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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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E). La carrière des témoins : une fréquente reproduction sociale ?

Le certificat d'études apparaît, chez nos témoins, comme une étape extrémement marquante de leur scolarité327. A l'issu de cet examen (passé à treize ou quatorze ans en général et obtenu par 50 % des enfants au début de la Seconde Guerre Mondiale), l'élève sort du tronc commun de l'enseignement. Il est désormais temps pour lui de choisir sa voie professionnelle. « Quand on avait passé le Certificat d'Etudes, on passait un petit examen et, si on était pas trop mal, on entrait dans le centre d'apprentissage technique »328. La grande majorité de nos témoins se dirige alors vers l'enseignement professionnel. Si tout se passe bien, ils obtiendront ensuite, après une formation de trois années, le CAP (qui donne accès à des emplois d'ouvriers qualifiés et de contremaîtres) ou le Brevet.

Si l'on s'interroge sur l'intégration au niveau socio-économique, on s'aperçoit que l'école a plutôt bien fait son travail d'insertion des enfants issus de l'immigration italienne sur le marché du travail. En effet, globalement, nos témoins ont tous bénéficié, au cours de leur carrière, d'une assez forte ascension sociale. Cependant, comme l'explique Gérard Noiriel, l'Etat Providence français permet une montée dans l'échelle sociale mais celle-ci se fait sur plusieurs générations, lentement329. Il utilise pour expliquer ce phénomène la métaphore du frein et du parapluie. Effectivement, cette progression professionnelle ne vaut que pour la « seconde génération » : les parents de nos témoins ont, presque toujours, été employés pour des travaux précaires. Souvent ce sont leurs enfants qui ont du subvenir à leurs besoins lorsqu'ils se faisaient trop vieux pour travailler. Ici, nous nous servirons des témoignages de Jacqueline et Daniel Fantin pour montrer un exemple très représentatif des carrières qui ont pu être menées par nos témoins. La situation professionnelle de leur père n'a pas connu d'évolution sociale sensible en France jusqu'à sa retraite, à 63 ans. Enrico Fantin arrive à Nantes le 20 août 1938 à 27 ans, embauché aux carrières de granit Barré en qualité d'épinceur, il exercera cette profession jusqu'en 1964. Le travail est difficile et dangereux, on recense plusieurs cas d'ouvriers décédés suite à des écrasements de

326 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

327 « J'ai passé mon certificat d'étude à 14 ans et j'ai fait une faute en orthographe, un accent sur le « a » que j'avais oublié ~ J'avais bossé comme quatre ! ».

Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

328 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

329 G. NOIRIEL, Gens d'ici venus d'ailleurs, Paris, 2004 (p. 179).

109 pierres, les blessures et les problèmes de santé sont courants, Enrico est d'ailleurs atteint de la silicose (la maladie pulmonaire provoquée par l'inhalation des particules de poussières de silice dans les carrières, les mines ou lors de la percée de tunnels). De plus, les ouvriers doivent parfois supporter des températures extrêmement froides. Par ailleurs, le père de Daniel et Jacqueline Fantin est payé à la pièce, il travaille donc beaucoup, d'autant plus qu'il doit aussi envoyer de l'argent à certains membres de sa famille, restés en Italie. A la fermeture de la carrière, il devient ouvrier métallurgique. La carrière de ses enfants sera plus « heureuse », ils bénéficient d'une ascension sociale que peu d'immigrés de la première génération ont la chance de connaître :

Jacqueline Fantin-Crampon :

mars 1945 - 14 juillet 1955 : Pensionnat du Sacré-Coeur (école privée catholique). 15 septembre 1955 - septembre 1958 : Ecole de la Châtelaine (20 rue Crébillon - Nantes).

1960 -- 1961 : Cours de la chambre de commerce de Nantes.

Ensuite, Jacqueline obtiendra successivement son certificat d'études catholique premier degré, puis son certificat d'études de la République. Ensuite, elle passe avec succès son C.A.P. de vente, elle décroche le diplôme de la chambre de commerce.

Pour ce qui relève de sa carrière, elle est apprentie vendeuse dans les grands magasins à Nantes, elle obtient une promotion comme sous-chef. Elle est mutée à Dieppe comme chef de département, elle passe ensuite cadre commerçante.

Daniel Fantin :

1947 - 1948 : Jardin d'enfant Saint-Clair (rue Ampéré - Nantes).

1948 - juillet 1954 : Ecole élémentaire primaire de garçons Saint-Clair (rue Danton - Nantes).

Septembre 1954 - juillet 1957 : Ecole élémentaire primaire de garçons Sainte Jeanne d'Arc (rue du bouillon - Nantes).

Echec au C.E.P (1957).

Septembre 1957 - septembre 1960 : Apprenti serrurier pour l'entreprise Pageaud (place du Petit Bois -- Nantes).

Cours professionnels du bâtiment (37 bis quai de Versailles -- Nantes) : admis au C.A.P. Examen de fin d'apprentissage de serrurier (1960).

Septembre 1960 -- novembre 1962 : Ouvrier serrurier pour l'entreprise Pageaud. Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour - Nantes).

Admis au B.P serrurier (1962).

Novembre 1962 -- février 1964 : Service militaire.

Brigadier (Montluçon, Metz).

Brigadier chef (Alger).

Admis au C.E.P adulte, mention bien (1963).

Mars 1964 -- février 1966 : Traceur monteur au chantier naval Dubigeon (Nantes). Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour - Nantes) : préparation du C.A.P. de dessinateur en construction métallique.

Mars 1966 - décembre 1969 : Dessinateur puis conducteur de travaux en

menuiserie serrurerie pour l'entreprise de bâtiment Jallais (rue Cornulier - Nantes).

Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour - Nantes) : préparation du C.A.P (obtenu en 1966) et du B.P. (obtenu en 1968) de dessinateur de construction métallique.

Janvier 1970 -- octobre 2003 : Mairie de Vertou : dessinateur puis dessinateur chef, surveillant de travaux, technicien puis technicien supérieur chef (responsable des services des bâtiments communaux). Ce dernier poste est considéré comme étant équivalent au grade d'ingénieur.

Cours de promotion sociale au lycée Livet (rue Dufour -- Nantes) jusqu'en 1973 : niveau supérieur (préparation à l'entrée dans une école d'ingénieur)330.

On s'aperçoit ici que la progression professionnelle est vécue par la « deuxième génération » mais qu'elle n'a pas été effective pour leurs parents. L'autre information délivrée par ces parcours est la suivante : des cours pour les B.P, C.A.P ou C.E.P semblent souvent suivis en parallèle au travail pour bénéficier d'éventuelles promotions. La formation professionnelle se fait donc souvent sur toute la carrière et ce pour les Français comme pour les employés d'origine étrangère. On retrouve d'ailleurs le lycée Livet dans la formation continue d'un grand nombre de nos témoins nantais.

En effet, si certains enfants d'origine italienne, comme Jean Burini331 ou WM332 par exemple, créent leur entreprise et deviennent patrons, la norme est plutôt une ascension assez lente et régulière tout au long de la carrière des enfants d'immigrés italiens. Catherine Withol de Wenden, aujourd'hui directrice de recherche au CNRS-CERI, montre qu'un nombre relativement réduit d'Italiens de France ont monté des entreprises importantes. Elle explique ce constat en disant qu'il s'applique à tous les migrants relativement fraîchement arrivés dans l'Hexagone : leurs habitudes culturelles portent en effet sur le fait de ne miser que sur son travail personnel333.

La carrière est aussi fonction des choix disponibles à proximité du foyer familial. Aux envies de l'élève s'ajoutent les projets des parents et les facteurs liés à la situation financière de la famille ou encore à la distance entre la maison et les écoles. On peut ainsi observer, dans le témoignage de WM, l'influence des multiples raisons sur la carrière de charpentier qu'il a finalement empruntée.

« J'étais à l'école en ville et j'ai eu mon certificat d'études. Après, il fallait choisir un métier. J'aurais bien aimé faire paysan mais pas travailler tout à la main comme mon père, avoir une ferme ... J'aimais le bâtiment, je donnais un coup de main parfois, quand les voisins agrandissaient. Bénévolement, mon père faisait les travaux là bas. Donc, il fallait choisir un travail, en dehors de paysan, j'ai dit à mon père « maçon » mais je ne voulais pas apprendre sur le tas, je voulais apprendre à l'école pratique de commerce et

330 Entretien avec Daniel FANTIN (29 janvier 2010 -- Vertou).

Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

331 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

332 Entretien avec W. B. (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

333 C. WITHOL DE WENDEN, « L'immigration italienne en France, la formation et la mobilité », n° 22, juin 1985 (p. 218, 219).

d'industrie. A Agen, il n'y avait que menuisier, mécanicien, ajusteur et commerce. Je suis rentré à l'école pratique je suis resté un mois, moi je voulais être maçon. J'ai su qu'il y avait une école de formation et pas question de demander à mes parents de me payer la pension. Je ne voulais pas qu'ils payent. Au bout d'un mois, j'ai dit « je vais rester dans le bâtiment, je vais faire menuisier ». J'ai fait mes trois ans, j'étais premier du département ! J'avais appris à faire les escaliers avec un maçon, j'ai demandé à faire une quatrième année volontaire, rien que de la pratique, de l'atelier. Je voulais rentrer dans une entreprise pour faire des escaliers. Il fallait que je rentre dans une entreprise de charpente. Très peu de menuisiers faisaient des escaliers à l'époque. C'était le secret professionnel. Dans un atelier, il y avait le traceur, c'était le patron ou le chef d'atelier, et les autres faisaient les assemblages, le montage mais ils n'avaient pas le droit de regard pour apprendre à tracer. A l'époque les patrons interdisaient qu'on leur vole le secret de la fabrication. [...] Pour faire honte au gars, on cassait la porte qui avait un défaut devant tout le monde. [...]. Pour l'escalier, il fallait changer de métier. Un jour, il y a un artisan qui est venu voir mon père [...] Je tournais en rond. Je n'avais pas de boulot. Il a dit « j'ai des escaliers à faire » il m'a embauché comme apprenti, il m'a payé comme apprenti la première année, après mes quatre ans mais j'y suis resté parce que le soir de six heures à huit heures, il m'a pris à la gorge avec son savoir. Comme j'aimais le dessin, malgré qu'il ne me paye pas, je me suis mis à faire le charpentier, j'ai changé de métier. ...] Je suis resté deux ans chez ce patron. Il m'a envoyé aux cours du soir chez les compagnons. Comme j'avais fait beaucoup de dessin au collège, ça a été facile pour moi après de faire du dessin. J'ai vite appris le métier de charpentier ».

Les cours du soir sont suivis par presque tous nos témoins de l'Ouest, souvent au lycée Vial, la formation en classe ou en atelier continue donc bien souvent assez longtemps après la fin de la scolarisation traditionnelle334. Les membres de la « deuxième génération » qui ont de bons résultats scolaires parviennent relativement aisément à quitter la condition ouvrière de leurs parents pour guigner une situation plus enviable au niveau du salaire comme des modalités de travail, devenant ainsi des petits fonctionnaires dans la poste, la police ou l'enseignement. La réussite scolaire et l'accès au professorat sont des facteurs décisifs de mobilité et de reconnaissance sociale dans un pays où règne le culte de la méritocratie et du concours. Pierre Milza est un bon exemple de ces enfants d'immigrés italiens (il est issu d'un couple mixte donc d'un double enracinement culturel) qui ont fait une carrière d'intellectuel puisqu'il est devenu professeur. La question de l'influence de leurs professeurs dans ce choix professionnel vient

334 Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités, nous nous contenterons donc de l'expérience de Maria Cera-Branger :

« Je suis allée à l'école jusqu'à dix-sept ans. J'ai obtenu le certificat d'étude en 1948. Ensuite, j'ai pris une option secrétariat à l'école des Halles. J'ai passé un brevet commercial en 1951, j'ai fait une première année de sténodactylographe et puis après j'ai rempilé pour faire une année de comptabilité en 1952, mais celle là je l'ai faite en cours du soir après le travail, à Vial ».

Entretien avec Maria CERA - BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

donc aussitôt à l'esprit.335. Le phénomène est courant : dans la famille Magni, des Italiens originaires d'un village près de Bergame qui ont immigré dans le Gers, cinq des neuf enfants du foyer sont instituteurs. Yolande Magni résume cette situation en disant « l'Ecole Républicaine a fait son oeuvre dans ma famille ! ». Cette carrière d'enseignant implique un retournement de situation émouvant pour nombre de parents de témoins. Ainsi, le père de cette famille a dit en pleurant à l'un de ses enfants : « tu vas apprendre à lire aux petits français ! »336. Cependant, cette forte ascension sociale dès la « deuxième génération » est assez rare, de plus, si elle semble relativement courante c'est en fait souvent parce que les témoins interrogés sur l'école ont particulièrement envie de s'exprimer sur le sujet lorsqu'ils ont évolué dans ce milieu toute leur vie professionnelle et lorsqu'ils sont le produit « parfait » de l'ascension grace à la scolarisation.

Schema n° 1 : L'évolution des structures scolaires françaises de 1918 à 1960337.

335 Pierre Milza raconte ainsi :

« Mon ami, Romain Rainero est professeur à Milan et lui aussi fils d'émigré, mais a fait son retour en Italie après la guerre. [...] il était Italien et j'étais Français, et le contraire aurait aussi bien pu se produire. Nous étions l'un et l'autre des produits hybrides de cette Ritalie aux frontières fluctuantes » Dans P. MILZA, Op. Cit. (p. 286).

336 Le père d'un des enfants italiens devenus professeurs :

« Il a fait l'EN, c'était quelque chose d'or du commun, surtout pour un des nôtres, un fils d'ouvrier » Dans « La vie rêvée des Italiens du Gers », documentaire diffusé le 13 avril 2010 sur France 3.

337 Schéma réalisé à partir de Y. GAULUPEAU, La France à l'école, 1992, Paris (p. 124, 125).

Nous l'avons vu, le « nomadisme contraint » entraîne le migrant et sa famille sur les chemins d'un exil permanent qui ne facilite pas l'intégration. Hors, chez l'enfant, Français ou non, le sentiment d'appartenance à son école est non seulement un phénomène récurrent mais aussi un vrai besoin et une première reconnaissance identitaire du pays qui l'accueille pour l'élève étranger. Le sentiment d'appartenance des enfants de migrants au milieu scolaire est intimement lié au développement de la socialisation. L'appartenance à l'école apparaît ainsi souvent, dans les témoignages, comme un premier pas vers le sentiment d'être français. En effet, nous pouvons nous interroger sur l'influence de l'institution scolaire sur l'impression d'appartenir à la nation française développée par les Français d'origine italienne.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon