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La critique existentialiste du rationalisme chez Sà¶ren Kierkegaard

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par Eric MBOCK ABOUBAKAR
Grand Séminaire Saint Augustin de Maroua - Mémoire fin de cycle de philosophie 2008
  

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INTRODUCTION GENERALE

Depuis le siècle des Lumières, la philosophie moderne s'est trouvée partagée entre deux courants principaux de pensée, à savoir le rationalisme et l'empirisme. Pour les définir de manière sommaire, l'un a tendance à privilégier et surestimer le rôle de la raison et l'autre à tendance inverse, récuse la raison en s'attachant à l'expérience sensible. Et au XIXème siècle, l'évolution exponentielle sur le plan scientifique, et les changements brusques de la société influenceront plusieurs penseurs et philosophes. A la seconde moitié du XIXème siècle, un autre courant de pensée naîtra, ayant pour « père« KIERKEGAARD. Ce courant de pensée appelé Existentialisme est comme le définit VERNEAUX : « une réaction contre le rationalisme en général et précisément contre le rationalisme absolu tel qu'il parut chez HEGEL »1(*).

Contrairement à l'empirisme qui rejette la raison au profit de l'expérience sensible, l'existentialisme kierkegaardien rejette la fameuse pensée abstraite, logique et objective ; il refuse tout système rationnel visant à expliquer l'univers. C'est pourquoi KIERKEGAARD dira : « vous aurez beau dire tout ce que vous voudrez, moi je ne suis pas une phrase logique de votre système. J'existe, je suis libre. Je suis moi un individu et non pas un concept [...] Aucun raisonnement ne peut ni expliquer, moi, ma vie, les choix que je fais, ma naissance, ma mort »2(*). Pour le philosophe danois, ce qu'il y a de mieux à faire, pour toutes les disciplines philosophiques et en particulier pour le rationalisme, c'est d'avoir pour sujet d'étude l'existence humaine dans sa réalité concrète et non les concepts qui ne traitent que de choses abstraites, au point d'affirmer comme HEGEL que le rationnel est réel et le réel rationnel. Car comme le déclare l'auteur des Miettes philosophiques :

« Pour l'existant, d'exister est le suprême intérêt, et l'intérêt à l'existence est la réalité. Ce qu'est la réalité ne se laisse pas exprimer dans le langage de l'abstraction. La réalité est «interesse» entre l'unité hypothétique de la pensée et l'être. L'abstraction traite de la possibilité et de la réalité, mais sa conception de la réalité est fausse interprétation, car le plan sur lequel nous sommes n'est pas celui de la réalité, mais celui de la possibilité [...] Tout savoir sur la réalité est possibilité ; la seule réalité dont un être existant ne se borne pas à avoir une connaissance abstraite est sienne propre, qu'il existe ; et cette réalité constitue son intérêt absolu. L'exigence de l'abstraction à son égard est qu'il se désintéresse pour qu'il puisse savoir quelque chose ; l'exigence de l'éthique, qu'il s'intéresse infiniment à l'existence »3(*).

Face donc à cette manière d'aborder ou de considérer l'homme, une vive critique existentialiste du rationalisme naîtra au XIXème siècle ; critique qui aura pour métronome le philosophe danois Sören Aabye KIERKEGAARD. Cette critique, il faudra le remarquer, sera abordée de manière différente selon qu'on soit un existentialiste athée ou un existentialiste théiste.

Le problème que nous voulons au cours de ce travail étudier est de montrer les limites de la pensée rationaliste par rapport à la question de l'homme en tant qu'existant ; car user de la raison juste peut-il permettre d'aborder l'homme comme cela se doit ? Et l'existentialisme qui critique le rationalisme ne présente-t-il pas lui aussi des manquements par rapport à la question de l'existant ? Sans toutefois se désintéresser à la question de l'existant, elle l'envisage plutôt comme un élément du monde et d'un point de vue objectif et surtout abstrait, alors que la pensée existentielle s'attache principalement et peut être même de manière exclusive à l'homme et vise à pénétrer sa subjectivité et son individualité. Au cours de notre travail, et usant de la méthode analyco-critique, nous présenterons tout d'abord les différentes approches conceptuelles des deux courants, la critique que KIERKEGAARD mène face aux rationalistes, et grâce à laquelle de part sa vision existentielle de la condition humaine, nous pourrons aboutir à un humanisme intégral.

D'une part, nous essayerons à partir des différentes approches conceptuelles de montrer comment chaque courant s'est formé, ce qui le définit et quelle fut son évolution au cours des siècles. Nous présenterons d'abord le rationalisme qui est une doctrine qui pose la raison comme seul moyen pouvant nous conduire à une connaissance vraie, puis nous montrerons qu'au cours des siècles il s'est développé sous l'égide de grands philosophes à l'instar DE PLATON, DESCARTES, et bien d'autres. Nous procèderons de la même manière aussi pour la présentation de l'existentialisme qui est une doctrine qui prône le retour à l'existant, et qui, au cours de son évolution a été portée au plus haut niveau par des philosophes tels que KIERKEGAARD, SARTRE, HEIDEGGER, et JASPERS.

D'autre part, après la présentation de cette approche conceptuelle, au cours de laquelle nous aurons exposé les différentes doctrines, nous montrerons en quoi consistera la critique kierkegaardienne du rationalisme pour qui, il ne saurait avoir un système d'existence, et qui trouvera des abus dans sa considération de l'existant ; abus qui conduira l'homme en s'enfermant dans la raison, sans lui laisser une fenêtre par laquelle entrera la moindre lumière. Et enfin nous essayerons en dernier ressort de relever quelques limites inhérentes à l'existentialisme ; car prônant le retour de toute discipline à l'essentiel c'est-à-dire à l'existant, l'existentialisme a laissé derrière lui quelques aspects importants de la dimension humaine, tel que l'aspect communautaire de la vie de chaque existant ou sa relation avec la divinité. Et la reconquête de ces éléments oubliés nous amènera à faire un dépassement de l'existentialisme afin de tomber dans un humanisme intégral qui prend en compte de manière intégrale la condition humaine.

Pour mener à bien ce travail, nous conduirons cette critique sous l'égide d'un seul philosophe existentialiste à savoir KIERKEGAARD qui sera épaulé de manière secondaire par les positions défendues par d'autres philosophes existentialistes.

CHAPITRE I

CONCEPTUALISATION DE DEUX COURANTS :

RATIONALISME ET EXISTENTIALISME

Le rationalisme se définit de plusieurs manières selon qu'on est dans le domaine épistémologique, historique, théologique, moral ou que l'on appartienne à un courant allant à l'encontre de celui-ci.

Rationalisme, du latin rationalis, c'est-à-dire raisonnable, doué de raison, dérive du mot rationnel qui montre l'appartenance d'une chose à la nature de la raison, qui est conforme à elle. Du mot rationnel dérive aussi raison qui vient du latin ratio.

La « raison est la faculté de juger propre à l'homme et commun à tous les hommes »4(*). Cette faculté est unique et propre aux hommes en ce sens que seul l'homme  « a la puissance de bien juger, de distinguer le vrai d'avec le faux qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens »5(*). Et c'est cette capacité de juger, de raisonner qui le distingue des animaux et fait de lui, comme le dit Aristote, « un animal raisonnable ». C'est dans le souci d'éclairer, d'expliquer et d'élargir cette notion de la raison qu'on a pu aboutir au rationalisme.

I.1. APPROCHE CONCEPTUELLE DU RATIONALISME
I.1.1. Approche pluridisciplinaire

I.1.1.a. Définition épistémologique

Au plan épistémologique, on peut définir le rationalisme comme une doctrine qui pose la raison comme indépendante de l'expérience sensible et qui affirme que la raison est innée, a priori, immuable chez tous les hommes. Elle est cette capacité de connaître, d'établir la vérité et de n'admettre dans le domaine cognitif que l'autorité unique de la raison. C'est pourquoi Emile GOBLAT affirme : « Il faut aller vers la vérité avec la seule intelligence »6(*).

I.1.1.b. Définition théologique

Le rationalisme est défini selon la théologie, comme la doctrine qui récuse toute révélation et tout ce qui relève du surnaturel pour n'admettre que la raison. Il ne permet la crédibilité de ce qui concerne la foi et les dogmes religieux, que ce que la lumière de la raison tient pour satisfaisante. Car, comme le dit André GIDE, « la foi comporte un certain aveuglement où se complaît l'âme croyante; quand elle échappe aux entraves de la raison, il lui semble qu'elle bat son plein. Elle n'est que dévergondée »7(*). Toute révélation que nous pouvons avoir et qui ne peut être explicitement expliquée et prouvée, par la raison, n'a pas de place dans la connaissance et ne peut être objet d'étude.

I.1.1.c. Définition morale

La morale définit le rationalisme comme une doctrine selon laquelle les principes et les maximes dans la conduite morale sont posés a priori par la raison par opposition à l'hédonisme, l'eudémonisme ou l'utilitarisme.

Au vu de toutes ces différentes définitions du concept rationalisme, nous devons rappeler que, comme tous les mots se terminant en « isme », le rationalisme, de par sa texture, nous permet de voir l'expression d'une certaine majoration du rôle de la raison dans la vie de l'homme. Exagération de la raison suite au débat l'opposant à l'empirisme qui récuse la raison en s'attachant à la seule expérience.

En remontant à l'origine du rationalisme, nous verrons que ce courant bien que prenant forme à partir de la controverse l'opposant à l'empirisme, est bien plus ancien et a des racines lointaines auxquelles nous allons nous attarder dans une étude historique quoi que concise et sommaire.

I.1.2. Evolution historique

Notre étude historique commence par les philosophes antiques qui, bien que plusieurs historiens identifient le début du rationalisme avec René DESCARTES. Nous voulons par là montrer que la tendance à vouloir tout rationaliser ou ramener à la raison ne date pas de la période moderne ou contemporaine, mais bien avant.

I.1.2.a. La période antique

Avant de passer en revue ces périodes, il serait bon de parler de la philosophie grecque où le rationalisme se dessinait déjà et avait donné naissance à deux mouvements à savoir : l'éléatisme et le stoïcisme.

L'éléatisme est la doctrine qui affirme l'identité absolue de l'être et l'impossibilité du devenir et du mouvement. Ses principaux penseurs sont PARMÉNIDE et ZÉNON. Pour PARMÉNIDE, la voie de l'expérience n'est qu'un chemin parsemé d'erreurs. C'est pourquoi il affirme que seule la raison conduit le sage vers « le coeur de la vérité qui forme un beau cercle »8(*). La première vérité que PARMÉNIDE fait poser à la raison est le principe d'identité : « L'être est, le non être n'est pas »9(*). C'est de là que PARMÉNIDE déduit une métaphysique moniste niant de manière radicale le changement et le devenir des êtres, affirmant l'immobilité et l'unité des êtres.

L'attitude intellectuelle visant à placer la raison et les procédures rationnelles comme source de la connaissance remonte à la Grèce antique, lorsque sous le nom de logos, elle se détache de la pensée mythique et, à partir des sciences, donne naissance à la philosophie.

Disciple de SOCRATE, PLATON à travers sa théorie des idées est l'un des précurseurs du rationalisme qui a le plus influencé les philosophes rationalistes. Dans le rationalisme platonicien qui est rangé dans le cadre de l'idéalisme, nous nous contentons d'indiquer trois points principaux :

· Au-delà des choses sensibles

PLATON ne voit dans la sensibilité qu'une pseudo-connaissance ne donnant accès qu'à la réalité sensible, matérielle et changeante du monde. Se fier à l'expérience sensible, c'est être comme des prisonniers enfermés dans une caverne qui prennent les ombres qui défilent sur la paroi faiblement éclairée, pour la réalité même. En effet, l'exercice des mathématiques nous apprend à nous détacher de nos sens et à exercer notre seule raison, préalable nécessaire à la dialectique philosophique. La connaissance du réel est connaissance des Idées ou essences, réalités intelligibles et immuables, et cette connaissance est rationnelle. Il y a en ce sens un rationalisme platonicien.

· La démarche de PLATON

Il part du sensible et en déduit la valeur de la sensation ainsi que de l'intelligence. C'est pourquoi, pour lui, autant vaut l'objet, que vaut la connaissance que j'en prends. De là, voulant définir la raison, il dira qu'elle est la faculté qui saisit intuitivement les idées « nous », qui rattache une idée à une autre ou qui rapporte telle idée à une chose concrète « dianoïa ». Il tient de même à rappeler que si la raison est intuitive ou discursive, elle se définit toujours par son objet.

· Raison déterminée par son objet

Pour PLATON, toute raison déterminée par son objet est contemplative. Il le dit parce que les choses de ce monde ne sont visibles que dans la lumière du soleil, les idées ne sont intelligibles que dans celles du bien. C'est pourquoi PLATON trouve que la raison contemple ce que, « à peine », elle peut « voir ». D'où elle s'oriente vers Dieu.

Après ce bref aperçu des origines lointaines du rationalisme avec les présocratiques et les philosophes de la période antique, nous passons à une période où ce courant a véritablement fait tache d'huile : il s'agit de la période moderne.

I.1.2.b. La période moderne

I.1.2.b.a René DESCARTES

Dans la période moderne, le rationalisme est apparu avec René DESCARTES où il a revêtu un aspect plus ou moins pur, car il fera de l'ego cogito le sujet d'une raison pure. DESCARTES fait du sujet pensant, le sujet d'une raison neuve. Dans son élan rationnel, le père du rationalisme admet deux limites à la raison : d'une part la raison est limitée par le Dieu infini qu'elle ne peut comprendre et dont elle est résignée à affirmer l'existence justement parce qu'elle dépasse son entendement ; et d'autre part, par le mélange de l'âme et du corps que le penseur considère comme étant deux substances distinctes, unies réellement et substantiellement. Mais le problème qui se pose est celui de la distinction et de l'union ; et cette antinomie ne peut être levée. Suite à ces considérations, DESCARTES dira dans une de ses correspondances avec la princesse ELISABETH : « il ne semble pas que l'esprit humain soit capable de concevoir bien distinctement et en même temps la distinction d'entre l'âme et le corps et leur union, à cause qu'il faut pour cela les concevoir comme une seule chose et ensemble les concevoir comme deux, ce qui se contrarie »10(*). D'où l'unité de l'homme qui est un fait irrationnel, un mystère.

Entre ces deux limites, se déploie la juridiction du cogito qui met en doute et qui élimine d'abord les choses sensibles puis les idées conçues à la manière de Platon. L'auteur du doute méthodique le pratique avec pour objectif de mettre en exergue les vérités indubitables à partir desquelles on pourra fonder un système de pensée solide et cohérent. Pour cela, DESCARTES se donne pour principe de douter : « Non que j'imitasse pour cela les sceptiques qui doutent pour douter, et affecte d'être toujours irrésolus... »11(*) ; mais un doute en vu d'aboutir à cette vérité indubitable. C'est en ce moment que se déploie en nous le doute que nous prenons conscience de notre existence, pense DESCARTES. D'où sa célèbre formule « Je pense donc je suis »12(*). De cette formule, il dira « Je suis précisément parlant une chose qui pense c'est-à-dire un esprit, un entendement, ou une raison ».

L'homme se distingue de tous les autres êtres par la raison. Si tel est le cas, quelle est la place du corps? Se plaçant dans la perspective du doute méthodique, DESCARTES fait de la pensée une substance différente, mais séparable du corps. Des considérations qui précèdent, il aboutit à un type de pensée qui l'isole de son corps, d'autrui et même du monde. Cela résume bien une vision rationaliste de l'être humain et, jusqu'à un certain point de la vie même de DESCARTES.

Sa morale est subdivisée en deux secteurs : provisoire et définitive. La morale provisoire a pour but de vivre le mieux possible pendant que l'entendement sera livré au doute. C'est pourquoi dans la quatrième maxime de sa morale provisoire, il dira « Employer toute ma vie à cultiver ma raison, et avancer autant que je pourrai en la connaissance de la vérité, suivant la méthode que je m'étais prescrite »13(*). Dans la première maxime, la morale définitive voudrait que « l'homme tâche toujours se servir le mieux possible de sa raison pour connaître la bonté de Dieu, l'immortalité de l'âme... »14(*). Il poursuivra dans la seconde maxime en demandant que l'homme « ait une constante résolution d'exécuter tout ce que sa raison lui conseillera, sans que ses passions ou ses appétits l'en détournent »15(*).

Avec René DESCARTES, le rationalisme connaît une expansion fulgurante. Il sera repris par bon nombre d'autres grands philosophes qui essayeront de dépasser sa conception de la raison à plusieurs niveaux.

I.1.2.b.b. Baruch SPINOZA

Philosophe d'origine juive, SPINOZA a une doctrine rationaliste à la fois simple et plus subtile. Son cadre conceptuel et sa technique logique, il les puise dans le système cartésien. Chez SPINOZA le but de la vie, est le bonheur, et la condition pour l'atteindre est la réforme de l'entendement, c'est-à-dire la découverte d'une méthode capable de nous faire connaître la vérité sur toutes choses. SPINOZA commence d'abord par classer les divers types de connaissance :

· Au plus bas degré est la connaissance par témoignage, par « ouï-dire » ou par signe. C'est ainsi que nous connaissons la date de notre naissance. Au dessus se situe l'expérience de la perception vague, c'est-à-dire la perception sensible d'un objet singulier. Elle est caractérisée par le fait qu'elle présente des faits bruts, dispersés, sans lien intelligible et tirant des conséquences sans prémices. Elle ne peut donc s'élever plus loin que dans l'ordre des opinions. Ces deux types sont réunis sous le nom de connaissance du premier genre.

· La connaissance du deuxième genre est de l'ordre de la démonstration ou de la déduction, conçue sur le modèle des mathématiques. Elle saisit l'essence des choses et l'explique par des principes prochains. C'est pourquoi, SPINOZA dit que  les démonstrations « sont les yeux de l'âme par lesquels elle voit et observe les choses »16(*).

· L'intuition constitue la connaissance du troisième genre. De là SPINOZA déduit tout de Dieu. Il exprime parfaitement sa position quand il dit : «  Les scolastiques partent des choses, Descartes part de la raison, moi je pars de Dieu »17(*). C'est de cette affirmation que découlera son panthéisme, car si Dieu crée le monde librement, on peut, par analyse du monde, remonter à Dieu comme à sa cause ou raison d'être, mais la démarche inverse sera impossible.

Chez SPINOZA la vérité est une propriété de l'idée et non du jugement. L'idée est en acte et la connaissance sensible est passive. La clarté de l'idée est la vérité même. La vérité consiste en une démonstration intrinsèque, c'est-à-dire le rapport de l'idée à l'entendement. Pour lui, vérité signifie intelligibilité.

Dans sa psychologie, SPINOZA fait une déduction de la nature humaine ou d'une métaphysique de l'homme. Sa psychologie repose sur deux propositions évidentes, à savoir « L'homme pense ». Il ne dit pas que « Je pense » car ce serait un simple fait, une vérité contingente. Mais lorsqu'il dit « l'homme pense », c'est là une vérité nécessaire et qui peut être érigée en axiome.

Par son corps, l'homme est un mode de l'étendue divine, et par son âme, un mode de la pensée divine. Pour SPINOZA, entre le corps et l'âme il n'y a aucune interaction ; il n'y a pas union mais identité. L'âme et l'idée du corps existent en acte.

I.1.2.b.c. Gottfried Wilhelm LEIBNIZ

Dans son rationalisme, LEIBNIZ a une idée directrice nettement cartésienne, car il prend à son compte l'idée d'une mathématique universelle, sous le nom d'Art combinatoire. Son but est d'assurer l'unité de l'esprit dans le domaine spéculatif et sur le plan pratique, de créer des esprits au-dessus des différences rationnelles, même sur le plan religieux.

La théorie de LEIBNIZ sur la connaissance peut être répartie en deux catégories. L'une concerne la pratique de l'art de penser, qui a un caractère beaucoup plus logique, et l'autre détermine les conditions, l'origine et la nature de nos connaissances. Comme métaphysicien, il ne sera pas satisfait des doctrines qui ramènent l'être à la logique, le réel au possible, la métaphysique étant pour lui la science des principes premiers et qui prime sur les mathématiques.

Dans sa logique, LEIBNIZ distingue deux types de vérité, à savoir les vérités nécessaires, contingentes et deux principes correspondants : le principe d'identité et celui de raison suffisante. Les vérités nécessaires, comme les théorèmes mathématiques, concernent les sciences. Le principe qui les régit est le principe d'identité ou de contradiction ce qui veut dire que toute proposition est une proposition identique où le prédicat est inclus dans le sujet. Il trouve que toute pensée rigoureuse doit se développer comme la pensée mathématique par une cascade d'équation. A bien voir, il est le premier logicien à avoir assimilé le principe de contradiction au principe d'identité.

Les vérités contingentes concernent les faits.  Ce sont des jugements d'existence et le principe qui les gouverne est le principe de raison suffisante. Ce principe pose que rien n'arrive sans qu'il y ait une raison suffisante, c'est-à-dire qui permet d'expliquer a priori pourquoi les choses sont allées ainsi plutôt qu'autrement. De là on peut appliquer à Dieu le principe de raison suffisante qui devient une sorte de preuve ontologique. Car le rationalisme moderne repose sur le postulat métaphysique selon lequel les principes qui sous-tendent la réalité sont identiques aux lois de la raison elle-même. Ainsi en est-il du principe de raison déterminante (ou de raison suffisante) que LEIBNIZ, dans les Essais de théodicée, formule de la manière suivante : « c'est que jamais rien n'arrive, sans qu'il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c'est-à-dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison a priori, pourquoi cela est existant plutôt que non existant, et pourquoi cela est ainsi plutôt que de toute autre façon »18(*). S'il n'est rien qui ne soit ni n'arrive sans cause, il n'est rien dès lors qui ne soit, en droit, intelligible et explicable par la raison.

L'essentiel de la métaphysique de LEIBNIZ se ramène à trois points :

· La théorie des possibles

Il distingue des degrés dans la possibilité. Pour qu'une essence soit possible, il faut qu'on tienne compte de tous les autres possibles auxquels elle est liée, que LEIBNIZ appelle ses compossibles. Pour lui, les possibles tendent à l'existence plus ou moins dans la mesure de la perfection.

· La théorie de l'optimisme

Ce que nous pouvons retenir de son optimisme c'est que le monde est bon, quoiqu'il ne soit pas le meilleur et qu'avec les éléments dont il est formé, il ne pouvait pas être mieux organisé. C'est pourquoi il dira :

« Comme il y a une infinité d'univers possibles, dans les idées de Dieu, et qu'il ne peut en exister qu'un seul, il faut qu'il y ait une raison suffisante du choix de Dieu qui le détermine à l'un plutôt qu'à l'autre. Et cette raison ne peut se trouver que dans la convenance ou les degrés de perfection que ces mondes contiennent, chaque possible ayant droit de prétendre à la mesure de la perfection qu'il enveloppe. Et c'est ce qui est la cause de l'existence du meilleur, que sa sagesse fait connaître à Dieu, que sa bonté le fait choisir, et que sa puissance le fait produire »19(*).

De son optimisme ou principe du meilleur, découlent plusieurs conséquences métaphysiques. D'abord, le principe de continuité car la nature ne fait pas de saut. Le principe des indiscernables c'est-à-dire il ne doit avoir aucune chose identique sinon l'une des deux serait de trop, inutile, sans raison suffisante. C'est pourquoi le fait que les êtres soient en nombre infini résulte du principe de continuité. Et si ces êtres sont hiérarchisés, cela relève du principe des indiscernables puisqu'il ne saurait avoir deux êtres de même degré.

· La théorie de la substance

LEIBNIZ définit la substance comme une unité de force, un point métaphysique ou une monade inétendue, donc indivisible de la nature psychique. Pour lui, il n'y a pas de commencement ni de fin pour la substance ni dissolution ni composition. En créant l'univers, Dieu a réglé une fois pour toute l'activité des substances de telle sorte que leurs phénomènes se correspondent. La monade est un miroir du monde vivant car elle est à la fois finie et infinie. Infinie, parce qu'elle reflète l'univers entier, finie parce qu'elle le reflète sur un point de vue particulier. De là il définit l'espace comme l'ordre coexistant et le temps comme l'ordre des successifs.

Dans sa psychologie, deux idées essentielles retiennent notre attention : celle de la théorie des idées innées et de la liberté comme spontanéité. L'innéisme est la doctrine selon laquelle les idées en nous précèdent l'expérience. Comme le pensait déjà PLATON, si nous n'avions pas déjà en nous l'idée d'égalité, par exemple, nous ne pourrions pas découvrir que deux choses sont égales. Cette notion de l'innéisme, LEIBNIZ la tient de Descartes qui affirme : « je considère qu'il y a en nous certaines notions primitives, qui sont comme des originaux, sur le patron desquels nous formons toutes nos autres connaissances »20(*).

Après l'exposé de cette doctrine rationaliste de l'antiquité en passant par le moyen-âge et le temps moderne, il ressort que la raison a pris une place tellement importante dans la vie et le langage de l'homme que l'essentiel a été oublié : L' EXISTENCE. L'existence a été oubliée en ce sens que les concepts laissent de côté l'individualité et l'existence des choses. Pourtant qu'il n'existe que des individus. Par cette manière d'aborder l'existant, le rationalisme laisse une faille entre la pensée abstraite et le réel. On a beau assembler les concepts, on ne rejoint pas le réel ; on l'enserre peut être plus près, mais son individualité échappe toujours à l'esprit. L'homme ne peut pas être déduit. Il est un mystère pour notre esprit. Il ne peut être envisagé comme un objet et dans une essence d'animal raisonnable, mais plutôt dans son individualité concrète, qui peut seulement être décrite. Ainsi pour de nombreux penseurs, il est urgent de revenir à cette existence humaine qui, à cause des systèmes spéculatifs a perdu sa place dans la vie de l'homme.

I.2. APPROCHE CONCEPTUELLE DE L'EXISTENTIALISME

Face au constat de l'oubli de l'existence au profit de la raison durant les premiers siècles jusqu'aux temps modernes, beaucoup de penseurs vont se lever pour déplorer cette attitude. Cette révolte des philosophes face au primat de la raison va donner naissance à un courant qu'on nommera au début du 20ème siècle l'existentialisme. Ce courant sera : « une pensée existentielle -qui- s'attache principalement, sinon même exclusivement, à l'homme, et vise à pénétrer sa subjectivité [...] son individualité, son existence. »21(*).

I.2.1. Définition du concept existentialisme

D'un point de vue philosophique, le mouvement existentialiste ne se caractérise pas par une très grande unité. Il est difficile de donner d'une manière incontestable les caractéristiques d'une philosophie existentialiste. De plus, ceux à qui on accole l'étiquette la refusent parfois, et affirment que : « -leurs- tendances philosophiques ne peuvent pas être classées comme philosophie existentielle »22(*).

Pourtant, les penseurs existentialistes s'accordent généralement sur un certain nombre d'idées. Avant de désigner un système philosophique particulier, on utilise le mot existentialisme pour parler d'une manière d'aborder la réflexion et le questionnement philosophique qui s'enracine dans l'existence concrète.

L'existentialisme s'oppose à l'effort de systématiser rationnellement l'existence humaine. Si l'esprit humain peut construire un système rationnel pour expliquer notre réalité, les existentialistes considèrent généralement qu'un tel effort est inutile, car la pensée ne peut jamais correspondre entièrement à la réalité. Il ne peut donc y avoir de système de l'existence satisfaisant. C'est pourquoi ils préfèrent des attitudes intellectuelles qui permettent de ressortir le caractère riche, souvent ambigu et paradoxal de notre vécu. Ainsi, à leurs yeux, l'expérience vécue, possède une valeur plus élevée que la théorie. À partir de là, ces philosophes établissent une distinction entre l'action éthique et l'action esthétique. L'action éthique vise à transformer notre réel, tandis que l'action esthétique conduit à poser un jugement sans chercher à modifier quoi que ce soit dans la réalité. Évidemment, les existentialistes critiquent fortement ceux qui essayent de tenir le réel à distance.

Selon les existentialistes, notre existence semble indéfinissable. Le monde dans lequel on vit est absurde et n'offre à l'humain aucune valeur supérieure. Dans l'ensemble, à l'intérieur du mouvement existentialiste, on considère que l'existence humaine a un caractère paradoxal, voire contradictoire et contingent. C'est dans ce contexte qu'ils s'interrogent habituellement sur la liberté, sur la responsabilité et sur un possible bonheur. De là nous pouvons tirer cette définition et dire que l'existentialisme est un courant philosophique plaçant au coeur de sa réflexion, l'existence individuelle, la liberté, et le choix personnel. Ils sont trois points fondamentaux sur lesquels se fonde cette doctrine pré-moderne car il serait  « enfantin [...] de croire que la philosophie dite existentialiste est le produit d'une génération spontanée [...], apparue toute formée »23(*).

A vrai dire, l'existentialisme remonte aux origines de l'humanité. On pourrait soutenir que c'est un mouvement de pensée religieuse dans son fond, mais laïcisé de nos jours. C'est l'une des « idées chrétiennes devenues folles » selon l'expression de Chesterton. Il s'ensuit que la source première de cette doctrine est la bible ; aussi «  l'appel de Socrate opposant aux rêveries cosmogoniques des physiciens d'Ionie l'impératif intérieur du connais-toi toi-même »24(*), en est un.

Lorsque nous parcourons les livres tel que celui de Job ou de l'Ecclésiaste, nous nous apercevons que la vie humaine nous est présentée sous deux formes : une vie humaine heureuse et une autre malheureuse et misérable. Ce que ces deux tendances apportent au monde ne sont pas des pensées spéculatives abstraites, mais une doctrine de vie fondée sur les témoignages d'hommes qui ont pu avoir une relation particulière avec Dieu : « Moïse et les prophètes, les hérauts du Dieu qu'ils ont vu ; dans le nouveau testament notre Seigneur Jésus-Christ lui-même, le maître par excellence de la bonne nouvelle, et saint Jean et Saint Paul sont témoins tous en un sens large sans doute, mais vrai cependant, et profond sont existentialistes »25(*). Bien qu'ils ne soient pas philosophes, ils sont tout de même existentialistes parce qu'

« ils ne spéculent pas sur la nature des choses, la valeur de la connaissance, les catégories, les essences et les possibles. Ils ne cherchent pas à démontrer quoique ce soit, pas même l'existence de Dieu. Ils ne forment pas des concepts clairs et distincts. Ils ne construisent pas de système rationnel [...].Ils témoignent de ce qu'ils ont vu. Ils placent au centre de leurs préoccupations l'homme dans ses rapports avec Dieu. Ils apportent une doctrine de l'existence humaine, c'est-à-dire, un ensemble de vérité concrète, historique, sur l'origine, la condition présente et la destinée de l'homme [...], appelé à la vie éternelle et au bonheur du ciel »26(*).

Au moyen-âge, nous voyons aussi cet esprit existentialiste à l'oeuvre chez d'autres grands savants à l'instar de saint AUGUSTIN qui présente parmi les grands docteurs chrétiens de l'époque, les traits les plus visibles de l'existentialisme que nous décelons à travers ses Confessions et dans son thème de l'inquiétude humaine.

De lui, nous retiendrons deux points :

· Dans sa devise « Me connaître, Te connaître », l'évêque d'Hippone trouve là l'essentiel de la vie de tout homme ; et tout ce qui peut venir après à savoir la connaissance, l'explication des choses, la science et la possession. « A quoi cela sert-il à l'homme s'il vient à perdre son âme ? ».

· Après avoir montré où se trouve la connaissance primordiale et essentielle, c'est-à-dire me connaître pour connaître Dieu, AUGUSTIN insère ainsi le thème de l'inquiétude humaine qu'il exprime dans une formule célèbre : « Tu nous as fait pour Toi Seigneur et notre coeur est inquiet tant qu'il ne repose en Toi ». Il trace ainsi les traits les plus profonds de la condition humaine, l'état de malheur et l'angoisse irrémédiable de l'homme qui sans Dieu ne peut plus espérer au bonheur.

Plus près de nous, PASCAL est présenté comme le précurseur direct de l'existentialisme en ce sens qu'il met au centre de ses préoccupations l'homme comme individu concret, existant. C'est pourquoi il dira que «  nous ne nous contentons pas de la vie que nous avons en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l'idée des autres d'une vie imaginaire et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et à conserver notre être imaginaire et négligeons la véritable »27(*). Dans les Pensées, PASCAL affirme qu'une philosophie systématique qui entend expliquer Dieu et l'humanité est une forme de vanité. Il découle de cette attitude un rejet, au 17ème siècle du rationalisme rigoureux de son contemporain DESCARTES car, il trouve que ceux qui approfondissent trop les sciences s'inquiètent à peine de l'homme, de sa vie, de sa mort28(*).

Comme école à proprement parler distincte de la pensée chrétienne en général et augustinienne ou pascalienne en particulier, l'existentialisme naît au Danemark dans la première moitié du 19ème siècle et KIERKEGAARD en est le père. Avec KIERKEGAARD, c'est toujours une pensée profondément religieuse, s'insérant dans le cadre de la théologie protestante. L'auteur danois fonde l'école existentialiste en ce sens qu'il apporte le fond, les principes, les idées sur lesquelles vivront ses successeurs. Mais pour avoir une philosophie existentialiste, il faudra attendre la jonction entre la doctrine de KIERKEGAARD et la méthode de HUSSERL à travers la phénoménologie. Assemblage qui permettra de donner une forme philosophique aux intuitions de KIERKEGAARD de sorte que de «  la jonction entre la doctrine de l'existence issue de Kierkegaard et la méthode phénoménologique de Husserl, forme et fond réunis, surgit l'école existentialiste »29(*).

I.2.2. L'école existentialiste

L'école existentialiste se scinde en deux principales tendances. Ces tendances selon HEIDEGGER, peuvent être appelées la gauche et la droite. Ce qui les distingue c'est la position de chacune d'elle par rapport à Dieu. La gauche se réclame athée et la droite théiste ou chrétienne. De là sortira une différence considérable dans la description de l'homme.

I.2.2.1. L'existentialisme athée.

Fondé sur une négation, l'athéisme est un mot qui vient du grec a, qui signifie « non » et théos qui veut dire « dieu », est une doctrine ou attitude niant l'existence de Dieu. Il en sort de cette doctrine que l'homme est abandonné à lui-même, l'absurdité est la loi de son existence. Cet existentialisme aboutit d'une manière à un pessimisme absolu. Il a pour maître à penser plusieurs grandes figures de la philosophie à l'instar de Martin HEIDEGGER et Jean-Paul SARTRE qui seront rangés parmi les existentialistes.

I.2.2.1.a. Martin HEIDEGGER

Le but de Martin HEIDEGGER est de constituer une ontologie générale et de répondre à la question : qu'est-ce que exister ? Pour cela, il propose de réfléchir sur l'être humain -Dasein- qui est le seul être capable de réfléchir et de s'interroger sur son être. Il distingue deux types d'existence : l'existence banale et l'existence authentique.

· L'existence banale

Ici l'homme n'est qu' un numéro interchangeable, une sorte d'automate sans responsabilité -Das man - pour qui son être se réduit à sa fonction sociale et qui considère les choses comme des instruments, des ustensiles et est dominé par le souci du pain quotidien. Pour Martin HEIDEGGER ce type d'être vit mais n'existe pas.

· L'existence authentique

Cette existence se fait à l'aide de l'angoisse. L'auteur du Sein und Zeit trouve que tous les hommes sont angoissés mais certains la dissimulent, la repoussent et se cantonnent dans l'existence banale. L'angoisse nous révèle la condition humaine, l'étude de l'homme non pas sous une forme conceptuelle et abstraite, mais concrète par une sorte d'expérience métaphysique. Il suit de là quatre traits de l'existence humaine à savoir :

-La déréliction ou exister ; c'est être plongé dans un monde austère, écrasant et menaçant dès notre naissance et abandonné.

- La mort ; de par ce phénomène, l'homme est un être destiné à mourir, un être mourrant. Cela non pas seulement suite à un évènement biologique mais parce que c'est une structure permanente propre à notre être. Pour Martin HEIDEGGER, « ce n'est par aucune de ces manières de finir que l'on peut adéquatement caractériser la mort en tant que fin de la réalité humaine »30(*). La mort de l'homme ne rentre pas dans les cadres de ses fins empiriques. Elle consiste en une restriction progressive de ses possibilités et la seule attitude digne face à elle est la résignation et l'acceptation du destin.

- La temporalité ou l'historicité est un autre caractère de l'être humain. Pour Martin HEIDEGGER, l'homme se temporalise car, la temporalité est notre manière d'exister ; c'est une existence dispersée et esthétique. L'homme est dans l'avenir et « en  avant de soi » car, il anticipe sans cesse le présent par ses projets et il est dans le passé, « en arrière de soi » par cette partie de lui-même qu'il ne peut changer. D'où, pour lui, la temporalité est une double extase qui se fonde sur le présent ou l'homme se fonde lui-même.

- La liberté. Il pense que la liberté fonde l'essence même de l'homme. Elle consiste à transcender, dépasser, la situation où nous nous trouvons soit en l'acceptant soit en la réfutant. Cette liberté ne disparaît qu'à la mort qui est la suppression de toutes nos possibilités. C'est pourquoi chacun se fait librement et n'est rien d'autre que ce qu'il s'est fait. Donc en raison de nos projets, nous sommes responsables du monde.

I.2.2.1.b. Jean-Paul SARTRE

Figure de proue du courant de pensée existentialiste, Jean-Paul SARTRE a fourni un effort considérable en vue de définir précisément son concept fondateur. Il commence son existentialisme en professant qu'il est athée lorsqu'il dit : « il y a deux espèces d'existentialistes : les premiers qui sont chrétiens [...], et d'autre part, les existentialistes athées parmi lesquels il faut ranger Heidegger [...] et moi-même »31(*). Définissant l'existentialisme, il dira qu'il est « une doctrine qui rend la vie humaine possible et qui, par ailleurs, déclare que toute vérité et toute action impliquent un milieu et une subjectivité humaine »32(*).

Le point de départ de sa philosophie est la découverte de l'existence comme contingente. Elle se fait par une expérience que SARTRE appelle l'en- soi et le pour- soi.

L'en-soi est la caractéristique de toute chose, de toute réalité extérieure à la conscience. Le concept d'en-soi désigne ce qui est totalement soumis à la contingence, c'est-à-dire tout ce qui est sans liberté et ce qui n'entretient aucun rapport à soi. L'existence de tout en-soi est passive en ce sens que, par exemple, une porte ne peut être autre chose qu'une porte. Ce concept d'en-soi se rapporte donc aux choses matérielles parce qu'elles existent indépendamment de toute conscience.

Le pour-soi désigne l'être de l'homme. Pourvu d'une conscience qui fait de lui un être tout à fait particulier, l'être humain se distingue de l'en-soi. Étant donné cette conscience capable de se saisir elle-même, le pour-soi a comme principal attribut une liberté absolue. Cette liberté n'est pas une absence de contingence ou de limite, mais une possibilité infinie de choisir. Contrairement à l'en-soi qui coïncide toujours avec lui-même, le pour-soi, c'est-à-dire l'être humain, a conscience de lui-même.

Le trait fondamental de l'analyse ontologique qu'on puisse faire du pour-soi est que l'homme est dans un état de malheur irrémédiable car, sa volonté de tendre vers l'infini et nécessairement par ses moyens, est vouée à l'échec. Le second trait caractéristique chez SARTRE est la liberté car « l'homme est condamné à être libre. Condamné parce qu'il n'est pas créé lui-même, et par ailleurs cependant libre, parce qu'une fois jeté dans le monde, il est responsable de tout ce qu'il fait »33(*).Cela signifie que l'homme n'est pas une chose mais un sujet ; il n'a pas une nature définie d'avance, une essence toute faite. Il se fait en agissant. L'homme est absolument libre. Il est le fondement de ses valeurs puisqu'il les crée lui-même librement, et se donne un but à suivre. De son principe moral suit cette invitation, « sois libre, n'abdique en aucun cas ta liberté ».

Enfin, de part sa théorie de l'être pour-soi, SARTRE va de l'expérience commune. Il trouve que se sentir regardé engendre un sentiment de honte. Sentiment de honte en ce sens que le regard me révèle autrui comme pour-soi, et devant qui je ne suis plus qu'un objet, un en-soi. Et si je m'avise à regarder à mon tour celui qui me regarde, cela fait place à une lutte de deux consciences, de deux libertés chacune cherchant à nier l'autre. Si on veut réconcilier les deux par le biais de l'amour, SARTRE pense qu'il oscillera entre deux perversions : le sadisme et le masochisme.

I.2.2.2. L'existentialisme chrétien

I.2.2.2.a. Karl JASPERS

Médecin et psychiatre et titulaire de la chaire de philosophie à Heidelberg, Jaspers est un philosophe théiste qui tire son inspiration de KIERKEGAARD. Plus radical que HEIDEGGER dans son existentialisme, il considère qu'aller au-delà de l'existence humaine n'est pas son ambition et trouve que le domaine descriptif est toujours inadéquat. Chez JASPERS, la philosophie consiste simplement à être et non à parler de l'être ; à éclairer « l'abîme de l'être-moi ». Pour cela il choisit de partir de l'être dans sa situation concrète.

Le point de départ de cette philosophie existentielle est, chez lui, l'ego, une sorte de cogito, mais plus profond que celui de DESCARTES qui se borne à poser la pensée. De là il distingue deux types d'être : l'homme comme partie de l'univers, comme objet, et l'homme comme sujet connaissant.

Pour JASPERS, le moi est un acte, un jaillissement de l'être et ne peut être représenté par des concepts ni exprimé par des mots car « il se dérobe de tout savoir déterminé ». Il est plutôt donné par une expérience intime et primitive ; l'expérience parce qu'elle nous révèle le moi comme liberté car, c'est une même chose de dire qu'il est acte et qu'il est liberté. La liberté dont il parle, l'acte par lequel j'existe, je suis moi, n'a ni cause ni raison. Et il définit la liberté comme le principe du développement de l'être humain. Il considère que l'existence est une sorte de tension entre deux pôles ; elle s'enracine dans l'éternité et s'épanouit dans le temps ; puisque sans le premier l'homme ne serait qu'un anneau dans l'enchaînement des évènements du monde et ne se développerait pas. Sans le second non plus il serait immobile en lui-même et ne se développerait pas aussi.

Karl JASPERS trouve que le moi ne se réalise pas seul, isolément, il n'est pas une monade puisque chacun a besoin pour être lui-même de communiquer avec d'autres-moi. Il s'agit là d'une relation ontologique unissant des moi irréductibles ; et cette relation est l'amour. L'amour parce que chacun se donne à l'autre en respectant l'originalité, la liberté de l'autre. Ainsi le nous précède et fonde le je et le tu.

I.2.2.2.b. Gabriel MARCEL

Gabriel MARCEL fait partie de ces auteurs qui refusent que leur doctrine soit appelée existentialiste et préfère plutôt l'appellation de doctrine socratique ou de socratisme chrétien. Son intention philosophique est de « restituer à l'expérience son poids ontologique »34(*). Dans son existentialisme qui sera une sorte d'empirisme, parce que refusant les systèmes et l'abstraction, MARCEL va élaborer une philosophie qui considère l'être comme un mystère. Il considère le rationalisme comme une déviation de la raison qui ne livre rien de moins qu'«une raison ivre d'elle-même»35(*)

A la base de son existentialisme, il établit deux distinctions entre être et avoir. Cet auteur a constaté que très souvent, l'homme est identifié à ce qu'il a or l'avoir n'est que de l'ordre du matériel. C'est pourquoi MARCEL pense que l'avoir engendre une tendance à trois faces que VERNEAUX nomme ainsi : « tendance à asservir l'objet à le traiter comme un pur instrument, tendance à s'asservir à l'objet, s'y attacher, s'y absorber, et tendance à exclure autrui de la possession en le considérant comme un privilège personnel »36(*). De là, la personnalité de l'homme est réduite à son corps ou pire encore aux choses qu'il possède. Or l'être transcende ce plan. Il est un mystère.

Expliquant ce qu'est le mystère, Gabriel MARCEL tient d'abord à lever l'équivoque en précisant que le mystérieux ne doit pas être assimilé à l'inconnaissable car, l'inconnaissable est la limite des problèmes insolubles. Le mystère appartient à un plan transcendant qu'on peut appeler méta-problématique. Il définit le mystère comme « un problème qui empiète sur ses propres donnés, qui les envahit et se dépasse par là même comme simple problème »37(*). Distinguant alors le problème du mystère, MARCEL déclarera qu' « entre un problème et un mystère, il y a cette différence essentielle qu'un problème est quelque chose que je rencontre, que je trouve tout entier devant moi, mais que je puisse même par là cerner et réduire- ou lieu qu'un mystère est quelque chose en quoi je suis moi-même engagé, et qui n'est par conséquent pensable que comme une sphère où la distinction de l'en moi et du devant moi perd sa signification initiale »38(*). De ces propos nous pouvons à la suite de MARCEL dire que ce qui caractérise le mystère est tout simplement le fait qu'on s'y trouve soi-même engagé et impliqué. Le mystère ne peut être résoluble, il peut seulement être reconnu et révélé ; d'où l'homme n'est pas un problème, c'est un mystère.

I.3. PRELUDE CRITIQUE AU COURANT RATIONALISTE

La critique que les existentialistes adressent aux rationalistes est basée sur la manière dont l'homme est abordé c'est-à-dire manière objective.

Les existentialistes s'opposent aux concepts de la philosophie tels qu'on les rencontre chez PLATON, SPINOZA, DESCARTES et HEGEL. La philosophie platonicienne telle qu'on la conçoit ordinairement est à la recherche de l'idée en tant que quelque chose d'immuable, SPINOZA veut accéder à une vie éternelle qui est béatitude. En effet, le philosophe en général, depuis PLATON veut trouver une vérité universelle valable pour tous les temps, il veut s'élever au- dessus du devenir et opère ou pense opérer avec la seule raison.

Cette philosophie rationaliste est conçue comme l'étude des essences ; mais les existentialistes iront à l'encontre de l'idée de l'essence prise dans ce sens39(*). Martin HEIDEGGER pense que les objets, les instruments ont peut-être des essences, la table et la statue ont une essence, mais le créateur de ces objets, c'est-à-dire l'homme n'a pas une telle essence. Dans ses études, HEIDEGGER cherche à savoir ce que c'est qu'une statue et il trouve qu'elle n'est qu'une essence ; mais pour l'homme nous ne pouvons pas nous demander ce que c'est, mais qui est ce ? Il suit de là que l'homme n'est pas une essence mais une existence ; ou bien selon la formule de HEIDEGGER, un être dont l' « essence est dans son existence »40(*).

KIERKEGAARD pense que la formule de Descartes « je pense donc je suis » ne répond pas à la réalité de l'homme existant car, « moins je pense, plus je suis » et inversement. De tout ce qui précède nous devons remarquer que la philosophie de Platon et de Descartes est une philosophie à la recherche de ce qui est stable et universel.

Mais avec HEGEL, l'idée de stabilité sera remplacée par l'idée du mouvement universel ; et seule restera, cependant, l'idée de l'objectivité, de la nécessité, d'universalité et de totalité des philosophes classiques. De part son génie, HEGEL arrive à maintenir à la fois l'idée de mouvement, et les idées d'objectivité, de nécessité, d'universalité et de totalité. De là, KIERKEGAARD s'oppose à HEGEL. Le philosophe danois récuse l'idée de HEGEL d'avoir fait un système car, trouve-t-il, il n'y a pas de système possible de l'existence. Il refuse d'être considéré comme un moment tel que le font les systèmes dans le développement de la réalité. HEGEL pense qu'il n'y a qu'une seule réalité véritable et pleine : c'est la totalité rationnelle «  parce que tout ce qui est rationnel est réel ». Or cette totalité c'est l'idée. A la recherche de l'objectivité qu'on retrouve chez HEGEL, à la passion et au désir de totalité, KIERKEGAARD va opposer l'idée de vérité comme subjectivité. Le principal ennemi de l'auteur des Miettes philosophiques est celui qui, à force de connaissances oublie ce que c'est qu'exister à l'exemple du savant qui s'efforce d'aller vers la connaissance objective des choses et pourtant qu' « il y a des choses qui ne peuvent pas être comprises par un savoir »41(*).

Le système hégélien a tort d'expliquer toutes choses. Les choses ne doivent pas être expliquées mais vécues. Aussi au lieu de saisir une réalité objective, universelle, nécessaire et totale, KIERKEGAARD dira que la vérité est subjective, particulière et partielle, raison pour laquelle il ne peut y avoir de système d'existence. Les deux mots système et existence sont contradictoires. La pensée ne peut pas atteindre l'existence réelle mais « seulement du passé ou l'existence possible » parce que ces existences sont opposées à l'existence réelle.

Si nous connaissons peu de choses au sujet de Socrate, c'est précisément que SOCRATE est un existant. Notre ignorance à son sujet est la preuve qu'il y a là quelque chose qui doit nécessairement échapper à la science historique42(*). Exister objectivement ou être dans la catégorie de l'objectif ce n'est plus exister c'est être distrait de l'existence.

Dans son premier volume intitulé Weltorientierung (l'orientation dans le monde) JASPERS expose sa philosophie qui constitue un examen et une critique de la science car, pour lui, il y a deux grandes théories philosophiques qui ont essayé en se fondant sur les sciences, de nous donner une vue de l'universel d'une part le positivisme et d'autre part l'idéalisme. Chacune de ces philosophies aboutit à la négation de l'individu c'est-à-dire de l'existence. Elles méconnaissent l'existence parce qu'elles veulent réduire les choses à ce que nous pouvons concevoir.

Dans cette critique faite à la science, Jaspers pense que « la science ne peut pas nous donner une vue totale et réelle de l'univers, car il n' y a pas des sciences, et chacune d'elles a ses postulats particuliers »43(*). Karl JASPERS reproche à ces différentes sciences le fait qu'elles soient fondées sur les hypothèses qu'elles ne démontrent pas et qui les rendent multiples parce que chacune ayant ses hypothèses qui les séparent des autres. En effet, chacune d'elles a un caractère spécifique de part son objet et pourtant l'objet commun de toutes ces sciences devait être l'homme. C'est pourquoi les sciences de la vie ne peuvent pas être réduites aux sciences de la matière, ni celle de l'âme et de l'esprit aux sciences de la vie. Dans tout cela il faudrait que nous portions notre regard vers celui qui conçoit la science et qui est l'existant. HEIDEGGER dans sa critique qu'il adresse aux sciences, constate qu'elles sont fondées sur des présuppositions en tant qu'elles laissent de coté l'existence, et se fondent sur l'opposition du sujet et de l'objet et qu'elles se meurent dans un système de pure représentation.

Gabriel MARCEL dans sa méditation sur les philosophes néohégéliens tels que BRADLEY, BOSANQUEt écrit : « Il n'y a pas de système de l'ensemble du monde »44(*). Cette philosophie hégélienne dominée par l'idée de l'absolu, amène Marcel à penser qu' « il ne peut y avoir de savoir absolu sur le réel, ni d'ailleurs sur nous-même »45(*). Nous sommes du domaine du non qualifiable car, toute qualification qu'on puisse nous donner est une qualification insuffisante ; c'est pourquoi il ne peut y avoir une vérité sur l'homme et encore moins sur l'ensemble des choses.

Le rationalisme ne nie pas la rationalité humaine. Son erreur réside dans le fait qu'il absolutise la raison. Le rationalisme est abusif puisqu'il conduit l'homme à s'enfermer dans sa propre raison. Il ne veut pas et ne tolère pas une autre fenêtre par où puisse entrer la lumière. Sous les apparences d'une plus grande largeur d'esprit, Le rationalisme en arrive à une étroitesse d'esprit. Lorsque le rationalisme impose à l'homme la raison comme seule source de connaissance, il refuse à ce dernier un dépassement qui l'élèverait davantage. Le poids du rationnel est la grande richesse de l'humanité. La dictature de la raison engendre une grande pauvreté. A première vue, le rationalisme semble assurer le royaume de l'homme, mais, en fait, il engendre le désarroi de l'esprit. C'est pourquoi avec Sören KIERKEGAARD, nous allons essayer, tout en montrant davantage les limites du rationalisme de voir comment sortir de ce grand tourbillon dans lequel nous a mené cette doctrine de la raison, en proposant les voies et moyens pour que l'homme puisse revenir à l'essentiel, à l'existant.

CHAPITRE II

L'EXISTENTIALISME KIERKEGAARDIEN

II.1. Remise en cause des systèmes

Dans son ouvrage intitulé Post-scriptum aux miettes philosophiques, Sören KIERKEGAARD sous le pseudonyme de Johannes CLIMACUS, passe en revue les différentes méthodes qui peuvent mener la réflexion philosophique jusqu'à la vérité ou plutôt jusqu'à l'essence de la vérité. Il y analyse l'insuffisance de la théorie du langage abstrait ; bref il critique la pensée rationaliste.

II.1.1. La critique de l'hégélianisme

De manière générale, toute étude sur KIERKEGAARD ne peut éluder la critique qu'il fait du système hégélien en particulier et de tous les systèmes en général. Car c'est en opposition à HEGEL que sa position se définit. KIERKEGAARD entreprend cette critique des systèmes parce qu'il considère que « le malheur de notre époque est qu'elle a appris trop de choses, et qu'elle en a oublié d'exister »46(*). Mais, si la critique est formulée contre les systèmes et le savoir absolu, elle atteint par ricochet toute spéculation abstraite et tout usage de la raison en matière religieuse.

De part ses études menées à l'université, KIERKEGAARD a pris connaissance de la pensée hégélienne et fut même séduit au départ par sa dialectique. Mais dès 1841, il commence à s'en dégager et la critique faite à ce dernier atteint son maximum dans le Post-scriptum.

La thèse de KIERKEGAARD est qu' « il peut y avoir un système logique, il ne peut y avoir un système de l'existence »47(*) puisque le réel n'est pas formé de concepts mais d'individus existant concrètement. Avec HEGEL, le système commence avec l'immédiat. Mais l'auteur Des Miettes philosophiques montre qu'il ne commence pas avec l'immédiat, car celui-ci est atteint par la réflexion. Une question se pose alors : « comment est ce que j'arrête la réflexion pour atteindre le commencement ? »48(*). La réponse que l'on peut donner est que la réflexion, laissée à elle-même, continuerait indéfiniment parce qu'elle a cette propriété remarquable qu'elle est infinie. Ce qui veut dire qu'elle ne peut être arrêtée par elle-même. Si elle s'arrête devant l'immédiat, ce n'est pas en vertu de sa logique interne, mais en vertu d'une décision librement prise. C'est pourquoi « ce n'est que quand la réflexion est arrêtée qu'on peut commencer, et la réflexion ne peut être arrêtée que par quelque chose d'autre, et cette autre chose est tout différent du logique car c'est une décision »49(*).

L'autre revers du système est qu'il doit englober toute vérité ; donc, être achevé sinon aucune de ses parties ne tient. « Un système et un tout clos sont une seule et même chose ; donc tant que le système n'est pas fini, il n' y a pas de système »50(*). Voilà pourquoi le problème est que le système philosophique est parfait et achevé. Pour y entrer, il faut une décision libre qui est antérieure et transcendante au système ; raison pour laquelle ce système n'a rien de logique, car commençant en vertu d'un acte libre. Dans sa volonté de nous montrer que le système est quelque chose de jamais achevé, KIERKEGAARD dit : « chaque fois que j'ai été sur le point de tomber à genoux devant le système pour l'adorer, j'ai demandé à l'un des initiés : « dis- moi est-ce tout à fait terminé ? » Et j'ai reçu toujours la même réponse : « Non, à vrai dire ce n'est pas encore tout à fait fini ». Et, ainsi tout était à nouveau remis à plus tard, le système et la génuflexion »51(*). Nous nous apercevons dès lors que ce qui nous est offert, ce n'est pas un système, mais l'effort de l'homme vers le système, car le système est un tout uni et achevé. De ce qui précède, nous pouvons affirmer que le système philosophique est quelque chose qui reste toujours incomplet, c'est-à-dire inachevé.

Pour KIERKEGAARD, la valeur réelle d'un système d'idées logiques est nulle et il suit de là qu'un système de l'existence est impossible parce que l'existence est ce qui sépare. Elle sépare les choses les unes des autres et rend leur individualité inconnaissable. Elle sépare les choses de la pensée et les pose en soi hors de l'immanence. Cela signifie qu'on peut bien confiner les concepts mais le réel n'est pas formé de concepts ; il est constitué d'individus existant et leur existence consiste en ce qu'ils sont posés chacun en soi, c'est-à-dire à part des autres et en dehors de la pensée. Il apparaît qu'aucun procédé dialectique ne peut synthétiser les existants puisque le philosophe qui construit un système n'est pas lui-même une idée de son système. Or, le philosophe est un homme particulier existant ; mais qui se désintéresse de son existence sous prétexte d'être objectif au point où il arrive à comprendre tous les systèmes des sciences, sauf lui-même. Pour l'exprimer, KIERKEGAARD recourt à l'image d'un bâtisseur qui « élève une bâtisse immense, un système universel embrassant toute l'existence et l'histoire du monde, etc. Mais regarde- t-on sa vie privée, on découvre ébaudi ce ridicule énorme qu'il n'habite pas lui-même ce vaste palais mais une grange à côté, un chenil, ou tout au plus la loge du concierge »52(*).

Le système universel qu'il soit celui de l'esprit selon HEGEL, ou celui de l'humanisme selon MARX, a oublié dans sa dispersion historico-universelle ce que signifie être un homme. La tâche que KIERKEGAARD se propose est précisément l'inverse. C'est l'individu qui est la vérité et non la raison, l'humanité ou l'Etat, car l'individu est la seule réalité. « Ce qui existe est toujours un individu ; l'abstrait n'existe pas »53(*). L'existence désigne chez KIERKEGAARD la réalité concrète de l'homme, non de l'homme en général, mais de chaque individu.

Le système Hégélien serait admirable en tant qu'expérience mentale, comme fiction abstraite ; mais, si nous cherchons à le comprendre comme le vrai sens de la réalité, c'est tout simplement comique54(*) ; ici apparaît un thème récurrent tout au long de son oeuvre : l'ironie. Celle-ci occupe dans la pensée la place que chez HEGEL correspondrait la dialectique. KIERKEGAARD l'utilise comme un moyen pour détruire le système hégélien. Il prétend par là défendre la seule chose qui importe : l'existence et son mystère. Dans l'idéalisme hégélien, la liberté et l'individualité de la personne sont sacrifiées à la nécessité et à l'universalité de l'idée. La pensée en définitive est abstraite et l'existence concrète ; c'est pourquoi la pensée ne pourra jamais comprendre l'existence. La pensée du sujet existant n'est pas la pensée objective du philosophe qui s'oublie lui-même mais la pensée subjective, la réflexion sur le mouvement de sa propre existence.

Par cette critique, le philosophe danois montre à quel point toute spéculation abstraite laisse de côté l'existence et ne peut donc ni la penser, ni l'expliquer ni la démontrer. Ce refus ou ce rejet de la conceptualisation de l'existence remonte à la période antique car « l'existence correspond à l'individu qui, suivant l'enseignement de Aristote, est en dehors de la sphère du concept »55(*).

Aborder ainsi l'existence ou la considérer de la sorte, ne sera que le fruit de la pensée abstraite qui « je le sais admire volontiers l'existence d'un artiste qui, sans s'interroger sur la nature de sa condition humaine,[...] fait oublier l'homme pour l'oeuvre »56(*).

II.1.2. La pensée abstraite

La langue de l'abstraction ne mentionne, à vrai dire, jamais ce qui constitue la difficulté de l'existence et de l'existant, et donne encore moins d'explication. Si la pensée abstraite ne fait pas ou n'arrive pas à la faire, c'est justement parce qu'elle est sub specie aeterni, elle « ne tient pas compte du concret, de la temporalité, du devenir propre à l'existence et de la misère que connaît l'existant du fait qu'il est une synthèse d'éternel et de temporalité, plongée dans l'existence »57(*). Et conscients que la pensée est ce qu'il y a de plus élevée, ces penseurs délaissent fièrement l'existence aux hommes incultes.

Il est juste et bon de rappeler que penser abstraitement la réalité et donner une réponse abstraite est plus facile que de demander ce que signifie telle chose précise, et que de répondre à cette question. Cela dit, « l'abstraction ne tient pas compte de cette chose précise mais la difficulté consiste précisément à la rattacher à l'idéalité de la pensée en voulant la penser »58(*). C'est pourquoi l'insuffisance de l'abstraction ressort dans toutes les questions concernant l'existence. Elle commence par écarter la difficulté en l'omettant et se vante par la suite de tout expliquer. Prenant l'exemple de l'immortalité en général, la pensée abstraite se trouve fière de l'expliquer ; mais, quant à savoir si un existant particulier est immortel, là se trouve la difficulté et l'abstraction n'a guère de solution à donner. De là TISSEAU estime que « la pensée abstraite m'aide ainsi, touchant mon immortalité, en me tuant comme individu ayant une existence particulière pour me rendre alors immortel ; elle me secourt à peu près à la façon du médecin de Holberg, dans la chambre de l'accouché, dont la drogue tua le malade, mais chassa la fièvre »59(*). De cette façon, le penseur abstrait cesse d'être homme.

La pensée fait abstraction de l'individualité des choses, elle laisse de côté leurs caractères et leur existence. Elle ne conçoit que des essences et les essences n'existent pas, elles sont des possibles. Elle ne peut concevoir la réalité que sous forme de possible seulement, d'où elle supprime cette réalité en ce sens que « la réalité ne se laisse pas exprimer dans le langage de l'abstraction, car les questions qu'elle se pose et les réponses qu'elle y donne ne concernent pas l'existence mais seulement les possibilités »60(*).

KIERKEGAARD, en prenant l`exemple du cogito cartésien démontre que la pensée ne peut expliquer l'existence. Dans le cas précis du cogito, le philosophe danois pense qu'on peut repérer dans la déclaration de DESCARTES une tautologie ou une contradiction. Une tautologie si l'on entend par Je un homme particulier existant, et on obtiendrait alors : je suis pensant, ergo je suis ; mais si je suis pensant, ce n'est plus merveilleux que je sois c'est déjà dit61(*) . Par contre, le cogito devient contradictoire si le je signifie le je pur qui n'est personne en particulier. Car alors, ce je ne peut avoir d'autre existence que conceptuelle, et c'est une contradiction que de conclure de la pensée à l'existence réelle, puisque la pensée supprime l'existence et la transpose en possibilité. De là, « qu'un penseur abstrait démontre son existence par sa pensée, c'est une étrange contradiction, car dans la mesure où il pense abstraitement, il fait abstraction précisément du fait qu'il existe »62(*). KIERKEGAARD essaie de surmonter le cogito, ergo sum de la philosophie moderne par un principe nouveau : credo, ergo sum. L'existence authentique n'a pas sa racine dans la pensée mais dans la foi. Je suis dans la mesure où je crois. Mais il faut noter que chez KIERKEGAARD, credo et cogito s'opposent dialectiquement. La pensée objective se désintéresse de la foi la quelle se voit obligée de se réfugier dans la subjectivité. D'où l'opposition chez KIERKEGAARD entre savoir objectivement et exister subjectivement.

Considérons le rapport de la philosophie au christianisme. KIERKEGAARD dans sa thèse tient d'abord à préciser que le christianisme n'est pas une doctrine, mais plutôt un message existentiel ; par conséquent, sa vérité n'est pas objective parce que ne pouvant être démontrée ni comprise. Il est pour la raison « le paradoxe absolu ».

Quand l'auteur des Miettes philosophiques dit que le christianisme n'est pas une doctrine, il ne prétend pas lui dénier tout contenu doctrinal. Le christianisme n'est pas « une doctrine qui veut être comprise spéculativement [...] - mais - une doctrine qui veut être réalisée dans l'existence »63(*). Par conséquent, vouloir spéculer à son sujet est « un malentendu, et si finalement on prétend l'avoir compris spéculativement, alors on a atteint le maximum de malentendu »64(*).

Pour KIERKEGAARD, vouloir justifier le christianisme par la raison est une entreprise qui relève du manque de foi. Ainsi, KIERKEGAARD voit que le premier inventeur de la défense du christianisme est un homme incrédule. En outre, si l'on parvenait à démontrer la vérité du christianisme, on cesserait de croire. D'où, prétendre avoir compris le christianisme c'est se tromper car « si quelqu'un s'imagine qu'il le comprend, il peut être tranquille qu'il se trompe »65(*). C'est ce qu'a fait HEGEL en « médiatisant » et en intégrant le christianisme à son système en lui reconnaissant certaines vérités, mais qui, aussitôt, se trouvent dépassées comme un moment provisoire de l'esprit. Or, cette manière de faire est absurde car elle supprime ce qu'elle devait comprendre.

L'intérêt suprême de l'homme dirions-nous est d'exister concrètement. Mais cet intérêt ne le condamne pas à cesser de penser ; tout au contraire il le porte à se poser lui-même. Il donne donc une direction nouvelle ou plus largement un nouveau « style » à sa pensée qu'on peut appeler : la pensée subjective.

II.1.3. La pensée subjective

Parlant de la pensée subjective, l'intention de KIERKEGAARD est celle de réapprendre aux hommes ce que c'est qu'être homme ou exister humainement. Cette volonté de KIERKEGAARD se ressent dans cette phrase où il déclare : « mon idée principale était qu'à notre époque le développement du savoir a fait oublier l'existence et l'intériorité, et que c'est par là qu'on doit expliquer le malentendu entre la spéculation et le christianisme. [...] Si l'on avait oublié ce que veut dire l'existence humaine religieuse, on avait autant oublié ce que signifie exister humainement ; c'est cela qu'il fallait donc retrouver »66(*). C'est cette réflexion sur l'homme que l'auteur des Miettes philosophiques appelle  « la pensée subjective ».

La question de la vérité fait également partie de la préoccupation de KIERKEGAARD qui pense qu'il existe sans doute une vérité objective. Pour lui l'important n'est pas de connaître la vérité mais de la reconnaître et de se l'approprier personnellement. Tel est le sens de phrase de Kierkegaard : « la subjectivité est vérité ». En ce sens, cette subjectivité n'est nullement celle de Protagoras. KIERKEGAARD donne à voir que la vérité objective est sans intérêt pour l'homme existant s'il ne cherche pas à se l'approprier, à vivre dedans. L'important pour l'homme n'est pas d'avoir une vérité, mais de vivre cette vérité, d'être dans la vérité. Dans la réflexion objective, la vérité est quelque chose d'objectif et il s'agit de faire abstraction du sujet. Pour la pensée subjective, la vérité est l'appropriation, l'intériorisation, et l'approfondissement dans le sujet. Cela apparaît parfaitement claire dans le cas de Dieu ; la réflexion objective ne l'atteint pas car « Dieu étant sujet n'existe qu'intérieurement pour la subjectivité »67(*). Par contre, la réflexion subjective s'occupe du rapport de l'individu à Dieu, et là, le comment l'emporte sur le quoi. Cela signifie que la manière dont l'individu se rapporte à Dieu peut très bien le mettre dans la vérité, même quand il n'a pas une connaissance vraie du Dieu. Ainsi la proposition hégélienne selon laquelle Dieu n'est essentiellement que dans la pensée se transforme chez KIERKEGAARD en thèse selon laquelle « Dieu n'existe que subjectivement et pour la subjectivité d'une relation avec Dieu cas par cas »68(*).

Le penseur subjectif a pour rôle de réapprendre aux hommes ce que c'est qu'exister humainement, être homme ; car la science, la philosophie, la raison et l'objectivité ont fait oublier l'essentiel, le principal. Le philosophe danois prône une pensée subjective pour aller à l'encontre des penseurs objectifs qui sont des contemplateurs d'abstraction ; ils se tiennent dans un état de distraction permanente à l'égard de leur propre existence. Ce qui est contraire au penseur subjectif qui a son mode de pensée et ses principales catégories.

II.1.3.a. Les modes de pensée

· Le penseur subjectif pense

Dire qu'il ne pense pas sous prétexte qu'il ne pense pas abstraitement, c'est un sophisme ; c'est présupposer qu'il n'y a qu'un seul mode de pensée. Or, l'existence humaine comporte la pensée car, « penser et exister ont été posées ensemble dans l'existence par le fait qu'un homme qui existe est un homme qui pense »69(*).

· Sa pensée est concrète

« Au lieu que la pensée abstraite a pour tâche de comprendre abstraitement le concret, le penseur subjectif a pour tâche de comprendre concrètement l'abstrait »70(*). Cela s'explique par le fait que le penseur abstrait détourne son regard des hommes concrets au profit de l'homme en soi. Le fait d'être homme, le penseur subjectif le comprend concrètement : être tel homme particulier existant. Nous sommes amenés à dire que la pensée abstraite est une pensée où il n'y a pas de sujet ; tandis que la pensée concrète est celle-là où il y a un sujet pensant et quelque chose qui est pensée. On peut donc dire à la suite de KIERKEGAARD que « la tâche du penseur subjectif consiste à se comprendre lui-même dans l'existence -et- que son devoir est de se transformer en un instrument qui exprime l'humain dans l'existence »71(*).

· La pensée subjective est passionnée

Tandis que le désintéressement de la pensée abstraite l'amène à être objectif, la pensée subjective est caractérisée par l'intérêt infini que porte à l'existant, celui qui existe. Le penseur subjectif pense tout en lien avec lui-même qui a un intérêt infini pour l'existence. Il y a, comme dit KIERKEGAARD, un «  pathos existentiel » qui ne peut être extirpé de la pensée. C'est dans cette logique que le philosophe danois pense que « tous les problèmes d'existence sont passionnés, car l'existence quand on en devient conscient donne la passion. Réfléchir sur les problèmes en laissant de côté la passion, ce n'est pas réfléchir du tout, c'est oublier la pointe à savoir qu'on est soi-même un être existant »72(*).

· La pensée subjective est dialectique

La dialectique que KIERKEGAARD prône n'est pas ou ne peut être comprise, ni pensée au sens de HEGEL comme un processus de médiation, mais en ce sens qu'elle affronte les contradictions où l'homme réel se débat, et qu'elle maintient les alternatives au point qu'on puisse voir clairement la nécessité de choisir. « L'existence est une énorme contradiction dont le penseur subjectif ne doit pas faire abstraction, mais dans laquelle au contraire il doit rester [...]. Le penseur subjectif est un dialecticien en ce qui concerne l'existence : sa pensée se passionne pour maintenir la disjonction qualitative »73(*).

Loin d'être une doctrine qui annihile le rôle de la raison dans l'existence humaine, l'existentialisme propose des différentes catégories qui ne sont pas des éléments intellectuels, objectifs, abstraits et universels comme chez ARISTOTE et KANT mais des éléments concrets.

II.1.3.b. Les différentes catégories existentielles

La notion de catégorie74(*) chez KIERKEGAARD est différente de celle d'ARISTOTE75(*) et de KANT76(*), en ce sens que chez lui, les catégories sont des caractères concrets, indispensables, incompréhensibles qui font l'individualité de chaque homme. Ces caractères se trouvent chez tout homme, sauf chez l'homme pris dans son essence universelle.

· Catégorie de l'unique

Chaque homme, en tant qu'individu, est unique. Unique en ce sens que l'individu est un être distinct des autres êtres de sorte qu'il ne peut y avoir au monde deux individus absolument identiques et indiscernables. Chaque individu est strictement original et mène une vie dont il ne peut se décharger sur les épaules des autres, car personne ne peut vivre ni exister à la place d'autrui. Dans cette catégorie, on peut voir de façon claire l'influence de la pensée de PASCAL qui disait déjà qu' « on vit seul comme on meurt seul ». C'est pourquoi la pensée rationaliste ne peut jamais atteindre l'homme de manière complète puisque étant d'une unité sans pareil et ayant des caractères qu'on ne peut attribuer aux autres par un raisonnement déductif.

· Catégorie du secret

Toute conscience forme un monde clos, un peu comme le concevait LEIBNIZ au sujet des monades. Il est vrai que l'on peut s'exprimer, se faire connaître dans une certaine mesure, mais tout ce qu'on pourra dire de nous ou sur nous restera toujours incomplet. Voilà pourquoi KIERKEGAARD publia la plupart de ses ouvrages sous des pseudonymes ; car aucune d'elle ne l'exprime dans l'infini richesse de la complexité de sa vie intérieure. C'est également la raison pour laquelle le philosophe existentialiste propose qu'il faille abandonner le projet de vouloir connaître l'autre puisque une telle connaissance sera seulement de l'ordre de l'abstraction, de l'objectivité et laissera échapper l'individualité qu'on cherche à explorer, à saisir. Cependant, il y a la possibilité de transmettre un message, ce qui ne sera possible que par une communication indirecte mais concrète, existentielle c'est-à-dire qui permet d'attirer l'attention de l'autre sur moi et sur sa propre existence.

· Catégorie du choix

Cette catégorie est caractérisée par la liberté qui est essentielle pour l'homme. Elle résume en quelque sorte les traits précédents en ce sens qu'elle décide du présent, oriente l'avenir et constitue le moi. Le choix offre la possibilité, face à une alternative de choisir l'un des membres et d'en n'exclure l'autre. Cette catégorie permet de comprendre que choisir quelque chose c'est se choisir soi-même. Ainsi, la liberté consiste d'une part à se choisir c'est-à-dire consentir à être ce qu'on est, à être soi-même, et d'autre part à vouloir devenir ce qu'on n'est pas encore.

· Catégorie du désespoir et de l'angoisse

Cette catégorie en quelque sorte est le résumé de toutes les autres catégories. Le désespoir est le sentiment d'échec qui fait partie de la condition humaine parce que l'homme est un être fini. Et selon qu'il est accueilli, il peut être sur le chemin du salut ou de la perdition. L'angoisse quant à elle est liée à la liberté. Elle est un tourment de la conscience devant ses possibilités et elle atteint sa plus grande intensité dans la tentation où l'on désire et redoute à la fois le même acte. Mais comme le possible n'existe pas on peut dire que l'angoisse a pour objet le rien.

II.2. Angoisse et désespoir

Dans l'existentialisme KIERKEGAARDIEN, l'angoisse et le désespoir jouent un rôle très important dans les stades de la vie. L'angoisse et désespoir ne comportent pas des aspects négatifs, mais sont ou doivent être considérés comme des moyens déclenchant une remise en question de notre manière d'être ou de vivre afin de prendre conscience de nos limites et celui du stade de vie dans lequel nous sommes pour aspirer à un stade meilleur. Et cela de manière progressive jusqu' au stade religieux.

II.2.1. Angoisse

La réflexion sur l'angoisse faite par les philosophes en général et chez KIERKEGAARD en particulier porte les estampilles d'un vertige qui saisit la conscience quand elle est confrontée au néant ou à sa liberté absolue. Et chez KIERKEGAARD, «  l'angoisse est celle de la liberté, de la possibilité de choisir entre le bien et le mal sachant que le péché originel met l'homme en situation de permanente culpabilité »77(*). On ne trouvera donc pas d'angoisse chez l'animal qui, par nature, n'est pas déterminé comme l'esprit.

L'existence kierkegaardienne est envisagée comme vécu concret et subjectif, comme jaillissement irréductible aux concepts. L'homme est la synthèse d'un corps et d'une âme. Mais il existe un troisième élément qui est l'esprit. L'esprit est en un sens une puissance ennemie car il trouble constamment le rapport de l'âme et du corps. D'un autre côté, l'esprit est une puissance amie soucieuse d'établir le rapport. L'esprit découvre le conflit des puissances contraires, prend conscience de son existence, mais cette existence n'est jamais claire, car elle est entravée par le corporel. Dans l'homme, la conscience de soi n'est jamais achevée et c'est pourquoi le sujet est dans un devenir incessant. L'homme est tension des contraires incompatibles. Il doit s'occuper de son développement sans se soucier de savoir s'il est utile aux autres. Etre individu pour KIERKEGAARD, c'est avoir l'honnêteté et le devoir de penser par soi-même le devoir de son existence et celle du monde ; c'est rester maître du cours des choses sans se laisser enchaîner par lui. Quel est le rapport de l'homme à cette puissance ambiguë ? Comment l'esprit se rapporte-t- il à lui-même et à sa condition ? L'esprit ne peut se débarrasser de lui-même ni d'avantage s'emparer de lui-même, aussi longtemps qu'il est extérieur à lui-même. L'homme ne peut non plus sombrer dans le végétatif puisqu'il est par nature esprit ; il ne peut fuir l'angoisse car il l'aime ; et ne peut à vrai dire l'aimer car il la fuit78(*). L'angoisse n'est nullement une faute, un fardeau, ou une souffrance. Si l'on observe les enfants, on trouvera cette angoisse plus nettement caractérisée comme une recherche du fantastique, monstrueux. Cette angoisse est essentielle à l'enfant qu'il ne veut pas la fuir ; elle a beau l'inquiéter, elle le captive pourtant de ses doux tourments79(*).

L'angoisse est angoisse devant le mal où l'homme découvre la possibilité du péché et c'est l'angoisse devant le bien que le pécheur ressent quand il prend conscience qu'il pourrait se libérer du péché. «  Quand on admet que l'interdiction suscite le désir, on a un savoir au lieu de l'ignorance, car Adam a dû avoir une connaissance de la liberté, puisque son désir était de s'en servir. L'interdiction angoisse Adam parce qu'elle éveille en lui la possibilité de la liberté »80(*). Puisque la liberté est ancrée dans l'être de l'homme, chaque fois qu'un existant voit sa liberté se restreindre, un certain sentiment d'angoisse naît en lui, car comme le dit HEIDEGGER, « l'angoisse est le signe du sentiment de notre condition humaine ».

Si face au péché on éprouve regret et remords, l'angoisse n'apparaît que devant un possible indéterminé, c'est-à-dire devant un futur. Etant liée à l'existence, l'angoisse est donc un état affectif où s'affrontent deux possibilités. Cet état produit par le vertige de la liberté est lié au péché. C'est l'état fondamental d'un être qui se voit condamné à choisir mais qui ne sait quoi choisir. Nous pouvons observer cet état chez l'esthéticien qui est constamment en face d'un choix : agir ou ne pas agir. Le fond même de sa nature est l'angoisse qui ne se dissipe jamais, pas même dans l'instant de la jouissance ; et cet état d'esprit met l'existant dans un état d'anxiété. Cet état d'anxiété fait en sorte que « généralement, l'angoisse retombe à la peur, c'est-à-dire à la crainte d'objets précis, qui en même temps la détourne et nous rassure : car mieux vaut pour l'homme commun un ennemi nommé, et visible que l'insaisissable horreur qui se cache au fond de nous-même »81(*).

Pour KIERKEGAARD, l'angoisse permet de connaître comment l'homme est arrivé au péché dans sa liberté tout en brandissant le déterminisme. L'angoisse étant liée à la liberté, l'homme est appelé à jouir de cette liberté tout en sachant que celle-ci consiste tout d'abord à s'accepter comme image de l'infini dans sa finitude. De cette synthèse, l'homme s'ouvre à l'autre tout en étant soi-même en vue de faire de la rencontre avec l'absolu. Toutefois, ce passage requiert un devenir. Le devenir revêt un cachet particulier dans lequel la faillite fausse l'essentiel qui veut conduire à l'existence non d'une manière vide mais plein d'espoir. Pour Martin BUBER, « le souci et l'angoisse de l'homme sont devenus de nature essentielle, chez Kierkegaard, en tant que souci du rapport avec Dieu et l'angoisse se fait craindre de manquer ce rapport ».82(*) Ce qu'il faudrait noter toutefois c'est que l'angoisse contribue à ce que ce dernier se trouve en face de Dieu.

II.2.2. Le désespoir

N'étant jamais pleinement ceci ou cela, étant confondu en son milieu et en partie à tort par rapport à lui-même, l'homme est déchirure et séparation du premier au dernier jour de son existence. Synthèse de deux principes opposés, le temporel et l'intemporel, de ce qui passe et ce qui dure, lui-même volonté de durée, volonté d'absolu, désireux de perfection, l'homme éveillé souffre et connaît le désespoir. Le désespoir c'est toujours en quelque sorte l'expérience de la limite : ce que je peux être, je ne le suis pas, et ce que je suis, je ne le veux pas.

Chez KIERKEGAARD, il faut noter que, le désespoir n'est pas un étant simple, mais une réalité aux dimensions diverses. Le désespoir empirique, le mal de l'âme (ou de l'esprit) se situe sur le même plan de la jouissance égocentrique dont il est le châtiment ; il sonne la déception de nos décisions. « Le désespoir n'est pas seulement cette phosphorescence du néant »83(*). Car, s'il se détache du désir et s'il exprime le gémissement de l'être, il devient révélation négative de l'absolu, phase dialectique de notre libération. « Désespère de toute son âme et de toute sa force, [...] Qui désespère trouve l'homme éternel »84(*).

La provocation du désespoir conduit à la décision existentielle : « On ne peut désespérer sans choisir un choix85(*). Le désespoir tient dans la perspective existentielle la place que tient le doute méthodique au départ de la réflexion cartésienne. Lui aussi, comporte dans son épaisseur même, un ? ergo sum?, si l'on se prête à rejoindre, par-dessus le désespoir fini, le désespoir infini qui remplit notre néant de la plénitude de l'appel »86(*).

Dans ses Pensées, PASCAL déclare que « l'homme est ainsi fait, qu'à force de lui dire qu'il est sot, il le croit ; et à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire »87(*). Il y a assez d'incertitude et de désespoir au monde pour que la foi existentielle, et pour certains la foi tout court, ne soit pas une assurance mais un pari88(*). Mais la foi prise en ce sens n'est que désespoir pour cette foi. Sinon nous ne tirerons de notre misère qu'une satisfaction sèche et sans douleur, qui ne pousserait pas tant de cris.

En prolongeant la pensée de KIERKEGAARD, nous dirons qu'il existe deux types de désespoir : un désespoir clos et un autre ouvert. Le premier s'adresse à un refus et s'enveloppe d'un repli égocentrique, une crispation du moi, un moi uni sur l'axe de la revendication et de la possessivité. Il naît d'une indisponibilité primitive où l'homme ne peut recevoir aucune révélation de l'existence parce qu'on est précisément plein de soi. Mais, dès qu'il est satisfait et verse dans l'optimisme, ou submergé par la déception de l'existence, il glisse au désespoir. Il faut noter que l'attitude est la même dans les deux cas, où le monde est considéré en face de soi comme un avenir inventoriable et comptable. L'optimiste est celui qui compte sur l'avenir, le désespéré du fini est celui qui ne compte plus sur rien, ni sur personne.

Toute la pensée de KIERKEGAARD pourrait s'organiser autour de la doctrine des sphères. Il y a trois sphères d'existence que l'auteur des Miettes philosophiques développe dans son ouvrage intitulé Stades sur le chemin de la vie ; il y décrit les étapes qu'il a lui-même parcourues.

II.3. LES SPHERES D'EXISTENCE

Ces sphères traduisent le développement spirituel de KIERKEGAARD. Le philosophe danois le fait suite à sa jeunesse où il a mené une vie de dissipation et de jouissance. En réalité, chaque stade définit un type d'existence d'où l'on ne peut sortir que par un acte d'absolue liberté. Voilà pourquoi sphère est le terme juste. Cette évolution à travers les différents stades de la vie n'est pas la même chez tous les hommes. KIERKEGAARD ne veut pas dire que « tout homme suit la même évolution que lui, encore moins que tout homme parcourt nécessairement les trois stades du seul fait qu'il vieillit. Au contraire, sa thèse est que les stades sont comme des plans qui ne se coupent pas, ou comme des sphères extérieures les unes aux autres »89(*). Ce qui est contraire chez les rationalistes ; car pour eux, toute vérité ou résultat obtenu est applicable à tous les êtres et valable pour chacun. Cela est établi en règle universelle. Chez l'auteur des Miettes philosophiques les sphères sont extérieures les unes aux autres, exclusive l'une de l'autre ; on se situe dans l'une ou dans l'autre par la manière d'exister. C'est pourquoi toute la pensée de KIERKEGAARD pourrait s'organiser autour de cette doctrine donc nous esquisserons quelques traits.

II.3.1. La sphère esthétique

KIERKEGAARD définit l'esthétique chez l'homme comme « ce pourquoi il est immédiatement ce qu'il est, en opposition à l'éthique, qui est ce pourquoi l'homme parvient à être ce qu'il parvient à être »90(*). De là, le développement chez l'esthétique consiste simplement à une transformation de ce qu'il est déjà.

La sphère esthétique est une sphère caractérisée par une vie de jouissance et de légèreté. Ceux qui s'y trouvent refusent de s'engager dans une tâche sérieuse. Célibataires, ils vivent dans le présent mais un présent n'ayant aucune grande portée. Ils accueillent tout mais ne choisissent rien. Ils pourraient avoir pour devise : le carpe diem d'Horace. Il faut noter que ceux qui vivent dans ce stade de vie peuvent bien se représenter les deux autres types d'existence, mais s'ils le font, ce sera juste pour jouir de ces vies et non pour y rester. Tel est également le comportement des rationalistes qui parlent de vie de l'être humain et de son existence sans l'intégrer dans leurs modes de vie et dans leurs agirs quotidien. C'est pourquoi l'ayant constaté, VERNEAUX dira à propos que « toute spéculation abstraite et objective appartient à ma sphère esthétique, puisque le spéculant n'opère pas la réduplication, le penseur n'essaie de s'approprier et de vivre la vie qu'il contemple »91(*). Donc pour KIERKEGAARD, l'esthète n'existe pas, il n'est que possible. Cependant puisqu'il y a pas de médiation entre les sphères d'existence, il y a une sorte de préparation possible qui assure le passage d'une sphère à l'autre. Ici c'est l'ironie qui assure le passage de la sphère esthétique à la sphère éthique.

L'ironie est l'incognito de l'existence de la morale dans l'existence dissipée. Elle consiste à conduire l'esthète jusqu'au bout du désespoir pour lui permettre de prendre conscience que la jouissance à laquelle il s'est consacré ne peut le satisfaire, mais n'installe en lui que pur dégoût. « L'ironie parait quand on rapporte sans cesse les particularités du monde fini à l'exigence éthique infinie et qu'on laisse éclater la contradiction »92(*). « L'ironie pousse l'homme jusqu'au désespoir pour lui permettre de prendre conscience que la jouissance à laquelle il s'est consacré, ne peut le satisfaire, mais ne lui apporte que du dégoût »93(*).Mais le désespoir qui naît, pense KIERKEGAARD, n'est pas suffisant pour le convertir en une vie meilleure puisque l'esthète peut se complaire dans son désespoir.

II.3.2. La sphère éthique

La sphère éthique est un stade où on mène une vie sérieuse et entièrement vouée à l'accomplissement du devoir. L'homme qui vit sur ce plan « éthicien », selon les mots de KIERKEGAARD, est en quelque sorte une personnification de la morale kantienne. C'est l'homme kantien, l'homme du devoir.

Dans la vie éthique, l'homme entre en contact avec ce qui est général, et renonce à être une exception. Il ordonne sa vie à l'accomplissement du devoir. A la différence de l'homme esthétique qui était ce qu'il était, l'homme n'est pas, mais parvient à être. Là où, au sens strict, il s'agit « d'une chose ou d'une autre », là intervient l'éthique. L'esthétique n'était pas le mal, mais l'indifférence : le choix entre le bien et le mal constitue l'éthique.

L'homme qui s'y trouve est ordinairement marié, honnête et juste ; il trouve dans cette droiture une certaine paix intérieure et la joie d'une bonne conscience. L'éthicien pourrait avoir pour devise : « cum pietate filicitas ». Ce type d'homme existe de façon authentique car il se choisit en accomplissant son devoir, c'est-à-dire en s'appropriant le devoir, en adaptant à sa situation particulière les obligations communes et en les assumant personnellement. C'est fort de ce constat que VERNEAUX pense que « le devoir, en effet, n'est pas pour lui une règle extérieure, il se l'est approprié »94(*). Cette remarque de Roger VERNEAUX permet de voir que le devoir tel que pensé par KIERKEGAARD ne peut être assimilé au sens rationaliste du devoir qui se présente comme une règle extérieure. Car, « la connaissance arrache à l'homme la quiétude de la vie organique et lui propose un triple réconfort : il est effrayé de son ignorance, elle lui promet un savoir contraignant, valable sans réserve ; il est livré à la multiplicité déroutante des phénomènes, elle lui promet de maîtriser l'indéfini ; il est perdu dans la pluralité des hypothèses, elle lui promet l'unité du savoir »95(*). Mais toutes ces promesses faites ne peuvent tenir debout. Le savoir ne peut pas être contraignant. En ce sens, l'homme suit une voie commune, il s'établit dans le général mais, en même temps, il se pose et s'affirme comme individualité.

La sphère éthique cependant, se manifeste comme un stade intermédiaire. L'homme éthique selon KANT, se rapproche de Dieu dans la mesure où il obéit à la loi morale. Mais face à cette éthique autonome tel que voulue par KANT, KIERKEGAARD revendique le devoir absolu d'obéir à Dieu. Par là il ne veut pas nier la valeur de la loi morale, mais la subordonne au devoir absolu de l'homme d'obéir et de se rallier à Dieu. Ce qu'il refuse c'est seulement une morale autonome ou immanente. De même que l'ironie a assuré le passage de la sphère esthétique à la sphère éthique, l'humour sera le moyen pour l'éthicien de passer à la sphère religieuse.

L'humour a pour rôle d'inquiéter, de troubler la paix que l'homme honnête trouve dans l'accomplissement de son devoir. L'humour consiste à lui faire toucher du doigt, sur des cas concrets, que « la morale ne règle pas tout, que l'homme se trouve parfois dans une situation exceptionnelle où le devoir n'est pas tracé et qui ne comporte pas de solution raisonnable »96(*). Mais, bien que l'humour joue un rôle important dans le passage, la conversion n'est pas assurée ; car si l'homme sérieux refuse le saut, il s'enferme définitivement dans sa sphère.

II.3.3. La sphère religieuse

Cette sphère est celle où l'homme existe au plus haut point, puisque la foi le met seul devant Dieu et pécheur. La vie chrétienne est une vie d'amour pour KIERKEGAARD, une vie de prière et de renoncement. L'amour est le principe et le ressort car tout rapport d'intimité entre deux personnes concrètes se passe ou s'accomplit par le biais de l'amour. Dieu se manifeste à ceux qui l'aiment par l'amour qu'il leur manifeste et qui est non seulement son oeuvre mais aussi sa présence. La prière n'est autre chose que cette respiration d'âme. Elle ne consiste pas à rendre Dieu attentif à nos prières, mais nous rendre attentif à la volonté de Dieu. Mais l'homme rationaliste, suite à l'anthropocentrisme moderne qui le pousse à éprouver une nouvelle conscience de soi, se découvrant pour ainsi dire au sommet et au centre de l'existence humaine ne cherche plus Dieu : il est Dieu lui-même. Il refuse ce que les autres appellent la troisième dimension. Cette troisième dimension est l'expression dernière de l'intelligence ; elle touche la transcendance de Dieu et la destinée ultime de l'homme. L'homme la rejette très souvent pour croupir dans les deux premières dimensions qui traitent successivement du corps et de l'âme dont l'expression significative est la pensée. Mais ces deux premières dimensions ne font que limiter son être. Depuis l'avènement du rationalisme, l'homme ne vit plus qu'à la surface de lui-même ; en oubliant que le Dieu qu'il rejette pour se réfugier dans la raison serait effectivement sa seule ouverture vers la LUMIERE. Aveuglé par le rationalisme qui lui présente un paradis artificiel, le penseur objectif va préférer les lumières qui le limitent aux deux premières dimensions de son être renfermé sur lui-même. Cette lumière leur voile l'esprit et les amène à ne pas cerner que « Dieu n'est pas seulement pour l'homme une norme qui s'impose à lui et qui, en le dirigeant le redresse : il est l'absolu qui le fonde, il est l'aimant qui l'attire, il est l'Au-delà qui le suscite, il est l'Eternel qui lui fournit le seul climat où il respire, il est en quelque sorte cette troisième dimension où l'homme trouve sa profondeur »97(*).

Aimer Dieu, c'est l'écouter dans la prière et l'adoration. Ainsi l'acte de la prière et l'acte de l'amour sont identiques et tous deux identiques au renoncement. La devise pour qui vit dans cette sphère pourrait être : Unum necessarium de l'Evangile.

Il ressort de ces trois sphères trois types d'existence définie chacune soit par une passion fondamentale, un pathos : jouir, aimer, agir ; soit par une forme d'angoisse devant le destin, devant la loi, le péché, soit par une grande étape de l'histoire humaine : le paganisme, le judaïsme et le christianisme.

Entre les différentes sphères, il n'y a pas de rapport, pas de médiation, ni de pont permettant le passage d'une sphère à l'autre. KIERKEGAARD pour remédier à ce problème de médiation met en place une sorte de saut existentiel, qui est caractérisé par la décision, le choix, et la conversion du coeur. Par sa liberté, l'homme est capable de se transcender, de rompre avec son passé et s'engager dans une existence toute nouvelle.

Bien qu'il n'y ait pas de médiation entre les sphères d'existence, il y a une sorte de préparation au saut de l'esthétique à l'éthique, et de l`éthique au religieux ; une sorte de dialectique existentielle. C'est un effort concret, vital d'une part et d'autre part négatif. Il se développe tout entier dans la sphère inférieure, et consiste à le nier dedans, et à montrer expérimentalement l'insuffisance, la vanité ; et c'est seulement par cette attitude qu'il peut aspirer à la sphère supérieure. De là on peut s'apercevoir que le passage de l'esthétique à l'éthique est possible par le biais de l'ironie, et le passage de l'éthique au religieux se fait par l'humour.

Cependant, la sphère religieuse a aussi une dialectique interne qui entraîne le mystique toujours plus loin, plus haut, en lui faisant éprouver l'impossibilité de s'arrêter jamais : c'est l'Amour. C'est l'amour qui est même le sens de la vie chrétienne, et le principe d'un perpétuel dépassement de l'homme vers Dieu.

Toute grande philosophie comporte nécessairement une critique de la connaissance ; que ce soit à titre de soubassement ou de couronnement mais, ce qui importe c'est que, par ces critiques s'opère un choix décisif qui est celui d'adhérer ou non à cette pensée.

L'existentialisme ne dérobe pas à cette loi puisque étant fondé sur la critique de la connaissance objective ou de la raison en général. Comme nous avons pu le montrer dans le chapitre précédent et dans ce chapitre, la thèse critique fondamentale, commune à tous les existentialistes est que « l'existant échappe à la pensée abstraite et à la logique ; il est donc impensable, absurde et ne peut être atteint, saisi, éclairé que par une expérience concrète ou quelque espèce de sentiment »98(*).

Avec KIERKEGAARD et plus tard avec les autres philosophes existentialistes, nous avons essayé de redécouvrir contre HEGEL et toute espèce de rationalisme, le caractère irréductible de l'existence. Car l'erreur du rationalisme résidait dans le fait qu'une place primordiale était accordée à la raison absolue, au point de ne plus vouloir faire des existants des êtres rationnels mais des êtres rationalistes. Et cela, en oubliant qu'il y a une différence entre ces deux types d'êtres. Le rationalisme en voulant faire des existants des êtres rationalistes, les pousse à s'enfermer dans la raison, et par là même refuse à ces derniers un dépassement qui les ferait grandir davantage. D'où le rationalisme est une déviation de la raison.

Dans sa célèbre formule « tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est rationnel », HEGEL croyait pouvoir construire l'univers, l'homme, l'histoire par le seul jeu de la dialectique. Mais ce que l'auteur de La phénoménologie de l'esprit semble oublier c'est qu'un système aussi agencé soit-il reste, toujours idéal et n'atteint jamais le réel. A propos KIERKEGAARD a montré que le concept est abstrait : il présente à l'intelligence un objet universel, c'est-à-dire apte à se réaliser dans une multitude indéfinie de sujets et laisse échapper l'existence et l'individualité des choses ; voire rejette et repousse tout ce qui est de l'ordre existentiel pour faire apparaître l'essence dans toute sa pureté. Dans la critique qu'il fait au rationalisme, l'existentialisme n'a jamais nié que nous ayons une idée de l'existence et de l'individu mais, il nous fait comprendre par cette critique que cela ne nous avance en rien ; car ces idées sont abstraites comme toutes les autres. Or l'existence concrète est bien une limite : « elle est une borne de la pensée abstraite, elle est proprement impensable »99(*).

Cependant, comme toute réaction, l'existentialisme a dépassé la mesure en exagérant les vérités qu'il a retrouvées. Ainsi l'existentialisme prend une position fausse dans l'ordre critique, sans avoir même posé ni discuté le problème de la connaissance. De part ce regard épistémologique fait sur le rationalisme par les existentialistes et de part les limites, nous observerons du courant existentialiste que nous allons essayer de voir comment cette étude pourrait être une ouverture vers un humanisme intégral.

CHAPITRE III

POUR UN HUMANISME INTEGRAL

III.1 Apports et limites de l'existentialisme
III.1.1. Apports de l'existentialisme

Cette critique que nous pouvons faire de prime abord sur le courant existentialiste est qu'elle s'est fondée suite à la déviance de certains courants philosophiques tels que le rationalisme qui généralise et impersonnalise l'existant ; par là même, fait de l'existant et de son existence une préoccupation renvoyée aux calendes grecs voire même jamais pris en compte.

KIERKEGAARD s'oppose à la pensée pure qui est totalement détachée du réel. Il ne suffit pas de penser de façon rationnelle, de construire dans les concepts un univers pour qu'il soit concret. L'existant ne se donne pas dans une pensée abstraite sans relation avec le réel. Les philosophes existentialistes en général et le philosophe danois en particulier posent le problème du lien de la pensée et du vécu ; car pensent-ils « à quoi sert une pensée, une réflexion philosophique si elle ne peut m'aider à être, à entrer et à vivre pleinement l'existence à laquelle je suis appelé »100(*).

Il est inutile de construire un système par l'agencement des concepts tel que le font les rationalistes. L'humanisme ne peut être atteint ou compris de cette manière là. L'existence n'a pas de système. Si un existant prétend en construire un, il ne peut que ressembler à un homme qui construit une belle tour dans laquelle il ne peut habiter lui-même. Or cette attitude est contraire à celle du sage tel que SOCRATE. Ce dernier est le prototype même de l'homme sage parce qu'il vit ce qu'il enseigne et c'est dans le quotidien qu'il puise son enseignement. Il interroge les faits et les personnes pour comprendre et non les concepts pour entrer en possession de la connaissance. Et pour réaliser une telle vie je dois me tourner vers l'éthique pour une sagesse de vie en vue du bonheur parce que «  l'éthique est ce par quoi il est ce qu'il devient »101(*). Cela parce que chaque individu est original, irremplaçable, ayant pour devoir de réaliser pleinement son existence.

On peut dire que KIERKEGAARD a vu dans la généralisation le monde du on : un monde où l'individu n'a pas la place ; un monde où on ne parle que de masse. Pour lui une telle attitude ne peut être justifiée que par le sentiment de lâcheté car « c'est par lâcheté devant l'existence que les hommes d'aujourd'hui veulent se fondre dans la masse. Incapables d'être quelqu'un, par eux-mêmes, ils espèrent être tout de même quelque chose par le nombre »102(*). L'Etat est pour tous, c'est l'homme en général, en masse qui prend le dessus, au point où les individus singuliers sont sacrifiés, au mieux livrés à un paradis chimérique ou sont réduit carrément à rien. Paradis artificiel qui fait voir à l'homme que « le malheur de l'homme vient de son absence de connaissance »103(*). Mais toutes ces promesses ou ces images que nous propose le rationalisme n'est cependant qu'illusion, car « dans la pensée rationaliste, toute objectivité est perdue puisque toute subjectivité est justifiable »104(*).

Pour l'auteur des Miettes philosophiques, l'accent doit être mis en particulier sur le sujet existant. L'existant doit lui-même trouver une vérité pour lui et non se laisser dicter une méthode par le rationalisme car comme le pense FEYERABEND, « toutes les méthodologies ont leurs limites et la seule règle qui survit c'est : « tout est bon« »105(*). Il doit trouver une vérité qui lui est propre et qui puisse lui permettre d'affronter la réalité quotidienne. Pour cela KIERKEGAARD réclame une pensée subjective, ayant une valeur existentielle pour le sujet pensant. De là il s'agit de trouver une vérité pour chacun, pour moi et pour toi. Et cette pensée poussera KIERKEGAARD à affirmer que la subjectivité est la vérité. Cette déclaration certes exagérée fera voir à quel point ce philosophe cherche à sauvegarder l'existant singulier. L'existence demande de la passion ; car il faut avoir de l'intérêt pour l'existence dans une envie toujours plus grande de réaliser pleinement cet individu différent des autres dans le quotidien par des actes concrets.

Cette lutte acharnée contre le rationalisme va pousser le philosophe danois à faire de vives reproches à l'église protestante danoise qui pour lui se lance dans la spéculation hégélienne. KIERKEGAARD pense comme nous l'avons dit lors de nos précédents propos que le christianisme n'est pas une doctrine et ne saurait se comporter comme telle car « le christianisme ne peut être une doctrine au sens d'une spéculation philosophique ou d'une idéologie tel que le système hégélien »106(*). Mais il est un message existentiel. Pour cela, il est pour un retour au radicalisme évangélique ou du moins à un christianisme qui reflète l'enseignement du Christ qui est un homme ayant vécu dans notre histoire.

De l'expérience de sa vie, KIERKEGAARD nous a établit ou mieux a regroupé en trois tableaux les sphères d'existence. Il nous a présenté comme premier tableau le lieu de l'esthétique qui est un peu une tendance instinctive. Les instincts non contrôlés prennent place et font de l'individu l'esclave des jouissances. Sa fin son but c'est jouir. Ce type de comportement amène KIERKEGAARD à dire que « l'esthétique est ce par quoi l'homme est immédiatement ce qu'il est ; il est toujours excentrique, il a toujours son centre à la périphérie »107(*). La sphère éthique quant à elle, décrit et montre ce que peut être une vie selon les normes de l'éthique. Trouvant sa joie dans l'accomplissement des devoirs, l'éthique pour l'éthicien ne saurait être une contrainte. L'éthicien s'étant choisi lui-même, il est désormais le centre de sa propre existence108(*). C'est pourquoi cette attitude est qualifiée de cogito existentiel où connais-toi toi-même est remplacé par le choisis-toi toi-même. Enfin et au plus haut point, s'ouvre la sphère religieuse où le péché introduit et met l'individu devant Dieu. L'existant se dépouille de manière progressive et totale pour aller vers Dieu avec qui il effectue un voyage mystérieux dans la foi ; d'où plus rien ne compte pour lui et il se laisse conduire par celui qu'il cherche.

En somme, KIERKEGAARD réfute et avec raison valable le rationalisme. Car pour lui, la spéculation pour la spéculation n'a aucun lien avec une existence concrète. Il réclame une vérité qui soit existentielle ; et pour cela veut que le christianisme soit une religion de témoignage de vie. Il demande qu'il soit un message existentiel, une communication vivante et non une spéculation. En regroupant les trois sphères de l'existence, il essaye de montrer les limites liées à une fin qui ne permet pas un développement de tout l'homme. Cela en ce sens que l'esthétique est trop proche ou mieux est dans la même sphère que la spéculation point essentiel de la philosophie. Or l'éthique donne un exemple de vie et le religieux au sommet de tout unit l'homme à son créateur.

Cependant, la pensée de KIERKEGAARD renferme des limites généralement liées à la réfutation excessive de la théorie.

III.1.2. Limites de l'existentialisme

Comme toutes les autres doctrines, loin d'être une exception, l'existentialisme renferme quelques points ambigus qui demandent des précisions. Notons d'abord la méfiance accentuée de ce courant envers l'utilisation de la raison, et le rejet de la spéculation philosophique. Enfin sa conception de la foi qui fait naître en nous un certain nombres de réserves.

III.1.2.1. L'existentialiste comme discipline philosophique

Nous constatons avec ce courant qu'une simple description de l'existence de l'homme a fait d'elle une pensée philosophique. Mais pourrait-on réduire la philosophie à un aspect descriptif ? Dans sa critique contre HEGEL, l'existentialisme a raison car il n'est pas possible de construire a priori une représentation du monde et une conception de l'homme ; ceci en ce sens qu'il faut toujours partir de l'expérience qui seule nous met en contact avec le réel. Cependant, il faudrait remarquer qu'une simple description du concret est une affaire de littérature. C'est pourquoi plusieurs critiques pensent que le travail des existentialistes n'a rien de philosophique. Car ce qui caractérise la philosophie c'est précisément de ne pas se contenter des faits mais d'en tirer des idées par un travail d'abstraction, de manière à pouvoir répondre à la question : « qu'est ce que c'est » et d'autre part d'en chercher l'explication, de manière à pouvoir répondre à la question : « pourquoi est-ce ? Pourquoi est- ce ainsi ? »109(*). Ce double effort répond à un besoin humain inné en l'homme de vouloir comprendre ce qui l'entoure.

III.1.2.3. Le rejet du général et de l'universel

Par général ou universel, nous voulons parler des concepts qui englobent un groupe d'individus. Par exemple un concept comme l'être. KIERKEGAARD est particulièrement allergique aux concepts qui généralisent. Mais dans sa pensée ou dans sa réflexion comme nous pouvons le constater, il n'échappe pas à ce genre de concept. Sa pensée à bien voir, n'est dans son ensemble qu'une tentative d'universalisation où il essaye de communiquer un message. Lorsqu'il parle d'existence il fait là sans le savoir allusion au général ou à l'universel dont il récuse l'usage.

Ainsi dans la catégorie de l'individu, à quoi fait-il référence quand il parle d'individu ? Il ne fait certainement pas référence à monsieur X ou madame Y ; mais plutôt référence à moi, à toi, à tous, pris de manière individuelle. La notion d'individu chez KIERKEGAARD, dans son intention de séparer, fait d'une manière inconsciente, une sorte de généralisation où chacun se retrouve indexé d'une certaine façon. De là le terme individu devient universel en ce sens qu'il désigne un élément de chaque groupe d'êtres vivants.

La construction des sphères est aussi un exemple frappant. Elle est frappante par le simple fait que partir d'une existence ne suffit pas pour échapper à la spéculation philosophique ; ce n'est pas une preuve qu'on n'use pas de la spéculation. L'esthétique à des personnages comme Don Juan ou le démoniaque sensuel ; le juif errant ou le désespoir ; l'éthique a sa description de l'homme idéal qui vit selon les normes sociales ; le religieux avec toutes les descriptions que fait l'auteur sont des preuves qu'il use plus de l'abstraction qu'il ne le pense. Mais abstraire ou faire appel à la raison est-ce mentir ?

III.1.2.4. Le rôle mal cerné de la raison et de l'abstraction

Ayant en éveil la vieille thèse conceptualiste selon laquelle nos concepts n'ont aucune valeur réelle parce qu'ils sont abstraits et n'expriment jamais adéquatement la réalité, les existentialistes n'ont jamais voulu accorder la moindre valeur aux concepts et à l'abstraction. Or les concepts ont toujours leur fondement dans les choses et ce en raison de leur nature abstraite. Les concepts ne sont pas des pures constructions de l'esprit ; ils ne sont pas formés a priori ; ils sont tirés des expériences que leurs présentent les individus, les existants. De là nous pouvons voir que la question des concepts et de leurs valeurs dans le quotidien n'a pas su être étudiée par les existentialistes. Car les concepts, loin d'être le fruit de notre imagination, représentent certains caractères du réel ; ce que les hommes ont de commun entre eux : leur essence. En ces êtres concrets que sont Médard, Olivier, Cyrille, il existe réellement des traits fondamentaux commun qui font qu'ils soient précisément des choses ; l'esprit les abstrait et c'est avec eux qu'il compose le concept d'homme.

Cela va de même quant à la valeur de la raison. La raison ne fait qu'appliquer le principe premier, et spécialement le principe de raison suffisante110(*) pour expliquer les faits. Or à ce sujet, l'existentialisme tient une position idéaliste. On pourrait même être tenté de croire que l'existentialisme implique le réalisme ; mais pas du tout. Et cela en ce sens que l'existentialisme refuse de reconnaître la valeur ontologique de la raison et des principes sur lesquels elle se fonde, parce que l'individu existant est contingent.

De même, abstraire ne saurait être une activité qui pourrait nuire à la reconnaissance de la valeur de l'existant car faire abstraction, c'est prendre une partie d'un tout que l'on étudie de façon séparée. Si l'on prend cela comme une partie de l'élément, il n'y a pas d'erreur possible. Mais l'erreur viendrait du fait qu'on veuille prendre la partie pour le tout car comme le dit déjà saint THOMAS la partie n'est pas plus grande que le tout et elle ne peut donner une information totale sur la chose étudiée. D'où l'abstraction étant la base de toutes connaissances, ne peut saisir que les caractères et les manifestations d'un objet donné.

III.1.2.5. La subjectivité est la vérité

Suite à la déclaration de KIERKEGAARD faisant mention de la valeur de la subjectivité au détriment de l'objectivité, il est juste de reconnaître que ce qui est subjectif n'est pas nécessairement vrai et ce qui est objectif n'est pas nécessairement faux. Ce qui est vrai pour moi peut l'être aussi pour l'autre ; parce que nous participons à la même existence, et nous pouvons avoir la même vision d'une chose. Mais aussi, faudrait-il remarquer que ce qui est vrai pour moi peut être faux pour l'autre et voir même faux dans la réalité ; car nous pouvons tous être dans l'erreur, et la réalité est la seule à être vraie. Et cela, parce que la vérité est l'adéquation de la pensée et de la chose pensée111(*). Il suit donc qu'il y a une vérité objective parce que ce que je dis correspond au réel qui est là ; et que le sujet ne peut pas être le centre de la vérité, le centre, l'infaillibilité. Même si nous venions à admettre que dans sa pensée subjective, KIERKEGAARD voulait parler d'une vérité qui a de la valeur pour moi, il faudrait reconnaître que puisque le sujet étant dans un univers, dans un monde il ne pourrait aller à l'encontre des réalités de ce monde dans lequel il vit et ne doit pour autant pas juger selon ce qu'il ressent, selon son état d'âme du moment, mais selon la vérité des choses.

III.1.2.6. Le refus de la métaphysique

L'une des faiblesses du philosophe danois qu'il faudrait remarquer ici est celle du rejet de la métaphysique. KIERKEGAARD réfute la métaphysique, car selon lui, elle ne traite que du possible ; et est dénuée de sens comme le pense WITTGENSTEIN. Les êtres métaphysiques n'existent pas ce n'est qu'une évasion de l'esprit. Admettons que la métaphysique traite du possible. Alors il est bon de faire de la métaphysique pour étudier les possibles ; puisqu'elle étudie les possibles, elle devient par ricochet la science des sciences, car aucune ne peut être en dehors d'elle. Elle devient le fondement des sciences, le fondement de tout savoir. Et cela de sorte que si j'arrive à faire l'impossible, ce serait justement une preuve que mon impossible était un possible mal cerné, mal analysé. C'est pourquoi il y a donc intérêt à faire de la métaphysique, car elle permet de savoir au plus haut degré les possibilités de l'existence.

III.1.2.7. Le rejet de l'apologétique

KIERKEGAARD dans sa pensée chrétienne refuse la défense du christianisme ; refuse l'apologétique. Il refuse toute tentative de défense du christianisme car « vouloir spéculer à son sujet est un malentendu et si finalement alors on prétend l'avoir compris spéculativement, alors on atteint le maximum du malentendu »112(*). Puisque, le christianisme n'est pas « une doctrine philosophique qui veut être comprise spéculativement »113(*). Mais refuser de défendre le christianisme, n'est se pas une sorte d'apologétique que pratique KIERKEGAARD ? Il propose cependant une défense mais à la manière des apôtres à travers le témoignage évangélique. Cette orientation de la défense ou ce type de défense qu'il nous propose laisse simplement voir son refus de la spéculation dans le domaine de la religion. Or il faudrait pourtant avoir en vue qu'une apologie bien faite ne disperse pas l'existant, mais a une grande valeur car : « de soi l'intention apologétique vécue dans son authenticité spirituelle a pour effet non pas de falsifier, mais de rectifier et de valoriser l'intention philosophique »114(*).

Ainsi une saine apologétique consistera en un effort de maintient de la prédication du message évangélique dans la pureté, pour préserver l'enseignement des apôtres des déviations et des hérésies.

III.1.2.8. La question de la liberté

Nous dirons que l'homme est libre, mais que sa liberté n'est pas absolue, ni première ; elle dépend au contraire d'un certain nombre de conditions qui la rendent possibles, et en même temps la limite. D'abord, la liberté suppose la nature humaine. A priori, l'idée de se créer soi-même au sens fort du terme est absurde ; car il faudrait à la fois être (pour créer) et ne pas être (pour se créer). L'homme au cours de son existence se forme ou se développe mais il ne se crée jamais. Cela parce que de part notre nature nous naissons déterminés, ayant un certain tempérament, une hérédité etc. et c'est à partir de là seulement qu'on peut exercer, cultiver notre liberté. Cette liberté qui est un acte libre, volontaire suppose l'intelligence qui vient subordonner la volonté ; car il faut pour éveiller la volonté une idée du but à atteindre et pour cela, il faut vouloir quelque chose que notre intelligence nous présente comme possible à atteindre : « je voudrais être Dieu, si c'était possible, mais je sais que ce ne l'est pas, et par conséquent je ne le veux pas réellement »115(*).

III.1.2.9. Sa conception de la foi

A propos de la relation foi et raison, du moins pour certains existentialistes chrétiens, la foi est comprise comme quelque chose d'absurde, elle est une adhésion de la passion qui nous garde fixé sur l'objet de la foi. L'objet de la foi importe peu pour KIERKEGAARD mais seule l'intensité avec laquelle on croit qui importe. Mais la foi envisagée de la sorte ne saurait être partagée de tous. L'homme est un être libre doté d'une volonté qui lui permet d'entrer en relation avec Dieu non pas en se comportant en fidéiste au point de dire comme LUTHER « la raison est contraire à la foi, il est impossible de faire accorder la foi avec la raison »116(*) ou bien comme KIERKEGAARD « perdre la foi pour gagner Dieu c'est l'acte même de croire »117(*) mais plutôt de savoir unir les deux réalités afin d'affirmer « la foi et la raison sont comme deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation »118(*). Le pape JEAN PAUL II et même bien avant lui d'autres penseurs se sont érigés en faux au sujet de la raison comme obstacle à la foi. C'est pourquoi dans son encyclique le pape abordant le problème nous dira qu' « il est illusoire de penser que la foi, face à une raison faible, puisse avoir une force plus grande ; au contraire, elle tombe dans le grand danger d'être réduite à un mythe ou à une superstition. De la même manière une raison qui n'a plus une foi adulte en face d'elle n'est pas incitée à s'intéresser à la nouveauté et à la radicalité de l'être »119(*). D'où le sacrifice de la raison au sens strict du terme n'est pas possible et ne serait pas bon pour une foi qui se voudrait solide. Le catéchisme de l'Eglise catholique nous fait aussi comprendre à ce sujet que « dans la foi, l'intelligence et la volonté humaine coopèrent avec la grâce divine : croire est un acte de l'intelligence adhérant à la vérité divine sous le commandement de la volonté mue par Dieu au moyen de la grâce »120(*).

La foi ne doit pas se borner comme le pensent les existentialistes uniquement à ce qui est révélé car nous devons comme le dit Saint AUGUSTIN repris par le pape JEAN PAUL II croire pour comprendre et comprendre pour croire121(*). Puisque c'est uniquement par cette démarche que nous pourrions atteindre de manière juste et consciente notre désir de connaître et de contempler Dieu. De là nous pouvons constater que la foi et la raison ne se contredisent pas ; ce qui est vrai pour la raison ne peut être en contradiction avec la foi et ce qui est vrai pour la foi, même si la raison ne peut pas l'expliquer reste vrai. C'est pourquoi dans la foi il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte à savoir : l'intelligence, la raison, la volonté et le tout soutenu par la grâce divine.

Pour finir nous pouvons dire que l'objet de la foi ici c'est Dieu. Il y a donc pas de raison de dire que la foi est absurde, qu'elle est un sacrifice de la raison car si je n'ai pas de raison de croire, si par mon intelligence je peux avoir intérêt pour une chose, la foi ne peut avoir le dernier mot. Quand l'intelligence et la raison ne participent pas à l'acte de foi, il est possible de croire à n'importe quoi.

III.1.2.10. L'individu chez KIERKEGAARD

Le philosophe danois a une conception individualiste de l'homme. Dans sa pensée, il met l'accent sur l'individu et néglige ou oublie presque la dimension communautaire de celui-ci. Cette remarque se fait visible dans sa théorie des sphères d'existence où l'esthète est présenté comme un homme seul emporté par les passions du plaisir sensuel. Dans la sphère éthique c'est encore l'homme seul devant le devoir, et le religieux qui présente l'homme pécheur devant son Dieu. Il est certes vrai que KIERKEGAARD parle de l'amour et de la charité, mais il met l'accent sur l'individu, et l'autre pour qui le geste d'amour ou de charité est posé, est oublié.

Il serait bien de mentionner que l'individu est un homme appelé à vivre avec les autres. J'aime et je me sais aimé. Je donne aux autres mes richesses et je m'enrichie des richesses des autres. L'individu doit au lieu de vivre de manière close, entrer en relation avec les autres. Car c'est seulement par cette ouverture aux autres que ma foi deviendra un acte individuel mais vécu en communauté.

Dans l'effort pour une critique de la philosophie, KIERKEGAARD s'affirme même sans le vouloir comme un philosophe. Il est remarquable de voir jusqu'à quel point il utilise la spéculation qu'il réfute de toutes ses forces. Sa conception de la foi reste discutable ; et l'accent mis sur l'individu, le conduit à faire un monde individualiste.

III.2. De l'individualisme au personnalisme

Après ces manquements constatés à l'égard de l'existentialisme, certains courants qui lui sont presque dérivés tel que le personnalisme proposent une meilleure vision de la personne humaine pour son épanouissement.

Certes KIERKEGAARD et les existentialistes prônent le retour à l'existant, le retour à soi-même, mais dans ce retour, on s'aperçoit que c'est l'individualisme qui est le plus exalté. Le retour à l'essentiel c'est-à-dire à l'existant, s'est converti en un rejet de l'aspect communautaire. Et pareille attitude se verra être rejetée par le personnalisme pour qui il est bon de faire un retour à l'existant qui avait été oubliée au profit de la raison mais le plus important, et le plus urgent pour notre monde, c'est le retour à la personne ayant un accent particulier mis sur la relation communautaire et non sur l'individualisme.

Depuis plusieurs siècles, les jours consacrés à la guerre sont plus longs que les jours consacrés à la paix. La vie en société est une vraie guérilla permanente. Là où l'hostilité s'apaise l'indifférence s'installe ; l'amitié et l'amour semblent avoir perdu dans cet immense échec de fraternité humaine. Pour les existentialistes tels que HEIDEGGER et SARTRE, ce comportement s'expliquerait par l'emprise du rationalisme sur l'existant qui crée en eux le désir de posséder et de soumettre. Dans cette volonté de soumettre, l'existant à soit le rôle de maître, soit le rôle d'esclave. Une telle relation fait en sorte que le regard d'autrui me vole mon univers, la présence d'autrui fige ma liberté et que son élection m'entrave. Au point où l'amour serait devenu un enfer.

Pour les existentialistes, la relation entre les personnes ne doit pas s'établir par le biais de la raison mais seulement par le biais de l'amour de la charité et de l'amour mutuel. Amour non pas compris au sens Sartrien où vouloir que l'autre m'aime c'est le chosifier.

Cette attitude individualiste qui est un système de moeurs, de sentiment qui pousse l'individu à vivre isolement et sans défense, qui se laisse clairement dégager de la pensée de KIERKEGAARD et d'autres existentialistes, sera l'antithèse du personnalisme. Pour cela on opposera individu et personne.

III.2.1. Individu et personne

Définis par plusieurs philosophes, ces deux concepts qui de prime abord signifient la même chose, ont été définis l'un et l'autre par Jean de la croix comme étant : « la personne est une existence capable de se détacher d'elle-même de se déposséder, de se décentrer pour devenir disponible à autrui et l'individu un monde clos, qui cherche à se séparer, à s'opposer, à se faire centre et à revendiquer des sécurités égoïstes, polémiques sans doute nécessaires »122(*).

III.2.1.1. Individu

Comme on peut le constater, l'individu est le résultat de l'individualisme ; qui le façonne en être égocentrique, isolé, enfermé, et ayant une faible appréhension de l'estime du prochain. Pour les individualismes bourgeois, un homme n'existe que par rapport à ce qu'il a, par rapport à son avoir. Un tel être pour Mounier est qualifié d' « un homme qui a perdu le sens de l'être qui a perdu l'amour ; chrétien sans inquiétude, incroyant sans passion, il fait basculer l'univers de sa faible course vers l'infini autour d'un petit système de tranquillité psychologique et social »123(*). L'infini reste préoccupé par les moyens et non par la fin des choses, il vit sans valeur, son souci majeur c'est l'accumulation des biens. Cet individualisme pousse les individus bourgeois à se comporter comme des hommes sourds et insensibles aux souffrances des autres existants, et cela parce qu'ils vivent comme des monades niant toute égalité et fraternité entre les hommes. Une telle attitude se fait pressentir dans l'existentialisme à travers l'exaltation du retour à l'existant comme valeur première de tout ce qui peut être, mais le retour sur soi-même. Et Emmanuel MOUNIER, pour s'opposer à cette considération de l'existant, présente la personne à travers sa doctrine personnaliste comme le noeud ou le centre de la société.

III.2.1.2. La personne

« Le premier souci de l`individualisme était de centrer l'individu sur soi. Le premier souci du personnalisme est de le décentrer pour l'établir dans la perspective ouverte de la personne »124(*). Ce souci de MOUNIER nous montre que la personne humaine doit être ouverte et disponible à tous. Vue sur cet angle, la personne se montre déjà différente de l'individu parce que susceptible d'amour. C'est pourquoi l'auteur de l'oeuvre intitulée le Personnalisme n'hésite pas à la définir comme un être spirituel constitué de telle matière et de substance par son adhésion à une hiérarchie de valeurs librement adoptées, assimilées et vécues par un engagement responsable.

La personne à l'inverse de l'individu est maîtrise et choix, elle est générosité. Or dans l'individualisme rien n'a trait à l'ouverture ni à la générosité. Lorsqu'on s'attarde sur les stades de vie nous pouvons clairement nous en apercevoir. L'esthète fermé sur lui n'a pour seul souci que de satisfaire ses plaisirs eudistes ; l'éthicien loin de vouloir entrer en relation avec autrui trouve toute sa satisfaction dans l'accomplissement du devoir ; et le religieux est présenté seul devant Dieu avec ses péchés. Ce genre d'individualisme ne permet pas l'émancipation de l'individu et le pousse à annihiler son prochain. Cet individu qui est pourtant mon semblable son alter ego, est l'autre qui me permet de connaître qui je suis, qui m'aide à me découvrir. D'où la personne est présence et engagement, elle est intégration par rapport à l'individu qui n'est que dispersion.

En somme la distinction entre individu et personne constitue une série de clarification qui doit nous aider à comprendre le souci de MOUNIER : faire de l'individu une personne.

III.2.2. Personne comme ouverture à soi et à l'autre

Selon MOUNIER, la personne se définit aussi comme ouverture et communion. Etre essentiellement social, elle ne peut mener sa vie qu'en entrant en relation avec son entourage. En effet que savons-nous de ceux qui nous entourent, nos proches, ceux que nous côtoyons tous les jours ? Nous vivons comme des étrangers ; maris et femmes, enfants, tous, nous sommes fermés sur nous. Or, la présence de l'autre dans l'univers n'est pas le fait du hasard. Selon la Bible, Dieu nous dit qu'il n'est pas bon que l'homme soit seul125(*) mais qu'il soit un être social. Sans relation avec autrui, il ne peut vivre ni s'épanouir. L'amour se réalise le plus profondément dans le don de soi-même que la personne aimante fait à la personne aimée ; relation que l'existentialisme sartrien trouve comme une chosification de l'autre. De part la relation, la personne cesse de s'appartenir pour entrer en relation avec l'autre et lui appartenir ; renoncer à être indépendant et inaliénable. « L'amour passe par ce renoncement guidé par la conviction profonde qu'il mène non pas à un amoindrissement et un élargissement, mais au contraire à un enrichissement et un élargissement de l'existence de la personne, c'est comme une loi d'«extase« sortir de soi-même pour trouver en autrui un accroissement d'être »126(*).

L'autre est celui par qui nous nous découvrons et par qui nous nous élevons. Il surgit au coeur de l'immanence comme au coeur de la transcendance. La rencontre entre le je et le tu ne facilite pas seulement un échange intégral, elle crée aussi un univers d'expérience qui n'avait pas de réalité hors de cette rencontre.

L'existant est extériorité, l'exercice même de son être consiste en l'extériorisation, et aucune pensée ne saurait mieux obéir à l'être qu'en le laissant dominé par cette extériorité127(*). La conscience morale est reconnaissance de l'autre et se définie par l'ouverture et le dialogue. Ainsi, reconnaître l'autre c'est avant tout lui parler. Parler c'est sortir de son enfermement sur soi, faire un mouvement vers l'autre et vers le monde. Le point de départ de l'usage de la parole n'est pas le monologue mais le dialogue ; car à quoi sert la parole si ce n'est pour entrer en communication avec l'autre ? Chacun d'entre nous doit être conscient qu'il n'est pas seul au monde et qu'il doit par conséquent partager son existence avec les autres. Nous ne devons pas considérer la présence d'autrui comme une situation conjecturelle ; mais les autres sont ceux-là qui nous permettent de nous réaliser en nous aidant à satisfaire nos besoins.

Ainsi pour goûter le bonheur, l'individu, le moi, doit cesser de vivre comme une monade, mais il doit briser le cercle qu'il a tracé autour de lui, dépasser ses limites pour envisager des relations personnelles qui vont faire de lui une personne authentique. Dans mon existence je dois considérer l'autre comme celui qui m'est présent qui est avec moi, qui est quelqu'un pour moi, un alter ego, et non un obstacle à mon épanouissement. Prenant le cas de l'enfant, on se rend compte qu'il se découvre sujet de part sa relation avec ses parents. Relation marquée par un amour sans cesse renouvelé de la part des parents ; amour qui se veut ouverture à l'autre sans calcul et qui traite l'autre comme un existant ayant les mêmes chances et jouissant d'une même liberté.

En définitive, la personne n'est pas seulement dans le cosmos, elle ne peut recevoir la vérité et la communiquer que si elle est ouverture. Elle est une réalité qui n'existe que dans ses relations avec les autres subjectivités. Elle a besoin des autres pour s'assurer qu'elle existe ; pour se reconnaître, elle a besoin d'être reconnue c'est-à-dire d'être acceptée et aimée telle qu'elle est. Et une telle vision de l'homme, nous permet de mener un humanisme intégral où l'homme est saisit en tant qu'existant dans toutes ses composantes.

III.3. Vers un humanisme intégral

Dans nos sociétés actuelles, nous nous apercevons que prôner un humanisme intégral est d'une nécessité sans précédent car, face à la montée du capitalisme qui prône la recherche de l'intérêt individuel au mépris des conditions humaines et à un humanisme marxiste qui a pour erreur fondamentale l'exaltation de l'athéisme comme seul fondement du bonheur, il est urgent d'aborder l'homme dans toutes ses composantes en y incluant sa relation avec la divinité. Loin de rejeter une philosophie sociale et politique, l'humanisme que certains philosophes tel Jacques MARITAIN nous proposent, se veut être une transformation substantielle. Et cette transformation se fera seulement par l'instauration des structures sociales nouvelles et d'un régime nouveau de vie sociale succédant au capitalisme, et consubstantiel en « une montée des forces de foi, d'intelligence et d'amour, jaillis des sources intérieures de l'âme, un progrès dans la découverte du monde des réalités spirituelles »128(*). C'est en cela seulement que l'homme pourra vraiment entrer plus dans les profondeurs de sa nature sans mutiler ni défigurer celle-ci.

III.3.1. Genèse d'un humanisme

Avec la renaissance, la prise de conscience de soi a dominé. cette émergence et ce développement de la réflexivité, bon en soi, et parfaitement normaux, ont été conduits cependant dans un esprit foncièrement anthropocentrique, de sorte qu'avec le rationalisme, l'homme s'est donné de lui-même une idée très fière soucieuse de son indépendance et de son individualité. De cette manière de faire il en résulte « un humanisme beaucoup plus attentif à l'exaltation des valeurs individuelles qu'au respect des réalités collectives- si bien qu'- à la limite on estimerait que la société est un mal nécessaire - dont -il faut s'accommoder comme le seul moyen d'accorder entre eux les droits antagonistes et également respectables des membres d'un même groupe »129(*). C'est ce souci de liberté d'autonomie et d'intérêt individuel qui a inspiré constamment les théories du capitalisme et caractérisé l'homme du libéralisme bourgeois. Mais comme nous l'avons vu, cette vision ultra individualiste et rationaliste de l'homme a été battue sérieusement en brèche. D'abord par le processus de dissolution de l'individualisme rationaliste qui s'est accentué avec le courant de pensée que nous avons appelé l'existentialisme et qui - du moins chez SARTRE - a fait de l'homme un être condamné à être libre et à créer sa propre essence au coeur d'un monde absurde, sans signification. Enfin ces dernières années, le structuralisme, en proclamant la « mort de l'homme » semblait vouloir porter à son terme cette lente dégradation et, en même, saper les bases de tout humanisme possible130(*).

En réalité, l'aspiration à l'humanisme subsiste toujours bien qu'il ait toujours une tendance anthropocentrique. Mais un humanisme anthropocentrique d'une nouvelle espèce peut être conçu. Il ne pourra plus s'agir d'un humanisme individualiste classique dans la mesure où les valeurs personnelles sont de moins en moins reconnues. Comme MARITAIN nous le fait remarquer, dans son livre Humanisme intégral, « la personne individuelle est mûre pour abdiquer au profit de l'homme collectif131(*), de sorte que ce qui devrait alors être significatif pour notre culture, au terme de la dialectique de l'humanisme anthropocentrique, c'est que l'être humain continue de revendiquer fortement sa souveraineté, non plus pour la personne individuelle mais pour l'homme collectif132(*).

Mais le retour à la collectivité nous amène dans un humanisme marxiste qui sans toutefois être identique à l'anthropocentrisme, ne s'en est pas trop éloigné. Car MARX proclame que le salut de l'homme s'accomplit « sans Dieu et même contre lui, puisque ce n'est pas à la vision de Dieu, mais à la domination de l'histoire que l'humanité est ultimement destinée par un développement de la science, de la technique et de l'organisation du travail »133(*). Et c'est seulement par « l'abolition de la propriété privée et de la suppression de toute aliénation -que- le communisme marquera le retour à l'homme, à la vie humaine à travers l'émancipation de l'athéisme »134(*). Ce sera fort de ces affirmations que MOUNIER dans son Manifeste au service du personnalisme pensera que « l'humanisme marxiste apparaît [...] comme la philosophie dernière d'une ère historique qui a vécu sous le signe des sciences physico-mathématiques, du rationalisme particulier et fort étroit qui est issu, de la forme d'industrie, inhumaine, centralisée, qui en incarne provisoirement des applications techniques »135(*). Issu de l'humanisme bourgeois et se voulant une réaction contre lui, l'humanisme marxiste en a gardé profondément la marque sans pour autant s'en dégager.

Face à une considération aussi variante de la condition humaine, quel peut être l'apport de l'humanisme qui se veut intégral dans sa considération de l'homme.

III.3.2. Humanisme intégral

Il faudrait rappeler que l'humanisme intégral que nous proposons, en effet, ne serait rien s'il n'était le fruit d'un regard de foi sur le mystère humain, un regard capable d'assurer, en le comblant surabondamment et d'une manière inouïe, de ce qui dans l'homme passe l'homme.

Si toute l'évolution de l'humanisme moderne est allée dans le sens de l'anthropocentrisme, c'est-à-dire de l'idée d'une nature humaine close sur elle-même et se suffisant absolument à elle-même, l'humanisme exigé par le christianisme, respectueux de l'homme dans la plénitude de ses dimensions, est au contraire un humanisme décidément théocentrique parce qu'il reconnaît que Dieu est le centre de l'homme. Mais prôner le retour à l'humanisme théocentrique ne saurait être pour autant comme certains risqueraient de le croire être une reconstruction de la cité du moyen âge et affirmer que l'humanisme médiéval était un modèle achevé de l'humanisme chrétien. Puisque comme le montre si bien MARITAIN, la cité médiévale était d'ordre sacral au sens où elle entreprenait d'édifier « une image figurative et symbolique du royaume de Dieu »136(*) alors qu'aujourd'hui l'humanisme intégral est « une conception profane chrétienne et non pas sacrale »137(*).

Le fait que certains philosophes réclament l'avènement d'un humanisme nouveau qui soit théocentrique, ce n'est pas qu'ils reprochent à l'humanisme classique et à l'humanisme moderne leurs aspirations humanistes, mais précisément parce qu'ils voient bien que leur anthropocentrisme les a conduits finalement à des positions antihumaines quels que soient les acquis culturels incontestables qu'ils ont légué et qu'il faut à tout prix préserver. Par exemple à la grande tentation moderne de la divinisation de l'homme et du refus de sa condition créée, l'humanisme intégral oppose à cela l'idéal d'une société personnaliste c'est-à-dire au service de la personne comme image de Dieu.

La personne comme image de Dieu, tel est précisément le fondement de l'humanisme intégral. Et en cela toute la tradition chrétienne la voit dans les paroles de la genèse : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance »138(*). De là, on peut comprendre qu'une telle perspective débouche immédiatement sur l'humanisme non point anthropocentrique, qui prétendrait réhabiliter la créature en la coupant de Dieu et en la repliant sur elle-même, mais au contraire un humanisme qui tient en compte la relation intime qui existe entre la créature et son créateur.

L'humanisme chrétien ne peut être qu'un humanisme personnaliste. A travers l'humanisme anthropocentrique et marxiste, nous avons vu que l'homme contemporain a été imprégné d'une dialectique qui s'inscrivait entre un pôle individualiste et un pôle collectiviste où la personne humaine ne pouvait trouver son accomplissement. Cependant, le véritable humanisme chrétien se trouve exalté ici ; cela en ce sens qu'il a une idée très élevée de la personne humaine au point d'en faire, selon les mots de saint Thomas « ce qu'il y a de plus noble et de plus parfait dans toute la nature »139(*).

Cette juste notion de l'homme comme personne qui est celle de l'humanisme intégral implique en même temps qu'il est essentiel à la personnalité de tendre à la communion ; qu'il ait une vision des problèmes qui concernent le rapport de la société avec la personne. Lorsque nous parlons ici de société, c'est avant tout faire allusion à la société politique, à la cité, mais bien entendu aussi à la société familiale. Cependant, nous en tenant uniquement à la société politique, nous nous demanderons en quel sens celle-ci peut être dite une société de personne.

Engagée tout entière dans la vie de la cité, et comme telle faisant partie de la société, la personne n'est pas engagée totalement dans la société politique

« En vertu de tout ce qui est en elle et de tout ce qui lui appartient. En vertu d'autres choses qui sont en elle, elle est aussi toute entière au dessus de la société politique. Il y a en elle des choses qui transcendent la société politique et qui attirent au-dessus de la société politique l'homme tout entier ; ce même homme tout entier qui est partie de la société politique en vertu d'une autre catégorie. Je fais partie de l'Etat en raison de certaines relations à la vie commune qui intéressent aussi mon être entier ; mais en raison d'autre relation, a des choses plus importantes que la vie commune, il y a en moi des biens et des valeurs qui ne sont pas par l'Etat ni pour l'Etat et qui sont en dehors de l'Etat »140(*).

De ces considérations qui précèdent, on le voit, la tension qui caractérise la relation de la personne et de la société provient précisément de ce que l'être humain n'est pas seulement une individualité intégrée à un groupe, mais aussi et surtout une personnalité dont la source première et créatrice est l'être divin. La relation entre la personne et la société doit être basée comme le dit MARITAIN sur « le sens de la justice due à tous les hommes et l'amour pour tous les hommes ; la vie extérieure et tout ce qui en nous est un commencement naturel de la contemplation, la dignité de la vérité dans tous les domaines et tous les degrés, si humbles soient-ils, du savoir, et l'intangible dignité de la beauté »141(*).

Ainsi la société politique doit être subordonnée à la personne humaine puisque étant la valeur suprême de tout ce qui puisse exister. C'est pourquoi l'humanisme intégral nous propose une société politique qui doit être subordonnée à la personne humaine, en vue non plus, de la considérer comme la partie d'un tout, mais comme un tout. Et cela ne peut être possible que par le développement et l'affermissement du caractère moral des relations sociales. C'est pourquoi YVES FLOUCAT pense qu' « une société qui veut être véritablement humaine, personnaliste, c'est-à-dire au service des personnes qui la constituent, se doit en effet de s'enraciner toujours plus solidement dans ses fondements essentiels ; et ceux-ci ne sont autres que la justice, avec le progrès dans l'égalité qui lui est intrinsèque et à l'amitié ou la fraternité civique »142(*).

Assurément, la justice et le droit sont indispensables à toute société, mais comme des conditions nécessaires au développement de l'amitié et de la fraternité civique. Car une justice non assumée par l'amitié serait alors comme le dit JEAN PAUL II dans son encyclique sur La miséricorde divine : « la rancoeur, la haine, et jusqu'à la cruauté » qui perdrait le pas sur elle-même. Aussi bien l'expérience de notre temps et du passé nous démontre ainsi que la justice ne se suffit pas elle seule, et qu'elle peut conduire à sa propre négation, et à sa propre ruine si on ne permet pas à cette force plus grande qu'est l'amour de façonner la vie humaine dans ses diverses dimensions. Et étant donnée la faiblesse de l'homme, seul l'amour et la charité peuvent vivifier intérieurement, conforter et surélever la dignité humaine pour lui donner une dimension universelle.

Apparaissant ainsi à la fois et indispensablement comme, personnaliste et communautaire et affirmant sans ambiguïté le primat de la personne sur la communauté, l'humanisme intégral permet de briser autant avec l'individualisme qu'avec divers collectivisme et totalitarisme.

Loin d'être contre le progrès technique, et indifférent devant la connaissance de plus en plus étendue que l'homme peut connaître de l'univers matériel, l'humanisme intégral exige cependant dans « le développement de la technique et de la civilisation de notre temps marqué par la maîtrise de la technique un développement proportionnel de la vie morale et de l'éthique »143(*). Bien que l'humanisme enseigne le primat absolu de la personne sur les choses, du spirituel sur le matériel, il est soucieux de mettre le progrès technique au service de la vie humaine, pour que l'homme devienne plus conscient de sa dignité et de sa responsabilité en vers les plus démunis. Humaniser la technique, c'est l'employer au service du progrès moral et spirituel de l'homme, et non pas à ses instincts égoïstes ou dominateurs. C'est montrer la priorité de l'éthique sur la technique.

Ce que l'humanisme intégral voudrait des magnifiques progrès que la science accomplit au coeur des derniers siècles, est que science et sagesse soient dans une harmonie vitale et spirituelle.

CONCLUSION GENERALE

Le travail porté à notre étude qui était celui de la critique existentialiste du rationalisme avait pour but de montrer les limites du courant rationaliste face à sa manière d'aborder et de considérer l'existant. Autrement dit, il avait été question de montrer le primat de l'existence sur tout objet ou sujet d'étude. Pour mener à bien ce travail, nous avons voulu nous appuyer sur un philosophe à savoir Sören Aabye KIERKEGAARD. Grâce à lui, nous avons élaboré notre travail tout en nous appuyant également sur d'autres auteurs dont les pensées pouvaient nous permettre de nourrir notre critique.

Notre travail s'est subdivisé en trois chapitres. Le premier chapitre avait pour objectif de présenter de prime abord les deux courants philosophiques afin de mieux cerner le noeud de la critique. Durant cette étude conceptuelle des différents courants, nous avons montré que ces courants n'étaient pas le fruit d'une réflexion de notre époque. Utilisé déjà depuis la période antique, le rationalisme comme nous l'avons vu a toujours eu tendance à ramener tout à la raison, à vouloir tout rationaliser. Pour tout rationaliste, la raison est la seule chose capable de mener le sage et le savant à la vérité, et tout ce qui ne relèverait pas de cette raison n'était que mensonge et fausseté. Pour des philosophes comme PLATON, tout ce qui relevait d'autre chose que de la raison, devait être considéré comme pseudo-connaissance ou opinion. C'est pourquoi pour Descartes seul le sujet pensant pourra prendre possession du monde par la science et la technique ; limitant ainsi la valeur de l'existant à sa capacité cognitive, au point où dans sa morale il donnera pour recommandation d'employer toute sa vie non à cultiver la relation entre existants mais à cultiver notre raison. Etant comme le catalyseur du courant rationaliste, DESCARTES a été l'auteur de l'ascension fulgurante de cette doctrine. Avec des penseurs rationalistes tels que SPINOZA, le bonheur de l'homme se trouve conditionné par la réforme de l'entendement à travers la découverte d'une méthode capable de nous faire connaître la vérité sur toutes choses. Et ce raisonnement le poussera à identifier le bonheur à la vérité et la vérité à l'intelligence.

C'est fort de ces considérations de l'existant et de son existence que l'existentialisme est né au XIXème siècle mais ayant des origines visibles dans la période moderne avec des philosophes tels que Pascal.

Subdivisé en deux courants principaux à savoir : l'existentialisme athée et l'existentialisme théiste, ce courant s'est formé pour s'opposer à l'effort des rationalistes de systématiser l'existence humaine. Pour les existentialistes, si l'esprit humain peut construire un système rationnel pour expliquer notre réalité, les existentialistes en général considèrent qu'un tel effort est inutile en ce sens que la raison ne pourra jamais correspondre à la réalité. Et pour HEIDEGGER seul l'angoisse pourra nous révéler véritablement la condition humaine et non l'étude de l'homme sous une forme conceptuelle et abstraite mais par une sorte d'expérience métaphysique. Avec Karl JASPER le moi doit apparaître comme un acte, un jaillissement de l'être et ne peut être représenté par des concepts ni exprimé par des mots car l'homme se dérobe de tout savoir qui viserait à le déterminer.

Après cette représentation que nous avons faite des deux courants, au second chapitre, nous avons fait une critique existentialiste du rationalisme à la lumière du philosophe danois. Par cette critique nous avons voulu mettre en lumière l'importance ou mieux le primat de l'existence. Contre une philosophie qui se veut systématique. Avec l'existentialisme nous avons proposé une existence faite d'individu particulier. L'existentialisme s'est opposé à toute spéculation creuse ne favorisant pas directement une existence concrète au sens plein du mot. Car dans son approche de l'existant, il ne montre jamais les difficultés de l'existant et de son existence. C'est pourquoi face à tout ce qui concerne l'existant et ses difficultés, la pensée abstraite se trouve butée. Dans sa critique, KIERKEGAARD nous a montré que le rationalisme ne pourrait jamais atteindre l'existant réel, confiner les concepts, car le réel n'est pas formé de concept. En faisant appel à la pensée subjective, l'intention de KIERKEGAARD est celle de réapprendre aux hommes ce que c'est qu'être homme ou exister humainement face à une pensée rationaliste qui a fait oublier l'essentiel. En prônant la pensée subjective, KIERKEGAARD voulait aller à l'encontre des penseurs objectifs qui sont des contemplateurs d'abstraction et qui sont dans un état permanent de distraction à l'égard de l'existence.

Cependant comme toute discipline, l'existentialisme n'a pas été de reste en ce qui concerne les limites. Dans son effort de critique du rationalisme, l'existentialisme a pris des positions discutables et pouvant être remises en cause. En réfutant l'universel, KIERKEGAARD l'emploie sans s'en rendre compte. Car en qualifiant des êtres par un nom ou un terme tel que celui de l'existant, on se rend compte qu'il l'utilise pour qualifier ou faire allusion à tous les hommes. Sa conception de l'individu comme nous l'avons vu à travers ses sphères d'existence, le pousse à prôner un individualisme dans un monde où nous sommes appelés à vivre en communion fraternelle. Et sa critique des concepts semble à un certain niveau exagérée car les concepts, loin d'être le fruit de notre imagination, représentent certains caractères du réel ; ce que les hommes ont de commun entre eux : leur essence. Il en va de même pour la raison qui ne fait qu'appliquer le principe de raison suffisante pour expliquer les faits. La pensée subjective que KIERKEGAARD nous a proposée semblait être insatisfaisante en ce sens qu'elle nous éloignait de ce qui est vrai pour nous conduire à prendre pour vraies des vérités sujettes à nos sentiments et à nos états d'âmes laissant de côté la vérité même des choses.

Pour finir, nous avons essayé à partir de sa conception individualiste de montrer que l'existant saisit comme tel se saurait être pris dans son ensemble puisque étant un être social, un être de relation. Pour cela le personnalisme nous a permis de sublimer ce manquement. Après l'avoir surmonté, nous nous sommes rendus compte que pour avoir une considération entière de l'existant dans toutes ses dimensions, il fallait prôner un humanisme intégral. Prôner un humanisme intégral en ce sens qu'il est le seul à prendre l'homme dans toute sa dimension à savoir dans sa relation avec lui-même, dans sa relation avec autrui, et enfin l'homme dans sa relation avec son créateur de qui il tient le mouvement l'être et l'agir.

En somme, nous pouvons dire que de part cette critique menée par l'existentialisme, nous avons pu voir que l'important pour tout homme est de revenir à l'essentiel qui est l'existant considéré dans toute sa dimension, et que le rationalisme nous a fait perdre. Ainsi, l'humanisme intégral surgit comme dépassement aussi bien du rationalisme que de l'existentialisme ; il se présente comme promesse pour chaque existant créé qui ne demande qu'à se transmuer en bonheur véritable.

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IV. ENCYCLIQUES

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Encyclique sur La foi et la raison, du 14 septembre 1998, Paris, Centurion/Cerf/Mane, 1998.

V. DOCUMENTS DE L'EGLISE

BIBLE DE JÉRUSALEM, Rome, Cerf, 2002.

Catéchisme de l'Eglise catholique, Paris, Mame/Plon, 1992.

VI. Usuels

JACOB André (sous la dir.) Encyclopédie philosophique Universelle. Les notions philosophiques dictionnaire, T.I, Paris, P.U.F., 2002.

MORFEAUX Louis-Marie, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Librairie Armand Colin, 1980.

VII. DOCUMENTS ÉLECTRONIQUES

A. GIDE, « Athéisme, l'homme debout », in http/athéisme.free.fr/index.html.

AA.

http://sites.rapidus.net/neturcot/textes/2000/critique.html

Wikipédia, l'encyclopédie libre. http://fr.wikipedia.org/wiki/Rationalisme.

TABLE DES MATIERES

Dédicace...........................................................................................i

Remerciements................................................................................ii

Sigles et abréviations.....................................................................................iii

TABLE DES MATIÈRES......................................................................................................67

* 1 _ R. VERNEAUX Leçons sur l'existentialisme et ses formes principales, Paris, Téqui, 1949, p. 10.

* 2 _ Idem.

* 3 _ S. KIERKEGAARD, Post-scriptum aux miettes philosophiques, Paris, Gallimard, 1941, pp. 210-211.

* 4 _ L-M. MORFEAUX, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Paris, Librairie Armand Colin, 1980, p. 303.

* 5 _ R. DESCARTES, Discours de la méthode suivi des méditations, Paris, Garancière, 1951, p. 29.

* 6 _ Ibidem, p. 306.

* 7 _ A. GIDE, « Athéisme, l'homme debout », in http/athéisme.free.fr/index.html.

* 8 _ PARMENIDE, cité par R.VERNEAUX,, Epistémologie générale ou critique de la connaissance, Paris, Beauchesne, 1959, p. 37.

* 9 _ Idem.

* 10 _ R. DESCARTES, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie moderne, Paris, Beauchesne, 1963, p. 31.

* 11 _ R. DESCARTES, cité par Jacqueline RUSS, Les chemins de la pensée. Philosophie, Paris, Armand Colin, 1988, p. 139.

* 12 _ R. DESCARTES, cité par Jacqueline RUSS, Les chemins de la pensée. Philosophie, op. cit., p.146.

* 13 _ R. DESCARTES, cité par R. VERNEAUX , Histoire de la philosophie moderne, op. cit., p. 32.

* 14 _ Ibidem, p. 33.

* 15 _ Idem.

* 16 _B. SPINOZA, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie moderne, op. cit., p. 54.

* 17 _ Ibidem, p. 55.

* 18 _ Cf. Wikipédia, l'encyclopédie libre. http://fr.wikipedia.org/wiki/Rationalisme.

* 19 _ G. LEIBNIZ, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie moderne, op. cit., p. 84.

* 20 _ Cf. Lettre à ELISABETH du 21 mai 1643, in http://fr.wikipedia.org/wiki/Rationalisme.

* 21 _ R. VERNEAUX, Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p. 15.

* 22 _R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, Paris, Beauchesne, 1960, p. 162.

* 23 _ R. VERNEAUX, Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit ., P. 11.

* 24 _ E. MOUNIER, Le personnalisme, OEuvre de Mounier, T.III, Paris, seuil, 1944-1950, P. 70.

* 25 _ R. VERNEAUX, Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p. 12.

* 26 _ Idem.

* 27 _ PASCAL, Pensées et opuscules, Paris, Hachette, 1946, p. 401.

* 28 _ Cf. E. MOUNIER, Le personnalisme, OEuvre de Mounier, op. cit., p. 70.

* 29 _ R. VERNEAUX, Leçons sur l'existentialisme, op. cit., p. 17.

* 30 _M. HEIDEGGER, L'être et le temps, Qu'est ce que la métaphysique?. Paris, Gallimard, 1964, p. 130.

* 31 _ J-P. SARTRE, L'existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, 1976, p. 26.

* 32 _ Ibidem, p. 23.

* 33 _ J-P. SARTRE, L'existentialisme est un humanisme, op. cit., pp. 29-30.

* 34 _ R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 152.

* 35 _ G. MARCEL, Être et Avoir, Paris, Aubier, 1935, p. 324.

* 36 _ R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 152.

* 37 _ G. MARCEL, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 153.

* 38 _ Idem.

* 39 _ C'est-à-dire que la propriété essentielle de ces essences ou de ces idées, c'est essentiellement d'être stable. Cette pensée se trouve fortifiée par l'idée de création telle qu'on la conçoit au moyen âge.

* 40 _M. HEIDEGGER , cité par Jean WAHL, Les philosophies de l'existence, Paris, Armand Colin, 1959, P. 21.

* 41 _ J. WAHL, op. cit., p. 24.

* 42 _ Ibidem, p. 26.

* 43 _ Ibidem, op. cit., p. 28.

* 44 _ J. WAHL, op. cit., p. 29.

* 45 _ Idem.

* 46 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 23.

* 47 _ Ibidem, p. 29.

* 48 _ Ibidem, p. 23.

* 49 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 23.

* 50 _ Ibidem, p. 24.

* 51 _ Idem.

* 52 _ Ibidem, p. 25.

* 53 _ H. MARCUSE, cité par E. VILANOVA, Histoire des théologie chrétienne, T. III, Paris, Cerf, 1997, p. 441.

* 54 _ Idem.

* 55 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 25.

* 56 _ P.-H. TISSEAU et JEAN BRUN, Kierkegaard, L'existence, Paris, P.U.F., 1962, p. 44.

* 57 _P.-H. TISSEAU et JEAN BRUN, op. cit p. 11.

* 58 _ Ibidem, p. 12.

* 59 _ Idem.

* 60 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 25.

* 61 _ R. VERNEAUX, Idem.

* 62 _ Idem.

* 63 _ R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit. p. 26.

* 64 _ Idem.

* 65 _ Idem.

* 66 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., pp. 26-27.

* 67 _ Ibidem, p. 28.

* 68 _ E. VILANOVA, op. cit., p. 448.

* 69 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 27.

* 70 _ Idem.

* 71 _Idem.

* 72 _Idem.

* 73 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 27.

* 74 _ Il existe chez KIERKEGAARD huit catégories existentielles mais nous ne présenterons ici que quelques unes pouvant nous aider dans notre critique du rationalisme.

* 75 _ Les catégories chez Aristote sont des concepts, les concepts les plus généraux sous lesquels se rangent tous les attributs possibles des jugements.

* 76 _ Chez KANT les catégories sont des lois de l'esprit, permettant de lier les phénomènes donnés dans l'expérience et par là même les comprendre.

* 77 _ D. HUISMAN et M.- A. MALFRAY, Les pages les plus célèbres de la philosophie occidentale, Paris, Perrin, 1989, p. 389.

* 78 _ Cf. P.-H. TISSEAU et JEAN BRUN, op. cit., p. 200.

* 79 _ Ibidem. pp. 200-201.

* 80 _S. KIERKEGAARD, Le concept de l'angoisse, Paris, Gallimard, 1844, p. 83.

* 81 _ E. MOUNIER, Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., pp. 96-97.

* 82 _ M. BUBER, Le problème de l'homme, Paris, Montaigne, 1962, p. 76.

* 83 _ E. MOUNIER, Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p. 108.

* 84 _ S. KIERKEGAARD, Ou bien...Ou bien, Paris, Gallimard, 1843, p. 502.

* 85 _ Ibidem, p. 303.

* 86 _ S. KIERKEGAARD, Ou bien...Ou bien op. cit., p. 504.

* 87 _ PASCAL, op. cit., p. 502.

* 88 _ Le pari pascalien est le moment le plus célèbre de l'apologie de PASCAL qui consiste à faire désirer que la religion chrétienne soit vraie, d'amener un incroyant à désirer, à croire.

* 89 _ R. VERNEUAX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 30.

* 90 _ E. VILANOVA, op. cit., p. 449.

* 91 _ R. VERNEUAX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 31.

* 92 _ P.-H. TISSEAU et JEAN BRUN, op. cit., p. 115.

* 93 _ Ibidem, p. 116.

* 94 _ Idem.

* 95 _ M. DUFRENNE, Karl JASPER et la philosophie de l'existence, Paris, Seuil, 1947, p. 80.

* 96 _ R. VERNEAUX, Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p. 42.

* 97 _ H. DE LUBAC, Le drame de l'humanisme athée, Paris, Spes, 1950, p. 65.

* 98 _ R. VERNEAUX, Leçons sur l'existentialisme et ses formes, op. cit., p. 174 .

* 99 _ Ibidem, p. 176.

* 100 _ G. MARCEL, Être et Avoir, Paris, Aubier, 1935, p. 315.

* 101 _ E. MOUNIER, Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p. 117.

* 102 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit ., p. 28.

* 103 _ Cf. http://sites.rapidus.net/neturcot/textes/2000/critique.html.

* 104 _ Idem.

* 105 _ P. FEYERABEND, Contre la méthode, Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance, Paris, seuil, 1979, p. 333.

* 106 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 26.

* 107 _ S. KIERKEGAARD, Ou bien...Ou bien, op. cit., p. 474.

* 108 _ E. MOUNIER, Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p. 117.

* 109 _ Cf. http://sites.rapidus.net/neturcot/textes/2000/critique.html.

* 110 _ Cf. chapitre I, p. 9.

* 111 _ J. et R. MARITAIN, Les degrés du savoir, OEuvres complètes, Vol. IV, Paris, éd. Saint -Paul/Fribourg, éd. Universitaires Fribourg Suisse, 1929-1932, p. 422.

* 112 _ S. KIERKEGAARD, cité par R. VERNEAUX, Histoire de la philosophie contemporaine, op. cit., p. 26.

* 113 _ Idem.

* 114 _ P. TOINET, Existence chrétienne et philosophie. Essai sur les fondements de la philosophie chrétienne, Paris, Aubier Montaigne, 1965, p. 365.

* 115 _R. JOLIVET, Les doctrines existentialistes de Kierkegaard à J-P. Sartre, Paris, Fontenelle, 1948, p. 87.

* 116 _ R. VANCURT, La philosophie et sa structure, Vol. I. Paris, seuil, 1953, p. 312.

* 117 _ R. JOLIVET, op. cit., p. 102.

* 118 _ Ibidem, p. 107.

* 119 _ JEAN PAUL II, La foi et la raison, Paris, Cerf, 1998, n°48.

* 120 _ Catéchisme de l'Eglise catholique, Paris, Mame/Plon, 1992, n°155

* 121 _ JEAN PAUL II, La foi et la raison, op. cit., n°16-36.

* 122 _ J. LACROIX, Le personnalisme comme anti- idéologie, Paris, P.U.F., 1962, p. 6.

* 123 _ E. MOUNIER, Introduction aux existentialismes, OEuvres de Mounier, op. cit., p. 117.

* 124 _ E. MOUNIER, Le personnalisme, OEuvres de Mounier,op. cit., P. 452.

* 125 _ BIBLE DE JÉRUSALEM, Rome, Cerf, 2002, Gn1, 18.

* 126 _ K. WOJTYLA, Amour et responsabilité, Paris, stock, 1985, p. 115.

* 127 _ E. LEVINAS, Totalité et infini, Essai sur l'extériorité, Paris, Fleuve Académique, 1971, pp. 322-323.

* 128 _ J. et R. MARITAIN, Humanisme intégrale in OEuvres complètes, Vol. VI, Paris, éd. Saint -Paul/Fribourg, éd. Universitaires Fribourg Suisse, 1935-1938, p. 394.

* 129 _ J. VIAU, La fin de l'humanisme classique in Options humanistes, Paris, Ouvrière, 1968, p. 20.

* 130 _ Y. FLOUCAT, Vocation de l'homme et sagesse chrétienne, Paris, Saint-Paul, 1989, p. 177.

* 131 _ J. et R. MARITAIN, Humanisme intégrale, OEuvres complètes, vol. VI, op. cit., p. 328-329.

* 132 _ Y. FLOUCAT, op. cit., p. 177.

* 133 _ Y. FLOUCAT, op. cit., P. 178.

* 134 _ J. et R. MARITAIN, Humanisme intégrale, OEuvres complètes, vol. VI, op. cit. , p. 337.

* 135 _ E. MOUNIER, Le personnalisme, OEuvres de Mounier,op. cit., p. 514.

* 136 _ J. et R. MARITAIN, Humanisme intégral, OEuvres complets volumes VI, op. cit. , p. 465.

* 137 _ Ibidem. P. 475.

* 138 _ BIBLE DE JÉRUSALEM, op. cit.,Gn1, 26.

* 139 _ Saint THOMAS, Somme théologique Ia, q.29, a.3.

* 140 _ J. MARITAIN, Personne et bien commun, OEuvres complètes, Vol. IX, Paris, éd. Saint -Paul/Fribourg, éd. Universitaires Fribourg Suisse, 1947-1951, P. 312.

* 141 _ J. MARITAIN, L'homme et l'Etat, Paris, P.U.F., 1965, pp. 138-139.

* 142 _ Y. FLOUCAT, Vocation de l'homme et sagesse chrétienne, op. cit., pp. 185-186.

* 143 _ JEAN PAUL II, La miséricorde divine, Paris, Téqui, 1980, p. 77.






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