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Poétisation d'un univers chaotique

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par Assia Benzetta
Université Mentouri - Master 2 Analyse du discours 2014
  

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III.3- Lexique sur les parties du corps

La focalisation du récit sur le bas du corps s'explique par l'absence des lois et des forces spirituelles intermédiaires entre le peuple et son prince. Toute relation entre les hommes repose sur un rapport direct avec le corps du Guide. Ce corps prend de multiples fonctions, il est un outil d'oppression et de pouvoir. Mais il ne fonctionne en général que dans l'usage excessif de ses orifices à travers la mise en contribution des organes digestifs et des organes génitaux (orifices anaux et sexes).

III.3.a. Le bas du corps

L'autorité exercée va dans le sens de la prise de possession des êtres humains et des objets. La prééminence du bas du corps impose un règne de consommation phallique et digestive de telle sorte que toute relation de pouvoir passe par le sexe mâle162(*) : « Notre pays (Haïti), c'est comme un enfant. Il a besoin d'un mentor, il a besoin d'un guide pour le conduire dans le bon chemin,(...) ....Tous nos présidents ne songeaient qu'à la profitassions. Ils avaient des châteaux, disait Fwè Hénock, le garçon de la voisine Céluta, une amie de la mère de Movar. Membre du parti Lavalas », p30. Ceci montre l'exploitation du Guide pour son peuple.

Notons dans le récit de Babakar, l'histoire de Wangara qui fut victime d'une fatalité après avoir été acheté. Il nous raconte une anecdote du colon français, le maitre qui, en essayant de violet une gamine...« Il fut saisi de nausées si violentes qu'il prit une glissade fatale dans son vomi et son caca », p.40.

Ensuite, dans le récit de Movar : « Une odeur monte de l'eau glauque, parelle à celle d'un vagin », p.133, et :

« La plage était tellement sale, un vrai dépotoir, que personne ne venait jamais dans cet endroit là. Seuls des rats, aussi gros que des chiens, plongeaient dans l'eau noire », p.53.

Et: «On avait déversé des poubelles pleines d'ordures devant sa maison (...) », p.88.

Apres la mort tragique de Movar, les deux assassins le jetèrent à terre, et : « ensuite, à coups de pied, ils l'envoyèrent valdinguer dans le caniveau où, le sternum fracassé, il s'enfonça dans l'eau puante », p.304. Cela traduit le degré de l'inhumanité des antillais qui ne respectent même pas les liens du sang.

Dans l'univers fictif, la relation à l'autre est sous-jacente à l'enjeu de l'assujettissement, de la consommation ou de la résistance. Le rapport du président et de son sujet correspond à la dialectique de la synecdoque ou à l'image du corps morcelé pour être consommé : Hassan avec ses maitresses ou encore l'assassinat de Movar par son oncle  présenté dans un cadre ironique:

« Ephrem et Dieudonné n'en étaient pas à leur premier mauvais coup. Ils tirèrent un bon prix du jean et de la chemise de Movar ainsi que de ce qu'ils trouvèrent dans son sac à dos. Un pantalon de coutil, deux autres chemises et trois slips », p.305. Ou encore : « (...). Les corps des blessés et ceux des morts baignaient dans le même sang. On ne s'occupait pas d'eux(...)», p.53. Ici Maryse Condé use du lexique de la scatologie pour désigner l'autorité de l'Etat ou le sujet soumis.

Par conséquent, le portrait caricatural du gardien qui sourit avec ironie en regardant Babakar est un substantif réducteur de « hernie étranglée » pour désigner que le passé esclavagiste est encore là, qui se moque du présent pour dire que le racisme est toujours là « Le vieux gardien à hernie étranglée »,p.30. L'«hernie » dans la première partie du récit qui se fait le lieu second mais porteur de message. L'hernie se manifeste à travers un simple gardien balayeur : « (...) une heure plus tard, Lucien Lucius avait fini de promener son balai dans toutes les anfractuosités et fumait, assis sur une poubelle renversée. Il riait encore de son bon tour, lui qui riait si rarement », p.27.

L'ironie se manifeste dans tous les lieux du récit. Babakar dit : (« il y avait la guerre dans mon pays. Plus maintenant. Tout est rentré dans l'ordre. Les ennemis d'hier sont devenus les frères d'aujourd'hui ». Il parlait avec une extrême ironie), p. 73.

Nous nous intéressons à la relation entre la sexualité et le pouvoir et à la manière dont elle organise les rapports humains basés sur une relation de prédation sexuelle et viols. Les paires pouvoir/sexe, pouvoir/consommation tiennent leur logique du fait que ce sont des lieux de jouissance. Cette idée est développée par Michel Cornatan163(*) qui définit le pouvoir comme étant aussi un lieu de plaisir autant que la sexualité et la consommation des aliments. Selon lui, le rapport direct de l'autorité politique et de la sexualité est lié au fait qu'il existe « un sentiment de jouissance » qui, dans les deux cas, est motivé par un enjeu de domination (la polygamie, le viole, les orgies dans En attendant la montée des eaux).

Le pouvoir est aussi un lieu de plaisir et la sexualité le domaine de pouvoir sur l'autre et sur soi-même. Pour s'en convaincre, il suffit de mettre en parallèle les expressions nombreuses désignant la conquête d'un pouvoir ou d'un partenaire sexuel (le plus souvent une femme).  

En parlant d'Hassan, Babakar dit : « il éprouvait un besoin constant du corps des filles, les couchant par deux ou trois à la fois dans son lit », p .98.

La même chose aussi avec Fwé Hénock, le garçon de la voisine Cécula l'amie de la mère de Movar (milicien du président) :

« Tout ce qui me distrayait un peu, c'était quand nous les accompagnons chez les filles. Pendant qu'ils faisaient leurs affaires avec elles, nous les épiions par le trou de la serrure. C'était comme si nous étions au cinéma », p.52.

On note aussi dans le récit de Babakar sur Wangara. Lorsqu'il fut acheté par le ladre Louis-Elie : « Louis-Elie était un pervers. De nos jours, on l'aurait appelé pédophile. Friand des gamines impubères, il convoitait la fille de la lingère. Le soir où il s'introduisait dans se chambre avec la ferme intention de la violer, il fut saisi de nausées si violentes qu'il prit une glissade fatale dans son vomi et son caca », p.40.

Sur le plan de la sexualité et du pouvoir, il y a ceux qui « en ont » et ceux qui «n'en ont pas». L'autorité est mâle, elle est un attribut (...)164(*). Ces parties cachées situées au bas du corps sont des atouts de gouvernance. Ainsi, le narrateur de En attendant la monté des eaux introduit son récit en attirant d'emblée l'attention du lecteur sur l'appétit de Hassan sur les femmes qu'il les consommait en double et en triple en même temps, et la nourriture, pendant ses orgies, qui débordait à outrance. L'évocation non permanente des besoins naturels que sont l'alimentation, la défécation et l'accouplement fait du corps politique un corps grotesque. Le narrateur insiste sur ces parties dans un récit lié aux passé esclavagiste vécu par les ancêtres de Thecla et de Babakar, et actualisées par Hassan avec ses sujets, en outre avec Fwé Hénoc et sa petite bande. Les parties génitales se substituent à l'ensemble des autres organes, toute existence est liée aux parties du bas du corps.

L'univers Condéen s'avère un espace cannibale qui met le chef de l'Etat au centre des relations d'anthropophagie. Le despote pratique un cannibalisme à double sens : il s'agit, d'une part, d'un cannibalisme anthropophage et d'autre part, il conviendrait de parler de cannibalisme sexuel, puisque dans le lexique, le vocable viande peut signifier également le corps de la femme. Dans cet univers de barbarie, le Président est un prédateur qui fait de ses citoyens ses premières victimes. A l'image d'un ogre carnassier, il affectionne autant la viande des bêtes que celle de ses sujets : « Tandis que les serviteurs apportaient de gigantesques plas de volaille, de mouton cuit en méchoui et de couscous de mi, ce qui causait une fichue bousculade dans dans l'assistance,(....). » ,p.118.

Puis Babakar s'adresse à Hassan pour dire que son penchant vers la politique est tout nouveau : « je ne l'ai jamais remarqué. Pour moi, tu étais un esthète, amateur de femmes et de musique ». Le narrateur procède par un phénomène d'amplification avec des détails décrits à l'excès. Il grossit chaque situation, la rendant dénonciatrice. 

Signalons aussi la place que prend polygamie dans En attendant la montée des eaux. Babakar dit en parlant des funérailles du père d'Hassan:

 J'allai dans la pièce voisine présenter mes condoléances aux veuves. Elles étaient là, toutes les cinq, assises en rang d'oignon, habillées des mêmes vêtements de deuil. Âgées d'une soixantaine d'années, la première la bara muso comme on l'appelle, aurait pu être la grand-mère de la dernière. Comment ces femmes avaient-elles vécu ? Quelles avaient été réellement leur relation ? Haine ou au contraire tolérance ? Sacré mystère que la polygamie ! Babakar se souvient aussi d'une famille polygame qui habitait près de sa mère dans le passé. Trois d'entre elles étaient un jour en désaccord avec l'une d'elles. « Pendant qu'Alya dormait, ses coépouses avaient fait chauffé une pleine bassine d'huile d'arachide. Ensuite, à pas de loup, elles s'étaient approchées de la malheureuse et lui avaient balancé le contenu de la bassine, p.120.

La description du narrateur de la fête organisée par le chef de l'Etat dans les dernières pages du roman est aussi surprenante et révélatrice :

(...) le «  royal Bonbon » s'illuminait et jetait ses feux comme un paquebot en partance. On distinguait sur la galerie le fauteuil où trônait celle qui avait servi de mère à Estrella, Man Tonine, la haute silhouette couronnée de locks d'Henri-Christophe2 et celle de sa compagne, vraie Miss Haïti. Ils étaient entourés de généraux en uniformes bleus et rouges, de femmes en crinoline exhibant leurs seins rebondis dans les robes à décollettes plongeantes. Des serviteurs faisaient circuler toutes sortes de boissons. Le champagne pétillait dans les coupes, p.347.

Le Guide est obsédé par la chair, le manque ou l'absence de viande exalte son désir bestial et en fait une bête : Maryse Condé utilise deux noms presque identique des deux bordels ; le jardin du paradis et le jardin d'Éden. Les deux tirent leurs nominations du paradis. Lieu de jouissance qui connote la pratique du pouvoir.

Elles procèdent à une perversion de la morale et l'éthique politique. Tout en étant principalement l'affaire du chef de l'Etat, ces abus dévoilent une perversion sexuelle dans l'exercice d'un pouvoir naturellement phallocratique. Dans son roman, Maryse Condé pose la problématique du rapport des sexes entre relation et pouvoir : en parlant d'Hassan : « désormais, le pire se produisait car tout le monde le traitait avec une totale servilité. On l'avait surnommé « Almamy2 » en référence à son célèbre aïeul, le bâtisseur d'empire, (...) », p.121.Ce qui traduit le comportement hautain et pompeux d'Hassan ainsi que son changement brutal envers son ami Babakar.

* 162 Ibid.

* 163Théodore Holo, Le Président de la République en Afrique noire francophone, Paris, L'Harmattan, 2007. p.21.

* 164 Cornatan, Michel. Pouvoir et sexualité dans le roman africain, Paris, L'Harmattan, 1991, p.40.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote