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Les enfants d'immigrés italiens dans les écoles françaises (1935-1955)

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par Louise CANETTE
Université de Nantes - Master 2 2010
  

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B). La violence à l'école : un facteur de repli sur l'univers familial italien ?

Si nous pouvons souligner que l'origine étrangère des élèves n'est jamais rapportée, dans les témoignages recueillis pour ce travail, comme la cause directe de la violence physique dont ont parfois fait usage certains enseignants, en revanche, l'agressivité xénophobe verbale est assez souvent présente dans les souvenirs des témoins. L'atmosphère n'est pas toujours baignée de tendresse réciproque entre les différentes communautés, loin s'en faut. François Cavanna se rappelle de la violence physique exercée par son maître d'école mais ne la met pas en corrélation avec sa situation d'enfant issu d'un parent étranger :

403 Albert BALDUCCI, interviewé par P. MILZA, Op. Cit. (p. 329).

404 F. GREZES-RUEFF et J. LEDUC, Histoire des élèves en France, de l'Ancien Régime à nos jours, Paris, 2007. (Introduction).

405 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37).

« Le père Cluzot faisait venir Chendérovitch au tableau et il lui cinglait les mollets avec sa règle, c'était son vice [...] il tapait jusqu'à ce que les mollets soient tout noirs, et après il mettait Chendérovitch au piquet. A moi aussi, il me l'a fait le coup des mollets, et maman m'a demandé où que tu as eu ça, et moi j'osais pas lui dire, parce que j'avais bavardé en classe, et à la fin je lui ai dit, et elle a foncé chez le dirlo, le père Garnier, et Cluzot a dû se faire salement engueuler, en tout cas il a plus recommencé » 406.

La brutalité de son professeur ne semble ici n'avoir aucun rapport avec les problématiques liées à la migration italienne. En revanche, nombreux sont les propos véhéments qui auraient été tenus par les instituteurs à l'encontre des jeunes écoliers d'origine étrangère. Il arrive aussi que la « technique » utilisée pour pousser l'élève à plus de travail soit assez violente pour marquer nos témoins pas moins de soixante années après les évènements, ainsi WM nous raconte cet épisode qui s'est produit dans son école élémentaire d'Agen :

« J'ai encore changé d'école, pour la quatrième fois. Là je ne suis pas bien tombé, l'instituteur [...] était dur ! Si on ne savait pas répondre, il vous prenait par là et il vous décollait du sol. Il ne tapait pas mais il prenait par les joues, je n'étais pas trop à l'aise, j'étais froussard un peu... Je l'ai eu deux ans et demi. Il ne m'agressait pas, il me tirait les oreilles, les favoris, à moi mais aux autres aussi. »407.

Autre effet de l'incompréhension linguistique, les échecs scolaires sont légions au sein de la population d'origine italienne, du moins dans les premières années de la scolarisation en France de nos témoins. Dès lors, pour ceux, relativement nombreux, dont l'école a été synonyme d'angoisses portées par leurs déboires scolaires ou par l'appréhension liée à la récurrence de la violence qui a pu exister entre les murs des établissements, le foyer familial peut sembler un refuge. Il n'y a, dès lors, qu'un pas à « choisir » d'investir dans l'univers italien du foyer plutôt que dans le monde français de l'institution républicaine, pas toujours chaleureux.

Par ailleurs, la récurrence de la brutalité est aussi parfois provoquée par l'élève étranger lui-méme, cette réaction est souvent le reflet de grandes difficultés à s'exprimer par la parole. Il n'est donc pas rare que la réponse à l'humiliation soit incarnée par la violence, y compris contre l'enseignant. Ainsi, Madame Biasin, évoque la scolarité de ses beaux-frères :

406 F. CAVANNA, Op. Cit. (p. 37)

407 Entretien avec WM (27 octobre 2009 - Sainte Marguerite).

138 « Beppi était dur. Il se battait avec le maître. On l'a renvoyé. Quand son petit frère Marcel lui a succédé, il a commencé à répondre. Alors le maître a dit : « t'es une tête de lard comme ton frère ». Il l'a tapé, il est rentré tout bleu à la maison »408.

Malgré le blanc-seing donné, presque systématiquement, par les parents aux professeurs de leurs rejetons, la maison est souvent vue comme le lieu du refuge rassurant comparée à l'école, parfois chargée d'angoisses et de jugements négatifs : en quoi ce cocon de l'univers familial italien est-il différent du refuge que représente le foyer français ? Quelques traits distinguent les peuples des deux soeurs latines : globalement, les Transalpins conçoivent d'une manière différente de celle des autochtones, l'autorité du patriarche, la place de la femme, de la mère. En somme, les dissemblances culturelles qui se détachent sont beaucoup d'ordre familial, même si c'est souvent les différences culinaires qui sont d'abord mises en avant par les camarades d'école de nos témoins. Si il est indéniable qu'il existe, dans les foyers italiens comme dans les familles françaises, une certaine subordination féminine dans la sphère familiale, on note une différence entre les deux milieux. En effet ce caractère de « soumission » de la mère est renforcé chez les migrants par le fait que la femme est rarement à l'origine du choix d'émigrer. Par ailleurs, cette subordination est accentuée par l'hégémonie catholique encore ancrée dans la mentalité italienne. Cependant, en ce qui concerne le rôle de la femme italienne, et, pour ce qui intéresse notre étude, celui de la mère, on sait que leur dimension culturelle et sociale est majeure, particulièrement en ce qui concerne la transmission intergénérationnelle. En outre, l'organisation quotidienne lui revient (la tenue des enfants, la gestion financière et la préparation des repas)409.

Violence de l'enfant, violence de l'adulte, ces témoignages ne sont pas rares. Certains migrants expliquent ainsi que, si à l'école, ils se conformaient strictement aux règles en vigueur, la rue était le lieu où se réglaient les contentieux commencés dans la cour de récréation avec leurs camarades. Nous avons ainsi pu retrouver chez différents témoins la sensation de connaître deux mondes bien distants, sans liens apparents et au sein desquels leurs comportements sont souvent discordants.

408 Témoignage de Madame BIASIN, le 27/05/1993,

Dans M-C BLANC-CHALÉARD, Les Italiens dans l'Est Parisien. Une histoire d'intégration (années 1880-1960), Rome, 2000 (p. 420).

409 - I. TABOADA-LEONETTI, « Le rôle des femmes migrantes dans le maintien ou la déstructuration des cultures nationales du groupe migrant », n° 70, juin 1983 (p. 214 à 220).

- A. SOLDANO, « Les femmes immigrées italiennes installées dans le Nord de la France après 1945 », n° 14, décembre 2001 (p. 35 à 43).

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld