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L'ordonnance de la C.I.J. en l'affaire relative à  des questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader (Belgique c. Sénégal), demande en indication des mesures conservatoires

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par Etienne KENTSA
Université de Douala - DEA 2010
  

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Section I : Les réponses des parties aux questions du juge

Aux questions du juge, le Sénégal et la Belgique ont apporté des réponses affirmatives. Le premier a fait une déclaration solennelle et la seconde a acquiescé. Il s'est en effet produit un modus vivendi (accord permettant à deux parties en litige de s'accommoder d'une situation en réservant la solution du litige sur le fond) dans la mesure où les parties, en répondant comme elles l'ont fait, se sont tout simplement accordées sur le fait d'empêcher Hissène HABRE de quitter le Sénégal tout au long de la procédure devant la Cour, la solution du litige étant réservée sur le fond. Il est donc important d'analyser la substance desdites réponses. Celles-ci emportent certainement des effets juridiques pour leurs auteurs dans la mesure où elles sont faites devant la CIJ ou mieux dans le cadre de rapports juridiques internationaux. On examinera donc la valeur juridique des réponses des parties (§ 2) non sans avoir au préalable fait cas de leur teneur (§ 1).

§ 1- La teneur des réponses des parties

Les réponses du Sénégal et de la Belgique se résument respectivement en une déclaration solennelle et en un acquiescement. L'analyse de la déclaration solennelle sénégalaise (A) précèdera l'examen de l'acquiescement belge (B).

A. La déclaration solennelle sénégalaise

En réponse à la première question du juge GREENWOOD ci-dessus, le coagent du Sénégal, sur ordre de son Gouvernement, a déclaré : «Senegal will not allow Mr. Habré to leave Senegal while the present case is pending before the Court. Senegal has not the intention to allow Mr. Habré to leave the territory while the present case is pending before the Court»212(*).

Il est loisible de constater que cette déclaration sénégalaise constitue en réalité un engagement répétitif. En effet, le Sénégal a formellement, et à plusieurs reprises, donné l'assurance qu'il ne permettra pas à Hissène HABRE de quitter son territoire avant que la Cour ait rendu sa décision définitive213(*). Il ressort du compte rendu de plaidoiries que « la probabilité pour que [Hissène] HABRE quitte le Sénégal et se soustraie à toute poursuite est quasiment nulle »214(*). Par ailleurs, le Sénégal a fait référence, de manière répétée, à l'effectivité des mesures nécessaires pour assurer la présence de l'ex-président tchadien sur son sol. Cependant, cela n'a pas paru aussi clair qu'une déclaration solennelle. La question du juge GREENWOOD a constitué une opportunité pour le Sénégal de montrer que les déclarations médiatiques de son président, bien qu'ayant pu fonder certaines inquiétudes de la Belgique, ne pouvaient cependant justifier l'indication de mesures conservatoires.

B. L'acquiescement belge

A la deuxième question du juge GREENWOOD exposée ci-dessus, le coagent belge, au nom de son Gouvernement, a fourni la réponse suivante :

« Une telle déclaration solennelle, prononcée par l'agent du Sénégal devant la Cour, au nom de son gouvernement, pourrait suffire au Royaume de Belgique pour considérer que sa demande [de] mesures conservatoires n'aurait plus d'objet, moyennant les précisions suivantes.

Cette déclaration devrait être claire et sans condition : il devrait s'agir d'une déclaration selon laquelle toutes les mesures nécessaires seront prises par le Sénégal pour que M. Hissène Habré ne quitte pas le territoire sénégalais tant que la Cour n'aura pas rendu son jugement final dans le cadre de la présente instance »215(*).

Cette réponse montre que la Belgique n'était pas de mauvaise foi en saisissant la Cour, comme on a pu l'entendre des plaidoiries sénégalaises au départ. Dans le compte rendu du premier tour d'observations orales du Sénégal, on peut en effet lire qu' : « en réalité, en demandant l'indication de mesures conservatoires qui visent à faire débuter le procès dans les circonstances actuelles, la Belgique veut faire provoquer son échec »216(*).

En matière procédurale, l'acquiescement est perçu comme « l'acte par le quel une partie à un différend accepte, expressément ou tacitement, purement et simplement ou sous condition, une obligation ou une prétention de l'autre partie »217(*). La réponse belge correspond à cette définition.

A la suite de sa réponse, la demanderesse a prié la Cour de reprendre la déclaration du Sénégal dans le dispositif de son Ordonnance, afin que cette déclaration ait la même force juridique qu'une mesure conservatoire indiquée par la Cour. Cette préoccupation laissait déjà entrevoir la question de la valeur juridique des réponses des parties aux questions du juge.

§ 2- La valeur juridique des réponses des parties

Les réponses des parties telles qu'elles les ont faites emportent des conséquences juridiques pour chacune d'elles. Il importe de ce fait d'analyser tour à tour le caractère obligatoire de la déclaration sénégalaise (A) et de l'acquiescement belge (B).

A. Le caractère obligatoire inconditionnel de la déclaration solennelle sénégalaise

D'entrée de jeu, il importe de signaler que la déclaration solennelle du Sénégal n'est pas seulement un engagement juridique parce que la Belgique l'a acceptée. Il convient en effet de préciser que, même en l'absence de l'acquiescement belge, cette déclaration n'en serait pas moins un engagement emportant des obligations pour le Sénégal. C'est le lieu de rappelé que, selon la jurisprudence de la Cour, le règlement d'un différend peut être obtenu par l'effet d'une déclaration unilatérale créant une obligation juridique. Ce fut le cas dans l'affaire des Essais nucléaires où la Nouvelle-Zélande ayant admis que le différend pourrait être résolu par une déclaration unilatérale ferme qui serait donnée par la France218(*), le président de cet Etat a décidé la cessation effective des essais atmosphériques219(*). Ce que la Cour a considéré comme étant « un engagement vis-à-vis de la communauté internationale »220(*). Cette déclaration présidentielle, ajoutée à celles d'autres autorités officielles françaises, a permis à la Cour de décider que la demande de la Nouvelle-Zélande était désormais sans objet et qu'il n'y avait plus dès lors lieu à statuer221(*).

La Cour a précisé par ailleurs la portée des déclarations sur le plan international en affirmant que :

« Il est reconnu que des déclarations revêtant la forme d'actes unilatéraux et concernant des situations de droit ou de fait peuvent avoir pour effet de créer des obligations juridiques. Des déclarations de cette nature peuvent avoir et ont souvent un objet très précis. Quand l'Etat auteur de la déclaration entend être lié conformément à ces termes, cette intention confère à sa prise de position le caractère d'un engagement juridique, l'Etat intéressé étant désormais tenu en droit de suivre une ligne de conduite conforme à sa déclaration. Un engagement de cette nature, exprimé publiquement et dans l'intention de se lier, même hors du cadre de négociations internationales, a un effet obligatoire. Dans ces conditions, aucune contrepartie n'est nécessaire pour que la déclaration prenne effet, non plus qu'une acceptation ultérieure ni même une réplique ou une réaction d'autres Etats, car cela serait incompatible avec la nature strictement unilatérale de l'acte juridique par lequel l'Etat s'est prononcé »222(*).

A la suite de ce dictum de la Cour, Jean SALMON précise : « il est traditionnel que les déclarations des agents, qui sont les porte-parole de leur État devant un tribunal international, peuvent constituer un engagement liant leur État »223(*).

Ainsi, dans l'affaire relative à Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise, la CPJI nota que, par une déclaration unilatérale, « Le représentant, devant la Cour, de la partie défenderesse, en dehors des déclarations relatives à l'intention de son Gouvernement de ne pas exproprier des parties déterminées de bien-fonds (...) a fait d'autres déclarations analogues (...). La Cour ne saurait mettre en doute le caractère obligatoire de toutes ces déclarations »224(*).

Le même auteur, citant un obiter dictum de la CPJI, ajoute que par des déclarations bilatérales : « il résulte encore des déclarations orales des parties, qu'elles sont d'accord pour demander à la Cour de décider (...) »225(*).

Dans le cas d'espèce, la déclaration solennelle du Sénégal oblige cet État à ne pas laisser Hissène HABRE quitter son sol tant que l'affaire qui l'oppose à la Belgique est pendante devant la CIJ. Le caractère obligatoire de la déclaration sénégalaise est inconditionnel dans la mesure où, même dans l'hypothèse d'un refus belge en l'espèce, la Cour aurait pu tout de même en tirer les mêmes conséquences. En effet, l'hypothèse pour cet État de laisser l'ex-président tchadien quitter son territoire avant une décision définitive de la Cour, constituerait un manquement grave à une obligation internationale. Si la déclaration sénégalaise a un caractère obligatoire inconditionnel, il n'en est pas de même de l'acquiescement belge qui n'est obligatoire que dans la mesure où le Sénégal respecte son engagement.

B. Le caractère obligatoire conditionnel de l'acquiescement belge

Il serait peut être exagéré de dire que l'acquiescement belge a pour effet de valider la déclaration solennelle sénégalaise. Par contre, cet acquiescement est susceptible de créer des obligations à la charge de la Belgique. En effet, le principe « ex consensu advenit vinculum » (le consentement lie ceux qui l'ont exprimé) peut trouver application en l'espèce. L'on se souviendra que la Cour a eu à considérer l'acquiescement comme source créatrice d'une situation de droit à savoir le modus vivendi tacite226(*). Il s'agit d'un accord tacite permettant à deux parties en litige de s'accommoder d'une situation en réservant la solution du litige sur le fond.

Comme on le verra par la suite, la Belgique était tenue par exemple d'accepter la décision de la Cour de ne pas indiquer des mesures conservatoires. En outre, la Belgique ne peut dorénavant demander ces mesures conservatoires qu'en cas de changement de circonstances, comme le prévoit le paragraphe 2 de l'article 76 du Règlement de procédure de la Cour aux termes duquel « toute demande présentée par une partie et tendant à ce qu'une décision concernant des mesures conservatoires soit rapportée ou modifiée indique le changement dans la situation considéré comme pertinent ». Par ailleurs, la Belgique ne doit ou ne peut raisonnablement envisager une demande d'extradition tant que le Sénégal remplit les obligations nées de son engagement.

Il est donc clair que les réponses des Parties ne les obligent pas au même degré. En effet, le caractère obligatoire de l'acquiescement belge dépend du respect, par le Sénégal, de son engagement solennel devant la Cour. Au-delà de leur valeur juridique, les réponses des parties ont eu un impact considérable sur la décision de la Cour.

* 212 _ Voir CR 2009/11, p. 23, § 6 (KANDJI). Voir également C.I.J., Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader, op. cit., p. 16, § 68.

* 213 _ Cf. C.I.J., Questions concernant l'obligation de poursuivre ou d'extrader, op. cit., p. 16, § 71.

* 214 _ Cf. CR 2009/9, p. 42, § 10 (DIANKO).

* 215 _ V. CR 2009/10, p. 26, § 6 (DIVE).

* 216 _ V. CR 2009/9, p. 45, § 27 (DIANKO).

* 217 _ Voir Jules BASDEVANT, op. cit. (supra, note n° 6), p. 12.

* 218 _ Voir C.I.J., Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt du 20 décembre 1974, Rec. 1974, pp. 457-478 (spéc. p. 473, § 50). Dans la déclaration publique néo-zélandaise du 1er novembre 1974, il était dit : « Tant que nous n'avons pas l'assurance que les essais nucléaires de cette nature ont définitivement pris fin, le différend entre la Nouvelle-Zélande et la France subsiste » (ibid).

* 219 _ Ibid., p. 471, § 40. La déclaration du président de la République française a été faite le 25 juillet 1974 lors d'une réunion de presse en ces termes :

« II avait été indiqué que les expériences nucléaires françaises seraient poursuivies. J'avais moi-même précisé que cette campagne d'expériences atmosphériques serait la dernière... »

* 220 _ Ibid., p. 474, § 53.

* 221 _ Ibid., p. 478, § 65.

* 222 _ Ibid., p. 472, § 46.  

* 223 _ Jean SALMON, « Les accords non formalisés ou « solo consensu » », AFDI, 1999, pp. 1-28 (spéc. p. 17).

* 224 _ C.P.J.I., Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise (Allemagne c. Pologne), arrêt du 25 mai 1926, série A, n° 7, p. 13. Les italiques ajoutés.

* 225 _ Jean SALMON, op. cit. (supra, note n° 223), p. 17 ; cf. C.P.J.I., Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt du 26 mars 1925, série A, n° 5, p. 28.

* 226 _ C.I.J., Plateau continental (Tunisie c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt du 24 février 1982, Rec. 1982, p. 70. Dans cette espèce, la Cour a fait état de ce que : « [...] Pendant la procédure orale, les deux Parties ont reconnu qu'un compromis de facto ou une solution transitoire avait résulté de l'instauration de cette zone tampon et était restée longtemps en vigueur, sans incident ni protestation de part et d'autres (...) » (§ 94).

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard