WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

( Télécharger le fichier original )
par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II). L'élève dans sa classe

Comprendre la vie de la classe, c'est s'interroger sur la formation des enseignants et sur leur rôle mais aussi sur les résultats des élèves, l'organisation au sein des salles de classe, le contenu des programmes scolaires, et enfin, sur la carrière des témoins.

A). Les enseignants

. La formation des maîtres d'école.

Lorsque l'on aborde un sujet traitant de l'Ecole, il va sans dire qu'il est nécessaire d'aborder la question de la formation des enseignants. C'est en 1833 que les lois Guizot264 commencent à organiser l'école primaire et créent les Ecoles Normales (EN). L'année 1854 marque un changement important puisque c'est désormais le recteur d'académie qui nomme, seul, les enseignants. En effet, désormais les instituteurs seront libérés du contrôle des notables et du certificat de « bonnes moeurs » délivré autrefois par l'Eglise. La IIIème République, quant à elle, marque l'ascension du prestige du métier de professeur. L'instituteur devient alors le symbole de l'idéal républicain et laïc. C'est Charles Péguy le premier, écrivain et promoteur du nationalisme français, qui les qualifiera de « hussards noirs de la République ». Les hussards étaient des cavaliers de l'armée hongroise, la comparaison est donc lourde de sens, Charles Péguy exprimant ainsi la déférence et l'obéissance quasi-aveugle des enseignants envers l'Etat français. Le début du XXème siècle marque la syndicalisation du corps enseignant, par ailleurs, beaucoup d'entre eux adhèrent au socialisme « à la Jaurès ». Jusqu'en 1924, cette activité politique est considérée comme incompatible avec leur statut, nombreux sont donc les instituteurs à être révoqués. Quant aux premières années de la période qui nous intéresse, elles sont considérées comme « l'age d'or » de la profession265. Après la Première Guerre mondiale, en effet, les revenus des professeurs augmentent. Leur engagement politique est toujours tourné

264 28 juin 1833 : la loi Guizot impose une Ecole Normale par département, une école primaire supérieure dans chaque commune de plus de 6 000 habitants et dans chaque chef-lieu de département, une école primaire publique au moins par commune.

Voir aussi à ce sujet la chronologie en document annexe n°1.

265 J. GIRAULT, Instituteurs syndiqués et enseignement de l'histoire entre les deux guerres, Paris, 1984 (p. 140).

vers la gauche, ils s'inscrivent massivement dans la défense du pacifisme. L'exemple le plus célèbre de ces instituteurs pacifistes est probablement celui de Gaston Clémendot (1904-1952), syndicaliste, rédacteur de manuels scolaires et qui s'est engagé dans une défense sans failles du socialisme266. Le pacifisme que l'on retrouve souvent chez les enseignants est-il pour autant un gage de sécurité dans l'acceptation facile des élèves d'origine étrangère ? En tout cas, la présence, dans de nombreux témoignages, de comparaisons entre les armées transalpines et françaises nous pousse à nous intéresser à cette évolution dans les opinions des instituteurs : que pensent-ils des affrontements politiques, militaires entre les deux pays ? Par ailleurs, l'engagement à gauche de nombreux professeurs sera tantôt un point commun avec les parents de nos témoins, eux-mêmes ayant souvent fui l'Italie mussolinienne pour des raisons politiques, tantôt une occasion d'incompréhension, voire de discorde, avec des familles traditionnelles italiennes très catholiques mais n'ayant pas les moyens financiers de scolariser leurs enfants dans des écoles privées.

Après ce point délicat (en tant qu'il relève avant tout des histoires individuelles) sur les opinions des instituteurs, nous nous devons donc de nous livrer ici à un rapide panorama de l'apprentissage délivré aux futurs maîtres d'école dans les Ecoles Normales d'instituteurs. Cependant, soulignons que, malgré l'esprit de corps qui les anime forgé par leur formation uniforme, l'enseignant ne peut se réduire à la légende du « héros républicain » ou du « militant intransigeant de la laïcité » car le corps de ce métier est en fait assez hétérogène267. Si la corporation des instituteurs est composée d'hommes et de femmes aux opinions très diverses, il est tout de méme possible d'observer des traits communs dans leurs comportements. Tout d'abord, le concours de l'enseignement prétend offrir une formation identique à chacun des apprenants. Yvette Delsaut, dans son ouvrage sur l'Ecole Normale, définit cette institution comme « chargée de produire le personnel d'encadrement pédagogique des futurs citoyens et, à ce titre, la cible jalousement surveillée de tous les programmes d'éducation » 268 . La dénomination même de cette formation souligne le caractère de système modèle que revendiquent les Ecoles Normales, nous sommes ici face à une institution autorisée, logique. C'est du moins, ce qui est mis en avant par l'Etat républicain. C'est dans les années 1920 que se met définitivement en place l'instauration du commandement étatique sur l'ensemble du système

266 O. LOUBES, L'étrange défaite de la patrie à l'école primaire en France entre 1918 et 1940, Paris, 2005 (p. 194).

267 S. JOSPIN, « Les hussards noirs de la République » dans L'actualité de l'Histoire, n°102, septembre 2009 (p. 72, 73).

268 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 5).

éducatif. Ecole Normale, institution dirigée par l'Etat donc, mais aussi organisation éminemment polémique, souvent vivement critiquée. Si l'Ecole est le lieu de la formation des futurs citoyens, elle devient alors un enjeu primordial pour les diverses obédiences politiques. D'ailleurs, le gouvernement de Vichy décide, le 18 septembre 1940, de supprimer les Ecoles Normales. C'est seulement le 19 avril 1945 qu'une ordonnance du général De Gaulle abroge toutes les lois relevant de la législation scolaire vichyste.

La vision des instituteurs de la France est résolument jacobine dans son ensemble : vantée pour ses vertus accueillantes, l'accueil des immigrés s'y veut la plupart du temps en accord avec les processus d'assimilation. La grande majorité des professeurs semble d'ailleurs n'émettre aucune réserve à l'idée de la supériorité nationale, au moins au niveau culturel. Parlant de la vision des enseignants de l'intégration des familles italiennes, Ronald Hubscher explique d'ailleurs que « le fichu ou la mantille des femmes, le chapeau de feutre noir des hommes désigne l'étranger. La couleur vive des robes des immigrantes est qualifiée de criarde et manifestement ne répond pas au gout français de la mesure. L'intérieur de la maison est scruté avec attention : le tableau d'un paysage cisalpin ou un calendrier italien accrochés au mur sont considérés comme les lieux d'une mémoire qui n'est pas effacée » 269 . Effectivement, l'intégration de l'enfant d'origine étrangère semble, pour leurs enseignants, le plus souvent, synonyme d'un travail d'oubli du passé transalpin et de suppressions des traces d'italianité pour se fondre dans le creuset français.

L'Ecole Normale n'est pas mixte. L'enseignement qui y est dispensé aux élèves maîtres hommes ou femmes est toutefois sensiblement le même. La formation des « hussards de la République » se fait en quatre années. Dans un premier temps, le futur enseignant commence cette formation, très sélective, dès qu'il a obtenu son certificat d'études270. Autrement dit, les apprenants au métier d'instituteur sont eux-mêmes très jeunes au début de leur entrée à l'Ecole Normale. Le concours comporte un commentaire de texte puis une dictée (pour laquelle le zéro est éliminatoire). Il y a aussi une épreuve de mathématiques, puis, un document est lu et, sans avoir le droit de prendre des notes sur ce texte, les postulants au concours de l'enseignement doivent en faire un compte-rendu. A l'oral, de nouveau, des questions sont posées sur toutes les matières principales (en français, le candidat doit expliquer un texte, en mathématiques, il doit démontrer une formule). Viennent ensuite des épreuves moins classiques pour les élèves

269 R. HUBSCHER, L'immigration dans les campagnes françaises (XIXème À XXème siècle), Paris, 2005 (p. 401).

270 En 1969, le gouvernement français met fin à l'existence du recrutement en fin de troisième. Désormais il devient donc plus compliqué pour les enfants de paysans et d'ouvriers d'accéder à des études prises en charge par l'Etat et menant au métier d'instituteur.

90 apprenants qui passent alors des tests de dessin et de modelage, ainsi qu'une épreuve sportive avec un barème adapté selon l'âge du candidat. L'exercice de musique consiste à solfier une partition et à chanter une chanson.

Une fois acceptés à l'EN, les futurs maîtres apprennent des leçons modèles et font des stages au sein des classes d'application. Le discours livré aux apprenants est stéréotypé271, rien d'étonnant dès lors à ce que celui diffusé dans les classes de nos témoins ait été lui aussi conventionnel272. Il en va de même pour le style d'écriture qui semble extrêmement formel dans leurs cahiers a d'ailleurs été un souci pour analyser les rédactions de nos témoins. En effet, cette forme ritualisée peut être synonyme d'une certaine forme d'autocensure sur l'éventuelle expression du ressenti de nos jeunes témoins, quant à leur intégration par exemple273.


· « Vous m'avez décollé les yeux et décrassé le dedans de la tête » (François Cavanna).

Par ailleurs, l'instituteur est aussi vu comme le garant des apports culturels et intellectuels, il est donc relativement fréquent que les interlocuteurs d'origine italienne soulignent le rôle majeur des enseignants dans leur engagement politique, leur insertion dans le monde du travail, leur passion pour la littérature ou pour l'art. Ainsi, Jean Burini, se rappelle avec émotion de son instituteur de l'école Poincaré :

« Mon maître, monsieur Jean Romac, je me rappellerai toujours de son nom, quand je parle de lui, je suis ému. C'était un homme, il était sévère, très sévère, c'était pas le mec gentil mais avec lui vous vous en sortiez vraiment bien : il vous obligeait à prendre la direction qu'il fallait »274.

Il lui écrira même une lettre en 2002 pour lui témoigner sa reconnaissance, expliquant ainsi :

« Tant d'années se sont écoulées mais je n'ai pas oublié les trois années scolaires passées dans votre classe de l'école Raymond Poincaré de Villerupt. Votre gentillesse, votre rigueur et votre droiture, ainsi que votre disponibilité m'ont fortement marqué. Je n'ai jamais oublié les sorties que vous nous avez consacrées à Obercom, au Moulin de Tiercelet, les promenades en forét ou au plateau de la Gare et bien d'autres encore, restent pour moi de très bons souvenirs. [...] Vous faites partie de ceux qui ont tenu une grande

271 Y. DELSAUT, La place du maître, une chronique des Ecoles normales d'instituteurs, Paris, 1992 (p. 80 à 82).

272 On ressent d'ailleurs l'influence de cette écriture formelle dans les lettres de soldats durant les deux guerres mondiales

Voir à ce sujet, S BRANCA-ROSOFF, Conventions d'écriture dans la correspondance des soldats, Paris, 1990 (p. 21 à p. 36).

273 Voir à ce sujet, « Joyeux écoliers », journal mensuel de la classe de Jean Romac, école de garçons Poincaré de Villerupt, janvier-février 1954.

274 Entretien avec Jean BURINI (jeudi 14 janvier 2010 -- Vigneux).

place dans ma vie car, pour nous, enfants des cités ouvrières, vous avez joué un rôle important en nous inculquant deux qualités essentielles ; le respect et la droiture »275.

De même, François Cavanna exprime de façon véhémente sa gratitude aux « hussards de la République » :

« La foi [...] je l'ai virée. [...] Foutue dehors à coups de pieds dans le cul. Et c'est bien à vous que je le dois, vous, mes instits de la communale pourtant pas spécialement bouffeurs de curés. A vous surtout, mes profs de l'école supé. [...] Vous m'avez décollé les yeux et décrassé le dedans de la tête »276.

Pour François Cavanna dessinateur reconnu, polémiste de talent, l'engagement politique s'est fait bien plus par l'Ecole que par sa famille. En effet, il est issu de parents peu politisés le fait de parler de politique est assimilé au fait de ne pas se tenir « tranquille ». Écrivain récompensé maintes fois, le jeune François est un excellent élève. Son talent littéraire est, lui aussi, provoqué en grande partie, grâce au travail de quelques professeurs qui l'ont « fait pleurer de bonheur à Molière, à la Fontaine, à Rabelais... »277. De même, la passion pour la géographie de Maria Cera-Branger est née de l'influence d'un de ses professeurs :

« J'ai eu une institutrice [...] à l'école de la rue Evariste Luminais, elle s'appelait Madame Dabouis. Cette dame là, elle m'a fait passer des choses qu'aucune autre n'a pu me faire passer. En géographie, elle parlait avec amour des Alpes, elle avait été réfugiée à côté de la mer de glace. J'étais en admiration devant cette dame »278.

Cependant, est-ce pour autant toujours une posture consciente que celles des professeurs qui poussent les enfants d'immigrés à la découverte de la culture française et de ses auteurs ? Nous pourrions penser que la réponse positive est évidente. En fait, François Cavanna suppose le contraire pour son cas personnel :

« Vous m'avez mis au monde tout beau, tout neuf, et vous n'avez rien senti. T'es rital,

t'es cureton, c'est marre. Voltaire et Diderot là-dessus, confiture aux cochons... »279

Consciente ou pas, l'ascendance de certains instituteurs n'est pas négligeable et fera naître des vocations chez quelques-uns des enfants de migrants qui sont le ciment de notre étude. Cette

275 Lettre de Jean BURINI à son instituteur Jean ROMAC, 26 avril 2002, Vigneux.

276 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 38-39)

277 F. CAVANNA, Ibid. (p. 39).

278 Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

279 F. CAVANNA, Op. Cit., Paris, 1978. (p. 39).

influence est parfois si forte qu'elle peut être le facteur déclencheur de l'installation définitive en France du noyau familial. Nous l'avons rapidement évoqué plus haut 280 , l'influence des instituteurs sur leurs élèves se ressent aussi par les vocations que ces derniers ont pu susciter chez les jeunes Italiens. Nombreux sont les historiens qui citent dans les témoignages recueillis l'exemple d'enfants de migrants ayant voulu embrasser la carrière de professeur. C'est d'ailleurs le cas de la plupart des historiens de l'immigration italienne, si l'on observe la bibliographie des recherches ici livrées, on remarquera en effet un nombre élevé de chercheurs aux patronymes italiens. Cependant, les témoins étant interrogés sur la base du volontariat, il semble logique que, davantage que les autres, ils aient envie de se confier à des personnes les remettant de nouveau en contact avec l'Institution scolaire. Le phénomène est donc mineur, il est d'ailleurs plus difficile que pour les Français, pour les descendants d'immigrés transalpins de faire carrière dans l'Education. Effectivement, s'ils peuvent passer le concours de l'Ecole Normale, il est toutefois nécessaire de bénéficier d'une ascendance de trois générations d'ancêtres ayant la nationalité française281.

? Les enseignants et l'Italie.

Si, dans la période que nous étudions ici, rares sont les professeurs d'origine italienne (on remarquera des enseignants issus de l'immigration transalpine dans la génération suivante), l'Italie n'en est pas moins évoquée de temps à autre dans les leçons de la période 1935-1955. Souvent la discussion est enclenchée par une remarque du professeur quant à la consonance italienne du nom de l'élève. Marie Cera-Branger nous fait ainsi part de son expérience :

280 Voir la partie sur le rôle joué par l'Ecole dans l'installation définitive en France.

281 « J'adorais l'école. J'étais une excellente élève. Je voulais être institutrice. J'étais reçue au concours de l'École Normale. Mais c'était en 1940, il fallait une ascendance de trois générations de Français. Ma carrière a été brisée ~ ».

Témoignages de Zina AVRIL-MUTI, dans M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 422).

« À l'école Vial, j'ai eu une professeur en géographie qui, à cause de mon nom, m'a demandé si j'étais d'origine italienne. Je lui ai dit oui, alors, elle m'a demandée de parler un peu de l'Italie et d'expliquer comment mon papa était venu ».

« J'allais à l'école française et je n'ai jamais trop parlé de mon papa italien sauf à un cours de géographie ou la professeur a, elle aussi, demandé s'il y avait des enfants d'immigrés. J'étais la seule italienne, il y avait une autre fille d'origine russe. La professeur, à la suite de ça, a fait gentiment un cours sur l'Italie. Ça a été bien perçu. C'était en CM1 ou CM2 »282.

Ce témoignage est assez représentatif de ce que les enfants d'immigrés italiens ont pu me raconter : on évoque peu l'Italie en classe mais quand l'instituteur en parle, c'est rarement en termes négatifs comme on peut par contre l'entendre dans la cour de récréation de la part des autres écoliers de l'école.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore