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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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II). Explication des termes du sujet

? Explications historiques et lexicales

Nous en arrivons maintenant à l'étape du rappel du rôle et des caractéristiques des différents protagonistes de nos recherches. Ce passage de l'étude peut sembler un peu fastidieux mais il n'en est pas moins nécessaire à une bonne compréhension des thèmes soulevés par notre sujet d'étude.

La situation de « migrant » se distingue de celle de « l'immigré » en tant qu'elle indique que le processus migratoire n'est pas clos. De méme, le terme « d'émigré », c'est-à-dire celui qui s'est expatrié par rapport à son pays d'origine, exprime un point de vue différent du mot « immigré » (celui qui est venu de l'étranger par rapport au pays qui l'accueille). La plus grande visibilité des immigrés, particulièrement Italiens, s'explique par leur stabilisation sur le territoire français. La recherche historique comme sociologique s'intéresse, dès lors, davantage à eux. Gérard Noiriel, historien pionnier du travail sur l'histoire de l'immigration en France, explique ainsi que « le regard se déplace vers les « improductifs », surtout les enfants. La problématique de la famille, donc de la généalogie, donc de l'assimilation, aiguisée par les fantasmes xénophobes, est en terrain sûr »27.

Nous aurons aussi l'occasion d'étudier le rôle et la formation des instituteurs dans les Écoles Normales de France.

Une des grandes polémiques que l'on retrouve chaque fois qu'est évoquée l'immigration en lien avec l'Ecole est le concept d'assimilation. Ce processus, qui, sans être une spécificité française relève tout de même de « l'habitude » nationale, fait l'objet aujourd'hui de vives critiques mais fut longtemps considéré comme l'unique solution à l'intégration des enfants de

26 Entretien de A. GUYOT avec P. MILZA pour Ouest France, « Ces immigrés Italiens qui ont bâti la France », mai 2008.

27 G. NOIRIEL, Le Creuset Français, Histoire de l'immigration (XIXème-XXème), Paris, 1988 (p. 37).

16 migrants dans l'Hexagone. L'Ecole est, sans nul doute, un des plus puissants « appareils démocratiques de représentation »28. Le témoignage du sociologue et philosophe Edgar Morin publié dans Le Monde, est, à cet égard, hautement significatif :

« La IIIe République institue [...] les lois de naturalisation qui permettent aux enfants d'étrangers nés en France de devenir automatiquement français et facilitent la naturalisation des parents. L'instauration, à la même époque, de l'école primaire laïque, gratuite, et obligatoire, permet d'accompagner l'intégration juridique par une intégration de l'esprit et de l'âme. J'en témoigne : fils d'immigrés, c'est à travers l'école et à travers l'Histoire de France que s'est effectué en moi un processus d'identification mentale »29.

Qu'en est-il donc de cette assimilation qui provoque, tour à tour, reconnaissance des enfants d'immigrés et critiques amères de ceux qui considèrent leur liberté et leur identité étouffées par ce processus ? Les capacités de l'Ecole Républicaine à intégrer les jeunes d'origine étrangère sont loin d'être considérées comme évidentes par tous les historiens. Citons ainsi le cas de Gérard Noiriel et celui d'Antonio Perroti qui, tous les deux, voient le pouvoir intégrateur de l'Ecole comme une idée reçue. Les rapports d'inspection (surtout en Sud-ouest et en Lorraine30 car à Paris, l'intégration semble avoir été effectivement poussée par l'école31), eux aussi, permettent de mettre en doute l'idée d'un pouvoir intégrateur sans faille de l'Institution Scolaire.

Il est nécessaire, dans l'étude à laquelle nous nous consacrons, de nous arrêter un moment sur trois termes que nous serons amenés à employer et qui ont fait débat chez les sociologues comme chez les historiens. L'entrée des résidents italiens en France, et donc de leurs enfants, se fait en effet selon trois modalités : l'intégration l'assimilation, et l'insertion.

Le projet français d'intégration est déjà présent dans les dispositions de 1889 qui se proposent de « transformer » les jeunes étrangers en Français 32 . En France, la tradition d'intégration républicaine a longtemps prévalue chez les pédagogues et les sociologues. L'origine scientifique du mot « intégration » évoque la construction dynamique d'une unité de citoyens, c'est donc une incorporation. L'intégration se veut un tout dans lequel chaque élément

28 « Appareil démocratique de représentation » est une expression utilisée par G. NOIRIEL dans La tyrannie du national, Paris, 1991 (p. 91).

29 E. MORIN, « La francisation à l'épreuve », Le Monde, Paris, 1991.

30 G. NOIRIEL, Les Italiens en France de 1914 à 1940, « Les immigrés italiens en Lorraine pendant l'entre-deux-guerres : du rejet xénophobe aux stratégies d'intégration », Paris, 1986.

31 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000.

32 Voir la chronologie disponible en document annexe n°1.

compte à part entière. Dans les années soixante-dix, historiens et sociologues critiquent le terme d'intégration au nom du droit à la différence, le mot « insertion » lui est alors préféré.

Ce terme est parfois utilisé dans les témoignages des enfants d'immigrés transalpins. « L'insertion » a l'avantage d'être le mot le plus neutre lorsque l'on évoque la collision du migrant avec sa société d'accueil. Cela suppose que les migrants conservent leur identité mais en ne se fondant jamais vraiment dans le corps social français. L'insertion souligne ainsi l'extranéité de l'arrivant et accepte la possibilité de son détachement de la société d'accueil lié au refus de la part du migrant d'être assimilé. Il est finalement rapidement abandonné à son tour.

Le thème de l'assimilation par l'Ecole, quant à lui, domine la période qui s'étend des années trente aux années cinquante, époque dont nous verrons qu'elle est particulièrement alimentée et aiguisée par les fantasmes xénophobes. Cependant, ce terme est déjà utilisé au XIXème siècle puisque le modèle d'assimilation est mis en place au début de l'ère républicaine, sur les enfants étrangers comme d'ailleurs sur les provinciaux (les historiens de l'Ouest ont ainsi développé quantité d'intéressants ouvrages sur le cas des Bretons par exemple). La France continue sa longue croisade jacobine vers l'Etat centralisé et le prisme adopté par l'Institution Scolaire doit alors être le même dans chacune des écoles essaimées dans l'Hexagone. L'assimilation est globalement défendue par les partisans de la « préférence nationale », c'est un processus qui fait disparaître l'élément étranger par une absorption dans l'organisme assimilateur. L'extranéité disparaît donc totalement lorsque l'on parle d'assimilation. Ce concept rend nécessaire la confiance dans la vertu assimilatrice des institutions étatiques, et en ce qui nous concerne, de l'Ecole. L'Italien immigré doit alors abandonner ces particularismes pour ne former qu'un avec la société d'accueil. Se pose alors le problème non négligeable de l'acculturation, problème sur lequel nous aurons bien entendu l'occasion de revenir dans nos recherches.

L'avantage de la notion d'intégration par rapport au concept d'assimilation est de concerner chacun des citoyens français et non uniquement l'immigré et ses enfants. En 1927 l'enfant d'un milieu allogène33, s'il est né en France, n'a plus la possibilité de choisir : s'il est de mère française ou de parents étrangers nés en France, il est Français. Cette loi, définie par de nombreux historiens comme assimilatrice, fait diminuer considérablement le nombre d'élèves étrangers dans les écoles françaises 34 . Ces nombreux écoliers d'origine italienne mais de nationalité française rendent, pour l'historien, plus difficile la tâche, nécessaire et préalable à l'étude, de reconnaissance des témoins potentiels au travail de recherche (en effet, nous le

33 Le groupe allogène décrit ici une communauté ethnique installée depuis peu sur un territoire et présentant encore des caractères la distinguant de la population autochtone.

34 Voir la chronologie disponible en document annexe n° 1.

verrons, ce serait se fourvoyer que de penser que la bonne intégration à l'école va de pair avec la naturalisation des élèves et de leurs parents).

Pour résumer, nous laissons ici la parole à Jacqueline Costa-Lacoux, politologue, chercheuse au CNRS et directrice de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration, qui résume les complexes notions précédemment évoquées, par la définition suivante :

« L'assimilation souligne l'unité de la communauté nationale ; l'intégration, le choix et la participation des nouveaux membres ; l'insertion, les conditions d'accueil de l'étranger avec le maintien du particularisme d'origine »35.

Outre les thèmes relatifs à l'intégration, il est nécessaire de définir celui de « deuxième génération ». La définition de cette notion a donné lieu à de nombreuses polémiques au sein de la recherche historique, sociologique, anthropologique et scientifique. La première difficulté que nous devons affronter est l'absence de distinction des différentes catégories d'enfants de migrants dans la nomenclature officielle française. Effectivement, contrairement aux Etats-Unis où l'on distingue les enfants de souche américaine de ceux dont les parents sont nés à l'étranger, il n'existe pas réellement en France de communauté mixte « d'Italo-français ». Cette « deuxième génération » est donc composite, l'expression désigne indistinctement des jeunes français d'origine italienne et des jeunes italiens qui sont scolarisés en France. C'est seulement à la fin des années soixante-dix qu'apparaît l'emploi courant du vocable de « deuxième génération » 36. Par ailleurs, aucune définition précise n'ayant été adoptée, il nous semble donc plus prudent et plus juste d'utiliser avec parcimonie et précaution ce terme polémique. Nous choisissons donc plutôt, lorsque cela est possible, de préciser individuellement les trajectoires familiales de chacun des enfants de migrants que nous évoquons. Cette attitude semble, en effet, plus en accord avec l'éthique nécessaire à l'historien dont le regard se porte sur le phénomène migratoire.

35 J. COSTA-LACOUX, « Assimilation, intégration ou insertion ? Querelles sémantiques et choix politiques » dans J-L RICHARD, Les immigrés dans la société française, n° 916, Rennes, septembre 2005 (p. 49).

36 Il faut cependant préciser que, lors de la rédaction du Code Civil, promulgué le 21 mars 1804 par Napoléon Bonaparte, la question de la nationalité des enfants de migrants est déjà posée, y compris par le terme « deuxième génération ».

Pour traiter de ces thèmes, ambitieux par l'abondance des problématiques qu'ils soulèvent, nous ne pourrons bien sûr pas prétendre à l'exhaustivité. Il s'agira, dans notre étude, de s'interroger sur le rôle de l'Ecole dans le maintien et l'intégration des enfants d'immigrés italiens dans la société française.

Pour ce faire, nous procèderons à une organisation interne comprenant trois niveaux différents de recherche.

La première partie de ce travail permet de replacer l'enfant dans le contexte familial, ses fondations personnelles en somme (le parcours de ses parents et sa matrice culturelle).

Le second chapitre de ce Mémoire nous amène à étudier le contexte de l'école et, donc, l'imbrication des relations de l'élève, de ses camarades et de ses professeurs.

Enfin, la dernière partie de ces recherches est consacrée au rôle de l'école dans le sentiment d'appartenance ou non de l'élève d'origine italienne à la nation française ou, du moins, d'observer son intégration dans l'environnement tricolore.

CHAPITRE 1
L'ELEVE DANS SA FAMILLE.

Etudier les enfants d'origine italienne dans les écoles de France implique, en premier lieu, que l'on s'interroge sur leur matrice culturelle et familiale. Comme pour tous les écoliers de l'école, le milieu familial, en général prolétaire et populaire pour les immigrés italiens de la période 1935-1955, a une influence non négligeable sur les réussites à l'école (scolaires comme sociales). Quelles particularités liées au phénomène migratoire retrouve-on au sein de la vie familiale et qu'implique le milieu culturel dans la scolarisation des enfants ?

Quantité d'épisodes liés au phénomène migratoire sont dissimulés ou, du moins, évoqués rapidement seulement, au coeur du foyer transalpin. Le trajet migratoire, quant à lui, peut nous être raconté en détail par tous nos témoins. Cette anecdote est d'autant plus intéressante que, bien souvent, les enfants n'étaient pas encore nés au moment du départ d'Italie. Pourtant, l'évènement marque la famille de façon profonde et sur plusieurs générations. Maria raconte ainsi, de façon très émouvante : « Quand papa et maman sont arrivés de Sicile, ça a été comme une deuxième naissance pour toute la famille »37. Cette expérience migratoire, après plusieurs mois à étudier la scolarisation des enfants de migrants, nous est apparue comme un phénomène qui a marqué le passage à l'école des élèves d'origine italienne, nous montrerons ici de quelle façon. Nous nous pencherons ensuite sur l'influence du mode de vie, globalement traditionnel, des familles italiennes sur la scolarisation des élèves.

37 Entretien avec Maria C. (24 novembre 2009 -- Nantes).
(Maria ne souhaite pas que son nom entier soit divulgué)

I). Les raisons de l'arrivée en France : quel retentissement de l'expérience migratoire sur la scolarité des enfants d'origine italienne ?

Mussolini condamne l'émigration dès 1927, il prend des mesures restrictives pour ralentir le départ des candidats mais il ne peut pas les empêcher totalement. Cette même politique le conduit aussi à faire revenir les Italiens déjà partis si bien que le nombre de retours de migrants passe de 53% entre 1921 et 1930 à 84% pour la décennie suivante38.

Du côté français, après avoir encouragé l'arrivée d'étrangers essentiellement européens dans le but de la reconstruction d'après-guerre, les dirigeants politiques se concentrent désormais, ici aussi, sur un freinage de l'immigration. En effet, en 1931, la crise économique internationale frappe le pays et des dispositions sont alors prises pour ralentir l'entrée des travailleurs étrangers qui ne sont plus, désormais, les bienvenus dans l'Hexagone.

A). Le Front Populaire.

Le Front Populaire est souvent perçu comme un intermède libéral pour les immigrés. En fait, cette observation est loin d'être aussi évidente. Le début de notre période est marqué par des discours xénophobes particulièrement présents au sein du monde politique, dans les journaux, ces débats sont donc investis aussi par la population française en général. Après la crise économique de 1930, les poussées xénophobes connaissent un déclenchement particulièrement rapide et intense (comme ce fut d'ailleurs le cas après la crise de 1880). Lorsque la France connaît la prospérité, l'immigré est le bienvenu pour occuper les emplois difficiles ou ingrats laissés par les nationaux. En temps de crise, ces postes sont de nouveau revendiqués par les Français. Ces conflits d'intérêts sont alors propulsés sur la scène publique comme arguments politiques par les dirigeants comme par les journalistes. Gérard Noiriel observe ainsi la croissance importante du nombre des articles sur l'immigration dans la presse au cours des années 1930-1939 à la lumière de l'étude de Ralph Schor sur l'opinion française39. Le sujet intéresse particulièrement les journaux quand le pays se trouve dans une situation critique : lorsqu'un étranger est impliqué dans un fait divers, comme c'est le cas en 1934, le nombre

38 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 74).

39 R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985, cité par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 125).

22 d'articles croît brusquement40. Il convient donc de se demander si l'inflation du discours xénophobe gagne aussi le champ scolaire, en ce qui concerne les enseignants, les élèves et leurs parents. Ce nationalisme patent a-t-il un impact dans les débats sur l'assimilation ? En effet, l'euphorie de la victoire commune des deux soeurs latines en 1918 s'estompe rapidement pour laisser place à un agacement français face à une présence italienne jugée trop envahissante. Il est vrai que, si les Italiens bénéficient globalement d'une image individuelle de marque41, la vision collective de l'immigration transalpine est, quant à elle, plutôt négative dans la première partie de notre période.

Période de bouillonnement social et d'effervescence en terme de luttes sociales, le Front Populaire a particulièrement marqué les enfants dont les parents avaient fuit le fascisme pour des raisons politiques. Ainsi, Walter Buffoni, enfant de Liguriens de sensibilité communiste dont l'oncle Alfredo a été assassiné par les fascistes, se rappelle de ses souvenirs d'alors :

« Les origines politiques de mes parents, méme s'ils n'en faisaient pas état en France pour des raisons évidentes, m'ont marquées. Les grèves de 1936 et l'avènement du Front Populaire ont été à l'origine de mes options politiques et syndicales, avec des responsabilités syndicales très importantes, y compris nationalement »42.

Par ailleurs, un autre évènement contribue alors à mettre « de l'huile sur le feu » dans les relations franco-italiennes. Depuis octobre 1935, les armées mussoliniennes mènent une guerre en Ethiopie43 qui marque le retrait de l'Italie de la Société des Nations et, par la même, son rapprochement avec l'Allemagne nazie. Ce conflit est souvent synonyme de rupture des bonnes relations tant entre adultes que pour les plus jeunes. Ainsi, en 1992, Enzo Brun confie à Marie-Claude Blanc-Chaléard :

« On avait à l'école des amis d'origine française, ça se passait bien... ça se passait bien jusqu'en 35-36, quand il y a eu la guerre d'Ethiopie, là, alors, il y a eu une vague de xénophobie dont je me souviens très bien. J'avais des amis, ils parlaient des « sales Italiens » et ils disaient « pas toi, pas toi », mais je le prenais pour moi »44.

40 G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris, 2002 (p. 24, 25).

41 La note générale sur leur capacité d'intégration en 1926 est de 7,3 %, les plaçant ainsi en troisième position.

G. NOIRIEL, Atlas de l'immigration en France, Paris, 2002 (p. 25).

42 Walter Buffoni, fondateur de l'association nazairienne France-Italia, est adhérent politique en 1944 et syndical en 1945, il est aujourd'hui retraité mais toujours militant.

Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010 et rencontre à Méan-Penhoët le vendredi 30 avril 2010.

43 La Seconde guerre d'Éthiopie ou campagne d'Abyssinie oppose l'Italie fasciste de Benito Mussolini à l'Empire d'Éthiopie d'Hailé Sélassié entre octobre 1935 et mai 1936.

44 Témoignage de Enzo BRUN (3/12/1992), dans M-C. BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 481).

Politiquement en revanche, pour ce qui est des droits des étrangers sur le sol de l'Hexagone, le Front Populaire représente bien un intermède libéral, plus cependant par l'interprétation de textes précédemment votés et par la façon de les mettre en oeuvre que par l'adoption d'une législation nouvelle45. C'est en 1936, que désormais, les enfants étrangers résidents en France sont, eux aussi, soumis aux lois républicaines sur l'obligation scolaire46. Le Front Populaire met fin au laxisme qui entourait jusque là l'absentéisme des écoliers. L'obligation scolaire est portée de 13 à 14 ans, à l'initiative de Jean Zay, alors ministre de l'Education Nationale au sein du gouvernement. Concrètement, cette mesure aménage des classes de fin d'études, elle permet l'ouverture de centres d'apprentissage. Ainsi l'Ecole garde plus longtemps aussi les élèves destinés au travail manuel. Une autre des mesures phares du Front Populaire en matière d'éducation est souvent évoquée par nos témoins. En effet, en 1937, les « classes promenades » sont instaurées : l'objectif de ce projet est de se servir de l'environnement comme d'un support pédagogique. Jean Burini se rappelle d'ailleurs de ses sorties avec son instituteur, après la guerre :

« Un samedi, on allait à la piscine, un samedi, on allait faire un tour à vélo ... ou les jeudis... On allait au bois, il nous apprenait les arbres, il était vraiment génial ».

Les sorties étaient, parfois, plus lointaines et sur une plus longue période, Jean explique ainsi :

« Avec le centre d'apprentissage, l'été, on allait en montagne [...] ça permettait de faire de l'escalade, on a fait la traversée d'Annecy à la nage, je suis arrivé le vingthuitième ! »47.

45 Précisons ici que la polémique porte sur la période du Front Populaire, certains mettent en avant les quelques avancées de la coalition des partis de gauche au niveau du traitement des immigrés alors que d'autres déplorent le fait qu'aucune loi majeure ne fut votée à cette période, Pierre Milza par exemple. En fait, le Front Populaire constitue une avancée dans le traitement des immigrés et leur intégration, mais il déçoit certains dont les attentes sont plus importantes que les réformes réellement appliquées.

46 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 251).

47 - Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 -- Vigneux).

- Voir aussi la rédaction de Gérard COLOMBO en annexe n° 8.

(« Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954).

Figure n° 1 : Sortie scolaire au Luxembourg48
(École Poincaré, Villerupt, début des années cinquante)

Figure n° 2 : Le spectacle de l'école, les activités artistiques49
(École Poincaré, Villerupt, début des années cinquante)

48 Collection privée de Jean BURINI.

49 Ibid.

Le contexte social, quant à lui, s'il est favorable aux classes les plus en difficulté et aux ouvriers de la vague d'immigration d'avant 1914, ne semble pas bénéfique aux parents de nos témoins. La France connaît alors une période longue de chômage. Dès lors, on remarque une vague de xénophobie qui ne sera pas, soulignons le, le monopole de l'ultra droite nationaliste, ainsi, le socialiste Fernand Laurent s'exclame à la Chambre : « Paradoxe irritant en France, à l'heure actuelle : 500 000 chômeurs et deux millions d'ouvriers étrangers » 50 . Quel retentissement a pu avoir cette absence de travail disponible pour les immigrés sur la scolarité de leurs enfants ? Plusieurs conséquences découlent de cette situation de crise. Tout d'abord, les immigrés sont contraints de se déplacer davantage sur le territoire français pour trouver un emploi ce qui implique des changements d'école fréquents pour leurs enfants. Par ailleurs, certains d'entre eux doivent rentrer en Italie, ils reviendront parfois après la Seconde Guerre mondiale. Outre les changements imputables aux déplacements familiaux, les échos de ce pic de chômage se font aussi sentir dans les rapports avec les camarades de classe. C'est surtout les élèves d'origine italienne dont les parents travaillent qui subissent les injures de leurs homologues français :

« Le chômage était très important, nos parents, pour l'essentiel des Italiens, travaillaient et ce n'était pas sans amener des remarques désobligeantes. Egalement pour des raisons dues au fascisme en Italie, ça retombait sur nous, cela m'a amené à me battre quelques fois »51.

L'élève français répète ce qu'il entend à la maison et a parfois tendance à stigmatiser son camarade d'Outremont comme « l'indésirable » de l'école. Citons ainsi WM, qui se souvient de ses difficultés lors du pic de chômage. Il a alors douze ans et a déjà changé quatre fois d'école, ses parents, son petit frère et lui-même déménageant au rythme des emplois précaires de son père.

« En 1936, plus de travail ! C'était le début du Front Populaire en France, des difficultés pour tout le monde pour avoir du travail. En particulier pour les étrangers. Les étrangers majeurs à l'époque c'était les Italiens. [...] Et là, j'ai commencé à sentir qu'il y avait des agressions »52.

50 E. CAPORALI, « Le Peuple », 27 novembre 1984

Dans l'ouvrage de R. SCHOR, L'opinion française et les étrangers, Paris, 1985 (p 908).

51 Questionnaire de Walter BUFFONI, 2010.

(Ce témoin a demandé à ce que seules ses initiales soient divulguées)

52 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

Effectivement, le taux de chômeurs en France est alors proche des 10 % en agrégeant chômage recensé et chômage partiel53. A ces difficultés d'intégration liées au non-emploi, s'ajoutent bientôt les prémices de la guerre.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore