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Le travail des enfants au Cameroun: le cas de la ville de Yaoundé (1952-2005)

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par Allamine Mariam
Université de Yaoundé I - Cameroun - Master 2010
  

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II- QUELQUES FORMES DE TRAVAIL DES ENFANTS

Il existe des différences considérables entre les diverses formes de travaux qu'effectuent les enfants. Certains travaux sont difficiles et harassants, d'autres sont plus dangereux, voire moralement répréhensibles. C'est ainsi que certains enfants exercent le premier type de travail qu'ils font essentiellement dans la rue et d'autres se lancent dans la domesticité. Cependant, d'autres sont victimes de beaucoup d'injustice et exercent à travers la capitale du Cameroun, ce qu'on a appelé les `'pires formes de travail des enfants''.

A- LE TRAVAIL DOMESTIQUE ET LE TRAVAIL DANS LA RUE

Le travail des enfants dans la ville de Yaoundé est visible depuis 1992 à travers la domesticité et la rue. Des estimations effectuées en 1997 ont montré qu'environ 5% de la population économiquement active est enfantine. Le travail des enfants est devenu une stratégie de survie des familles pauvres exposées à l'insécurité économique. Ce fait est confirmé par nos informateurs quand ils disent que tous les enfants de la famille doivent contribuer par le commerce ambulant d'une manière ou d'une autre, aux charges de la famille.

1- Le travail domestique

Les enfants sont en général placés dans des familles élargies ou nucléaires, auprès d'amis de la famille qui disposent d'importants moyens financiers, ou appartenant à la moyenne. Dans ce cadre, ils sont recrutés dans des campagnes pour alimenter le secteur de la domesticité dans les centres urbains comme Yaoundé, par le biais d'intermédiaires, d'agents, d'entremetteurs ou des parents ou tuteurs eux-mêmes153(*).

Le travail domestique d'enfants placés dans une autre famille que la leur est un phénomène très courant à Yaoundé. Or, ces enfants placés en servitude domestique sont sans doute les plus vulnérables et les plus exploités. La nature privée et souvent non déclarée de l'embauche de domestiques rend impossible toute mesure du travail infantile dans ce secteur. Mais, il n'est pas exclu que les petits domestiques soient plus nombreux dans la ville154(*). Ce métier est le prolongement de l'activité ménagère exercée à la maison et par conséquent, il emploie une majorité de filles, mais on peut également trouver des petits garçons domestiques.

Dans un cadre très pratique, on identifie dans des domiciles privés, des jeunes filles et des jeunes garçons venus de tous les coins du Cameroun et même d'ailleurs exerçant comme boys ou bonnes. Leurs tâches consistent à faire le ménage, la vaisselle, la lessive, la garde des enfants, la cuisine et l'ensemble des commissions extra dominicales de la famille (marché, règlement des diverses factures...)155(*). Un exemple illustrant parfaitement la domesticité infantile: une jeune fille de 12 à 13 ans doit s'occuper des enfants de son patron, les laver, les habiller, les nourrir, et les conduire à l'école. C'est elle qui doit faire la cuisine, nettoyer la maison, faire la lessive de toute la famille ainsi que la vaisselle.

Photo n°3 : Fillettes domestiques.

Source : Photo ILO, 1996.

Un jeune garçon a confié à des enquêteurs : `'Je commence dés le matin par la vaisselle, le ménage et je lave la voiture du patron...''156(*).

Il est à noter que le recours à la main-d'oeuvre infantile dans la domesticité ne fait l'objet d'aucune réglementation et échappe de ce fait à tout contrôle. C'est dans ce sens que les patrons commettent des abus de diverses natures dans un cercle fermé où l'enfant ne dispose : `'Ni de recours, ni de secours''157(*). Quelle situation misérable et infernale pour un enfant de voir les travaux ménagers se muer en un véritable enfer, torture et calvaire ?

Les enfants sont placés dans des familles comme domestiques dans des conditions déplorables et sont victimes de nombreuses privations. Les enfants qui travaillent comme domestiques dans des conditions abominables, sont envoyés par leurs parents dans les villes pour travailler et non pour se faire exploiter et maltraiter.

Photo n°4 : Jeune employée domestique.

Source : ILO photo, 1996.

En aucun cas, les parents pauvres ne laisseraient leurs enfants travailler dans ces conditions s'ils étaient au courant de celles-ci158(*). L'ensemble de ces tâches se fait parfois à partir de 5 heures du matin comme nous l'a confié l'un de nos informateurs. Les enfants domestiques avouent qu'ils retrouvent leurs lits à partir de 22 heures. A Yaoundé également, on retrouve certains enfants qui se couchent à minuit. Il ressort de ce qui précède que la durée moyenne de travail de l'enfant domestique est de 106 heures par semaine comparativement à la durée de travail du camerounais qui est de 40 heures par semaine. Combien valent toutes ces heures de travail ? Il faut dire que la rémunération dépend de plusieurs paramètres. Ce qui peut justifier sa variation. La fourchette salariale est située entre 5.000 et 40.000fcfa comme l'indique le tableau n°18159(*) :

Tableau n°18: Montant des salaires déclaré par les enfants en FCFA.

Montant (fcfa)

Effectifs

%

5.000

3

14,3

10.000

5

23,8

15.000

3

14,3

20.000

4

19

25.000

4

19

30.000

1

4,8

40.000

1

4,8

Total

21

100

Source : `'La traite des enfants à des fins d'exploitation de leur travail au Cameroun'', Genève, BIT-IPEC, 2005, p.40.

De ce tableau, il ressort que le salaire moyen de l'enfant oscille entre 20.000 FCFA et 25.000 FCFA. Mais dans la pratique, l'enfant ne reçoit qu'une somme symbolique car les patrons usent de toutes les ruses pour retrancher leur argent. Comme prétexte, le patron peut retirer du salaire les frais d'hébergement, de nutrition, de dommages causés par l'enfant en cas de maladresse, de frais médicaux... Les enfants sont souvent très mal payés voire pas du tout rémunérés. Parfois, ils travaillent pendant de très longues heures et sont payés en nature (nourriture) seulement160(*). Le plus souvent, leurs conditions de travail dépendent entièrement de l'employeur, au mépris de leurs droits : ils sont privés d'école, de jeu et d'activité sociale, ainsi que du soutien psychologique de leur famille. Qui plus est, ils sont régulièrement confrontés à la violence physique et aux abus sexuels.

2- Le travail dans la rue

Le travail dans la rue concerne deux catégories d'enfants : ceux qui ont un domicile et qui ne mènent leurs activités que dans la rue et ceux qui vivent dans la rue en y menant des activités de subsistance. Le phénomène des enfants de la rue et dans la rue est essentiellement urbain. Les études menées par le MINAS, estiment à un millier, le nombre des enfants de la rue à Yaoundé161(*).

Le nombre d'enfants qui travaillent uniquement dans la rue devient croissant pendant les vacances. A cette période de l'année, notamment entre le mois de juin et celui de septembre, on ne peut parcourir 1 km sans rencontrer des dizaines d'enfants qui mènent toutes sortes d'activités économiques. Les enfants qui travaillent dans la rue s'adonnent généralement au commerce ambulant.

Photo n°5 : Vente ambulante effectuée par les enfants à Yaoundé.

Source : Clichés réalisés par nos soins.

Voici un répertoire inexhaustible d'activités commerciales effectuées par les enfants: le colportage et la vente des marchandises diverses, le transport des stupéfiants, la vente de journaux ou brochures, le cirage des chaussures, la mendicité, le lavage des voitures, la livraison des marchandises aux panneaux de signalisation. Le poids d'un large plateau d'arachides qu'un enfant porte sur la tête l'écrase pratiquement. Le visage plein de sueur, les lèvres sèches et les vêtements sales, Thomas M. âgé de 11 ans, rode devant le magasin Score à Yaoundé, sous un soleil écrasant. Il hèle les passants à qui il propose ses arachides avec un argument commercial convaincant : `'ce sont les arachides du village'', argumente-t-il à ses clients. Lorsque le feu est rouge, l'élève du CM2 au Centre administratif, écrasé par le poids de sa charge, court péniblement vers les automobilistes pour leur proposer sa marchandise. Et le manège se poursuit toute la journée.

Comme Thomas, ils sont plusieurs centaines, les enfants qui, à la faveur des vacances, investissent les rues de Yaoundé ainsi que les marchés. On les voit, filles comme garçons, dont l'âge varie entre 8 et 17 ans, toute la journée, déambuler entre les voitures, risquant quelques fois de se faire renverser par des automobilistes agacés. Ils proposent, qui, des plastiques, qui, des chewing-gums, des bonbons, des plantains à la braise, etc.

D'autres déambulent les rues en proposant leurs services dans les laveries, le portage dans les sites de ravitaillement en produits, les marchés, la gare ferroviaire de Yaoundé et les agences de voyages telles que `'Central voyages'', `'Garantie express'', `'Amour mezam'', pour ne citer que celles-là.

Photo n°6 : Fillette vendeuse ambulante dans la rue.

Source : ILO Photo, 1996.

Marie Morelle le confirme en ces termes : `'De nombreux enfants portent les bagages des voyageurs et les colis des commerçants...''162(*).

Cette tâche procure environ 500 à 2.000 FCFA. Cette variation dépend du poids et du nombre des colis et aussi de la capacité financière de son propriétaire. Dans les marchés, ils portent les achats des ménagères163(*). Certains se servent de leurs têtes et de leur dos. D'autres louent des brouettes et s'en servent pour apaiser leurs fardeaux.

Photo n°7 : Enfant transportant des colis à l'aide d'une brouette.

Source : Cliché réalisé par nos soins.

Cette activité génère un revenu qui dépend de la distance à effectuer et du poids des colis. Au cours de nos investigations, il ressort qu'un colis porté peut générer 50 à 800 FCFA. Mais la moyenne générale du revenu est de 2.000 à 3.000 FCFA par jour.

Dans les rues de la capitale, ils sont généralement des vendeurs ambulants pour le compte d'un commerçant ou des parents. Ils lavent et gardent les voitures. Certains trouvent leurs patrons dans les grandes surfaces les plus visitées de la ville164(*). Aussi, s'alarme jean Youana lorsqu'il s'interroge :

A travers Yaoundé, ne rencontre- t-on pas partout des enfants âgés de moins de treize ans (dommage) travailler dans les restaurants ou laveurs de voitures sans souffrir d'aucune réelle concurrence ?165(*)

Photo n°8 : Enfants vendant dans la rue à Yaoundé.

Source : Cliché réalisé par nos soins.

Toutes ces illustrations attestent de l'intensification du travail des enfants dans la rue. Les résultats des enquêtes sur les revenus des enfants doivent être fortement nuancés. Il faut avouer qu'il est très difficile pour ces enfants de rentrer avec une somme supérieure ou égale à 5.000 FCFA par jour. Ce fait peut être justifié par leur vulnérabilité et ils sont exposés à toutes les menaces dans les immenses rues de Yaoundé. De manière générale, un enfant qui travaille gagne au maximum le tiers du salaire d'un adulte. Le travail de ces enfants n'est pas un long fleuve tranquille. Ils sont souvent victimes des personnes sans foi ni loi qui les dépouillent de leur recette ou des filous qui consomment leur marchandise sans payer. Une radio de la place s'est fait l'écho du cas d'une fillette de 13 ans, vendeuse de cigarette dans la rue, violée par un militaire en faction devant la Trésorerie à Yaoundé166(*).

Les enfants des rues vivent souvent au centre-ville, dans les espaces de l'excès : excès d'argent avec les commerces et les marchés, excès de plaisir avec les boîtes de nuit, les cinémas, les prostituées. D'autres enfants vivent dans des espaces périurbains, au sens propre comme au sens figuré : la gare voyageurs et les agences de voyages interurbains. Elles constituent les portes d'entrée et de sortie des villes, espaces souvent anonymes où la figure de l'étranger, du voyageur, se mêle à celle de l'habitant. A Yaoundé, les enfants des rues désignent ces espaces devenus pour eux des lieux de résidence, sous le terme générique de mboko, qu'ils traduisent eux-mêmes par celui de `'secteur''. Il y a le mboko de Calafatas167(*), de Katios168(*), etc. toute cette histoire résidentielle des enfants des rues trouve son fondement dans la ville de Douala. En effet, à l'origine, on appelait les enfants de la rue de Douala (la deuxième grande métropole camerounaise) dans le langage courant : nanga boko. Cette expression est issue de la phrase a nanga o boko, qui signifie `' il a dormi dehors''. O boko en langue douala, signifie `'le dehors'' et provient du mot éboko qui signifie le dehors/ la cour/ l'extérieur; et nanga, `'dormir''169(*). Nanga boko résume donc parfaitement la situation des enfants des rues qui y vivent et y dorment en permanence. Les enfants des rues de Douala comme de Yaoundé (et des autres villes du Cameroun) se sont emparés de ce dénominatif et l'ont raccourci. Ils se nomment ainsi les mboko. Cependant, ils emploient également ce terme pour désigner leurs principales localisations, celles où ils dorment et où ils travaillent et aussi, où ils passent tout le reste de leur vie170(*).

La présence de l'Autre ne surprend guère, celle des enfants en devient plus acceptable. Ces espaces ont également mauvaise réputation171(*). A l'inverse du centre-ville, souvent érigé en espace de représentation pour le pouvoir en place, aucune opération de déguerpissement ne vient chasser les enfants, libres de se mouvoir et de mener leurs petites activités. Mais en dépit du contrôle plus ou moins marqué des forces de l'ordre, d'un espace à un autre, les facteurs de localisation sont identiques. Tous fournissent de petites activités génératrices de revenus : porter des sacs et des bagages, aider les commerçants, nettoyer les bars, mendier et voler.

* 153
_
MINAS, `'Trafic et traite d'enfant'', Fiche technique, p.2.


* 154
_
A. Cadiou, `'Le travail des enfants'', mémoire pour le diplôme d'études approfondies en droit privé, Université de Nantes, juin 2002, [en ligne].


* 155
_
T. Atangana Malongue, `' Etude sur le renforcement des capacités...'', p.15.


* 156
_
S. C., Abéga, et al., La traite des enfants à des fins..., p.85.


* 157
_
MINAS, `'Contribution du MINAS sur le travail des enfants...'', p.4.


* 158
_
A. Cadiou, `'Le travail des enfants'', [en ligne].


* 159
_
S. C., Abéga, et al., La traite des enfants à des fins..., p.107.


* 160
_
BIT, `'Guide pour lutter contre le travail des enfants chez les peuples indigènes et tribaux'', Genève, 2006, p.3.


* 161
_
MINAS, `'Projet de lutte contre le phénomène des enfants de la rue et de la délinquance juvénile au Cameroun'', Yaoundé, août 2007, p.83.


* 162
_
M., Morelle, `'La rue des enfants, les enfants des rues. L'exemple de Yaoundé (Cameroun) et d'Antananarivo (Madagascar)'', thèse de doctorat en géographie, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 2004, p.6.


* 163
_
Ibid, p.3.


* 164
_
M., Morelle, `'La rue des enfants, les enfants...'', p.4.


* 165
_
J. Youana, `'Les quartiers spontanés péricentraux de Yaoundé, une contribution à l'étude des problèmes de l'habitat du plus grand nombre en Afrique'', thèse de doctorat en géographie, Université de Yaoundé, juin 1983, p.130.


* 166
_
F. C., Guessing, `'Vacances des enfants au Cameroun, quel dilemme ?'', Yaoundé, 2005, p.1.


* 167
_
Le nom d'une boulangerie située dans la ville de Yaoundé.


* 168
_
Le nom d'une boîte de nuit contenant un bar équipé de jeux vidéo, située au centre-ville de Yaoundé.


* 169
_
Anonyme, 14 ans, enfant de la rue, Yaoundé, 12/01/2010.


* 170
_
M., Morelle, `'La rue des enfants, les enfants des rues...'', p.6.


* 171
_
Ibid, p.5.


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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard