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Dadaab, un refuge

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par Alexander BEE
Université Paris 8 - Master I 2013
  

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II/ Les moyens ``institutionnels''

C- Des moyens formels

4- La loi : le droit d'asile et le droit des réfugiés

5- La capacité d'attraction des réfugiés vers les camps

6- L'UNHCR

D- Des moyens informels

3- Construction de la catégorie de ``l'exilé''

4- Appropriation informelle de lieux d'échanges publics et participation des réfugiés à leur propre endiguement.

A. Des moyens formels

1. La loi, le droit d'asile et le droit des réfugiés 

La convention de Genève de 1951 définit un réfugié comme toute personne « qui craignant avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut, ou en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »43(*)

Suite à la chute des deux régimes dictatoriaux en Éthiopie et en Somalie, le Kenya a vu passer sa population de réfugiés d'environ 15 000 âmes à un chiffre estimé entre 370 000 et 700 00044(*).

Ces nouveaux arrivants, majoritairement Somali, se sont vu attribuer le statut de réfugié prima facie. Le Kenya a ratifié la convention de Genève de 1951 et son protocole de 1967 puis, en 1992, la convention de l'OUA (Organisation de l'unité africaine) de 1969 ainsi que la charte de Banjul sur les droits de l'homme et des peuples (adoptée à Nairobi en 1981, suite à la conférence d'Arusha en 1979)45(*). Toutes ces conventions se posent contre l'expulsion en masse des réfugiés et encouragent même la naturalisation au cas par cas. Cependant, le pays n'avait ni l'administration et le cadre légal, ni la capacité de gérer une situation qui changeait à une telle vitesse46(*).

Le principe de non refoulement des réfugiés a plusieurs fois était `'oublié''. En 1989, 5 000 somaliens furent arrêtés par le gouvernement kenyan car ils étaient suspectés de soutenir le SPM (Somali Patriotic Mouvement) et furent échangés avec le régime de Siad Barre (opposé à ce mouvement) contre un droit d'inspection des bases militaires somaliennes dans la ville frontalière de Dobley. En novembre de la même année furent chassés 3 000 somaliens qui avaient fui une attaque du pouvoir de Barre contre le SPM dans la même ville. Sur ces 3 000, 60 furent livrés directement aux autorités de Mogadiscio par les militaires kenyans et sur ceux-là, 18 furent directement exécutés. La police a elle aussi refoulé quelques 1 400 somaliens en juillet 1993. Même la marine s'y est attelée ! Elle a repoussé des embarcations surchargées, les boat-peoples somaliens qui tentaient d'accoster sur le territoire kenyan. Beaucoup de ces bateaux coulèrent. On compta, en mars 1990, 140 morts par noyades près de Malindi. En mai de la même année, au large de Lamu ce furent 37 autres. En juillet 1992, à Mombasa, une vingtaine de réfugiés moururent de faim et de soif parce qu'on refusait de les laisser débarquer. En mai 1993, 54 réfugiés trouvaient la mort en se noyant alors qu'ils étaient rapatriés sur Mogadiscio47(*).

Avant 1991, le gouvernement utilisait un système administratif adapté pour le statut de réfugié. Généralement, les réfugiés étaient autorisés à s'intégrer localement et à jouir des droits au travail, à l'éducation et à la liberté de mouvement48(*).

Face à l'afflux des années 1990, le gouvernement kenyan, complètement débordé, a cessé de délivrer des cartes d'identité aux réfugiés dès octobre 1990 et a fini par léguer son rôle dans la détermination du statut des réfugiés à l'UNHCR. Les Somali ont été pris en groupe, comme réfugiés prima facie, alors que les demandes d'asile faîtes par les Éthiopiens, les Érythréens, les Ougandais, les Burundais, les Rwandais et les Congolais étaient traitées de manière individuelle.

Ainsi, au Kenya, les bureaux du HCR ont établis des distinctions entre les réfugiés sur des critères ethniques et nationaux. « Les Éthiopiens et les Érythréens ont été reçus les lundi et mercredi ; les Soudanais et les Somaliens, les mardi et vendredi ; les Rwandais, les Burundais et les Congolais, le jeudi. Les réfugiés, il est vrai, ont eux-mêmes argué de leur différenciations ethniques pour demander un traitement à part, à l'instar des Oromo du sud de l'Éthiopie, où un Front de libération revendique un État d'Oromia »49(*).

Dans les villes, les réfugiés qui demandaient l'asile étaient généralement opposés à un tri ethnique. Ils étaient par ailleurs soutenus par les fonctionnaires kenyans du système humanitaire car ils y voyaient des similitudes avec leur propre histoire coloniale. Ils revendiquaient que le classement se fasse sur ordre d'arrivée, avec des exceptions : les cas d'urgence comme les malades, les handicapés, les femmes enceintes et les mères seules avec des enfants.

L'idée était d'échapper au camp. Les décisions du HCR étaient sujettes à appel, ils ont cherché la protection d'organisations des droits de l'homme, manifesté dans la rue et même mis en avant la présence d'ennemis personnels dans les camps50(*).

En théorie, le droit à l'asile, dans la loi internationale, cherche à augmenter les droits existants qu'un réfugié possède sous d'autres conventions internationales, comme la déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies. Cependant, en pratique, quand les réfugiés bénéficient de l'asile, plus spécifiquement dans le cas du prima facie, où le statut de réfugié est accordé en masse, des restrictions significatives sont mises sur leurs autres droits et libertés. L'exilé doit se rendre dans les camps où de telles restrictions s'opèrent sur sa liberté de mouvement, ce qui rogne considérablement ses autres droits fondamentaux.

Ces restrictions sont placées sur les réfugiés par les gouvernements d'accueil dans un effort de lutter contre l'insécurité, de veiller à la protection de l'environnement et de garder la bonne balance socio-économique des populations locales51(*).

Pour ce qui est du prima facie, cela veut dire que les réfugiés sont considérés comme tel sans avoir à passer par un entretien ou avoir leur demande de statut de réfugié évaluée sur une base individuelle52(*). Ce statut est généralement donné aux personnes fuyant des zones de guerre en grand nombre car il est communément accepté que ce sont des réfugiés : ils n'ont pas à apporter la preuve par des entretiens ou des évaluations.

L'attribution du statut de réfugié prima facie a été ajouté au dispositif de Genève de 1951 en 1967 pour caractériser de nouvelles situations politiques. À cette date, le constat se fait que, dans une situation donnée, des populations passent la frontière pour s'installer de l'autre côté53(*). Dès lors, des organisations humanitaires s'occupent des premières prises en charge. Ensuite, deux possibilités s'offrent aux réfugiés : soit ils s'installent dans les camps du HCR soit ils partent d'eux même mais, dans ce cas là, on les considère comme indépendants, on ne les comptabilise plus comme réfugiés et ils ne peuvent pas bénéficier des aides fournies pour faciliter l'installation54(*).

Michel Agier nous dit55(*) que dans des contextes de fortes violences très identifiées, on ne reconnaît comme réfugiés que ceux qui sont installés dans un camp. La carte de PAM (programme alimentaire mondial) par exemple sert de ``carte d'identité'' en prouvant que la personne bénéficie bien d'une ration alimentaire dans un camp déterminé.

Le gouvernement kenyan, en accordant un statut prima facie aux réfugiés somaliens s'est permis de ne pas entrer dans les trajectoires individuelles de chaque réfugié ce qui aurait pu leur valoir un asile politique définitif...

Le gouvernement a pris peur face à l'arrivée des Somali car, ajouté à l'idéologie de la « Grande Somalie », ils craignaient que la loyauté des Somali kenyans aille à la Somalie posant de fait un risque quant à la sécurité de la nation.

Ainsi, pour gérer ces afflux toujours croissant, le Kenya a opté pour une politique d'endiguement, ou d'encampement, des réfugiés. En 1993, le gouvernement a désigné Dadaab et Kakuma comme les seuls camps de réfugiés du pays.

En 1997, tous les autres camps sur la côte et dans le reste du pays étaient fermés et la majorité des exilés étaient transférés dans les deux camps restant. Le gouvernement a renforcé sa politique de ``light security intervention'' en adoptant des mesures pour lutter contre le banditisme et autres insurrections.

En 1992, L'USCR (United States Committee for Refugees) a accusé l'UNHCR et des représentants kenyans d'avoir délibérément refusé l'assistance à deux camps dans le Nord-Est pour encourager les 70 000 réfugiés Somali qui y vivaient à se replier dans les deux camps principaux. En 1993, la politique de la ``light security intervention'' dans les camps de Mandena et de El Wok a eu pour résultat la mort de 2 000 personnes. Le massacre d'El Wok, ainsi nommé, est resté un problème politique grave dans l'ensemble du Kenya car le gouvernement n'a pas cherché à enquêter et à dévoiler l'ampleur des abus des droits de l'homme et des morts qui en ont résulté56(*).

L'endiguement est devenu la politique opérationnelle du Kenya. Avant les grandes ``arrivées'' des années 1990 et la délégation à l'UNHCR de la responsabilité de la détermination du statut de réfugié, les exilés recevaient une carte d'identité d'étranger de la part du gouvernement kenyan qui les autorisait à vivre et travailler légalement en dehors des camps57(*). Depuis, l'approche a changé, elle consiste à mettre les réfugiés dans des camps.

Dadaab et Kakuma sont situés dans des zones arides du Kenya et près des frontières somalienne et soudanaise. Avec les nouveaux afflux, les locaux ont vu chez les réfugiés des étrangers qui ont envahis leurs terres avec l'aide du gouvernement.

La location proche du pays d'origine toujours en guerre rend la situation très dangereuse pour les réfugiés et le climat aride y rend la vie très difficile. Les réfugiés ont ainsi été forcés d'être complètement dépendant des aides humanitaires. Cette situation est difficilement tenable sur le long terme pour les réfugiés.

Certains parmi eux considèrent les camps comme trop dangereux et préfèrent passer dans l'illégalité pour pouvoir s'installer dans des zones urbaines58(*). Ils achètent les policiers à chaque point de contrôle qu'ils passent. Cela les exposent à encore plus de danger. Pour voyager à travers le pays, les réfugiés ont besoin de lettres de voyage de l'UNHCR/GOK (Government of Kenya). Celles-ci ne sont accordées que pour des raisons médicales, en cas d'entretien pour une relocation ou pour des raisons humanitaires pressantes. Face à la difficulté d'obtenir ces lettres, les réfugiés vont sortir du camp en illégalité, vont descendre du bus avant d'arriver aux chekpoints et, dans le but de les éviter, vont se faire attaquer par des bandits59(*).

Une fois hors du camp, accueillis chez des hôtes, les réfugiés ne sortent pas la nuit, de peur de se faire attraper par des patrouilles de police. Cependant, même dans le cas d'un contrôle inattendu, il leur est toujours possible de ``payer'' un laissez-passer, le « kitu kidogo » (la petite chose) aux policiers corrompus.

Dans le but de régulariser leurs camarades réfugiés clandestins, les hôtes ont élaboré différents stratagèmes. Un de ceux-là est tout simplement le mariage avec un/une citoyen(ne) kenyan(e). Une autre ``astuce'' qui a marché avec le recensement de 1995 fut de faire passer les enfants de réfugiés pour les enfants des hôtes, leur garantissant ainsi le droit du sang, et les adultes pour des Somali-kenyan, déplacés interne, fraichement débarqués du fond de la brousse. Ils justifient leur ignorance de la langue par le manque de scolarisation en milieu pastoral. Enfin, une autre solution consistait à acheter de manière illégale des papiers : la carte d'identité kenyane se négociait entre 3 000 et 5 000 shillings kenyans60(*).

Ainsi, d'une certaine manière, l'endiguement forcé participe à l'état d'insécurité dans lequel les réfugiés sont soumis à chaque niveau de leur séjour au Kenya ainsi qu'à la corruption des fonctionnaires de l'État.

* 43 Texte de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés, Convention et protocoles, UNHCR, p.16

* 44 Les estimations sont très difficiles à réaliser. Si un réfugié choisit de ne pas rentrer dans le camp, il perd son statut légal de réfugié, ce qui est assez commun, vu la dangerosité des camps. D'autre part, des populations locales peuvent se mélanger aux réfugiés pour pouvoir bénéficier des ``avantages'' auxquels ils n'ont pas le droit en tant que citoyen kenyan.

* 45 Marc-Antoine Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison d'État, Communautés déracinées dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.155

* 46 John Burton Wagacha and John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee rights, Georgetown University press, 2008, p.91

* 47 Marc-Antoine Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison d'État, Communautés déracinées dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.157

* 48 John Burton Wagacha and John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee rights, Georgetown University press, 2008, p.91

* 49 Kagwanja Peter Mwangi, Pérouse de Montclos Marc-Antoine, « Le bon Samaritain à l'épreuve de la « tradition africaine » dans les camps de réfugiés au Kenya », Politique africaine 1/ 2002 (N° 85), p. 46

* 50 Ibid

* 51 The Prese,ce of the Burundian Rfugees in Western Tanzania, Ethical Responsibilities as a framework for Advocacy ; Refugee rights, Georgetown University press, 2008, p.55

* 52 Abbe Feyissa, with Rebecca Horn, There is More Than One Way of Dying, An Ethiopian Perspective on the Effects of Long-Term Stays in Refugee Camps, Refugee rights, Georgetown University press, 2008, p.23

* 53 Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et en pleine guerre froide la convention de Genève est créée. Elle cible tous ceux qui viennent de l'Est et qui ont échappé à un système politique oppressif. Tout persécuté sera ainsi appelé réfugié politique et cela pour n'importe quelle raison et dans une très large acception.

* 54 Marie Poinsot et Michel Agier, « Le `'gouvernement humanitaire'' », Hommes et migrations, 1279/2009, 2013, p.106

* 55 Ibid

* 56 John Burton Wagacha and John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee rights, Georgetown University press, 2008, p.92

* 57 Dans les années 1970, les réfugiés ougandais passèrent relativement inaperçus. Ils furent plus ou moins facilement assimilés et, même si certains furent expulsés, ils ne furent jamais parqués dans des camps. Voir Marc-Antoine Pérousse de Montclos, Le poids de l'histoire et le choc des cultures : les réfugiés somaliens du Kenya confrontés à la raison d'État, Communautés déracinées dans les pays du Sud, l'Aube/Orstom, 1998 p.169

* 58 John Burton Wagacha and John Guiney, The plight of Urban Refugees in Nairobi, Kenya ; Refugee rights, Georgetown University press, 2008, p.92

* 59 Jeff Crisp, A state of insecurity : the political economy of violence in refugee-populated areas of Kenya, UNHCR, working paper n°16, 1999, p.28

* 60 Nathalie Gomes, Solidarité et réseaux dans l'exil, Les réfugiés somaliens clandestins au Kenya et en Éthiopie in Populations Réfugiées, de l'exil au retour, IRD Éditions, 2001, p.313

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore