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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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E). La peur d'une identité nationale en péril

Les immigrés italiens qui arrivent en France sont intégrés dans un système jacobin et « gallo centriste ": une seule langue est parlée dans les écoles de tout le pays, les règles et les pratiques scolaires sont unifiées, etc. L'idée de « nation à la française " est souvent considérée comme une conception universaliste. L'individu pourrait s'agréger au corps national à la condition d'en adopter les coutumes. L'identité nationale de l'Hexagone est un moule qui n'existe qu'en un unique exemplaire. Dès lors, on peut s'interroger sur la place à laquelle peuvent prétendre des éléments étrangers dans les institutions françaises et particulièrement, c'est ce qui nous intéresse ici, dans l'Ecole.

L'acculturation est un phénomène d'effacement de la culture du migrant. La francisation a, elle aussi, une connotation négative. L'image généralement véhiculée par ces deux notions est, en effet, celle de l'ablation d'une part « d'appartenance ", dès lors, l'identité nationale serait en péril. Mais qu'est-ce au juste que cette identité presque toujours évoquée par les témoins mais rarement définie en termes précis ? En fait les médias comme les responsables politiques ou le grand public ont bien des difficultés à expliquer cette notion complexe. Ralph Schor, dans l'ouvrage Français et immigrés en temps de crise, parle d'une « conception intuitive et naturelle "384 et explique ainsi les problématiques politiques posées par cette idée d'identité :

« Pour les Français des années 1930, le « trop plein " dont ils se plaignaient minait la civilisation française dans son essence même. Cette crainte taraudait surtout la droite traditionaliste et, dans une moindre mesure, les radicaux. Les nationaux étaient très généralement persuadés de la supériorité de leur culture. Ils voulaient bien transmettre celle-ci et entreprendre, comme on disait alors, la « francisation " des étrangers. Mais ils redoutaient que les nouveaux venus, porteurs de valeurs et d'usages propres, ne vainquissent leurs hôtes, trop tolérants ou trop ouverts aux apports allogènes par snobisme. Les extrémistes pensaient même que les immigrés avaient sciemment commencé une oeuvre de « désintégration nationale " "385.

La compétition scolaire exprime, elle aussi, de façon assez claire, le fait que l'élève se sente concerné par le système national. Peut-on pour autant parler de volonté d'être un des éléments de la nation française ? Le témoignage de Pierre Milza, en tout cas, met clairement en lumière l'influence de l'école sur son sentiment d'être Français bien plus qu'Italien :

384 R. SCHOR, Français et immigrés en temps de crise (1930 À 1980), Paris, 2004 (p. 61).

385 R. SCHOR, Ibid. (p. 64)

« J'ai vécu sur ce souvenir fabriqué d'un père « étranger » qui aurait pu me détourner du destin tricolore dont je me sentais investi. Entre douze et quinze ans, je rêvais sur fond de scoutisme et de lectures épiques de gloire militaire et maritime. Celle-ci ne pouvait être que française et l'idée que je m'en faisais se nourrissait de cent épisodes glanés dans les livres d'histoire et les prix de fin d'année que l'école républicaine m'avait généreusement attribués »386.

Les gratifications scolaires peuvent donc parfois être synonymes d'adhésion aux visées patriotiques de l'enseignement. A cet égard, il est intéressant de raconter cette anecdote, révélatrice d'un certain malaise identitaire provoqué par la dichotomie qui existe parfois entre la scolarité française et le foyer italien. Marie-Claude Blanc-Chaléard raconte ainsi l'histoire de ce peintre de Novare dont la fille, Jeanne Vecchio, est l'exemple type de la bonne écolière. Un soir, cette élève de l'école de la rue Paul Bert de Nogent, récite à sa mère sa leçon d'Histoire du jour. Son père se lance alors dans une diatribe contre l'enseignement prodigué à sa fille :

« Mais qu'est-ce qu'on leur apprend à l'école ! Tes ancétres c'est pas les Gaulois, ce sont les Romains, c'est Jules César ! ».

Jeanne Vecchio raconte a posteriori (en 1994) :

« Cela m'a fait un choc, j'y pense encore aujourd'hui... Je détestais Jules César qui avait fait plein de misères à ce brave Vercingétorix, je pensais dur comme fer que mes ancêtres étaient les Gaulois, et puis, c'était écrit dans le livre, j'étais sure de mon affaire »387.

On retrouve sensiblement le même type de sentiment dans de nombreux témoignages :

« L'Italie n'a pas gagné beaucoup de guerres. Là je me sens français, à bloc, comme maman. Vercingétorix, Jeanne d'Arc, Guynemer388 et tout »389.

« On était contents parce que les Français avaient battu les Italiens. On était fiers ! »390.

Albert Uderzo, qui s'est plus tard illustré dans la représentation humoristique des Gaulois, se rappelle lui aussi de l'étrangeté de sa position par rapport à l'Histoire française après sa naturalisation :

386 P. MILZA, Voyage en Ritalie, Paris, 1993, (p. 43).

387 Témoignage de Jeanne VECCHIO le 3 mai 1994,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000, (p. 425).

388 Georges Guynemer était un pilote Français de l'armée de l'air durant la Première Guerre mondiale.

389 F. CAVANNA, Ibid. (p. 34).

390 Entretien avec Jean BURINI, (14 janvier 2010 -- Vigneux).

« D'émigrés italiens nous devenons français. J'apprends alors à l'école ma première leçon d'Histoire de France sur « nos ancêtres les Gaulois » ; je ne comprends pas tout de suite que jusqu'à présent, mes ancétres étaient Romains, et que, par la magie de l'Administration, ils sont devenus Gaulois »391.

Ces exemples montrent l'importance que revêt le chapitre sur la guerre des Gaules et sur l'Empire Romain traité en classe pour les jeunes d'origine italienne. L'enseignement de l'Histoire de France a souvent un impact considérable sur les jeunes écoliers dans leur volonté de faire partie de la nation française. Le « dénigrement » de la nation italienne dont parle François Cavanna est retrouvé dans différents témoignages. D'ailleurs, Pierre Milza explique que « de ces Italiens transplantés dans ce qui n'était pas encore l'Hexagone, l'histoire n'a souvent retenu que ceux qui ont été mêlés à des épisodes douloureux ou pervers »392. Ainsi, les manuels scolaires évoquent, par exemple, les banquiers lombards qui pratiquaient l'usure en des termes très critiques. Cependant, l'exemple qui semble le plus évident est celui de Mazarin dont les manuels dénoncent la duplicité, la mauvaise foi, la malhonnêteté ou encore l'absence de scrupule.

Nous retrouvons évidemment le poids des sentiments patriotiques diffusés en grande partie par les enseignants dans les discours tenus par la seconde génération dans les témoignages :

« On nous disait à l'école qu'il fallait aimer son pays. Or, on n'arrêtait pas de me dire que j'étais un sale italien. J'aimais l'Italie ! »393.

Les ressentis, concernant l'identité, sont presque aussi nombreux que les témoignages. La construction identitaire et mentale des jeunes italiens est un parcours semé d'embüches. Parfois, l'élève d'origine italienne choisit le camp de sa patrie d'origine, il se fait, nous le verrons, le partisan de l'Italie puisqu'il ne peut être reconnu comme celui de la France. Cependant, pour Marianne Amar et Pierre Milza, qui s'appuient sur les thèses de Ralph Schor, il semble bien que l'école française ait joué son rôle d'absorption des jeunes d'origine italienne. Pour eux, « l'école est, en théorie, le lieu de l'intégration [...] l'apprentissage culturel est une première porte ouverte sur la société française, la création d'une mémoire partagée et les prémisses d'un dialogue futur. Ces fonctions, l'école les assure normalement pendant l'Entre-Deux-guerres [...] Le corps enseignant, dans son ensemble, manifeste un évident esprit d'ouverture Aux chantres de la discrimination, la République, l'école laïque ne céderont pas »394.

391 A. UDERZO, Uderzo se raconte, Paris, 2008 (p.40).

392 P. MILZA, Op. Cit. (p. 59).

393 Témoignage d'Enzo BRUN dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 482).

394 M. AMAR et P. MILZA, L'immigration en France au XXème siècle, Paris, 1990 (p. 108-109).

Il est vrai que la lecture des témoignages, biographies et autobiographies soulignerait plutôt que ces enseignants permettent en effet globalement à leurs élèves d'évoluer dans un climat scolaire d'égalité. Cependant, la construction de l'identité n'est-elle pas multiple et progressive ? Dès lors comment concilier l'égalité sur les bancs de l'école et l'affirmation nécessaire aux élèves d'une identité ? Effectivement, la vie de la famille connaît plusieurs grandes étapes qui constitueront, chacune, différents parcours d'identité. Ainsi, l'identité de soi comme les identités sociales ou culturelles se construiront par des gradations individuelles ou familiales telles que la location de l'appartement, l'obtention d'un travail pour les parents ou encore la scolarisation des enfants. Ces phases fondamentales de l'intégration sont, finalement, des données bien plus aisées à calculer que le sentiment d'appartenance à la nation, notion plus subjective et plus variable selon le contexte. En effet, le sentiment d'appartenance est une donnée fluctuante. Marie-Laetitia Des Robert-Helluy observe d'ailleurs que l'on peut séparer le sentiment d'appartenance des natifs de 1913 à 1935 et celui de ceux nés entre 1940 et 1955. Elle met ainsi en avant la forte consistance mémorielle et historique explicite des premiers et la logique d'affiliation nationale, surtout culturelle et implicite des seconds395. En somme, les explications historiques au sentiment d'appartenance à la France des populations d'origine étrangère installées dans l'Hexagone ne valent vraiment qu'avant la Seconde Guerre mondiale. Les ressorts culturels, en revanche, sont plus facilement mis en avant durant la guerre et la décennie qui la suit.

Il est aisé de constater que le sentiment national se construit aussi par rapport à l'extérieur constitutif que représente « l'Autre », autrement dit « l'élément étranger », considéré comme un individu fondamentalement différent, qui ne fait pas partie de la même communauté ni ne partage de valeurs semblables avec la population implantée de longue date sur le territoire hexagonal. Lorsque ce sentiment d'appartenance à la nation est exacerbé, on est parfois proche du phénomène qui consiste à affirmer un certain universalisme totalitaire et destructeur, qui a pour objectif de supprimer la diversité, et qui postule la supériorité d'une civilisation sur une autre. Le modèle d'assimilation « à la française » voudrait que la bonne intégration dans la

133 nation tricolore aboutisse à la disparition des éléments étrangers396. Du point de vue de l'élément allogène exclu, si se « fondre dans la masse " semble impossible ou trop difficile, il n'est pas rare que l'on observe une tendance à développer ce que l'on peut appeler un « sentiment de ritalité ".

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci