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Poétisation d'un univers chaotique

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par Assia Benzetta
Université Mentouri - Master 2 Analyse du discours 2014
  

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III.2. Une écriture hybride

L'écriture de Maryse Condé est unique : « La langue dans laquelle j'écris n'est pas le français, n'est pas le créole. C'est une langue qui est la mienne. J'écris en Maryse Condé »139(*). La création de Maryse Condé est rénovatrice et juteuse. Sans aucun doute, la réputation de Maryse Condé n'est pas à prouver car sa lumière est répondue sur tout l'univers. Comme le dit Francis Ponge, il s'agit de « parler contre les paroles ». Réinventer la langue, c'est réinventer le monde. Et Maryse Condé a pris comme mission d'expliquer et de réinventer le monde.

III.2.a. la création d'un amalgame

Sur la littérature antillaise, Jack Corzani140(*) et Antoine Régis écrivent : le premier auteur prouve dans La littérature des Antilles et de la Guyane141(*) l'indépendance de la littérature antillaise, tributaire de la Négritude, le second écrivain, par contre, approuve les filiations entre la littérature antillaise et la littérature française dans son ouvrage La littérature franco-antillaise. Ces deux théories situent la littérature antillaise au centre des traditions littéraires africaine et française : « Couvre donc un noeud de relations et d'interactions : elle suppose qu'attention soit portée aux mises en parallèle des textes, aux transits d'écriture, aux réécritures parodiques, mais encore à l'expression des antagonismes ou des coïncidences idéologiques»142(*).

Le terme Créole 143(*) signifie tout, à la fois culture, langue, mode de vie, moeurs, difficultés quotidiennes et problèmes d'existence typiquement créoles144(*). En page 61, Movar dit en désignant Reinette : « elle parlait français ! Je ne m'étais pas trompé. Elle n'état pas une enfant de la misère comme moi. Mais comme nous tous, c'était une enfant de la violence ».

Trois événements historico-littéraires expliquent ce renouveau de l'identité créole dans les romans antillais, qui sont des espaces dramatiques, des lieux d'antagonisme entre l'individu et la société, l'homme et sa culture, l'écrivain et son peuple « aliéné » par les violences du passé.

1. La décadence des identités originelles, résultat du voyage transatlantique, avait créé le déséquilibre affectif, les esclaves vécurent dans la plantation, déshérités de leur euphorie primitive. L'engagement des écrivains antillais prolonge les tâtonnements des esclaves, et les hésitations des colonies de la Caraïbe confirment la révolte des auteurs. Dans En attendant la montée des eaux, le bateau, que Movar a pris pour son voyage, est le lieu premier du contact avec l'oppresseur.145(*) qui ont embarqué sur le bateau Cinco de Mayo : « (...). Les enfants avaient l'air de vieilles personnes, et les parents de guèdes sortis directement des cimetières », p.57.

2. La diversité des cultures, source même du métissage, serait à l'origine des insuffisances de repères d'ordre moral, social, culturel et psychologique concernant l'antillais147(*): il doit faire face à son destin d'homme colonisé. Bien que vivant dans cette société métissée, sa propre société, il n'en demeure pas moins l'exclu, l'exilé, le banni qui recherche sa place au soleil, le déplacé qui veut s'intégrer à nouveau, et par l'identification linguistique, dans l'univers géographique « imposé » mais accepté :

a- la double appartenance linguistique au français et au créole influence les écrivains antillais, les deux langues s'entrecroisent parfaitement dans les structures narratives pour symboliser les affrontements entre Maitre et Esclave.

b-l'influene de la culture orale traduit une forme de l'écriture métissée. En fascinant les auteurs antillais, l'oralité présente dans leurs romans la double fonction « esthétique » relative à l'écriture, et « éthique », attache à la thématique148(*).

c- le « décentrement » est une des problématiques de la littérature antillaise en général, et de l'écriture métissée en particulier. Le centre représente l'occident, s'oppose à la « périphérie » des pays colonisés comme les Antilles. Il s'agit de décolonisation littéraire. Le dessein idéologique serait de décoloniser la littérature, transmettre la parole littéraire à de nouvelles voix. Qui s'élèvent pour dire des vérités inconnues jusque là, à défaut de pouvoir écrire dans le passé. Selon Maryse Condé : « la société antillaise souffre d'un sentiment de frustration et les écrivains consciemment ou inconsciemment se sont efforcés d'offrir à leurs peuples des mythes de remplacement »149(*).

L'identité antillaise, première matière des romans de Maryse Condé150(*), est enfuie à l'intérieur des formes d'écriture métissée. S'ajoutent les influences littéraires subies par les auteurs.

La crise du personnage antillais, les structures constamment renversées et éclatées, l'assemblage des récits, et le renouvellement du langage littéraire créolisé, prouve la « modernité » du roman de Maryse Condé. La modernité commence par avec la recherche d'une littérature impossible. Ainsi l'on retrouve dans ce roman, cet appareil à la fois destructif et résurrectionnel propre à tout l'art moderne151(*).

On ne saurait nier la présence du lexique insulaire dans En attendant la montée des eaux. Cette constance est l'empreinte de la littérature francophone, à laquelle appartiennent cette oeuvre et cette auteure, la marque aussi de la distance avec la langue orale. Pour comprendre ce bouleversement indispensable, il faut voir de quelle façon l'auteur métissé se déploie dans les romans de Maryse Condé. Trois notions complémentaires et analysables structurent le métissage littéraire :

1-les traditions orales et créoles dans l'écriture des romans.

2-les racines littéraires dans les romans.

3-la création de formes narratives et métissées.

La reproduction de la littérature orale, et des genres oraux, peut être considérée comme une forme de métissage. L'usage particulier et même très maitrisé de la langue créole soutenue par la rhétorique orale, éclate les structures narratives. Quand aux racines littéraires, elles s'ouvrent sur l'Europe et l'Amérique hispanique. Avant de prétendre à l'ouverture, les romans s'enracinent d'abord aux sources créoles. Leur écriture présente des formes inattendues, allant de la représentation à la subversion des structures du roman. L'origine de ce métissage imaginaire semble la réécriture des traditions littéraires occidentales et Sud-Américaines, mais le contexte guadeloupéen particularise les adaptations : « Le commun dénominateur des littératures émergentes, et notamment des littératures francophones, est de proposer, au coeur de leur problématique identitaire, une réflexion sur la langue et sur la manière dont s'articulent les rapports langues, littérature dans des contextes différents »152(*).

Les écrivains qui font l'Eloge de la créolité, Patrick Chamoiseau, Raphael Confiant, Jean Bernabé, voyaient dans l'enracinement, dans le retour aux sources orales, un moyen d'exprimer la créolité. Ils n'apprenaient pas grand-chose à Maryse Condé, qui avait auparavant trempé sa plume dans les secrets antillais emportés par le « cyclone qui a ramassé ses forces au-dessus de l'atlantique »153(*).

Le lexique, la syntaxe et le rythme créoles dans En attendant la montée des eaux, en éclatant les structures narratives et démontrent que Maryse Condé refuse d'oublier ses origines linguistiques. Et la réminiscence des genres oraux ; le conte, le mythe et la légende, prouve ses traditions croles.

L'imagination de Maryse Condé nuance ce retour à la littérature orale, car l'écriture renouvelle les formes narratives du roman occidental, en dressant la peinture psychologique. Les auteurs représentent de façon quasiment réaliste les événements. Dans cette imitation, les voix narratives, sont multipliées, donnant l'écho des lamentations, plantes et cris de révoltes lancés par des êtres antillais tels que dans les personnages d'En attendant la montée des eaux, où il ressort une « polyphonie » littéraire.

La littérature antillaise, avec Maryse Condé connait une phase qui n'est pas seulement la subversion des thèmes, mais encore l'affirmation de l'écriture libre et autonome, parce qu'elle est métissée. Gilles Deleuze et Félix Guattari soulignent la potée du langage littéraire dans la littérature émergente, disposition qui pourrait clarifier et expliquer les approches de Maryse Condé : « les conditions révolutionnaires de tout littérature au sein de celle que l'on appelle grande (...). Ecrire comme un chien qui fait son tour, un rat qui fait son terrier. Et pour cela, trouver son propre point de sous-développement, son propre patois, son tiers-monde à soi, son désert à soi »154(*).

Enfin nous dégageons deux notions caractéristiques à l'écriture de Maryse Condé: l'engagement littéraire et la création de la mythologie imaginaire. La structure des thèmes de la société antillaise, le style créolisé et l'esthétique guadeloupéenne, dévoilent l'engagement dans le texte. Il ne s'agit pas de la prise de position idéologique, mais littéraire, du fait de l'exploration des profondeurs psychologiques des réalités caribéennes, situent l'écrivain entre la société et l'art, ce dernier est considéré dans les romans comme un véritable acte : « s'il fallait définir le roman antillais, nous le classerons dans son ensemble sous a rubrique « roman engagé » en donnant toute fois à cette notion langagière une signification plus large que celle qui est généralement admise et que d'aucuns discuteraient sans doute. Pour nous, nous appelons engagement, la restitution fidele d'une réalité que l'auteur s'efforce d'appréhender et d'expliquer. A la limite, pour nous, toute littérature est engagée dès qu'elle n'exprime pas uniquement le fantasme ou la rêverie individuelle, mais a pour objet le fait naturel »155(*).

* 139 Condé, Maryse. 5 Questions pour Île en île. Entretien, Paris .2009. 18 minutes. Île en île. Mise en ligne sur YouTube le 8 juin 2013. Consulté le 17 Mai 2013 à 17 h.

* 140 Corzani, Jack. Littératures francophones - II. Les Amériques (Haiti, Antilles-Guyane. Québec. Paris : Belin, 1998.

* 141 Régis, Antoine. La littérature franco-antillaise, Haïti, Guadeloupe et Martinique. Paris : Karthala, 1992.

* 142 Ibid. p. 89.

* 143 Entre la société créole et l'écrivain antillais, deux rapports au moins apparaissent et fondent le contexte littéraire : les liens affectifs qui préfigurent ce membre complaisant, interprète de la société, et littéraires comme pour suggérer cet artiste acharné, engagé, dévoué à la cause caribéenne. L'écrivain antillais tire sa révérence de sa condition géographique, les réalités du pays influencent les thèmes qu'il aborde dans ses oeuvres de fiction. Les textes littéraires, selon cette correspondance naturelle et imaginaire, s'ouvre sur la métaphore profondément créole qui s'articule selon les particularités de la société antillaise et la représentation de la culture créole. Et cette image symbolique laisse entrevoir dans la littérature des êtres antillais, là où les récits exposent les événements des îles de la Caraïbe : Dans le double rapport de l'écrivain avec la société, une vérité littéraire se dégage : la recherche de l'identité, engagement des auteurs et des Hommes, une culture et des valeurs insulaires. Il s'agit là de l'harmonie antillaise (l'identité créole) un métissage de multiples cultures, surgies d'origines diverses. L'esclavage des Noirs ou début du XVI e Siècle et la colonisation française, conséquence de l'abolition, ont pourvu un héritage, le métissage culturel.

* 144Cisse, Mouhamadou. Thèse de doctorat, identité créole et écriture métissée dans les romans de Maryse Condé et Simone Schwartz-Bart, Université Lumière, Lyon 2- 2006.

* 145 Dans  l'esclave vieil homme et le molosse : « c'était pour l'esclave vieil homme, un moment de déroute ; voir débarquer ces hommes qui lui ressemblaient tant. Tous mal revenus de la plus langue des morts ». Le bateau Négrier est un espace intermédiaire où la rupture n'est pas clairement concrétisée, probablement parce que là on côtoie la mort de trop près et que dans de telles conditions, la préoccupation première est de survivre. Le bateau apparait signifiant l'instrument de la chute, aussi, instrument d'entrée dans l'univers de l'autre, de l'oppresseur. Espace ambivalent, il est clos, lieu de passage entre deux espaces ouverts : l'Afrique et l'île, là où se côtoient la proximité de la mort et la survie, c'est le cercueil et le berceau146. Dans En attendant la montée des eaux, Maryse Condé décrit les passagers

* 147Leur foisonnement engendre l'abandon involontaire de quelques habitudes, l'adoption obligatoire d'autres rites, le mélange inéluctable de nombreuses traditions. L'héritage africain, la culture occidentale, rites mystiques indiens engendrent la fusion des moeurs mais aussi la confusion et l'instabilité des structures sociales. C'est dans ce contexte enchevêtré de métissage qu'il faut retrouver le drame de l'antillais, confronté au problème culturel de la francophonie. 

* 148L'oralité apparait dans l'oeuvre écrite par la projection des genres Oraux, le mythe, le conte, les proverbes, les écrivains charrient le répertoire de l'oral. L'écrit et l'oral s'interfèrent, s'entrecroisent, se mélangent, sans jamais altérer les intrigues, dénaturer les événements relatés. On peut lire l'oralité dans la littérature antillaise, le mélange est remarquable dans les oeuvres de Maryse Condé.

* 149Condé, Maryse. Aspects du mythe dans la littérature des Antilles françaises, Actes du XIV congrès de la SFLGC : Limoges, 1977. p.21.

* 150Ce que l'on admire particulièrement, c'est l'aventure comme forme imaginaire d'écriture et de narration, les évocations hasardeuses et recherchées parcourent beaucoup de styles. En décrivant l'errance des personnages, Maryse Condé promène son imaginaire. En attendant la montée des eaux reflète des images frappantes, colorées, métaphoriques, décrites tout au long des enchaînements narratifs, carrefours de styles différents de traditions littéraires opposées. Elle a symbolisé l'identité créole comme motif littéraire qui dégage des représentations si mêlées qu'elles paraissent dénaturées mais significatives : l'identité perd sa vraie valeur qu'elle tenait de la réalité de Fond Zombi, des rituels etc.. Les nombreux tableaux pittoresques dans Ségou, Traversée de la Mangrove et En attendant la montée des eaux, les parenthèses et les allusions dans pluie et vent, tout porte à croire que Maryse Condé a bâti les thèmes identitaires dans l'écriture métissée. Cette dernière mobilise les ruses et les astuces qui enjolivent les romans, et qui superposent à l'intérieur de la narration les modèles et les paysages littéraires.

* 151 Barthes, Roland. Le degrés zéro de l'écriture, Paris : Seuil, 1972. p.31.

* 152 Gauvin, Lise. L'écrivain francophone à la croisée des langues, Entretien. Paris : Karthala,1997.p. 67.

* 153 Condé, Maryse. Traversées de la Mangrove. Paris: Mercure de France, 1989. p. 146.

* 154Deleuze, Giles. Creattari, Félia. Kafka, pour une littérature mineure. Paris: Minuit, 1975. pp. 7-8.

* 155 Condé, Maryse. Le roman antillais, tomme 1. Paris : Fernand Natthan, 1977, P13.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo