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L'ordonnance de la C.I.J. en l'affaire relative à  des questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), demande en indication des mesures conservatoires

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par Etienne KENTSA
Université de Douala - DEA 2010
  

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CONCLUSION DU CHAPITRE II

Par leurs réponses, les parties ont trouvé un modus vivendi sur la question des mesures conservatoires, réservant la solution du différend sur le fond. La pertinence de la demande belge est ici confortée. Il est évident que le compromis qui s'est opéré entre les parties a permis à la Cour de conclure facilement qu'il n'y avait aucune urgence justifiant l'exercice du pouvoir que lui confère l'article 41 de son Statut à savoir l'indication des mesures conservatoires.

Cette attitude lui offre la possibilité de faire accepter facilement sa décision par les parties au litige dont elle est saisie. Le juge GREENWOOD a ainsi rendu aisée, à dessein ou non, la motivation de la décision de la Cour. Les réponses des parties ont été déterminantes dans la décision de la Cour, dans la mesure où elles ont rendu inutiles les mesures conservatoires. En effet, la Belgique a obtenu du Sénégal ce qu'elle avait initialement sollicité de la Cour. Il importe de noter qu'en matière de mesures conservatoires, l'urgence des circonstances constitue toujours le motif décisif de leur indication.

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

En somme, la pertinence de la demande de la Belgique, telle que modifiée dans ses conclusions finales aux termes du second tour d'observations orales, est confortée par l'étendue des assurances sénégalaises et la fonction médiatrice que la Cour a été amenée à remplir grâce aux questions du juge GREENWOOD. Il a été démontré que ce sont ces assurances et les réponses subséquentes des parties aux questions du juge qui ont constitué la ratio decidendi de la décision de la Cour. Les assurances sénégalaises ont remis en cause l'urgence alléguée par la Belgique, tandis que les réponses des parties l'ont tout simplement fait disparaître, rendant l'indication des mesures sollicitées futile.

On a pu constater l'impact assouplissant des assurances données par le Sénégal sur le différend principal. En effet, le fait que le défendeur reconnaisse son obligation de poursuivre, et considère même le jugement de Hissène HABRE comme un droit et un devoir, réduit considérablement la portée du différend tel qu'il se présentait au moment du dépôt de la requête belge. Toutefois, il serait imprudent et excessif d'y voir la disparition de l'objet du différend comme certains membres de la Cour (notamment le juge ad hoc Serge SUR). Car la question de l'attitude du Sénégal au cas où il ne trouverait pas le budget nécessaire pour l'organisation du procès, reste posée. En effet, jusqu'à date, l'obligation « subsidiaire » d'extrader demeure une pomme de discorde entre les deux parties.

Maintenir Hissène HABRE au Sénégal ne constitue en soi que le respect d'une obligation préliminaire qu'impose à ce pays la Convention contre la torture. Seule l'extradition, à défaut de la poursuite de l'ex-président tchadien, permettrait au Sénégal de remplir pleinement son obligation en l'espèce. Le refus d'extrader en cas d'incapacité de juger constitue un manquement grave au droit international, une telle attitude étant une manifestation de la volonté d'encourager l'impunité des crimes internationaux.

Dans cette affaire, la Cour n'en était encore qu'au niveau des mesures conservatoires et il régnait déjà un sentiment du définitif. L'Ordonnance du 28 mai 2009 a le mérite de contenir l'engagement solennel du Sénégal à maintenir l'ex-président tchadien sur son territoire, et la reconnaissance de son obligation de poursuivre ce dernier, même si elle n'a pas tranché toutes les questions soulevées à ce stade de la procédure.

L'Ordonnance du 28 mai 2009 n'a pas tranché toutes les questions que soulève l'affaire relative à des Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader opposant la Belgique au Sénégal. Il s'agit en fait d'une décision qui règle un point de procédure, à savoir la question des mesures conservatoires. De ce fait, l'examen des questions non tranchées par cette décision pourrait s'avérer intéressant.

Il y a en effet un certain nombre de questions qui ont été évoquées dans le cadre de l'examen de la demande des mesures conservatoires, sans pourtant être tranchées. Il semble opportun de les examiner ici. Parmi ces questions, on peut citer celle relative au changement de contenu de la demande belge en indication de mesures conservatoires. Il est loisible de noter que la Cour n'a fait aucune allusion à la portée de cette modification. A cela, on peut ajouter les questions relatives à la recevabilité de la requête au fond. L'examen de la question des modalités d'organisation du procès contre Hissène HABRE par le Sénégal permettra opportunément d'exposer les enjeux et les contours de ce procès.

Les questions non tranchées par l'Ordonnance du 28 mai 2009 peuvent être regroupées en deux catégories à savoir, d'une part, les questions relevant de la procédure devant la Cour (Chapitre I) et, d'autre part, celles relatives aux modalités d'organisation du procès contre Hissène HABRE (Chapitre II).

CHAPITRE I : LES QUESTIONS RELEVANT DE LA PROCEDURE DEVANT LA COUR

Ces questions n'ont pas été tranchées par la Cour soit par manque de volonté, soit parce qu'il était inopportun de le faire. La Cour aurait pu, mieux, aurait dû en effet se pencher sur la modification, pendant la procédure orale, de la demande belge en indication de mesures conservatoires. D'autant plus que le Sénégal y a fait valoir une argumentation assez solide. De plus, c'est certainement les observations critiques du défendeur sur la demande qui auraient poussé son auteur à la modifier. Par contre, les questions relatives à la recevabilité de la requête belge au fond, ne pouvaient être tranchées définitivement. Comme on l'a déjà mentionné, à plusieurs reprises, la recevabilité n'est examinée que de manière prima facie en matière de mesures conservatoires.

L'analyse de la question du changement de contenu de la demande belge (Section I) précèdera l'examen des questions relatives à la recevabilité de la requête au fond (Section II).

Section I : La question du changement de contenu de la demande belge en indication de mesures conservatoires

Aux termes du second tour d'observations orales, la demande en indication de mesures conservatoires belge a été modifiée (§ 1). Mais la Cour n'a pas cru devoir s'étendre sur la portée de cette modification (§ 2).

§ 1- La modification en question

Une lecture comparative de la demande de la Belgique et de ses conclusions finales à la fin du second tour des plaidoiries, permet de constater l'état de la modification opérée dans ladite demande. Il n'est pas superflu de rappeler qu'aux termes de la demande présentée au Greffe de la Cour, la Belgique priait celle-ci

« d'indiquer, en attendant qu'elle rende un arrêt définitif sur le fond, que le Sénégal [devait] prendre toutes les mesures en son pouvoir pour que M. H. Habré reste sous le contrôle et [sous] la surveillance des autorités judiciaires du Sénégal afin que les règles de droit international dont la Belgique demande le respect puissent être correctement appliquées »239(*).

Dans ses conclusions finales, la Belgique sollicitait de la Cour d'indiquer qu'

« il est demandé à la République du Sénégal de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour que M. Hissène Habré reste sous le contrôle et [sous] la surveillance des autorités sénégalaises afin que les règles de droit international dont la Belgique demande le respect puissent être correctement appliquées »240(*).

L'on constate que les termes « autorités sénégalaises » ont remplacé « autorités judiciaires du Sénégal ». Comme l'a si bien fait remarquer l'agent de l'État sénégalais, l'indication des mesures conservatoires sollicitées par la Belgique dans sa demande initiale aurait constitué un préjugement sur le fond241(*). Cette demande visait à imposer au Sénégal la prise de mesures destinées à faire adopter par le juge une mesure de contrôle judiciaire contre Hissène HABRE. Or relève le défendeur, dans son système juridique, la prise d'une telle mesure par lui suppose qu'au préalable Hissène HABRE soit poursuivi en tant qu'auteur, coauteur ou complice pour les crimes de torture et les crimes contre l'humanité qui lui sont imputés et qu'une information soit ouverte contre lui. Elle suppose aussi qu'il soit inculpé (ou mis en examen selon l'expression en usage dans le système pénal de la plupart d'Etats francophones). Le juge ad hoc Serge SUR renchérit en faisant remarquer que la Convention contre la torture invoquée par la Belgique comme fondement de sa demande, ne prévoit que des « mesures juridiques nécessaires pour assurer [la] présence » de la personne soupçonnée, prises par les États parties, « conformes à la législation » desdits États et non un contrôle judiciaire242(*).

La demande initiale de la Belgique était donc de nature à préjuger du fond de l'affaire relative à des Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader. Il est pourtant interdit aux parties d'empiéter sur les questions de fond lors de l'examen d'une demande en indication de mesures conservatoires. De fait, aux termes de l'instruction de procédure XI243(*),

« Dans leurs exposés oraux sur les demandes en indication de mesures conservatoires, les parties devraient se limiter aux questions touchant aux conditions à remplir aux fins de l'indication de mesures conservatoires, telles qu'elles ressortent du Statut, du Règlement et de la jurisprudence de la Cour.  Les parties ne devraient pas aborder le fond de l'affaire au-delà de ce qui est strictement nécessaire aux fins de la demande ».

En effet, les parties ne peuvent pas par exemple présenter des exceptions préliminaires au stade de l'examen d'une demande en indication des mesures conservatoires. Il convient de noter que la Cour ne peut indiquer des mesures conservatoires que si le caractère distinct de celles-ci par rapport à la requête au fond est établi. Il est donc évident que n'eût été sa modification, la demande belge aurait été rejetée sans difficulté par la Cour. Il est donc regrettable qu'après une telle modification la Cour en ait passé sous silence la portée sur l'issue de la procédure.

§ 2- La portée de la modification de la demande belge

L'attitude adoptée par la Cour n'est rien moins qu'une volonté de choisir la facilité. De fait, en omettant de relever la portée de la modification de la demande belge, la Cour fait preuve d'un laconisme critiquable. Il importe de préciser que n'eût été le changement effectué par la Belgique dans le contenu de sa demande, celle-ci serait dépourvue de toute pertinence. Cette modification a tout simplement rendu recevable la demande belge en indication de mesures conservatoires.

On suit donc volontiers le juge ad hoc Serge SUR, lorsqu'il affirme qu'en substituant l'imposition d'un contrôle des « autorités sénégalaises » à celui des « autorités judiciaires sénégalaises », la Belgique a considérablement modifié la sens de sa demande244(*). Cette attitude est pour le moins surprenante car la Cour aurait dû souligner au moins ce changement, à défaut d'en préciser la portée. En effet, la motivation doit rendre compte aux parties des arguments qu'elles ont utilisés devant la Cour245(*). Au lieu de cela, la Cour s'est bornée à constater implicitement le changement dans les paragraphes introductifs de sa motivation246(*), où elle décrit les positions des parties, et à n'examiner que la demande finale de la Belgique, faisant totalement silence, dans ses analyses propres247(*), sur l'existence et sur l'importance de cette modification248(*).

En procédant de la sorte, la Cour a fait montre de laconisme et manqué à un devoir, si l'on considère qu'elle doit rendre compte aux parties des argumentations par elles développées devant la Cour249(*). Même si l'on considère que le Règlement de la Cour ne lui impose de motiver que ses arrêts250(*), et non ses Ordonnances251(*), lorsqu'elle décide de motiver celles-ci, elle devrait le faire avec précision. En effet, « la motivation ne sert pas seulement à reprendre et à organiser les positions antagonistes telles qu'elles s'expriment dans la procédure écrite et orale, mais elle doit également retracer les étapes du raisonnement de la Cour... »252(*). L'on constate que l'argumentation sur la non pertinence de la demande initiale de la Belgique est tout simplement ignorée dans la décision de la Cour. Or il est évident que c'est cette argumentation qui a poussé la Belgique à modifier, sans aucune explication, ladite demande.

Cette attitude de la Cour pourrait être préjudiciable à long terme pour l'image qu'elle projette à travers les décisions qu'elle rend. En effet, si les justiciables constatent que leurs positions n'ont pas fait l'objet d'un examen objectif ou, au pis aller, qu'il n'en a pas été tenu compte, cela pourrait créer un climat de méfiance vis-à-vis du juge. Selon le juge ad hoc Serge SUR, il aurait suffi que la Cour notât au paragraphe 60 ou au paragraphe 61 que la modification de la demande de la Belgique au cours des audiences conduisait, non plus à imposer une nouvelle attitude du Sénégal par rapport à Hissène HABRE, mais simplement à rendre obligatoire en droit international le maintien de son attitude actuelle ; qu'il était loisible à la Belgique de modifier les termes de sa demande et que la Cour statuait sur la demande ainsi modifiée253(*).

La Cour aurait dû s'attarder sur cette modification dans la mesure où, sans elle, la recevabilité de la demande en indication des mesures conservatoires n'aurait pas été envisagée. Si cette question était traitable par la Cour dans son Ordonnance, les questions liées à la recevabilité de la requête belge au fond ne pouvaient l'être.

* 239 _ Voir Demande belge en indication de mesures conservatoires du 19 février 2009, p. 2, http://www.icj-cij.org/docket/files/144/15055.pdf (consultée le 20 avril 2009). Italiques ajoutés.

* 240 _ Voir CR 2009/10, p. 27, § 10 (DIVE). Italiques ajoutés.

* 241 _ Voir CR 2009/9, pp. 43-44 (DIANKO).

* 242 _ Voir Op. ind. SUR, p. 2, §. 3. Cf. art. 6, par. 1 de la Convention contre la torture qui prévoit que :

« S'il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont il dispose, tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction visée à l'article 4 assure la détention de cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent être conformes à la législation dudit Etat ; elles ne peuvent être maintenues que pendant le délai nécessaire à l'engagement et poursuites pénales ou d'une procédure d'extradition » (italiques ajoutés).

* 243 _ Instructions de procédure de la CIJ telles qu'amendées le 20 janvier 2009. La Cour a adopté en octobre 2001 ses premières instructions de procédure à l'usage des États comparaissant devant elle.  Les instructions de procédure n'entraînent aucune modification du Règlement de la Cour, mais viennent s'ajouter à celui-ci.  Elles sont le fruit du réexamen constant, par la Cour, de ses méthodes de travail.

* 244 _ Voir Op. ind. SUR, p. 2, § 3.

* 245 _ Ibid., § 4.

* 246 _ Cf. notamment § 15 et 34 de l'Ordonnance.

* 247 _ Cf. § 56 à 73 de l'ordonnance.

* 248 _ Voir Op. ind. SUR, p. 2, § 4.

* 249 _ Ibid.

* 250 _ Cf. l'article 95, § 1 du Règlement de la Cour : « L'arrêt, dont le texte indique s'il est rendu par la Cour ou par une chambre, comprend :

· l'indication de la date à laquelle il en est donné lecture ;

· les noms des juges qui y ont pris part ;

· l'indication des parties ;

· les noms des agents, conseils et avocats des parties ;

· l'exposé sommaire de la procédure ;

· les conclusions des parties ;

· les circonstances de fait ;

· les motifs de droit ;

· le dispositif ;

· la décision relative aux frais, s'il y a lieu ;

· l'indication du nombre et des noms des juges ayant constitué la majorité ;

· l'indication du texte faisant foi ».

* 251 _ Cf. article 75 du Règlement de la Cour :

«   1. La Cour peut à tout moment décider d'examiner d'office si les circonstances de l'affaire exigent l'indication de mesures conservatoires que les parties ou l'une d'elles devraient prendre ou exécuter.

          2. Lorsqu'une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, la Cour peut indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui sont sollicitées, ou des mesures à prendre ou à exécuter par la partie même dont émane la demande.

          3. Le rejet d'une demande en indication de mesures conservatoires n'empêche pas la partie qui l'avait introduite de présenter en la même affaire une nouvelle demande fondée sur des faits nouveaux ».

* 252 _ Voir Op. ind. SUR, p. 2, § 4.

* 253 _ Ibid.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry