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Média, support, temporalité : le cas des pure-players de presse.

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par Colin FAY
Université Rennes 2 - Master Information et Communication 2014
  

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1.4. Limite de l'accès au corpus

L'accès au corpus nous a été quelque peu limité. En effet, la communication avec la rédaction fixe ne s'est faite que par mail. En tant que pigiste, et donc en tant qu'observateur-participant, notre accès s'est trouvé restreint par la coupure spatiale qui existe entre la rédaction fixe et les pigistes, la première située à Paris, et nous à Rennes.

Une rencontre avec le rédacteur en chef a eu lieu au tout début de notre travail en tant que pigiste, en juin 2013. C'est la seule rencontre que nous avons eu en direct. Le reste de la communication se fait par mail. Une majeure partie des informations sur l'entreprise sont issues de cette rencontre avec le rédacteur en chef. Le reste provient des informations disponibles sur internet, acquises via le backoffice du site, ou provenant des échanges par mail avec le rédacteur en chef, seule personne avec qui nous avons interagit. Qui plus est, ce premier rédacteur en chef que nous avons rencontré n'est plus aujourd'hui en poste chez PP. Nous n'avons jamais rencontré la personne qui viendra la remplacer. Nous avons seulement échangé avec cette personne par mail.

La communication par mail a souffert de certaines limites. Principalement car la non réponse est difficilement interprétable : les piges se faisant sous la forme de proposition, il est complexe de savoir si une non-réponse équivaut à un sujet qui ne convient pas à la ligne éditoriale, ou si le budget n'est pas suffisant pour accepter l'article, ou même si le rédacteur en chef n'a pas vu le mail, ou s'il l'a vu et proposé à la marque qui l'a refusé. Également, le travail a été ponctué par un changement de rédaction en chef au cour de notre recherche, sans annonce de la part des actants du média vers les pigistes.

Cette complexité d'accès à l'information illustre les difficultés de synchronisation dans cette forme organisationnelle : au-delà de notre étude de corpus, nous avons à faire face à des pigistes qui connaissent peu l'entreprise pour laquelle ils travaillent, à la fois par un manque de retour sur leur proposition que par un manque de contact direct avec l'ensemble de l'équipe. Notre position d'observateur-participant en tant que pigiste est révélatrice d'une complexité organisationnelle de cette forme de travail.

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2. Internet, médias, territoires. 2.1. Média et territoire

Internet 10 , en tant que tel, représente un milieu dans lequel peuvent naître des médias, il est un « méta-média », un média de médias. Nous suivrons la définition d'un média dans le sens par lequel l'entend McLuhan, c'est-à-dire comme une construction technique qui est un « prolongement de nos sens » (1968:74) : avec Internet, aujourd'hui, deux de nos sens peuvent être prolongés et amplifiés de manière potentiellement infinie Ñ nous pouvons potentiellement tout voir, et tout entendre. Nos autres sens pourront bientôt se voir également prolongés par de nouvelles technologies de présence à distance qui promettent un avenir où nous pourrons tout toucher, des prototypes de périphériques de smartphones diffusant de l'odeur sont déjà sur le marché, et il y a fort à parier qu'il en sera de même pour le goût.

Internet Ñ en tant que dispositif permettant le prolongement des sens Ñ présente des possibilités de création de médias, mais Internet n'est pas un média per se, c'est un milieu dans lequel peut se produire l'apparition par la création de nombreuses formes de médias, en tant que construits par l'homme, afin de faire la médiation par le symbole entre lui et une ou des expérience(s) événementielle(s) dont il ne peut avoir l'expérience sensorielle directe11, par le biais de représentation et de constructions symboliques, via des dispositifs d'extension et de prolongement de ses sens. L'analyse du placement des médias dans leur milieu, des constructions territoriales au sein du milieu qu'est Internet est cruciale, puisque l'un comme l'autre sont des vecteurs d'influence sur les rapports au monde. Comme le souligne Debray (1991:30), « tel ou tel stock d'idées ne peut pas survivre dans n'importe quel milieu, par n'importe quel médium. » Ainsi un nouveau milieu, de nouveaux supports et de nouveaux médias sont-ils des points cardinaux pour faire naitre et pérenniser de nouveaux paradigmes spatio-temporels chez les actants du et des média(s), par leur impact sur les dynamiques d'interactions symboliques12.

C'est au sein de ce prolongement en puissance de nos sens que doivent se placer les organisations médiatiques de presse numérique, qu'elles doivent créer leur territoire. Créer, faire apparaître et faire durer un média sur le web, c'est lui créer un territoire au sein de cet immense milieu qu'est Internet, apposer des

10 Il existe effectivement une différente fondamentale entre Internet et le web. Cependant, cette différence n'était pas pertinente pour notre propos, nous avons choisi de ne pas faire la différence entre ces deux termes, et d'utiliser invariablement l'un ou l'autre de ces termes.

11 Nous suivons ici Adelmo Genro Filho « who claims that journalism is a human activity that makes it

feasible to society every day knowing what happens inside her own. » (cité dans de Carvalho,2012:169) Également : « un événement va être rapporté, raconté, avec une part inévitable de subjectivité dans la vision comme dans la narration, à un récepteur qui n'a pas été témoin de cet événement originel. » (Lits, 2008:11)

12 Ce que souligne également Debray (1991:156) « Un milieu historique se produit et se reproduit à travers sa production symbolique. »

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« marques qualitatives », des « matières d'expression » (Deleuze & Guattari, 1980:387-388) qui vont être créatrices du territoire du média. L'écriture est fondamentale pour le pure-player, en tant que cette dernière est le mouvement créateur du territoire, par ce qu'il est à la fois flux et sédimentation de traces13. C'est ce territoire qui permet « la distance critique entre deux êtres de même espèce : (de) marquer ses distances » : il permet d' « assure(r) et rêgle(r) la coexistence des membres d'une même espèce, en les séparant, mais il rend possible la coexistence d'un maximum d'espèces différentes dans un même milieu, en les spécialisant. » (ibid, 393-394) En d'autres termes, pour un média de presse, créer son territoire est apposer des marques qualitatives qui permettent à l'organisation de se distinguer du reste des organisations de son « espèce » au sein du ou des milieu(x) dans lesquels elle existe, mais aussi des autres « espèces » avec qui elle entre en interaction (les lecteurs-internautes et toutes autres parties prenantes).

Le territoire est cette apposition de marques qualitatives qui ne deviennent constitutives du territoire que lorsqu'elles acquièrent un caractère temporel et différentiel : un territoire, en tant que système de marques qualitatives, n'existe que parce qu'il est pertinent temporellement, et que parce qu'il permet de faire une différence entre celui qui le porte et les autres au sein du ou des milieu(x) dans lequel il existe, c'est-à-dire qu'un média « n'a d'existence ni de signification seul, mais seulement en interaction avec les autres médias. » (McLuhan,1968:45) C'est son caractère temporel qui en fait une construction mouvante, insaisissable, en perpétuelle transformation. Le définir est déjà le transformer, le borner est déjà changer ses frontières.

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13Nous reviendrons sur ces points par la suite.

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2.2. L'information overload et l'économie de l'attention

Ainsi, tout média n'a d'existence qu'en interaction avec les autres médias. Cependant, les médias journalistiques, qui se sont développés depuis leur origine selon un modèle économique basé sur la publicité (l'étude Pew 2014 révèle que « le secteur des médias dépend encore beaucoup de la publicité, qui génère près de 70 % de s(onÉ) chiffre d'affaire annuel », AFP, mercredi 26 mars 2014) doivent avec internet faire face à deux nouveaux concurrents venant remettre en cause ce modèle économique antérieur : à la fois les fournisseurs d'accès qui deviennent des supports publicitaires mais n'ont pas à fournir de contenu14, mais aussi aux sites proposant de l'information gratuitement, gérés bénévolement. Face à ces nouveaux concurrents, les stratégies territoriales deviennent de plus en plus importantes : par une facilité d'accès tout autant que par la facilité de partage, qui donne toute la pertinence à ce que l'on appelle depuis Simon (1969) l'économie de l'attention, Internet crée une immensité d'information, un « information overload » (Simon, 1969:9)15, et l'attention devient une ressource rare, c'est-à-dire que « la richesse d'information crée une pauvreté de l'attention, et le besoin d'allouer cette attention de manière efficiente. » (ibid:7, notre traduction) Les internautes ont à portée de clic une immensité de sources d'informations, un potentiel d'accès à des territoires plus important que ce que leur temps allouable d'attention leur permet, et sont eux-même à même de partager l'information avec une simplicité à portée de tous. C'est pourquoi l'attention se place au centre de ces nouvelles dynamiques du web :

« economies are governed by what is scarce, and information, especially on the Net, is not only abundant, but overflowing. We are drowning in the stuff, and yet more and more comes at us daily. That is why terms like "information glut" have become commonplace, after all. Furthermore, if you have any particular piece of information on the Net, you can share it easily with anyone else who might want it. » (Goldhaber,1997)16

L'expansion de l'économie de l'attention ne peut pas se lire qu'au travers du spectre de la quantité d'informations produites et/ou transmises. En effet, les caractéristiques des supports sont également des facteurs de ce diptyque information overload / économie de l'attention. Les supports se présentent de plus en plus petits et mobiles tout autant qu'ils sont de plus en plus rapides, ce que présageait déjà Debray (1991,218) : « toujours plus de monde a accès à toujours plus d'information car toujours plus légère et mobile », bien avant l'avénement des smartphones, du haut débit et de l'internet mobile. Ainsi, les barrières matérielles (temporelles et physiques) d'accès à l'information s'effondrent, cet accès se faisant dans une immédiateté et d'un même point : le temps de connexion à un site hébergé près de soi est sensiblement le même que celui de connexion à un site à l'autre bout

14 Étudier les médias de Presse, cours de M2 EPIC, Le Moenne C. et Étudier les communications organisationnelles, cours de M2 EPIC, Le Moenne C.

15 Aussi : « What counts most is what is most scarce now, namely attention. » (Goldhaber,1997) et « There is something else that moves through the Net, flowing in the opposite direction from information, namely attention. » (ibid)

16 Également : « This is the world of scarcity. Now, with online distribution and retail, we are entering a world of abundance. And the differences are profound. » (Anderson,2001)

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du globe, le temps et la spatialité du mouvement d'accès se dissous dans un mouvement qui est devenu celui de l'information qui vient à l'utilisateur, plutôt qu'un utilisateur qui va à l'information17 Ñ sommairement, le modèle du média physique dans lequel le lecteur va chercher son journal / magazine a laissé la place sur internet à un journal qui vient au lecteur via ses dispositifs connectés. Même si avec la télévision ou la radio le contenu vient à celui qui le consomme, cette venue du contenu reste limitée par des contraintes spatiales.

Cette dynamique d'information venant à l'utilisateur s'exemplifie encore plus avec les RSN : sur ces derniers, les modèles de Fil d'actualités (caractéristique de la majeure partie des RSN et centre moteur de Twitter et Facebook) sont créateurs de dynamiques d'informations envoyées aux lecteurs. Un profil écrivant envoie un texte sur le réseau pour que ce dernier apparaisse dans les Flux d'actualités auto-rafraîchis des lecteurs. En rafraîchissant le Fil d'actualités, c'est l'information qui vient au lecteur et non plus le lecteur qui va à l'information Ñ flux d'actualités dépendants du support, puisque certains (notamment Facebook) sont gérés par des algorithmes d'aide à l'attention, et si ces algorithmes ne sont pas présents, ils répondent quoi qu'il en soit à des règles spécifiques au RSN. Ainsi, quel que soit le point de départ de l'écrit, il vient s'unifier dans l'espace du Fil d'actualités. Il en va de même lorsque le lecteur va vers le média : quel que soit le média, l'accès à son territoire sur le RSN prend un temps de connexion semblable, peu importe le média, la temporalité et la spatialité se trouvent neutralisées.

Ainsi les lecteurs ont-ils un potentiel d'accès plus grand que leur temps d'attention. L'attention, avec ces processus, est devenue la ressource rare, et la concurrence plus affutée. L'enjeu majeur des médias devient de capter et de garder cette attention des internautes, puisque l'on passe « d'une économie matérielle de la rareté et de biens propriétaires à une économie de l'abondance dite `immatérielle' de biens ouverts, souvent gratuits. »18 Dans ce modèle, il devient fondamental d'être visible et d'être vu, car « dans le monde numérique, comme dans celui qui l'a précédé, c'est toujours la visibilité qui fait l'audience » (Sarino, 2007:20), et c'est l'audience qui fait la richesse en attention. Comme le souligne David Eun, responsable des partenariats de contenus chez Google à New York : « Les internautes vous paient avec le temps qu'ils passent sur vos contenus, ils vous paient avec leur attention. C'est cette attention, que les annonceurs veulent ». (Janvier 0819 ) Le temps est devenu une ressource rare, un enjeu stratégique pour les organisations médiatiques. Capter le lecteur, construire une audience et la conserver, c'est capter de son temps d'attention au maximum. Or, comme le soulignent Fogel & Patino (2005,27) : « Internet offre une diffusion vers la terre entière, mais ce gain d'influence se paye d'un moindre contrôle du temps. »

17 « Là où je devais aller à la trace, c'est elle, désormais, qui vient à moi. (É) Le monde vient à moi en temps réel, sur mon écran (É). Il y a alors coïncidence, toutes coordonnées spatiales neutralisées, entre l'événement ou le document, sa saisie, son traitement et sa réception. » (Debray,1991:217)

18Histoire et anthropologie de l'Internet, cours de M2 EPIC, Serres A.

19 cité dans Histoire et anthropologie de l'Internet, cours de M2 EPIC, Serres A.

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2.3. Territoire et enjeux territoriaux

Il devient donc central, du point de vue des organisations médiatiques de presse, de faire converger les internautes vers leur territoire, de capter l'attention des lecteurs Ñ c'est-à-dire leur temps d'interaction Ñ au sein de leur territoire. L'attention est un phénomène peu quantifiable, difficilement bornable, calculable uniquement par le nombre de pages visitées sur le territoire, ainsi que sur les quantités d'interactions sur les RSN. En quoi cette attention est-elle valeur pour l'organisation ? Cette valeur se manifeste au travers de deux enjeux territoriaux.

L'attention est créatrice de valeur monétaire. Pour un média journalistique, support publicitaire, l'attention crée une audience, et une audience des statistiques pour vendre de la pub, directement (par encart publicitaire), ou indirectement, par partenariat avec des marques ou autres organisations (publishing ou campagne médiatique). Par exemple, un CMS comme WordPress offre la possibilité d'un compteur d'affichage du nombre de vues d'une page, mais aussi du nombre d'affichage des encarts publicitaires, ainsi qu'un compteur du nombre de clics sur ces encarts. L'attention devient un enjeu de poids dans les négociations monétaires20. C'est également cette attention qui va présenter pour le média un poids concurrentiel : c'est parce qu'il récolte une valeur attentionnelle élevée qu'il va pouvoir continuer à (co)exister au sein du milieu numérique, voir distancier ses concurrents. Aussi, l'attention possède, dans une certaine mesure, une influence sur les comportements. Goldhaber prend l'exemple de la conférence qu'il est en train de prononcer, en posant une question et en demandant aux répondants de lever la main. Avoir l'attention de son public lui permet d'influer sur des gestes qu'ils accomplissent21. Sans attention, il n'aurait pu faire réaliser ce geste : l'attention est légitimité. Avoir une large attention permet de justifier auprès du public d'une légitimité de la parole de l'organisation, en s'imposant dans l'univers symbolique des lecteurs.

Les enjeux territoriaux sont de ce fait centraux dans l'organisation médiatique, tout particulièrement les organisations professionnelles engageant des fonds monétaires dans la construction de leur territoire Ñ i.e. en engageant des acteurs professionnels pour construire un territoire et des marques territoriales à haute valeur attentionnelle, c'est-à-dire un territoire avec lequel les lecteurs engageront un temps d'interaction relativement élevé. Le territoire doit de fait avoir une dynamique double : avoir une visée de public large tout en paraissant centrée sur le lecteur individuel, construisant artificiellement l'illusion d'un territoire pensé pour un lecteur unique, alors qu'il vise un spectre d'audience large, autrement dit : « anyone who speaks or writes or seeks attention in any way has to become something of a success in the special rhetoric of persuading listeners, readers, and so on, that he or she is meeting their individual needs, when in fact some of these needs have been artfully set up in advance. » (Goldhaber,1997)

20 « If you have a lot of attention, you are a star of one sort or another, and we all know that these days stars generally have little trouble obtaining money in large amounts, (...) they can often influence their publics or bankers to cough up many millions more. » (Goldhaber,1997)

21 « What just happened? I had your attention and I was able to convert it into a physical action on some of your parts, raising your hands. It comes with the territory. That is part of the power that goes with having attention. » (Goldhaber,1997)

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein