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Les initiatives d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEA

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par Wenceslas Sacré Coeur MONZALA
Université Africaine de technologie et de management UATM-GASA  - Licence en Droit Public 2009
  

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Depuis la fin des années 1980, le système international est modelé par des dynamiques d'intégration régionale actives sur tous les continents. Ce regain d'intérêt vers le régionalisme se caractérise par le nombre de plus en plus accru d'accords d'intégration régionale conclus dans le monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale1(*). Cet accroissement des accords de coopération s'explique par l'augmentation des échanges économiques et culturels résultant du phénomène de la mondialisation. Ainsi, outre l'Europe, il n'est pas aujourd'hui une région du monde qui ne se trouve pas prise dans un ou plusieurs processus d'intégration2(*).

Le continent africain n'est pas resté en marge de cette dynamique. L'historique du processus d'intégration régionale remonte au lendemain de l'accession à l'indépendance des anciens territoires colonisés. Ces derniers sont sortis de la colonisation avec de lourds handicaps comme leur dimension modeste sur le plan démographique, territorial et économique. En raison de ces handicaps, ces nouveaux Etats ne parviennent pas assumer pleinement les obligations découlant de leur statut d'Etats indépendants. Dans le but de relever ces défis, la réalisation de l'unité à travers l'intégration régionale apparaît comme la réponse la plus adéquate. Ainsi, plusieurs initiatives de regroupement verront le jour sur tout le continent africain.

En Afrique de l'Ouest, deux principaux projets d'intégration ont retenu notre attention du fait de leur ambition politique avérée pour l'unité de la sous-région. Le Dahomey, la Haute Volta, le Sénégal et le Mali vont d'abord initier un projet de constitution d'une fédération. Cependant, sous la pression des présidents français et ivoirien, le Général De Gaulle et Félix Houphouët BOIGNY, le Dahomey et la Haute Volta se retirent du projet. L'Union est alors réduite à un tête à tête entre le Sénégal et le Mali. Le 4 avril 1960, l'Assemblée fédérale élit son président en la personne de Léopold Sédar Senghor et un chef de gouvernement, Modibo Keita, futur président du Mali. La Fédération du Mali était née. Mais très vite, des désaccords subsistèrent entre les leaders de la fédération nouvelle constituée. Dans la nuit du 19 au 20 Aout 1960, la fédération va connaître son éclatement irréversible. D'autres expériences de ce type vont être tentées sans grands succès. Il s'agit de l'Union Ghana-Guinée créée le 1er mai 1959 entre deux pays sans frontière. Le 24 décembre 1960, le Mali rejoint cette union qui devient Ghana-Guinée-Mali. Cette union qui n'a jamais fonctionné, paraissait plus symbolique que réelle.

Tout ce balbutiement aboutit en 1975 à la création d'une organisation régionale d'une plus grande envergure : la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Elle vise à «promouvoir la coopération et l'intégration dans la perspective d'une union économique de l'Afrique de l'ouest en vue d'élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d'accroître la stabilité économique, de renforcer la stabilité entre les Etats membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain»3(*). Composée depuis 1976 de quinze Etats membres, la CEDEAO constitue un vaste espace économique de près de 4,5 millions de km2 avec une population avoisinant les 24 millions d'habitants4(*). Depuis sa création, la CEDEAO à travers son traité constitutif a toujours oeuvré dans une logique économique recherchant la construction d'un vaste marché avec une libre circulation des biens et des personnes dans l'espace ouest-africain. Dans ce cadre, nous avons choisi de réfléchir sur l'efficacité du cadre d'intégration régionale institué par la CEDEAO.

Il s'agira de rendre compte des avancées et des insuffisances du cadre institutionnel de la CEDEAO. Cette approche institutionnelle nous a amené à retenir comme thème : «Les initiatives d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest : analyse du cadre institutionnel de la CEDEAO».

A travers ce thème, nous démontrerons en quoi la CEDEAO, en raison de son cadre institutionnel, peut constituer un modèle d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest. L'intérêt d'une telle analyse peut se démontrer sous un double angle. D'une part, la CEDEAO étant une organisation à vocation économique, les approches de l'intégration qu'elle réalise ont rarement été institutionnelles. Il serait alors intéressant d'étudier la CEDEAO selon une approche institutionnelle afin d'oeuvrer modestement au comblement de cette lacune. D'autre part, ce travail s'inscrit dans la dynamique de l'évolution du droit de l'intégration, un droit en nette métamorphose du fait de la restructuration actuelle du système international fondée sur les regroupements régionaux.

L'objectif visé à travers ce travail est d'examiner les mécanismes institutionnels de la CEDEAO à savoir les organes mis en place, les processus décisionnels, la nomenclature de l'organisation régionale. Cet examen devra permettre de mesure l'efficacité de ces mécanismes institutionnels, d'en identifier les insuffisances et de proposer des solutions pouvant combler ces insuffisances.

Pour mener à bien cette étude, nous nous sommes inspirés d'ouvrages, de revues et autres rapports ayant traité de la question. Par ailleurs, certains textes fondamentaux de l'organisation régionale à savoir son traité constitutif (la version originale de 1975 et celle révisée de 1993), les différents protocoles additionnels ainsi que les rapports d'activités menées par l'organisation.

Pour atteindre les objectifs visés à travers cette étude, nous présenterons d'abord un état des lieus du processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest (Partie 1). Ensuite, nous démontrerons en quoi la CEDEAO est mise à l'épreuve du fait de ses insuffisances institutionnelles (Partie 2). Cette étude se terminera par une ébauche de perspectives pouvant permettre la redynamisation du processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest.

Etat des lieux du processus d'intégration régionale en Afrique

de l'Ouest

A qui s'intéresse à la question du regroupement des Etats en Afrique de l'Ouest, recherche ses sources dans l'histoire. Afin de s'intéresser à la question du regroupement des Etats en Afrique de l'ouest, il est donc nécessaire de revenir sur l'histoire. Contrairement à d'autres parties du continent, l'Afrique de l'Ouest a expérimenté tôt des formules fédératrices5(*), ce qui a ainsi facilité les entreprises d'intégration postcoloniales. Ces nombreuses organisations d'intégration ouest africaines, quoiqu' ayant vu le jour sous l'ombre tutélaire des ex puissances coloniales6(*), ont à certains égards réussi à instaurer une intégration économique entre les Etats de cette partie du continent africain. L'option de l'intégration économique se justifiait par la nécessité pour les Etats ouest africains de renforcer au lendemain des indépendances leurs relations interétatiques. L'instauration d'échanges économiques constituait le premier pas vers la création d'organisations supranationales pouvant réaliser leur intégration politique.

C'est dans ces contextes que naissent respectivement en 1973 et 1975, la CEAO et la CEDEAO, premiers témoins de la mise en marche du processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest. Le statut de pionnier de ces organisations peut se justifier non seulement par les remarquables avancées en termes de coopération et d'intégration qu'elles ont permis entre les Etats ouest-africains mais aussi par les bases institutionnelles qu'elles ont jeté dans le processus d'intégration en Afrique de l'Ouest.

Dans cette partie, il s'agira d'abord de présenter à travers la création de la CEAO et de la CEDEAO les débuts du processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest (Chapitre 1). Ensuite, dans une approche institutionnelle, une analyse approfondie sera portée sur l'organisation et le fonctionnement de la CEDEAO, principal objet de ce travail (Chapitre 2).

De la CEAO à la CEDEAO : un processus d'intégration régionale en marche

En règle générale, toute organisation internationale se fixe des buts, s'assigne des objectifs. Ainsi, selon le caractère plus ou moins ambitieux de ceux-ci, c'est-à-dire suivant l'ampleur des transferts de souveraineté consentis par les Etats, on parlera d'organisation de coopération ou d'organisation d'intégration, d'organisation interétatique ou d'organisation supranationale. A ce niveau, une brève clarification terminologique d'impose. Selon la théorie des organisations internationales7(*), une organisation d'intégration résulte d'une démarche volontaire de deux ou plusieurs ensembles de partenaires appartenant à des Etats différents en vue d'une mise en commun d'une partie de leurs ressources. Ce processus a pour finalité l'émergence et le renforcement des relations techniques et économiques d'interdépendance structurelle à effets d'entrainement positif sur les revenus.

Pour ce qui est d'une organisation de coopération, elle désigne une entreprise concertée entre deux ou plusieurs partenaires dont les intérêts convergents sur une question donnée. De ce fait, elle ne peut concerner qu'un dossier ou un secteur en particulier. A la différence de l'intégration, la coopération est contractuelle et donc limitée temporellement. En outre, elle n'implique pas forcément un rapport d'égalité entre les partenaires8(*). On peut en conclure que la CEAO et la CEDEAO d'après leurs traités constitutifs9(*), qu'elles visaient beaucoup plus à réaliser une coopération économique entre les Etats de l'Afrique de l'Ouest.

Cette option de la coopération économique peut se traduire à travers l'adoption de deux principales conventions visant à renforcer les échanges économiques entre les Etats ouest-africains. Il s'agit des Conventions de 1959 et de 1966 (Section 1) qui ont constitué les instruments juridiques précurseurs de la CEAO créée en 1973. Plus tard, en 1975, les Etats ouest-africains se sont rendus compte de la nécessité d'élargir le champ de cette coopération économique, ils vont alors décider de la création de la CEDEAO (Section 2).

Section 1 : De la Convention de 1959 à celle de 1966.

L'histoire de l'intégration régionale en Afrique de l'Ouest remonte à l'époque coloniale notamment à la dislocation de l'Afrique Occidentale Française (AOF). La fin de la domination coloniale et l'accession à la souveraineté internationale des Etats francophones de l'Afrique de l'Ouest, consacre la rupture du pouvoir central et une volonté d'autonomie par rapport aux mécanismes commerciaux organisés par la puissance de tutelle. C'est dans ce contexte que les Conventions de 1959 et celle de 1966 inaugurant les initiatives de regroupement entre les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont mis un accent particulier sur l'option de la coopération (Paragraphe 1). Cette volonté politique de s'orienter vers la coopération s'est matérialisée par la naissance de nombreuses organisations coopératives dans cette partie du continent10(*). Mais de toutes ces organisations, la CEAO a été celle qui, à plusieurs égards, a su vraisemblablement réaliser une coopération économique entre les Etats de l'Afrique de l'Ouest (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L'option de la coopération.

Cette option de la coopération se traduisait par la création de deux unions douanières : l'Union Douanière de l'Afrique de l'Ouest ou l'UDAO en 1959 (A) et l'Union Douanière des Etats de l'Afrique de l'Ouest en 1966 (B).

A. La création de l'UDAO

L'option de la coopération a été d'abord consacrée par la Convention de 1959 qui avait été signée le 9 Juin 1959 à Paris entre la Côte d'Ivoire, le Dahomey (actuel Bénin), la Haute volta (actuel Burkina Faso), la Mauritanie, le Niger et la Fédération du Mali (République du mali et le Sénégal). Selon l'article 1er de cette convention, celle-ci avait pour objectif  « d'instituer entre les Etats signataires une union douanière totale qui s'étend aux droits d'entrée et de sortie perçus sur les produits et marchandises en provenance ou à destination desdits Etats ». Cette convention a ainsi créé l'Union Douanière de l'Afrique de l'Ouest (UDAO). Cette convention se singularise par son caractère succinct. En effet la convention ne compte que sept articles qui énoncent sommairement les principes suivants :

· La liberté totale dans la circulation des produits entre les Etats membres de l'Union ;

· Le tarif unique à l'entrée des produits dans l'Union et reparti entre les Etats membres par une instance de l'Union.

Quoiqu'ayant constitué une initiative louable dans la politique de coopération économique entre les Etats membres de l'Union, le mécanisme mis en place par cette convention s'est avéré inefficace. En effet, une Union Douanière totale ne peut se fonder sur des bases fragiles à l'époque et entre des pays encore en construction. Cette convention n'a donc jamais connu une application réelle car les entraves à la libre circulation des marchandises furent fréquentes et les nombreuses violations ont fini par rendre inopérant l'article 1er de cette convention.

B. La réforme de l'UDAO ou naissance de l'UDEAO

Après sept années de fonctionnement de l'UDAO, les Etats membres de la CEDEAO ne pouvaient que constater la baisse de leur coopération économique du fait des contre-performances de l'UDAO. Ils décidèrent alors le 6 Juin 1966 à Abidjan de remplacer la convention de 1959 créant l'UDAO par une autre convention. Cette convention UDAO « new look » (deuxième génération) a ainsi créé l'UDEAO. Il en effet innove par :

· La création de nouvelles structures dont le Secrétariat Général, le Comité des experts et le Conseil des Ministres ;

· La mise en place d'un système de préférence tarifaire qui ne taxe les marchandises originaires de l'UDEAO qu'à concurrence de 50% du taux global de la fiscalité la plus favorable appliqué à un produit similaire importé d'un pays tiers ;

· La définition des produits originaires de l'UDEAO.

Bien que mieux élaborée que la convention de 1959, la convention du 6 Juin 1966 ne connaîtra pas un sort meilleur et l'insuffisance de ses dispositions conduira à des pratiques anti-unionistes en matière douanière11(*). Les Etats signataires nouvellement sortis d'une déception et pressés de s'unir n'ont pas entrepris les études nécessaires et préalables à la mise en place d'une coopération économique plus adaptée à leur réalité. De ce fait, une fois encore, la volonté politique a supplanté la réalité économique.

C'est ainsi qu'au début des années 1970, certains Etats membres de l'union douanière ont entrepris en collaboration avec la Communauté Economique Européenne (CEE) de promouvoir une nouvelle organisation qui prenne en compte non seulement les aspects commerciaux de la coopération mais aussi les aspects relatifs au développement économique régional.

Paragraphe 2 : L'émergence de la CEAO.

C'est l'expérience tirée de la convention du 9 Juin 1959 et celle du 6 Juin 1966 qui a permis d'asseoir les fondements de regroupement, la communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (CEAO). Elle se distingue de l'UDEAO par sa configuration, ses objectifs et ses moyens d'action.

A. La configuration de la CEAO

La CEAO regroupe les Etats de l'Afrique de l'Ouest qui en 1972 à Bamako et en 1973 à Abidjan, ont signé respectivement les protocoles d'application instituant une zone harmonisée d'échanges commerciaux et d'intégration économique. Il s'agit d'un regroupement de six Etats liés par l'histoire, la géographie, la langue officielle, la monnaie à savoir la Côte d'Ivoire, la Haute Volta, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal. Le traité de la CEAO signé le 17 Avril 1973 et entré en vigueur le 1er Janvier 1974, est fondé d'une part sur une « volonté politique consciente et réfléchie des chefs d'Etats qui se sont engagés dans une solidarité de destin et d'autre part, une organisation bien structurée, caractérisée par des instances bien fonctionnelles et permanentes ».

B. Les objectifs et les moyens d'action de la CEAO

Les objectifs de la CEAO en matière de coopération - nombreux et nobles - apparaissent difficiles. En effet, à la fois la plupart des Etats membres appartiennent à la catégorie des pays les moins avancés (PMA). En outre, à une exception près, celle de la Côte d'ivoire, tous les Etats font partie de la zone sahélienne dont les difficultés sont connues et communes à tous les Etats membres. Les objectifs sont clairement énoncés dans le traité à l'article 3 qui dispose que « la communauté a pour mission de favoriser le développement harmonisé et équilibré des activités économiques des Etats membres en vue de parvenir à une amélioration aussi rapide que possible du niveau de vie de leur population ». Ainsi, pour réaliser ces objectifs, l'article 30 crée quatre institutions à savoir :

· Les institutions exécutives : la Conférence des chefs d'Etats et le Conseil des ministres dont les décisions sont prises à l'unanimité ;

· Une institution de gestion dont le Secrétariat exécutif auquel sont rattachés tous les services et organismes techniques et administratifs ;

· Une institution arbitrale chargée de régler tous les différends relatifs à l'interprétation et à l'application du traité et de ses protocoles annexes.

Mais très vite, la CEAO sera concurrencée dans ses domaines de compétences par une autre organisation régionale. Il s'agit de la Mano River Union (MRU) créée en 1974 par le Libéria, la Sierra Léone et la Guinée. Cette nouvelle organisation sous régionale a pour but non seulement la gestion du fleuve Mano que partageaient ses Etats membres mais aussi le développement économique de ceux-ci. Dès lors, le chevauchement et la coexistence de ces deux organisations dans la même région engendrent des difficultés dans le développement des échanges entre les pays de la région ouest africaine.

C'est dans ce contexte qu'une nouvelle organisation économique africaine, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) est créée par le Traité du 28 Mai 1975 à Lagos au Nigéria. Sa création constituera une avancée importante dans le processus d'intégration des Etats de l'Afrique de l'Ouest et esquisse un cadre plus élargi de coopération entre ces derniers.

Section 2 : La création de la CEDEAO

A travers l'expérience des regroupements de coopération régionale, les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont témoigné de beaucoup de solidarité et d'esprit communautaires. Ces liens se sont ainsi peu à peu soudés entre les Etats de l'Afrique de l'Ouest divisés depuis les indépendances par leurs différentes expériences coloniales, les clivages linguistiques et culturels ainsi que des systèmes juridiques et administratifs différenciés. La création de la CEDEAO vient dans la même logique renforcer cette volonté de s'unir. Ainsi, créée par le Traité de Lagos le 28 Mai 1975, la CEDEAO regroupe à l'origine seize Etats à savoir : le Bénin, le Burkina Faso, le Cap Vert, la Côte d'Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée Bissau, le Libéria, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Léone et le Togo12(*). Le nombre des Etats est à présent ramené à quinze suite au retrait de la Mauritanie en 200113(*). Aussi faut-il signaler que les Etats membres de la CEDEAO occupent une superficie de 5,1 millions de km2 soit 17% de la superficie totale du continent et avec une population estimée en 2006 à 261, 13 millions d'habitants14(*).

Dans ce vaste espace, la CEDEAO a pour mission de promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l'activité économique, d'abolir, à cette fin, les restrictions au commerce, de supprimer les obstacles à la libre circulation des personnes, des biens et des services, et d'harmoniser les politiques les politiques sectorielles régionales. A travers la création de la CEDEAO et plus particulièrement la définition de ses objectifs, les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont su dépasser leurs différences idéologiques quant à la manière de penser et de réaliser l'intégration régionale. Pour rendre compte de ce débat, il convient de rappeler d'abord le contexte d'adoption du traité de 1975 (Paragraphe 1). C'est à ce titre que d'aucuns considèrent que ces controverses idéologiques sont à l'origine du caractère « limité » des buts et objectifs de l'organisation internationale tels que définis par le traité de 1975 (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le contexte d'adoption du Traité de 1975.

A. Les querelles de leadership sous-régional

En dépit des efforts de regroupement déployés par les Etats ouest-africains dans le domaine de la coopération économique, il faut dire qu'au moment de la création de la CEDEAO, certaines réticences pèsent encore dans la volonté politique des Etats quant à la formule d'intégration à adopter. A cet effet, deux tendances idéologiques peuvent être distinguées. D'une part, les partisans d'une intégration « totale », politique prônent un transfert important de souveraineté pour la future organisation. Les principaux tenants de cette formule sont le Sénégal, le Ghana et à certains égards le Nigéria. Et d'autre part, le courant mené par la Côte d'Ivoire se caractérise par un certain scepticisme à l'égard des formes de regroupement ambitieuses, c'est-à-dire celles qui impliquent le plus de transferts de souveraineté.

D'une certaine manière, cette divergence de points de vue sur la modalité de réalisation de l'intégration trouve ses origines dans une querelle de leadership entre les quatre plus grands promoteurs de l'intégration dans la région15(*). Le Sénégal, nostalgique d'une position prestigieuse qu'il occupait dans l'ex Afrique occidentale française, veut s'imposer comme leader dans le processus de regroupement dans la région avec la création de la Fédération du Mali. Le Président Senghor avait ainsi voulu « la réalisation d'une unité africaine dans le cadre d'une République Fédérale dont la Fédération du Mali constitue la première étape16(*).

Le leadership ghanéen se manifeste par les visions panafricanistes de son président Kwame N'KRUMAH. La vision politique de ce dernier est exprimée dans son ouvrage au titre si révélateur : « Africa must be united » ou « L'Afrique doit s'unir ». Au demeurant, le Ghana peut aussi revendiquer la paternité de la première initiative de regroupement d'Etats souverains dans la sous région, l'Union des Etats de l'Afrique de l'Ouest (UEAO) créée en Novembre 1958.

Le Nigeria quant à lui s'appuie tout simplement sur sa puissance économique et démographique pour s'attribuer un rôle de leader dans le processus d'intégration dans la sous-région. C'est surtout l'occasion en 1975 pour lui d'intégrer véritablement une organisation ouest africaine. En effet, les précédents regroupements à savoir l'UMOA ou la CEAO essentiellement francophones avaient pour vocation de sauvegarder le pré-carré français et surtout de contrer le poids du Nigéria dans la région.

Ainsi donc, le Sénégal, le Ghana et le Nigéria favorables à une intégration très poussée ont fait front au leadership ivoirien hostile à un tel processus. En réalité, l'attitude ivoirienne peut s'expliquer par le comportement en général de certains Etats relativement bien pourvus par la nature qui refusent à se joindre à des communautés inégalitaires et nécessairement redistributrices. Pour faire échec aux ambitions du Sénégal et du Ghana, la Côte d'Ivoire initie l' « Union Sahel - Bénin » et le « Conseil de l'Entente » pour concrétiser ses réticences à l'égard de toute construction supranationale.

B. L'historique de l'adoption du traité de 1975

Le concept de la création d'une communauté de l'Afrique de l'Ouest remonte à 1964 et au président libérien William Tubman qui en a lancé l'idée. Un accord a été signé entre le Libéria, la Côte d'Ivoire, la Guinée et la Sierra Leone en février 1965, mais celui-ci n'a pas abouti. En 1972, le général Gowon du Nigéria et le général Eyadema ont relancé ce projet, et ont rendu visite à douze pays, leur demandant leurs contributions pour la réalisation du projet. Une réunion a été organisée à Lomé en vue d'étudier une proposition de traité. Une réunion d'experts et de juristes s'est tenue à Accra en janvier 1974 ainsi qu'une réunion de ministres à Monrovia en janvier 1975. Ces deux conférences ont examiné soigneusement la proposition de traité. Finalement, quinze pays d'Afrique de l'Ouest ont signé le traité pour une communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest le 28 mai 1975 à Lagos. Les protocoles établissant la CEDEAO ont été signés à Lomé au Togo le 5 novembre 1976.

A la suite de l'UDAO et de l'UDEAO, la CEDEAO vient poursuivre l'oeuvre d'intégration économique de la sous-région comme le témoignent les buts et objectifs de la CEDEAO.

Paragraphe 2 : Les objectifs et missions de la CEDEAO.

A. Les buts et objectifs de la CEDEAO

Les buts et objectifs de la CEDEAO tels que définis par le Traité de 1975 sont essentiellement de l'ordre de la coopération. C'est ce qui ressort des dispositions de l'article de 2 du Traité de 1975 qui dispose que « le but de la communauté est de promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l'activité économique »17(*). Par conséquent, si donc le Traité de 1975 fait référence à la coopération, cela signifie que les Etats membres ont décidé de mettre en oeuvre une politique destinée à rendre plus intimes leurs relations dans le domaine économique grâce à des mécanismes permanents sans renoncer pour autant à leur souveraineté et à leur indépendance. C'est donc à juste titre que l'alinéa 3 du Préambule du Traité de 1975 met un accent particulier sur « l'intégration économique »18(*).

Etant essentiellement une organisation d' « intégration économique », la CEDEAO vise en vertu de l'article 3 de son traité constitutif à «promouvoir la coopération et l'intégration dans la perspective d'une Union économique de l'Afrique de l'Ouest en vue d'élever le niveau de vie de ses peuples, de maintenir et d'accroître la stabilité économique, de renforcer les relations entre les Etats membres et de contribuer au progrès et au développement du continent africain. »19(*)

B. Les missions de la CEDEAO

A travers ces objectifs, il se dégage plusieurs missions devant être assumées par l'organisation régionale et qui pouvant être présentées de la manière suivante :

- Coordonner les stratégies de développement dans les pays membres ;

- Favoriser la libre circulation des biens et des personnes entre les pays membres ;

- Eliminer progressivement les droits de douanes entre les pays membres ;

- Construire les infrastructures régionales de transport et de communication pour permettre la libre circulation des personnes et des biens ;

- Doter la communauté d'une monnaie unique à long terme ;

- Promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines ;

- Créer une union économique et monétaire et promouvoir le secteur privé ;

- Elaborer une politique économique commune et développer les communications ainsi que l'énergie et la recherche agro-industrielle.

- Dans la poursuite de ces objectifs, les Etats membres déclarent solennellement leur adhésion aux principes fondamentaux de l'organisation tels que :

- L'égalité et l'indépendance des Etats membres ;

- La solidarité et l'autosuffisance collective ;

- La coopération inter-Etats, l'harmonisation des politiques et l'intégration des programmes ;

- La non-agression entre les Etats membres ;

- Le maintien de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales par la promotion et le renforcement des relations de bon voisinage20(*) ;

Pour la réalisation de ces objectifs, l'organisation s'est dotée de moyens financiers, humains et techniques. Notre étude s'inscrivant dans une approche institutionnelle, il importe à présent de s'intéresser à la structure organisationnelle de la CEDEAO afin de démontrer comment les Etats membres s'y impliquent.

Du cadre institutionnel et du fonctionnement de la CEDEAO

S'il est vrai que la CEDEAO est une organisation à vocation économique, cela ne justifie pas pour autant que les études portées sur cette organisation ne se limitent qu'à cette seule dimension économique. Or, il est apparu que l'analyse institutionnelle d'une organisation peut aussi contribuer à l'amélioration de ses rendements. C'est à ce titre que Soldatos considère que la mécanique institutionnelle devrait être en relation directe et proportionnelle avec la nature, l'ampleur et la portée des matières à intégrer. Autant un cadre institutionnel fort, compte tenu de la finalité intégrative ultérieure, peut-il jouer le rôle de «locomotive » ou de levain, autant un système institutionnel et décisionnel faible ou d'un niveau moyen ne peut-il que difficilement entretenir une dynamique intégrative ascendante21(*).

En la matière, la CEDEAO présente une multitude d'institutions (Section 1) qui assure d'une manière ou d'une autre l'intégration des différents Etats membres et avec un mécanisme de fonctionnement singulier (Section 2).

Section 1 : Une multitude d'organes institutionnels

Le traité de 1975 ainsi que la version révisée de 1994 distinguent essentiellement deux catégories d'institutions. Nous pouvons distinguer d'une part les institutions politiques et judiciaires (Paragraphe 1) et d'autre part les institutions économiques et les commissions techniques (Paragraphe 2).

Paragraphe 1: Les institutions politiques et judiciaires.

La conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, le conseil des ministres, le secrétariat exécutif ainsi que le parlement constituent les principaux organes politiques de la communauté (A). Par contre, la cour de justice de la CEDEAO représente le seul organe judiciaire de la communauté (B).

A. Les organes politiques

· La Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement :

Elle est l'organe « suprême » de la communauté. Selon OMONIYI ADEWOYE, cette qualification « d'organe suprême » rend compte de la philosophie politique des Etats membres de la CEDEAO caractérisée par un manque de « constitutionnalisme »22(*). De ce fait, la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement constitue l'institution souveraine dans laquelle se concentrent tous les pouvoirs essentiels et importants de la communauté.

Selon l'expression de ADEWOYE, elle est la seule instance de « Policy making power ». c'est à ce titre qu'elle est chargée au titre de l'article 7 du Traité Révisé, de la détermination de la politique générale et les principales orientations de la Communauté, de donner des directives, d'harmoniser et de coordonner les politiques économique, scientifique, technique, culturelle et sociale des Etats membres, d'assurer le contrôle du fonctionnement des Institutions de la Communauté, ainsi que le suivi de la réalisation des objectifs de celles-ci ... ». Elle se réunit au moins une (1) fois par an et sa présidence est assurée chaque année par un Etat membre élu par la Conférence.

· Le Conseil des Ministres :

Il occupe le deuxième échelon dans la pyramide institutionnelle de la Communauté. Il est composé de délégués gouvernementaux notamment des Ministres des Affaires de la CEDEAO et d'un Ministre désigné par chaque Etat23(*). L'analyse de l'alinéa 3 de l'article 10 relatif aux fonctions du Conseil des Ministres révèle qu'il est chargé de veiller au fonctionnement et au développement de la Communauté. A cet effet, il donne des directives aux autres institutions communautaires relevant de son autorité et oriente ainsi les activités du Secrétariat ainsi que des organismes techniques et spécialisés. En outre, le Conseil des Ministres constitue à la fois un organe de décision et d'exécution. Ainsi, le Conseil des Ministres peut prendre à l'unanimité ou à la majorité des deux tiers de ses membres des « règlements »24(*).

· Le Secrétariat Exécutif

Il figure à la fois dans le Traité de 1975 et celui de 1993. Principal organe exécutif de l'organisation, le Secrétariat Exécutif est dirigé par un secrétaire exécutif assisté de secrétaires exécutifs adjoints. Ainsi, le Secrétaire exécutif est le premier responsable administratif de la communauté. Il est chargé à cet effet, de l'administration courante de la communauté et de toutes ses institutions. Nommé par la Conférence des Chefs d'Etats et de gouvernement pour un mandat de quatre (4) ans, renouvelable une fois, le secrétaire exécutif ne peut être démis de ses fonctions que par la Conférence des Chefs d'Etats sur recommandation du Conseil des Ministres.

Cependant, il faudrait relever une dernière évolution sur la place qu'occupe cet organe dans la pyramide institutionnelle de l'organisation régionale. En effet, lors du Sommet d'Abuja de 2006, les Chefs d'Etats et de Gouvernement ont approuvé une modification des institutions de l'organisation. Ainsi, le Secrétariat Exécutif est remplacé par une Commission25(*). Nous reviendrons dans les prochains développements sur l'opportunité de la création de cette nouvelle institution.

· Le Parlement de la Communauté

De prime abord, il faudrait dire que la création de cette institution parlementaire est révélatrice de la volonté d'incarner l'intégration et de l'ancrer dans l'existence quotidienne des Etats et des citoyens. Car l'existence des parlements suppose l'effacement des frontières par l'unité de la représentation des peuples. Elle peut de même attester le désir d'intégration au-delà de la simple coopération. Mais s'il est vrai que la création du parlement peut traduire une logique supranationale, en pratique, cette assemblée n'a aucun pouvoir de décision. Il ne peut que faire des recommandations en matière de Droits de l'Homme et émettre des avis sur certains sujets26(*). En outre, comme tout autre parlement, celui de la CEDEAO est chargé de voter les lois de la Communauté.

Ayant son siège à Abuja au Nigéria, il est composé des députés des différents Etats membres et plus précisément de cent vingt (120) membres désignés au sein des parlements respectifs des Etats membres, à raison de cinq (5) sièges au minimum par Etat, les quarante-cinq (45) autres étant répartis entre les Etats en fonction de leur population27(*). Le bureau du parlement est composé de cinq (5) membres au minimum et de dix (10) membres au maximum dont un président et quatre vices présidents. Ses plénières sont dirigées selon les dispositions du traité, du protocole, des décisions et règlements de la communauté notamment le Protocole du 6 Aout 1994 relatif au Parlement de la CEDEAO.

B. L'organe judiciaire de la communauté

La Cour de Justice de la Communauté représente l'organe judiciaire de la communauté. Elle a pour rôle d'assurer le respect du droit et du principe d'équité dans l'application et l'interprétation du traité constitutif de la communauté ainsi que les protocoles et conventions annexes. A cet effet, elle est compétente pour connaitre de tout différend pouvant lui être soumis par les Etats membres ou les institutions de la communauté conformément à l'article...du traité. Son Statut, sa Composition et ses Compétences sont définis par le Protocole AP du 1er Juillet 1991, relatif à la Cour de Justice de la CEDEAO.

En dehors de ces instances de « décision » ou de « conception » consacrées aussi bien par le Traité de 1975 que par sa version révisée de 1993, nous pouvons remarqué d'autres institutions à caractère économique et technique.

Paragraphe 2 : Les institutions économiques et techniques

Dans l'ordre des institutions économiques, nous pouvons énumérer le Conseil Economique et Social, et le Fond de Coopération, de Compensation et de Développement et la Banque d'Investissement et de Développement (A). Cependant, les institutions techniques sont spécialisées selon leur domaine d'activités (B).

A. Les institutions économiques

· Le Conseil Economique et Social de la Communauté

Il est institué par l'article 14 du traité révisé qui prévoit que le Conseil Economique et Social a un rôle consultatif et est composé des représentants des différentes catégories d'activités économiques et sociales.

· Le Fond de Coopération, de Compensation et de Développement (FCCD)

Il est chargé de financer les projets de développement et de fournir des compensations et indemnités aux Etats ayant subi des pertes dues aux dispositions du Traité de la communauté.

· La Banque d'Investissement et de Développement de la CEDEAO

La Banque d'Investissement et de Développement de la CEDEAO (BDIC) est une société holding28(*) qui détient des participations majoritaires dans ses deux filiales originelles à savoir la Banque Régionale d'Investissement de la BCEAO (BRIC) et le Fonds Régional de la CEDEAO (FRDC). Issue de la transformation du Fonds de la BCEAO en 1999, la BDIC a pour vocation de financer l'intégration et le développement des quinze (15) Etats membres de la Communauté dans les secteurs tels que les infrastructures, le développement économique mais aussi le domaine social, l'éducation, la santé, la bonne gouvernance, les conseils en matière de négociation avec les bailleurs de fonds, tout en impliquant le secteur privé.

B. Les institutions techniques

Pour ce qui est des commissions techniques, il faut dire qu'elles ont été intégralement reprises par le traité révisé de 1993. Leur rôle essentiel est de préparer des projets et programmes communautaires et de les soumettre à l'approbation du Conseil des Ministres et d'assurer l'harmonisation et la coordination des projets et programmes de la communauté. Il s'agit des commissions techniques pour :

ü L'alimentation et l'agriculture ;

ü L'industrie, Science et Technologie et Energie ;

ü L'Environnement et les ressources naturelles ;

ü Les transports, télécommunications et tourisme ;

ü Le commerce, douane, fiscalité, statistique, monnaie et paiement ;

ü Les ressources humaines, information, affaires sociales et culturelles ;

ü L'administration et les finances29(*) ;

Aussi, faut-il signaler qu'en matière de commission, le traité révisé de 1993 a apporté une innovation non négligeable. La révision du traité a été l'occasion de mettre sur pied d'une commission technique « affaires politique, judiciaire et juridique, sécurité régionale et immigration » ; le volet « juridique » et « judiciaire » n'existant pas dans le traité de 1975.

Toutes ces institutions politiques, économiques et techniques constituent l'arsenal institutionnel de la CEDEAO. L'efficacité de cet appareil institutionnel peut se vérifier à l'aune des réalisations effectuées par l'organisation régionale depuis sa création. Cet essai de perfectionnement organique peut aussi se justifier à travers le fonctionnement même de l'organisation.

Section 2 : Le fonctionnement de la CEDEAO

Les principes du fonctionnement de la CEDEAO, ayant déjà été évoqués dans le chapitre précédent30(*), nous nous intéresserons ici d'abord aux sessions et au personnel de la CEDEAO (Paragraphe 1). Ensuite, nous analyserons de façon pratique l'efficacité du cadre institutionnel de la CEDEAO depuis sa création jusqu'à nos jours (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les sessions et le personnel de la CEDEAO

A. Les sessions ordinaires de la CEDEAO

En ce qui concerne les sessions, il s'agira ici d'analyser seulement celles des instances décisionnelles de la Communauté à savoir la Conférence des Chefs d'Etat et de gouvernement et le Conseil des Ministres. Ainsi, selon l'alinéa 1 de l'article 8, « la Conférence se réunit en session ordinaire au moins une (1) fois par an. Elle peut être convoquée en session extraordinaire sur l'initiative de son président ou à la demande d'un Etat membre, sous réserve de l'approbation de cette demande par la majorité simple des Etats membres. ». Conformément à cette disposition, la CEDEAO a tenu sa trentième (30ème) session ordinaire en 2006. Mais depuis 2007, la CEDEAO tient désormais deux sessions ordinaires : la première dans le mois de janvier et la seconde au courant du mois de Juin. Cependant, aucune disposition formelle ne définit le profil du pays d'accueil des sessions ordinaires. Toutefois, il est de tradition dans la pratique de l'organisation que le pays qui assure la présidence de l'organisation accueille la session ordinaire.

Conformément à l'alinéa 1 de l'article 9 du Traité révisé, la Conférence des Chefs d'Etats peut prendre des « décisions »31(*). Toutefois, les deux textes ne précisent aucunement la définition de la notion de « décision », acte de la Conférence des Chefs d'Etats. Mais la constance en Droit International est que la décision est un acte essentiellement impératif. A l'évidence, la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement ne peut ou ne doit agir que selon un mode autoritaire.

Le Conseil des Ministres, quant à lui, se réunit aux termes de l'article 11 du Traité révisé « ... au moins deux fois par an en session ordinaire. L'une de ses sessions précède immédiatement la session ordinaire de la Conférence. Il peut être convoqué en session extraordinaire à l'initiative de son président ou à la demande d'un Etat membre, sous réserve de l'approbation de cette demande par la majorité simple des Etats membres. ». La dernière session du Conseil des Ministres s'est tenue à .... En outre, faudrait-il retenir que la Conseil des Ministres est chargé de formuler des recommandations à la Conférence des Chefs d'Etats et de gouvernement sur les questions visant la réalisation des objectifs de la communauté. Il émet des directives pour les affaires concernant la coordination et l'harmonisation des politiques d'intégration économique et peut demander des avis à la cour de justice sur des questions relatives à la légalité des actes des institutions spécialisées.

B. Le personnel de la CEDEAO

Pour ce qui est du personnel de la CEDEAO, celui-ci est composé des fonctionnaires ressortissants des Etats membres. Ceux-ci sont recrutés suivant des critères techniques par avis d'appel d'offre et selon une répartition géographique équitable entre tous les Etats membres. C'est du moins ce qui ressort de l'alinéa 4 de l'article 18 du traité révisé qui dispose que « ... lors de la nomination du personnel professionnel de la communauté, il sera dûment tenu compte en plus des conditions d'efficacité et de compétences techniques, d'une répartition géographique équitable des postes entre les ressortissants de tous les Etats membres ».

Cependant, le Secrétaire Exécutif, qui est le principal fonctionnaire de la communauté, est nommé par la Conférence pour une durée de quatre (4) ans renouvelables une fois.

Au terme de la présentation du cadre institutionnel de l'organisation régionale, il apparaît aussi crucial de porter un regard critique sur le rendement des institutions étudiées. Ainsi, trente-cinq ans après la création de la CEDEAO, quel bilan pouvons-nous faire dans le domaine de la réalisation des objectifs de la communauté ?

Paragraphe 2 : Analyse sur l'efficacité du cadre institutionnel de

la CEDEAO

Pour prendre la mesure de l'efficacité du cadre institutionnel de la CEDEAO, il faudrait se référer d'une part aux réalisations accomplies par l'organisation depuis sa création (A) et d'autre part à ses chantiers futurs (B).

A. Les réalisations de la CEDEAO

Dans le cadre des réalisations de la CEDEAO, il faudrait retenir que beaucoup d'efforts ont été déployés pour la réalisation des objectifs de la communauté. Ces réalisations remontent surtout à la décennie 1990 pendant laquelle le traité constitutif de l'organisation a connu une révision. Les réformes institutionnelles apportées par le Traité révisé ont permis certaines réalisations pratiques des objectifs de la communauté. Le schéma de libération des échanges de la CEDEAO a connu un démarrage d'application à partir de cette décennie. C'est ainsi qu'à ce jour, 2627 produits industriels fabriqués par 897 entreprises de la communauté ont été agréés au schéma de libéralisation des échanges.

En plus, les Chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé de l'extension du tarif extérieur commun (TEC) de l'UEMOA à l'ensemble de la CEDEAO. Dans le cadre de la mise en application de cette décision, des mesures nécessaires ont été prises pour parvenir à l'adoption d'un tarif extérieur commun (UEMOA/CEDEAO) au cours de la période 2005-2008. En outre, des mécanismes de financement de la communauté ont été établis notamment par le biais d'un prélèvement sur la valeur totale des importations des pays tiers. Aussi, la coopération entreprise par la communauté avec de nombreux bailleurs de fonds (Union Européenne, France, les institutions de Bretton Woods, USAID, Club du Sahel, etc.) a-t-elle permis le financement et la réalisation de nombreux projets multisectoriels.

En outre, il a été prévu de mettre en place ou de renforcer les mécanismes de prévention et de résolution des conflits intra-étatiques ou interétatiques. A titre illustratif, nous pouvons évoquer la mise en place d'une force d'interposition, le groupe de contrôle de la communauté économique des Etats de l'Afrique de l'ouest (ECOMOG) et les nombreuses missions opérations réalisées par cette force au Libéria (1990-1999), en Sierra-Léone (1997-2000) et en Guinée (1998-2000).

B. Les chantiers de la CEDEAO

Nonobstant ces efforts, il faudrait dire que certains obstacles subsistent encore dans certains secteurs d'intervention de la CEDEAO. Le programme communautaire en matière de liberté de circulation, de résidence et d'établissement des citoyens de la CEDEAO a subi une succession de revers depuis son lancement et faute de ratifications nécessaires, son entrée en vigueur demeure parcellaire dans la communauté. Mais sur les routes inter-Etat, d'innombrables postes de douanes et de gendarmeries sont apparues et participent à une grande corruption. Les pays enclavés, comme le Niger ou le Burkina Faso en font les frais.

La route nationale Cotonou -Niamey, longue de 1 036 km, empruntée par les camions de transit, est jonchée d'une trentaine de postes de contrôle. Entre le port de Lomé et Ouagadougou, 989 km, la situation est identique malgré l'engagement pris par les Etats côtiers de remédier à cette situation et malgré aussi la création des Comités nationaux de suivi des programmes de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des transports.

En plus, le projet de création d'une zone monétaire unique à l'horizon 1994, puis reporté à l'horizon 2000 n'a aucunement progressé depuis son adoption en 1983. Pour preuve, jusqu'à ce jour, tous les Etats de la CEDEAO ne font pas encore partie de l'UMOA, une autre organisation en charge de la réalisation de la zone monétaire unique dans la sous-région ouest-africaine.

La convergence des politiques économiques et financières, semble pour l'instant, un objectif difficile à atteindre au vu des énormes disparités qui existent, par exemple entre le Nigeria et le Liberia, tout juste sorti d'une guerre civile de dix ans. Par ailleurs, s'il est vrai que la CEDEAO a été mandatée par son traité constitutif de la réalisation d'une intégration économique entre les Etats de la sous-région, trente-cinq ans après la création de cette organisation, la part du commerce intra-régional officiel dans les exportations demeure insignifiante : le commerce et les échanges à l'intérieur de l'espace sont restés très faibles et n'atteignant que péniblement le seuil de 11% par rapport au commerce32(*).

Selon l'avis de nombreux analystes, cette contre-performance est liée à certains égards aux déficiences du cadre institutionnel de l'organisation. Ces déficiences peuvent aller du simple manque de coordination entre les organes décisionnels et d'exécution de l'organisation jusqu'au manque de volonté politique imputable aux Etats membres. Mais de cette étude sur l'évolution historique du processus d'intégration régionale en Afrique de l'ouest, que pouvons-nous retenir en conclusion ?

CONCLUSION PARTIELLE

En somme, il faudrait dire que les essais de regroupement des Etats de l'Afrique de l'Ouest remontent à la période coloniale. A ce titre, la grande Afrique Occidentale Française (AOF) voulue et réalisée par l'ex-puissance colonisatrice est bel et bien illustrative de ces propos. Même après leur accession à la souveraineté internationale en 1960, les Etats ouest-africains n'ont pas rompu avec cette tendance orientée vers la réalisation des regroupements étatiques. Plusieurs tentatives de regroupements verront le jour dans cette partie du continent.

Mais les plus importantes remontent aux années 1959 et 1966 pendant lesquelles les Etats ont mis en place deux unions douanières : l'UDAO et l'UDEAO en vue d'accroître et d'intensifier leur coopération économique. Ces deux Unions ont permis plus tard en 1972 la création d'une CEAO un peu plus ambitieuse que les précédentes initiatives. Cependant, il faudrait remarquer que ces différentes initiatives quoique très louables ont souvent été très parcellaires c'est-à-dire ne regroupant pas tous les Etats de la sous-région. C'est ainsi qu'en 1975, les seize Etats de la sous-région vont mettre de côté leurs différends et leur « égoïsme » et créer une organisation plus complète et plus vaste : la CEDEAO. Cette dernière une fois de plus était orientée vers l'intégration économique, préalable indispensable à la mise en place à long terme d'une organisation supranationale et politique.

Trente-cinq ans après la création de la CEDEAO, le bilan de ses réalisations au regard de ses objectifs reste mitigé en dépit de ses nobles ambitions et de son cadre institutionnel a priori bien pourvu.

Ainsi, il est donc patent que la CEDEAO est mise à l'épreuve en ce qui concerne l'efficacité pratique de son cadre institutionnel. Il importe donc d'analyser les causes et les éventuelles solutions en vue de résorber cette contre-performance.

La CEDEAO, une organisation mise à l'épreuve

Face à la mondialisation sans cesse accrue de la société interétatique, il importe pour la CEDEAO de s'acclimater avec cette nouvelle donne afin de permettre à ces Etats membres de mieux s'insérer dans l'économie mondiale et assurer un véritable développement de ceux-ci. Pour atteindre cet idéal, il est impératif pour l'organisation régionale de dépasser la simple intégration économique voulue par son traité constitutif afin de pouvoir engager tous les domaines de compétence étatiques et entrainer un certain partage de souveraineté. Seulement, le cadre institutionnel de l'organisation ne permet pas vraiment le passage à la dimension supranationale.

Dans cette partie, nous procéderons d'abord à un diagnostic des insuffisances institutionnelles et des défis politiques auxquels est confrontée la CEDEAO dans son élan vers l'intégration politique (Chapitre 1). Ensuite, à l'issue de cette analyse, des réformes seront proposées afin de permettre la réalisation de l'intégration politique à travers la CEDEAO (Chapitre 2).

Des insuffisances institutionnelles aux défis politiques

Le diagnostic des insuffisances et des défis politiques dont souffre la CEDEAO se fera dans une logique comparative entre le cadre institutionnel de ladite organisation et celui de l'Union Européenne. Le choix de cette démarche méthodologique se justifie par le fait les communautés économiques régionales (CER) en Afrique sont la plus part du temps des copies conformes d'autres modèles d'organisations venus d'ailleurs. Les initiatives d'intégration africaine n'étant pas la plus part du temps des projets endogènes, c'est-à-dire nés d'une volonté politique autonome et non soumise à une pression extérieure déterminante, on assiste très souvent à un mimétisme institutionnel dans la configuration institutionnelle des CER africaines. De ce fait, le cadre institutionnel de ces CER n'est pas toujours compatible avec les réalités sociales ou politico-économiques des Etats membres.

Ce qui occasionne au final des dysfonctionnements ou des contre-performances au niveau du rendement de ces CER. La CEDEAO, quoiqu'étant l'initiative la plus avancée en matière d'intégration régionale sur le continent africain, ne fait pas exception à ce constat. Ainsi, certaines insuffisances institutionnelles (Section 1) peuvent être décelées autant dans son traité originel de 1975 que dans la version révisée de 1994. A ces insuffisances institutionnelles viennent s'ajouter des défis politiques (Section 2) qui s'imposent aujourd'hui à la pratique même de l'organisation régionale.

Section 1 : Les insuffisances institutionnelles de la CEDEAO

Le premier handicap du cadre institutionnel de la CEDEAO est manifestement la quasi inexistence d'organes intégrés du moins le caractère embryonnaire de ceux existants (Paragraphe 1). D'une certaine manière, ce caractère embryonnaire résulte du fait que les organes de la CEDEAO fonctionnent dans une logique inter-gouvernementaliste (Paragraphe 2) en ce qu'ils ne sont composés que de délégués et représentants gouvernementaux. Or, dans le cas de l'Union Européenne, par exemple, les organes communautaires sont composés d'agents internationaux indépendants vis-à-vis des gouvernements.

Paragraphe 1 : Le caractère embryonnaire des organes intégrés

De prime abord, il faudrait signaler que les organes intégrés sont des institutions communautaires dans lesquelles les Etats membres s'y impliquent à travers les prises de décision, l'exécution et le suivi des actes communautaires. Dans la structure organisationnelle de la CEDEAO, deux organes peuvent ainsi être qualifiés d'organes intégrés. Il s'agit du secrétariat général et de la cour de justice de la communauté. Les infirmités de ces institutionnelles sont respectivement l'inadaptation du secrétariat exécutif aux objectifs de l'intégration régionale (A) et d'autre part le caractère limité des compétences de la cour de justice (B).

A. L'inadaptation du secrétariat général aux objectifs de l'intégration régionale

Ce handicap résulte sans doute de la faible portée des prérogatives accordées à cet organe. En effet, l'analyse de l'article 20 du traité révisé révèle que le secrétariat exécutif n'est rien d'autre qu'un organe technico-administratif chargé de l'administration courante de la communauté et de ses institutions. L'article 19 du traité révisé qualifie même le secrétaire exécutif de « principal fonctionnaire exécutif » de la communauté. Dans cette mesure, le secrétariat général est chargé de suivre constamment le fonctionnement de la communauté et d'en rendre compte au conseil des ministres et à la conférence des chefs d'Etats à travers des rapports d'activités réguliers. De ce fait, le secrétariat général est lourdement handicapé par une absence manifeste d'un pouvoir réel en matière de prise de décision.

Cette absence de pouvoir de décision fait que le secrétariat exécutif n'est rien d'autre qu'un organe sous tutelle politique de la conférence des chefs d'Etats et du conseil des ministres. Dans un tel environnement institutionnel, le secrétariat exécutif ne peut véritablement pas jouer le rôle de levier de l'intégration régionale à l'instar de la commission de l'Union Européenne composée de technocrates indépendants. La force de la commission de l'Union Européenne est qu'elle constitue une représentation autonome et détient des compétences d'initiative, de contrôle et d'exécution. Ainsi, contrairement au secrétariat exécutif de la CEDEAO qui ne joue qu'un rôle technico-administratif, la commission de l'UE par contre représente un véritable contrepoids par rapport au conseil des ministres et à la conférence des chefs d'Etats.

Par conséquent, l'absence d'un tel organe exécutif intégré dans le cadre institutionnel de la CEDEAO fait que le poids des Etats membres dans les rouages de la communauté tend à freiner les initiatives et les innovations intégratives. C'est à ce titre que le secrétariat exécutif présente un caractère embryonnaire et de ce fait cet organe ne peut pas jouer son rôle de pivot dans les projets d'intégration dans la communauté. C'est le même constat qui se dégage de l'analyse du fonctionnement de l'organe garant de l'ordre juridique de la communauté à savoir la cour de justice de la CEDEAO.

B. La cour de justice de la CEDEAO, une juridiction à compétence limitée.

La création d'une cour de justice par le traité révisé de 1994 témoignait de l'intérêt que les Etats membres accordaient à la dimension juridique de l'intégration33(*). Dans ce sens, la cour de justice devrait assurer le respect du droit dans l'interprétation et l'application des dispositions du traité constitutif ou le règlement des différends. Ainsi, elle devrait être en principe le catalyseur de l'intégration régionale comme cela a été le cas de la cour de justice des communautés européennes34(*). Cependant, la cour de justice de la CEDEAO ne joue pas effectivement ce rôle catalyseur dans la promotion du droit communautaire du fait qu'elle souffre de trois déficiences particulières.

Il s'agit d'abord du domaine de compétence très limité de la cour de justice de la communauté. En effet, selon les articles 11 et 56 du protocole relatif à la cour de justice, la compétence de celle-ci s'étend au règlement des différends qui surgissent entre les Etats membres, excluant de ce fait les litiges entre la communauté et les Etats membres, les litiges entre les institutions et les litiges entre des particuliers (personnes physiques ou morales) et la communauté. Or, il apparaît que la cour de justice pourrait efficacement garantir le droit communautaire en étant compétente pour trancher une gamme plus large de litige. Signalons cependant qu'en Janvier 2005, lors du sommet des chefs d'Etats réuni à Accra au Ghana, il a été adopté un amendement introduisant la possibilité pour les individus de saisir directement la cour après épuisement de toutes les voies de recours contentieuses ou arbitrales au plan interne.

La deuxième carence de la cour de justice de la communauté est relative à son indépendance. En effet, l'alinéa 2 de l'article 15 du traité révisé précise que la composition, le statut ainsi que la compétence de la cour doivent être déterminés par un protocole y afférent. Etant donné que seule la conférence des chefs d'Etats est à même d'adopter ce protocole, cette disposition diminue l'autonomie de la juridiction communautaire dans la mesure où elle fait dépendre la fixation et les modifications de son statut d'un organe politique inter-gouvernemental. Cette situation compromet inéluctablement l'indépendance de la justice vis-à-vis de la politique.

Le dernier défaut institutionnel de la cour de justice de la CEDEAO réside dans les mécanismes de règlement des différends définis par le protocole de la cour de justice de la CEDEAO. Aux termes de l'article 56 du protocole de la cour de justice, tout litige ou différend au sujet de l'interprétation ou de l'application du droit communautaire est réglé à l'amiable par accord direct entre les parties en cause. Ce n'est que lorsque les parties ne parviennent pas à régler ledit litige ou différend que l'une d'entre elles peut en saisir la cour de justice de la communauté. L'inconvénient de cette procédure est de fragiliser le fonctionnement du système communautaire car l'obligation de passer au préalable par un règlement diplomatique bilatéral des litiges nés de l'interprétation ou de l'application du traité communautaire introduit des risques d'affecter l'uniformité du droit communautaire.

Hormis le secrétariat exécutif et la cour de justice, les organes décisionnels de l'organisation comme la conférence des chefs d'Etats et le conseil des ministres comportent aussi des insuffisances institutionnelles. Celles-ci ont trait à l'inter-étatisme accru qui caractérise ces organes. On y remarque en effet la prépondérance de l'inter-gouvernementalisme.

Paragraphe 2 : La prépondérance de l'inter-gouvernementalisme

Ce handicap est beaucoup plus la résultante de l'absence de dimension supranationale dans les démarches d'intégration régionale entreprises au niveau de la sous-région et particulièrement à travers la CEDEAO. Dans une certaine mesure, cette prépondérance de l'inter-gouvernementalisme se justifie par le fait que la CEDEAO est à la base une organisation d'intégration économique. C'est pourquoi, les Etats membres sont beaucoup plus prudents et veulent toujours être présents dans les grandes instances décisionnelles de l'organisation afin de veiller à la sauvegarde de leurs intérêts particuliers. C'est donc à juste titre que l'inter-gouvernementalisme est beaucoup développé au niveau de la conférence des chefs d'Etats (A) et du conseil des ministres (B).

A. L'inter-gouvernementalisme au niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement

La prééminence de l'inter-gouvernementalisme au niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement résulte du fait que le traité constitutif de la CEDEAO place cet organe au sommet de la hiérarchie institutionnelle de l'organisation35(*). Or, il s'avère aussi que la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, comme son nom l'indique, n'est composée que « des chefs d'Etats et/ou de gouvernement des Etats membres »36(*). Cette tendance à accorder la primauté à un organe composé exclusivement de représentants gouvernementaux dans la pyramide institutionnelle rend manifestement compte de l'inter-gouvernementalisme qui prévaut au niveau de la CEDEAO.

Il s'en suit que l'organisation fonctionne beaucoup plus dans une logique interétatique. Dans un tel environnement, il est donc logique que les Etats membres rechignent à transférer des parts de leur souveraineté aux organes communautaires. Etant donné que les Etats membres tiennent à conserver une certaine tutelle politique sur le fonctionnement même de l'organisation régionale qui devrait en principe avoir une certaine autonomie politique de gestion afin de mieux servir les intérêts, non pas de quelques Etats membres « plus puissants », mais de l'ensemble de la communauté.

Un autre aspect nuisible de l'inter-gouvernementalisme au niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement réside dans la concentration de tous les pouvoirs essentiels et importants de la communauté dans cet organe. Aux termes de l'alinéa 2 de l'article 7 du traité révisé, la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement est « est chargée d'assurer la direction et le contrôle général de la communauté ... ». Il serait très dangereux de faire d'un organe aussi politique que la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, l'organe de conception, d'orientation et de contrôle de l'organisation régionale. En effet, dans la prise des décisions, les chefs d'Etats et de gouvernement seront toujours tentés de subordonner leurs préoccupations nationales à l'intérêt général communautaire et de ce fait, ils accorderont beaucoup plus d'importance à la dimension politique des projets intégrateurs plutôt qu'à la dimension technique qui devrait être mise en avant.

Mise à part la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement, l'inter-gouvernementalisme est aussi très accentué au niveau du conseil des ministres.

B. L'inter gouvernementalisme au niveau du conseil des ministres

Deuxième organe communautaire, le conseil des ministres est également composé de délégués gouvernementaux. Outre les ministres des affaires étrangères, le conseil des ministres peut réunir des ministres plus techniques ayant en charge l'industrie, les finances, le plan, les transports, les affaires sociales, la culture ou la justice, etc. Il s'agit a priori de technocrates ayant pour mission principale de veiller au fonctionnement et au développement de la communauté. Toutefois, une déficience institutionnelle non négligeable peut être décelée au niveau de cet organe. Cette déficience réside dans la dépendance du conseil des ministres à la conférence des chefs d'Etats et de gouvernements.

En effet, en matière de politique générale de la communauté, le conseil des ministres ne peut que formuler des recommandations à l'endroit de la conférence des chefs d'Etats ou ne peut agir que sur délégation de la conférence37(*). Ce manque d'autonomie décisionnelle a pour conséquence la faible propension du conseil des ministres à prendre des initiatives très novatrices de peur de voir ses décisions modifiées ou annulées par la conférence des chefs d'Etats. Pour Gonidec, il s'agit là d'une reproduction dans la sphère des organisations internationales africaines, de la structure des appareils d'Etats où les chefs d'Etats et de gouvernement détiennent la réalité du pouvoir et occupent une place centrale dans les constitutions nationales38(*).

Un autre handicap du conseil des ministres réside dans la périodicité de ses rencontres. En effet, l'article 11 du traité révisé prévoit deux sessions ordinaires par an dont l'une précédant immédiatement celle de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. Comparé à la pratique du conseil des ministres de l'Union Européenne, ce nombre est loin de faire le compte. Le conseil des ministres de l'Union Européenne tient en réalité cinquante à soixante sessions par an avec la participation soit des ministres des affaires étrangères soit celle des ministres spécialisés. Cette périodicité des sessions a l'avantage de veiller et de rendre compte l'application de certaines décisions prises au préalable.

Le diagnostic des facteurs justifiant les contre-performances de la CEDEAO ne se limitent pas seulement aux insuffisances institutionnelles. En effet, l'organisation est de plus en plus confrontée à des défis politiques qui n'étaient pas nécessairement prévus dans son traité constitutif.

Section 2 : Des défis politiques

Ces défis politiques ont trait à des thématiques qui n'étaient pas prises en compte au moment de la création de la CEDEAO. Mais la pratique actuelle de l'organisation oblige celle-ci à prendre position par rapport à ces questions. Il s'agit d'une part du problème de transfert de souveraineté (Paragraphe 1) et la prise en compte de la dimension sécuritaire dans l'intégration régionale (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La problématique de la souveraineté

L'efficacité de la CEDEAO nécessite réellement de la part des Etats membres un transfert conséquent de souveraineté aux organes et institutions communautaires. Cette condition devra permettre à l'organisation de véritablement réaliser l'intégration régionale en mettant la priorité sur les intérêts communautaires. Mais si de nombreuses tentatives de constitution formelle d'intégration régionale se sont soldées par un échec, cela est dû en grande partie à la réticence des Etats membres à consentir un certain partage de souveraineté. Ce constat se démontre à travers la consécration de la règle du consensus dans la prise des décisions (A) mais aussi au final par la faible portée de ces décisions (B).

A. La consécration de la règle du consensus

L'alinéa 2 de l'article 9 du traité révisé, relatif aux décisions de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement dispose : « sauf dispositions contraires du présent traité ou d'un protocole, les décisions de la conférence sont adoptées par consensus, à la majorité des deux tiers des Etats membres ». Cette consécration de la règle du consensus ou encore celle de l'unanimité tend à assurer le respect du principe de la souveraineté des Etats membres.

Car en effet, en vertu de la règle du consensus, aucune obligation ne peut être imposée à un Etat membre en dehors d'un engagement ou d'un acte exprès de volonté de sa part. Par la règle du consensus, la procédure de décisions aboutit en général à des solutions de compromis. C'est ce qu'exprime Quoc Dinh en soutenant que l'unanimité de façade que semble préserver le compromis, cache le plus souvent une coalition d'insatisfaits39(*). Le consensus permet donc de déguiser des désaccords entre les Etats membres. Les décisions prises dans une telle condition réduit considérablement la capacité d'impulsion et d'innovation des instances communautaires et ne peuvent pas entretenir ou renforcer la dynamique intégrative au sein de l'organisation.

Dans cette mesure, la question du partage de souveraineté apparaît comme un défi pour les Etats membres de la CEDEAO. Dans l'ordre des défis, il faut aussi relever la faible portée des décisions de l'organisation régionale.

B. La faible portée des décisions de l'organisation régionale

Cette faible portée des décisions régionales est d'abord une résultante de la règle du consensus. En effet, étant donné que les décisions sont prises par « compromis », les Etats ayant exprimé un désaccord lors de leur adoption ne sont pas toujours disposés à les appliquer convenablement. Cette tendance fragilise ainsi le cadre juridique de l'organisation. Ensuite, le second facteur pouvant justifier cette faible portée des décisions régionales réside dans le fait que les organes de la CEDEAO ne disposent pas d'une variété d'instruments juridiques dont la teneur normative est bien définie.

En effet, la conférence des chefs d'Etats ainsi que le conseil des ministres agissent par voie de directives et de décisions. Cependant, ni l'article 9, ni l'article 12 ne précisent la teneur normative des décisions de la conférence ni celle des règlements du conseil des ministres. Devant cette imprécision, il appartient donc à la conférence des chefs d'Etats et au conseil des ministres de déterminer les règles à suivre pour la notification, l'entrée en vigueur et l'application de leurs actes.

Comparativement, la pratique de l'Union Européenne laisse entrevoir une panoplie d'instruments juridiques utilisés par le Conseil et la Commission de l'Union Européenne. L'article 189 du traité de Rome distingue en effet des directives des règlements, des décisions et des recommandations. Au sommet de cette hiérarchie se trouvent les règlements qui ont une portée générale et impersonnelle comparable à celle d'une loi au plan interne. La directive quant à elle ne lie les Etats que sur le résultat final par contre la décision constitue un acte obligatoire pour les destinataires qu'elle désigne et n'a donc pas une portée générale comme les règlements. Enfin, les recommandations n'ont aucune force contraignante et ne sont que des instruments d'orientation.

De par cette analyse comparative, il apparaît que l'intégration régionale ne pourra significativement progresser que si les actes communautaires produisent des effets dans les Etats membres.

Paragraphe 2 : La dimension sécuritaire dans l'intégration régionale

La CEDEAO, qui est une organisation dont l'objet est économique40(*), a mis sur pied une Force Ouest africaine de Maintien de la Paix : l'ECOMOG. Dès lors, on peut s'interroger sur les bases légales des décisions prises par l'organisation dans le domaine sécuritaire. En effet, la dimension sécuritaire se pose dans l'organisation régionale en tant que problématique sous un double angle. Il se pose d'abord le problème de la base légale qui fonde la création de cette force puisqu'on constate un vide juridique avéré dans le traité constitutif (A). Ensuite, l'intégration de la dimension sécuritaire dans les objectifs de l'organisation s'impose comme une nécessité du fait d'un manque de coopération politique interétatique, condition sine qua non pouvant garantir la cohésion politique des Etats membres (B).

A. Le vide juridique originel

La pratique du maintien de la paix a véritablement vu le jour dans la CEDEAO dans les années 1990 avec la première crise libérienne. C'est lors de son 13ème sommet, à Banjul en mai 1990, que la CEDEAO, sous la pression du Président nigérian Babangida, a décidé de mettre en place un Standing Mediation Committee (SMC, soit Comité Permanent de Médiation), qui a alors reçu pour mandat de réfléchir aux moyens d'intervenir dans le conflit libérien lorsque celui-ci deviendrait trop menaçant pour la stabilité régionale. Cinq Etats composaient ce Comité : la Gambie, le Ghana, le Mali, le Nigeria et le Togo. C'est à l'issue de la troisième rencontre du SMC, le 7 août 1990 à Banjul, que le président gambien Dawda Jawara a annoncé le déploiement d'une force de maintien de la paix, dénommée ECOWAS Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG)41(*). D'aucuns estiment que la création de cette force d'intervention trouve son fondement à l'article 7 du traité constitutif. En effet, cette disposition précise les fonctions de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement mais en aucun cas il a été question d'attribution d'ordre militaire. Il serait tentant de rattacher la dimension sécuritaire aux prérogatives aussi générales que « la direction et le contrôle général de la communauté ... en vue du développement progressif de celle-ci et de la réalisation de ses objectifs »42(*). En réalité, ce rapprochement ne peut se justifier que par un abus de langage.

Certes, on peut rattacher la pratique du maintien de la paix à deux autres actes conclus par les Etats portant sur leur défense. Il s'agit du traité de non-agression du 22 avril 1978 et du protocole d'assistance mutuelle du 28 mai 1981. Pour le premier instrument, il s'agit bien comme son nom l'indique d'un « pacte de non-agression » qui ne saurait fournir une base légale à une opération de maintien de la paix. Pour ce qui est du deuxième instrument, outre que trois Etats membres de la CEDEAO n'étaient pas parties43(*) à ce protocole, celui-ci ne stipule que pour l'essentiel un engagement d'aide et d'assistance pour la défense contre une agression ou une menace d'agression44(*). Il en ressort que la première intervention menée par la CEDEAO reste difficilement justifiable en droit, du moins dans le droit originaire de l'organisation.

Car en, effet, la révision du traité de 1993 a permis de combler ce vide juridique originel notamment à travers les principes fondamentaux auxquels ont adhéré tous les Etats membres de l'organisation45(*). Il apparaît donc que la dimension sécuritaire est devenue une nécessité pour la CEDEAO.

B. La nécessaire intégration de la dimension sécuritaire dans l'intégration régionale

L'intégration de la dimension sécuritaire dans le processus intégratif apparaît comme une nécessité en ce qu'elle permet de créer un climat de confiance à travers la région. Si la conclusion du traité de non-agression de 1978 et celle du protocole d'assistance mutuelle de 1981 peuvent être perçues comme des préalables à la réalisation d'une politique régionale de sécurité collective, il faut déplorer aujourd'hui la faible application de ces instruments au moment où des tensions politiques continuent toujours de s'accentuer à l'intérieur des Etats membres.

Car de toute évidence, les tensions politiques intra-étatiques (Guinée en 2009, Côte d'Ivoire en 2002, Togo en 2005, Sierra Leone en 1997, Guinée Bissau 1998 - 1999, Libéria en 2003, Nigéria 2010, etc.) ou interétatiques (Crise de la Casamance entre le Sénégal et la Gambie) perturbent la réalisation des programmes d'intégration régionale. Cette instabilité politique contribue en même temps à retarder le développement et la croissance des Etats membres et constitue une incitation négative à l'investissement. Il est donc indispensable d'oeuvrer à la mise en place d'un système capable de sauvegarder et de garantir la paix et la sécurité de manière durable dans la région.

Pour terminer, la nécessaire intégration de la dimension sécuritaire dans la démarche intégrative s'explique aussi par un intérêt moins marqué de la communauté internationale face à la complexité grandissante des situations de crise dans la sous-région46(*). C'est donc pour cette raison que les Etats de sous-région, conscients de la réticence du conseil de sécurité des Nations à s'engager dans les crises politiques, ont décidé d'élaborer leurs propres mécanismes de maintien et d'imposition de la paix.

Face à tous ces enjeux, il urge de repenser la politique générale de l'intégration régionale en Afrique de l'ouest. Sinon, des réformes importantes doivent être envisagées afin d'accélérer le processus d'intégration dans la sous-région.

Approches de solutions pour la mise en oeuvre d'une véritable intégration régionale en Afrique de l'Ouest

La révision du traité constitutif de l'organisation en 1993 a constitué un véritable déclic dans la recherche des solutions aux différentes contre-performances de la CEDEAO. C'est pour dire que ce toilettage du traité originel a su réaliser d'importantes réformes dans la vision générale de la démarche d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest. On retiendra pour l'essentiel que la traité de 1993 a adopté une rupture par rapport à un certain passé représenté par le traité de 1975. Le renversement de logique qu'il opère est patent. Il traduit, en effet, le passage d'une vision interétatique à une vision supranationale. Les grandes réformes institutionnelles qui ont été adoptées, ont permis d'adjoindre à la dimension économique de l'intégration régionale, des questions d'ordre politique touchant le fondement même de la souveraineté des Etats membres.

Dans ce chapitre, il sera question d'identifier, à la lumière du modèle d'autres organisations d'intégration mieux réussies47(*), les principales innovations à adopter afin de mieux réaliser le passage de l'intégration économique à un modèle d'intégration politique. Ces innovations toucheront non seulement le cadre institutionnel même de la CEDEAO (Section 1) mais aussi et surtout les domaines politique et économique (Section2).

Section 1 : Les réformes institutionnelles

Pour attribuer une dimension supranationale au processus d'intégration régionale en Afrique de l'Ouest, la principale réforme institutionnelle à opérer consiste en la rupture avec la tradition de la prépondérance des organes inter-gouvernementaux sur les organes intégrés. Dans cette logique, ceux-ci devront bénéficier d'une indépendance totale dans leur fonctionnement. De ce fait, une importance particulière devrait être accordée au secrétariat exécutif qui, sans être à proprement parler un « secrétariat », constitue un véritable moteur du processus d'intégration régionale. Ainsi, le renforcement des organes intégrés doit constituer le premier chantier des réformes institutionnelles de la CEDEAO (Paragraphe 1). L'acquisition de la dimension supranationale doit se traduire aussi par la valorisation des engagements communautaires (Paragraphe 2) notamment à travers le mode d'adoption des décisions de l'organisation et surtout leur contrôle d'exécution.

Paragraphe 1 : Le renforcement des organes intégrés

Le renforcement statutaire de secrétariat exécutif déjà amorcé par le traité révisé de 1993 a connu une nouvelle évolution par le récent projet de la création de la commission de la CEDEAO (A). Dans cette même lancée, il doit être entrepris le renforcement des organes intégrés comme le parlement et la cour de justice afin de consolider le cadre démocratique de ces organes intégrés (B).

A. La création de la commission de la CEDEAO

Le projet de substitution de secrétariat exécutif par une « commission » à l'instar de l'Union Africaine ou de l'UEMOA permettra un réel renforcement de cet organe qui est resté depuis toujours sous la tutelle politique de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. La création d'une commission, « entité collective », dont l'existence et les pouvoirs sont voués à la défense de l'intérêt communautaire marquerait mieux l'autonomie et l'indépendance de l'organisation internationale vis-à-vis des Etats membres. En effet, le projet de la création d'une commission de la CEDEAO a été décidé par la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement réunie à Abuja en juin 2005. A la suite, le conseil des ministres avait retenu deux scénarios comportant respectivement une commission de neuf membres et une commission de quinze membres48(*). En référence à la pratique des commissions de l'Union Africaine et de l'UEMOA, chaque commissaire devrait être en charge d'un domaine déterminé.

Cette spécialisation est inéluctablement génératrice de valorisation pour tous les projets d'intégration de l'organisation. Dans le même temps, elle sera un gage de visibilité de l'organisation dans les Etats membres. Cependant, dans le but de mieux renforcer la supranationalité dans l'organisation, il devra être instauré au sein de la commission un système de rotation fondé sur l'équité et la transparence.

Au final, une telle réforme institutionnelle permettra à l'organisation de mieux s'adapter à l'environnement international et surtout de repositionner cette dernière vis-à-vis des populations de l'Afrique de l'Ouest qui jusque-là ne se sentent pas impliquées dans le processus d'intégration régional. L'implication des populations dans le processus d'intégration régionale passe aussi par la consolidation du cadre démocratique des organes comme le parlement et la cour de justice de la communauté.

B. La consolidation du cadre démocratique du parlement et de la cour de justice

Nous évoquerons dans ce volet les différentes institutionnelles pouvant permettre une forte implication des populations dans le processus d'intégration régionale. Dans ce sens, le parlement et la cour de justice de la CEDEAO apparaissent à notre sens comme les organes les plus à même d'atteindre cet objectif. Pour cela, ces organes doivent au préalable connaître certains réajustements techniques. Ces réajustements doivent permettre à ces organes de prendre en compte des questions relatives à la protection et à la sauvegarde des droits des populations des Etats membres. La création du parlement et celle de la cour de justice peuvent permettre d'assurer le respect des droits humains et surtout assurer la pleine participation des populations ouest-africaines au développement et à l'intégration régionale.

Pour ce qui est du parlement de la CEDEAO, il serait souhaitable de lui conférer non seulement des pouvoirs consultatifs mais aussi des pouvoirs de censure et de contrôle des actions de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. Afin de pouvoir jouer le rôle d'avant-garde dans la protection des droits de l'homme, le parlement devra aussi disposer d'un certain pouvoir de censure à l'endroit des gouvernements fautifs. Dans ce cadre, le parlement devra pouvoir déclencher des enquêtes internationales sur les atteintes aux droits de l'homme présumées ou dénoncées. Et sur la base des résultats, le parlement pourra requérir des poursuites contre les auteurs présumés de ces exactions. En outre, la désignation des membres du parlement devrait se faire par élection au suffrage universel au sein de chaque Etat. De la sorte, les populations des Etats membres pourront se sentir réellement impliquées dans le processus d'intégration régionale.

En ce qui concerne la cour de justice de la communauté, elle devrait voir son domaine de compétence élargi afin d'assurer une meilleure promotion et protection des droits de l'homme dans les Etats membres. Au lieu de se borner à ne connaitre que des litiges entre les Etats membres relatifs à l'interprétation et à l'application du traité, elle devrait, à l'instar de la cour européenne de justice, connaitre aussi des litiges entre Etats membres et la communauté, les litiges entre personnes privées, etc. Pour ce fait, les personnes privées doivent avoir un accès facile et direct à la juridiction. Or, cela semble difficile en l'état actuel de la procédure de saisine de la cour.

En effet, l'article 9 du traité ne réserve la possibilité de saisine de la cour qu'aux seuls Etats membres ou à la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement. Ce qui apparait très paradoxal car d'ordinaire, les cas de violation des droits de l'homme résultent souvent de l'action de l'Etat à l'endroit de ses citoyens ou ceux des autres pays. Il s'ensuit que les atteintes aux droits de l'homme seront plus souvent la préoccupation des individus ou des groupes d'individus que de l'Etat. D'où l'importance d'instaurer un mécanisme d'accès facile et direct des populations aux prétoires.

Paragraphe 2 : La valorisation des engagements communautaires

La réalisation d'une intégration régionale supranationale passe obligatoirement par la valorisation des engagements communautaires. Cette valorisation de l'expression de la volonté de l'organisation nécessite un nouveau mode d'adoption des décisions (A) qui devra rompre avec la logique interétatique qui a prévalu jusque-là dans la pratique de l'organisation. Dans le même temps, afin de mieux réaliser cette rupture, des sanctions doivent être adoptées en cas de manquement aux engagements communautaires (B).

A. L'adoption des décisions

Sous l'empire du traité de 1975, le mode de prise de décision au niveau de la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement et du conseil des ministres était l'unanimité ou le consensus. Il s'agit encore là de la manifestation des vues inter-étatistes jusque-là prédominantes. Afin de mieux rompre avec cette vision de l'intégration régionale, il faudra encourager l'adoption par le traité révisé de 1993 du mode majoritaire qui constitue en soi un progrès remarquable. En effet, les articles 9 et 12, relatifs à la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement et au conseil des ministres, disposent que les décisions sont adoptées « selon les matières, à l'unanimité, par consensus ou à la majorité des deux tiers des Etats membres ».

B. La sanction au manquement des engagements communautaires

La nécessité de la définition d'un mécanisme de sanction en cas de manquement aux engagements communautaires résulte de l'obligation à laquelle se sont astreints les Etats en adhérant à la CEDEAO. Cette nouvelle obligation définie dans le traité révisé est plus vigoureuse que le simple engagement minimal exprimé à travers l'article 3 du traité de 1975 qui disposait : « les Etats membres ne ménagent aucun effort pour planifier et orienter leurs politiques en vue de réunir les conditions favorables à la réalisation des objectifs de la communauté, en particulier, chaque Etat membre prend toutes les mesures requises afin d'assurer l'adoption des textes législatifs nécessaires à l'application du présent traité ». Il s'agit désormais, aux termes de l'article 5 du traité révisé, de « créer les conditions favorables à l'intégration ». Afin de mieux assurer le respect de cet « engagement général », deux innovations majeures ont été adoptées dans la pratique de l'organisation. La première innovation est relative à la modalité d'entrée en vigueur des actes communautaires.

Les conditions d'entrée en vigueur des normes communautaires échappent désormais aux Etats. Au terme de l'article 9 par.6 du traité révisé, les décisions prises par la conférence des chefs d'Etats et de gouvernement ainsi que les règlements adoptés par le conseil des ministres de la CEDEAO sont « exécutoires de plein droit soixante jours après la date de leur publication dans le Journal Officiel de la communauté ».

La seconde innovation porte sur l'adoption des sanctions applicables en cas de non respect des obligations communautaires. L'adoption d'un mécanisme de sanction dans une organisation de coopération qui s'est toujours illustrée par des traits inter-gouvernementaux rend compte de la nouvelle dimension supranationale adoptée par la CEDEAO. Au demeurant, il faut dire que le but poursuivi à travers ce mécanisme de sanctions n'a rien d'afflictif. Au contraire, ces sanctions doivent pouvoir amener l'Etat sanctionné à revenir à de meilleures dispositions et à rester dans la dynamique communautaire. C'est pourquoi, il est important d'instituer un caractère graduel et « maîtrisé » desdites sanctions. L'article 77 du traité révisé offre un cadre assez complet des sanctions applicables en cas de non respect des obligations de la communauté.

La gamme de ces sanctions peut aller de la suspension aux activités de la communauté, en passant par la suspension de décaissement pour les projets ou le rejet de toute candidature à certains postes. Mais il peut aussi de la suspension des concours dont l'Etat membre bénéficiait, en passant par le retrait des mesures positives qui lui étaient consenties. Ces sanctions peuvent être appliquées en cas de tout manquement aux « obligations de la communauté 49(*)». D'une manière générale ces manquements peuvent consister en un absentéisme aux sessions d'un organe ou une irrégularité dans le versement des cotisations, une lenteur dans la ratification des instrumentaux internationaux, ou encore, la pratique même des Etats membres c'est-à-dire leur comportement (Coup d'Etat, violations massives des droits de l'homme, etc.) ayant porté atteinte à l'oeuvre d'intégration.

Toutefois, il est évident que l'amélioration du droit communautaire à travers la densification institutionnelle et la valorisation des engagements communautaires, ne suffit pas pour donner un nouvel élan au processus d'intégration régionale. La perfection du droit communautaire doit s'accompagner d'une bonne volonté des Etats à créer un environnement politico-économique propice à l'intégration régionale.

Section 2 : Les perspectives politiques et économiques

Nous envisagerons dans cette section les différentes perspectives à entreprendre afin de créer un environnement politique et économique optimal pour la réalisation d'une véritable intégration régionale en Afrique de l'Ouest.

Paragraphe 1 : Les perspectives politiques

L'environnement politique de l'ensemble de la sous-région est un facteur crucial pour la réalisation de l'intégration régionale. Il urge alors d'oeuvrer pour la démocratisation des régimes politiques des Etats membres. A l'évidence, les Etats bénéficiant d'une légitimité démocratique paraissent mieux disposés à la concertation collective que les Etats autoritaires. Ainsi, en l'absence de volontés politiques internes pouvant assurer le processus de démocratisation des Etats membres, la coopération politique interétatique apparaît comme une alternative permettant d'atteindre ce but (A). Par ailleurs, afin de renforcer cette coopération politique, les Etats membres pourront envisager la définition d'une politique extérieure commune au niveau de la sous-région (B).

A. La coopération politique interétatique, condition de l'intégration régionale

De toute évidence, la solidité d'un processus d'intégration régionale dépend du degré d'implication des Etats membres et de la cohésion politique entre ces derniers. Les échecs passés de nombreuses initiatives d'intégration régionale en Afrique doivent beaucoup à l'instabilité politique des Etats membres. Il importe alors de renforcer la coopération politique entre les Etats en dehors du champ de l'organisation régionale.

Dans ce cadre, il faudrait encourager et surtout perpétuer les initiatives de médiation entreprises par certains politiques ayant permis de subjuguer certaines crises politiques dans la sous-région. De telles initiatives ont l'avantage non seulement de renforcer la coopération politique entre les Etats membres mais aussi d'assurer la stabilité politique interne des Etats membres et la pacification de leurs relations interétatiques. Cette dernière constitue également une seconde condition évidente pour donner quelque chance d'avenir au processus d'intégration dans la région. Car l'expérience a montré que des tensions interétatiques ont eu à gripper certaines initiatives de regroupement sur le continent. A titre illustratif, nous évoquerons les difficultés avérées dans les relations intra-maghrébines qui ne facilitent pas les progrès de l'UMA.

Pour finir, la nécessité d'une coopération interétatique est aujourd'hui d'actualité car elle permet d'instaurer un équilibre géopolitique dans la région. Il serait en effet légitime de penser que des déséquilibres géoéconomiques trop importants pourraient transformer la zone d'intégration en une zone d'influence géopolitique. De toute évidence, la CEDEAO est polarisée autour du Nigéria qui représente à la fois une puissance économique et démographique dans la communauté. Ainsi, une coopération politique entre les Etats membres pourra biaiser considérablement cette « hégémonie » nigériane au sein de la communauté. De cette façon, les Etats membres pourront être sur un même pied dans leurs relations dans l'organisation régionale. Au final, cette coopération politique devra aboutir à la définition d'une politique extérieure commune au sein de la communauté. La nouvelle logique supranationale adoptée par l'organisation régionale facilitera énormément la réalisation de cet idéal.

B. Vers une politique extérieure commune

La dimension supranationale de l'intégration régionale devra amener les Etats membres de la CEDEAO à unifier leurs points de vue à travers la définition d'une politique extérieure commune. Dans cette logique, il ne sera plus question de convergences sporadiques ou d'alliances occasionnelles mais plutôt de procéder à une institutionnalisation de ces alliances. Au reste, on peut retrouver dans le traité révisé une base à ce projet. Aux termes de l'article 85 de celui-ci, « les Etats membres s'engagent à formuler, et à adopter des positions communes au sein de la communauté sur des questions relatives aux négociations internationales avec les parties tierces ».

Quelques exemples peuvent être donnés à cet égard. Dans le cadre des opérations de maintien de la paix, la CEDEAO a pu se poser en interlocutrice de l'ONU. C'est une position unique que la communauté a toujours défendue en la matière. Dans ce contexte, il ne serait pas exagéré de soutenir que, de moins en moins, la définition de la politique sécuritaire dépend des Etats membres de l'organisation. Cette collaboration avec l'ONU atteste de la crédibilité naissante de la communauté dans le domaine de la préservation de la paix et de la sécurité internationales. En outre, la CEDEAO a noué en 2004 un partenariat avec le FMI dans le cadre des politiques de convergence macroéconomiques, des réformes fiscales et douanières ainsi que pour la mise en oeuvre du tarif extérieur commun et de la zone de libre échange de la CEDEAO.

A travers cette coopération, la CEDEAO devra représenter ses Etats membres en exprimant leur volonté dans les négociations avec le FMI. Ce sont autant d'exemples qui prouvent que c'est en s'exprimant d'une seule voix que les Etats membres de l'organisation sous régionale se font mieux entendre. L'autre pas à franchir consistera en l'érection d'organes permanents voués à l'exécution des politiques communes adoptées par les Etats membres.

Paragraphe 2 : Les perspectives économiques

Certes, l'intégration régionale doit passer par le renforcement du cadre juridique et institutionnel. Mais si ce dispositif technique ne coïncide pas avec une réelle intégration économique, il est évident que la structure d'intégration régionale apparaîtra comme une coquille vide. Il est donc indispensable que se développe en parallèle au processus d'intégration régionale, une intégration économique comme l'a illustré depuis le traité de Rome le scénario européen50(*). En Afrique de l'ouest, la CEDEAO et l'UEMOA sont deux organisations à vocation économique qui oeuvrent chacune selon ses objectifs à la réalisation de cette intégration économique. Cependant, l'analyse des textes fondateurs de ces organisations laisse entrevoir plusieurs similitudes de chantiers intégrateurs. Ces similitudes, loin d'être une force pour l'intégration régionale de la sous-région, entraînent au contraire une concurrence entre les deux organisations. C'est pourquoi, une complémentarité entre la CEDEAO et l'UEMOA doit être recherchée afin de réaliser la pleine intégration économique de la sous-région (A). A travers cette complémentarité, on pourrait envisager à long terme une intégration unique (B).

A. La complémentarité entre la CEDEAO et l'UEMOA

La complémentarité entre ces deux organisations peut être rendue possible grâce quasi-identité des objectifs qu'elles poursuivent. En effet, selon l'article 4-C du traité de l'Union, celle-ci poursuit la création entre les Etats membres d'un marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des biens, des services, des capitaux et le droit d'établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée, ainsi que sur un tarif extérieur commun et une politique commerciale commune. Ces mêmes objectifs se retrouvent aussi dans l'article 3 paragraphe 2 du traité révisé de la CEDEAO qui énonce les objectifs de la communauté.

Mais c'est surtout le chapitre IX du traité révisé qui permet de véritablement rendre compte de la similitude des objectifs de la CEDEAO et ceux de l'UEMOA. L'analyse de ce chapitre révèle que la CEDEAO tend à promouvoir la coopération et l'intégration de l'Afrique de l'Ouest pour établir une Union économique et monétaire51(*). Ainsi, pour la réalisation de ces objectifs, la CEDEAO et l'UEMOA ont adopté des instruments juridiques quasi-identiques52(*). La réalisation d'une telle Union économique est la justification même de l'UEMOA : elle vient compléter l'Union monétaire instaurée en 1973 à travers l'UMOA. Dans cette configuration, il est évident de signaler que l'identité des objectifs assignés aux deux organisations peut constituer un véritable moyen de réaliser la complémentarité entre la CEDEAO et l'UEMOA. En outre, la configuration géographique des deux organisations est aussi favorable à cette complémentarité.

Certes, l'espace de l'UEMOA et celui de la CEDEAO ne sont pas les mêmes mais, l'espace de la CEDEAO englobe celui de l'UEMOA, d'où l'importance d'une complémentarité afin d'éviter les dédoublements dans la réalisation des projets intégrateurs. En dépit de ce rapprochement entre la CEDEAO et l'UEMOA, ces deux organisations se caractérisent en réalité par un manque total de synergie.

Or, à l'heure où le problème de la « rationalisation » des organisations internationales africaines est d'actualité, il importe d'oeuvrer pour cette complémentarité qui pourra ainsi faciliter la fusion de ces deux organisations en une organisation d'intégration unique.

B. Vers une organisation d'intégration unique

Cette perspective constitue l'objectif principal de la rationalisation du cadre d'intégration. Ce projet de « rationaliser » les efforts d'intégration en Afrique Occidentale a été impulsé par la Commission Economique pour l'Afrique (CEA) et vise la fusion des institutions poursuivant un même but et, à terme, l'instauration d'une organisation internationale unique pour réaliser l'intégration de la sous-région. Dans ce cadre, l'unification de la CEDEAO et de l'UEMOA devrait se faire sans difficulté car ce sont toutes deux des organisations économiques.

D'ailleurs, un argument juridique pourrait valablement servir de cadre à ce projet. En effet, aux termes de l'article 2 du traité révisé, la communauté «sera à terme la seule communauté économique de la région aux fins de l'intégration économique et de la réalisation des objectifs de la Communauté Economique Africaine53(*)». Tel n'est pas le cas de l'UEMOA qui prend le soin de proclamer sa fidélité «aux objectifs de la Communauté Economique Africaine et de la Communauté des Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO)»54(*).

Il serait alors envisageable de transformer l'UEMOA, après l'aboutissement de ses objectifs, en une structure autonome de la CEDEAO, chargée des questions économiques et financières de la sous-région tandis que les institutions de l'UEMOA deviendront des «institutions spécialisées» de la CEDEAO.

Par contre, celle-ci conserverait le domaine politique et social de l'intégration et demeurera l'interlocuteur unique auprès de l'UA et des autres organisations internationales.

Toutefois, la réalisation de cette perspective (la fusion de la CEDEAO et de l'UEMOA) pourra se heurter à un principe du Droit des organisations internationales : le principe de la spécialité qui tend à restreindre, sinon, à cantonner les activités de l'organisation dans un volet bien déterminé. Mais cette difficulté juridique pourra être contournée à travers l'élargissement de l'objet de l'organisation internationale. Il est ici question d'incorporer au traité constitutif de la CEDEAO les domaines pris en charge par les autres organisations promues au rang «d'institutions spécialisées».

CONCLUSION PARTIELLE

En définitive, il faut retenir que les contre-performances encaissées par la CEDEAO s'expliquent par la somme de plusieurs déficiences institutionnelles et de certains défis politiques. Ces insuffisances pour la plus part résultent de la dimension interétatique adoptée par le traité originel (celui de 1975). Ainsi, cette vision interétatique s'est traduite dans le fonctionnement de l'organisation par un faible degré d'intégration au niveau des organes de la communauté restés pendant longtemps inter-gouvernementaux. Mais le principal défaut institutionnel de l'organisation demeure la question du transfert de souveraineté. La prépondérance de l'inter-gouvernementalisme au niveau des organes intégrés ne permet pas à l'organisation de prendre en compte des nouveaux défis politiques comme la dimension sécuritaire de l'intégration.

Pour pallier à ces insuffisances, il importe d'opérer un passage de la dimension interétatique à celle supranationale afin de doter l'organisation d'organes autonomes (comme une commission de la CEDEAO par exemple) afin de lui permettre d'atteindre ses objectifs. Dans cette mesure, la CEDEAO cessera d'être seulement une organisation d'intégration économique mais aura aussi des visées politiques bien affirmées.

A un moment où l'urgence d'un regroupement des Etats ne fait plus l'ombre d'un doute, les pays africains n'ont que le choix de s'organiser sur ces bases régionales afin d'avoir une place dans l'économie mondiale. L'intégration régionale apparaît donc comme un levier de la croissance économique et du développement durable dans un monde de plus en plus interconnecté et soumis à une compétitivité économique, politique et technique.

Les Etats de l'Afrique de l'Ouest ont très tôt saisi l'importance des regroupements régionaux. En témoignent, les nombreuses initiatives d'intégration régionale qui ont vu le jour sur le continent. Dans cette panoplie d'organisation d'intégration, la CEDEAO se présente, en effet, comme l'initiative la plus réussie. La CEDEAO représente un modèle d'intégration régionale en ce sens qu'elle est assurément la plus dynamique et celle fédérant le plus d'Etat avec des objectifs très ambitieux.

Mais trente cinq ans après la création de la CEDEAO, un regard sur le processus d'intégration en Afrique de l'Ouest doit permettre d'identifier les défis que l'organisation sous régionale doit relever. Dans l'ordre de ces défis, la question du transfert de souveraineté à l'organisation régionale occupe une place importante. La vision interétatique du processus d'intégration ne permet manifestement pas à l'organisation régionale de prendre en compte les nouveaux défis politiques et économiques qui se posent à elles. Il importe alors de doter l'organisation de pouvoirs et d'organes supranationaux afin d'assurer l'exécution des décisions et la convergence des politiques communautaires. Au demeurant, cet idéal ne saurait se réaliser sans un préalable aussi important que les réformes institutionnelles : il s'agit de la stabilité politique et la paix dans la sous-région.

La réunion de ces conditions permettra alors de réaliser le plan de Lagos faisant de la CEDEAO la pierre angulaire de la construction de la communauté économique africaine et à long terme de l'unité africaine.

* 1 Rapport de l'OMC, le régionalisme et le système commercial mondial, Genève, Avril 1995.

* 2 A titre illustratif, nous pouvons citer l'Accord de libre échange nord-américain (ALENA), l'Association des Nations du Sud Est Asiatique (ANASE en français), le Marché Commun du Sud (MERCOSUR), etc.

* 3 Article 3, traité révisé de la CEDEAO.

* 4 Rapport, Atelier de formation en vue du renforcement des capacités pour les pays de l'Afrique de l'Ouest sur les stratégies et les plans d'actions nationaux sur la biodiversité, Octobre 2008.

* 5 E. MBOKOLO, L'Afrique au XXème Siècle. Le continent convoité, Seuil, 1985, p.131.

* 6 Ceci peut se justifier par le rôle actif qu'a joué la France dans la création des organisations comme l'Union Africaine et Malgache (UAM), l'Organisation Commune Malgache et Africaine (OCAM) et la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEAO). Cf. Alioune SALL, Les mutations de l'intégration des Etats en Afrique de l'Ouest, L'Harmattan, Paris, 2007, p.17.

* 7 ROCHE J.M, Théorie des organisations internationales

* 8 N. BOUREMANE in R. LAVERGNE, Intégration et Coopération régionales en Afrique de l'Ouest, Ed Khartala et CRDI, 1996, p 40.

* 9 En ce qui concerne la CEDEAO, il s'agit du Traité du 28 Mai 1975.

* 10 A titre illustratif, nous pouvons citer le Conseil de l'entente ou encore l'Union du fleuve Mano qui sont aussi des organisations coopératives en activité en Afrique de l'Ouest.

* 11 Les Etats ont commencé à manipuler de manière autonome leurs tarifs douaniers et leurs législations fiscales. La conséquence en a été qu'en 1969, le commerce entre les Etats de l'UDEAO, évalué à 22 milliards de francs CFA ne représente qu'à peine 10% du commerce extérieur de ces Etats estimé à 233,6 milliards. CF. SANA Abdoul AZIZ, les entraves au développement du commerce entre les Etats de la CEDEAO, Mémoire de fin d'étude pour l'obtention de diplôme d'administrateur des services financiers, Ecole Nationale des Régies Financières, Mars 2008.

* 12 V. Annexe 1 : Carte de la CEDEAO

* 13 Géographiquement, la Mauritanie se situe à la fois à l'Ouest et au Nord de l'Afrique. Culturellement, cette nation arabo-berbère est partagée entre les nations du Maghreb que celles de l'Afrique noire. Membre de la CEDEAO et de l'Union du Maghreb Arabe (UMA), la Mauritanie a finalement décidé de se retirer de l'organisation Ouest-africaine. V. Alioune SALL, Les mutations de l'intégration régionale des Etats de l'Afrique de l'Afrique de l'Ouest, L'Harmattan, 2007, p.45-46

* 14 Rapport, Atelier régional de renforcement des capacités pour les pays de l'Afrique de l'Ouest sur les stratégies et les plans d'action nationaux sur la biodiversité, 2008.

* 15 Sénégal, Ghana, Nigéria et Côte d'Ivoire.

* 16 Paul DECRAENE cité par Alioune SALL, op. Cit... p.33

* 17 Article 2, Traité de Lagos de 1975.

* 18 L'alinéa 3 du Préambule du Traité de Lagos de 1975 déclare que les chefs d'Etats et de gouvernement reconnaissent que « l'intégration progressive des économies des pays de la sous-région exige une analyse objective et la prise en considération du potentiel économique et des intérêts de chaque Etat. »

* 19 Article 3, Traité révisé.

* 20 Article 4, Traité révisé. A ce sujet, il faut préciser que la dimension sécuritaire relevée par l'alinéa 4 de cet article, ne figure pas dans le Traité de 1975.

* 21 Luaba Lumu NTUMBA in Real LAVERGNE, Intégration et Coopération en Afrique de l'Ouest, Ed Khartala et CRDI, 1994, p.225.

* 22 Voir ADEWOYE in Constitutionnalisme et Intégration économique, cité par Real LAVERGNE.

* 23 Article 10, alinéa 2 du Traité Révisé.

* 24 Article 12, Al 1.

* 25 Rapport du Conseil des Ministres adoptés le 23 Mars 2006, Abuja, Nigéria.

* 26 Article 6 du Protocole relatif au parlement de la CEDEAO.

* 27 Le Togo, le Libéria, le Cap Vert, la Guinée Conakry, la Guinée Bissau, le Bénin, la Gambie et  la Sierra Leone ont chacun 5 députés ; le Mali, le Niger et le Sénégal ont chacun 6 députés ; la Cote d'Ivoire a droit à 7 députés ; le Ghana en a 8 et le Nigéria 35.

* 28 Holding : Société financière dont l'activité consiste à gérer des actions, des valeurs mobilières, qu'elle possède dans d'autres sociétés qui sont placées sous son contrôle.

* 29 Article 4, Traité de 1975 ; Article 22, Traité révisé de 1993.

* 30 Voir Partie 1, Chapitre 1, Section 2, Paragraphe 2

* 31 Le Traité révisé innove aussi sur ce point car en ce qui concerne le pouvoir normatif de l'organisation, le Traité de 1975 prévoyait qu'elle pouvait prendre des « décisions » et des « directives ».

* 32 Rapport du centre africain pour les politiques commerciales, Décembre 2005.

* 33 Il faudrait signaler que la création de la cour de justice a été prévue dans le traité révisé mais la cour n'a existé réellement qu'à partir de 2001.

* 34 LECOURT, L'Europe des juges, cité par Luaba Lumu NTUMBA in Ressemblances et dissemblances institutionnelles entre la CEDEAO, la CEAC et la ZEP.

* 35 L'alinéa premier de l'article 7 du traité révisé parle d' « institution suprême de la communauté »

* 36 Idem

* 37 Article 10, al 3, (a), (c), (d), (i) du traité révisé.

* 38 Gonidec cité par Luaba Lumu NTUMBA in Ressemblances et dissemblances institutionnelles entre la CEDEAO, la CEEAC et la ZEP.

* 39 Quoc Dinh cité par Lumu Luaba NTUMBA in Ressemblances et dissemblances

* 40 C.F Article 2 du traité révisé

* 41 C'est la décision A/DEC/1/8/90 du SMC de la CEDEAO, signé le 7 août 1990 à Banjul qui a formalisé la décision.

* 42 Article 2, al 2, Traité révisé

* 43 Il s'agit du Cap Vert, de la Guinée Bissau et du Mali

* 44 Article 2 du protocole d'assistance mutuelle de 1978.

* 45 Article 4 du Traité révisé

* 46 Fernanda FARIA, la gestion des crises en Afrique Subsaharienne : le rôle de l'Union Européenne, Occasional Paper, n°55, Novembre 2004.

* 47 L'Union Africaine et l'UEMOA notamment.

* 48 Rapport de la cinquante-quatrième session ordinaire des ministres, ECW/CMLIV12, Secrétariat exécutif, Abuja, juin 2005, pp.10 et 11.

* 49 Article 77 du traité révisé

* 50 Les effets combinés de l'union douanière et les élargissements successifs ont porté la part des échanges intra-communautaires de 36% en 1957 à plus de 60% aujourd'hui. C.F Franck PETITEVILLE in « les processus d'intégration régionale, vecteurs de recomposition du système international ? », Etudes internationales, vol. 28, n°3, 1997, p. 511-533.

* 51 Article 55, al 1 du traité révisé.

* 52 Voir Annexe 2.

* 53 La création de cette communauté a été décidée par le traité d'Abuja de 1991 qui procède explicitement du Plan de Lagos de 1980 qui fait de la CEDEAO le cadre pertinent d'intégration de l'Afrique de l'Ouest.

* 54 Préambule du traité de l'UEMOA.






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