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L'amour comme paradigme de la morale chez Vladimir Jankélévitch

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par Marios KENGNE
Grand séminaire Paul VI-Philosophat de Bafoussam - mémoire de fin de cycle 2002
  

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CHAPITRE IV : PORTEE PHILOSOPHIQUE ET PERSPECTIVE CRITIQUE

Le présent chapitre se veut essentiellement évaluatif. Il est question dans une première articulation de dégager la portée philosophique de la pensée morale du philosophe du Paradoxe de la morale. Il s'agira de relever la primauté que ce philosophe accorde à la morale, et partant du lien qu'il en fait avec l'amour ; il s'agira aussi d'énoncer une revalorisation de cet amour entre les relations interpersonnelles dans le monde contemporain. Ensuite, nous envisagerons d'évoquer succinctement quelques interrogations en rapport avec la morale de Vladimir Jankélévitch.

I. Portée de la pensée morale de Jankélévitch

1. Primauté de la morale

La philosophie, appréhendée d'un point de vue morale, essaye de connaître les raisons de l'agir humain. Elle veut déterminer les limites de cet agir, ses pouvoirs, mais aussi ses devoirs. En ce sens, nous pouvons dire que le comportement moral de l'homme est l'objet privilégié de la quête philosophique. Au chapitre premier, nous avons remarqué que Jankélévitch considérait la problématique morale comme le problème a priori de la philosophie.

En revenant aux Anciens, l'on peut mieux comprendre ce privilège de la philosophie toute orientée vers la conduite et l'agir de l'homme. Il faut dire que la philosophie leur apparaissait déjà comme une discipline importante. Tel est le cas d'Epicure qui invite tous ses contemporains à s'adonner à l'exercice de la pratique philosophique : « Que personne, parce qu'il est jeune, ne tarde à philosopher, ni, parce qu'il est vieux ne se lasse de philosopher ; car personne n'entreprend ni trop tôt ni trop tard de garantir la santé de l'âme. »98(*) En prenant congé des Anciens et en faisant appel aux Contemporains, nous pourrons retrouver une idée analogue chez Paul Ricoeur dans Soi-même comme un autre qui observe que « la vie bonne est ce qui doit être nommé en premier parce que c'est l'objet même de la visée éthique. »99(*) Nous remarquons la nécessité d'accorder un privilège à la vie morale.

C'est dans ce sillage que Jankélévitch construit sa pensée morale. Il ne prétend pas inventer une nouvelle morale car beaucoup d'écoles de la sophia antérieures à lui tels que le stoïcisme, le platonisme, le plotinisme, le christianisme etc. en ont déjà dit l'essentiel. C'est sans doute en ce sens que Bergson affirme : « De tout temps ont surgit des hommes exceptionnels en lesquels cette morale s'incarnait [...] l'humanité avait connu les sages de la Grèce, les prophètes d'Israël [...] C'est à eux que l'on s'est toujours reporté pour avoir cette moralité complète, qu'on ferait mieux d'appeler absolue. »100(*)

Jankélévitch, au-delà d'une morale de l'agir humain, insiste davantage sur une vie morale vécue selon l'ordre du coeur. La morale, il faut non seulement la penser, mais il faut également la vivre. C'est en cela qu' « il dégage une éthique de l'intention, proche de l'éthique chrétienne, qui privilégie l'innocence et la charité, vertus supérieures du don de soi aimant, les plus opposées qui soient la méchanceté, essence du mal. »101(*) La question de la morale est donc au coeur de ce philosophe. D'où les exigences de la morale que nous avons présentées au chapitre deuxième. Pour cet auteur, en effet, une philosophie ne vaudra la peine d'être mise en valeur que dans le cas où elle ne se dérobe pas de son objet essentiel qui est la morale. A cet égard, la raison d'être de la philosophie sera alors dans une certaine mesure, une raison toujours morale. C'est d'ailleurs ce que dit le philosophe dès les premières pages de son ouvrage : « Certes oui, la philosophie en vaut la peine, à condition de ne pas éluder le problème radical de sa propre raison d'être, qui est toujours moral à quelque degré. »102(*) Dans cette perspective, l'on constate que c'est d'abord la question de la morale qui préoccupe ce philosophe. Il est un héritier de ses prédécesseurs dans leur manière d'aborder la philosophie morale. Par exemple, la morale est chez Jankélévitch illustrée par la bonne volonté kantienne (même si Jankélévitch insiste sur l'effectivité de cette volonté en acte), par la pureté de coeur que prône Kierkegaard, et par le désintéressement du pur amour fénelonien considéré comme une charité sans arrière-pensée.

Le discours moral du philosophe du Paradoxe de la morale est un discours tout orienté vers le pur amour. La morale est souvent considérée comme « la théorie ou la doctrine de l'action humaine qui tente d'établir de façon normative la valeur des conduites et de prescrire les règles de conduite qu'il convient dès lors de respecter.»103(*) Beaucoup de philosophes ont appréhendé la morale dans cette optique. Tel est le cas de Kant chez qui la morale se définit comme une théorie de l'obligation c'est-à-dire « une théorie du devoir conçu comme inconditionnel et universel.»104(*) Comme nous l'avons souligné tout à l'heure, Jankélévitch ne prétend pas inventer une nouvelle morale. Il se réfère à ceux qui ont pensé avant lui. Seulement, la moralité, valeur des conduites et des personnes, considérée par rapport à l'idéal moral105(*), ne saurait éluder le concept d'amour chez Jankélévitch. Etre moral c'est aimer son prochain, c'est aimer autrui. Aimer son prochain, c'est accomplir ses devoirs à son égard. A ce niveau, accomplir son devoir ne sera plus simplement vu comme une prescription juridique, mais nécessitera qu'on y imprègne une dimension amoureuse de l'acte moral.

Nous relevons alors une autre dimension de la morale qui est de lier la morale à l'amour. Pour Jankélévitch, un acte posé avec amour sera d'une valeur de vérité plus élevée qu'un acte posé dans la perspective de ne pas enfreindre aux obligations du devoir moral. Cette morale qui vise l'amour du prochain ne doit souffrir d'aucun délai : le devoir moral, c'est d'agir maintenant ou jamais. Il faut aimer autrui quel qu'il soit. Il est alors nécessaire pour le sujet moral d'opérer un certain effacement total de soi pour s'élancer totalement vers autrui qui est en face. Cet engagement de l'homme ne tient compte d'aucune motivation quelconque. Tel est le mérite de Jankélévitch. Il s'agit d'un amour qui est causa sui c'est-à-dire cause de soi. C'est un amour qui vise à la fois l'indigent et le nanti, le marginalisé et même l'ennemi : « Nous aimerions même si la personne aimée n'en vaut pas la peine, bien qu'elle n'en vaille pas la peine, et précisément parce qu'elle n'en vaut pas la peine et surtout parce qu'elle n'en vaut pas la peine. »106(*) Voilà en quoi consiste l'amour chez Jankélévitch : un amour sans cause et sans mesure. Saint Augustin émet une idée analogue quand il affirme que la seule mesure de l'amour c'est d'aimer sans mesure. Et Jankélévitch peut ajouter :

« Le mot excès n'a pas de sens quand il s'agit d'aimer : comme l'amour, l'impératif moral déborde indéfiniment de sa littéralité actuelle. La démesure ne saurait donc faire l'objet d'un interdit quand il s'agit d'amour. »107(*)

Il ressort à ce niveau la dimension sacrificielle de l'amour. On pourrait dire que la devise de l'amour c'est : jamais assez. Nous constatons bien que la morale n'est pas simple soumission à telle loi ou à telle obligation chez Jankélévitch, mais n'est moral chez ce philosophe qu'un acte posé avec amour et un amour qui implique, si nécessaire, le plus grand sacrifice possible. De là, le critère de vérité d'une action sera désormais fonction de l'amour :

« Une vérité sans amour n'est que sécheresse et indifférence, une justice sans charité est un radotage et un sarcasme ; une vérité sans amour n'est que mensonge et mauvaise foi, une justice sans charité est le comble de l'injustice.»108(*)

Nous pouvons donc comprendre qu'au-delà de la bonne volonté dont aura parlé Kant, Jankélévitch insiste sur le fait que l'acte moral doit être sous-tendu par cet élan affectif qui détermine l'agent moral à agir. Au cas échéant, l'acte ne pourra revêtir le trait d'authenticité et sera à cet égard un acte de mauvais aloi. C'est en cela que Jankélévitch accorde le privilège à une vie morale vécue selon l'ordre du coeur. Cependant, l'on peut se demander si cette morale peut pallier aux ravages ou aux problèmes éthiques de l'heure, vu que le monde contemporain paraît être sous la gouverne d'un égocentrisme à outrance.

* 98 _ EPICURE, Lettres et Maximes, Trad. Marcel Conche, Paris, PUF, « Épiméthée », 1987, p. 191.

* 99 _ RICOEUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 203.

* 100 _ BERGSON H., Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 1955, p. 27.

* 101 _ BARAQUIN N., LAFFITTE J., Dictionnaire des philosophes, Paris, Armand Colin, 2002, p. 162.

* 102 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., p. 9.

* 103 _ BARAQUIN N. et alii, Dictionnaire de philosophie, Paris, Armand Colin, 2005, p. 229.

* 104 _ Ibid., p. 229.

* 105 _ JANKELEVITCH V., Le paradoxe de la morale, op. cit., pp. 7-10.

* 106 _ Ibid., p. 47.

* 107 _ Ibid., p. 63.

* 108 _ Ibid., p. 154.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault