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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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CHAPITRE 3
L'ECOLE A-T-ELLE UNE INFLUENCE SUR LE SENTIMENT
D'ETRE FRANÇAIS ?

Les constantes concernant le séjour à l'école et sa corrélation avec le sentiment d'appartenance ont attiré notre attention. La masse de documents (témoignages, biographies et autobiographies) étant très importante, notre étude ne peut prendre en compte l'ensemble des souvenirs d'enfants de migrants. Cependant, nous cherchons à être le plus précis possible en rapportant des exemples, parfois contradictoires, en tentant de comprendre les cas particuliers et en expliquant pourquoi nous nous trouvons face à ces « exceptions ». Il n'y a effectivement pas qu'une manière spécifique d'investir son appartenance nationale.

Dans son article consacré à l'appartenance nationale des Français d'ascendance étrangère, Marie-Laetitia Des Robert-Helluy, sociologue et directrice de l'IEP de Paris, définit le sentiment d'appartenance comme la « certitude partagée par un individu d'avoir à projeter une part plus ou moins substantielle de son histoire de vie dans une portion d'espace-temps commune aux membres du groupe »338.

Les études sur l'intégration des immigrés par l'école souffrent de l'influence d'une idée reçue, que, poursuivant ainsi la démarche de Gérard Noiriel, nous nous empressons de dissiper. Ce présupposé prétend que l'Ecole aurait été jadis facteur d'intégration des jeunes d'origine étrangère et qu'elle ne serait plus aujourd'hui en mesure de mener à bien cette ambition républicaine. La problématique est plus complexe : au sein de la même analyse historique, il nous faut aborder de façon couplée les problèmes d'intégration et d'exclusion. C'est la technique d'étude qui est ici abordée pour se faire l'idée la plus juste possible de l'influence qu'a pu avoir l'Ecole sur le sentiment d'être Français. Prétendre qu'il existe une intégration dans le creuset français évidente et totale des immigrés jusqu'aux années soixante n'est effectivement pas tout à fait juste. Il convient d'émettre des réserves à cette affirmation récurrente de nombreux médias et groupes politiques. En tout cas, nous verrons que cette intégration ne se fait pas sans souffrance.

I). La volonté d'être français.

La gêne liée aux origines transalpines, les difficultés traversées à l'école par ceux dont le patronyme ne sonne pas français, ont pu se manifester par des refus de la part des Français d'origine italienne de témoigner de leur expérience.

Les témoins qui ont accepté l'entretien remarquent souvent qu'ils ont, dès l'école, souhaité être Français. Cette constatation fréquente s'accompagne d'exemples forts du souci des jeunes d'origine italienne à ne surtout pas montrer de traits communs avec un pays auquel ils ne souhaitent pas etre associés. En témoignent l'exemple de WM et d'Albert Uderzo qui transformaient leurs patronymes italiens pour en faire des noms « bien français [...] pour etre intégré plus rapidement »339 : « Inscrit à l'état civil par erreur sous le nom d'Alberto à cause de l'accent de mon père, je rayais sur les papiers le « o ». Aujourd'hui, j'aimerais bien qu'on m'appelle Alberto »340. Pierre Milza évoque, dans ce même processus de distinction avec les aspects italiens de leur identité, ces fils et filles d'immigrés qui utilisaient un « passeport corse » pour la même raison que celle invoquée par WM ou par Albert Uderzo341. La démarcation avec l'Italie était ainsi justifiée comme le préalable nécessaire à l'intégration dans le nouvel environnement. A ces réactions, les témoins donnent différentes explications : tantôt, ils expriment leur certitude que l'appartenance est nécessaire puisqu'ils savent qu'ils vont faire leur vie en France. Plus souvent, ils émettent l'hypothèse que l'école républicaine était une mécanique bien huilée pour leur donner la volonté d'être une part de la nation française.

A). Le patriotisme à l'école : une volonté de « convertir » l'enfant de migrant à la société française ?

Gardons nous cependant de faire ici preuve d'un irénisme rétrospectif déplacé : l'image de l'école, si elle a effectivement joué un rôle non négligeable au coeur du processus d'intégration des familles de la péninsule italienne, a parfois laissé des souvenirs extrêmement

339 Entretien avec WM (27 octobre 2009 -- Sainte Marguerite).

340 Entretien entre Laurent Gervereau et Albert Uderzo.

L. GERVEREAU, P. MILZA et E. TEMIME, Toute la France. Histoire de l'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1998 (p. 55).

341 P. MILZA, Op. Cit. (p. 493).

douloureux dans les mémoires des enfants d'Italiens. Outre leurs difficultés de départ, leurs handicaps liés à l'apprentissage du français, les enfants des migrants se heurtent souvent à un patriotisme dont ils sont exclus, et ce dans la cour comme dans le contenu des enseignements.

Le terme « patriotisme " est issu du mot latin « pater " qui signifie « père ". Gette notion se caractérise par un sentiment d'appartenance à la patrie. Get attachement renforce l'alliance au nom de valeurs communes du groupe de ceux qui appartiennent au pays. On distingue la terminologie du patriotisme du terme de chauvinisme, qui en est la manifestation excessive. Le nationalisme, quant à lui, est davantage une idéologie politique. Or, les instituteurs sont loin d'être toujours « patriotes " puisqu'il existe aussi, dans la corporation des maîtres d'école, une forte présence du courant pacifiste, voir antimilitariste. Signalons ainsi qu'en 1935, au congrès de la Fédération Unitaire d'Angers, un grand nombre d'enseignants syndiqués acclameront la formule « plutôt la servitude que la guerre ". Les discussions autour du pacifisme seront aussi très présentes au congrès de 1938. Gependant, on observe que globalement, le patriotisme est très présent dans les leçons, et ce particulièrement pendant la guerre. C'est du moins à cette période que les prises de position des enseignants dans les salles de classe, qu'ils soient particulièrement patriotes ou qu'ils revendiquent leur pacifisme, se font plus fréquentes.

Entre 1935 et 1955, on remarque que « les impressions d'enfants et de jeunesse sont toutes imprégnées d'un patriotisme jovial et mythique [...]. La socialisation nationale a opéré de façon redondante et convergente au sein des familles, à l'école, au catéchisme et dans tout l'environnement social " 342 . En effet, le patriotisme occupe une place centrale dans la scolarisation de l'élève. Le maître, dans sa formation à l'Ecole Normale reçoit lui-même un enseignement patriotique. Nous l'avons vu plus haut, l'amour de la France est véhiculé par l'apprentissage de l'histoire, de la géographie et de l'instruction civique. La présence très claire d'une volonté de diffuser une image positive de la France est bien présente dans les instructions officielles. Que disent exactement du patriotisme les professeurs dans leurs leçons ? Quel est le ressenti des jeunes immigrés face à cet enseignement élémentaire ? Ge patriotisme, diffusé par les maîtres, a-t-il contribué à l'attachement à la France ? L'enseignement de l'Histoire, tout particulièrement, concentre les critiques. Gertains instituteurs militeront même pour sa suppression, en tant qu'ils considéraient qu'il était le reflet des ambitions patriotiques qui poussaient le pays dans la guerre et que, par ailleurs, cette matière avait tendance à exclure les

117 jeunes d'origine étrangère. C'est le cas du militant pacifiste Gaston Clémendot qui exprime dès 1924 son refus d'enseigner l'Histoire à ses élèves :

« L'oubli est la première condition du désarmement des haines, la première condition de la paix. Et, l'Histoire c'est le contraire de la paix ».

Jusqu'au début des années 1920, Gaston Clémendot est ainsi partisan d'une modification de l'enseignement de Histoire à l'école. Elle doit être impartiale, méme s'il se déclare conscient qu'un tel objectif est délicat à mettre en place dans une Institution scolaire où la patrie domine. Il développe ensuite le constat de l'impossibilité de l'enseignement de l'Histoire aux élèves de moins de douze ans343.

La représentation de l'Italien faite par le professeur comme par les livres d'histoire souffre souvent de l'idée d'une supériorité du Français sur sa soeur latine. Dès lors, le portrait peu flatteur des personnages historiques italiens va-t-il pousser l'élève « étranger » à s'inclure dans le patriotisme ambiant ou à s'en exclure d'office ? On remarque que, globalement, les témoins adhèrent aux idées qui reflètent une image valorisante de la nation française. Marie-Laetitia Des Robert-Helluy observe ainsi que « la sacralisation de la France, en particulier par la médiation de l'Histoire opère pour le plus grand nombre quelle que soit la diversité des ascendances familiales »344. En effet, la plupart des témoins interrogés n'abordent pas d'eux-mêmes la question du patriotisme dans leurs leçons, si on les interroge sur le sujet en revanche, tous remarquent que l'amour de la France était véhiculé dans les leçons mais la plupart d'entre eux semblent l'avoir bien vécu :

« Nous vivions bien le patriotisme : j'étais à l'école après la guerre 1939-1945 »345.

(à propos du patriotisme) « On est en France, moi, je trouve ça normal. L'Histoire de France, je trouve ça incontournable. [...] En primaire, c'était les Gaulois jusqu'à Napoléon III, on ne parlait jamais de l'Italie, méme pour la Renaissance. [...] On était contents parce que les Français avaient battu les Italiens, quand on est jeune on se dit que la France a rayonné sur l'Europe alors on est content ! »346.

« Je respectais ! Comme disait toujours mon père « respecte le pays qui vous donne le travail et une vie meilleure » ».

343 Il ne parle que très peu d'immigration mais lorsqu'il l'évoque, il dit que le retrait de l'apprentissage historique permettra sans doute une meilleure ouverture vers la culture de l'élève d'origine étrangère.

J. GIRAULT, « Instituteurs syndiqués et enseignement de l'histoire entre les deux guerres », Cent ans d'enseignement de l'histoire (1880-1981), Paris, 1984 (p. 139-155).

344M-L. DES ROBERT-HELLUY, « Des Français parmi d'autres, de l'appartenance nationale des Français d'ascendance étrangère », volume 23, n° 3 (2007) (p. 187).

345 Questionnaire de Jacqueline FANTIN-CRAMPON, 2010.

346 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

118 On remarque parfois quelques menues réserves à cette adhésion, comme dans le témoignage de Maria Cera-Branger :

« Les leçons d'Histoire, c'était très patriotique. Naturellement j'aurais aimé que le rôle de

l'Italie soit plus valorisé. L'Italie, on en parlait pas, oui, ça m'a déjà mise mal à l'aise ça »347.

Néanmoins, la grande majorité des témoins interrogés dans le cadre de ces recherches expriment avec chaleur leur reconnaissance pour le pays nourricier qui a accueilli leur famille348. Ces entretiens montrent que, malgré les difficultés qu'ils ont connues pour s'intégrer, malgré l'exploitation de leurs parents dans des emplois dangereux et sous-payés, leur fidélité à l'égard de la France est totale. Cet attachement s'accompagne régulièrement de vives critiques de l'Italie, ces reproches, cependant, se feront moins ardents après la Seconde Guerre mondiale.

Le sentiment national tire d'une certaine manière son origine d'une forme d'endoctrinement par l'école pour laquelle, non seulement, être dans la norme c'est être Français mais aussi, qu'être le gagnant des batailles, c'est être le Français. Gardons nous des hâtifs jugements intégralement négatifs sur l'éthique historienne de l'époque, cependant, il nous faut préciser ici l'apparente propension des instituteurs de notre période à valoriser tout particulièrement la France et son rôle dans l'Histoire. Dès lors, l'inclination forte à se « déclarer » totalement Français est courante, méme si, nous le verrons, l'aspect inverse, c'est-àdire l'affirmation de l'identité italienne, n'est pas absente des témoignages.

Ceux qui bénéficient d'une double culture ont globalement tendance à aller naturellement vers l'adoption plus franche du mode de vie français. A ceci, plusieurs explication : l'immigration étant plus couramment masculine, c'est habituellement la mère qui est française au sein des couples mixtes, or, c'est aussi, dans les années 1935--1955, surtout elle qui s'occupe de l'éducation des enfants :

« Fréquemment, dans le couple que formaient nos parents, la femme a été amenée ainsi par les circonstances à tenir le gouvernail, donc à imposer sa culture en marginalisant, ou en gommant purement et simplement celle du père, avec l'assentiment plus ou moins tacite de ce dernier »349.

347 Entretien avec Maria CERA-BRANGER (4 février 2010 -- Vertou).

348 « Je me sentais Français parce que j'avais un père qui avait un respect total de la France. Il ne fallait pas lui en parler mal. Un pays qui nous avait accueilli, donné la possibilité de pouvoir vivre sans trop de problèmes malgré que c'était un peu la galère... ».

Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

349 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993 (p. 493).

François CAVANNA et COLUCHE (orphelin de père à deux ans), tous deux issus d'une mère française et d'un père italien, connaîtront sensiblement ce même souci d'afficher, à l'adolescence, une « ritalité » jusque là dissimulée, consciemment ou inconsciemment.

119 Elevés en France, en français et à l'école française, la disposition à investir, presque uniquement, le « côté français » est fréquente350 bien que difficile parfois à faire accepter des autres élèves. François Cavanna, portant le nom d'un maçon lombard et ayant bu la francité avec le lait maternel d'une mère morvandelle, verbalise ainsi l'étrange dichotomie de sa situation d'enfant d'un couple mixte :

« Pour les Ritals, je suis un bâtard plus qu'à moitié français, mais pour les Français, pas de problème, ils me traitent de macaroni 351 ».

L'élève Français, au sein de l'espace de discussion que représente la cour de récréation, met parfois en avant son appartenance prétendument totale à la nation française, excluant ainsi ses camarades issus de familles immigrées. L'attitude est fréquente chez nos témoins, Pierre Milza relate ainsi la naissance du sentiment patriotique comme, en grande partie, due à la récréation :

« J'étais tricolore jusqu'au bout des ongles. On m'avait appris à l'école - plutôt dans la cour de récréation qu'en classe - que les « macaronis » (on ne disait pas encore les « ritals ») nous avaient donné un coup de poignard dans le dos en 1940 et je ne me sentais en rien un macaroni »352.

Mario Merlo, né en 1934 et scolarisé à Nantes adopte sensiblement la même attitude avec ses camarades :

« On avait un raisonnement d'enfant. Des chansons contre les macaronis j'en ai entendues [...] les gamins ne savaient pas que j'étais italien, mais ça me faisait mal au coeur. Entre gosses on ne parle pas de nationalités mais... [...] On était pris pour des macaronis. Avec Mussolini on était mal vus... à tel point que, pour me sentir un peu plus français que les autres, plus tard, j'ai fait la guerre d'Algérie. Je voulais prouver aux autres que j'étais français, que les tireurs au cul, ce n'était pas mon genre »353.

350 Pierre Milza explique ainsi, évoquant sa propre expérience :

« Façonnés par l'école de la République, élevés dans le souvenir glorieux de la Grande Nation, nourris de la geste des grandes figures qui ont fait la nation française, et aussi psychologiquement structurés autour d'un modèle qui privilégie les vertus viriles et les valeurs guerrières, nous avions en tête une hiérarchie des peuples fondée sur ces qualités plus ou moins sublimées. Or, dans le portrait-robot de l'Italien dont était porteuse la mentalité collective des Français, le trait était plutôt mis sur la douceur et la gentillesse dans le meilleur des cas, la traîtrise et la lâcheté dans le pire, que sur les vertus qui font les grands peuples ».

Dans P. MILZA, Op. Cit. (p. 491, 492).

351 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37).

352 P. MILZA, Op. Cit. (p. 9).

353 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

120

De même, Danira Titonel, née en Italie et scolarisée dans le Lot-et-Garonne, explique elle aussi, en 1997, son fort sentiment d'appartenance à la France :

« Moi, je ne me suis jamais sentie italienne, je me suis toujours sentie française et d'ailleurs je n'étais jamais allée en Italie jusqu'à l'an dernier »354.

Les retours, les vacances « au pays », ont un impact conséquent sur l'impression ou non de faire partie de la nation française.

B). Le contact avec les autres étrangers de l'école : une volonté d'être « plus Français que les Français » ?

Par ailleurs, il est courant que le jeune d'origine italienne se moque à son tour d'un autre étranger de l'école, souvent plus fraîchement arrivé, ou déjà raillé par d'autres élèves - peut-être parce qu'issu d'une société dont la culture est jugée comme plus éloignée de celle de la France. Nous retrouvons beaucoup de Belges, en France depuis l'avant-guerre pour la plupart, des Russes et des Polonais, souvent de confession juive et quelques élèves originaires des Balkans arrivés à la fin des années trente.

Le nomade d'autrefois, aujourd'hui sédentarisé et intégré, a tendance à mettre en avant sa « francité » pourtant récemment « acquise »355. Dans son roman, Pays-Haut, Anne-Marie Blanc fait ainsi le récit de ces nouveaux arrivants Polonais qui prendront le relais des Italiens à la place inconfortable de souffre-douleurs à l'école356. Une fois de plus, François Cavanna nous fournit, lui aussi, un bon exemple de ce que peut être l'attitude d'un élève d'origine italienne face aux autres « exclus » de son entourage. Dans son travail d'immersion au coeur de ses sentiments d'enfant, l'auteur exprime ainsi sa vision négative d'alors envers un Algérien, expliquant que : « les Sidis ça ne peut pas travailler. C'est trop feignant. C'est pas de leur faute, c'est la race qui est comme ça »357. Cette vision des travailleurs en provenance d'Algérie est même assez diffusée au sein des milieux intellectuels. Du moins, dans ces sphères, on n'hésite pas à établir un classement dans l'assimilabilité des immigrés de l'Hexagone. Ainsi Alfred Sauvy, figure

354 Retranscription de l'interview de Danira TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

355 P. MILZA, Op. Cit. (p. 330).

356 « Les garçons [...] se continrent jusqu'au jour où les Polonais prétendirent leur ravir la tête des classes. Alors, dans un bel élan d'émulation À jaloux ? Vexés ?- les Français et les Italiens s'unirent pour faire la guerre aux Polonais ».

Dans A-M. BLANC, Pays-Haut, Metz, 1988 (p.336, 337), cité par P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 330).

357 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 35).

121 emblématique des démographes sollicités à la Libération, déclare qu'« un Italien s'adapte plus facilement qu'un Arabe ». Il met cette différence d'intégration sur le compte de « l'influence du milieu »358. Par ailleurs, les Russes sont, eux aussi, jugés comme des étrangers « à part » mais, la plupart du temps, de façon, cette fois, positive :

« Les Russes c'est pas des étrangers. Ils font des métiers de Français. Les Français ne les méprisent pas, ne se foutent pas de leur gueule à l'école. C'est eux qui méprisent les Français. Il paraît que c'est tous des princes et des marquises et qu'ils se sont sauvés à cause des Bolcheviks qui tuaient tous les aristocrates. Les Français ne les aiment pas beaucoup, les Français n'aiment personne, mais on sent qu'ils ont de la considération parce que c'est pas des vrais pauvres mais des gens riches qui ont vécu des choses très tristes comme dans les feuilletons »359.

Si le jeune François Cavanna fait une distinction nette entre les Russes immigrés en France et la communauté italienne à laquelle il appartient 360 , il fréquente cependant ces camarades soviétiques361. Dans les témoignages analysés nous n'avons pas encore trouvé d'Italiens exprimant leur solidarité à l'école avec les autres étrangers. Il semble, au contraire, que la norme soit plutôt de jouer des coudes pour atteindre la place la moins mauvaise dans l'estime des camarades et des professeurs français.

Même au sein de la communauté italienne, les élèves font des distinctions. Avec fierté, l'Italien du Nord dénigrera ainsi parfois le méridional.

358 « En 1945, la volonté d'instaurer un fort contrôle de l'Etat sur la politique de l'immigration nécessite pour le gouvernement provisoire de disposer d'une expertise susceptible de prévoir et d'anticiper cette « nouvelle politique ». Les démographes sollicités au sein du Haut Comité de la Population et de la Famille ont déjà tous participé, à des titres divers, à des organismes officiels mis en place durant l'EntreDeux-guerres et sous Vichy ».

Cité par A. SPIRE, « un régime dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques française et italienne d'immigration/émigration » dans M-C BLANC-CHALEARD (dir) Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003. (p. 42).

359 F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 36).

360 « Ils sont marrants, ces gens-là, ils foutent l'argent en l'air pour des conneries, et pourtant ils sont aussi pauvres que nous, mais je ne sais pas comment ils se démerdent, même tous dégueulasses pleins de trous, ils ont pas l'air petit monde comme nous autres qu'on est pourtant bien propres, bien reprisés ». Ibid (p. 36).

Je connais bien Litvinoff et les frères Lichkine, c'est des copains d'école, je suis même allé chez

361 «

eux ».

« J'étais dans la classe de M. Cluzot, à côté de moi, à la même table, il y avait un Russe, il s'appelait Chendérovitch. A la table de devant, il y avait deux Russes, à la table de derrière, deux autres ».

Ibid (p. 36).

122 « Silvio est tout fier de raconter ça, et les autres sont contents aussi, ils se marrent. Il y en a toujours un pour dire sentencieusement : « l'Italien del Norde, il vient en Franche fare le machon. L'Italien del Soud, il va en Amérique fare le ganchetère "362.

L'homme du Sud est donc, lui aussi, un « étrange étranger ", situation qui n'apparaît pas illogique dans une nation aussi jeune que l'Italie. Cette distinction est même diffusée au sein du discours démographique. Là encore, le recours à l'enquête, cette fois ci datant d'avril 1946, d'Alain Girard et Jean Stoetzel est intéressant. Ils concluent, à l'issu de leur étude, que « priorité doit être donnée à une immigration de parents ou d'amis d'Italiens déjà établis en France, recrutés de préférence parmi les originaires des provinces du nord, en particulier du Piémont, de Lombardie et de Vénétie "363. De même, Alfred Sauvy, secrétaire général à la famille et à la population en juillet 1945, se range du côté des partisans d'un accord de main d'oeuvre ItalieFrance avec des exigences géographiques d'embauche : « Tant au point de vue de sa valeur comme main d'oeuvre que de sa qualité sociale, on s'accorde à reconnaître que l'Italien du Nord l'emporte de beaucoup sur l'Italien du Sud "364.

Toujours au sein de la problématique des insultes contre les différentes communautés présentes à l'école, il nous faut souligner que les juifs sont aussi souvent les « boucs émissaires " des autres écoliers365. Cet antisémitisme démontre avec certitude, si besoin était, que les Italiens ne sont pas les seuls à être moqués. Pourtant, peut-être est-ce dû à leur impondérable manque d'objectivité, les témoins se déclarent souvent comme uniques victimes, ou, du moins, comme souffre-douleur privilégiés, des camarades comme des enseignants : « comme étrangers mal piffés, y a que nous, les Ritals. C'est nous qu'on éponge tout »366. Le relais opéré par d'autres arrivants accélèrera, souvent à leur insu d'ailleurs, l'intégration des enfants d'immigrés transalpins. Dans son article publié dans la revue du CEDEI, « La Trace ", Marie-Claude BlancChaléard souligne que les autres étrangers sont particulièrement nombreux dans les quartiers

362 Ibid. (p. 50).

363 INED, Une possibilité d'immigration italienne en France, collection « Travaux et Documents ", Cahier n° 4, Paris, 1947.

Dans M-C BLANC-CHALEARD (dir) Les Italiens en France depuis 1945, Paris, 2003. (p. 45).

364 Lettre du 27 juillet 1947 de M. SAUVY à M. BOUSQUET (ministère des affaires étrangères), Dans M-C BLANC-CHALEARD, Ibid. (p. 44).

365 « Français, Ritals, les Russes s'en foutent. [...] Eux, ce qu'ils peuvent pas piffer, c'est les juifs. [...] J'ai vu que Chedérovitch n'était pas un Russe comme les autres. [...] Ils lui disaient tout le temps « sale juif !», « fumier de youpin pourri !». Ils lui balançaient des vacheries en russe qui le faisait chialer ou le foutait dans des crises de rage épouvantables. Alors, il cassait tout, leur tapait dessus, criait comme un fou, mais eux évitaient les gnons, ricanaient et se tapotaient la tempe avec le doigt. Ils me disaient : « il est dingue. Tous les juifs sont dingues » ».

Dans F. CAVANNA, Les Ritals, Paris, 1978 (p. 36-37).

366 Ibid. (p. 37).

parisiens (à Sainte Marguerite, on excède largement la moyenne de 6 à 8 % de l'ensemble du système scolaire, les étrangers étant, en moyenne cinq à six par classe de trente à quarante élèves, dont souvent moins de trois Italiens)367. Dans la banlieue parisienne comme dans l'Ouest de la France, les tendances au ghetto italien observées dans la Lorraine sidérurgique ou dans certains quartiers de Marseille sont très rares.

C). L'égalité sur les bancs de l'école.

Nombreux sont les témoignages louant un ou plusieurs enseignants dont l'influence fut capitale dans les orientations professionnelles et politiques de leurs jeunes élèves. A un âge où seules les fondations sont réellement en place et où une bonne part de la personnalité reste à bâtir, l'importance de ces « constructeurs d'idées », que sont les professeurs, est évidente.

Toutes les instructions aux enseignants que nous avons pu consulter expriment, lorsqu'elles abordent le sujet, l'importance de considérer tous leurs élèves de la méme manière. Selon Marie-Claude Blanc-Chaléard, cette attitude est d'ailleurs totalement effective à Paris. Elle précise que « la seule différence qui soit consignée dans les appréciations a trait à l'intelligence »368. C'est aussi l'impression que donnent les critiques des professeurs aux élèves de la rue de la Plaine, à Paris dans le XIe arrondissement. Nous ne relevons aucune discrimination dans les appréciations des instituteurs, en revanche, on y perçoit sans peine, derrière la rédaction très administrative, les difficultés des enfants de migrants369. Cependant ces sources se situant dix ans avant notre période, elles ne témoignent pas vraiment des critiques qui purent être émises entre 1935 et 1955. Une attitude dubitative face à la rédaction académique et prudente des appréciations semble, en tout cas, justifiée. Si l'Ecole de la République porte comme on hisse un drapeau la valeur d'égalité, les discriminations ethniques, nous l'avons vu, ne l'épargnent pas pour autant.

Cependant, le sentiment d'égalité semble être présent dans la plupart des témoignages oraux rétrospectifs comme dans les biographies et autobiographies. Il semble, à ce point de notre

367 M-C BLANC-CHALEARD, Les Italiens à l'école primaire française : l'exemple parisien, Paris, 1991, (p.9).

368 M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880- 1960), Rome, 2000 (p. 417).

369 « Interruption de scolarité pour un voyage en Italie. Turbulent, mais bon partout. Placé à la campagne par l'Assistance publique. »

Instituteur de Bédonia dans le registre de matricule de l'école de garçons de la rue de la Plaine, inscrits en octobre 1923, dans M-C BLANC-CHALÉARD, Ibid. (p. 417).

124 étude, nécessaire de s'arrêter quelque temps sur les exemples de témoignages évoquant ce sentiment quasi-général d'égalité sur les bancs de l'école. Marie-Claude Blanc-Chaléard rapporte ainsi les propos des personnes qu'elle a pu interroger. Rina Raumer lui explique :

« Non, il n'y avait aucun problème... Les institutrices ont toujours été très gentilles avec moi. C'était comme les autres »370.

Sentiment d'ailleurs confirmé par Nuncio Titonel scolarisé dès 1924 dans le Lot-etGaronne :

« On a fait une scolarité de petits Français plus que d'immigrés. On n'a pas eu tellement le stress des étrangers en France dans un pays hostile. Au contraire. [...] Nous avons été, avec ma soeur, les deux premiers élèves de maternelle et, je l'ai souvent dit mais c'est vrai, on a été plutôt une curiosité pour les autres camarades et les enseignants qu'un rejet »371.

Quant à René Maestri, qui fut élève à Montreuil, sa critique de l'Ecole française est encore plus dithyrambique :

« On se retrouvait en classe avec des maîtres qui n'ont jamais fait de discrimination. L'école laïque avec un grand L, c'est formidable ! »372.

Parlant son école privée de Doulon, à Nantes, Mario Merlo, aboutit lui aussi, à la conclusion d'une égalité manifeste sur les bancs de l'école : « Mes instituteurs étaient neutres, ils étaient éducateurs [...] Je n'ai jamais vécu d'épisodes violents à l'école : j'étais bien, à l'abri. [...] C'était d'une neutralité complète »373.

Marie Claude Blanc-Chaléard souligne que la question de l'égalité à l'école paraît souvent étonnante aux yeux des enfants de migrants interrogés. De même, nous retrouvons dans les souvenirs d'école de François Cavanna, une impression de justice au sein de la classe. Dans L'oeil du lapin, il fait ainsi l'éloge de l'attitude de Madame Grenier, son institutrice de maternelle, qui, plaçant les enfants selon leurs résultats, évinça son propre fils de la meilleure place pour y installer le jeune François, élève exemplaire tout au long de sa scolarité374.

Par ailleurs le rapport de 1951 d'Alain Girard et Jean Stoetzel confirme les impressions fournies par les sondages de 1947 et 1949 et affirme :

370 Témoignages de Rina RAUMER,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 418).

371 Retranscription de l'interview de Nuncio TITONEL,

Dans le reportage du 17 octobre 1997 pour France 3.

372 Témoignages de René MAESTRI,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Op. Cit. (p. 418).

373 Entretien avec Mario MERLO, (1er décembre 2009 -- Basse Goulaine).

374 F. CAVANNA, L'OEil du lapin, Paris, 1987 (p. 22).

« Les étrangers jouissent des mêmes droits que les Français et ils sont particulièrement sensibles à cette égalité qui leur permet de donner à leurs enfants, gratuitement, une instruction au moins égale, et souvent supérieure à celle qu'ils ont reçu en Italie ou en Pologne. Les rapports avec les maîtres et les camarades sont, en règle générale, excellents : les enfants ignorent les distinctions de nationalité. Les très rares incidents signalés se produisent le plus souvent dans des périodes de tensions internationales »375.

Cette méme enquête évoque les jeunes élèves d'origine italienne du Lot-et-Garonne, enfants de cultivateurs.

« Les enfants d'age scolaire fréquentent l'école française... On garde une impression générale d'excellents rapports des maîtres avec ces enfants et avec leurs familles, rien en tout cas qui distingue ces enfants de leurs condisciples français. D'une manière très générale aussi, les rapports entre camarades des deux nationalités sont excellents : rien ne semble distinguer à l'école les enfants des immigrés italiens »376.

Ces enquêteurs sont presque tous instituteurs, il semble donc nécessaire de tempérer cet apparent « paradis scolaire ». Si les témoignages des enfants d'immigrés révèlent parfois leur extreme susceptibilité, la subjectivité des auteurs de ce rapport est aussi à remettre en question.

Par ailleurs, l'idée des nécessaires pratiques égalitaires de l'Ecole républicaine entraîne aussi la formation d'un moule scolaire unique qui peut sembler liberticide et donc critiquable à bien des égards. Ce postulat de départ de l'égalité sur les bancs des classes peut en effet transformer l'intégration en un conformisme comportemental.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite