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Le pouvoir de la population sur son environnement! Cas du Plateau de Millevaches

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par Julien Dupoux
Université Paris Sorbonne IV - Master 2 2012
  

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Conclusion sur les marqueurs spatiaux du pouvoir

On peut se faire une image de nature du plateau de Millevaches, d'une nature qui nous ferait gagner beaucoup quant à notre qualité de vie mais où l'on se sentirait isolée. Cette image est contrebalancée par l'activité militante « anarchiste » du Plateau qui a pu nous arriver aux oreilles mais aussi par les premières ballades sur place. On rencontre des forêts loin de l'état sauvage : plutôt des plantations. L'impression de vide peut être confortée par le peu de gros bourgs et par le nombre de maisons inhabitées. L'espace physique ne plaide en effet pas en faveur d'un pouvoir qui viendrait des habitants. La composition du paysage est fruit de l'exode rural et de la propriété foncière héritée, aujourd'hui aux mains de non-résidents. La population semble pourtant ne pas se résoudre à ce constat. L'activité culturelle et politique montre, contrairement aux premiers préjugés, un réel dynamisme sur le plateau de Millevaches, et en particulier sur les communes que j'ai retenues comme centrales pour mon étude. Si certains peuvent rechercher l'isolement familial, plusieurs habitants s'investissent dans la vie sociale du territoire. Parce qu'ils veulent avoir leur part de décision quand à la marche de ce pays. Pays au sens local, mais plus largement aussi, au sens national. L'esprit critique, manifeste sur le Plateau, signale une volonté de ne pas se soumettre à des décisions autoritaires et une volonté d'avoir du pouvoir sur sa propre vie.

2.5 - Tranches de vie sur le Plateau

C'est vrai que, me promenant en vélo, je n'ai pas eu à subir un fort trafic sur les routes. Les heures de pointes, celles où les gens se rendraient au travail ou rendraient le travail, ne m'ont pas sauté aux yeux. Le travail rythmé ne doit pas être de si grand poids ici. Il faut dire que les retraités figurent en nombre. Ils s'attardent parfois, le matin au bistrot, reviennent sur leur pas et s'occupent au champ comme des agriculteurs. Quelques camionnettes passent dans les villages pour livrer le pain ou la viande. Dans les bourgs communaux, on arrive parfois à trouver quelques commerces ou pharmacies, des médecins à Faux-la-Montagne. Parmi mes communes-témoins, Peyrelevade est le plus gros bourg et le mieux desservi. Pas vraiment de vie alors ? Mais de l'activité. La solidarité fonctionne encore puisqu'on va vers les villages isolés, les vieux ou les enfants. Car on trouve aussi plusieurs bornes qui indiquent les points de ramassage scolaire dans les hameaux. De biens des façons, la région ou les habitants eux-mêmes font en sorte que l'isolement physique ne soit pas un

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effacement social. Plusieurs habitants entrevoient leur région comme dynamique. Et comme suscitant l'intérêt extérieur : la preuve en est ces étudiants qui viennent brosser leur sujet sur le plateau de Millevaches.

Les initiatives, les travaux entrepris dans les bourgs (comme à Gentioux), les maçons ou électriciens que l'on croise en train de rénover une maison dans un petit hameau, les jeunes qui sortent pour manger, le midi, à Faux et les cantonniers qui viennent se faire une facture dans les restaurants montre que le pays, faute d'être foisonnant comme au début du XXème siècle, n'est pas totalement éteint.

J'ai déjà mentionné les initiatives culturelles et politiques qui fermentent sur le Plateau et l'animent jusque sur des affiches et journaux. On trouve de nombreux bals traditionnels où -curieusement ne serait-ce que par rapport au sud de la Corrèze- viennent danser beaucoup de jeunes. La soirée, bien qu'on soit à la campagne, reste un moment de possible sortie.

A ce que beaucoup disent, les festivités sont souvent animées, sur le Plateau, par des migrants qui s'appellent entre eux « néo-ruraux », le nom que certaines études leur avaient donné. Ce sont majoritairement eux qui se déplacent aux fêtes et animations. Certains ont apporté leurs rites culturels de la ville (débats, concerts, spectacles...) et se sont investis pour les implanter avec un vrai succès puisqu'ils demeurent. Comme d'autres, chauffeurs de taxi ou maçons, avaient pu, autrefois, rapporter la culture politique depuis Paris. C'est-à-dire : le communisme et ses réunions syndicales et politiques. Le plateau de Millevaches, depuis un siècle vit donc sous l'effervescence des dernières pensées politiques : que ce puisse être l'écologie et la décroissance aujourd'hui ou, hier, le communisme, voire un capitalisme financier (sur pied, par les conifères et les masures) d'après-guerre.

Ce n'est pas pour autant que les influences se croisent et les gens « du cru », qui sont toujours restés sur le Plateau ne participent apparemment que peu aux animations et sorties. Leurs enfants ne se mêlent à ceux des migrants qu'à la petite école car, apparemment toujours et selon plusieurs témoignages de migrants, ils arrêteraient leurs études plus tôt ou choisiraient de filières plus professionnelles. Ces derniers préféreraient les boîtes de nuit aux bals.

Le peu de mélange aux animations et soirées provient aussi de rythmes de vie différents : les migrants donnent davantage d'importance au temps libre et veulent se permettre des loisirs ou des activités associatives. Les gens « du cru » attachent plus de valeurs au salaire dû à l'effort ou la sueur, ce que relatait déjà Jean-François Pressicaud dans son mémoire [Pressicaud, 1980]. La catégorisation peut sembler formelle, cette division dichotomique, mais elle provient des discours des habitants, notamment des dits « néo-ruraux » (mais qui pour la plupart ne sont pas si nouveaux et pour une autre part n'ont jamais été citadins) qui ont peut-

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être eu l'impression de devoir batailler sur un terrain politique pour que leurs idées et leurs actions puissent exister dans le paysage. Cependant, il en est de nombreux pour relater le bon accueil que leur ont fait des voisins contents de voir se remplir leur village. Les anciens, bien que se sentant peu concernés par les manifestations culturelles, reconnaissent aussi le rajeunissement qu'ont apporté les migrants. Mais très prudents, ils savent qu'il faudrait davantage de monde, de jeunes, d'emplois disent-ils aussi, pour prolonger ce réveil du Plateau.

Originaire de Creuse ayant migré sur la capitale, je ne sais même pas si j'ai des palmes dans les deux mares et mes positions reflèteront certainement surtout la fréquentation des activités associatives, culturelles et militantes du Plateau. Cette division entre « néo-ruraux » et « gens du cru » pourra être un des facteurs du choix de certains leviers de pouvoir sur l'environnement mais mon étude de la population partira d'abord des diverses façons de se grouper pour peser sur la vie locale, de la nature des acteurs au regard des pouvoirs plutôt que d'une sériation des individus.

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II - Relations et formes de pouvoir des acteurs locaux

Mais je tâcherais de donner les principales caractéristiques de la population. Puis je la découperai en acteurs : groupes institutionnels, groupes associatifs et autres habitants. Des relations entre ces groupes naissent des stratégies différentes de pouvoir, des actions diverses sur l'environnement. Elles permettent d'appréhender les limites des pouvoirs de chacun et de dégager les différents leviers de pouvoir que peuvent utiliser les habitants pour décider de leur environnement.

Avant cela, je vais rappeler de quelle façon j'ai interrogé les habitants et compléter les propos de mon introduction. Cette manière d'intervention comporte, comme d'autres, ses limites et ses sources d'erreur. On reçoit aussi les témoignages qu'on provoque.

1 - L'approche de la population

-Les abeilles savent que tu les regardes, elles s'habituent à toi, à ton odeur et ça agit sur leur comportement, de même leur présence modifie ton comportement, se comparait un apiculteur à un anthropologue, se souvenant de ces études de sociologie.

1.1 - Mes choix méthodologiques

Cela me ferait peut-être drôle, de lire un tel sujet sur le territoire où je vis, d'être un élément de cette population qu'on approche, qu'on ausculte, qu'on étudie avec un parfum de zoologie, d'être un des acteurs décrits. J'en deviens pourtant un dans le bref moment où je fais mes recherches. Si je ne suis pas un habitant du lieu considéré, je deviens aussi une bête d'étude. Egoïstement : la seule peut-être. Puisque je ne peux pas me retirer pour faire mon étude. Et si les leviers de pouvoir peuvent se passer de moi puisqu'ils existent sans moi, avant moi (puisque c'est pour les décrire que je viens !), le tableau que je vais brosser (mon mémoire) ne peut se passer d'eux. Comment procède-je alors ? Puisque le processus est en quelque sorte mon procès. Et il faut que je jure de dire toute la vérité ? Ou toutes les erreurs, puisque ce sont peut-être les seules choses auxquelles j'ai accès.

Comme je l'annonçais en introduction, je n'ai pas cherché à sérier mes entretiens. J'ai donc posé des questions très ouvertes, essayé de recueillir l'opinion des gens sans le besoin préalable de ranger leurs propos dans une case. Je ne pense pas que mon sujet se prête à la statistique. Au final, il y aura pourtant ces formes de cases que sont les chapitres.

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J'ai consigné dans mes notes 97 résultats d'entretiens. Les personnes que j'ai interrogées étant parfois en couple, ou en groupe, je pense qu'il faut doubler ce chiffre pour obtenir celui du nombre de personnes dont j'ai relevé les discours. Il y a aussi des personnes que j'ai rencontrées, dont les propos ont servi ma réflexion, mais que je n'ai pas intégrés dans mes notes. Je commençais, à la fin, à retomber très souvent sur des discours obtenus et c'est pourquoi, avec le fait que j'avais interrogé des acteurs de nature différente, je n'ai pas réalisé davantage d'entretiens. Et c'est aussi une question de temps, de calendrier que je me suis fixé. Sinon, en retrouvant les mêmes discours, je pourrais continuer longtemps.

De longueur les entretiens étaient diverses, certains ne durant qu'un quart d'heure, d'autres dépassant l'heure, selon les personnes, la moyenne étant plutôt de l'ordre de la demi-heure. Le fait d'être autour d'une table, par exemple, incite à prendre du temps. Ou le beau temps dehors ! J'ai posé une série de questions identiques dans mes entretiens. D'abord

« Pensez-vous avoir du pouvoir sur votre environnement ? », question vaste que j'explicitai, pour commencer, le moins possible, dans le but de savoir comment la personne comprenait le pouvoir. En revanche, je pouvais préciser « environnement » par « territoire », « lieu de vie », ou tout simplement « ici, sur le Plateau ». Ensuite j'ai demandé comment la personne agissait sur son environnement : la formulation de cette question dépendant de l'interlocuteur. Si la personne est dans une association : « qu'a fait concrètement l'association ? », si c'est un agriculteur, ça peut prendre la forme de questions relatives à son travail... mais souvent, je n'avais pas besoin de poser cette question puisque les gens en parlaient d'eux-mêmes, suite à la première question. Et puis je demandai s'ils avaient des relations avec les autres habitants, associations, PNR ou institutions, et la nature de ces éventuelles relations. En bref, les questions que je me posais moi-même. Je me permettais aussi de faire parler les gens sur l'avancée de mes travaux, c'est-à-dire sur d'autres discours déjà reçus ou, sur les leviers de pouvoir que j'étais en train de mettre en relief. Je pouvais ainsi préciser mes définitions, les compléter. Mais c'était aussi parce que j'avais envie de donner mon avis ou d'expliquer pourquoi j'avais choisi ce sujet. D'ailleurs on me le demandait parfois. Il y a des personnes que j'avais déjà rencontrées avant de les interroger et leurs réponses ont aussi pu être orientées du fait qu'ils connaissaient déjà mon sujet d'études et qu'ils savaient pourquoi j'étais là. Mais comme leurs réponses ne sont pas enregistrées pour un sondage, elles n'ont pas le besoin d'être spontanées ou dégagées d'influence. Les influences, que ça soit celles des personnes sur mon sujet ou le fait que je relate mon sujet d'étude aux personnes, permettent aussi de préciser nos pensées. Qui regarde qui ? Et qui butine les fleurs ? ...

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Je ne prenais pas de notes (et certains en ont été surpris) : le grand désavantage de cela est que je devais mémoriser au maximum les propos et que je ne peux majoritairement rapporter que des discours indirects. Mais les désavantages de la prise de notes (ou de l'enregistrement) me semblaient plus dérangeants. Déjà, en terme de présentation, je ne suis pas sûr que ce soit toujours très poli d'arriver avec son calepin, de ne pas regarder les gens et ce rapport fait aussi qu'on ne dit pas forcément les mêmes choses à quelqu'un qui note qu'à quelqu'un qui écoute. Sans compter qu'on ne note pas assez vite, que les personnes sont obligées de s'arrêter et peuvent perdre le fil (ou l'envie) de ce qu'elles voulaient dire. L'enregistrement audio peut provoquer une méfiance : celle que tout ce qui va être dit pourra être retenu contre nous. C'est pourtant vrai aussi sans enregistrement !

Pour palier au manque de propos directs, j'ai enregistré un entretien avec Marc de « Nature sur un Plateau » (annexe 7), acteur à la croisée des thématiques du Pouvoir et de l'Environnement, que je pourrai citer plus longuement.

Comment je suis allé voir les gens n'est pas indépendant non plus de mon panel de discours obtenus. Hormis pour certains maires ou certaines associations, je me suis présenté directement chez les gens, ou dans les bureaux sans rendez-vous. Je me suis arrêté, en vélo souvent, dans les hameaux et j'interrogeais les gens rencontrés au hasard. J'ai aussi sonné à des portes au hasard. En procédant ainsi, et comme je me déplaçais dans la journée, j'ai évidemment rencontré beaucoup de retraités ou d'agriculteurs qui travaillaient dehors, autour de chez eux. Il faut dire aussi qu'ils représentent une part importante de la population et que j'avais de grandes chances, au hasard, de tomber sur eux. Mes résultats d'entretiens peuvent donc manquer, par rapport à la population, de salariés (quoique les associations représentent pas mal d'emplois salariés) ou d'ouvriers. J'ai surtout essayé de rencontrer des personnes dont l'occupation laisse présupposer un rapport privilégié à l'environnement ou une insertion dans la nature : paysans, chasseurs, pêcheurs.

Pour être plus complet, il faudrait prendre en compte davantage de témoignages de personnes travaillant hors des communes d'habitations et rentrant chez eux le soir. Pour cela, il ne m'aurait pas été inutile d'allonger ma période d'entretiens car ces personnes sont plus difficiles à croiser. La part des personnes travaillant dans leur commune d'habitation reste cependant forte : 55,6%, 60,1%, 68,7%1 pour prendre les exemples respectifs de Faux, Gentioux et Peyrelevade. En ce qui concerne les emplois par catégories socioprofessionnelles pour les communes-témoins, les dossiers INSEE ne signalent que des données indisponibles.

1 Source : INSEE 2008

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Les sites des mairies proposent toutefois des chiffres issus de l'INSEE1 qui donnent de très fort taux d'emplois agricoles. Je vais donc donner quelques caractéristiques de la population du Plateau en rappelant que je me suis d'abord attaché à m'entretenir avec une proportion significative d'acteurs : maires (ou conseillers municipaux), chargés de mission du PNR, membres associatifs, et habitants ne faisant pas partie de collectifs.

1.2 - Caractéristiques de la population

D'abord, il convient de remarquer que la population du Plateau est peu nombreuse. Les centres-bourgs sont petits et les villages pour beaucoup désertés. On trouve des densités de population très faible sur les communes témoins (Tableau 3).

Commune

Gentioux

Faux

La Villedieu

Royère

Nedde

Rempnat

Peyrelevade

Tarnac

Densité
(hab/km2)

4,8

7,6

8

7,6

10,1

7,9

12,4

4,8

Source : INSEE 2008

Tableau 3 : Densités de population des communes témoins

Ces chiffres sont bien en deçà de la moyenne du département le plus rural du Limousin (la Creuse avec 22,3 hab/km2) et les communes de faible étendue comme La Villedieu ou Rempnat n'affichent pas un meilleur score.

Cette faible démographie est loin d'être indépendante quant au pouvoir. En particulier lorsqu'on sait qu'elle entre dans le choix d'installation sur le Plateau pour certains. Puisqu'il y a moins de monde, chacun peut penser avoir plus de poids sur son territoire et c'est ce que plusieurs personnes m'ont affirmé. La faible démographie, pour elles, est un facteur qui fait qu'on peut davantage s'exprimer ici qu'ailleurs. Un couple de vacanciers réguliers avaient d'ailleurs choisi La Nouaille comme commune électorale parce leur avis compte plus dans cette petite commune que dans la grande ville où ils travaillent. Le fait que l'espace soit faiblement peuplé entre pour certains dans la remarquable qualité de vie qu'ils adjoignent au plateau de Millevaches.

Pour d'autres, en particulier les vieux qui ont vu se vider les villages, la chute démographique a représenté une baisse de leur qualité de vie. Une habitante de Plazanet (Faux) me signale

1 Le réseau de sites www.annuaire-mairie donne 22% pour Nedde et Gentioux, par exemple, qui sont des communes médianes parmi les communes témoins -mais tous les emplois ont-ils été répertoriés ?- quand la part des emplois d'agriculteurs d'un département très agricole comme la Creuse est de 5,8% (part qui tient compte de la soustraction des chômeurs).

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qu'elle n'a plus personne avec qui discuter dans le village, plus personne chez qui prendre le thé en franchissant simplement la rue.

D'autres personnes attribuent à la faible démographie leur absence de pouvoir sur l'environnement : ils ne sont plus assez nombreux pour peser. Et en effet, ils contrôlent beaucoup moins le foncier comme on l'a vu en première partie. Les habitants ne représentent plus un poids démographique (donc électoral et financier) pour être considérés depuis l'extérieur. Mais paradoxalement, ils ont aussi davantage de pouvoir car ils sont moins contrôlables. Mais ce pouvoir constitue plutôt une liberté individuelle sur son espace qu'un poids décisionnel sur ce même espace.

A ces faibles densités, il faut ajouter le nombre important de personnes âgées. Ce nombre n'est pas dû au simple vieillissement mais au fait que beaucoup reviennent s'installer dans la maison familiale pour leur retraite (et j'en ai rencontrées). Des maisons sont mêmes achetées plusieurs années à l'avance dans l'optique de la retraite. Les communes de Tarnac, Rempnat et La Villedieu affichent plus de 40% d'hommes comme de femmes de plus de 60 ans et les communes de Nedde et de Royère s'en approchent. Faux, Gentioux et Peyrelevade restant proche des moyennes creusoises de 29,9% d'hommes et 36,4 % de femmes de plus de 60 ans1. Moyennes d'environ 4 points supérieures aux régionales mais d'environ 10 points supérieures aux nationales. Si j'ai interrogé, au gré de mes visites de hameaux, beaucoup de retraités, c'est aussi parce que le Plateau en compte beaucoup. La retraite sera pour certains le signe de l'âge et ils diront n'être plus concernés quant aux questions de pouvoir ; pour d'autres, c'est un gain de pouvoir par le gain de temps libre à consacrer à des activités associatives par exemple. La retraite est surtout le reflet des aspirations qu'on pouvait avoir précédemment. Du point de vue du dynamisme, ce n'est pas spécialement un frein : de nombreux retraités participent aux débats ou réunions d'associations, vont voir des spectacles. Mais, ce ne sont plus eux qui remplissent les écoles ou qui créent des emplois salariés. Dans toutes les communes témoins, le solde naturel est négatif entre 1999 et 2008 (six de ces communes affichent une variation négative supérieure à celle de la Creuse qui est de -0,7%). La population se renouvèle par les nouveaux arrivants (à l'exception de Faux, les soldes migratoires 1999-2008 sont tous positifs). Ces migrants peuvent être des retraités mais aussi des jeunes. Le nombre de jeunes (ou jeunes couples) venant s'installer n'est pas négligeable : j'ai pu en rencontrer plusieurs. Depuis les années 1970, le Plateau, en particulier cette partie interdépartementale, a accueilli des migrants -dont des citadins- qui sont fréquemment

1 Source : INSEE 2008

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nommés « néo-ruraux ». Certaines communes se sont donc recomposées. Le mouvement continue toujours. Si on regarde la part de personnes résidant 5 ans auparavant dans une autre région, hormis pour Royère et Rempnat dont les pourcentages sont faibles, elle s'échelonne entre 9,7% pour Peyrelevade et 12,6% pour Faux. Ce qui reste supérieur à la moyenne régionale (8,4%) et nationale (6,2%)1. Les personnes âgées cherchant parfois à se rapprocher des centres-villes et des services, elles ne sont pas les seules à être la cause de ces fortes arrivées sur le Plateau par rapport à la France.

Le faible peuplement du plateau de Millevaches, le fort taux de personnes âgées mais aussi les faibles revenus (ils sont beaucoup à dire que les gens du Plateau ne sont pas riches2) ne concourent à priori pas à rendre le lieu vivant, à maintenir les écoles et les possibilités de rester et travailler sur place, ils laissent un champ libre à une domination de l'environnement local par l'extérieur. Les densités faibles font aussi que ceux qui veulent s'impliquer dans la vie sociale se sentent un champ d'action plus large. Des modes de vie divers existent entre gens « du cru » et « néo-ruraux » ainsi qu'un clivage quant à l'insertion dans la société de consommation (déjà présent en 1980 [Pressicaud, 1980]). S'il y a un clivage politique, il se fait à gauche car toutes les communes témoins sont fortement marquées à gauche : on peut prendre pour exemple le résultat du 1er tour des élections régionales de 2010 (Tableau 4).

Communes

1er

2nd

3ème

Faux (23)

Verts : 39%

PS : 31%

FG : 16%

Gentioux (23)

PS : 35%

Verts : 20%

FG : 18%

Royère (23)

PS : 39%

UMP : 26%

Verts : 12%

La Villedieu (23)

Verts : 31%

FG : 31%

PS : 22%

Peyrelevade (19)

PS : 34%

FG : 30%

UMP : 18%

Tarnac (19)

FG : 40%

UMP : 31%

PS : 14%

Rempnat (87)

FG : 38%

PS : 25%

UMP : 24%

Nedde (87)

FG : 39%

PS : 34%

UMP : 12%

FRANCE

PS : 29%

UMP : 26%

Verts : 12%

Source : www.annuaire-mairie.fr

Sigles : Gauche : PS (Parti Socialiste), Verts (Europe-Ecologie-les-Verts), FG (Front de Gauche) ;

Droite : UMP (Union pour un Mouvement Populaire)

Tableau 4 : Résultats du 1er tour des élections régionales de 2010

1 Source : INSEE 2008

2 Et les relevés 2008 de l'INSEE leur donnent raison. Par exemple pour Faux-la-Montagne, le revenu moyen net par foyer fiscal est de 14078 € contre 20041€ pour la région Limousin.

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Dans les communes creusoises, le vote écologiste était manifeste et pouvait concurrencer le vote socialiste, quand celui-ci ne l'était pas par le Front de Gauche (qui a ingéré le Parti Communiste). Ces différences avec les résultats nationaux sont dues à l'implantation communiste de longue date et à l'arrivée de migrants en rupture avec le capitalisme.

Bien qu'elles puissent souligner des rapports de pouvoir entre des franges de la population, les divisions selon les opinions politiques ou entre gens « du cru » et migrants ne me paraissent pas permettre d'appréhender les différentes façons par lesquelles un habitant peut essayer d'avoir du pouvoir sur son environnement. Car, en termes de pouvoir spatial, le contraste le plus évident est celui entre personnes extérieures qui possèdent une grande part du foncier et habitants qui veulent maintenir leur région vivante. Comment procèdent ces habitants ? C'est ce que je veux conter.

Pour cela, on peut se baser sur les diverses légitimités qui s'expriment quant aux décisions territoriales. Un membre de la Société Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) ARBAN me présentait 3 légitimités à prendre en compte sur les projets qu'il menait : celle des élus, celles des experts et celle des habitants (le voisinage). Pierre Lascoumes identifie les mêmes acteurs sous les noms de : politiques, société civile et scientifiques [Lascoumes, 1994].

Comme je me tourne ici vers la population locale, les experts sont peu nombreux parmi les habitants et sont plutôt dans les universités : cette division sied donc mal à mon étude. Toutefois, certains membres d'associations ou les chargés de mission du Parc peuvent tenir ce rôle de relayeur de science. Mais ils font alors soit parti d'un organisme institutionnel (PNR), soit d'un collectif d'habitants. Et c'est par ces modes de réunions qu'ils veulent participer aux décisions locales.

2 - Les acteurs : relations, perception du pouvoir et actions sur l'environnement.

J'ai choisi trois grands types d'acteurs de manière à diviser les difficultés quant à la compréhension des stratégies de pouvoir sur l'environnement. Le découpage des relations est inspiré de ceux présents dans Les lois de la géopolitique des populations [Dumont, 2007], notamment en ce qui concerne la prise en compte du nombre brut d'individus par type d'acteurs (ça sera patent pour les associations), leurs caractéristiques et leurs relations avec les autres. Les schémas 1 et 2 expliquent ce découpage des relations. Ces relations pouvant résulter du positionnement d'un acteur envers un autre ou d'un point commun d'intérêt (ou de conflit), elles peuvent être simples ou double. Pour repère, elles seront numérotées comme

Schéma 1 : Relations simples entre acteurs

9 2 8

Collectifs

1

Institutions

5

6

Reste des habitants

7

3 4

Les relations du schéma 1 sont simples : elles peuvent la perception de l'autre (approbation, désaccord), un rapport (service, financement, ...), une action vers l'autre (information,...).

Les relations doubles existent aussi : appartenance double, actions communes voire conflits.

Collectifs

99

Institutions

88

12

56 34

Reste des habitants

77

66

Schéma 2 : Relations doubles entre acteurs

Les collectifs et les institutions sont aussi composés d'habitants, ce qui limite l'existence de relations triples (comme des relations 56 et 34) car ceux-ci agissent alors en tant que membres associatifs ou institutionnels. Il peut toutefois exister des actions menées conjointement par tous les acteurs. Elles ne seront pas numérotées.

67

précisé sur les schémas.

Pour que l'étude des relations de pouvoir soit très complète, il aurait fallu ajouter les non-habitants et j'aurai alors été entrainé dans les jeux d'échelles géographiques. Je toucherai un mot de ces jeux d'échelles dans la troisième partie mais mon sujet s'occupe essentiellement des actions provenant des habitants du plateau de Millevaches.

Le découpage puis le recoupement des pouvoirs perçus à travers ces relations permet de dégager certains leviers de pouvoir sur l'environnement humain et de se faire une idée de leur efficacité. Rappelons avant de parler de chacune des catégories qu'aucune n'est homogène et que je tâcherai de donner la décomposition de chacune de manière à obtenir assez d'indices sur les différentes formes de pouvoir utilisées par la population.

2.1 - Les acteurs institutionnels

Sur le plateau de Millevaches, il n'y a pas de ville qui soit sous-préfecture et les habitants-élus qui défendent le Plateau sont essentiellement les maires. Le Parc Naturel Régional (PNR) de Millevaches en Limousin leur est très lié de par ses instances électives : c'est aussi un acteur institutionnel.

Composition et relation 88 de double-appartenance

Des communes-témoins, j'ai rencontré les maires de Faux, Gentioux, La Villedieu, Peyrelevade, Nedde, Rempnat. Celui de Tarnac (résident parisien) n'était pas là ; un conseiller municipal m'a reçu. Je ne suis pas allé à la mairie de Royère. J'ai aussi rencontré des personnes faisant partie des conseils municipaux au cours de mes entretiens. Les maires de La Villedieu et Gentioux sont également agriculteurs. Celui de Nedde n'habite pas le Plateau mais une petite ville assez proche en Haute-Vienne. Seul l'actuel maire de Tarnac est rangé à droite.

La Communauté de Communes du Plateau de Gentioux1 (en Creuse), fait singulier, comprend la commune de Peyrelevade (en Corrèze). L'adhésion de Peyrelevade était due à un partage de projets et d'idées, en particulier en ce qui concerne la volonté d'accueil et l'écologie. Les maires (ou anciens maires) de ces communes se sont beaucoup impliqués dans la création du PNR. Celui de Peyrelevade est vice-président du PNR et s'occupe en particulier du volet environnement-nature.

1 Dont font partie Gentioux, Faux et La Villedieu.

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Les contours du Parc ont été dessinés par les adhésions votées par les conseils municipaux. Si certains « trous » apparaissent, c'est parce que les communes ont refusé d'adhérer. J'ai rencontré un conseiller municipal de Saint-Martin-le-Château, commune à l'ouest de Royère hors du PNR, qui a analysé ce refus comme la méfiance des nombreux chasseurs qui composaient le conseil de se voir imposer des normes et d'être privés de certaines libertés. Il est possible que lors de la prochaine proposition d'adhésion (prévue bientôt), la commune accepte son entrée dans le Parc.

Les élus territoriaux (dont 113 maires ou conseillers sur 155 et des élus départementaux et régionaux) forment le Syndicat Mixte de Gestion du PNR qui élit un bureau de 24 membres. S'y joignent 12 membres consultatifs qui proviennent du Conseil de Valorisation qui sont les représentants des tissus économiques de la région, dont le Centre Régional de la Propriété Forestière (CRPF). Les sièges du PNR ne sont donc pas uniquement décernés aux locaux et des types d'intérêts divergents s'y côtoient ; sa création, en 2004, après une longue campagne, a cependant reflété une volonté de décentraliser le pouvoir. Voilà ce qu'écrivait Agnés Bonnaud : « Le réel enjeu des actions menées n'est pas tant le développement du territoire que la quête du pouvoir sur ce même territoire, un pouvoir territorial qui n'est pas divisible en domaines de compétence ou d'action, mais qui est global. Pour la région il s'agit de maîtriser un territoire qui lui est politiquement défavorable, au-delà du pouvoir des départements. Pour les départements (surtout la Creuse et la Corrèze), il s'agit de préserver un pouvoir dont le centre est ailleurs. Pour les élus locaux enfin, il s'agit de créer le lieu d'un nouveau pouvoir, échappant tant aux départements qu'à la région, une nouvelle territorialité » [Bonnaud, 1998]. Le président du Parc, Christian Audoin, fait en effet partie du Front de Gauche tandis que la région est socialiste. Et le département de la Haute-Vienne, trouvant que le Parc lui coûtait trop cher, a décidé de lui retirer ses financements. Parmi les élus locaux des communes témoins, nombreux sont donc ceux qui soutiennent le Parc et qui le poussent à avoir une voix audible, propre à lui-même. Les maires étant dans l'instance élective du Parc, les actions communes sont naturellement nombreuses.

Le PNR fonctionne aussi avec une vingtaine de chargés de mission, qui sont en grande majorité assez jeunes et qui ont une certaine connaissance de l'écologie, même s'ils renient le titre d'experts.

Relation 8.

Entre d'une part les élus dans leur rôle et d'autre part les membres du PNR, il y a une reconnaissance et une appréciation mutuelle bien que certains chargés de mission (voire certains maires) peuvent être assez critiques quant à l'implication de tous les maires dans le

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PNR, leur écoute, ou certaines actions menées (ou non-menées) : l'accord de permis de construire qui conduit au mitage par exemple. Plusieurs chargés de mission trouvent leurs projets trop soumis à l'approbation des mêmes maires. L'une d'elles déclare aussi qu'ils acceptent sans trop de difficultés leurs conclusions car ils ne s'y connaissent pas forcément assez sur les points de vue scientifiques ou techniques. Si les arguments des chargés de mission sont reconnus, ce n'est pas pour autant que ces derniers disposent d'une totale indépendance dans leurs actions.

Relation 2 et 12.

Les élus comme les chargés de mission du Parc perçoivent l'activité associative comme essentielle au Plateau et les associations sont pour eux un point d'appui primordial, un échelon de la démocratie. Le PNR passe en grande partie par les associations (en particulier dans le domaine culturel) pour contacter les habitants. Il soutient donc plusieurs projets associatifs dont les associations lui passent commande : il apporte son concours financier. Il peut quelquefois proposer ses propres actions (à but culturel ou éducatif notamment) et les mener conjointement avec les associations.

Les élus ne sont pas spécialement des membres actifs des associations. Le maire de La Villedieu s'est impliqué dans la création du comité de soutien aux inculpés de Tarnac et dans son suivi mais les autres maires trouvent peu le temps pour cette activité associative ou, comme le précise la maire de Faux, s'en éloignent pour éviter le conflit d'intérêt.

Parmi les chargés de mission du Parc, un seul déclarait appartenir à une association. S'ils ne font pas parti des associations ou collectifs, ils les connaissent toutefois très bien et s'intéressent à leurs actions.

Relation 4.

Les maires connaissent généralement bien les habitants de leurs communes (surtout quand ils habitent sur place). Ils déclarent aller les voir, les informer (par exemple, à Saint-Martin-le-Château, un panneau d'information de la municipalité a été installé dans chaque hameau), faire des réunions publiques (à Rempnat) être l'échelon direct (et parfois le seul) de la démocratie institutionnelle auquel les habitants peuvent avoir accès. Le maire de Peyrelevade s'inquiète d'ailleurs de l'élargissement des entités administratives géographiques (Communautés de Communes, réforme des collectivités territoriale) et d'une pression de l'Etat central pour amoindrir l'échelon communal. Le maire de Nedde affirme qu'il considère son élection comme le droit de parler et d'agir au nom de la majorité jusqu'à la prochaine qui validera ou non son travail. Il n'en reste pas moins que les maires et conseillers généraux sont quotidiennement les premiers contacts pour les problèmes des habitants.

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Il en va tout autrement en ce qui concerne le Parc. Celui-ci, dans ces missions, n'a que peu de relations directes avec les habitants. Des chargés de mission trouvent qu'ils s'occupent trop de formalités administratives, ce qui ne leur laisse pas le temps pour aller voir les gens ou recueillir leur avis ; d'autres précisent que ce n'est pas la vocation d'un Parc, qu'il n'y a pas assez de moyens pour cela. Dans le domaine éducatif, le Parc organise des missions pédagogiques sur l'environnement (dans les écoles notamment).

En ce qui concerne l'agriculture, les chargés de missions voient aussi des agriculteurs, passent des contrats avec eux, pour qu'ils fassent pâturer les bêtes sur les landes et tourbières en vue d'enrayer l'enfrichement. Il peut y avoir aussi un rapport plus direct sur les questions du patrimoine bâti pour la réhabilitation duquel le parc peut attribuer des crédits.

Pour augmenter la réciprocité des relations directes aux habitants, une chargée de mission du Parc avait proposé la création d'un organe (en parallèle -et en pendant- du Conseil de Valorisation) composé de 50% d'habitants tirés au hasard. Cette proposition a été refusée.

De fait, le PNR se place plutôt dans un rôle d'informateur vis-à-vis du reste de la population : ses membres peuvent, par exemple, se plaindre du manque de gestion écologique des terrains de la part certains agriculteurs. Même si plusieurs chargés de mission rapportent avoir à apprendre de leurs points de vue, à les comprendre. Le PNR s'emploie surtout à donner des informations aux habitants (abonnement gratuit aux brochures) et à rendre accessible la culture sur son territoire.

Perceptions du pouvoir et actions.

Les maires que j'ai rencontrés reconnaissent selon diverses gradations l'importance du pouvoir qu'ils ont sur leur environnement. Ils savent que dans la hiérarchie de la démocratie représentative, ils sont en bas pour les grandes décisions comme pour l'argent disponible et ils perçoivent souvent leur pouvoir à travers ce positionnement dans l'échelle institutionnelle. Ils sont, pour beaucoup, très mesurés (ou prudents) en ce qui concerne leur impact. Les Communauté de Communes sont en voie d'agrandissement et celle de Gentioux pourrait rallier Aubusson-Felletin. Son président, Thierry Letellier (maire de La Villedieu), déclare toutefois ne pas avoir peur de voir diminuer la voie des communes du Plateau car il a confiance dans le caractère et dans la cohésion de leurs élus et pense que ça devrait bien se passer avec ceux de Felletin-Aubusson.

Le maire de Gentioux a parlé de son pouvoir possible sur l'environnement par l'adoption (qu'il souhaiterait) d'un plan d'occupation des sols qui détermine les terrains constructibles et par la détermination d'un zonage agricole (point sur lequel le maire de Peyrelevade ne

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déclarait pas avoir de pouvoir)1. D'autres maires et conseillers ont parlé de leurs actions par rapport à la mise en place d'un assainissement des eaux ou d'une déchetterie (Nedde, Saint-Martin-le Château). L'ancien maire de Faux, a déclaré « j'avais du pouvoir, maintenant je n'en ai plus ». Selon qu'ils se saisissent ou non de leur position de maire, la font valoir à une échelle supra-communale, ces derniers peuvent se sentir plus ou moins de pouvoir. Ils ont peut-être même trop de pouvoir : la maire de Rempnat ne se sent pas le droit de décider à la place de habitants de sa commune et le maire de Peyrelevade déplore que les gens veulent toujours voir la tête (le maire plutôt qu'un conseiller) et, de ce fait, s'interroge : « peut-être que je ne partage pas assez le pouvoir... ».

Au sein du Parc, les chargés de mission parlent de la dépendance de leurs actions aux financements régionaux. Ils doivent remplir des fiches sur leurs actions prévues, qui, si elles sont validées par la région, obtiennent des financements pour être réalisées. Le Parc n'a pas d'enveloppe dont il serait libre de choisir les utilisations, ce qui serait à mon sens préférable pour qu'il soit un organisme indépendant, pouvant efficacement s'occuper de décisions environnementales, pertinentes au niveau local. Au sein du Parc, les chargés de mission se reconnaissent peu de pouvoir et sont conscients des brides autour de leur travail. Celle qui s'occupe de la nouvelle rédaction de la charte du PNR se trouve, en revanche, un certain pouvoir par ce biais.

Les chargés de mission se sentent de l'influence (c'est le terme plusieurs fois employé) sur leur environnement de par les idées qu'ils émettent quand ils rencontrent des personnes ou par les actions qu'ils ont réussi à mener. Le chargé de mission sur le domaine des eaux comparait d'ailleurs son champ d'action sur Millevaches très supérieur à celui sur la Beauce, où il exerçait avant, et où aucune action ne lui paraissait aboutir vu le poids économique des agriculteurs (qui arrosaient énormément, employaient moult engrais et pesticides qui se retrouvaient dans les rivières) et de la FNSEA. Une autre chargée de mission est partie prenante dans l'ouverture d'un abattoir à Eymoutiers.

La présence du PNR Millevaches peut donc contribuer à modifier l'environnement, à renforcer le maintien des landes et zones humides, d'activités sur le secteur (manifestations environnementales, abattoir) ou à sauvegarder le bâti.

1 Il y a trois types d'espaces : les zones interdites au boisement, (agricoles), les zones de boisements soumises à autorisation et les zones libres de boisement. La première zone n'existe pas en Creuse faute de poste. Si une commune veut déterminer ses zones agricoles, elle doit faire venir cet « expert » départemental (absent de Creuse) : c'est pourquoi cela reste un processus assez lourd et loin d'être complètement maitrisable par les communes.

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Mais d'une manière générale, ces pouvoirs d'actions qui doivent en référer aux institutions sont cadrés et très limités quant à la représentation du poids décisionnel des habitants sur leur environnement. Mon avis est qu'il manque au PNR des temps où les chargés de missions (puisque que se sont eux qui s'occupent des actions du Parc) pourraient rencontrer les habitants pour voir en quoi le Parc pourrait leur utile à ces derniers. Et aussi, bien sûr, une indépendance financière vis-à-vis de la Région et d'organismes défendant leurs intérêts économiques comme le CRPF. La volonté de réduire la surface résineuse (d'aider à la reconversion de ces parcelles) comme on peut le lire sur certains projets serait peut-être alors plus visible et imputable à la présence du Parc... car on peut encore trouver, par exemple, un panneau promouvant le Douglas sur la tour du Mont Bessou. Le PNR Millevaches est toutefois récent et il faudra attendre quelques années pour mieux mesurer les impacts de sa présence. Son extraction de l'image d'antenne touristique que peuvent revêtir les PNR se fera probablement au prix d'une voix plus forte et indépendante des autres instances institutionnelles, notamment régionale.

2.2 - Les associations et autres collectifs

Caractéristiques

Les associations sont une des marques du Plateau de Millevaches. « La région Limousin compte, en rapport à sa population, 2,63 fois plus d'associations que la nation et le Millevaches compte, proportionnellement, 1,3 fois plus d'associations que la région soit 3,47 fois plus que la nation. » relève Olivier Davigo dans le numéro 1 d'IPNS1 (avril 2002). Le maire de Peyrelevade stipulait que, sur sa commune, presque chaque habitant devait faire partie d'une association. De par leur nombre, les associations ont un pouvoir sur les dynamiques locales et l`environnement local2. A celles qui sont enregistrées, dites « de loi 1901 », il faut ajouter les divers collectifs (ou communautés) qui n'ont pas pris le statut associatif mais qui représentent, de fait, une association d'habitants. J'ai également rangé les structures de types « entreprise » sous cette mention. S'il y a quelques scieries, les entreprises à vocation productive sont peu nombreuses sur le Plateau (surtout sur les communes témoins) et se concentrent davantage autour des villes ou le long de l'autoroute.

1 « Les données de base ont été d'une part gracieusement fournies par les sous préfectures (lieux d'enregistrement des associations), d'autre part achetées à l'INSEE. » précise-t-il. (article intitulé « 100 ans d'association sur le Plateau)

2 Voir liste et résumé des activités en annexe 8.

Carte 8 : Part des effestifs de l'économie sociale et solidaire par zones en Limousin Source : Conseil Régional de l'Economie Sociale (CRES) du Limousin

Carte 9 : Localisation des sièges des membres de « De Fil en réseau »

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En revanche, les structures à but social sont bien implantées sur le Plateau montre la carte 8 : c'est sur le sud creusois et le nord de la Corrèze que la part des emplois salariés est la plus élevée en Limousin. Les associations du Plateau n'y sont pas étrangères.

Toutes les associations ne sont pas actives, et certaines se sont montées, comme l'association des agriculteurs de Nedde, pour pouvoir collecter des fonds et tenir leur fête annuelle. Des habitants sont également simples adhérents sans participer vraiment à l'association, je les ai donc comptés parmi le « reste des habitants ». Je ne pouvais pas rencontrer toutes les associations, je me suis donc concentré sur les collectifs qui affichent des buts citoyens, qui veulent avoir un rôle dans l'avenir du Plateau ainsi que sur les collectifs au fonctionnement « horizontal » dont la forte présence imprègne le territoire. Ces derniers peuvent être des entreprises de type Société Coopératives Ouvrières de Production (SCOP) comme Cesam, Société Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) comme l'ARBAN, ou Société Anonyme à Participation Ouvrière (SAPO) comme Ambiance Bois. Dans le choix de ces formes intervient fortement la volonté de ne pas avoir de patron mais de prendre sa part de décision sur l'avenir de l'entreprise. Plusieurs collectifs ou associations revendiquent également le partage de la direction :

« Lorsque Anne annonça aux maires que, ça y était, Télé Millevaches avait déposé ses statuts et était formellement créée, la première question qui sortit de leur bouche fut immédiatement .
· -Et qui est le président ?

-Il n'y en a pas.

-... ???

Les maires ne furent pas les seuls à être interloqués. A la sous-préfecture on renvoya l'objecteur venu déposer les statuts en lui assurant qu'une association sans président était illégale. Coup de fil à l'administration pour lui expliquer en citant quelques précédents, y compris une association dont les statuts avaient été déposés dans les mêmes services quelques années auparavant .
· « C'était une erreur ». L'équipe ne désarme pas et revient à la charge. Le sous-préfet fait monter le dossier à la préfecture, qui l'envoie à Paris au

ministère. D'où il revient avec l'imprimatur ministériel .
· « Ils ont raison, la loi de 1901 ne rend pas le président obligatoire. »
(p.48) [Deleron, Lulek, Pineau, 2006].

Contrairement aux associations plus familières (chasse, pêche, sauvegarde du patrimoine bâti), les groupes, souvent proches des problématiques écologistes, qui affichent ces idées autogestionnaires sont en grande partie constitués par des migrants. Dans leurs compositions, on trouve aussi plusieurs jeunes. Le phénomène associatif a toujours été significatif (comme l'a noté le prêtre militant Charles Rousseau : voir p.49 [Lulek, 2009]) sur le Plateau mais l'arrivée des migrants l'a amplifié. Ceux-ci ont pu teinter les collectifs des valeurs de solidarité chrétienne ou libertaires-anarchistes. Les premières ayant pu déboucher sur les secondes comme c'est le cas des Plateaux Limousins au Villard (commune de Royère), où un

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bâtiment-chapelle a été construit, et qui est devenu laïque en entrant dans le XXIème siècle. L'association organise aujourd'hui des journées pour « expérimenter l'autogestion ». Elle fait par ailleurs partie d'un réseau de collectifs : « De fil en réseau ».

Relation 99.

Ces collectifs sociaux se connaissent bien et, pour beaucoup, entretiennent de fréquentes relations et partagent plusieurs de leurs manifestations. De Fil en Reseau, basée à Faux, regroupe au sein d'une association plusieurs collectifs, presque tous siégeant sur le plateau de Millevaches (Carte 9), et ayant parmi leurs principaux objectifs d'apporter de l'activité sur le Plateau, d'aider à l'installation sur le Plateau. De Fil en Reseau organise des apéros mensuels entre ses membres. Cesam-Oxalis elle-même peut se définir comme une SCOP de SCOP. D'autres associations comme « Energies pour Demain » (Peyrelevade) ou « Le Monde allant vers » (Eymoutiers) qui partage son local, lui sont très liées.

Plusieurs personnes appartiennent à divers collectifs. Les doubles appartenances sont nombreuses. Les collectifs sont donc également liés par des personnes physiques. D'autres sont issus de personnes d'un précédent collectif. Plusieurs membres à l'origine d'Ambiance Bois ont essaimé. A Lachaud, on trouve par exemple Atout Bois : point de ressources pour utiliser du matériel de menuiserie, dont s'occupe un ancien salarié d'Ambiance Bois.

Ces liens, officiels ou non, entre les collectifs « sociaux », orientés sur le développement local, se détachant des organisations hiérarchiques et de la société de consommation, permettent à leurs animations d'être suivies et leur donnent un pouvoir certain sur le territoire et sur l'environnement culturel du Plateau.

Ces collectifs ont beaucoup moins de liens avec les associations de sports, chasse, patrimoine et je n'ai pas constaté d'activités communes aux deux types d'associations même s'il y a une relative connaissance mutuelle. Des sujets mettant en avant les activités de ces associations « classiques » sont tournés par Télé Millevaches. Ces dernières associations sont, du reste, assez peu liées entre elles.

Relation 9.

Les membres des collectifs « sociaux » voient leurs activités comme complémentaires. Certains peuvent en trouver d'autres trop critiques politiquement ou pas assez. Ils reconnaissent leurs actions mutuelles. Certains collectifs revendiquent leur indépendance financière et peuvent jeter un oeil critique sur les associations qui doivent jongler avec leur attache à la Région par les comptes et les emplois salariés. Mais on veut marcher dans le même sens et contribuer à rendre le territoire vivant.

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Relation 1.

Quand les associations de loi 1901 demandent des relations avec les institutions, c'est parce qu'elles recherchent des financements pour leurs projets. Ces financements proviennent pour beaucoup de la Région, mais possiblement des Communautés de Communes ou du PNR. Selon les associations et les institutions qui sont en relation, ces dernières sont plus ou moins bien vues par ces premières. Plusieurs associations « sociales » évoquent les limites de leurs possibilités ou de leurs choix à cause du conditionnement des aides publiques. Il y a une certaine méfiance envers les institutions même si plusieurs projets peuvent être menés conjointement (relation 12 du II-2.1). Le livre sur Télé Millevaches [Deleron, Lulek, Pineau, 2006] relate un conflit entre le média et un bureau d'élus (conseillers régionaux, généraux, et maires) qui voulait imposer un logo au générique, un des arguments avait été le « légitime droit de regard et de présence dans un magazine financé en partie par des fonds publics ». Mais Télé Millevaches n'a pas signé la convention (avec logo) voulue par les élus. Les auteurs écrivent :

« Télé Millevaches existait, produisait, remplissait son contrat de réaliser un magazine mensuel. Bref, le syndicat d'élus était bien obligé de suivre financièrement. Il avait compris que dans le cas présent, il était sans doute allé un peu trop loin et que le rapport de force n'était pas en sa faveur : si télé Millevaches, faute de financements, avait dû mettre la clef sous la porte à cause d'une bête existence de logo, il aurait eu du mal à en assumer les conséquences. »

Car les membres de Télé Millevaches se seraient exprimés sur les causes.

Ce conflit est surtout, pour les auteurs, le signe d'un fossé culturel entre un mode de fonctionnement hiérarchique institutionnel qui peut facilement prendre tournure autoritaire et les initiatives autogestionnaires, le signe d'une « crise de la représentativité politique »1.

Des membres de communautés (comme celle de Tarnac) peuvent aussi critiquer et refuser tout jeu électoral. Les institutions sont vues comme privations des responsabilités et du pouvoir des habitants.

Dans leur ensemble, les critiques émanant des associations s'adressent d'abord aux institutions supra-Plateau : européennes, nationales et régionales. Parfois aussi, elles critiquent les institutions communales. Par exemple, l'association EDDEN, dont des membres s'étaient présentés sur une liste concurrente à celle de l'actuel maire, reproche à ce dernier de ne pas leur permettre d'émettre leurs propositions à la fin du conseil municipal. Elle a d'ailleurs organisé un débat autour des problèmes de la démocratie représentative (l'affiche de ce débat figure en annexe 5). A Faux, en revanche, la mairesse appartenait à la SAPO Ambiance Bois.

1 Voir aussi l'extrait du livre de Télé Millevaches, deux pages en amont.

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Concernant le PNR, plusieurs associations (dont Télé Millevaches) se sont impliquées dans la campagne pour soutenir sa création. Mais aujourd'hui les relations, quand elles existent, sont plutôt ambivalentes. Le Parc est souvent vu comme ayant peu de moyens et comme un organe trop administratif et institutionnel, bloqué dans certaines de ses actions. Sa faculté à pouvoir agir sur le territoire n'est pas complètement reniée mais remise en doute.

Relation 5 (et 56).

Avec le reste des habitants, les collectifs n'entretiennent pas spécialement de relations suivies en dehors des liens amicaux. Un membre d'une association de pêche me disait qu'il y avait peu d'adhérents aux réunions. Les associations « classiques » agissent chacune sur leur domaine de prédilection : restauration d'une église, gestion des permis de chasse, ... : elles peuvent avoir certains conflits avec des habitants : les pêcheurs avec les agriculteurs qui répandent de l'engrais ou qui dirigent les rigoles dans les près, ou les promeneurs avec les agriculteurs qui s'approprient des chemins, par exemple.

Les membres des collectifs « sociaux » sont nombreux à dire que leurs manifestations attirent surtout des migrants et que les « gens du cru » les fréquentent peu. Il y a donc une certaine partie des habitants que les collectifs « sociaux » ne touchent pas. Ils ne les connaissent que peu. Plusieurs d'entre eux affichent pourtant l'information de la population ou « l'éducation populaire » parmi leurs objectifs, mais ils reçoivent plutôt les personnes curieuses qu'ils ne vont chez les gens qu'ils ne connaissent pas. Dans ce cas, ils perçoivent plutôt les habitants comme des personnes fermées, « à réveiller », des personnes auxquelles ils peuvent donner du pouvoir en leur apportant une information, un sujet à débattre. Télé Millevaches revendique, elle, le processus inverse : rapporter la parole des habitants et va davantage à leur rencontre. Dans les premiers temps où les magnétoscopes étaient peu répandus, les projections publiques étaient le principal mode de diffusion. Télé Millevaches a donc pu marquer le territoire en touchant ses habitants.

Les actions communes entre associations et habitants -et avec le soutien des institutions locales- sont plutôt occasionnelles, liées à un fait : manifestations pour défendre les inculpés de Tarnac, pour s'opposer à la fermeture d'une classe par exemple. De même les conflits frontaux et ouverts sont rares.

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Perception du pouvoir et actions.

Parmi les membres des associations « classiques », pourtant en rapport direct avec l'environnement physique : (chasse, pêche, sauvegarde du patrimoine), aucun n'a affirmé avoir du pouvoir sur son territoire. Une membre de l'A.R.H.A de Tarnac, association orientée sur le petit patrimoine, a déclaré avoir peu de pouvoir au vu des interdictions de fouilles (réservées aux professionnels de l'archéologie). L'association s'applique pourtant à mettre en valeur des petites fontaines, et surtout entretient les chemins et en ouvre de nouveaux. Les panneaux directionnels pour promeneurs sont très visibles. L'association a donc un certain impact sur l'environnement cantonal : elle a d'ailleurs un local sur la place de Tarnac.

Parmi les collectifs « sociaux » les discours sur le pouvoir sont plus diversifiés, en rapport avec la façon dont chacun comprend le concept de pouvoir. Certains déclarent rechercher du pouvoir, c'est-à-dire que leurs idées puissent se matérialiser sur le territoire : c'est le cas d'un membre de l'ARBAN qui s'investit, entre autres, dans la construction d'un éco-quartier à Faux. Ou c'est encore le cas de Marc, à l'origine du lancement récent de « Nature sur un Plateau » (entretien rapporté en annexe 7) : « Moi, je revendique mon pouvoir sur l'air que je respire, sur l'eau que je bois, sur les paysages, l'endroit où je vis. ». Le maillage associatif, les liens entre collectifs « sociaux » sont souvent cités comme une façon d'avoir du pouvoir sur son environnement. Certains comparent le Plateau aux lieux d'où ils viennent et le qualifie alors de dynamique.

Plusieurs déclarent avoir de l'influence (plutôt que du pouvoir) tandis que d'autres rejettent également ce terme, le percevant comme une façon autoritaire de propager des idées. Mais de fait, via les médias locaux ou les manifestations culturelles, ils ont une certaine aura. Leurs discours parsèment sur le territoire.

Comme pour les membres du PNR, certains évoquent leurs actions et leurs résultats pour accréditer leur « impact » sur le territoire. C'est le cas au « Monde Allant Vers », ressourcerie installée à Eymoutiers qui recycle ou réemploie les déchets dont les collectes sont assez fréquentes. Les actions des collectifs « sociaux » touchent davantage les personnes que l'environnement proprement physique. Comme Pivoine, elles peuvent revendiquer l'éducation populaire comme valeur et proposent des réflexions autour de la démocratie ou, comme beaucoup de membres appartenant à De Fil en Réseau, aident des personnes à s'installer : Champs Libres ou VASI Jeunes le font au niveau de l'agriculture, permettent à des jeunes de se tester puis de trouver où s'installer. Ces collectifs sont donc une source d'attractivité pour le Plateau, permettent de maintenir une présence humaine. Ce qui ne sera

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pas sans conséquences sur l'environnement physique : les résineux, par exemple, auront du mal à conquérir de nouvelles terres agricoles.

L'expérimentation d'une autre forme de société est aussi une action mentionnée, par les Plateaux Limousins par exemple. Un de ces membres déclare que ce qui est recherché n'est pas le pouvoir, ni l'influence mais plutôt le « pouvoir être » et « pouvoir faire », de ne pas être dominé mais d'être acteur de sa propre vie. Le mode de fonctionnement revient souvent dans les discours sur le pouvoir : c'est lui qu'un salarié de De Fil en Réseau me cite en premier. Il parle des décisions qui sont prises par une assemblée qui se renouvelle et non par un président. L'adoption du statut SAPO, qui met à égalité les voix des ouvriers et celles des actionnaires avec, pour ce qui concerne les ouvriers, le principe un homme = une voix, a fait le fruit d'une longue recherche pour Ambiance Bois [Lulek, 2009].

-La démocratie ne s'arrête pas à la porte de l'usine, me dit un membre de la SCOP Cesam.

Par le biais des nombreux collectifs « sociaux » du Plateau, plusieurs conceptions du pouvoir apparaissent et s'il en reste pour juger leur pouvoir faible, parce que certaines actions sont lentes ou que leurs financements restent restreints ou conditionnels, le pouvoir est une notion que beaucoup interrogent et remettent en cause en tant que rapport de force entre personnes. C'est peut-être pourquoi le pouvoir sur l'environnement requiert pour eux plus de sens ?

2.3 - Le reste des habitants

Ce sont ceux qui pour faire valoir leurs idées, ne s'investissent ni dans les institutions, ni dans une association, une communauté ou un collectif constant.

Caractéristiques et relation 77.

Parmi eux, on trouve beaucoup de retraités, d'agriculteurs, et une plus forte proportion de « gens du cru ». Mais il y a aussi des migrants qui se sont installés sans s'attacher à une association. Ces derniers ont tendance à davantage se retrouver autour d'évènements culturels que les premiers et se connaissent par affinité culturelle. Les « gens du cru » se connaissent aussi par relations de voisinage. Même s'ils se fréquentent peu, les uns et les autres peuvent se retrouver autour de l'école quand les enfants ne prennent pas le car.

On m'a parlé plusieurs fois de la solidarité de village : pour faire les courses, pour entretenir les bâtiments. C'était le cas à Clavérolas (commune de Nedde). La communauté villageoise n'est pas toujours devenue une expression vaine. Aux Salles (commune de Gentioux), on compte se réapproprier les sectionnaux.

80

Cette solidarité n'est pas réellement palpable entre les agriculteurs. Ceux qui produisent en « bio » sont plus proches, via les marchés et un réseau d'agriculteurs bio mais les autres travaillent de manière beaucoup plus isolée et ne s'entendent pas suffisamment pour porter des revendications communes sur le territoire. Un agriculteur de la commune de Rempnat s'attristait du fait que certains veulent devenir toujours plus gros, veulent « le village pour eux tout seul ».

Relation 7.

La perception des pratiques de l'autre n'est pas forcément positive dans le domaine agricole même si on sait se rendre service, s'échanger des parcelles pour effectuer des regroupements spatiaux. Par ailleurs, les agriculteurs connaissent leurs collègues des alentours, savent où sont les domaines agricoles. Ceux qui font de la viande (les plus nombreux) vont très peu sur les marchés et ont moins de contacts avec les habitants de communes plus éloignées.

Plusieurs habitants ont cité leur profession comme vecteur de contact : apiculteur bibliothécaire, institutrice, ... et, au final, peu de monde dit n'avoir pas de lien avec les habitants. A Faux, le fait que les enfants viennent à pied leur permet de rencontrer les gens du village, donc permet du lien, relatait la directrice dans une émission radio1.

Mais la profession est aussi un temps pris sur celui de la discussion avec les autres habitants, associations ou institutions. Les agriculteurs sont beaucoup à dire qu'ils travaillent tout le temps, prennent peu de vacances et gagnent moins que le SMIC.

Relation 3.

Les mairies étant assez disputées, la considération pour le maire peut varier avec le bord politique. Celui-ci peut-être taxé d'autoritarisme sans forcément de précisions (« il décide tout seul » disait une habitante d'un hameau de la commune de Gentioux).

Seul celui de Tarnac (résident occasionnel et élu, semble-t-il, grâce à des votes de résidents secondaires) concentrait de vives et ouvertes critiques. Cet hiver, après le gel des

canalisations, lors du besoin d'approvisionner en eau le village de Larfeuil, un habitant a rapporté que le maire ne connaissait même pas le hameau (pourtant sur sa commune).

Le Parc Naturel Régional est connu de tous les habitants interrogés ce qui n'est pas le cas de ses objectifs et de ses actions. Plusieurs sont contents de l'existence du Parc parce que c'est toujours un élément potentiel de dynamisme sur le Plateau, qui s'occupe de protéger l'environnement même s'ils ne savent pas en quoi consiste cette protection. D'autres n'y

1 Terre à Terre (France Culture).

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voient qu'un gadget touristique. Beaucoup d'avis demeurent peu tranchés en raison de la méconnaissance des actions du Parc.

Les agriculteurs sont moins nuancés. L'un d'eux me dit que seuls certains ont droit aux aides car ils savent s'y prendre pour remplir des papiers et que, statistiquement, les dossiers ont peu de chances d'être retenus. D'autres n'en ont jamais vu la couleur et auraient plutôt peur de contraintes imposées. Et plusieurs se déclarent soutenus financièrement par le Parc pour l'entretien des landes (ou tourbières) : ce qui est peu contraignant pour eux. Mais ces partenariats sont, pour beaucoup, tissés d'abord avec le réseau européen Natura 2000 (protection de certains sites où vivent des espèces rares et spécifiques : loutre, truite, moule perlière entre autres pour Millevaches). La personne qui s'occupe de Natura 2000 sur Millevaches déclarait que 90% des agriculteurs étaient impliquées dans le réseau. Ce qui est exceptionnel pour Natura 2000. Des nouvelles aires Natura 2000 ont même été crées. Ils sont donc un bon nombre à être ou en partenariat ou à suivre, de manière potentiellement intéressée (c'était le cas d'un producteur de myrtilles pour avoir un label PNR, malgré le peu de conviction dans l'utilité de ce label, ou d'un paysan pour l'abattoir d'Eymoutiers). Pour autant, ce ne sont pas complètement ceux qui le décident qui ont des relations avec le Parc : les agriculteurs qui exercent sur les landes et les tourbières sont les premières cibles du Parc et tous ne trouvent pas leur place dans la participation à la gestion de l'environnement avec lui.

Relation 6.

Les associations et les collectifs sont également assez connus des habitants, surtout ceux qui siègent à proximité de chez eux. Mais cette connaissance peut rester vague. Les « néo-ruraux » que j'ai rencontrés se félicitent en général de l'activité associative du Plateau et se renseignent sur les diverses manifestations proposées. Parmi les «gens du cru », j'ai relevé deux types de discours. Les premiers reconnaissent l'apport du dynamisme associatif mais n'ont pas le temps de les suivre, ni n'affichent de curiosité particulière. Les autres, dans une approche plus politique, considèrent les membres des associations comme des assistés ou ceux des collectifs comme des profiteurs du Revenu de Solidarité Active (RSA) sans pour autant les connaître. Le RSA, quand il existe, peut être lui aussi une approche politique : celle de ne pas travailler pour n'importe qui. Je me risquerais à dire que les appréciations tiendraient davantage à la reconnaissance (d'habiter et d'être actif sur le même territoire) et que les dépréciassions tiennent plutôt à des divergences politiques sur la conception de ce que doit être le travail (effort méritoire contre activité insubordonnée).

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Perception du pouvoir et actions.

-Pensez-vous avoir du pouvoir sur votre territoire ?

-Normalement oui, me répond la femme d'un couple de retraités. Et lui de reprendre les mots. Dans le « normalement », je pense que se glisse une confiscation. Que stagne également une difficulté de savoir quel est son pouvoir sur son environnement. Dans les entretiens des habitants qui s'expriment toutefois de façon tranchée, 27 déclarent clairement n'avoir aucun pouvoir contre 11 qui citent des façons d'avoir du pouvoir sur l'environnement. Sept sur ces onze sont des dits « néo-ruraux ». Les décisions qui se font au dessus d'eux : au niveau européen ou par les banques, le territoire faiblement peuplé, les écoles qui ferment, le manque d'emplois ou les normes imposées sur la propriété sont les principales raisons qui attestent pour beaucoup qu'ils n'ont pas de pouvoir. Les deux dernières raisons se rapportent directement à l'environnement local, social et physique. D'après ces discours, ces habitants sentent avoir difficilement prise sur l'environnement. Une agricultrice de Haute-Vienne parlait d'une parcelle de sapins qu'elle voulait reprendre pour l'agriculture mais ne pouvait car la parcelle était accolée à d'autres parcelles de bois. D'autres avaient coupé une parcelle de leurs sapins mais ont dû reboiser. Car, à l'époque, ils avaient touchés des primes pour planter. Le contrat, dans ses petites lignes, stipulait que la parcelle devait être replantée. Un seul m'a dit qu'il faisait ce qu'il voulait sur son terrain.

Ceux qui se mettent en « agriculture biologique » se trouvent davantage de pouvoir, notamment celui de ne pas dégrader l'environnement mais aussi de maintenir les prairies et donc d'avoir un pouvoir sur la composition du paysage.

Certains qui pensent avoir du pouvoir évoquent la qualité de vie car plusieurs d'entre eux ont fait le choix de vivre ici. Leur rythme de vie est moins stressant, plus posé et ils peuvent également s'occuper d'un jardin ou avoir quelques poules, leur environnement est moins pollué. Certains évoquent leurs relations : « je vais à l'épicerie du village » me dit une jeune femme de Nedde après avoir affirmé qu'on n'a pas de pouvoir tout seul. Une bibliothécaire parle des livres qu'elle conseille, une institutrice du pouvoir de l'école d'obtenir ce qu'elle demande de la mairie ou du département : les écoles étant peu nombreuses, elles sont précieuses pour les communes. Un apiculteur, qui fait un travail éducatif par l'observation des ruches, du va et vient des butineuses, se trouve un pouvoir de lien entre les humains par l'intermédiaire des abeilles.

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2.4 - Bilan des relations

Le fait d'être lié au monde institutionnel ou associatif joue sur la perception du pouvoir que peut avoir chaque habitant. L'intégration de collectifs est certainement un des facteurs qui permet aux habitants de penser qu'ils pèsent sur leur environnement. Le tissu associatif apparaît en effet comme un facteur de dynamisme sur le Plateau, il est le moteur de nombreuses actions. Les institutions doivent en passer par lui pour atteindre le territoire. Il est l'un des principaux vecteurs de l'originalité du territoire, notamment par le fait que certains arrivants le perçoivent comme dynamique, comme un lieu possible d'expression. Une partie de ce tissu est imprégné d'un esprit libertaire qui revendique une pratique du pouvoir autre que la représentativité, la verticalité avec ses ordonnants et ses exécutants. C'est pour cela que certains différents politiques peuvent paraître assez marqués.

Il reste une partie des habitants qui pense ne pas avoir de pouvoir, qui ne sont pas liés autour d'un projet pour le territoire et qui ont peu de contact avec les collectifs (ou le PNR) parce qu'ils ne le veulent parfois pas ; aussi parce qu'ils les ne les connaissent pas et ont peu de temps. Pour qu'ils se sentent du pouvoir au même titre que d'autres, les institutions ou associations ne doivent pas se contenter de les attendre mais, à mon avis, se présenter et recueillir, confronter les opinions...

Les débats qui peuvent exister font vivre le Plateau : ils relèvent eux-mêmes -par l'expression- d'un mode de pouvoir de la population sur son territoire. Au travers des discours des différents acteurs plusieurs leviers se sont dessinés. J'ai essayé de les définir et de mettre certains d'entre eux en lumière. Car je pense que la connaissance des façons d'avoir du pouvoir sur son environnement est aussi un encouragement à s'en saisir.

3 - Différents leviers de pouvoir de la population sur le plateau de Millevaches

Comment un habitant peut participer aux décisions de son environnement ? C'est aussi une façon de se poser la question : comment peut-il être acteur et non victime de sa vie ? Ce n'est pas pour autant, bien sûr, que se dissipe le brouillard : vanité de l'action qui court derrière la vie.

3.1 - La propriété

Une grande part du foncier n'est pas entre les mains des habitants et la propriété participe beaucoup à restreindre leur pouvoir.

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Mais il reste encore de nombreux petits propriétaires parmi les habitants. Certains n'hésitent pas à citer d'abord le travail de leur jardin comme moyen de pouvoir sur l'environnement. Le jardin représente la possibilité directe de ce nourrir, il revêt cette part d'autonomie qui manque à celui qui n'a pas de terrain. C'est un espace où notre choix est absolu, que l'on peut cultiver comme on veut, de manière saine. C'est la possibilité, aussi évoquée, de manger de la nourriture saine, sans pesticide. A plus grande dimension, la propriété garde cette image de choix d'occupation des sols. C'est parce qu'il y a des agriculteurs propriétaires, qui vivent sur place, parce que des retraités décident de louer à des agriculteurs, que les friches ou les plantations de résineux ne gagnent pas tout l'espace. C'est en se détachant de la collectivisation et en reprenant le discours révolutionnaire du partage des terres que le parti communiste s'est implanté sur le plateau de Millevaches. « La petite propriété n'est qu'une apparence. Le communisme seul est en mesure d'en faire une réalité » déclarait, en 1922, le premier député communiste de Corrèze [Boswell, 2004]. Il est toujours vrai que le partage du foncier est très inégal et alimente toujours les revendications. Il y a peu de place pour ceux qui voudraient nouvellement s'installer.

Au-delà du jardin, le pouvoir de la propriété est pourtant limité. Le statut de beaucoup de parcelles se fige : prairies permanentes ou bois, espaces protégés. Les conversions ne sont pas si aisées ; elles sont très règlementées. Toutefois, il reste des marges de choix. Plusieurs petits propriétaires du Plateau possèdent leur parcelle de conifères. Ces parcelles étaient un placement des aïeux. Ils restent libres de refuser des coupes rases, de demander une conversion, de replanter avec des feuillus, de ne pas se soumettre à l'avis des forestiers. Les agriculteurs gardent également le choix du type d'agriculture qu'ils pratiquent. Quelques hectares possédés sont toujours un espace de liberté. Mais la possession d'un trop grand nombre d'hectares entraine une incapacité à gérer tout le domaine : c'est ce que me rapportait un paysan. Et si certains éleveurs recherchent encore des hectares c'est surtout parce leur mode d'élevage et la Politique Agricole Commune les y pressent. Les propriétaires de bois qui détiennent plusieurs centaines d'hectares sont d'ailleurs obligés de laisser la gestion de leur domaine à l'Office National des Forêts et aux groupements forestiers qui façonnent alors le visage des forêts. Elles deviennent leur manne financière et ne répondent plus à la volonté des habitants locaux ou à leurs besoins.

Je rejoins l'analyse de Christian Beynel sur la nécessité que la forêt -et plus généralement le foncier- soit possédée par des locaux et ne se résume pas à du capitalisme sur pied pour des intérêts extérieurs [Beynel, 1998]. Mais contrairement à lui, je pense que le morcellement, résultant du nombre important de petits propriétaires, est un facteur de pouvoir pour ses

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propriétaires et offre une meilleure gestion écologique (plus de diversité) que les regroupements qui visent en réalité, via le nombre d'hectares boisés et contigus à différer le pouvoir de contrôle aux forestiers... qui s'empresseraient de faire pression sur les propriétaires. D'une part pour maintenir du bois, et du bois de résineux, de l'essence la plus rentable pour eux, celle qu'ils pensent la plus adaptée au marché (actuellement le Douglas), au déni des besoins réels des habitants en bois de chauffage, en parcelles agricoles, de la qualité des sols et des rivières altérés par leurs pratiques. D'autre part pour conditionner la gestion des forêts et l'utilisation du bois et ainsi obliger les propriétaires à passer par leurs services.

Toutefois il y a des regroupements de parcelles qui peuvent rester sous le contrôle des habitants via les institutions (les communaux) ou directement (les sectionnaux). Cette dernière forme et à la fois une manière de décider de son espace et de prendre en compte les besoins du voisin. Les habitants gagnent du pouvoir sur leur environnement quand ils disposent d'un espace de liberté par la propriété mais si par leurs pratiques, ils dégradent cet environnement, la qualité de vie de leurs voisins peut s'en trouver atteinte. Les dégradations, quand elles existent, ne sont-elles pas proportionnelles au nombre d'hectares détenus ?

« Qu'un propriétaire décide comme ça s'est fait dans le Parc Naturel, qui n'est pas le nôtre, du Périgord-Limousin, qu'un propriétaire d'une plantation de châtaigniers malades décide d'y mettre des pesticides par hélicoptère, c'est son droit. Qu'il impose à son voisin de le respirer, est-ce que c'est toujours son droit ? » (Marc Lajara, Annexe 7).

Des regroupements existent aussi pour préserver le petit patrimoine bâti (un lavoir d'un hameau par exemple, une fontaine) indépendamment de qui pourrait en être propriétaire. La propriété immobilière reste surtout, quant à elle, une contrainte pour qui la recherche.

Levier de pouvoir réel sur le plateau de Millevaches pour plusieurs habitants mais dont l'exploitation demande la concertation, la propriété est cependant loin d'en être le plus prégnant. Il en existe d'autres, qui lui sont certainement plus spécifiques.

3.2 - La communauté : les liens entre habitants

Plusieurs communautés se sont formées sur le Plateau (Tarnac, Bellevue, Faux) pour partager les ressources, ce qui fait que chacun a besoin de moins. C'est une façon de compenser la faiblesse des revenus perçus mais également un moyen d'avoir un accès plus direct à certaines ressources. On peut les rapprocher du fonctionnement de l'entraide villageoise, qui existe toujours. « La solidarité : une force de frappe » titrait Télé Millevaches

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(n°85) parmi ces sujets. En l'occurrence, des habitants se regroupaient pour aider quelqu'un à retaper une ferme.

L'échange direct est toujours un moyen de se dédouaner des circuits commerciaux et des pesticides introduits dans la majorité des produits qu'on achète. A Bellevue, on fabrique du pain pour approvisionner des amis, voisins, on l'échange contre du fromage... La communauté peut justement devenir le pendant d'une autonomie par la propriété qui, par la nécessité continue de gérer son seul bien (parfois trop grand) induirait davantage une perte de pouvoir qu'une indépendance. Cette reconnaissance de la dépendance à l'autre qui se matérialise dans la création de liens, en particulier de liens sociaux, plongent les gens dans leur environnement et leur permettent de porter des projets pour le territoire. Les liens entre les nombreuses associations à caractère social sont très souvent cités comme facteur de pouvoir par leurs membres. Ces associations sont d'autant plus prises en compte, notamment par les institutions supra-locales, qu'elles agissent sur le territoire, qu'elles attirent des jeunes qui viennent faire des stages et des nouveaux habitants. Dans l'Eco-Pouvoir, Pierre Lascoumes écrit (chapitre 6) que les actions des associations « jouent un rôle essentiel dans la construction des représentations sociales comme dans le développement des interventions publiques et privées » et, ce qui s'applique tout à fait au Plateau, que les combats écolo-associatifs sont une « dénonciation des influences exercées par les groupes de pression économique sur les élus locaux et l'administration territoriale »[Lascoumes, 1994].

Par les liens entre collectifs, ou entre voisins, il y a une volonté de ne pas subir le pouvoir. Celle-ci a pu se manifester après les arrestations de Tarnac avec la rapide création d'un comité de soutien, de refus de nombreux habitants de se plier au lynchage journalistique national d'abord entrepris (puis révisé)1. Cette volonté de résister est exprimée dans l'article 2 du « Refuge des résistances » qui siège à Peyrelevade.

Article 2 : Cette association a pour objet de résister à la société spectaculaire et marchande en faisant vivre sur et à partir du plateau de Millevaches, des lieux ou des moments ouverts de formations, réflexions, créations, recherches, rencontres internationales dans le prolongement de l'esprit de résistance et des questionnements portés par et avec Armand Gatti2 et autour de son oeuvre.

Cette association est d'ailleurs nationale. Si les collectifs sont localement liés, ils le sont

également au niveau national. Plusieurs font parti du Reseau d'Echanges et de Pratiques Alternatives et Solidaires (REPAS). Le Plateau est d'ailleurs le plus gros pourvoyeur de ce Réseau.

1 Revoir note p.22 (I.1.2)

2 Artiste (poéte, dramaturge, réalisteur, metteur en scène). Il s'investit dans des expériences de créations artistiques originales te révolutionnaires.

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Ces liens ne sont donc pas sans influence sur l'environnement local ; cela parce qu'ils portent l'expression culturelle. Ainsi, les habitants du Plateau sont entourés d'initiatives culturelles qui sont aussi un facteur de lien entre eux, un pouvoir d'expression.

3.3 - La culture, l'influence et l'expression

Prétentieuse tâche que celle de définir le pouvoir. Surtout en voulant nommer des leviers de pouvoir et donc faire des catégories. Pourtant, le levier qui serait peut-être le plus utilisé sur le Plateau et qui relève de cette forte présence culturelle marquant l'espace est aussi le plus difficile à ranger derrière une terminologie. C'est peut-être tout simplement le Savoir.

L'influence

-Je dirai plutôt de l'influence, m'ont répondu de nombreuses personnes à la question : « pensez-vous avoir du pouvoir sur votre environnement ? ». Dans 25 cas (sur 97), l'influence est évoquée comme une façon d'avoir du pouvoir. Beaucoup de chargés de mission du PNR emploient le mot, également des membres associatifs mais aussi des habitants qui, par leur profession, ont des contacts avec la population : faire les marchés, tenir un bar, une bibliothèque... Mais l'influence n'est-elle pas aussi l'aveu du peu de pouvoir décisionnel effectif ? Ou plutôt de l'oubli des institutions comme moyen de participer aux décisions locales parce que celles-ci n'offrent justement pas assez de pouvoir aux habitants ? Pourtant c'est bien lorsque les idées finissent par passer au sein de la population qu'elles trouvent leur réalisation physique. L'existence du Parc est due en grande partie à l'influence de certains habitants et certaines associations. Si la fête des « nuits du 4 août » a pu avoir lieu à Peyrelevade, c'est parce que le Plateau est imprégné d'une histoire de la résistance et d'un renouveau de l'esprit libertaire, parce qu'il est le siège d'expériences alternatives. C'est pour influer sur le paysage physique que Nature sur un Plateau s'est crée : « l'association je considère que c'est un aiguillon, c'est la mouche du coche. ». 1

L'extrait du livre sur Télé Millevaches (p. 67) souligne un influence des associations qui parvient jusqu'aux élus et avec lesquels ils sont obligés de compter. Le groupe de L'Union Pour un Mouvement Populaire (UMP) au Conseil Régional a écrit dans sa tribune :

On a inversé la procédure. C'est la population qui éclaire l'élu !!! Mascarade et légèreté qui

permettent à certains groupes organisés de distiller un flux d'informations et de faire pression sur la vie démocratique. (voir annexe 6)

1 Marc Lajara. Annexe 7

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Les groupes organisés visés n'étaient évidemment pas les partis politiques mais les collectifs « sociaux », ceux du Plateau en particulier : en tout cas le membre associatif qui m'a transmis cette tribune s'est senti visé. L'influence est un moyen d'expression qu'utilisent les associations parce que la « vie démocratique » ne le leur permet justement pas (et le groupe UMP cité ne l'ambitionne pas puisqu'ils considèrent que l'élu doit guider la population ; rappelons que son rôle, dans la démocratie, est de la représenter). Le numéro 37 d'IPNS a également intitulé un article « Quand le Plateau donne des boutons à Limoges1 ». Le fait que les plus importants partis politiques s'inquiètent de l'influence des collectifs du Plateau sur le territoire et de leur esprit « atypique » pour reprendre un mot de l'article montre que l'influence est un levier de pouvoir certain. L'influence est d'ailleurs discutée comme moyen de pouvoir car ce que revendiquent certains collectifs (sous le terme d' « éducation populaire »), c'est justement le développement de l'esprit critique, que la population puisse participer aux décisions territoriales avec un jugement éclairé et réfléchi, non influencé. C'est une autre conception du pouvoir qui s'exprime et qui se lit dans l'expression « Plateau insoumis ».

L'expression

S'exprimer sur son environnement, c'est vivre dedans, c'est observer, c'est partager, c'est pouvoir dire. C'est un marqueur mentionné des démocraties actuelles. Seront qualifiés de démocratiques, les régimes où l'expression est possible, où la presse est diversifiée et a la possibilité de critiquer le régime. Si ce pouvoir est un signe si marquant de la démocratie, n'est-ce pas parce qu'il est le principal levier de la population ? Que l'institutionnalisation de la gestion de la société reconnaît ses failles ? Quand ce pouvoir d'expression est sans conséquences, il devient évidemment un gadget. Mais lorsque les mots et les informations se transmettent, qui peut parier sur une absence de conséquences ? La dénonciation des arrestations de Tarnac (par les manifestations locales -et à Paris, par l'expression dans les médias, par la présence physique des mots et affiches dans le paysage) a permis une reconsidération de l'affaire. On peut trouver des conflits frontaux d'expression, au village du Rat (au nord de Peyrelevade), l'implantation d'éoliennes avait fait débat. Un parisien (récemment installé et qui a déménagé depuis) avait prêché et fait signer des pétitions contre les éoliennes. Le village s'est divisé car un autre groupe d'habitants s'est exprimé pour

1 Au Conseil Général de Haute-Vienne comme au Conseil Régional du Limousin, se sont les groupes socialistes qui ont la majorité. Absolue pour la Haute-Vienne (23 conseillers du Parti Socialiste / 41) et très confortable pour la Région (21 conseillers / 43). « Limoges » désigne, outre la capitale comme lieu de commandement institutionnel, les groupes socialistes qui y siègent majoritairement.

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l'implantation. Il aurait sûrement fallu une forte opposition pour empêcher le montage des éoliennes, ce qui n'était pas le cas. Chaque été, il y a désormais un festival (avec surtout de la musique) sur le site. C'est aussi une occasion pour l'association « Energies pour Demain » de s'exprimer sur les énergies renouvelables. Le fait que des déchetteries se soient montées, que de réseaux de chaleur au bois prennent corps, qu'on trouve des panneaux solaires sur les vestiaires de Peyrelevade n'est pas étranger à l'expression, la communication ou l'information sur les sujets énergétiques.

Par l'expression, il y a la volonté de revendiquer sa part de décision, mais aussi celle de donner sa part de décision à l'autre en lui apportant des connaissances. La certification du parking du Casino d'Eymoutiers sous le label « Programme for the Endorsement of the Forest Certification » (PEFC) permet d'exprimer une opinion sur ledit label et la gestion forestière, et informe de la fébrilité dudit label1. Le mensuel « Vivre sur le Plateau » de la Communauté de Communes du Plateau de Gentioux informe des diverses activités. L'information locale permet aux habitants de pouvoir s'impliquer dans la vie du Plateau, les entrainent parfois à s'exprimer. Les connaissances sont aussi un levier de pouvoir. Bien souvent parce qu'elles entrainent la reconnaissance. C'est pourquoi plusieurs initiatives encouragent, sur le Plateau l' « éducation populaire ».

Connaissances, reconnaissance

-Quand on avait besoin d'un paysan qui sache bien parler à la télé, on venait me chercher, m'a dit l'ancien maire de Faux, à propos du pouvoir qu'il avait. La culture est certainement un facteur de pouvoir. Des habitants qui ont accès à la culture, et d'autant plus à une culture libertaire, à une histoire résistante, sont certainement moins soucieux de se chercher un guide. Moins aptes à se laisser manipuler ? C'est une des raisons, en dehors de la possibilité de se divertir, de l'importance accordée à la culture par de nombreux collectifs, et même par le Parc Naturel Régional.

J'ai, pour ma part, emprunté plusieurs ouvrages régionaux (scientifiques ou romanesques) à une « communauté » d'habitants à Faux et Du contre-pouvoir à Felletin. Ces connaissances permettent une assurance d'expression (c'est pourquoi certains lancent des journaux), une reconnaissance par leur transmission. Donc une certaine autorité. Donc un pouvoir. Le fait de ne pas rester muet, d'être actif, et même d'être présent, donne de la reconnaissance. Donc une certaine autorité. Donc du pouvoir. Alors quoi ? La nécessité d'être toujours en branle pour

1 Lire la première partie de l'entretien avec Marc Lajara en Annexe 7.

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pouvoir décider un peu de son environnement ? N'a-t-on plus alors que le pouvoir d'être pris dans ces actions, de courir toujours, de croire qu'il faut courir ?

Certainement, de disposer d'un peu de temps aide à se distancier de l'obligation de pouvoir. Je pense que c'est pour cela, pour le temps et pour couver les oeufs du temps, que de nombreux collectifs se sont formés sur des principes ahiérarchiques.

3.4 - Le mode de vie

Vouloir du pouvoir sur son environnement ? Lequel : mondial, national, régional...local ? C'est vouloir la possibilité de disposer de sa vie, c'est vouloir des conditions de vie, une qualité de vie, qui font que l'on n'est pas soumis à son environnement, qu'il soit physique ou humain mais acteur de cet environnement. Ceux qui reviennent au Plateau avec leur retraite, dans la maison des grands-parents, ou dans la maison qu'ils ont achetée deux ans plus tôt, y reviennent aussi parce qu'ils s'y sentent mieux, plus libres, parce qu'ils auront un accès direct à leur jardin, qu'ils auront une grande maison, de caractère, parce qu'ils auront de l'espace. Et peut-être, malgré les faibles densités (ou par cause ?), plus de liens avec leurs voisins. Le pouvoir sur sa propre vie est parmi ceux qui sont les plus revendiqués sur le Plateau. En ouverture du livre sur Ambiance Bois, Michel Lulek écrit :

...pour travailler autrement, il vaut mieux compter sur son imagination et sur sa volonté que sur un ministre du Travail ou un quelconque plan de lutte contre le chômage. Une invitation donc pour que chacune, chacun, prenne le pouvoir, le vrai, celui qu'on peut avoir sur sa vie, son destin. [Lulek, 2009]

Ambiance Bois est caractéristique du recherche d'un mode, d'un rythme de vie choisi. Un rythme qui permet une implication dans la vie sociale. C'est pour cela que beaucoup travaillent à mi-temps. La recherche n'est ni le profit, ni la domination. Michel Lulek parle d' « une logique autre que celle de l'accumulation illimitée et de l'exclusion massive des perdants ». Les pratiques du pouvoir cherchent à être horizontales. Marc, salarié à Ambiance Bois, parle des 20 salariés qui sont autant de « têtes », de l'équité salariale, du fait de pouvoir choisir son nombre d'heures dans l'année et les tâches qu'on veut faire ou non (annexe 7). Ce pouvoir partagé, de par les statuts, trouve ses limites dans le pouvoir d'expression cité plus haut : les personnes les plus reconnues pesant le plus sur les décisions.

C'est la réflexion sur « comment vivre mieux ? » qui a conduit plusieurs personnes à choisir le Plateau comme environnement. Et même ceux qui reconnaissent, les paysans de longue date, que la vie est dure, n'échangeraient pas spécialement la pauvreté de la terre contre la pauvreté de l'espace.

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Pouvoirs collectifs et culturels

N

A

Rayère

D99

Les salles

Centre

Gentioux

Pigerolles

Bellevue

-la-montagne

Atelier de tranSformation de la viande, porc cul noir

Eoliennes (festival)

Ruchers communaux

Pey rel evade

Rempnat Tamac

Le Goutaillou


·


·

A, .

A A AL.

 
 
 

Bourg communal

Route principale

route secondaire

4 km

2012 Réalisation : J. Dupoux à partir de cartes IGN avec Arcgis

Millage

Communauté

En€reprise "horizon ale"

Bar alterna Iff et cul€urel

Autre lieu culturel (ber, salve_...)

Autres rni ietrves

Diffusion IPN5_Télé Millevaches

 

Carte 10 : Quelques lieux alternatifs de culture et lieux de pouvoir collectivisé

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Le choix de se passer d'intermédiaires, bien qu'il ne soit pas toujours financièrement intéressant, souligne un mode de vie bien présent sur le Plateau. Le pain de Bellevue est majoritairement échangé, des agriculteurs en Groupement Agricole d'Exploitation en Commun (GAEC) ont un atelier de transformation de la viande à Pigerolles et font de la vente directe, surtout hors Plateau ; ce qui n'empêche pas les marchés locaux d'être assez dynamiques. Le GAEC est aussi une façon de se dégager quelques samedis. Un vieux retraité sur la commune de Rempnat, à propos des paysans d'aujourd'hui, disait qu'ils savaient mieux s'arranger. Il a précisé ensuite que c'était pour s'échanger des parcelles ou pour prendre des jours de congés, tandis que lui -au regard- n'avait jamais quitté la région.

Le choix de son mode de vie entre pour beaucoup dans le pouvoir qu'on ressent sur son environnement. C'est la volonté de ne pas seulement subir, de ne pas seulement résister, de prendre les devants. Le pouvoir n'est plus entendu, dans ce cas, comme une place à conquérir. Mais dans le choix d'un autre mode de vie, ou de travail, il y a aussi la volonté d'influencer son entourage. Michel Lulek, en parlant d'Ambiance Bois, des idées d' «égalité et d'autonomie dans l'entreprise » cite le sociologue Dominique Allan Michaud « [De telles] initiatives micro-économiques peuvent-elles provoquer des fractures significatives dans

l'univers de la macroéconomie ? » et ajoute : « C'était notre prétention. ».

L'univers du Plateau de Millevaches est, lui, en tout cas, marqué par un réseau d'initiatives originales. La carte 10 reprend plusieurs d'entre elles et offre un résumé des formes de pouvoir collectivisé ou horizontal. Les habitants qui choisissent un mode de vie ou reposant, ou permettant des loisirs, ou une activité culturelle sont souvent aussi ceux qui s'interrogent quant au pouvoir. Ceux qui perçoivent les façons dont ils peuvent avoir du pouvoir sur leur vie.

3.5 - La perception du pouvoir

Penser avoir du pouvoir est peut-être l'une des premières raisons d'en avoir. Dans les discours, on peut très bien affirmer qu'on n'a aucun pouvoir, parce que des individus sont au-dessus de nous, sont nos supérieurs hiérarchiques, sans en penser goutte pour autant. Parce qu'on dispose d'une surface raisonnable de propriété par exemple, parce qu'on a des amis au Conseil Municipal, à la Région, dans une grande entreprise, on pense qu'on a du pouvoir mais on préfère ne pas le dire. Par peur que la révélation de ce pouvoir entraine sa contestation. Parce que, peut-être, ce ne serait pas un pouvoir, par certains aspects, tout à fait éthique ?

Les collectifs et associations, par leur activité et leur influence, peuvent détenir du pouvoir sur l'environnement du Plateau et compter dans les décisions environnementales mais les

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membres peuvent déclarer la faiblesse de leur pouvoir ou leur indifférence quant à sa recherche. Parce qu'une telle affirmation engendrerait les foudres de ceux qui sont aux postes institutionnels du pouvoir ? Ou parce que, là encore, le pouvoir qu'ils pourraient acquérir ne serait pas tout à fait éthique ? Je ne reçois que les discours mais je peux les mettre au regard des actions menées, de la propriété réellement détenue et du mode de vie mené. Qu'est-ce qui semble choisi ? Il est difficile de mesurer le pouvoir, d'autant plus au regard de la perception du pouvoir. Toutefois, la perception de différents leviers de pouvoir entraîne plus facilement leur utilisation.

Ce sont les membres des associations ou collectifs qui essaient le plus de décomposer leurs pouvoirs sur le territoire, qui parlent d'influence, de liens ou de fonctionnement interne. C'est pourquoi ils utilisent la culture, l'expression, qu'ils tiennent à la solidarité. Le pouvoir est aussi mental : on peut regarder, comme on le dit souvent, le verre à moitié vide ou à moitié plein. Les associations que j'ai qualifiées de « classiques », pour le sport, la pêche ou le patrimoine, visent aussi à maintenir une cohésion sur le territoire en y maintenant des activités. La présence des associations que j'ai qualifiées de « sociales » et leurs actions, leur façon de se faire entendre, les incitent, elles aussi à se monter ou donner de la voix pour les causes qu'elles veulent défendre (l'entretien des chemins, l'éveil musical, ...).

Au contraire, le fait de ne pas percevoir comment notre avis sur l'environnement local pourrait être entendu, de constater ses dégradations en sachant que des intérêts économiques sont en jeu derrière -« on coûte trop cher, nous, dans les campagnes » me disait-on à Clavérolas1- entraîne à abandonner certains leviers de pouvoir. La difficulté de se lier à des personnes d'autres villages du Plateau compte aussi dans cette absence de perception du pouvoir. Les seules actions qu'on puisse faire, retaper sa maison par exemple, ne changeraient pas grand-chose à l'environnement. Mais souvent, l'absence de perception du pouvoir jongle avec des causes ou évènements supra-locales. Les personnes peuvent oublier le « sur l'environnement ou sur votre lieu de vie » de ma question. Ou bien, ils considèrent que même leur proche habitat est décidé dans ses détails depuis un centre lointain (c'est l'exemple pris des fermetures de classes) contre lequel ils ne pourraient rien.

On peut aussi déclarer qu'on a du pouvoir sur l'environnement et décider de ne pas l'utiliser, et de décrire des actions qui attestent autant qu'on use de son pouvoir qu'on refuse de l'utiliser.

1 Sur la commune de Nedde

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3.6 - Le non usage du pouvoir

Les paysans en « agriculture biologique » sont souvent sur cette perspective. Ils considèrent avoir le pouvoir de ne pas détruire leur environnement. Ils se reconnaissent un rôle dans la composition du paysage, sur la présence d'espèces « sauvages » dans les champs, ou dans les parcelles de landes. Les personnes, parmi les collectifs, qui déclarent ne pas vouloir user de l'influence, tout en sachant qu'ils en ont, sont aussi sur le registre de la non-utilisation du pouvoir. C'est, selon Giorgio Agamben, l'étape ultime du pouvoir, sa marque la plus avancée [Agamben, 2006].

Ne pas se sentir poussé par l'obligation d'exercer un pouvoir particulier pour décider de son lieu ou de son mode de vie est peut-être, en soi, une autre forme de pouvoir. La mairesse de Rempnat déclare qu'elle n'a ni envie, ni besoin de l'autorité ou des contacts que lui donne sa situation, que les habitants de sa commune doivent décider autant qu'elle des affaires communales. Elle a cette possibilité de ne pas exercer son pouvoir ; cette possibilité souligne qu'elle a potentiellement du pouvoir. Il faut donc, avant cela, reconnaître la nature de ses potentiels pouvoirs. Au risque de l'erreur et de la prétention.

-C'est l'environnement qui a du pouvoir sur moi, disait un anglais installé depuis 3 ans sur la commune de Faux. Parce qu'il l'a choisi.

On peut ignorer ses limites ou en connaître certaines, on peut essayer de repousser les limites d'un rapport de force, dans un exercice épuisant de tir à la corde, celles de la connaissance, celles de son temps d'action sur le territoire ; on peut aussi décider, dans son champ d'actions de ses propres limites. Le refus d'un billet montre le pouvoir qu'on a sur l'argent ; le refus d'un siège de pouvoir montre aussi le pouvoir qu'on pense avoir sur lui. Le pouvoir redevient alors mental, presque un cadavre sans corps.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand