de revirement, car l'expression des arguments en renforce la finesse, et leur lecture ouvre le débat. Préparation et amélioration des solutions nouvelles en sont la conséquence. La revendication est ancienne, comme l'est la pratique des cours de common law ou celle de la Cour Européenne des Droits de l'Homme dès sa création. Le rôle de l'opinion dissidente dans l'évolution des solutions peut être essentiel. (...) 

L'opinion dissidente peut être celle du rapporteur, ou de l'avocat général, et sera divulguée par la publication du rapport ou des conclusions ; C'est une première étape.

L'opinion dissidente pourrait être ouverte à l'opinion minoritaire d'une chambre entière de la Cour de cassation, dans les arrêts de chambre mixte ou d'assemblée plénière, ce qui préserverait l'anonymat auquel les juges français sont encore attachés. Mais elle est encore plus utile lorsqu'elle exprime la position d'une minorité dans une chambre et qu'elle est signée par celui qui prend la charge de la rédiger ».

Mais l'expression des opinions dissidentes n'est pas sans risque. On lui reproche en effet de nuire à l'autorité de l'arrêt. Or, comme l'explique Pascale DEUMIER, dans le système Français où la Cour de Cassation doit compter sur son autorité au moins autant que sur le rapport de force pour imposer son interprétation unificatrice, cette donnée n'est pas négligeable. De plus, « ces suggestions de diffusion dépassent les simples questions de choix rédactionnels puisqu'elles heurteraient de plein front le secret du délibéré et malmèneraient l'indépendance des juges. Une tell individualisation est plus justifiée pour les juridictions fortement politiques, à l'instar de la Cour suprême des Etats-Unis ou la Cour Internationale de Justice, que pour une juridictions fondée sur la compétence technique »552(*).

Mais c'est surtout la possibilité de porter à la connaissance du public les raisons qui ont poussé les juges à choisir telle solutions plutôt qu'une autre qui permettront de réduire les incertitudes sur la portée des solutions jurisprudentielles. Dans cette optique, deux pistes sont proposées : le développement de la motivation des décisions, et la possibilité de porter à la connaissance du public les données culturelles, économiques et sociales qui ont pu intéresser les juges. Et plusieurs pistes sont possibles, outre la possibilité d'insérer ces différents dans l'arrêt lui-même.

Sur ce sujet, quelques précisions sont alors nécessaires. Tout d'abord, comme l'explique Pascale DEUMIER553(*), le besoin de motivation diffère selon le type d'arrêt. Reprenant le modèle des trois fonctions de l'interprétation - la fonction d'application de la loi, la fonction de suppléance de la loi, et la fonction d'adaptation de la loi, auxquelles elle ajoute la fonction de contrôle de la conformité de la loi à une norme internationale, dont l'importance n'est apparue que plus récemment - Pascale DEUMIER explique que ces quatre fonctions ne provoquent pas le même besoin d'interprétation, puisqu'elles « ne mettent pas en oeuvre un égal pouvoir créateur du juge ».

Plus encore, les hypothèses dans lesquelles la Cour de cassation n'exerce tout simplement pas ou peu son pouvoir créateur sont également à ranger dans ces hypothèses de motivation différenciée : « nombreuses seront les décisions rendues par la Cour de Cassation qui ne soulèveront pas de difficultés sur l'interprétation de la loi et n'exigeront pas une motivation détaillée. Aux décisions de non-admission peuvent s'ajouter les hypothèses d'irrecevabilité, de rejet manifeste mais aussi de cassation disciplinaire, qui appellent peu de précisions et peuvent conserver la forme d'arrêts concis, si ce n'est « bréviaires ». L'arrêt de la Cour de cassation ne répond pas à un modèle unique et la Haute-juridiction sait déjà utiliser la palette qui s'offre à elle ». Outre la possibilité d'aborder le phénomène de façon plus rigoureuse, la données permet de résoudre un problème pratique : « l'argument de l'engorgement de l'engorgement de la juridiction, parfois avancé pour justifier la concision des arrêts, perd en pertinence s'il est admis que seuls les arrêts porteurs de doctrine, et justement parce qu'ils sont porteurs d'une doctrine, appellent une motivation plus explicite ».

Ensuite, jusqu'à quel point la Cour de cassation doit-elle changer ses habitudes ? Il n'est probablement pas nécessaire d'abandonner totalement la « motivation à la Française », d'autant plus que les systèmes de common law n'offrent pas une alternative exempte de reproches. Comme l'explique Horatia MUIR -WATT554(*), les efforts de motivation ne permettent pas de cacher le caractère parfois politique des décisions rendues, et la possibilité offerte au juge de common law d'assumer son rôle politique a tendance à l'éloigner de la technique juridique, si bien que la tendance y est parfois à une volonté de retour au « bon vieux formalisme juridique ». Dès lors, il n'est pas nécessaire d'abandonner totalement le modèle de rédaction à la Française, mais seulement de réduire l'écart entre les modèles.

Le besoin de motivation peut ainsi répondre à des besoins différents. Le premier, comme l'explique Horatia MUIR-WATT, est de préciser « l'univers de référence » de la Cour de cassation. Mais d'autres besoins peuvent également se faire sentir, et notamment le besoin de préciser le raisonnement employé par les juges. Le débat et les choix qu'a fait la Cour devraient apparaître plus clairement dans l'arrêt, au moins dans les réserves, mais aussi la référence aux précédents, dans le but de respecter la cohérence de l'ordonnancement dans lequel prend place l'arrêt. D'autres données extérieures à ce débat peuvent également éclairer le sens de l'arrêt : les critiques doctrinales, les résistances des juges du fond, les critiques faites par d'autres juridictions, dont la cour a pu tenir compte, et qui expliqueront le revirement autant qu'elles montreront la force du maintien d'une position antérieurement critiquée. Mais les destinataires de l'arrêt ont parfois aussi besoin de connaître le contexte économique et social dans lequel s'inscrit l'arrêt, soit pour comprendre pleinement la position de la Cour dans sa fonction de suppléance de la loi, soit la position de la Cour dans sa fonction de création du droit. La difficulté est alors d'exprimer ces données de la façon la plus claire et la plus exhaustive possible, mais aussi de déterminer la valeur de ces considérations d'ordre a priori extra juridique : s'imposant aux juges, les guidant, ...555(*)

La meilleure méthode n'étant pas toujours la publication dans l'arrêt lui-même, mais plutôt l'utilisation du contexte. « dans cette perspective, deux publications peuvent être exploitées : celle du rapport du conseiller-rapporteur et de l'avis de l'avocat général, aux fonctions officielles identifiées mais aux positions construites avant le prononcé de l'arrêt et dont la part exacte de consécration est hypothétique ; celle des divers supports diffusés par le Service de documentation et d'études de la Cour de Cassation (B.I.C.C., Bulletin, Communiqués) , qui ne participent pas au choix de l'interprétation mais s'affirme progressivement comme la voix de la cour de Cassation, mi-officielle (ces analyses ne pouvant pas être rangées au même rang que les hypothèses doctrinales) , mi-officieuse (ces analyses n'engageant pas la Cour de Cassation) »556(*). A tous ces moyens de publication on peut d'ailleurs ajouter le rapport annuel de la Cour de cassation, moyen par lequel la Cour a ainsi pu parfois influencer fortement le législateur, mais aussi les efforts accomplis par le service de documentation pour mettre en place un marquage particulier pour chaque type de décisions, selon leur importance pour le droit positif557(*).

Les communiqués de la Cour de Cassation offrent un bon exemple de cette évolution des moyens de publication558(*). Accompagnant depuis 2001 les arrêts de principe, les communiqués permettent de clarifier le sens de l'arrêt pour le profane. Mais ils sont parfois également « porteurs d'informations qui dépassent la simple clarification pour y ajouter un supplément de sens », informations que la discipline rédactionnelle ne permet pas d'insérer dans l'arrêt. Ces informations peuvent être des plus diverses : état du droit avant l'arrêt, précédents, enjeux pratiques, divergences, critiques, méthodes d'interprétation employée par la Cour, jurisprudence d'autres formations de la Cour ou d'autres juridictions, travaux de droit comparé, ... Le communiqué pourra parfois préciser la portée exacte de l'arrêt.

Mais le recours au contexte de l'arrêt pour expliquer celui-ci n'est pas sans risque, et les communiqués en offrent là encore un bon exemple : d'une part, il devient alors nécessaire de préciser la nature de ces moyens d'information : quelle en est la valeur ? Ont-ils une valeur normative ? « L'absence de normativité du communiqué ne l'empêche en rien de participer à ce processus de construction, seule restant la question de savoir à quel titre il le fera. Il s'ajoute à l'interprétation du texte par l'interprète authentique sur le support officiel ; en ombre, il donne l'interprétation de l'interprétation par l'interprète authentique sur un support officieux ; il précède, sans les lier, les interprètes non-authentiques sur un support privé. Dépourvus d'authenticité, cette interprétation de l'arrêt se rapproche des commentaires d'arrêt ; émanant de la juridiction, elle porte une sur-motivation officieuse d'un arrêt qui demeure sibyllin ».

Un deuxième danger survient alors : « la démultiplication des supports utilisés gêne. Avec l'annonce à venir de la mise en ligne des rapports, l'on imagine déjà le commentateur qui, pour comprendre l'arrêt de la Cour de cassation, devra lire en parallèle l'arrêt, le communiqué, le rapport, l'avis - le tout dépassant largement en volume un arrêt soigneusement motivé, sans en avoir la fiabilité faute de certitude quant aux informations délivrées hors l'arrêt. Le communiqué vient ainsi ajouter une strate à un processus de construction de la jurisprudence, déjà complexe et diffus, au point que l'on puisse commencer à douter du progrès réel en termes d'intelligibilité »559(*).

Mais l'expression claire d'une norme jurisprudentielle inscrite de façon cohérente dans un certain contexte ne suffit pas. Encore faut-il que le public puisse effectivement en prendre connaissance.

B. La diffusion de la jurisprudence, nouvelle mission de service public.

On le sait, l'accès aux arrêts pour y distinguer ceux qui forment la jurisprudence fait partie des conditions nécessaires à la connaissance du droit560(*). Longtemps, cette activité n'a été conçue que dans une perspective commerciale, ce qui n'a d'ailleurs semble-t-il jamais nui à la qualité du service offert par les grands éditeurs privés qui se sont imposé sur ce marché. « Le secteur privé de l'édition juridique en France a toujours occupé une position de premier plan dans la diffusion de la jurisprudence. Il est juste d'observer qu'il a dans une large mesure pallié la relative carence du service public de la justice dans la diffusion de sa production et qu'à certaines périodes, il fut même le seul à assumer cette mission. S'agissant en particulier de la jurisprudence des juridictions du fond, l'État s'en est, jusqu' à tout récemment, principalement remis à l'initiative privée. »561(*)

Mais l'idée s'est affirmée récemment que l'impératif de connaissance du droit, et notamment de la jurisprudence, devait être conçu dans une perspective offrant certaines garanties que n'offre pas forcément une activité entreprise dans un but lucratif, quelle que soit la qualité du service proposé. « Un certain nombre de critiques portaient sur le coût des produits commercialisés au sein du "marché captif" constitué par les professionnels du droit et, corrélativement, dénonçaient une certaine "confiscation" de la connaissance du droit, ainsi qu'une sélection insuffisamment représentative et pluraliste. Surtout, cette situation apparaissait en décalage avec le puissant mouvement vers la "transparence administrative". L'amélioration de l'accès aux documents administratifs, comme, de façon générale, des relations de l'administration et des citoyens, ne pouvait pas manquer d'alimenter le débat sur la diffusion des données publiques, notamment juridiques. Le droit à l'information devenait liberté publique. Le passage "du papier au numérique" et le développement des bases de données privées et publiques allaient favoriser les mutations nécessaires.»562(*)

C'est ainsi que l'accès à la jurisprudence a été récemment repensé comme devant offrir certaines garanties que seul un service public peut fournir à coups sûr, et le développement des nouvelles technologies, et plus particulièrement de l'informatique et de l'internet, allait fournir des moyens nouveaux pour cette mission, mais aussi un cadre d'intervention dans lequel la diffusion de la jurisprudence allait être repensée pour faciliter la connaissance, et donc la prévisibilité de la jurisprudence.

« Depuis une vingtaine d'années, s'affirme une politique profondément novatrice qui entend désormais traduire les objectifs de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Elle a pour atout décisif l'apport des techniques de l'information et de la communication à telle enseigne que, ce dont il est aujourd'hui question, ce n'est plus tant d'accès au droit - ce qui postule une démarche du citoyen pour obtenir l'information -, que de diffusion du droit. Le numérique abolit quasiment la distance entre l'usager et l'informateur. "Internet pour le droit" est devenu un sujet de colloque au même titre que "le droit de l'internet". »563(*)

La problématique, au début des années 1980, dévient alors celle de la conciliation entre deux impératifs : celui de l'accès au droit, droit fondamental du justiciable564(*), et celui de la liberté du commerce et de l'industrie, droit fondamental des acteurs privés de la diffusion du droit. La « réorganisation du système informatique d'accès au droit » devient alors une priorité du gouvernement, qui mène logiquement à la création par un décret du 24 octobre 1984 du « service public des bases et banques de données appelé à traiter la jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour de cassation. Le secteur privé se voit, pour sa part, confier le traitement de la jurisprudence des cours et tribunaux. La commercialisation des données produites par l'État est assurée par une filiale de la Caisse des dépôts et consignations. »

Le développement de ce service public restera dès lors une priorité des gouvernements successifs jusqu'à aujourd'hui, même si la compatibilité de cette politique avec la liberté du commerce et de l'industrie a pu être contestée pendant les années 1990, notamment au moment de l'étape intermédiaire de la concession de service public. L'action du gouvernement aurait eu pour effet de placer les données juridiques sous monopole étatique. Ce fut l'occasion pour le Conseil d'Etat de consacrer la validité de la politique visant à faire de la diffusion de la jurisprudence une mission de service public, tout en y ajoutant certaines limites. L'arrêt rendu le 17 décembre 1997 (Ordre des avocats à la cour d'appel de Paris) a ainsi pu affirmer notamment que « que la mise à la disposition et la diffusion de textes, décisions et documents juridiques de la nature de ceux mentionnés à l'article 1er précité du décret attaqué, dans des conditions adaptées à l'état des techniques, s'appliquant, sans exclusive ni distinction, à l'ensemble de ces textes, décisions et documents - et notamment de ceux dont la diffusion ne serait pas économiquement viable - et répondant aux exigences d'égalité d'accès, de neutralité et d'objectivité découlant du caractère de ces textes, constituent, par nature, une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il appartient à l'État de veiller. » « Confortant cette consécration, le Conseil constitutionnel devait, dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 relative à la loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes, saisir l'occasion d'énoncer "l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi". Puis au début des années 2000, cette politique s'est déplacée sur le terrain législatif.

La diffusion de la jurisprudence est donc envisagée aujourd'hui dans une double perspective de service public, sur fond de directives Européennes, et de respect des garanties du procès équitable imposées par la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Ce dernier point ayant déjà été examiné, nous rappellerons simplement qu'il s'agit ici « soit de permettre d'assurer aux justiciables "le degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique" ainsi que la connaissance de leurs droits et obligations, soit de mettre les États en mesure de justifier de leurs éventuelles ingérences lorsqu'elles ne sont pas prévues par les textes .(...) Le Considérant 16 de la Directive 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public traduit la même exigence : "la publicité de tous les documents disponibles qui sont détenus par le secteur public - non seulement par la filière politique, mais également par la filière judiciaire et la filière administrative - constitue un instrument essentiel pour développer le droit à la connaissance, principe fondamental de la démocratie. Cet objectif est applicable aux institutions, et ce, à tous les niveaux, tant local que national et international".»565(*)

Cette politique visant à repenser la diffusion de la jurisprudence, notamment grâce à l'informatique, comme une mission de service public permet ainsi de donner aux justiciables les garanties que doit respecter la personne titulaire d'une telle mission, et qui facilite la connaissance du droit. « Comme l'exprime le décret du 7 août 2002, elle doit tout d'abord, au moins s'agissant des juridictions suprêmes, être exhaustive ; elle ne peut reposer sur des critères de sélection dont la neutralité peut être contestée. La valeur marchande de l'information ou les intérêts catégoriels ne sauraient déterminer les choix de diffusion.

L'exhaustivité est gage d'égalité de chances des citoyens dans l'accès au droit. Si, en ce qui concerne les juridictions du fond, la sélection s'impose au regard des volumes en cause et des solutions dénuées soit d'intérêt normatif soit de portée informative pratique, des garanties de représentativité et de neutralité doivent être assurées. La Cour de cassation elle-même distingue les arrêts publiés de ceux qui ne sont pas publiés dans les bulletins de jurisprudence.

Par ailleurs, l'égalité de traitement des citoyens implique la gratuité à la seule réserve d'un coût de mise à disposition.

Il importe également de veiller à la fiabilité de l'information, notamment par la rapidité de la mise à jour de l'information. Il en va de la sécurité juridique des citoyens. »566(*)

Outre ces garanties essentielles pour la connaissance du droit et donc la prévisibilité de la jurisprudence, le service public de la diffusion de la jurisprudence doit veiller à la protection des données personnelles contenues dans les décisions de justice, ce qui implique notamment leur anonymisation. Ce service public, comme a pu le rappeler le Conseil d'Etat, doit aussi être construit dans une logique de complémentarité avec l'initiative du secteur privé. Peu à peu, le schéma qui se dessine est celui d'un domaine réservé au secteur privé consistant en un traitement des informations plus ou moins brute fournie par les tribunaux.

L'initiative des personnes privées n'est ainsi pas privée d'intérêt, bien au contraire, mais un minimum d'informations sont ainsi en permanence disponibles pour permettre de connaître la jurisprudence, prévoir et comprendre ses évolutions. Le service public de la diffusion de la jurisprudence est donc un nouvel aspect de la question de la prévisibilité de la jurisprudence, au delà de sa clarté.

II / L'homogénéité de la jurisprudence, condition de sa clarté.

A. Les enjeux de l'unité de la jurisprudence pour la clarté de la norme jurisprudentielle.

C'est le deuxième obstacle pour la prévisibilité de la jurisprudence : pour une hypothèse précise, les justiciables doivent pouvoir observer une réponse de la part des juridictions, en particulier de la Cour de Cassation, et non une par juridiction. La Cour de cassation, en particulier, doit veiller à préserver l'unité de la jurisprudence sur telle question de droit.

C'est d'ailleurs son rôle depuis sa création, comme l'explique le Premier Président de la Cour de cassation Guy CANIVET567(*), expliquant la façon, dont elle fut organisée à l'origine : « le point de départ était (...) une structure restreinte conçue selon un principe d'unité. « Il y a, pour toute la république, une Cour de Cassation » est, on le sait, le postulat fondateur de la Cour de cassation expressément repris dans le Code de l'organisation judiciaire (L.111-1) . Il s'explique par la façon de la Cour de cassation d'unifier la jurisprudence de toutes les juridictions du fond. Ainsi, la démarche de la Cour rejoint la démarche de codification. Une seule loi pour tout le territoire, donc une interprétation conforme de cette loi imposée par une juridiction unique qui en est la gardienne. L'architecture de la Cour de cassation était donc logiquement déterminée par cette fonction unificatrice : la concentration nationale du contrôle de la méthode d'interprétation de la loi - à une époque la méthode exégétique - , la « dogmatisation » du raisonnement, la normalisation de la présentation des moyens et du mécanisme d'examen des pourvois, la codification de la construction et de la sémantique des arrêts, le tout réuni dans le concept de « technique de cassation. Selon l'option unitaire de sa création, la Cour de Cassation comprenait donc une seule chambre pénale, la chambre criminelle, et une seule chambre civile dont l'accès était commandé par une chambre des requêtes jouant le rôle de filtre ».

Paradoxalement, à l'époque où la méfiance était de mise vis-à-vis du pouvoir judiciaire, et où la Cour de cassation devait, entre autres missions, être la « sentinelle de la loi » luttant contre l'apparition de la jurisprudence568(*), la Cour de Cassation était donc parfaitement adaptée à cette mission d'unification de la jurisprudence. Mais « l'augmentation continue du contentieux, avec des accès de forte progression, a conduit (...) à remettre en cause le principe d'unité selon le choix contestable d'adapter le nombre des décisions rendues à celui des pourvois formés plutôt que de renforcer les modes de sélection ». Et la réponse fut, alors que la mission de la Cour devenait peu à peu de maîtriser la norme jurisprudentielle plutôt que de l'éviter, de rompre avec le principe d'unité, en supprimant la chambre des requêtes en 1947, et en créant de nouvelles chambres spécialisées pour chaque contentieux : chambre sociale en 1938, , chambre commerciale, économique et financière en 1947, et deuxième et troisième chambre civile en 1962 et 1967569(*). « Ainsi a été favorisé, sinon voulu l'engrenage inflationniste »570(*).

L'inflation de la jurisprudence, dans une logique pourtant louable de libre-accès à la Cour de Cassation, et accompagnée de cette logique de spécialisation, a ainsi un effet pervers pour la clarté de la jurisprudence. Le premier effet, dû à la multiplication des décisions rendues, est de menacer, parfois, la lisibilité de la jurisprudence. « Tout d'abord, en imposant aux membres de la Cour de Cassation une rigoureuse gestion du temps, pour ne pas dire une précipitation, le trop grand nombre de pourvois n'est pas favorable à l'élaboration d'une jurisprudence méditée. C'est typiquement un phénomène de surproduction ». La conséquence logique en est une incapacité à traiter le contentieux dans l'optique de faire apparaître une position de façon cohérente et lisible, au profit des méthodes de gestion rationalisées du contentieux : « sélection, répartition, création de filières », ces méthodes impliquant un investissement humain et matériel incompatible avec l'approfondissement des dossiers. « La Cour de Cassation est entrée dans l'ère du Taylorisme pour laquelle elle n'est pas faite ». Dès lors, « la production de masse des décision brouille le message doctrinal de la Cour, d'autant plus que les arrêts de seconde importance, motivés selon la technique du pourvoi en réponse à d'obscurs moyens, sont difficilement lisibles. Ce qui empêche les professionnels concernés de tout lire et de tout comprendre ».

Le deuxième danger, dans l'optique de la clarté de la jurisprudence, vient de son manque d'homogénéité, soit entre la jurisprudence de la Cour de Cassation et les « jurisprudences » des juges du fond - c'est précisément parce qu'elles existent et qu'il faut veiller à leur harmonisation que la Cour de cassation existe - , soit au sein de la Cour de cassation elle-même. Ce dernier phénomène vient, selon Guy CANIVET, de la création de formations spécialisées (chambres, sections, ...) , chacune ayant une culture propre liée à des sensibilités propres à chaque formations. « Quoique subtil, le phénomène est perceptible. Dès lors qu'on dédie une chambre à un contentieux particulier, elle élabore une jurisprudence propre à celui-ci qu'on dit alors spécialisée et qui s'identifie par opposition aux autres. On en connaît de multiples exemples. La création de la chambre sociale en 1938 a, sans aucun doute, renforcé l'autonomie du droit social, celle de la chambre commerciale, a provoqué l'émergence d'un droit de l'entreprise, influencée par le libéralisme économique (...) ». Or, « le risque de discordance ou de contradiction interne de la jurisprudence est induit par la multiplication des formations de jugement qui provoque des différences observables autant sur la méthode de cassation que dans l'interprétation des règles de fond ». A culture spécifique, technique de cassation spécifique, et donc vocabulaire spécifique, réflexes spécifiques, ... « Mais la division en chambres engendre aussi des divergences d'interprétation de la loi de fond. Il s'agit, dans certains cas, de véritables ruptures dans l'unité d'interprétation de la loi. D'un même texte, deux chambres font une lecture contraire », si bien qu'on a parfois pu dire « qu'il n'y avait pas une mais six Cours de Cassation ».

A la croisée de plusieurs phénomènes - volonté de maîtrise de cette véritable inflation, développement des attentes concernant la clarté et l'accessibilité du droit, associée à un désir croissant de sécurité juridique, ... - , le besoin se fait sentir de veiller à l'homogénéité de la jurisprudence sans pour autant remettre en cause les postulats sur lesquels l'actuelle Cour de Cassation a été progressivement construite : accès au juge de cassation spécialisation des chambres, mais en même temps, unification et harmonisation du contentieux autour d'une position ferme. La Cour de Cassation, dans un contexte idéologique et technologique nouveau a donc mis au point des moyens de prévenir et réduire ces obstacles à son unité.

B. Les mécanismes correcteurs mis en place par la Cour de cassation.

Pour lutter contre ces obstacles à l'unité de la jurisprudence, et par là-même à sa prévisibilité, la Cour de cassation a choisi de mettre en place une politique volontariste, afin de retrouver une certaine maîtrise de la jurisprudence. Cette politique passe, comme l'explique Guy CANIVET, par la maîtrise des flux, pour dégager de la masse des arrêts les principes, pendant et après l'instruction, mais aussi par le « traitement des discordances de jurisprudence ». Plusieurs procédés se sont finalement imposés, leur combinaison permettant de pallier aux aspects négatifs des structures de la Cour de cassation.

Le premier axe de cette politique volontariste consiste à maîtriser le flux des arrêts, en amont et en aval. En amont, c'est d'une part la sélection des pourvois qui permet de résoudre en partie le problème de l'encombrement. « On sait que jusqu'en 1947, en matière civile, a existé une phase de sélection des pourvois par la chambre des requêtes. Le procédé était simple, il consistait en une procédure non-contradictoire destinée à apprécier la valeur des requêtes et qui aboutissait, soit à un arrêt motivé rejetant le pourvoi, soit à un arrêt motivé d'admission devant la chambre civile571(*). Par ce procédé, La Cour de Cassation écartait au stade préalable de l'examen de la requête 3/5e des pourvois. Après la suppression de la chambre des requêtes, la Cour de Cassation a tenté, de diverses manières, de restaurer une procédure de sélection ». Guy CANIVET évoque trois moyens pour atteindre ce résultat : « en un premier lieu, elle répond par une motivation succinctes, selon des formules pré-rédigées, aux pourvois ne visant qu'à remettre en cause les faits de la cause souverainement appréciés par le juges du fond. Bien que cette motivation sommaire ait été contestée, notamment par l'emploi du terme péjoratif « d'arrêt tampon », la Cour Européenne en a, dans certaines limites, admis la conformité aux garanties du procès équitable ». C'est également dans cet optique qu'a été créé « un autre procédé permettant, à la requête du défendeur, de retirer du rôle les pourvois formés contre des arrêts qui, bien que le pourvoi ne soit pas suspensif, n'ont pas été exécutées572(*) ». Mais le procédé souffre d'une certaine lourdeur, du fait de la nécessité d'ajouter « tout ce qui est indispensable pour l'insérer dans l'appareil procédural et [le] rendre compatible avec l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ». Le procédé permet de consacrer le droit d'exécution des décisions nonobstant pourvoi, mais pas d'alléger la charge de la Cour.

« C'est finalement la loi du 25 juin 2001 qui, devant la cour de cassation, a recréé une procédure de sélection des affaires »573(*). par cette procédure simple, « la formation de trois magistrats de chaque chambre, y compris de la chambre criminelle, peut déclarer non-admis les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux de cassation. (...) Cette procédure sera sans aucun doute le moyen de libérer la Cour de cassation de la logique productiviste qui l'oblige à répondre par une décision motivée, après une longue instruction, même aux pourvois qui, dès le premier examen, apparaissent manifestement artificiels ».

Parallèlement à cette sélection, un deuxième moyen de maîtriser la « production » des arrêts a été de mettre en place un système de classement, dans un travail de coopération entre les chambres et le service de documentation et d'études. Avant même le début de l'instruction, la méthode consiste à classer les pourvois, par exemple selon leur objet ou la question de droit qu'ils posent, mais aussi à relier les pourvois à des précédents, à relier les pourvois à d'autres pourvois selon des rapports de connexité, ou à détecter les divergences ou rébellions des juges du fond. Pour cela, l'informatique devient un instrument de classement efficace, en permettant de faciliter le travail de classement, mais aussi le travail de recoupement. Le Président Guy CANIVET évoque ainsi le logiciel « nomos », mais aussi la tentative de création d'un système d'aide à la décision574(*).

« outre la nécessité primaire pour une Cour de connaître en permanence les catégories d'affaires en instance, d'observer la progression différenciée de chacune d'elles pour lui permettre de prendre les dispositions de gestion qui s'imposent, le classement méthodique des pourvois permet un traitement rationnel des dossiers qui, sans doute, mériterait d'être davantage exploité par le regroupement plus systématique d'affaires similaires ou encore la constitution d'audiences thématiques rassemblant, le même jour, dans un débat unique ou successif, les dossiers posant une même question de droit ».

En aval, plusieurs procédés s'imposent. D'une part, la publication ordonnée et rationalisée des arrêts, et ensuite, la correction des discordances. L'importance des moyens de publication de la jurisprudence pour la connaissance du droit n'est pas nouvelle575(*), mais la volonté de maîtrise de la Cour de cassation elle-même est assez récente.

Comme l'explique le Premier Président Guy CANIVET, la publication de la jurisprudence par la Cour de cassation est faite de façon rationalisée et ordonnée, selon l'intérêt normatif des arrêts. « La sélection et le classement de la jurisprudence sont l'oeuvre commune des chambres et du service de documentation et d'études ». Plusieurs moyens sont mis en oeuvre dans cette optique pour porter à la connaissance des justiciables en temps utile les arrêts importants. Le premier est bien sûr la publication aux Bulletins mensuels des arrêts civils et criminels : « lorsque l'arrêt le mérite, la chambre décide de sa publication. Elle établit alors un sommaire de la décision reprenant sous une forme cursive l'apport normatif de l'arrêt qui sera ensuite classé à partir d'un titre établi, selon une technique très précise, par le service de documentation et d'études. Ce procédé construit à partir d'une série unique de rubriques, de sous-rubriques, et de maillons, permet de retrouver les arrêts par une démarche logique. Chaque arrêt publié mentionne, en outre, les précédents dont il s'inspire soit pour les suivre, les confirmer, ou les préciser, soit pour les contredire, en cas de revirement. Ainsi s'établissent des filiations de jurisprudence. Les plus importants de ces arrêts, ceux qui marquent particulièrement la construction jurisprudentielle, sont cités au rapport annuel de la Cour ». La publication est aussi envisagée sur le long terme, grâce à la compilation des arrêts dans les tables quinquennales, où ils sont classés selon les rubriques de titrage. « Ces tables périodiques sont pour tous les professionnels du droit des instruments qui permettent, à partir d'une recherche brève mais complète de faire le point définitif sur une question à l'époque envisagée ». Sur le court terme, la publication des arrêts au Bulletin bimensuel, encore appelé « Flash », permet, depuis les années 1970, de faire connaître rapidement les arrêts nouveaux. De plus, l'utilisation d'un marquage spécifique facilite la reconnaissance rapide des arrêts576(*).

Mais c'est probablement l'utilisation de l'outil informatique qui a permis de profondément changer les habitudes des professionnels en la matière. Pour permettre aux professionnels, et en premier lieu aux magistrats, d'embrasser rapidement toute la jurisprudence, des bases de jurisprudence ont été créées, certaines à usage interne, d'autres à l'usage du public, mises en ligne soit sur des réseaux intranet, soir sur le réseau internet pour le public, notamment à travers le site « légifrance ». « Ainsi, par ces procédés, la production jurisprudentielle est hiérarchisée de manière à corriger l'effet de nombre par distinction progressive de l'essentiel ». Ainsi, la jurisprudence est élaborée et perçue de façon plus raisonnée, et même plus rationnelle.

Mais outre les procédés permettant de faciliter l'élaboration ou la compréhension de la jurisprudence, d'autres procédés sont nécessaires pour harmoniser la jurisprudence, afin de lui conserver unité et homogénéité. Pour cela, il est nécessaire de réduire les discordances. Cette correction commence, bien sûr, par leur détection. C'est en premier lieu l'affaire du conseiller-rapporteur, qui « lors de l'examen des pourvois et des recherches auxquelles ils se livrent, discernent aussi bien les cas de divergence ou d'incohérence de la jurisprudence entre les chambres de la Cour que les oppositions entre la Cour de cassation et les Cours d'appel ou au sein des Cours d'appel. La même fonction est assurée par le parquet général de la Cour de cassation dont c'est l'un des aspects essentiels de la mission ». Outre les magistrats chargés du dossier, c'est également le rôle du service de documentation et d'études qui détecte ces discordances, en même temps qu'il collecte les arrêts des Cours d'appel, et qu'il examine de façon systématique les commentaires doctrinaux sur les arrêts de la Cour. De plus, depuis quelques années, les avocats, grâce à des « fiches de tri », sont associés au processus.

Une fois ces discordances détectées, plusieurs moyens peuvent être mis en oeuvre pour corriger ces discordances, de façon préventive ou curative. Le premier moyen, et souvent le plus efficace, consiste à utiliser des remèdes humains plutôt qu'institutionnels : en favorisant le décloisonnement des dossiers, mais aussi la rencontre, informelle ou au sein de consultations ou de réunions d'informations, des magistrats, au sein de la Cour de cassation ou entre les juges du droit et les juges du fond, ce n'est pas seulement le partage d'une expérience qui est favorisé, c'est aussi l'échange de préoccupations concernant la cohérence de la jurisprudence, ce qui est souvent le premier pas vers la résolution rapide de ces difficultés577(*). « Si, à une certaine époque, s'était développée une culture de forte autonomie entre les chambres qui conduisaient à des divergences parfois irréductibles entre elles, l'état d'esprit a beaucoup changé, chacune des chambres ayant aujourd'hui, heureusement, conscience de la nécessité d'une jurisprudence unitaire ».

Toujours dans cette optique préventive, la loi du 15 mars 1991 a donné à la Cour un instrument efficace pour éviter les discordances, résoudre les difficultés d'application des lois nouvelles, ... Il s'agit de la saisine pour avis, qui permet aux juges du fond, devant une question de droit nouvelle, posant des difficultés sérieuses d'application, et se posant dans de nombreux litiges, de demander l'avis de la Cour de Cassation sur la meilleure solution pour résoudre cette question. « On suppose que l'avis ainsi rendu, bien qu'il ne lie pas même la juridiction qui a formulé la demande, s'imposera par son unité de conviction, à l'ensemble des juridictions du fond, prévenant ainsi par avance les risques de compréhension contradictoires des lois nouvelles ». Toutefois, comme l'explique Dominique POUYAUD578(*), l'intérêt de cette procédure a été atténué par l'attitude pour le moins réservée de la Cour de cassation. Contrairement au Conseil d'Etat, qui avait auparavant accueilli avec bienveillance une procédure qui ne faisait que prolonger ses habitudes, la Cour de cassation a très tôt entrepris de limiter l'usage de cette procédure qui ne correspondait pas à sa culture, par une application stricte des textes, tant dans leur lettre que dans leur esprit.

Mais tous ces moyens reposant sur la volonté des acteurs du droit ne seraient rien, bien sûr, si des mécanismes curatifs n'avaient pas été prévus. Ces solutions « sont bien connues et répertoriées au Code de l'organisation judiciaire qui prévoit les cas de renvoi en Assemblée plénière ou en chambre mixte. Le renvoi devant une chambre mixte peut être ordonné lorsqu'une affaire pose une question relevant normalement des attributions de plusieurs chambres ou si la question a reçu ou est susceptible de recevoir devant les chambres une solution divergente. Ainsi, selon le Code l'organisation judiciaire, la chambre mixte est l'instrument spécialement créé pour régler les divergences résultant de la séparation de la Cour en chambres multiples. Le renvoi en Assemblée plénière peut être ordonné lorsque l'affaire pose une question de principe, notamment s'il existe des solutions divergentes soit entre les juges du fond, soit entre les juges du fond et la Cour de Cassation, notamment en cas de rébellion de jurisprudence. L'Assemblée plénière est donc l'instrument de règlement des conflits de jurisprudence entre les juridictions du fond et entre celles-ci et la Cour de cassation.

Ainsi, après la détection des discordances qui obscurcissent le sens de la norme jurisprudentielle, la Cour de Cassation dispose de moyens pour régler ces discordances, soit de façon préventive, soit de façon curative. De cette façon, la jurisprudence devient plus claire, et, de cette façon, plus prévisible.

Conclusion :

I/ Il y a plus de deux siècles, les révolutionnaires ont eu l'ambition de créer un droit parfait, ou du moins le plus parfait possible. Le droit devait être non plus l'expression de la volonté du souverain, et sa légitimité celle du droit divin, mais bien l'oeuvre de la raison avec comme critère de légitimité la volonté générale, source première du droit. Ce droit enfin rationnel, et créé par les élus de la nation, ne devait pas pouvoir être modifié par une autre autorité, même une autorité aussi légitime que le troisième pouvoir.

Cette ambition louable a permis de consacrer et de concrétiser la séparation des pouvoirs. Mais n'avait-elle pas des limites naturelles que l'expérience ne pouvait qu'éprouver ? Le droit peut-il être parfait au point de ne reléguer le juge qu'à un simple rôle de vox legis neutre dans son application du droit, un simple automate qui n'aurait besoin pour son action que de ses yeux et de sa bouche ? La justice peut-elle toujours être rendue si le juge ne dispose d'aucun pouvoir créateur ?

Le pouvoir du juge n'est pas celui du législateur. Celui-ci intervient a priori ; le juge a pour mission d'appliquer la loi, et doit donc confronter celle-ci à des faits que le législateur n'a pas toujours pu prévoir. Le juge doit alors interpréter, adapter, voire suppléer la loi. Son pouvoir créateur ne vient pas des institutions mais de nécessités pratiques qu'il est le premier à constater, et, partant, souvent le mieux placé pour traiter. C'est cette nécessité que constate l'article 4 du code civil, même s'il ne place le juge que dans ne perspective individuelle.

La question préoccupe et fascine les acteurs du droit depuis la révolution, autant qu'elle les divise. Mais peu à peu, une autre question vint s'imposer : n'y a-t-il pas un danger à laisser le juge hors de l'ordonnancement juridique ? Plus concrètement, si le juge ajoute à la loi, doit-il le faire rétroactivement ?

La réponse à cette question, classiquement, doit dépendre de la réponse à la question de la légitimité de la création jurisprudentielle. Et la réponse donnée par la Cour de cassation s'inscrit profondément dans cette perspective. La jurisprudence n'est pas source de droit, ne doit pas être source de droit, et ne peut pas être source de droit. Dès lors, elle ne peut être rétroactive. Tout au plus la Cour admet-elle que l'interprétation peut ne pas être tout à fait neutre, mais tout en rappelant qu'il ne peut ni ne doit y avoir de droit acquis à une jurisprudence figée, tant pour l'avenir que pour le passé. Et quand elle a jugé autrement, elle n'a accepté de poser qu'un mécanisme d'exception.

Mais la question a agité la doctrine, au point d'avoir provoqué non-seulement l'intervention d'un rapport officiel, mais d'avoir aussi poussé la Cour de cassation, même dans l'optique d'une exception, à reconnaître le caractère normatif de la jurisprudence, pour pouvoir en limiter la portée. Le débat est lancé, et en termes particulièrement violents : là où certains dénoncent, indignés et incrédules, « une conception condescendante et très pernicieuse de la démocratie représentative »579(*), affirmant que « ce qui est en cause, ce n'est rien d'autre que la forme démocratique de notre mode de gouvernement »580(*), ou encore dénoncent des procédés de nature « totalitaires »581(*), d'autres répondent que cette « scotomisation de la réalité »582(*) permet au juge d'agir hors de toute contrainte. Bref, le débat est lancé, il est acharné, et il ne sera probablement plus possible de parvenir à l'unanimité sur la position classique.

Mais les impératifs ont eux aussi changé de visage : de la limitation de la portée de la jurisprudence découlant logiquement de son caractère normatif, on est passé à la limitation de la portée de la jurisprudence découlant des effets négatifs de cette rétroactivité. Le changement n'est pas à négliger, car comme l'explique Marie-Anne FRISON-ROCHE583(*), la qualité de la norme ne s'apprécie plus alors à ses seules qualités intrinsèques, mais aussi - et même également - à ses effets concrets. Le changement est à la fois source de simplification et de complications s'agissant du travail du juge, puisque là n'est pas son rôle principal.

Le changement pousse en tout cas à dissocier la question du fondement de l'intervention du juge de la question des effets produits concrètement par cette intervention. Cela oblige alors à prendre en compte des problèmes liés notamment à des considérations - dont l'importance est de plus en plus grande - de sécurité juridique.

Le débat, dès lors qu'il se déplace vers la question de la création d'un droit transitoire, amène des difficultés nouvelles, auxquelles des réponses nouvelles sont trouvées. La première difficulté est bien sûr de rationaliser l'intervention du juge, et plus particulièrement le revirement de jurisprudence, pour en tirer une définition qui puisse servir de base à une limitation de sa portée. Mais arrive aussi une autre difficulté : celle de systématiser les solutions à la rétroactivité de la jurisprudence, justement parce qu'il est difficile de dire et de reconnaître concrètement ce que sont la jurisprudence et son revirement.

La solution semble alors être de se tourner, là encore, vers les effets de la jurisprudence plutôt que vers sa nature. Mais le danger est alors de déprécier l'intervention du juge, en concevant la limitation de la portée de la norme jurisprudentielle comme devant être une solution à un problème plutôt que comme une façon de comprendre quand la norme a vocation à s'appliquer et quand elle doit être évincée parce qu'une autre norme a vocation à s'appliquer. Bref, l'intervention du juge devient alors un méfait - certes par exception- , alors que le rôle du juge est, rappelons-le, d'être la vox legis dans sa fonction juridictionnelle, et un constructeur de normes dans sa fonction jurisprudentielle.

La solution présente aussi un deuxième danger : faire passer le mode d'intervention du juge du syllogisme au conséquentialisme systématique, alors qu'il ne tient son pouvoir que d'une compétence technique, et qu'il n'est pas le créateur de normes légitime.

Si la jurisprudence est rétroactive, alors elle a des effets d'autant plus graves qu'elle est souvent imprévisible du fait des « infirmités jurisprudentielles », mais aussi des spécificités de la jurisprudence Française. Le juge doit alors s'interroger : comment améliorer la qualité, la clarté, et donc la prévisibilité de la norme ?

On peut enfin retenir deux choses de l'évolution du débat sur la rétroactivité de la jurisprudence. La première est qu'il est regrettable que ce débat, en dehors de problèmes particuliers résolus de façon ponctuelle par des lois de validation, soit resté un débat techniques auquel seuls les juges, les professionnels, et la doctrine s'intéressent, alors qu'il s'agit au contraire d'un débat fondamental qui devrait être réglé par les élus de la nation plutôt que par des juges, même au sein de la formation la plus solennelle de la plus prestigieuse des juridictions de l'ordre judiciaire Français.

Et aussi, incitant cette fois à l'optimisme, que dans la violence du débat, dans les échecs, et dans les paradoxes, on peut toutefois trouver un débat, certes acharné, non pas pour imposer une vision entre deux visions antagonistes, mais pour choisir les meilleurs moyens de parvenir à un résultat pareillement recherché : cantonner l'intervention du juge à ce qui est acceptable dans une démocratie et dans un état de droit.

II/ Mais au fond, quel est exactement le risque de l'élaboration d'un système de droit transitoire pour la jurisprudence en droit privé français ? Le risque est peut-être moins grave qu'on ne le pense parfois.

Le droit transitoire offre un pouvoir énorme au juge. Il lui permet de refuser à un justiciable de bénéficier d'une norme jurisprudentielle à laquelle il avait droit, et, souvent, il avait lui-même provoquée l'intervention. Mais il ne lui offre pas la possibilité de maîtriser sa norme : le juge peut limiter la portée de sa norme, et non pas l'étendre. De plus, comme le rappelle le rapport MOLFESSIS : « que la Cour de cassation crée des règles impose l'aménagement dans le temps de certaines de ses décisions ; ce n'est pas cet aménagement qui lui confère la capacité de créer du droit. L'ordre des causalités ne saurait être inversé. »584(*)

Mais indirectement, il y aussi d'autres dangers : le risque existe de voir légitimer l'idée de création du droit par le juge, non plus comme un phénomène inévitable, mais bien comme un phénomène positif ; non seulement le phénomène deviendrait alors légitime, mais il devrait même se développer. Les constructions jurisprudentielles sont souvent bonnes, étant l'oeuvre de magistrats expérimentés et hautement qualifiés, et le principe même de la construction jurisprudentielle est, sinon légitime, du moins difficilement évitable. Mais le juge doit rester juge, et ne pas devenir le rival du législateur.

Paradoxalement, le plus dangereux de ce point de vue n'est pas le droit transitoire pour les revirements de jurisprudence que propose le rapport MOLFESSIS, mais plutôt le mouvement de développement d'instruments et de techniques destinées à maîtriser la jurisprudence pour la rendre plus prévisible. Maîtriser la jurisprudence, c'est la rendre plus prévisible ; mais maîtriser la jurisprudence, c'est favoriser l'élaboration de la norme par ce créateur de normes si controversé, et ce en avouant clairement l'objectif. Mais le risque est peut-être difficilement évitable si l'on veut lutter contre ce mal au moins aussi grave que la rétroactivité qu'est l'imprévisibilité.

Il y a donc bien un risque à créer un droit transitoire pour les revirements de jurisprudence. Mais il y a aussi un risque à laisser la jurisprudence hors de l'ordonnancement juridique. Ce risque est individuel : c'est l'atteinte à la sécurité juridique ; il est également collectif : c'est l'impact socio-économique du revirement rétroactif ; et il est idéologique : c'est l'atteinte au principe de légalité - du moins si l'on accepte l'impact du produit de l'action du juge comme équivalent à la loi.

Et enfin, il y a un risque juridique, plus grave encore car il a déjà été concrétisé sans contestation possible plusieurs fois en une quinzaine d'années : c'est celui pour la France d'être considéré comme un pays ne se préoccupant pas des droits de l'Homme. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a déjà condamné la France en 1990585(*) et en 1992586(*) pour le manque de clarté de sa jurisprudence ; la France a échappé à une condamnation en 1996587(*), mais la Cour a posé un principe qui constituait bien un avertissement ; elle a condamné la France, d'abord dans un domaine sensible588(*), puis en 2006589(*) dans un domaine sinon anodin, du moins où il n'y avait pas d'enjeu idéologique majeur. La Cour de Strasbourg a parlé, la France ne peut plus que s'incliner.

Finalement, jusqu'à quel point les juges de la Cour de cassation peuvent-ils être un sujet d'inquiétude ? Au delà de leurs erreurs possibles, car l'erreur, comme chacun sait, est humaine, y'a-t-il lieu outre mesure de s'inquiéter pour le danger qu'il feraient courir à la démocratie ? Les juges, depuis deux siècles, ne semblent jamais avoir usé de leur pouvoir jurisprudentiel pour s'arroger un pouvoir qui n'est pas le leur - l'auraient-ils voulu qu'ils ne l'auraient pas pu. Toutefois, Il n'est, bien sûr, rien qui ne puisse changer, même le meilleur.

Pour conclure, peut-être pouvons nous indiquer deux directions dans lesquelles devrait évoluer ce débat pour pouvoir évoluer sereinement et de façon pertinente. Nous pouvons d'abord citer Aharon BARAK : « Le juge doit être conscient de son pouvoir ainsi que de ses limites. Dans une démocratie, les pouvoirs conférés au juge sont très importants. Le pouvoir judiciaire comme n'importe quelle autre forme de pouvoir peut faire l'objet d'abus. Il faut que le juge comprenne que son pouvoir se limite à son rôle judiciaire proprement dit. » et encore : « Une autre condition que je considère essentielle par rapport au magistrat, c'est la confiance du public, c'est à dire ... la confiance dans le respect de la déontologie judiciaire ; la confiance accordée aux juges quant au fait qu'ils n'ont pas d'intérêt dans le contentieux et qu'ils ne luttent pas pour leur propre pouvoir mais pour la protection de la Constitution et de la démocratie... »590(*)

La deuxième piste nous est rappelé par Catherine PUIGELIER et Jerry SAINTE-ROSE : « Rappelons-nous que l'on a la justice que l'on mérite, et que comme l'ont souligné MM. BURGELIN et LOMBARD, celle-ci n'est que l'expression du système politique qui l'a organisé. « Dès lors, sa remise en cause procède de la critique du système socio-politique lui-même. En d'autres termes, la critique de l'institution judiciaire est un signe déterminant d'une crise plus profonde du fonctionnement de l'Etat »591(*) »592(*)

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- Cons. Const. 16 décembre 1999, décis. n°99-421 DC

Conseil d'Etat :

- CE Ass., 11 mai 2004, Association AC !, n° 255886

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Cour de Cassation :

- Civ., 1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982

- Crim., 14 novembre 2000, pourvoi n° 99.84522

- Civ., 1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n° 00-14564

- Crim., 30 janvier 2002, pourvoi n° 01-82593

- Civ., 3ème, 2 octobre 2002, pourvoi n° 01-02073

- Soc., 7 janvier 2003, pourvoi n° 00-46476

- Soc., 26 novembre 2003, pourvoi n° 01-45486

- Ass. Pl., 24 janvier 2003, Bull. AP, n°2

- Ass. Pl., 23 janvier 2004, Bull. AP, n°2

- Soc., 28 janvier 2004, pourvoi n° 02-40173

- Soc., 28 janvier 2004, pourvoi n° 02-40174

- Soc., 25 février 2004

- civ., 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717

- Civ., 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426

- Soc., 17 décembre 2004, pourvoi n° 03-40008

- Crim., 5 mai 2004, pourvoi n° 03-82801

- Soc., 18 janvier 2005, pourvoi n° 02-46737

- Soc., 26 janvier2005, pourvoi n° 02-42656

- Soc., 23 février 2005, pourvoi n° 02-42615

- Civ. 1ère, 7 mars 2006, pourvoi n° 04-10101

- Ass. Pl., 21 décembre 2006, pourvoi n° 05-11966

- Ass. Pl., 21 décembre 2006, pourvoi n° 05-17690

- Ass. Pl., 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20493

Cour de Justice des Communautés Européennes :

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- aff. 61/79, DENKAVIT, 27 mars 1980

- aff. 24/86, BLAIZOT, 2 février 1988

- aff.C-262/88, BARBER, 17 mai 1990

- aff. C-163/90, LEGROS, 16 juillet 1992

- aff. C-13/92, DRIESSEN, 5 octobre 1993

- aff. C-100/91, MORONI, 14 décembre 1993

- aff.C-367/93, RODERS, 11 août 1995

- aff. C-137/94, RICHARDSON, 19 octobre 1995

- aff. C-197/94, BAUTIAA, 13 février 1996,

- aff. C-35/97, Commission/France, 24 septembre 1998

- aff.C-184/99, GRZELCZYK, 20 septembre 2001

- aff. C-366/99, GRIESMAR, 29 novembre 2001

Cour Européenne des Droits de l'Homme :

- AFFAIRE MARCKX c. Belgique, 13 juin 1979, A31

- AFFAIRE MALONE c. Royaume-Uni, 2 août 1984, A82

- AFFAIRE KRUSLIN c. France, 24 avril1990, A176-A

- AFFAIRE VERMEIRE c. Belgique, 29 novembre 1991, A214-C

- AFFAIRE DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE c. France, 16 décembre 1992, A253-B

- AFFAIRE KOKKINAKIS c. GRÈCE , 25 mai 1993, A260-A

- CEDH, 21 novembre 1994, Raffineries Grecques STRAN et STRATIS ANDREADIS c. Grèce, n°22/1993/417/496

- AFFAIRE C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre1995, A335-C

- AFFAIRE S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, A335-B

- AFFAIRE CANTONI c. France, 15 novembre 1996

- CEDH, 28 octobre 1999, ZIELINSKI et PRADAL, req. 24846/94 et 34165/96 à 34173/96

- AFFAIRE PESSINO c. France, 10 octobre 2006

SOMMAIRE

Introduction p.1

Chapitre I : Evolution des conceptions de la norme jurisprudentielle rétroactive p.8

Section I : Critique de la rétroactivité de la règle jurisprudentielle d'après ses caractéristiques. p.8

§ I / Le rapport au temps envisagé dans l'optique du rôle révélateur du juge. p.8

A. La déclarativité de la règle jurisprudentielle. p.8

1) L'inexistence de la règle jurisprudentielle. p.8

2) la neutralité de l'intervention du juge. p.11

B. L'évolution de la position classique. p.15

1) La jurisprudence : un ensemble de normes précaires. p.15

a. L'évolution idéologique. p.15

b. La conséquence de cette évolution : la précarité naturelle de la jurisprudence. p.17

2) L'argument tiré de l'absence de rétroactivité dans une optique plus ouverte de l'office du juge. p.19

§ II / Critique de la conception déclarative de la jurisprudence : l'existence d'une norme jurisprudentielle rétroactive. p.23

A. La remise en cause de la conception classique de l'office du juge et ses conséquences. p.23

1) L`inadéquation de la pratique jurisprudentielle avec son statut p.24

a. le « désenchantement » de la doctrine p.24

b. Les conséquences : la remise en cause du raisonnement classique. p.31

2) La rétroactivité naturelle de la jurisprudence. p.35

a. La détermination du champ d'application de la jurisprudence nouvelle. p.35

b. La nécessité d'un droit transitoire adapté. p.38

B. Evolution du droit positif : les changements dans les postulats classiques. p.40

1) L'évolution de la doctrine de la Cour de Cassation : l'admission d'exceptions au principe de la neutralité du juge. p.40

a. Les « craquements » dans la jurisprudence. p.40

b. Le refus de donner un effet rétroactif à une règle jurisprudentielle nouvelle p.44

2) L'affirmation d'une conception normative de la jurisprudence nationale par la Cour Européenne des Droits de l'Homme. p.46

Section II / Critique de la rétroactivité du revirement de jurisprudence d'après ses effets. p.49

§ I / Le critère des effets : un fondement de la critique scientifique. p.49

A. Conséquences de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle du point de vue de la sécurité juridique. p.49

1) La valeur de l'argument de la sécurité juridique du point de vue du droit. p.49

a. L'invocation d'un principe qui s'impose au juge. p.49

b. L'absence de valeur juridique du principe de sécurité juridique en droit Français p.50

2) La sécurité juridique invoquée du point de vue de l'opportunité ou de l'équité. p.53

a. L'impact du revirement de jurisprudence rétroactif sur les situations individuelles et collectives. p.54

b. Facteurs pouvant influer sur la gravité de la rétroactivité du revirement. p.60

B. Le reproche d'un dévoiement de la règle de droit. p.63

1) Les effets de la rétroactivité de la jurisprudence sur la conception de la règle de droit. p.64

a. Principe de légalité et rétroactivité de la jurisprudence. p.64

b. L'idéal de la coexistence entre des règles issues de pouvoirs complémentaires. p.66

2) Le revirement de jurisprudence en droit pénal. p.67

§ II / Le critère des effets : un fondement de la critique par les juges. p.73

A. L'hypothèse de l'atteinte au droit à un procès équitable par la rétroactivité de la jurisprudence. p.73

1) Le résultat d'un conflit entre deux impératifs. p.73

2) Un mécanisme d'exception à la portée ambiguë. p.75

B. La reconnaissance de la jurisprudence nationale par la Cour de Strasbourg. p.77

1) La jurisprudence nationale, source accessoire de droit. p.77

2) Un travail de création soumis à certains impératifs. p.79

Chapitre II / Les solutions proposées pour concilier création jurisprudentielle et droits des justiciables. p.84

Section I / Les solutions proposées au problème de la rétroactivité de la rétroactivité de la jurisprudence. p.84

§ I / L'état du droit et l'influence des propositions classiques. p.84

A. L'insuffisance des solutions classiques. p.84

1) L'appel au législateur. p.84

a. Redonner le monopôle de l'interprétation au créateur légitime de la règle. p.84

b. Une solution associant la Cour de Cassation à une autre autorité : le droit de défaire une jurisprudence. p.86

2) Les solutions basées sur l'amplification de l'utilisation d'instruments déjà admis dans notre droit. p.87

a. L'erreur du justiciable s'étant fondé sur la position de la Cour de Cassation. p.87

b. La réforme des délais de prescription. p.89

B. Les procédés utilisés pour moduler l'effet dans le temps d'une jurisprudence. p.90

1) Les procédés utilisés dans d'autres systèmes juridiques. p.90

2) L'étude des cas de modulation de l'effet d'un arrêt dans le temps par les juges Français eux-même. p.96

a. les leçons de l'élaboration d'une technique de modulation de l'effet d'un arrêt dans le temps. p.96

b. La modulation d'un revirement de jurisprudence sur la base d'un texte. p.100

§ II / Un droit transitoire original pour une norme particulière. p.101

A. Le domaine du revirement pour l'avenir. p.102

1) Les difficultés pour identifier la norme objet du droit transitoire. p.102

a. Une norme dont l'identification reste problématique. p.102

b. Les propositions du rapport MOLFESSIS pour remédier à l'imprécision de revirement. p.107

2) Détermination du revirement dangereux. p.111

B. Les propositions concernant la procédure de report des effets d'un revirement de jurisprudence dans le temps. p.115

1) Les propositions concernant le droit transitoire. p.115

a. Un droit transitoire fondé sur une procédure originale. p.115

b. influences de la théorie des conflits de lois dans le temps et critiques. p.120

2) La consécration de la procédure par la Cour de Cassation elle-même. p.123

a. Le premier obstacle : la prohibition des arrêts de règlement. p.123

b. Le caractère injustifié d'une intervention législative ? p.126

Section II / La lutte contre l'imprévisibilité de la jurisprudence. p.130

§ I / La maîtrise de la jurisprudence par la Cour de Cassation. p.130

A. La maîtrise de l'expression de la norme jurisprudentielle à travers ses arrêts. p.130

1) Les enjeux : rôle de la Cour de Cassation et clarté. p.130

2) Les solutions envisagées. p.133

B. La diffusion de la jurisprudence, nouvelle mission de service public. p.137

II / L'homogénéité de la jurisprudence, condition de sa clarté. p.139

A. Les enjeux de l'unité de la jurisprudence pour la clarté de la norme jurisprudentielle. p.139

B. Les mécanismes correcteurs mis en place par la Cour de cassation. p.141

Conclusion p.146

Bibliographie. p.150

Table des matières p.160

* 1  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.92

* 2  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.92

* 3 : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.95

* 4  : Civ. 1ère, 21 mars 2000, Pourvoi n°98-11982

* 5  : Dictionnaire du vocabulaire juridique, sous la direction de Rémy CABRILLAC, Litec 2000

* 6  : Jean FOYER, « Allocution d'ouverture », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 7  ; Otto PFERSMANN, « A quoi bon un pouvoir judiciaire ? », in L'office du juge : part de souveraineté ou puissance nulle ? , p.181

* 8  : Sur cette question, voir par exemple Valéry TURCEY, L'horreur juridique : vers une société de procès, Plon, 2002

* 9  : comme l'explique, par exemple Jean-Claude SOYER, « Pèlerinage aux sources du droit privé », in Le droit privé Français à la fin du XXème siècle

* 10  : En 1991, le Conseil d'Etat évoquait un droit à l'état « gazeux » ; la baisse de qualité de la loi a depuis entraîné l'intervention du Conseil Constitutionnel, comme l'a expliqué le Président Pierre MAZEAUD lors de l'échange de voeux avec le Président de la République en 2005 (Pierre MAZEAUD, « La loi ne doit pas être un rite incantatoire », JCP G n°6, 9 février 2005, p.245) ; sur cette question, voir notamment François TERRE, Observations sociologiques sur les nouvelles sources de la loi », in La loi, Catherine PUIGELIER (Dir.) , Economica 2005 ,et Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les nouveaux commandements du contrôle de la production législative, in L'architecture du droit, mélanges en l'honneur de Michel TROPER, Economica, 2006, p.267

* 11  : Sur cette question, voir par exemple Dominique BUREAU, « L'ambivalence des principes généraux du droit devant la Cour de Cassation », in La Cour de Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS, (Dir.) , Economica 2004, p.181

* 12  : Jean-François BURGELIN, Allocution prononcée lors de l'audience solennelle de début d'année judiciaire, le jeudi 11 janvier 2001, in Rapport annuel de la Cour de Cassation pour l'année 2001

* 13  : Sur cette question, voir par exemple Caroline PELLETIER, « Première application de la jurisprudence « MAZUREK » par le juge Français », Dalloz 2001, n°16, p.1270

* 14  : Sur cette question, voir notamment Béatrice BOURDELOIS, « Lois rétroactives et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre. p.100, et Philippe MALINVAUD, « L'étrange montée du contrôle du juge sur les lois rétroactives, in Le Code civil, un passé, un présent, un avenir

* 15  : Bertrand MATHIEU, La loi, Dalloz 2004

* 16  : Bertrand MATHIEU, « Les rôles du juge et du législateur dans l'intérêt général », « Lois rétroactives et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.p.41

* 17  : Bertrand MATHIEU, « Les rôles du juge et du législateur dans l'intérêt général » précité

* 18  : Pierre HEBRAUD, « Le juge et la jurisprudence », Mélanges COUZINET, 1974, p.366

* 19  : Sur cette question, voir par exemple rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI, « L'analyse économique est-elle une source du droit ? », RTD civ., Juillet/Septembre 2006, p.505

* 20  : « Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325 ; « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994, n°33, p.15 ; « Comment limiter la portée des arrêts de principe et des arrêts de revirement ? », Les petites affiches, 4 mai 1994, n°53

* 21  : « Les revirements de jurisprudence, rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy CANIVET », Litec 2004 ; ce rapport sera désormais désigné sous le nom de « rapport MOLFESSIS », tel qu'il est couramment appelé par la doctrine.

* 22  : « Pour un Code du travail plus efficace », rapport au ministre des affaires sociales et de la solidarité, La Documentation Française, coll. Les rapports officiels, 2004, proposition n°10

* 23  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.227

* 24  : Crim., 3 novembre 1955, Dalloz 1956, p. 557, note R. SAVATIER., cité dans Laurent-Xavier SIMONEL, « Le juge et son précédent », Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999

* 25  : Voir par exemple Crim., 4 février 1970, pourvoi n° 68-93464 : les juges « ne sauraient se référer, dans une espèce déterminée, à des règles établies à l'avance pour justifier leur décision ».

* 26  : Cass. soc., 27 février 1991

* 27  : Cass. civ. 1re, 4 avril 1991, pourvoi n° 90-04005

* 28  : « s'ils peuvent procéder dans leur motivation par affirmations d'ordre général, c'est toujours à la condition que les principes ainsi formulés leur servent à résoudre le litige qui est soumis à leur appréciation. Ils ne sauraient de même transposer sans retouche à un cas nouveau des considérations précédemment établies pour juger d'autres affaires » Alain SERIAUX, « Le juge au miroir, l'article 5 du code civil et l'ordre juridictionnel Français contemporain », in Mélanges Christian Mouly

* 29  : sur cette question, voir Bernard BEIGNIER, « les arrêts de règlement », Droits n°9, 1989, p. 45

* 30 V. HEUZE, « à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité », JCP G n°14, 6 avril 2005, p. 671

* 31  : Philippe MALINVAUD, « A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence », RTD civ., avril :juin 2005, p. 313

* 32  : Sur la controverse relative aux motifs déterminants, voir notamment GHESTIN Jacques, « L'autorité de chose jugée des motifs d'une décision judiciaire en droit privé », in Mélanges WALINE ; HERON Jacques, « Localisation de la chose jugée ou rejet de l'autorité positive de la chose jugée », in Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?, Mélanges en l'honneur de Roger PERROT, p.131 ; KERNALEGUEN Francis, « Choses jugées entre elles (variations sur une harmonie bien tempérée) », in « Justice et droits fondamentaux, études offertes à J. NORMAND »

* 33  : CARBONNIER Jean, Droit civil, introduction, PUF, p.227

* 34  : J. CARBONNIER, Introduction au droit et au Droit civil, P.U.F., 1964, p.7, cité dans Alain HERVIEU, « Observations sur l'insécurité de la règle jurisprudentielle », RRJ 1989-2,

* 35  : Denys de BECHILLON, « le juge et son oeuvre, in « Mélanges Michel Troper », p.365

* 36  : V. HEUZE, « à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 37  : Ass. Pl. , 21 décembre 2006, pourvoi n°05-11966, et pourvoi n°05-17690 : Dans ces deux affaires, la Cour de cassation avait jugé qu'était irrecevable le moyen consistant à relever que la décision d'une Cour d'appel de renvoi est conforme à l'arrêt qui a cassé, mais n'est pas conforme à une solution prévue postérieurement dans le cadre d'une autre affaire. Ces deux affaires sont d'autant plus intéressantes que, comme l'explique Pierre FLEURY-LE GROS, la Cour de cassation aurait pu et aurait du faire application de la dernière solution et non pas d'une solution désuète (Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E)

* 38  : Laurent-Xavier SIMONEL, « Le juge et son précédent », Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999

* 39  : Laurent-Xavier SIMONEL, « Le juge et son précédent », Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999

* 40 Otto PFERSMANN, « à quoi bon un « pouvoir judiciaire » ? », in  l'office du juge, part de souveraineté ou puissance nulle

* 41  : Jean CARBONNIER, Droit civil, introduction, PUF, p.227

* 42  : Laurent-Xavier SIMONEL, « Le juge et son précédent », Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999

* 43  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.171

* 44  : ROUBIER Paul, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz, 2ème édition

* 45  : Rapport MOLFESSIS, p.11

* 46  : cf infra

* 47  : Marie-anne FRISON-ROCHE, « La théorie de l'action comme principe de l'application dans le temps des revirements de jurisprudence », RTD civ, Avril/juin 2005, p.310

* 48  : sur cette question, voir notamment Michel TROPER, « La question du pouvoir judiciaire en l'an III », in L'office du juge : part de souveraineté ou puissance nulle ?, Bruylant 2002 et Jean-Louis HALPERIN, « La souveraineté de la cour de Cassation : une idée longtemps contestée », in l'office du juge : part de souveraineté ou puissance nulle, Bruylant, 2002

* 49  : « Ce n'est pas par inadvertance que la Constitution (...) écarte « l'Autorité judiciaire » des « Pouvoirs » entre lesquels elle répartit, dans ses articles 34 et 37 les compétences pour édicter des règles générales. » V. HEUZE, « à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 50  : Les juges ne sont « que la bouche qui prononce les paroles de la loi ; des êtres inanimés qui n'en peuvent modérer ni la force ni la rigueur » MONTESQUIEU, L'esprit des Lois , livre XI, chapitre VI . Cette citation de Montesquieu, particulièrement claire dans le principe qu'elle formule, a marqué les esprits, encore que Guy CANIVET explique qu'elle repose sur un malentendu historique, n'y voyant qu'une « formule curieusement attribuée à MONTESQUIEU » (« Activisme judiciaire et prudence interprétative », in La création du droit par le juge, p.9)

* 51  : « La question du pouvoir judiciaire en l'an III » précité

* 52  : et, a fortiori, la fonction jurisprudentielle, si tant est qu'elle soit admise

* 53  : Il poursuit en expliquant que le principe cher à Beccaria (« En présence de tout délit, le juge doit former un syllogisme parfait : la majeure doit être la loi générale, la mineure l'acte conforme ou non à la loi, la conclusion étant l'acquittement ou la condamnation ») a été repris dans ce qui constitue aujourd'hui le droit positif, et notamment dans la Déclaration des droits de l'Homme

* 54  : La formule la plus souvent citée sur cette idée est probablement celle de l'évêque Hoadley au XVIIe siècle, d'ailleurs citée par Michel TROPER dans son article : « Whoever Hath an absolute authority to interpret any writen or spoken law, it is he who is truly the Law-giver to all intents and purposes and not the person who first wrote or spoke them »

* 55  : Thierry BONNEAU, « Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêtes de revirement », Recueil Dalloz, 1995, p.24

* 56 Thierry BONNEAU, « Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêtes de revirement » précité

* 57  : Philippe MALINVAUD «  A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence » RTD civ. Avril/juin 2005, p.314

* 58 Thierry BONNEAU, « Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêtes de revirement » précité

* 59  : Civ ; 1ère, 21 mars 2000, pourvoi n°98-11982 ; Recueil Dalloz 2000, n°28, p.593, note Christian ATIAS

* 60  : Crim. , 30 janvier 2002, Bull. n°16 ; Crim. , 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801. Le premier arrêt est particulièrement intéressant car le premier moyen est l'exacte reprise du raisonnement tenu par le Cour Européenne des droits de l'Homme dans les affaires C.R. c. R-U, S.R. c. R-U, Cantoni et Pessino (cf infra)

* 61  : Sur la question du critère formaliste, voir Didier REBUT, « le revirement de jurisprudence en droit pénal », repris dans les annexes du Rapport MOLFESSIS

* 62  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325

* 63  : V. HEUZE, « à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 64  : Rapport annuel pour l'année 2001, p.421 à p.425

* 65  : civ. 1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n°00-14564

* 66  : V. HEUZE, « à propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 67  : civ. 1ère, 9 octobre 2001 précité

* 68  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.119 et s.

* 69  : AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.119 et s.

* 70  : Guy CANIVET, «  Vision prospective de la Cour de Cassation », conférence prononcée devant l'Académie des Sciences Morales et Politiques le Lundi 13 novembre 2006

* 71 Bruno Oppetit, « Le rôle créateur de la Cour de cassation », in Bicentenaire de la Cour de cassation, La documentation française, 1991

* 72  : Il estime par ailleurs que « ce faisant, la Cour de Cassation ne trahissait nullement sa mission : elle obéissait au contraire aux directives exprimées par Portalis dans son Discours préliminaire de présentation du Code civil, qui excluaient certes l'interprétation judiciaire « par voie d'autorité », débouchant sur des arrêts de règlement, mais encourageaient au contraire les tribunaux à développer l'interprétation « par voie de doctrine », consistant à « saisir le vrai sens des lois, à les appliquer avec discernement et à les suppléer dans les cas qu'elles n'ont pas réglés ».

* 73  : Sur cette question, voir notamment AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.119 et s.

* 74  : L'expression est de Jacques FLOUR, Jean-Luc AUBERT et Eric SAVAUX, Droit civil, les obligations, Tome 2, p.228

* 75  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.170

* 76  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.118 et s.

* 77  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.171

* 78  : C'est d'ailleurs le rôle qui lui est depuis longtemps reconnue : « il y a, pour toute la république, une Cour de cassation ». Sur cette question, voir notamment Guy CANIVET et Jean-François BURGELIN : « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa propre jurisprudence », in La Cour de Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas Molfessis (dir.) , économica 2004

* 79  : Su cette question, voir par notamment Guy CANIVET, «  Vision prospective de la Cour de Cassation », conférence prononcée devant l'Académie des Sciences Morales et Politiques le Lundi 13 novembre 2006

* 80  : Bernard BEIGNIER, « Les arrêts de règlement », Droits 9-1989, p.54

* 81  : Jean-Luc AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN

* 82  : Rapport annuel pour 2003, p.291 ; Le rapport, p. 292 va plus loin : « En outre lorsqu'une nouvelle jurisprudence s'élabore en s'écartant des solutions jusqu'alors acquises, il s'agit pour l'essentiel de questions particulièrement controversées où il était devenu nécessaire de corriger certains excès ou de fixer une ligne directrice plus cohérente

* 83  : rapport annuel pour l'année 2001, p. 421 à 425

* 84  : Jean-Luc AUBERT, « Faut-il « moduler » dans le temps les revirements de jurisprudence ?... J'en doute ? », RTD civ, Avril/juin 2005, p.302

* 85  : AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.172

* 86  : AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.172

* 87  : AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.172

* 88  : AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN.176

* 89  : AUBERT Jean-Luc, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN p.171

* 90  : Béatrice BOURDELOIS, « Lois rétroactives et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.

* 91  : civ. 1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982 ; la formule exacte dans l'arrêt était « la sécurité juridique invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit », l'argument tiré de la violation de l'article 6.1 n'ayant été invoqué qu'ultérieurement dans d'autres affaires.

* 92  : civ.ère, 9octobre 2001 précité. La juxtaposition de cette formule et de la formule classique sur l'inexistence de la norme jurisprudentielle (« « l'interprétation jurisprudentielle d'une même norme à un moment donné ne peut être différente selon l'époque des faits considérés » ») ne va pas sans un certain paradoxe, comme le rappelle Denys de Béchillon : « de la rétroactivité de la règle jurisprudentielle », in mélanges en l'honneur de Franck Moderne, p.5

* 93  : civ. 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717 ; civ. 3ème, 2 octobre 2002, pourvoi n°01-02073 ; Il est d'ailleurs intéressant de constater que, le même jour, la deuxième chambre civile a rendu un arrêt où elle admettait le principe d'une non-rétroactivité limitée de la norme jurisprudentielle (pourvoi n°01-10426, cf infra)

* 94  : soc.7 janvier 2003, pourvoi n° 00-46476 ; soc. 26 novembre 2003, pourvoi n°01-45486 ; soc. 25 février 2004, RJS 5/04, p.366 ; soc. 18 janvier 2005, pourvoi n° 02-46737 ; soc. 23 février 2005 ; pourvoi n° 02-42615

* 95  : Recueil Dalloz 2000, n°28, p.593, note sous civ. 1ère, 21 mars 2000

* 96  : soc. 28 janvier 2004, pourvois n° 02-40173 et n°02-40174. On signalera simplement que la formule, moins développée que celle employée par la chambre criminelle, renseigne moins sur la vision de la jurisprudence. On peut penser que la chambre sociale a simplement profité de ces arrêts pour préciser le cadre de son intervention, avant de reprendre l'ancienne formule (soc. 25 février 2004, RJS 5/04, p.366)

* 97  : rapport annuel de la cour de cassation pour l'année 2001 précité

* 98  : ROUBIER Paul, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps) , Dalloz, 2ème édition

* 99  : « Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement » précité, dirigé contre les propositions de Christian MOULY

* 100  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E dirigé contre les propositions du rapport MOLFESSIS

* 101  : On peut d'ailleurs noter que Thierry BONNEAU revient au principe de la déclarativité, tandis que Pierre FLEURY-LE GROS accepte de rester dans l'optique d'un juge créateur.

* 102  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 103  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 104  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 105  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 106  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 107  : Paul ROUBIER, « Le Droit transitoire », 2ème éd., 1960

* 108  : L. BACH, « Contribution à l'étude du problème de l'application des lois dans le temps », R.T.D.civ., 1969, pp. 405 à 468

* 109  : P. FLEURY-LE GROS, Contribution à l'analyse normative des conflits de lois dans le temps en droit privé interne, thèse, préface L. BACH, P. MAYER, postface. J. PETIT, éd. Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèse, vol 43, février 2005

* 110  : Thierry BONNEAU indique les référence suivantes : Cass. 1re civ., 8 mai 1979, D. 1979.477, note Huet-Weiller ; JCP 1980.II.19301, note Paire ; Gaz. Pal. 1979.2.426, note Massip ; Cass. ass. plén., 9 juill. 1982, JCP 1983.II.19993, concl. Cabannes ; RTD civ. 1983.729, obs. Nerson et Rubellin-Devichi, et 1984.150, obs. Normand. ; Cass. 1re civ., 1er déc. 1982, D. 1983.573, note Agostini.

* 111  : Paul ROUBIER, « Le Droit transitoire » précité

* 112  : « Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement » précité

* 113  : Ass. Pl., 21 décembre 2006 précité

* 114  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 115  : Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 116  : Pierre FLEURY-LE GROS concentre sa critique sur les prémisses du rapport MOLFESSIS ; Thierry BONNEAU évoque principalement les articles de Christian MOULY dans les années 1990 : C. Mouly, Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ?, Petites affiches, n° 33, 18 mars 1994, p. 15. ; C. Mouly, art. préc. ; Le revirement pour l'avenir, JCP 1994.I.3776 ; rapport sur les revirements de jurisprudence de la Cour de cassation, in L'image doctrinale de la Cour de cassation, Doc. fr., 1994, p. 123 s.

* 117  : Jean CARBONNIER, Droit civil, introduction, PUF, p.227

* 118  : Philippe JESTAZ, « La jurisprudence constante de la Cour de cassation », in Autour du droit civil, écrits dispersés, idées convergentes, Dalloz 2005, p.113

* 119  : ROUBIER Paul, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps , Dalloz, 2ème édition, p.25

* 120  : Denys de BECHILLON« Comment traiter le pouvoir normatif du juge », in mélanges Philippe JESTAZ, p.29

* 121  : ROUBIER Paul, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps) , Dalloz, 2ème édition, p.25

* 122  : « Note sur les revirements de jurisprudence », Archives philosophiques du droit, 1967, p.335

* 123  : Le vocabulaire employé est d'ailleurs frappant. Ainsi, Denys de Béchillon, concluant sur l'opposition entre les classiques et les « réalistes », par référence aux théories réalistes de l'interprétation, évoque leurs opposants en doctrine comme les « idéalistes », par référence à un statut légal que l'on ne retrouverait pas dans la réalité : Denys de BECHILLON, « Le gouvernement des juges, une question à dissoudre », Dalloz 2002, n°12, p.973. Il ne va pas aussi loin que J. BOULANGER : « Nous ne sommes pas très sûrs que par rapport à la jurisprudence le problème des sources de droit ait été examiné avec un souci suffisant de la réalité. » (Répertoire de droit civil, Dalloz, tome 3, jurisprudence, n°22, cité dans Olivier DUPEYROUX La doctrine Française et le problème de la jurisprudence source de droit, in Mélanges Gabriel MARTY)

* 124  : A. RIEG, Jurisclasseurs de droit civil, art. 5, n°35

* 125  : C. ATIAS, « l'ambiguïté des arrêts dits de principe en droit privé », JCP, 1984.I.3145, n°3

* 126  : Bernard BEIGNIER, « Les arrêts de règlement » précité

* 127  : Pierre-Yves GAUTIER, « Rétroactivité de la jurisprudence et arrêts de règlement : au sujet de la contrepartie à la clause de non-concurrence », RTD civ. , Janvier/mars 2005, p.159

* 128  : SIMONEL Laurent-Xavier, « Le juge et son précédent », Gazette du Palais, 10-11 décembre 1999

* 129  : Il poursuit : « Les démonstrations des parties trouvent fréquemment le point d'orgue de leurs moments de conviction lorsqu'elles parviennent à se clore par une référence à une décision univoque rendue, si possible, par la Cour suprême et, mieux encore, par la formation la plus solennelle de cette Cour. Le dossier de plaidoirie qui, dans la plupart des cas, va établir le premier véritable contact entre le juge et l'affaire et sur lequel la plaidoirie orale va se fonder, contient certes, dans ses cotes, les principales pièces discutées devant la juridiction, mais ils sont surtout rendus volumineux par la reproduction intégrale, notes et commentaires y compris, des décisions topiques dont l'avocat espère que le faisceau créera le tracé du chemin lumineux de la solution juridique à laquelle il veut conduire le juge.»

* 130  : David JACOTOT, dans un article sur la méthode suivie par les juges a propos de l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de Cassation le 24 avril 2001 , arrivait d'ailleurs aux mêmes conclusions sur la prise en compte explicite, par l'avocat général, des précédents

* 131  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325

* 132  : « Note sur les revirements de jurisprudence », Archives philosophiques du droit, 1967, p.335

* 133  : Denys de BECHILLON, « L'ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l'interprétation, réflexions critiques », RRJ 1994-1, p.245

* 134  : Catherine PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205

* 135  : olivier TOURNAFOND, « Considérations sur les nouveaux arrêts de règlement (à partir de quelques exemples tirés du droit des obligations et du droit des biens) », in mélanges P. JESTAZ, p.556

* 136  : G. MARTY et P. RAYNAUD, « Droit Civil, tome 1, 2e édition, p.217, cité dans « La doctrine Française et le problème de la jurisprudence source de droit », in mélanges Gabriel MARTY

* 137  : Petr MUZNY, « Quelques considérations en faveur d'une meilleure prévisibilité de la loi », Dalloz 2006, n°32, p.2214

* 138  : David JACOTOT, « Retour sur le phénomène jurisprudentiel, à propos de l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 24 avril 2001 », RRJ 2002-4, p.1631

* 139  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit », RRJ 2001-1, p.77

* 140  : Pierre MAYER, « Existe-t-il des normes individuelles ? », in Mélanges Michel TROPER

* 141  : Catherine PUIGELIER, « La création du droit, libre propos sur la norme jurisprudentielle », RRJ 2004-1, p.17

* 142  : sur cette question, pour un parallèle entre l'arrêt de principe et l'arrêt de règlement sous l'angle de l'analyse cognitiviste, révélatrice de l'emploi de mécanismes d'ordre psychologique pour asseoir l'autorité du juge, voir aussi « d'une approche cognitive de l'arrêt de principe » RRJ 2002-4, p. 1631

* 143  : Rapport annuel pour l'année 2003.

* 144  : Antoine MAZEAUD, « La sécurité juridique et les décisions du juge », Droit social, n°7/8 Juillet/août 2006, p.744 ; sur cette question, voir notamment Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 145  : Jean CARBONNIER, Droit civil, introduction, PUF, p.232 : ces infirmités sont la lenteur, l'incertitude qui entoure souvent l'arrêt de principe, l'insécurité, l'indifférence aux justiciables, l'impuissance à dépasser certains obstacles pratiques, telles que la modification d'un texte de loi

* 146  : Denis de BECHILLON, « Le gouvernement des juges, une question à dissoudre », Dalloz 2002, n°12, p.973

* 147  : sur cette question, Michel TROPER, « Le bon usage des spectres, du gouvernement des juges au gouvernement par les juges », in Mélanges CONAC

* 148  : Alain HERVIEUX, « Observations sur l'insécurité de la règle jurisprudentielle », RRJ 1989-2, p.257

* 149  : Olivier DUPEYROUX, « La doctrine Française et le problème de la jurisprudence source de droit », in mélanges Gabriel MARTY

* 150  : Olivier DUPEYROUX, « La doctrine Française et le problème de la jurisprudence source de droit » précité

* 151  : Voir par exemple, Patrick MORVAN (« Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, n°4, p.247) : « La prohibition des arrêts de règlement ne bride en rien la faculté créatrice du juge. Elle signifie que les juges « ne sauraient (...) se lier pour l'avenir en déclarant qu'ils jugeront les mêmes questions d'après les principes par eux posés » (civ. 2ème,16 juin 1955). En revanche, « ils peuvent mais encore ils doivent indiquer les règles et principes généraux de droit sur lesquels ils fondent leurs décisions » (cass. req. 1er fév. 1882) . En somme, l'article 5 n'interdit au juge que d'exercer « un pouvoir législatif, en la forme et à la manière qui est celle du législateur » (P. HEBRAUD, « le juge et la jurisprudence, in Mélanges COUZINET) . Or, la Cour de Cassation n'énonce jamais le droit qu'à l'occasion de litiges particuliers ; elle ne légifère jamais ex nihilo, en dehors des faits, à l'image des Parlements de l'Ancien Régime. »

* 152  : Jacques MAURY, « Observations sur la jurisprudence en tant que source de droit » in mélanges RIPPERT, cité dans O. DUPEYROUX, « La doctrine Française et le problème de la jurisprudence source de droit » précité

* 153  : Sur cette question, voir notamment Gilles LEBRETON, « Droit administratif général », p.52 à 55

* 154  : Michel TROPER, « La théorie du droit, le droit, l'Etat », Paris, PUF, 2001, cité dans Manuel ATIENZA, « Les limites de l'interprétation constitutionnelle, retour sur les cas tragiques », in mélanges Michel TROPER

* 155  : Denys de BECHILLON, « L'ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l'interprétation, réflexions critiques » précité, p. 250

* 156  : « Si la signification (d'un) acte, par exemple la signification de l'acte du législateur, est déterminé par l'organe d'application, il en résulte immanquablement qu'une Loi valide est la signification d'un acte humain telle qu'elle est déterminée par le juge. L'existence juridique d'une norme législative ne résulte pas de sa conformité à la Constitution, mais de l'interprétation par le juge. La validité ne provient pas de la norme supérieure mais du processus de production de normes inférieures. En d'autres termes, si la Loi est non pas l'acte de volonté du législateur, ni le texte publié au journal officiel, mais la norme que ce texte contient, c'est le juge qui énonce la loi, et non le législateur. » Michel TROPER, « Kelsen , la théorie de l'interprétation et la structure de l'ordre juridique », cité dans Denys de BECHILLON, « L'ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l'interprétation, réflexions critiques »

* 157  : Denys de BECHILLON, « Comment traiter le pouvoir normatif du juge ? », in Mélanges JESTAZ, p.29

* 158  : Denys de BECHILLON, « L'ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l'interprétation, réflexions critiques » précité

* 159  : même si des tentatives ont été faites en ce sens, voir par exemple Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 160 Thierry BONNEAU, Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement, Recueil Dalloz 1995 p. 24 ; il ajoute toutefois : « Doit-on pour autant considérer que celle-ci s'explique par la rétroactivité ? Il ne le semble pas parce que cette application ne se fonde pas sur la volonté de l'auteur de la nouvelle jurisprudence, mais sur son acceptation par la communauté des juristes. »

* 161  : William DROSS, « La jurisprudence est-elle seulement rétroactive ? », Dalloz 2006, p.472

* 162  : Civ.1ère, 9 octobre 2001, Pourvoi n° 00-14564

* 163  : Poursuivant sur l'exemple de l'arrêt du 9 octobre 2001, il estime qu': « en l'espèce, les juges de la Cour de Cassation auraient dû se demander si, en 1974, il était juste que le médecin informe ou non sa patiente des risques graves mais exceptionnels que présentait un tel accouchement. Les magistrats peuvent répondre positivement ou négativement : il en va précisément de leur mission, en l'absence de tout texte de loi explicite. Le fait qu'ils aient estimé, en 1998 que le médecin était tenu d'une telle obligation n'a en soi aucune portée contraignante, sauf alors à se demander à quelle époque s'étaient produits les faits examinés par la Cour de Cassation dans cette espèce. Or, il s'agissait d'un acte médical remontant à 1987, ce dont il faut alors déduire que, pour la jurisprudence, en 1987, la justice commandait qu'un médecin informe ses patients sur les risques exceptionnels de l'opération. Mais rien ne peut laisser penser qu'il devait en aller de même treize années auparavant. S'ils avaient estimé dans cet arrêt de 2001 qu'une telle obligation n'existait pas en 1974, leur décision n'aurait absolument pas fait figure de revirement de jurisprudence, par cela qu'ils ne sont pas législateurs : ils ne posent pas par un acte de pouvoir une norme au jour où ils statuent, mais ils disent par un acte d'autorité ce qui devait être tenu pour juste dans la société Française au jour où la situation litigieuse s'est produite. »

* 164  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité », in mélanges Franck MODERNE, p. 5

* 165  : Denis de BECHILLON, « Le gouvernement des juges, une question à dissoudre » précité

* 166  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 167  : Rapport MOLFESSIS, p. 12

* 168  : Rapport MOLFESSIS, p.13

* 169  : Sur ce point, on peut évoquer la réponse de Vincent HEUZE (« A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité », JCP G 2005, n°14, p.671) , exprimant son vif désaccord, expliquant que cette « profondeur d'ancrage de l'Etat de droit dans notre pays, avec ce qu'elle suppose de solidité et de stabilité des institutions démocratiques », « loin d'être une réalité, en est une simple représentation, dont l'optimisme est certainement aussi imprudent que l'était la croyance, si largement répandue à l'orée de XXème sicle, dans le caractère définitif du triomphe des valeurs de la civilisation »

* 170  : Rapport MOLFESSIS, p.13

* 171  : Pascale DEUMIER, Rafael ENCINAS DE MUNAGORRI, « Faut-il différer l'application des règles jurisprudentielles ? Interrogations à partir d'un rapport », RTD civ., janvier/Mars 2005, p.83

* 172  : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle », AJDA 1968, p. 15

* 173  : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle » précité

* 174  : « Le juge et son objet » précité

* 175  : Nicolas MOLFESSIS, « Les revirements de jurisprudence », in La cour de Cassation et l'élaboration du droit, cité dans Catherine PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205

* 176  : VOIRIN Pierre, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP 1959, I, 1467

* 177  : Citant le Doyen CARBONNIER, « Le revirement est rétroactif par nature ; la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce que les particuliers avaient pu faire sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne » (CARBONNIER, « Droit civil », t. I, n°31, p.109 et n°34, p.113. ; rappr. RIPPERTet boulanger, « Traité de droit civil d'après PLANIOL », t. I, n°244), il poursuit : « Tout revirement équivaut à une loi rétroactive.

Certains, il est vrai, corrigent ce qui est excessif dans cette affirmation. « Il n'y a pas théoriquement rétroactivité, disent-ils, puisqu'il n'y a pas modification de la loi. Mais, en fait, les conséquences du renversement de la jurisprudence sont, pour les particuliers, semblables à celles d'une loi rétroactive. » (JULLIOT de la MORANDIERE, « Traité de droit civil de COLIN et CAPITANT », t. I, n°244) Cette mise au point substitue comme terme de comparaison la loi interprétative à la loi rétroactive.

Mais l'idée même d'une comparaison avec la loi est suspecte, car on ne compare que les choses de même ordre. Or, il est permis de douter que la jurisprudence soit une source de droit parallèle à la loi. Qu'on dise que l'usage conventionnel est vis-à-vis de la coutume dans le même rapport que la loi supplétive vis-à-vis de la loi impérative ou prohibitive, c'est raisonner juste, car loi et coutume sont sources de droit. Il en va différemment de la jurisprudence ; elle se borne à invoquer la violation ou la mauvaise interprétation de la loi.

Cependant le résultat pratique du revirement est analogue à celui que produit la loi interprétative : les situations juridiques antérieurement constituées se trouvent soumises à l'interprétation nouvelle, leur constitution même peut s'en trouver ébranlée, le même risque d'insécurité pèse sur les justiciables »

* 178  : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle » précité. Sur ce point, Christian MOULY proposait de ne faire aucune différence entre les arrêts de principe et les arrêts de revirement : « une solution jurisprudentielle n'intervient jamais dans un paysage juridique totalement vide. Même si la position prise par un arrêt est la première expression judiciaire sur une question, elle peut bouleverser un état de droit antérieur, le plus souvent concrétisé par une doctrine et une pratique communément admise (...)Les arrêts de principe ou de règlement doivent bien relever du même régime transitoire que les arrêts de revirement » (Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir », JCP G n°27, p.325)

* 179  : Thierry BONNEAU, « Brèves remarques sur la prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement » précité ; Pierre FLEURY-LE GROS, Note sous Assemblée Plénière, 21 décembre 2006, Affaires Centéa et La Briocherie, JCP E

* 180  : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle » précité

* 181  : VOIRIN Pierre, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP 1959, I, 1467

* 182  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir » précité. Dans le même sens, on peut citer Christophe RADE (« De la rétroactivité des revirements de jurisprudence », Dalloz 2005, n°15, p.988) : Pour les justiciables, il importe peu de savoir si la règle nouvelle qu'on lui impose rétroactivement résulte de l'adoption d'une nouvelle ou d'un changement dans l'interprétation jurisprudentielle d'une loi ancienne. Dans les deux hypothèses, le litige est en effet tranché par application d'une règle de droit, pure ou interprétée, dont le justiciable n'avait pas eu connaissance au moment des faits et dont il n'a pas pu, par hypothèse, tenir compte dans ses prévisions. La Cour de Cassation ne peut donc, à son égard, se retrancher derrière une lecture aussi formelle de l'office du juge. »

* 183  : « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence », Dalloz 2005, n°15, p.988

* 184  : Jean CARBONNIER, Droit civil, introduction, PUF, p.207

* 185  : « l'on peut admettre que les normes jurisprudentielles méritent un domaine d'application dans le temps qui soit l'égal de celui des normes législatives » (Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement ? » , LPA, 4 mai 1994, n°53)

* 186  : ROUBIER Paul, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz, 2ème édition, p.25 et s.

* 187  : Le Doyen ROUBIER estime toutefois qu'un tel objectif est matériellement irréalisable : « Il faut bien convenir qu'il existe un obstacle insurmontable dans notre droit : c'est l'impossibilité où l'on est de déterminer, avec une précision suffisante, le moment où la jurisprudence est fixée ; on ne peut, pour cette raison, assimiler le changement qui se produit dans le droit des arrêts à un changement de loi ». Comme nous le verrons, l'évolution qui s'est faite dans le domaine de la publication des arrêts pourrait conduire à remettre en cause cette conclusion pessimiste.

* 188  : Voir notamment CEDH, 21 novembre 1994, Raffineries Grecques STRAN et STRATIS ANDREADIS c. Grèce, n°22/1993/417/496 ; CEDH, 28 octobre 1999, ZIELINSKI et PRADAL, req. 24846/94 et 34165/96 à 34173/96

* 189  : Sur cette question, voir notamment Philippe MALINVAUD, « l'étrange montée du contrôle du juge sur les lois rétroactives », in Le Code Civil, un passé, un présent, un avenir ; Béatrice BOURDELOIS, « Lois rétroactives et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.; François-Charles BERNARD, « Les validations législatives, bilan et perspectives », in La loi, Catherine PUIGELIER (Dir.) , économica, 2005

* 190  : Jean-Luc AUBERT, « Introduction au droit », n°108

* 191  : Civ. 3ème, 1er février 1984, Bull. civ. III, n°25

* 192  : Civ. 23 décembre 1845, Civ. 2ème, 16 juin 1961, Bull. civ. II, n°470

* 193 Crim., 12 janvier 2000, Bull. crim., n°20

* 194  : Pascale DEUMIER, « Lois interprétatives, d'une scission à l'autre », RTD civ., Juillet/Septembre 2004, p.603

* 195  : Ass. Pl., 23 janvier 2004, Bull. A.P. n°2

* 196  : Pascale DEUMIER, « Lois interprétatives, d'une scission à l'autre » précité

* 197  : ROUBIER Paul, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz, 2ème édition, p.245 et s.

* 198  : Patrick MORVAN lui-même admet d'ailleurs que « Certes, il est une différence notable entre la rétroactivité de la loi et celle de la jurisprudence. Le législateur qui modifie les règles du jeu en cours de procès agit délibérément dans ce but, témoignant ainsi d'une déloyauté répréhensible ; ce faisant, il transgresse le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. A l'inverse, le juge qui opère un revirement n'est a priori animé que d'une volonté de promouvoir une solution conforme au droit, à la justice ou, simplement, à sa politique judiciaire ; ce faisant, il agit dans le cadre de son pouvoir juridictionnel. Il est indéniable, à cet égard, que « l'évolution de la jurisprudence relève de l'office du juge dans l'application du droit » (Civ. 1re, 21 mars 2000, ). Nulle immixtion dans la sphère législative ou violation de la séparation des pouvoirs (en sens inverse du législateur) n'en résulte, à défaut d'arrêt de règlement véritable au sens de l'article 5 du code civil. La rétroactivité, qui est une faute pour le législateur, relève de l'office naturel du juge et participe donc, en principe, de son devoir. » (« 
Le sacre du revirement prospectif sur l'autel de l'équitable » Recueil Dalloz 2007 p. 835)

* 199  : CEDH, 24 avril 1990, KRUSLIN c. France, Grands arrêts n°5

* 200  : CEDH, MARCKX c. Belgique ; CJCE, 8 avril 1976, DEFRENNE c. SABENNA

* 201  : Pascale DEUMIER, « Lois interprétatives, d'une scission à l'autre » précité

* 202  : Pascale DEUMIER, « Lois interprétatives, d'une scission à l'autre » précité

* 203  : Patrick MORVAN, « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz,2005, n°4, p.247

* 204  : Rapport MOLFESSIS, p.13

* 205  : Pourvoi n° 04-10101

* 206  : Sur cette question, voir également Patrick MORVAN « En droit, la jurisprudence est source de droit », RRJ 2001-1, p.77 et Antoine BOLZE, « La norme jurisprudentielle et son revirement en droit privé », RRJ 1997.3, p.855

* 207  : Pascale DEUMIER, « Le formation de la jurisprudence vue par elle-même », RTD civ. Juillet/septembre 2006, p.521

* 208  : Civ. 1ère,k 25 novembre 1997, Bull. civ. , IV, n°328

* 209  : Pascale DEUMIER, « Le formation de la jurisprudence vue par elle-même » précité

* 210  : Civ. 1ère, 9 octobre 2001 précité

* 211  : Jean-Luc AUBERT, La responsabilité civile professionnelle des notaires, LPA, 11 juin 2002 n° 116, P. 9

* 212  : Civ. 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426

* 213  : Ass. Pl. 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20493

* 214  : Christophe Bigot, « Atteinte à la présomption d'innocence : changement du régime de la prescription », Dalloz 2004 p. 2956

* 215  : Christophe Bigot, « Atteinte à la présomption d'innocence : changement du régime de la prescription » précité

* 216  : Civ. , 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717

* 217  : Civ. 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426 précité

* 218  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 219  : Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » , Recueil Dalloz 2007 p. 124

* 220  : Sur cette question, voir notamment Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 221  : Le mot logique n'a pas pour but, ici de manifester notre attachement à cette thèse. Comme nous l'avons dit, nous tentons d'expliquer les différentes thèses, pas de la départager selon leurs mérites. Ici, nous estimons simplement que, pour la Cour, il s'agit plus d'un principe logique que d'un principe de droit

* 222  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 223  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996

* 224  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 225  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 226  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996 ;

* 227  : CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 228  : CEDH, Sunday Times, 26 avril 1979

* 229  : CEDH, MALONE, 2 août 1984

* 230  : CEDH, KRUSLIN c. France, 24 avril 1990

* 231  : CEDH, 16 décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE

* 232  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 233  : F.E. c. France, 30 octobre 1998

* 234  : CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 235  : Voir par exemple CEDH, MARCKX c/ Belgique, 13 juin 1979

* 236  : P. ESMEIN, « La jurisprudence et la loi », RTD civ. 1952, p.19

* 237  : Denys de BECHILLON, « Le gouvernement des juges : une question à dissoudre », Dalloz 2002, n°12, p.973, ainsi que « Comment traiter le pouvoir normatif des juges, in Mélanges JESTAZ, p. 29

* 238  : Sur cette question, voir Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.

* 239  : Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du Havre.

* 240  : Voir par exemple Sylvia CALMES, « Sécurité juridique et droits fondamentaux » précité

* 241  : Sur cette question, voir notamment les études réunies et présentées par Bertrand MATHIEU : « Le principe de sécurité juridique », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001

* 242  : Bertrand MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient », in Mélanges GELLARD. Sur cette question, voir également François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit constitutionnel Français », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001, p.67

* 243  : Bertrand MATHIEU, « La sécurité juridique : un principe constitutionnel clandestin mais efficient » précité

* 244  : « L'explication du silence opposé au grief [de sécurité juridique] est évidente : tout d'abord, le concept de sécurité juridique est absent de notre corpus constitutionnel ; ensuite, il pourrait faire croire que les situations juridiques résultant des lois sont définitivement établies et que le législateur ne pourrait les modifier » (François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit constitutionnel Français » précité)

* 245  : Sur le rapport entre ces notions et le concept de sécurité juridique, voir par exemple François LUCHAIRE, « La sécurité juridique en droit constitutionnel Français » précité) ; Pierre MAZEAUD, « La loi ne doit pas être un rite incantatoire », JCP G 2005, n°6, p. 245 ; Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, « Les nouveaux commandements de la production législative », in Mélanges Michel TROPER

* 246  : Voir par exemple Sophie BOISSARD, « Comment garantir la stabilité des situations juridiques individuelles sans priver l'autorité administrative de tous moyens d'action et sans transiger sur le respect du principe de légalité ? Le difficile dilemme du juge administratif », Les cahiers du Conseil Constitutionnel, n°11, 2001, p. 70 ; Antoine CRISTEAU, « L'exigence de sécurité juridique », Dalloz 2002, n°37, p.2814 ; Manuel DELAMARRE, « La sécurité juridique et le juge administratif Français », AJDA 2004, p.186

* 247  : Conseil d'Etat, 24 mars 2006, K.P.M.G. ; Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, Sécurité juridique : la consécration, AJDA 2006 p. 1028

* 248  : Jean-Guy HUGLO, « La Cour de Cassation et le principe de la sécurité juridique »

* 249  : Voir notamment Ass. Pl. , 24 janvier 2003, Evelyne X. et autres c. Association Promotion des handicapés dans le Loiret, Bull, A.P. n°2

* 250  : cf supra 

* 251  : Pourvoi n°03-14717

* 252  : Pourvoi n°01-02073

* 253

_ : Pourvoi n°00-46476

* 254  : Pourvoi n°02-42615

* 255  : Soc. , 7 janvier 2003, précité

* 256  : cf infra 

* 257  : Sur cette question, voir Patrick MORVAN, « Le sacre du revirement prospectif sur l'autel de l'équitable », Dalloz 2007 p. 835

* 258 Yves CHARTIER, « Les revirements de jurisprudence » in L'image doctrinale de la Cour de Cassation, p.149

* 259  : Rapport MOLFESSIS, p. 14

* 260  : Rapport MOLFESSIS, p. 14

* 261  : Guy CANIVET, Nicolas MOLFESSIS, « Les revirements de jurisprudence ne vaudront-ils que pour l'avenir ? » , JCP G 2004, n°51, p.2295

* 262  : Suivant la conception de la norme jurisprudentielle, il s'agira de l'état du droit tel qu'il existait ou tel qu'il était conçu au moment des faits, mais l'essentiel est d'atteindre une certaine sécurité.

* 263  : l'accent est alors mis sur la différence avec la loi, qui, au contraire, n'agit par principe que pour l'avenir, l'exception étant la loi rétroactive, mais surtout cette exception est alors le fruit de la volonté du législateur, et n'est plus possible, étant donnée les condamnations de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, que pour « d'impérieux motifs d'intérêt général »

* 264  : Pierre VOIRIN, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP 1959, I, 1467

* 265  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325

* 266  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 267  : Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement ? », LPA, 04 mai 1994, n°53

* 268  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 269  : Civ. 1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n°00-14564

* 270  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité », in Mélanges Franck MODERNE, p.5

* 271  : Christophe RADE, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence », Dalloz 2005, n°15, p.988

* 272  : Rapport MOLFESSIS, p.14

* 273  : Rapport MOLFESSIS, p.15

* 274  : Sur cette question, l'arrêt rendu par la chambre sociale le 26 janvier 2005 (Droit social mai 2005, n°5, p.567) donne une bonne illustration, même si le moyen fut rejeté en l'espèce : un revirement de jurisprudence avait requalifié contrat de travail la relation contractuelle entre un locataire de véhicule taxi et la société propriétaire. Le pourvoi invoquait, entre autre argument, le coût de ce revirement, qui remettait potentiellement en cause la qualification de tous les contrats conclus par cette société, alors même que ces contrats avaient été conclus au vu et au su des « administrations concernées », et que la qualification n'avait été remise en cause que devant la Cour de Cassation ; la Société affirmait donc ne pas être en mesure, raisonnablement, de prévoir cette remise en cause. La chambre sociale ne s'est pas directement préoccupé de cet argument, se contentant d'expliquer que le moyen, « en ce qu'il se contente d' invoquer une interprétation jurisprudentielle nouvelle, manque en fait ».

* 275  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir » précité

* 276  : Rapport MOLFESSIS, p.15

* 277  : Rapport MOLFESSIS, p.16

* 278  : Max WEBER, « Sociologie du droit », PUF, 1986, p.223

* 279  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité » précité

* 280  : Rapport MOLFESSIS, p.16

* 281  : Pierre SARGOS prend ici l'exemple du marché de l'emploi ; mais on aurait pu penser également au droit de la consommation ou au contrat d'adhésion, par exemple

* 282  : « aff. 397/01 à 403/01 PFEIFFER C ; Deutsches Rotes Kreuz Kreibverband Waldshut, n°82 »

* 283  : Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit (libres propos sur le « rapport sur les revirements de jurisprudence », Droit social, février 2005, n°2, p.123

* 284  : Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 285  : On peut toutefois, sur ce point précis, rapprocher cette idée de la problématique des conflits de lois dans le temps telle que théorisée par Jean-Luc AUBERT (Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit civil, Armand COLLIN, p.93) : l'auteur relève « trois perspectives d'appréciation du problème de l'étendue de la loi nouvelle » : celle de l'opportunité (« si le législateur a cru bon d'établir un régime juridique nouveau, c'est sans doute parce que le précédent était jugé déficient. En bref, la loi nouvelle est jugée meilleure que celle qu'elle doit remplacer. Il est donc raisonnable, et souhaitable, qu'elle s'y substitue le plus rapidement et le plus complètement possible. C'est une condition du progrès social ») , celle de l'égalité, qui incitent à donner à la loi nouvelle le plus grand champ d'application possible, et celle de la sécurité juridique, qui, au contraire, vient limiter cette tentation (« la règle de droit - et donc la loi - est destinée à organiser la vie sociale et à établir des rapports harmonieux et stables entre ceux qui l'animent. Il y a là une considération qui milite puissamment contre la tentation qui vient d'être évoquée, c'est-à-dire contre une remise en cause rétroactive situations acquises conformément à la loi antérieures. Quelle harmonie sociale pourrait-on attendre d'une loi dont la stricte observance ne mettrait pas à l'abri d'un remaniement des solutions qu'elle consacre ? Sans compter que la révision des situations antérieurement acquises peut susciter des difficultés pratiques malcommodément surmontables. »)

Quelle que soit sa valeur, l'argument n'est donc pas nécessairement disqualifié d'après ce point de vue, mais la conclusion qu'on peut tirer de cette comparaison est qu'il ne faut pas perdre de vue la nécessité de concilier plusieurs impératifs lors d'un changement de normes. Cependant, ce problème disparaît dans l'optique de la norme précaire telle que théorisée par Jean-Luc AUBERT (cf supra) : la norme jurisprudentielle est une norme différente de celle développée par le législateur, les solutions concernant l'étendue de son champ d'application ne sont pas nécessairement les mêmes.

* 286  : cf supra

* 287  : « La responsabilité civile », in Rapport Annuel de la Cour de cassation pour l'année 2001

* 288  : « Le droit du travail et de la sécurité sociale », in Rapport Annuel de la Cour de cassation pour l'année 2003

* 289  : Alain HERVIEU, « Observations sur l'insécurité de la règle jurisprudentielle » précité

* 290  : Pierre-Yves GAUTIER, « rétroactivité de la jurisprudence et arrêts de règlement : au sujet de la contrepartie à la clause de non concurrence » , RTD civ. , Janvier/mars 2005, p.159

* 291  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 292  : BICC, n°562, 15 septembre 2002 ; Dalloz 2002, jur. P.2491

* 293  : Ce thème peut d'ailleurs être rattaché aux « infirmités jurisprudentielles », et en particulier à l'idée que la jurisprudence bute sur des obstacles formalistes, comme l'impossibilité d'exiger ou d'autoriser de telles régularisations à l'occasion d'un revirement de jurisprudence ; on pourra également faire un parallèle avec l'évolution en cours devant le Conseil d'Etat, vers des efforts en matière de « pédagogie » : le Conseil d'Etat, depuis les arrêts TITRAN, VASSILIKIOTIS, et AC !, a en effet développé son pouvoir d'injonction de façon à pouvoir réformer les actes susceptibles d'annulation, voire de façon à pouvoir donner des instructions à l'administration pour la bonne exécution du jugement. Or, c'est justement devant ce type de difficultés que le Conseil d'Etat a entrepris de développer ce pouvoir. Sur cette question, voir notamment Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le temps d'une annulation pour excès de pouvoir », AJDA 14 juin 2004, p.1183

* 294  : Christophe RADE, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence » précité

* 295  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 296  : Christian MOULY, « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ?, Les petites affiches, 18 mars 1994, n°33, p.15

* 297  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir » précité

* 298  : Pierre VOIRIN, Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité ; il admet toutefois que « dans les deux cas, la sécurité des justiciables est ébranlée. »

* 299  : Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement » précité

* 300  : Rapport MOLFESSIS, p.18

* 301  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité » précité

* 302  : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle, AJDA 1968, p.15

* 303  : Civ., 1ère, 9 octobre 2001, pourvoi n° 00-14564

* 304  : Rapport MOLFESSIS, p.17

* 305  : Rapport MOLFESSIS, p.17

* 306  : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

Sur cette question, voir également Petr MUZNY, « Quelques considérations en faveur d'une meilleure prévisibilité de la loi », Dalloz 2006, n°32, p.2214

* 307 : Sur cette question, voir notamment Bertrand MATHIEU, « Les rôles du juge et du législateur dans la détermination de l'intérêt général », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 308  : Dalloz 2000, n°28, p.593

* 309  : Christian ATIAS, « Nul ne peut prétendre au maintien d'une jurisprudence constante, même s'il a agi avant son abandon, Dalloz 2000, n°28, p.593 ; sur cette question, voir aussi Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité » précité

* 310  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale », in Rapport MOLFESSIS, p.95

* 311  : L'idée d'un revirement de jurisprudence rétroactif, comparable à la loi rétroactive, est nouvelle en droit pénal, matière où le rôle créateur du juge est jugé particulièrement dangereux. Les premières études en la matière sont récentes. Didier REBUT n'en cite que deux : G.X. BOURIN, « échec aux conséquences funestes des revirements en droit pénal ? », Gaz. Pal., 1995.1, p.599 ; M.-C. SORDINO, « La protection de la personne poursuivie en cas de modification de la législation pénale », in Droits et libertés fondamentaux, 9e éd. , Dalloz, 2003, p.489

* 312  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité, p. 97

* 313  : En paraphrasant Didier REBUT, on expliquera que les lois pénales de fond sont celles qui affectent les éléments constitutifs ou la répression d'une infraction, tandis que les lois pénales de forme sont celles qui concernent la procédure ou la prescription

* 314  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.96

* 315  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.98

* 316  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.98

* 317  : Crim, 14 novembre 2000, Bull. crim., n°338

* 318  : Voir notamment les affaires C.R. c. Royaume-Uni, S.W. c. Royaume-Uni, CANTONI ; cf supra

* 319  : Crim ;, 30 janvier 2002, Bull. crim., n°16 : « Attendu qu'en l'absence de modification de la loi pénale, et dès lors que le principe de non-rétroactivité ne s'applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle, le moyen est inopérant. »

* 320  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.100

* 321  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.102

* 322  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.103

* 323  : Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801

* 324  : Didier REBUT « Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité p.103

* 325  : En ce sens, voir notamment Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit (libres propos sur le « rapport sur les revirements de jurisprudence » précité

* 326  : En ce sens, voir notamment, Béatrice BOURDELOIS, « Lois rétroactives et droits fondamentaux » précité.et Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 327  : Civ. 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°01-10426

* 328  : Philippe THERY, « A propos d'un arrêt sur les revirements de jurisprudence ou comment faire un omelette sans casser les oeufs », RTD civ., Janvier/Mars 2005, p.176

* 329  : Civ. , 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 03-14717

* 330  : Civ. 2ème 8 juillet 2004, pourvoi n° 01-10426

* 331  : Comme l'explique par exemple Christophe Bigot : « Atteinte à la présomption d'innocence : changement du régime de la prescription » précité

* 332  : Crim. 30 janvier 2002, Bull. crim.n°16 ; Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801

* 333  : Patrick MORVAN, « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, n°4, p.247

* 334  : Civ. 2ème, 8 juillet 2004, pourvoi n°03-14717

* 335  : Ass. Pl. , 21 décembre 2006, pourvoi n°00-20493 : « si c'est à tort que la cour d'appel a écarté le moyen de prescription alors qu'elle constatait que Mme X... n'avait accompli aucun acte interruptif de prescription dans les trois mois suivant la déclaration d'appel faite par les parties condamnées, la censure de sa décision n'est pas encourue de ce chef, dès lors que l'application immédiate de cette règle de prescription dans l'instance en cours aboutirait à priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge »

* 336  : Voir par exemple les affaires Centéa (pourvoi n°05-11966) et La Briocherie (pourvoi n°05-17960) , que nous avons déjà évoqué dans la Section I, rendues le même jour.

* 337  : Crim. 5 mai 2004 précité

* 338  : Civ. 1ère, 9 mai 2001 précité

* 339  : Soc. 17 décembre 2004, pourvoi n°03-40008

* 340  : Crim. 30 janvier 2002, Bull. crim.n°16 ; Crim., 5 mai 2004, pourvoi n°03-82801

* 341 CEDH, MARCKX c/ Belgique, 13 juin 1979

* 342  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 343  : Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 344  : Sur cette question, voir notamment Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 345  : Le mot logique n'a pas pour but, ici de manifester notre attachement à cette thèse. Comme nous l'avons dit, nous tentons d'expliquer les différentes thèses, pas de la départager selon leurs mérites. Ici, nous estimons simplement que, pour la Cour, il s'agit plus d'un principe logique que d'un principe de droit

* 346  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 347  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996

* 348  : CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 349  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 350  : CEDH, 24 Avril 1990, KRUSLIN c. France

* 351  : GEOUFFRE De La PRADELLE c. France

* 352  : CEDH,C.R.. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995

* 353  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996 ; CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 354  : Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 355  : Voir par exemple CEDH, MARCKX c/ Belgique, 13 juin 1979

* 356  : CEDH, 2 août 1984, MALONE

* 357  : Cons. Const. 19-20 janvier 1981, Loi « Sécurité et liberté », décis. n°80-127 DC

* 358  : Cons. Const. 16 décembre 1999, décis. n°99-421 DC

* 359  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 360  : CEDH, Sunday Times, 26 avril 1979

* 361  : CEDH, MALONE, 2 août 1984

* 362  : CEDH, KRUSLIN c. France, 24 avril 1990

* 363  : CEDH, 16 décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE

* 364  : Patrick MORVAN, « En droit, la jurisprudence est une source du droit » précité

* 365  : BELLET c. France, 4 décembre 1995 ; F.E. c. France, 30 octobre 1998, affaires citées par Patrick MORVAN dans son article « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon » précité

* 366  : affaire PESSINO, paragraphe 30

* 367  : affaire PESSINO, paragraphe 32

* 368  : C.R. c. Royaume-Uni, paragraphe 34

* 369 Affaire PESSINO ; la condition était déjà présente dans l'affaire CANTONI

* 370  : Damien Roets « La non-rétroactivité de la jurisprudence pénale in malam partem consacrée par la Cour européenne des droits de l'homme » précité

* 371  : Olivier DUPEYROUX, La doctrine Française et le problème de la jurisprudence source de droit », in Mélanges MARTY

* 372  : Civ., 1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982

* 373  : Christian MOULY: « Le revirement pour l'avenir », JCP G 1994, n°27, p.325 ; « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994, n°33, p.15 ; « comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et de revirement », Les petites affiches, Les petites affiches, 4 mai 1994, n°53

* 374  : Yves-Marie SERINET, « Par elle, avec elle et en elle ? La Cour de Cassation et l'avenir des revirements de jurisprudence », RTD civ., avril/juin 2005, p. 328

* 375  : Rapport MOLFESSIS, p. 41

* 376  : Yves-Marie SERINET, « Par elle, avec elle et en elle ? La Cour de Cassation et l'avenir des revirements de jurisprudence » précité

* 377  : P. VOIRIN, « Le vieillissement du Code civil », dans Annales Universitatis Saraviensis, 1955, p.68

* 378  : Pierre VOIRIN, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP 1959, I, 1467

* 379  : Paul ROUBIER, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz, 2ème édition p. 244 

* 380  : « Entre 1821 et 1830, le nombre moyen de pourvois par an a été de 570 en matière civile et de 1500 en matière criminelle, donnant lieu à la publication d'une centaine d'arrêts au Bulletin civil (97) et de près de 200 (193) au Bulletin criminel. Schématiquement la haute juridiction de l'ordre judiciaire était dimensionnée et structurée pour recevoir 2000 recours par an et prononcer 300 arrêts significatifs. Il n'est pas douteux qu'à l'origine, son organisation était parfaitement adaptée à sa fonction. » Le nombre des pourvois, par la suite, a connu une augmentation continue : « en 1947, le nombre des pourvois était déjà de 4143 en matière civile et de 3000 en matière criminelle. En 1960, il était de 5700 en matière civile et de 5000 en matière criminelle. En 2000, il est passé à 21000 en matière civile et à 9000 en matière criminelle. » (Guy CANIVET, « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa jurisprudence, », in La Cour de Cassation et l'élaboration du droit, p.4)

* 381  : cf supra

* 382  : Denys de BECHILLON, « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle en matière de responsabilité », in Mouvements du Droit public : du Droit administratif au Droit constitutionnel, du Droit Français aux autres droits, Mélanges en l'honneur de Franck MODERNE, p.5

* 383  : Denys de BECHILLON « De la rétroactivité de la règle jurisprudentielle » précité

* 384  : G-X BOURIN, « échec aux conséquences funestes des revirements en droit pénal ? », Gaz. Pal. 1995.1, p.599

* 385  : G-X BOURIN, « échec aux conséquences funestes des revirements en droit pénal ? » précité

* 386  : G-X BOURIN, « échec aux conséquences funestes des revirements en droit pénal ? » précité

* 387  : Xavier LAGARDE, « Brèves réflexions sur les revirements pour l'avenir », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 388  : Civ. 1ère, 21 mars 2000, pourvoi n° 98-11982

* 389  : Xavier LAGARDE, « Brèves réflexions sur les revirements pour l'avenir » précité

* 390  : «Didier REBUT, «  Les revirements de jurisprudence en matière pénale » précité

* 391  : Xavier LAGARDE, « Brèves réflexions sur les revirements pour l'avenir » précité

* 392  : Horatia MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : système de common law », in Rapport MOLFESSIS, p.53

* 393  : Horatia MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : système de common law », in Rapport MOLFESSIS, p.59

* 394  : Horatia MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : système de common law », in Rapport MOLFESSIS, p.53

* 395  : Rapport MOLFESSIS, p.23

* 396  : CJCE, 8 avril 1976, DEFRENNE c. SABENA

* 397  : CJCE, 27 mars 1980, DENKAVIT

* 398  : Frédérique FERRAND, « La rétroactivité des revirements de jurisprudence et le droit Allemand », in Rapport MOLFESSIS, p.82

* 399  : CJCE, 8 avril 1976, DEFRENNE c. SABENA

* 400  : Rapport MOLFESSIS, p.23

* 401  : Rapport MOLFESSIS, p.23

* 402  : Rapport MOLFESSIS, p.24

* 403  : Rapport MOLFESSIS, p. 26

* 404  : Rapport MOLFESSIS, p. 26

* 405  : Nicolas CHARBIT, « La limitation de l'effet rétroactif des arrêts par le juge communautaire », in Rapport MOLFESSIS, p. 78

* 406  : Horatia MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : système de common law », in Rapport MOLFESSIS, p.64

* 407  : Horatia MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : système de common law », in Rapport MOLFESSIS, p. 66

* 408  : Rapport MOLFESSIS, p. 28

* 409  : Rapport MOLFESSIS, p. 29

* 410  : Horatia MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : système de common law », in Rapport MOLFESSIS, p.70 ; Cette idée, sur laquelle nous reviendrons plus tard, nous permet à présent de souligner une limite de la proposition de moderniser le référé législatif que nous évoquions précédemment : ce référé législatif ne permettrait pas d'ôter au contentieux la dimension utilitariste, voire politique, à laquelle aboutirait la prise en compte des effets des décision. Bien au contraire, la solutions aboutit, comme l'écrivait le Doyen ROUBIER, à « remettre la solution des litiges les plus importants à un organisme politique, qui n'avait aucune des qualités auxquelles les parties peuvent tenir chez un juge ». Le remède est intéressant, mais ne concerne que la question de la légitimité de celui qui aménage l'apparition de la norme dans l'ordonnancement juridique ; il ne permet pas d'éviter l'apparition d'une dimension utilitariste, voire politique dans le litige

* 411  : Rapport MOLFESSIS, p.27

* 412  : Rapport MOLFESSIS, p.27

* 413  : Frédérique FERRAND, « La rétroactivité des revirements de jurisprudence et le droit Allemand », in Rapport MOLFESSIS,p.90

* 414  : Pascale DEUMIER et Rafaêl ENCINAS DE MUNAGORRI, « Faut-il différer l'application des règles jurisprudentielles nouvelles ? Interrogations à partir d'un rapport. », RTD civ. Janvier/Mars 2005, p.83

* 415  : Jean-Bernard AUBY, « La globalisation, le droit et l'Etat », Montchrestien, 2003, p.78

* 416  : Fabrice MELLERAY, « Réjouissant mais déroutant », RTD civ. Avril/Juin 2005, p.318

* 417  : CE Ass., 11 mai 2004, n°255886

* 418  : Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le temps d'une annulation pour excès de pouvoir », AJDA 2004, p.1183.

* 419  : Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le temps d'une annulation pour excès de pouvoir » précité

* 420  : CE Sect. 10mars 2006, Société Leroy Merlin, n°278220 ; Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, « Quand l'exposition de la théorie de l'obligation de recours administratif préalable cache la question de la rétroactivité des revirements de jurisprudence », AJDA 2006, p.796

* 421  : Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le temps d'une annulation pour excès de pouvoir » précité

* 422  : Jacques-Henri STAHL et Anne COURREGES, « Note à l'attention de M. le Président de la section du contentieux », document reproduit en annexe du Rapport MOLFESSIS, p.105

* 423  : « la question des effets dans le temps des annulations contentieuses n'excède pas le pré carré juridictionnel et ne concerne que la maîtrise par le juge du dispositif de ses décisions. Comme telle, elle ne paraît pas subordonnée à une intervention préalable du législateur. »

* 424  : Rapport MOLFESSIS, p.31

* 425  : Rapport MOLFESSIS, p.30

* 426  : Rapport MOLFESSIS, p.30

* 427  : Rapport MOLFESSIS, p.30

* 428  : CE Ass., 11 mai 2004, AC ! précité

* 429  : Rapport MOLFESSIS, p.31

* 430  : Rapport MOLFESSIS p. 30

* 431  : Rapport MOLFESSIS p. 31

* 432  : Com., 12 avril 1988, Bull. civ. IV, n°130

* 433  : Civ. 1ère, 9 février 1988, Bull. civ. I, n°34

* 434  : Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement ? » précité

* 435  : Christian MOULY, « Le revirement pour l'avenir » précité

* 436  : Com. 21 novembre 1989, Bull. civ. IV n°292

* 437  : Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement ? » précité

* 438 Soc. 26 janvier 2005, Droit social mai 2005, n°5, p.567

* 439  : Rapport MOLFESSIS, p.34

* 440  : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle » précité

* 441  : « Dès lors que la portée créatrice de ses décisions est admise, on doit en prendre acte pour envisager dans quelle mesure l'effet rétroactif qui y est attaché est, ou non, source d'insécurité juridique. C'est à cette seule condition qu'il sera éventuellement possible d'y porter remède. Ainsi, le groupe de travail a-t-il que la fiction de l'absence d'effet créateur de droit de la décision de revirement faisait obstacle, par hypothèse, à toute possibilité de remédier aux inconvénients qui pourraient y être attachés et que la seule possibilité d'améliorer éventuellement un système juridique au sein duquel la jurisprudence joue un rôle prépondérant est de reconnaître l'existence d'un tel rôle pour en permettre l'aménagement. » (Rapport MOLFESSIS, p.12) ; le Rapport avait déjà admis qu' « admettre à la fois qu'elle a un effet rétroactif et qu'elle constitue une règle nouvelle oblige nécessairement, par comparaison avec la règle législative mais sans assimilation, à maîtriser son insertion dans le droit positif » (Rapport MOLFESSIS, p.8) .

Plus loin le rapport se défendait d'ailleurs de vouloir instaurer un nouveau règne de la jurisprudence : « Le Groupe de travail tient à ajouter qu'une éventuelle modulation dans le temps de la décision de revirement ne revient pas, contrairement à ce qui est parfois craint - et comme en témoigne d'ailleurs l'opinion émise par certains des organismes professionnels consultés -, à empêcher l'application du « bon » droit à la situation jugée. Sans aucun doute, s'il y a revirement, c'est que le juge estime l'interprétation nouvelle meilleure que l'ancienne. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il soit juste ou sans inconvénients d'en faire application à des situations qui ont pu se constituer - pour reprendre le langage de ROUBIER - sous l'empire de l'ancienne interprétation. Une chose est l'amélioration du droit que le revirement est censé permettre ; une autre son application rétroactive. » Rapport MOLFESSIS, p.32) ; il ajoutait, plus tard : « que la Cour de cassation crée des règles impose l'aménagement dans le temps de certaines de ses décisions ; ce n'est pas cet aménagement qui lui confère la capacité de créer du droit. L'ordre des causalités ne saurait être inversé. »

* 442  : Paul ROUBIER, Le droit transitoire (conflits des lois dans le temps, Dalloz, 2ème édition

* 443  : Vocabulaire H. CAPITANT sous la dir. De G. CORNU, V. « Revirement »

* 444  : Rapport MOLFESSIS, p.45

* 445  : Catherine PUIGELIER, « Temps et création jurisprudentielle », « Temps et création jurisprudentielle », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89, p.109 et s.

* 446  : François TERRE, « Introduction générale au droit », n°288, cité dans Catherine PUIGELIER, « Temps et création jurisprudentielle », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 447  : Frédéric ZENATI, « La jurisprudence », Dalloz, 1991, p.146

* 448  : Catherine PUIGELIER, « Temps et création jurisprudentielle », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89, p.111

* 449  : Christian ATIAS, « L'ambiguïté des arrêts dits de principe en droit privé », JCP G 1984, I, 3145

* 450  : Christian ATIAS, « Sur les revirements de jurisprudence », RTD civ., Avril/Juin 2005, p.298

* 451  : Catherine PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205

* 452  : Philippe MALAURIE, « Les créations de la doctrine à la création du droit par les juges », Defresnois 1980.32345, n°16, p.870

* 453  : Catherine PUIGELIER, « Le revirement de jurisprudence est-il une erreur ? », in L'erreur, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, PUF, 2007, p.205 ; sur cette question, voir également, du même auteur, « A propos du revirement de jurisprudence en droit du travail », JCP E 2004, p.600, où l'auteur analyse plusieurs revirements de la chambre sociale de la Cour de cassation, expliquant que des mêmes principes, ou des principes aboutissant aux mêmes résultats, sont parfois repris sous des formulations différentes

* 454  : Vincent HEUZE, « A propos du revirement de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 455  : F. RIGAUX, Rapport de synthèse », in L'image doctrinale de la Cour de Cassation, La documentation Française, 1994, p.247

* 456  : Rapport MOLFESSIS, p.45

* 457  : F. Terré, « Rapport de synthèse », in L'image doctrinale de la Cour de cassation, La documentation française, 1994, p. 247 : « Pour que l'on puisse pleinement faire état d'un revirement, il faut supposer que la Cour de cassation abandonne non pas même une solution isolée adoptée précédemment par telle ou telle de ses Chambres, mais une position qu'en termes de jurisprudence, sinon constante, du moins suffisamment établie, elle a retenue dans le passé ».

* 458  : V. DELAPORTE, « Les revirements de jurisprudence de la Cour de Cassation », in L'image doctrinale de la Cour de cassation, La documentation française, 1994, p.160

* 459  : Rapport MOLFESSIS, p.45

* 460  : Rapport MOLFESSIS, p.47

* 461  : Soraya AMRANI MEKKI, « Quelques réflexions procédurales », RTD civ., Avril/Juin 2003

* 462  : Rapport MOLFESSIS, p.47

* 463  : Rapport MOLFESSIS, p.39

* 464  : Rapport MOLFESSIS, p.39

* 465  : Jean-Luc AUBERT, « Faut-il « moduler » dans le temps les revirements de jurisprudence ?...J'en doute ? », RTD civ., Avril/Juin 2005, p.300

* 466  : Voir notamment Christian MOULY, « Comment limiter la rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement ? » , LPA, 4 mai 1994, n°53

* 467  : « La réforme proposée est de portée générale en ce sens que, même si c'est en présence d'un changement de jurisprudence qu'elle trouvera le plus souvent à s'appliquer, le pouvoir conféré à la Cour de Cassation pourra être utilisé en présence d'une jurisprudence nouvelle dans un domaine où la Cour de Cassation n'avait eu encore l'occasion de se prononcer, situation plus fréquente qu'on ne le pense. Limiter ce pouvoir aux seuls cas de revirement soulèverait, en outre, des problèmes de qualification du revirement » (Pour de nouvelles règles d'application dans le temps des décisions de justice », contribution du MEDEF au rapport MOLFESSIS, in Rapport MOLFESSIS, p.145)

* 468  : Pierre VOIRIN, « Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences » précité

* 469  : Xavier BACHELLIER et Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, « Les revirements de jurisprudence », RTD civ., Avril/juin 2005, p.304

* 470  : Rapport MOLFESSIS, p.48

* 471  : Rapport MOLFESSIS, p.48

* 472  : Bérangère LACOMBE, La rétroactivité des revirements de jurisprudence en droit du travail », Mémoire de DEA Droit social, Université MONTESQUIEU Bordeaux IV, Année universitaire 2004-2005, 111 pages, p.58

* 473  : Bérangère LACOMBE, La rétroactivité des revirements de jurisprudence en droit du travail », p.56

* 474  : Philippe MALINVAUD, « A propos de la rétroactivité des revirements de jurisprudence », RTD civ., Avril/Juin 2005, p.312

* 475  ; Rapport MOLFESSIS, p.48

* 476  : Soraya AMRANI MEKKI, « Quelques réflexions procédurales », précité

* 477  : Le rapport, dans cette optique, ajoutait d'ailleurs que « La doctrine, en outre, ne serait ici privée d'aucune prérogative dont elle serait aujourd'hui détentrice : elle ne perdrait rien de son pouvoir de critique sur la solution ainsi adoptée. Bien au contraire. » (Rapport MOLFESSIS p.49

* 478  : Rapport MOLFESSIS, p.32

* 479  : Rapport MOLFESSIS, p.18

* 480  : Rapport MOLFESSIS, p.19

* 481  : Rapport MOLFESSIS, p.19

* 482  : Rapport MOLFESSIS, p.21

* 483  : Pascale DEUMIER et Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI, « faut-il différer l'application des règles jurisprudentielles dans le temps ? Interrogations à partir d'un rapport » précité

* 484  : Patrick Morvan « Le sacre du revirement prospectif sur l'autel de l'équitable », Recueil Dalloz 2007 p. 835

* 485  : Rapport MOLFESSIS, p.32

* 486  : Rapport MOLFESSIS, p.21

* 487  : Rapport MOLFESSIS, p.49

* 488  : Rapport MOLFESSIS, p.39

* 489  : Rapport MOLFESSIS, p.40

* 490  : Rapport MOLFESSIS, p.40

* 491  : Rapport MOLFESSIS, p.40

* 492  : Rapport MOLFESSIS, p.41

* 493  : rapport MOLFESSIS, p.42

* 494 Horatia MUIR-WATT, « La gestion de la rétroactivité des revirements de jurisprudence : systèmes de common law » précité

* 495  : Civ., 2ème, 8 juillet 2004 précité ; Ass. Pl., 21 décembre 2006

* 496  : Jacques-Henri STAHL et Anne COURREGES, « Note à l'attention de M. le Président de la section du contentieux » précité

* 497  : Claire LANDAIS et Frédéric LENICA, « La modulation des effets dans le temps d'une annulation pour excès de pouvoir » précité

* 498  : Gilles LEBRETON, « Droit administratif général », éd. Armand COLLIN, 2000, p.369

* 499  : Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit, libres propos sur le « Rapport sur les revirements de jurisprudence » », Droit social, février 2005, n°2, p.123

* 500  : Bertrand MATHIEU, « le juge et la sécurité juridique : vues du Palais Royal et du Quai de l'Horloge », Dalloz 2004, p.1603

* 501  : François-Charles BERNARD, « Les validations législatives, bilan et perspectives », in La loi, Catherine PUIGELIER (Dir.) Economica, 2005, p.37

* 502  : Sur cette question, voir notamment Denys de BECHILLON, « Le gouvernement des juges, une question à dissoudre », Dalloz 2002, n°12, p.973

* 503  : Rapport MOLFESSIS, p.42

* 504  : même si le Rapport MOLFESSIS a entendu distinguer ses propositions des deux types de théories : « On ne peut abstraitement raisonner ni au regard de la notion de droit acquis ni à partir du concept de situation juridique. » (Rapport MOLFESSIS, p.20)

* 505  : Rapport MOLFESSIS, p.20

* 506  : Pascale DEUMIER et Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI, « faut-il différer l'application des règles jurisprudentielles dans le temps ? Interrogations à partir d'un rapport » précité

* 507  : Jean-Luc AUBERT, « Faut-il « moduler » dans le temps les revirements de jurisprudence ?...J'en doute ? » précité

* 508  : Soc. 17 décembre 2004, pourvoi n°03-40008

* 509  : Sur cette question, voir notamment Christophe RADE, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence », Dalloz 2005, n°15, p.988

* 510  : Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit, libres propos sur le « Rapport sur les revirements de jurisprudence » » précité

* 511  : Christophe RADE, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence » précité

* 512  : Antoine BOLZE, « La norme jurisprudentielle et son revirement en droit privé », RRJ 1997-3, p.855

* 513  : rapport MOLFESSIS, p.36

* 514  : rapport MOLFESSIS, p.37

* 515  : Philippe THERY, « A propos d'un arrêt sur les revirements de jurisprudence ou comment faire une omelette sans casser les oeufs... », RTD civ., Janvier/mars 2005, p.176

* 516  : Soraya AMRANI-MEKKI, « Quelques réflexions procédurales » précité

* 517  : Yves-Marie SERINET, Par elle, en elle, et pour elle ? La Cour de Cassation et l'avenir des revirements de jurisprudence », RTD civ., Avril/Juin 2005, p.328

* 518  : Sur ce point, voir par exemple p.14 : « Les revirements de jurisprudence sont la manifestation de la vie du droit, le signe de son adaptation aux faits. Un droit sans revirement de jurisprudence - à supposer l'hypothèse envisageable, ce qui n'est pas - serait au fond un droit entièrement sclérosé. Comme l'a affirmé Yves Chartier : « les revirements font partie de la Cour de cassation, comme d'ailleurs des autres juridictions. Une jurisprudence qui ne se modifie pas est souvent aussi une jurisprudence qui se dessèche. Que serait devenu le droit de la responsabilité si la Cour de cassation n'avait pas pu adapter aux circonstances du temps les vieux textes du Code civil ? ».

* 519  : le Rapport cite d'ailleurs sur ce point Bernard BEIGNIER« Le danger du revirement de jurisprudence dénoncé parfois par son caractère imprévisible, voire arbitraire, est dans l'ordinaire un bienfait. Un vieil arrêt qui tombe est une branche morte taillée qui fera produire à l'arbre de meilleurs fruits. Donner au juge la liberté du règlement serait lui soustraire celle de régler la loi » (B. Beignier, « Les arrêts de règlement », Droits, n° 9, 1989, p. 45, spéc., p. 49)

* 520  : Sue cette question, voir par exemple Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 521  : Sur ce point, voir par exemple Christian ATIAS, « L'ambiguïté des arrêts dits de principe en droit privé » précité ; Christian ATIAS, « Sur les revirements de jurisprudence » précité ; Catherine PUIGELIER, « D'une approche cognitive de l'arrêt de principe » précité

* 522  : Antoine BOLZE, « La norme jurisprudentielle et son revirement en droit privé » précité

* 523  : Rapport MOLFESSIS, p.37

* 524  : Rapport MOLFESSIS, p.38

* 525  : Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 526  : Jean-Luc AUBERT, « Faut-il « moduler » dans le temps les revirements de jurisprudence ?...J'en doute ? » précité

* 527 Patrick MORVAN, « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon », Dalloz 2005, n°4, p.247

* 528  : Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit, libres propos sur le « Rapport sur les revirements de jurisprudence » » précité ; dans le même sens, voir également Béatrice BOURDELOIS, « Lois rétroactives et droits fondamentaux », étude présentée lors du colloque sur les droits fondamentaux de la personne humaine en 2003 et 2004, organisé par le Groupe de Recherche et d'Etudes en Droit Fondamental, International et comparé de la Faculté des Affaires Internationales du HAVRE.

* 529 : Jean RIVERO, « Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle » précité

* 530 Philippe THERY, « A propos d'un arrêt sur les revirements de jurisprudence ou comment faire une omelette sans casser les oeufs... » précité

* 531  : Soc. 17 décembre 2004 précité

* 532  : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation », in La création du droit par le juge, sous la direction de Jean FOYER, François TERRE et Catherine PUIGELIER, Dalloz, 2007, p.89

* 533  : A. PERDRIAU, « La portée doctrinale des arrêts civils de la Cour de Cassation », Rapport annuel de la Cour de Cassation pour l'année 1990, p.59

* 534  : Christian MOULY, « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? », Les petites affiches, 18 mars 1994, n°33, p.15

* 535  : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme », in La Cour de Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) , Economica, 2004

* 536 : Christian MOULY, « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? » précité

* 537  : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation » précité

* 538  : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme » précité

* 539  : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation » précité

* 540 : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation » précité

* 541  : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme » précité

* 542  : « Pour une motivation plus explicite des décisions de justice, notamment celles de la Cour de Cassation », RTD civ., 1974.487. Une anecdote revient souvent sur ce thème : « Un jour, [M. TOUFFAIT] lit une décision et ne la comprend pas. C'est déjà quelque chose d'assez frappant de penser qu'un des deux plus hauts magistrats de la nation peut ne pas comprendre un arrêt de la Cour de Cassation. M. TOUFFAIT téléphone donc à l'avocat général qui avait présenté des conclusions dans cette affaire pour lui avouer son embarras. Il s'entend répondre : « naturellement, M. le Procureur général, vous ne pouvez pas comprendre cette décision puisque vous ne participiez pas au délibéré » Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation » précité (note 89)

* 543  : Philippe JESTAZ, « une question d'épistémologie (à propos de l'arrêt PERRUCHE), RTD civ. 2001.547

* 544 : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme » précité

* 545  : Jean-Luc AUBERT, « De quelques risques d'une image troublée de la jurisprudence de la Cour de Cassation, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges offerts à Pierre DRAI, p.13

* 546  : « La motivation des décisions constitutionnelles », in La motivation des décisions de justice, p.287

* 547  : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme » précité

* 548  : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme » précité

* 549  : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme » précité

* 550  : Rapport MOLFESSIS, p.33

* 551 : Christian MOULY, « Comment rendre les revirements de jurisprudence davantage prévisibles ? » précité

* 552  : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation » précité

* 553 : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation » précité

* 554  : Horatia MUIR-WATT, « la motivation des arrêts de la Cour de Cassation et l'élaboration de la norme » précité

* 555  : sur cette question, voir Henri BATIFFOL, « Note sur les revirements de jurisprudence », Arch. Phil. Du Droit, 1967, p.335

* 556  : Pascale DEUMIER, « Création du droit et rédaction des arrêts par le cour de cassation » précité

* 557  : Sur cette question, voir Emmanuel TOIS, « La signification des lettres utilisées pour rendre compte de l'étendue de la publication des arrêts de la Cour de Cassation », in Rapport MOLFESSIS, p.139

* 558 Sur cette question, voir notamment Pascale DEUMIER, « Les communiqués de la Cour de Cassation : d'une source d'information à une source d'interprétation », RTD civ., Juillet/Septembre 2006, p.510

* 559  : pour d'autres inquiétudes face à l'utilisation de ces moyens d'information parallèles, voir notamment Rafaël ENCINAS DE MUNAGORRI, « Faut-il annoncer un revirement de jurisprudence par voie de presse ? Propos sur l'autorité du président de la chambre sociale de la Cour de Cassation », RTD civ., Juillet/Septembre 2004, p.590

* 560  : Sur cette question, voir notamment Frédéric ZENATI, « La jurisprudence » précité

* 561  : Emmanuel Lesueur de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service public », in Rapport annuel de la Cour de Cassation pour l'année 2003

* 562 : Emmanuel Lesueur de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service public » précité

* 563  : Emmanuel Lesueur de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service public » précité

* 564  : Emmanuel LESUEUR de GIVRY rappelle d'ailleurs ce problème : « Souvenons-nous quand même que c'est parce que les services des traducteurs étaient proposés aux citoyens romains que les magistrats tenaient pour certain que nul n'était censé ignorer la loi ! » (Emmanuel Lesueur de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service public » précité)

* 565 : Emmanuel Lesueur de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service public » précité

* 566  : Emmanuel Lesueur de Givry, « La diffusion de la jurisprudence, mission du service public » précité

* 567  : « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa jurisprudence ? », in La Cour de Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) , Econimca, 2005, p.3 ; « Vision prospective de la Cour de cassation », conférence prononcée devant l'Académie des Sciences Morales et Politiques le lundi 13 novembre 2006

* 568  : Sur cette question, voir par exemple, Jean-François BURGELIN, : « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa jurisprudence ? », in La Cour de Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) , Econimca, 2005, p.20

* 569  : Sur cette question, voir notamment Guy CANIVET et Jean-François BURGELIN, : « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa jurisprudence ? », in La Cour de Cassation et l'élaboration du droit, Nicolas MOLFESSIS (dir.) , Econimca, 2005

* 570  : Guy CANIVET, « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa jurisprudence ? » précité

* 571  : J. BORE, « La cassation en matière civile », p.4

* 572  : Article 1009-1 du nouveau code procédure civile, décret du 20 juillet 1989

* 573  : Article L.131-6 du Code de l'organisation judiciaire ; sur cette question voir notamment André PERDRIAU, « La loi organique du 25 juin 2001 et la Cour de Cassation, extensoin des « saisines pour avis », possibilité de « non -admission de certains pourvois », JCP G n°37, 12 septembre 2001, p.1657

* 574  : Guy CANIVET, « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa jurisprudence ? » précité, p.10 et 11

* 575  : sur cette question, voir notamment Frédéric ZENATI, « La jurisprudence », Dalloz 1991, p.65 à 76

* 576  : Voir sur cette question Emmanuel TOIS, « La signification des lettres utilisées pour rendre compte de l'étendue de la publication des arrêts de la Cour de Cassation » précité

* 577  : Sur cette question, voir notamment Guy CANIVET, « L'organisation interne de la Cour de Cassation favorise-t-elle l'élaboration de sa jurisprudence ? » précité, spécialement p.16-17, et 18-19

* 578  : Dominique POUYAUD, « Les avis contentieux du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation, la pratique », in Mouvements du Droit public : du Droit administratif au Droit constitutionnel, du Droit Français aux autres droits, Mélanges en l'honneur de Franck MODERNE

* 579  : Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité », JCP G, n°14, 6 avril 2005, p.671

* 580  : Vincent HEUZE, « A propos du rapport sur les revirements de jurisprudence, une réaction entre indignation et incrédulité » précité

* 581  : Pierre SARGOS, « L'horreur économique dans la relation de droit (libres propos sur le « rapport sur les revirements de jurisprudence ») , Droit social, février 2005, n°2, p.123

* 582  : Denys de BECHILLON, « Comment traiter le pouvoir normatif du juge, in Mélanges Philippe JESTAZ, p.29

* 583  : Marie-Anne FRISON-ROCHE, « Le juge et son objet », in Mélanges Christian MOULY, p.21

* 584  : Rapport MOLFESSIS, p.

* 585  : CEDH, KRUSLIN c. France, 24 avril 1990

* 586 : CEDH, 16 décembre 1992, GEOUFFRE De La PRADELLE

* 587  : CEDH, CANTONI c. France, 15 novembre 1996 

* 588  : BELLET c. France, 4 décembre 1995 ; F.E. c. France, 30 octobre 1998, affaires citées par Patrick MORVAN dans son article « Le revirement de jurisprudence pour l'avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le Rubicon » précité

* 589  : CEDH, PESSINO c. France, 10 octobre 2006

* 590  : Aharon BARAK, «A Judge on Judging : The Role of a Supreme Court in a Democracy», The Harvard Law Review, novembre 2002, vol. 116, n°1 (pour la version résumée et traduite en français de cet article : RFDC, 2006, n°66) cité dans

* 591  : j-F BURGELIN et P. LOMBARD, « Le procès de la justice, Plon, 2003, p.134

* 592  : Catherine PUIGELIER et Jerry SAINTE-ROSE, « Critique et justice », in La liberté de critique, sous la direction de Danielle CORRIGNAN-CARSIN, Litec, 2007, p.157






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo