WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Désobéissance et liberté. Pourquoi un homme commence-t-il à  désobéir. Eléments pour une étude philosophique de l'action du juste de Bordeaux

( Télécharger le fichier original )
par Elodie Arroyo
Université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne - Master 1 2004
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

II

L'apparition des théories sur la désobéissance civile : la nécessité de fonder un droit de résistance individuel après l'épreuve de la Seconde Guerre Mondiale

Ce n'est qu'après la première et surtout la seconde guerres mondiales que sont apparus au grand jour les excès du positivisme, ébranlant sérieusement la confiance absolue placée dans le droit comme garant d'une société juste et égalitaire et dans la capacité de la loi à protéger les hommes de l'arbitraire, donc dans son autorité.

Pour rappeler brièvement en quoi consiste le positivisme, on peut dire que c'est une doctrine qui tend à reconnaître une norme juridique valide, et partant légitime, lorsqu'elle satisfait aux conditions procédurales prévues pour son adoption : lorsqu'elle est valablement débattue, votée, entrée en vigueur... Le fait que le régime nazi ait pu parvenir au pouvoir par des moyens légaux et qu'il ait pu produire du droit bien qu'odieux néanmoins valide, pour paraphraser Kelsen, va marquer les esprits. Le fait que des hommes aient suivi ses lois à la lettre, à l'instar d'Eichmann,

lieutenant-colonel S.S., et aient pu les prolonger en les exécutant et en coopérant, sans en discuter le contenu d'un point de vue éthique ou moral, a beaucoup choqué, comme on a pu le remarquer d'après le récit que nous livre Hannah Arendt du procès de cet homme qui situe les problèmes de conscience du côté non respect des ordres donnés, non dans le contenu criminel de ceux-ci. Il aurait alors pleinement intégré les principes du positivisme, estimant qu'il était de son devoir d'obéir aux régime nazi et qu'il ne regrettait rien, puisque « le remords, c'est bon pour les petits enfants »24(*).

Aucune distanciation par rapport à la norme juridique, même pas par le biais de la norme morale, ni aucune réflexivité rétrospectivement de la part d'Eichmann, qui n'est pourtant vraisemblablement pas « incapable de distinguer le bien du mal »25(*), comme toute personne « normale ». L'auteur notera, nous le verrons plus loin, que cet homme présentait de sérieux troubles et que, s'il pouvait distinguer le bien du mal de manière dépassionnée, il pouvait sans aucun problème, voire avec une certaine euphorie, reconnaître que ses actes avaient contribué à perpétrer l'un des plus grands crimes contre l'humanité. Mais à cela une seule réponse : il fallait le faire Pourquoi ? Parce qu'on lui avait demandé, tout simplement ! Il aurait, selon ses propres dires, pu tuer père et mère si on l'avait enjoint à le faire.

Face à cette position de scrupuleuse obéissance à des ordres méconnaissant les droits de l'homme de la manière la plus extrême qui soit, que des milliers d'hommes ont adoptée, se trouve celle d'Aristides de Sousa Mendes, et d'une poignée de consuls dans d'autres pays, qui se sont vu déchoir de leurs fonctions lorsque la collaboration était en place : ces hommes avaient pris le risque de sauver ce qui demeurait pour eux des vies humaines à ce moment où juridiquement, et dans le discours nazi, ces personnes à éliminer étaient considérées comme des sous-hommes. Mettant à l'oeuvre leur conception de la justice dérivée de l'égalité entre les hommes, sans distinction de race ni de religion, ils ont contrevenu aux dispositions en vigueur, et se sont fait punir ; après la guerre, leurs actions passeront pour héroïques ; c'est que face aux atrocités commises et à la difficulté apparente de l'action résistante, violemment réprimée par la police du régime, ces hommes exerceront une certaine fascination de par leur courage et leur détermination quant à donner forme à leurs convictions. Alors que certains s'attachent à délier morale et politique pour relier cette dernière à l'efficacité26(*), ou que d'autres pensent que l'état de guerre suspend la morale et même la rend dérisoire27(*), Aristides de Sousa Mendes et une minorité de ses collègues semblent vouloir lutter contre les dangers de l'amoralisme en politique. Ces personnes-là ont su mettre en question le mérite ou le démérite de la loi, se référer à un système de pensée situé au-delà de la formalité de la loi, ce qui sera loué une fois le monde sorti de la guerre. On mettra alors les hommes en garde contre « la servitude des lois à laquelle leur esprit s'habitue à tel point qu'ils n'en comprennent plus le danger ».28(*) Du côté des intellectuels, on aura à faire à un retour des théories du droit naturel.

Dans la philosophie du droit naturel, comme on a pu d'ores et déjà l'exposer à propos de Locke et de l'inspiration de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, on présuppose que le sujet est déjà complet avant son entrée en société : il est doté de certains droits et libertés que l'Etat, avec lequel est conclu le pacte social, doit préserver à l'aide de la loi puisque, seul dans l'état de nature, en proie constante à l'égale liberté de ses semblables, l'homme n'y parviendrait pas. De là découle que la participation du sujet à la vie en société est contingente et révocable, par principe.

Ainsi « l'individu est fondé à attendre de l'Etat la protection des droits constitués en-dehors de lui, sans que pèse sur lui l'obligation intrinsèque de participer aux charges liées au perfectionnement du lien social »29(*). Il est à noter que, pour Paul Ricoeur, le postulat selon lequel l'homme est doté de certains droits avant son entrée en société a pour fondement la méconnaissance du rôle médiateur de l'autre ; l'autre est en effet situé quelque part entre la capacité à s'estimer soi-même, c'est-à-dire à juger de sa condition et de ses actions propres, à les évaluer, et l'effectuation par chacun de ses activités propres, au sens le plus général du terme activité, c'est-à-dire mise à l'épreuve empirique de la volonté. Ainsi, en posant que la référence à l'autre est la « dimension dialogale » de l'estime de soi, que cette référence est intérieure c'est-à-dire que la « sollicitude » ne s'ajoute pas du dehors mais qu'elle est une condition et un élément nécessaire de l'estime de soi, qui est le moment où chaque être humain apprécie et évalue ses pratiques, on peut réfuter l'hypothèse du sujet naturellement doté de droits.

Pour clarifier le propos, il s'agit de dire que l'homme ne peut se penser ex-nihilo, qu'il a nécessairement intégrée en lui l'existence de l'autre, des autres, et que c'est en confrontant ses actions à celles des autres, en conceptualisant les réseaux de relations et les configurations, de tous ordres, qui l'unissent aux autres, qu'il est capable de s'évaluer. C'est en posant le fait que j'habite un monde que d'autres habitent aussi, que je me meus dans un espace où d'autres se meuvent, que je ne suis ni plus ni moins légitime qu'un autre à agir ou à penser de telle manière puisque nous sommes tous hommes de la même espèce, que je prends conscience de la nécessité d'établir des étalons de valeurs et de comportements pour que nos trajectoires à tous puissent s'effectuer au mieux sans s'entrechoquer. Il ne s'agirait alors pas d'une nature de l'homme qui le doterait de ces droits libertés, inviolables parce que donnés et donc enchantés, mais du résultat d'une réflexion, de l'esprit sophistiqué de l'homme, qui doit trouver le moyen que lui et ses semblables puisse s'épanouir ensemble le temps de leur vie.

Quoi qu'il en soit, même en postulant que l'individu n'est pas porteur de droits naturels mais que ce sont des artefacts, des produits de l'invention humaine, un droit de résistance reposant sur d'autres fondements est envisageable. Car n'est ici discutée que la question de l'origine de ces droits de l'homme. Certains comme Locke, Rousseau, Kant y voient quelque chose d'enchanté en ce qu'en l'individu existerait quelque chose d'irréductible, une liberté intrinsèque doublée d'une perfectibilité fascinante, ne pouvant relever que du divin, du transcendant, tant ce phénomène est inexplicable ; c'est pour ces raisons notamment qu'ils investissent l'individu d'un certain caractère sacré. Pour d'autres comme Ricoeur, l'homme resterait un animal politique, si l'on peut adapter l'expression, en ce qu'il serait seulement plus capable que les autres animaux, de penser sa condition et d'établir avec les autres des règles de vie commune à partir de la raison; rien de foncièrement enchanté ou surnaturel dans cette vision-là de l'homme. Mais cette divergence n'affecte pas pour autant la possibilité d'envisager une résistance ; car elle n'affecte pas l'idée de nécessité d'instaurer des droits fondamentaux. Elle se contente de l'appréhender différemment.

Revenons au propos de départ : le retour en force des théories des droits naturels après la Seconde Guerre Mondiale, auquel Michel Villey a pris part en France en soulignant l'urgence d'enseigner la philosophie du droit30(*). Ces théories s'opposent vivement, on l'a dit, à celles des tenants du positivisme. Le débat entre Radbruch et Fuller, dans le premier camp, et Hart dans le second, est à ce titre significatif.

Pour rappeler brièvement de quoi il s'agissait, nous dirons qu'une Allemande avait dénoncé les critiques de son mari, un soldat, à l'encontre du régime nazi ; celui-ci avait alors été condamné à mort en 1944, puis sa peine fut commuée et il fut envoyé sur le front de l'Est. La guerre terminée, il assigna sa femme en justice qui, pour se défendre, fit valoir qu'au moment des faits, les propos de son mari constituaient un crime au regard des lois en vigueur et qu'elle n'avait fait que livrer un criminel à la justice. En appel, la Cour refusa d'invalider la loi nazie, et condamna la femme pour « excès de zèle ». Le débat entre les intellectuels portait sur la validité des lois nazies et sur le caractère criminel ou non des propos du mari31(*). A ce propos, nombreux sont ceux qui se sont rappelé de l'affirmation de Saint-Augustin, dans Du libre arbitre (I, 5), selon laquelle « lex injusta non est lex » : une loi injuste n'est tout simplement pas une loi. Mais peu à peu, les positions des uns et des autres se nuancèrent : d'un côté on concéda que la validité d'une loi ne devait pas conduire à l'obéissance aveugle, de l'autre on reconnut qu'il était nécessaire de poser un caractère obligatoire de la loi sans quoi aucun système ne pourrait durer. Le débat s'enlisa quelque peu ; demeuraient toujours le problème insoluble de la légitimité et celui des exigences morales intuitives.

Dans les années qui suivent, on a à faire aux grands mouvements de désobéissance : les luttes pour l'indépendance, avec Gandhi en Inde qui appelle à la désobéissance générale et non violente, Martin Luther King aux Etats-Unis pour les droits civiques, les formes de protestation contre la Guerre du Vietnam... Ce sont en général des mouvements contestataires à grande échelle, dits de désobéissance civile, qui utilisent des moyens de pression alors assez nouveaux pour obtenir des dirigeants qu'ils modifient des lois (les lois ségrégationnistes) ou la politique pratiquée (au Vietnam par exemple), considérées comme injustes ou dangereuses.

Dans ce contexte profonde de remise en cause de l'autorité de la loi dans le champ juridique, de la manière de conduire les affaires internes et externes de la cité dans le champ politique, philosophes, juristes et politologues sont appelés à la rescousse pour analyser les mutations en cours, avec au premier plan la manifestation la plus visible : les mouvements de désobéissance civile. Il faut en déterminer les contours pour comprendre le phénomène, le définir. Certains proposent de distinguer entre des types de motivation qui conduisent à la désobéissance ; Hannah Arendt, dans son essai sur la désobéissance civile, souligne le caractère fondamentalement politique de cette forme de contestation, qui « ne peut se manifester et exister que parmi les membres d'un groupe »32(*). Elle s'inspire d'un écrit de Nicholas W.Puner ( Civil Desobedience : An Analysis and Rationale) paru dans la New York University Law Review  n°43: « la désobéissance civile pratiquée par un individu isolé ne saurait tirer à conséquence. Le coupable est alors considéré comme un excentrique qu'il sera plus intéressant d'observer que de condamner. La désobéissance civile réellement significative doit être le fait d'un certain nombre de personnes que rassemble un intérêt commun ».

Si Arendt nous dit cela, c'est qu'elle s'attache à fonder la valeur d'un tel acte sur la conviction partagée par un certains nombre de personnes de la légitimité de désobéir. Comme nous l'avons déjà dit en introduction, elle voit en la désobéissance civile un acte politique mû en première instance par une conviction morale ; pour entrer dans le champ politique, il est nécessaire que cette conviction intime, cette prise de conscience individuelle, soit ensuite débattue avec d'autres, car en restant le pur fruit de désirs personnels, elle demeure apolitique ; la concertation sur la place publique, l'entrée du résultat du « dialogue muet entre la conscience et le moi » dans l'espace publique, le moment où l'individu fait part publiquement de ses intentions et de leur justification subjectives, permet le débat avec d'autres personnes, pouvant déboucher sur un accord. Cet accord confère sa valeur à la pratique de la désobéissance civile.

Pourquoi est-ce nécessaire ? La conscience individuelle n'exige rien de plus que de ne pas soutenir ce qui nous paraît injuste. Or, nous dit Arendt, si l'homme y trouve son bien-être et sa paix intérieurs, rien ne dit que ce que l'homme trouve injuste le soit pour tous . Sur le plan politique et juridique, sa réflexion sur le caractère inique de la loi ne peut être généralisée, elle reste du domaine du subjectif tant qu'elle n'a pas fait l'objet de discussion avec d'autres. Sur un plan profane, cela supposerait que le désobéissant serait à même de distinguer le bien du mal, or cela ne va pas de soi, c'est même la question majeure qui se pose dans toute l'éthique de la discussion ; comme cela serait simple si tel était le cas...Elle reprend donc une problématique importante, qui est celle de l'universalisation d'un énoncé, qui entraîne sa validité. C'est chez Kant que l'on en trouve les prémisses, notamment dans le texte Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée ? (Vrin, 2001 ; paru pour la première fois en octobre 1786 dans la Berlinische Monatschrift) où il nous expose (p.145) les trois exigences de la pensée, au premier rang desquelles la nécessité de penser avec les autres « pour bien penser », la liberté de conscience (la conscience libérée du joug religieux par exemple) arrivant en second lieu, avant la nécessité de se donner à soi-même des lois, des principes, des maximes qui vont nous permettre d'orienter notre pensée et nos actions.

Pour bien penser, pour penser juste, il faut avant tout penser avec les autres. Il faut leur communiquer nos pensées et qu'ils nous communiquent les leurs. C'est que le problème de la vérité est au coeur de tout notre questionnement. Comment savoir si j'ai raison d'agir comme je le fais si ce n'est en soumettant les fondements de mon action à l'épreuve de l'avis des autres ? Comment savoir que les représentations subjectives de l'individu coïncident avec ce qui est objectif ? On ne peut a priori rien définir de vraiment objectif, on ne peut que se rapprocher des réalités objectives en découvrant des énoncés universalisables à travers les convergences des représentations des uns et des autres, ce qui suppose qu'elles soient, à un moment donné, soumises à l'épreuve de l'intersubjectivité. Sans revenir sur toute la question du sortir du dogmatisme objectif et du dogmatisme subjectif, relatif à la révolution copernicienne kantienne, qu'il faut elle-même placer dans le contexte de la sortie du théologico-politique, on se contentera d'affirmer que la conclusion qui s'impose à nous est que nous sommes obligés d'avoir la possibilité de communiquer nos pensées puisque nous sommes dans société autonome ; le but étant de pouvoir parvenir à un accord, ensemble, sur la validité d'un énoncé. C'est encore ce que Kant appelle faire « un usage public de la raison », dans son texte Qu'est-ce que les Lumières ? . Puisque l'évidence du sens n'est plus donnée avec la laïcisation des valeurs de la société, il faut créer du sens. Puisque la légitimité de la domination du prince ne va plus de soi quand on retire à celui-ci sa prétendue ascendance divine, il faut se demander pourquoi lui obéir et, le cas échéant, à qui obéir et sur quels fondements. C'est ce que nous avons vu avec la naissance de la pensée moderne et les théories du contrat social. L'Homme sorti de son état de Minorité, c'est-à-dire de soumission absolue au prince, de servitude volontaire, où il se maintenait « par sa propre faute » selon Kant, par lâcheté pour La Boétie, l'obéissance se dénaturalise et va trouver ses fondements dans l'adhésion du citoyen, selon le principe du consentement. Nous ne sommes plus dans le jugement déterminant, pour reprendre le concept kantien présenté dans sa troisième critique, c'est-à-dire que l'universel n'est plus donné ; mais dans le jugement réfléchissant qui s'élève du particulier à l'universel, du subjectif -puisque nous entrons dans l'ère du sujet- vers l'universalisable à travers l'argumentation et la confrontation des subjectivités qui va déboucher sur des points de convergence. C'est toujours dans cette concertation que va résider la légitimité d'un accord. Cela vaut pour la loi ; Arendt reprend à son compte ce principe pour légitimer la désobéissance civile, même si Kant prônait quant à lui un devoir d'obéissance.

C'est donc à travers la discussion que l'on va pouvoir dégager des lois (c'est le principe des débats des assemblées parlementaires), puisque la loi de Dieu et celle du prince, prolongement de la première, ne sont plus légitimes en tant qu'elles sont données pour naturelles et absolues. Mais quand la loi, elle-même débattue, discutée, n'est pas satisfaisante pour certains, que se passe-t-il ?

Il faut voir en quoi elle ne l'est pas. Pour que la désobéissance soit considérée comme légitime, nous l'avons vu chez Rawls, elle doit être assortie d'un certain nombre de conditions. Ce sont chez lui des conditions formelles, qui posent en quelque sorte un « moule » dans lequel les contestataires doivent rentrer pour être en droit de critiquer une loi et d'y désobéir. Mais il laisse en suspens la question des injustices intolérables, ne relevant qu'un certain « degré » à partir duquel on peut se rebeller, pacifiquement bien sûr. On peut noter que la volonté de poser un cadre formel à la désobéissance, et de laisser à la libre appréciation le degré d'injustice, participe de la conception de l'Etat de droit américain, telle qu'elle est décrite par Habermas, dans son article sur les Trois versions de la démocratie libérale : il doit garantir la protection de la sphère privée, et partant de la liberté de penser, par un « système de libertés fondamentales qui concilie pour tous l'égale jouissance des mêmes libertés », et un cadre institutionnel réglé permettant l'indépendance des tribunaux fournissant une égale protection juridique pour tous, et la séparation des pouvoirs assurant le respect du droit par l'administration. On voit qu'en-dehors du cadre institutionnel, les citoyens sont libres de communiquer, de s'associer, de s'exprimer, de s'informer. La désobéissance civile est une des possibilités qui s'offre au citoyen dans cette approche : elle s'organise en privé avant d'émerger publiquement pour défendre une cause politique. La mise en place de l'Etat de droit démocratique, tel qu'aux Etats-Unis, s'est donc effectuée dans le but de permettre à tout individu de mener sa vie de manière autonome, sans être importuné par un Etat trop pesant. (Dans la conception républicaine de l'Etat, comme en France, la liberté était pensée autrement : à l'instar de la liberté chez les Anciens, il s'agissait pour le citoyen de participer librement à la vie politique de la cité. Cette idée de participation de chacun rend dès lors peu aisée la possibilité de penser la désobéissance comme recours pour se faire entendre.) Maintenant que l'homme sait qu'il est libre de penser comme il l'entend, qu'il a le droit d'être en désaccord profond, qu'il peut même le manifester de diverses manières, qu'est-ce qui va le pousser à risquer une sanction pour l'émission de ses idées ?

* 24 Hannah ARENDT, Eichmann à Jérusalem, Rapport sur la banalité du mal, Folio Histoire 2002, p.79.

* 25 ibid. p.82.

* 26 On pense au Prince de Machiavel, avant tout, puis à la majorité des réalistes.

* 27 Emmanuel Lévinas dans sa préface à Totalité et infini, Essai sur l'extériorité, Bibl. Essais Livre de Poche, 1971.

* 28 G. RIPERT, « Le déclin du droit », LGDJ 1949, p. 92.

* 29 Paul RICOEUR, Soi-même comme un autre, Seuil 1990 ; Points Essais 1996, p.213 .

* 30 M.VILLEY, Leçons d'histoire de la philosophie du droit, Dalloz, 1957, p.367 et suivantes

* 31 Débat publié par la Harvard Law Review de 1958.

* 32 Hannah ARENDT, « La désobéissance civile », in Du mensonge à la violence, Pocket, 2002, p.57.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King