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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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I). Introduction générale

« Vous m'avez décollé les yeux et décrassé le dedans de la tête »

Cette phrase, tirée de l'autobiographie de François Cavanna1 et destinée à ses instituteurs, m'a marquée dès la première lecture des Ritals. Au cours de ma dernière année de Licence, j'ai lu l'ouvrage de Pierre Milza, Voyage en Ritalie2 qui m'a, lui aussi, passionnée et donné l'envie d'étudier l'immigration italienne en France. L'aspect, à la fois, politique et humain de ce travail a renforcé mon intérêt pour ce sujet. La réponse positive de M. Michel Catala m'a permis d'entamer mes recherches avec, pour sujet de départ du Dossier d'Initiation à la Recherche, l'immigration italienne entre les deux guerres. J'ai ensuite décidé de partir à Florence dans le cadre du programme de mobilité Erasmus au cours de ma première année de recherches, j'ai ainsi pu bénéficier de fonds d'archives différents de ceux que j'ai ensuite consulté en France. M'immerger dans la vie quotidienne en Italie m'a par ailleurs permis d'approcher de plus près le mode de vie de ses habitants et de mesurer, par exemple, les clivages sociaux qui existent dans la Péninsule ou encore l'impact de la religion sur les comportements individuels et collectifs des Transalpins. Cette année passée à étudier à l'université de Florence m'a aussi permis d'apprendre à parler l'italien, ce qui est sans nul doute un atout pour aborder mon sujet, certains témoignages étant rédigés dans la langue maternelle des intervenants (particulièrement lorsque la scolarisation des enfants n'a pas entraîné une sédentarisation définitive en France, ou lorsque l'historien auquel est livré le témoignage est lui-même Italien). De même, pouvoir lire des historiens italiens me semble un apport bibliographique non négligeable au traitement de ce sujet puisque nous parlerons ici des Italiens de France, nous posant ainsi la question de leur scolarisation et de son implication. Les enfants d'immigrés italiens fuyant Mussolini ont ainsi pu être bien accueillis par des instituteurs républicains partageant des opinions politiques parfois proches de celles de leurs parents, nombreux sont les témoignages et les autobiographies regorgeant de souvenirs

1 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38-39).

2 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993.

gratifiants des écoliers se disant remarquablement bien intégrés au sein de l'Ecole Républicaine. Cependant, d'autres entretiens, entre les historiens et les enfants d'origine italienne, mettent en avant la sensation d'exclusion et d'humiliation ressentie par ces derniers sur les bancs des classes de l'Hexagone. Cette variété de témoignages, parfois contradictoires, nous engage à nous interroger sur le comportement des enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises et sur la façon dont ils sont accueillis par les enseignants.

. Les travaux antérieurs et les sources utilisées

A l'instar de Gérard Noiriel nous pouvons parler, en ce qui concerne l'Ecole et les étrangers d'un « non-lieu de mémoire »3. Dominique Schnapper explique ainsi, dans La France de l'intégration, que les sociologues comme les historiens « sensibles avant tout à la problématique des classes sociales [...] ne se sont pas interrogés sur le rôle de l'enseignement pour constituer et maintenir la collectivité nationale »4. Cependant, s'il reste des études à mener, de nombreux travaux ont tout de même été réalisés. Citons ainsi les recherches d'Antoine Prost sur les institutions scolaires et l'histoire sociale de l'Ecole5. Par ailleurs, concernant les contenus des cours dispensés aux élèves intéressant notre sujet, il nous faut souligner que Mona et Jacques Ozouf6 ou encore Christian Amalvi7 ont écrit des ouvrages très complets. Cependant, Olivier Loubes8 met en lumière le manque de travaux concernant l'Ecole française en tant que modèle assimilateur. Ces aspects sont tout de même évoqués, bien qu'assez rapidement, dans certains ouvrages répertoriés dans la bibliographie. Citons ainsi Le Creuset français de Gérard Noiriel9, L'opinion française et les étrangers de Ralph Schor10, Voyage en Ritalie de Pierre Milza11, ainsi que la thèse12 et les articles écrits par Marie-Claude Blanc-Chaléard. Sur l'immigration italienne

3 G. NOIRIEL, Le creuset français, Paris, 1988.

4 D. SCHNAPPER, La France de l'intégration, Paris, 1991 (p. 212).

5 A. PROST :

- L'enseignement en France (1800-1967), Paris, 1968.

- Autour du Front Populaire. Aspects du mouvement social au XXème siècle, Paris, 2006.

6 M. et J. OZOUF, La République des instituteurs, Paris, 2001.

7 C. AMALVI, Les lieux de l'histoire, Paris, 2005.

8 O. LOUBES, « L'école et ces étrangers : assimilation et exclusion » dans P. MILZA et D. PESCHANSKI, Exils et migration, Italiens et Espagnols en France (1938-1946), Paris, 1994.

9 G. NOIRIEL, Le creuset français, Paris, 1988.

10 R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985.

11 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993.

12 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000.

en France, la recherche a été si vaste qu'il semble ici inutile de se préter à une fastidieuse liste de l'ensemble des ouvrages sur le sujet.

Cependant, il n'existe pas à ce jour de travail faisant un bilan des différences d'accueil au sein des institutions scolaires des écoliers d'origine italienne sur tout le territoire français. Nous nous proposons ici de commencer ces recherches. Précisons que, la somme d'investigations sur tout le territoire français étant bien trop lourde, nous recourrons en conséquence à des exemples géographiquement variés afin de remarquer les éventuelles différences au sein du territoire français. Face à la plus vaste immigration que la France ait connue, les recherches livrées dans ce Mémoire ne se veulent ni ne peuvent donc en aucun cas prétendre à l'exhaustivité. Il est entendu que nous ne faisons pas ici état de la situation de chacun des enfants italiens de 1935 à 1955 : il s'agit de se référer à quelques cas et d'essayer de les situer grace aux études précédemment menées par les historiens et sociologues. Nos témoins sont-ils « originaux » ? Leurs cas reflètentils une réalité retrouvée fréquemment dans la situation de la plupart des enfants d'immigrés ? Pour des questions pratiques liées à l'Université dans laquelle cette étude est menée, notre regard s'est principalement porté sur les archives concernant le phénomène migratoire italien dans l'Ouest de la France. En effet, on retrouve dans les témoignages recueillis pour ce Mémoire de nombreux Nantais, pourcentage qui ne représente en aucune façon la proportion des Italiens de France installés dans l'Ouest. Des exemples parisiens, lorrains ou encore marseillais ont cependant constitué une source importante puisqu'ils nous ont permis d'avancer des objets de comparaison des situations des différents enfants de migrants implantés dans des villes ou dans des zones plus rurales, territoires aux histoires migratoires très différentes.

Notre recherche est particulièrement sujette à polémique dans cette période où les pouvoirs politiques s'emparent des débats sur l'immigration à l'Ecole. L'utilisation des témoignages est, non seulement utile mais aussi nécessaire à une recherche sérieuse sur le sujet, elle nous permet de passer ainsi, de l'horizon d'un seul à l'horizon de tous. Avec l'émergence et l'affirmation de l'Ecole des Annales à partir des années trente, l'Histoire s'inscrit désormais dans la longue durée et, pour cela, bénéficie de l'apport des autres sciences humaines et sociales. En ce qui concerne notre sujet, la sociologie sera un des chaînons nécessaires à la bonne compréhension de la mentalité des enfants d'immigrés dans les écoles, les approches psychologiques de l'intégration des élèves13, des rapports aux idiomes14, ou encore des conflits

13 F. STORTONI, Clinique contemporaine des Français d'origine italienne, une posture complexe : « Je suis Français... mais mon père était italien... », Thèse de doctorat (Psychologie clinique et pathologie) sous la direction des professeurs T. NATHAN et R. CHATTAH, Paris et Bologne, 2007.

14 J-C. VEGLIANTE, « le problème de la langue : la « Lingua Spacà » », CEDEI, acte du colloque franco-italien sur « L'immigration italienne en France dans les années 20 », Paris 15 au 17 octobre 1987.

intergénérationnels alimentés par le phénomène migratoire, seront, elles aussi, utilisées. L'immigration et l'Ecole n'échappent pas à cette relecture par le « temps long ». Nous prenons alors en compte, comme facteurs explicatifs, les précédentes réformes menées par les ministères en charge de l'éducation - en ce qui concerne l'Ecole - et les phases anciennes de mouvements de population - pour ce qui concerne le phénomène migratoire. Les historiens et les sociologues qui étudient cette période s'intéressent aux témoignages des enfants de migrants car ils leur permettent de dresser un tableau de l'histoire des mentalités. En tout, une soixantaine de témoignages sont utilisés dans notre étude. Ils relèvent de différentes sources : certains sont le résultat d'entretiens directs, d'autres sont constitués par des réponses de témoins à un questionnaire précédemment envoyé. Certains témoignages, encore, sont extraits d'ouvrages historiques et sociologiques, plus rarement nous avons pu aussi recourir à l'utilisation d'autobiographies15. Cette méthode biographique est utilisée dans un objectif de reconstruction d'histoires individuelles, elles sont ensuite réinsérées dans leurs contextes micro et méso sociaux (c'est-à-dire, à l'échelle des organisations et des systèmes d'action). Ces histoires de cas doivent être étudiées avec un regard attentif sur les contextes locaux de la société française (dans cette étude, c'est l'école qui est choisie comme structure d'accueil aux immigrés). Cette technique nous permet de comprendre comment le contexte scolaire fonctionne à l'égard des immigrés italiens et de leurs enfants. On offre ainsi au lecteur un panel d'exemples relativement variés (hommes et femmes, provenance, histoires migratoires, résultats scolaires, villes de scolarisation, etc.). Ainsi, si les témoignages recueillis directement sont essentiellement ceux de personnes ayant été scolarisées dans l'Ouest (Nantes, Saint-Nazaire, Saumur...), on a veillé à les étudier de façon couplée avec les histoires d'autres témoins issus de différentes villes françaises. Nous ne pouvons cependant que déplorer la rareté bibliographique actuelle en matière d'études régionales sur les Italiens à l'Ecole. Sur les deux années de travail préalable à ce Mémoire, un an a été consacré à la recherche sur le sol italien, la connaissance des conditions d'accueil en France a donc pu en pâtir quelque peu. Effectivement, c'est seulement à la fin de cette dernière année que nous avons pu être certains qu'il était effectivement possible de traiter du même thème sur un espace restreint (la rue de Trignac à Saint-Nazaire aurait ainsi pu être un passionnant sujet d'étude). Rencontrer des groupes communautaires, joindre des milieux spécifiquement italiens est une entreprise de longue haleine et nous avons, malheureusement, souvent pu déplorer n'avoir pu entrer en contact que trop tard au cours de l'année avec des familles concernées par ces thèmes de recherche.

Les autres sources, utilisées ici dans une moindre mesure mais fort utiles néanmoins, sont issues des écoles. Nous avons ainsi pu consulter des reconstitutions de listes d'écoliers et de professeurs, l'impression d'un journal réalisé par des élèves ou encore des photographies témoignant de la vie de la classe, de l'école, parfois aussi des images nous ont été données, illustrant les sorties scolaires organisées par les instituteurs. Il n'a pas été possible de trouver ces documents pour les écoles nantaises de nos témoins, soit parce qu'elles ne les avaient pas conservés (c'est le cas le plus courant), soit parce que les portes des établissements nous sont restées fermées. Par ailleurs, outre une comptabilisation des enfants n'ayant pas la nationalité française, et de ceux ayant un patronyme italien, ces listes de matricule des établissements scolaires n'apportent en définitive que de maigres informations qui n'offrent pas d'indices sur l'expérience vécue à l'école par nos témoins. Pour les listes d'effectifs qui ont été consultées, elles n'apportent, en tous cas, aucune indication sur le contenu quotidien de l'enseignement. Aucune des écoles de la région nantaise évoquées dans cette étude n'a conservé les bulletins scolaires (quand nous les avons en notre possession, c'est qu'il nous ont été donnés par les témoins). Les établissements étudiés à Paris par Marie-Claude Blanc-Chaléard offrent, quant à eux, des informations un peu plus riches (sur le comportement et le niveau des élèves en particulier)16.

? Les bornes chronologiques de l'étude

Nous ne pouvons aborder ce sujet sur l'accueil des enfants d'immigrés par les enseignants, sans exposer un bilan historique de l'immigration italienne ni même sans faire la nécessaire description de ce qu'est l'Institution scolaire française entre 1935 et 1955. Il nous faut, par ailleurs, nous livrer à une nécessaire étape d'identification afin de savoir qui sont les migrants dont nous parlerons, leurs lieux de provenance et les raisons qui poussent leurs parents à quitter la terre mère, empruntant les navires de la Méditerranée, traversant les Alpes, pour venir travailler avec leur famille dans l'Hexagone.

Pour traiter notre sujet, la période de l'Entre-Deux-guerres s'était d'abord imposée comme un moment intéressant puisque très riche quant au nombre d'enfants de migrants italiens présents dans les écoles de France (phénomène lié à la fois à l'importance de l'immigration et à la politique de regroupement familial). En fait, les sources vivantes étant, bien sûr, plus rares

pour cette période, il semblait logique de décaler le sujet aux années 1935-1955. Nous nous penchons donc là sur une vingtaine d'années, ce qui équivaut à une génération d'écoliers.

La période qui s'étend du milieu des années trente au milieu des années cinquante est synonyme d'une grande variété quant aux situations des migrants, d'une multitude de lois relatives à l'émigration comme à l'immigration. En effet, nos témoins bénéficient, inégalement néanmoins, des réformes sociales du Front Populaire, ils subissent le passage d'une guerre avec la xénophobie anti-italienne qu'elle a parfois pu susciter, ils vivent les politiques du régime de Vichy qui portera une attention toute particulière à l'Ecole. Ils voient ensuite l'arrivée massive et organisée de centaines de travailleurs appelés à reconstruire la France d'après-guerre. Les années soixante marquent le déclin de ces flux migratoires italiens, faisant de cette immigration un sujet d'étude « fermé ».

Il semble ici nécessaire de faire un rapide bilan de l'émigration de l'Italie vers la France durant la génération qui précède celle à laquelle nous nous intéressons ici. L'immigration italienne de masse commence vraiment à partir de 1860. L'Italie, récemment unifiée, est alors le premier fournisseur de la main-d'oeuvre étrangère de l'Hexagone. Le dernier recensement avant la Grande Guerre fait état de 420 000 Italiens sur le territoire français en 1911 (les Transalpins représentent alors 36% des immigrés de l'Hexagone et 1% de la population française). A la veille de la Première Guerre mondiale, la masse des migrants est rassemblée à l'est d'une ligne imaginaire qui relierait les villes du Havre et de Montpellier, les principales régions d'accueil étant alors les Alpes, le littoral méditerranéen (un résident marseillais sur cinq est alors Italien, un sur quatre à Nice), les régions lyonnaise et parisienne et le bassin de la Lorraine sidérurgique. Le mouvement migratoire, en effet, est développé par capillarité à partir des zones frontalières, le long des lignes ferroviaires (dont la construction a d'ailleurs mobilisé nombre de migrants d'Outremont), puis par l'attraction des grands pôles d'emploi, principalement de façon concentrique autour des métropoles.

Le 2 avril 1917, un décret institue pour la première fois une carte de séjour pour les étrangers de plus de 15 ans résidant en France, autrement dit, on prend désormais en compte les jeunes mineurs d'origine étrangère. Cependant, les enfants restent encore, pour leur part, encore transparents aux yeux de l'administration française. Il est vrai que les enfants italiens étaient alors relativement peu nombreux, l'immigré type étant encore un homme jeune et célibataire. Il est fréquent, par ailleurs, que l'on retrouve des groupes communautaires originaires de la même région, voire du même village d'Outremont, et ce sur une même zone de peuplement français. L'explication de ce regroupement allogène est simple : le recrutement est massif pour une activité bien déterminée, souvent déjà pratiquée dans la région d'origine des immigrés (beaucoup

sont des spécialistes de leur domaine, caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs pour la période qui nous intéresse). En outre, il est plus « aisé » d'immigrer en sachant que l'on retrouvera dans la zone d'accueil des repères de la vie d'avant, de « l'époque italienne ». Les Italiens arrivés avant la Seconde Guerre mondiale viennent alors surtout des régions du Nord-est (Vénétie, Trentin, Frioul) et du Centre-Nord (principalement d'Emilie-Romagne) 17 de la Péninsule italienne.

La population italienne fixée en France avant la Première Guerre mondiale est déjà amplement intégrée et fortement sédentarisée dans les années 1935-1955. A cette première vague s'ajoute un nombre conséquent de migrants arrivés après la signature du Traité de Versailles, recrutés pour la reconstruction de la France dévastée. Les travailleurs itinérants (journaliers agricoles, manoeuvres) se font moins nombreux qu'autrefois, et pour cause : la mécanisation réduit le nombre de postes disponibles dans ces domaines désormais désertés. La famille italienne rejoint souvent le père, premier du foyer à partir chercher du travail de l'autre côté de la frontière des Alpes. Cependant, les années vingt connaissent un léger regain du nomadisme, particulièrement pour les jeunes hommes dans une situation de clandestinité au moment de leur émigration puisque leur départ est provoqué par des raisons politiques liées à l'implantation du fascisme dans la Péninsule. Cette mobilité aura, globalement, plutôt tendance à compliquer les rapports avec les Français18. « L'immigré type » est alors un travailleur sans qualification, issu le plus souvent d'un milieu rural. Ils occuperont en France des postes dans les métiers du bâtiment, seront sidérurgistes, mineurs, ils travailleront dans les usines ou dans les industries de l'Hexagone. Les moins chanceux seront manoeuvres sur les chantiers, dans les ports, les salines, les entreprises de service boudées par les Français, comme les égouts parisiens par exemple. Nombreux sont aussi les Italiens employés dans l'hôtellerie, comme vendeurs de glaces ou dans les restaurants. Quant aux femmes de l'époque, elles émigrent rarement seules : la période où les Italiennes partaient pour être nourrices dans l'Hexagone est en passe d'être révolue. Lorsqu'elles trouvent du travail, elles obtiennent, en général, des emplois de bonnes, d'ouvrières dans les domaines du textile ou de l'agro-alimentaire. L'ascension sociale de quelques-uns de ces migrants d'Outremont permet l'ouverture de restaurants italiens et d'entreprises de maçonneries. Ces nouvelles entreprises entraînent l'arrivée de nouveaux membres de la famille, si toutefois l'affaire s'agrandit.

17 Voir la carte des régions italiennes disponible en document annexe n° 6.

18 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 47).

Les Transalpins bénéficient par ailleurs d'un autre facteur bénéfique à l'emploi : la France est alors dans une période où sa population n'assure plus son renouvellement. Le baby-boom de l'immédiate après-guerre ne suffit pas à enrayer un criant manque de main d'oeuvre puisque, dès 1922, le taux de natalité retombe à son niveau de l'avant-guerre. Le Premier Conflit mondial a entraîné un reflux important des Italiens résidant dans l'Hexagone : dès le début de la guerre, nous constatons de nombreux retours en Italie d'immigrés en age de se battre, le nombre des départs ralentit, même si, les flux partant de la péninsule restent conséquents19. A la fin de la guerre, l'immigration reprend et s'amplifie : pour les dirigeants français, il est nécessaire de combler la baisse de la population active, laquelle est, de plus, intensifiée par l'exode rural, les exigences grandissantes de la main-d'oeuvre nationale et les lois de limitation de la durée des journées de labeur. En somme, la France, saignée à blanc par l'hécatombe, a besoin d'ouvriers et de maçons, d'une main-d'oeuvre non qualifiée préte à accepter des emplois difficiles et mal payés. Le climat de terreur qui règne dans la Péninsule, avant et après la prise du pouvoir par les fascistes, contribue lui aussi aux départs. Le solde migratoire entre la France et sa soeur latine est alors très favorable à l'Hexagone 20 . En 1920-1921, l'Italie connaît une première crise économique, celle de l'après-guerre, le pays souffre désormais d'un important taux de chômage auquel les vagues de retours des soldats n'arrangent rien21. Avant 1931, la France n'est pas touchée de plein fouet et la crise est encore globalement cantonnée aux Etats-Unis. La dépression de l'après-guerre entraîne le chômage de six millions et demi de travailleurs américains, la frontière des Etats-Unis devient donc imperméable aux éventuels migrants tout comme celles du Canada, de l'Allemagne, de la Suisse et des Etats qui ont succédé à l'empire austro-hongrois entre 1919 et 1924. Ainsi, l'immigration des voisins transalpins se concentre dorénavant tout particulièrement vers la France. Côté italien, Mussolini condamne d'ailleurs l'émigration en 1927, pour autant il ne réussit pas à l'empêcher. Dans l'Hexagone, on essaye de ralentir les arrivées en imposant des quotas : les étrangers ne semblent plus les bienvenus. C'est dans ce climat peu engageant que commence notre étude de la scolarisation des enfants d'origine italienne en France.

Si l'immigration en provenance d'Outremont vers la France est aujourd'hui nulle, en revanche, la péninsule italienne est aujourd'hui désormais elle-méme terre d'accueil et c'est bien là ce qui fait l'originalité de la position italienne dans les études migratoires.

19 2,6 millions de départs pour l'ensemble des pays d'accueil pour la période 1911-1914, un peu plus de 360 000 au cours des années 1915-1919.

20 L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 45).

21 Voir la chronologie en document annexe n° 1.

Carte n°1 : Répartition de la population italienne dans les
départements français en 193122.

. La scolarisation en France :

Après avoir étudié le contexte général de l'immigration italienne, il nous faut maintenant nous pencher sur la scolarisation durant la période 1935-1955. Lorsque les Français se questionnent sur leur identité, l'institution scolaire est toujours au premier rang de leurs interrogations. L'Ecole républicaine s'affirmant alors comme la fabrique du citoyen et du soldat, son rôle dans la société se veut primordial.

Quand nous parlons d'Ecole, d'institutions scolaires, nous comprenons à la fois les établissements du primaire et ceux du secondaire, l'intégralité de la scolarisation en somme. La crise économique des années trente rend plus difficile les possibilités d'entrée en apprentissage et dans la vie active. En revanche, le prolongement de la scolarité, une réalité dès les années vingt, est favorisé, dans les années trente, par les nouvelles possibilités offertes par l'École (notamment lorsque Jean Zay est nommé ministre de l'Education Nationale sous le gouvernement Léon Blum23). Nombreuses alors sont les ouvertures de classes secondaires dans les écoles autrefois en mal d'élèves prolongeant leur scolarité. L'enseignement secondaire classique cesse d'être payant et les collèges techniques s'implantent sur tout le territoire français, aussi bien en ville qu'à la campagne. L'Ecole doit désormais « produire » de la promotion sociale24. En effet, la volonté d'utiliser les chances offertes par l'Ecole afin de trouver un métier, et, éventuellement, de réaliser l'ascension sociale espérée par les parents s'accroît alors, les familles immigrées n'échappant pas à la règle.

Jusqu'en 1930, la gratuité est réservée à l'enseignement primaire, elle est ensuite étendue aux sixièmes. En 1933, ce sont tous les établissements du secondaire qui bénéficient de la gratuité scolaire. Ces réformes sont le fruit de la mise en oeuvre de l'élitisme scolaire. A cette idéologie, prônant la réussite à l'école, s'ajoute une réalité concrète : le but de ces réformes est en fait de compenser la chute des effectifs du secondaire liée à l'arrivée en sixième des classes creuses nées pendant la guerre25. Nous retrouvons par ailleurs, à cette période, l'idée d'un enseignement modèle, d'un discours éducatif idéal devant être tenu par les instituteurs à leurs jeunes disciples. Or, nombreux sont les témoignages et les autobiographies, où les enfants de

23 Voir, en document annexe n° 5, la liste des ministres de l'Instruction.

24 Lire à ce sujet l'article de Marie-Claude Blanc-Chaléard.

M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens à l'école primaire française : l'exemple parisien, « La Trace » n° 5, Paris, Octobre 1991 (p. 6).

25 M-O MERGNAC, C. GAROSCIO-BRANCQ et D. VILRET, Les écoliers d'hier et leurs instituteurs, Paris, 2008 (p. 44, 45).

migrants Italiens (on compte aujourd'hui trois millions et demi de Français d'origine italienne dans l'Hexagone26) révèlent qu'ils se sont sentis parfois exclus ou moqués au sein de l'Institution scolaire.

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