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Protection sociale et croissance économique au Cameroun

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par Jean Colbert Awomo Ndongo
Université de Yaoundé II-Cameroun - D.E.A en Sciences Economiques 2008
  

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Résumé

L'objectif de cette étude est de cerner les effets de la protection sociale sur la croissance au Cameroun. Ainsi, suivant une approche microéconomique, on détermine alors l'intensité de la liaison protection sociale - productivité du travail. Suivant une approche macroéconomique, on teste l'impact des dépenses de sécurité sociale sur la croissance du PIB réel en utilisant les données annuelles couvrant la période 1975 - 2006. Le calcul du coefficient de corrélation et de la covariance dans le premier cas donne respectivement 0,8588 et 27181086,5 d'où une corrélation forte et une variation dans le même sens des deux variables. De même, les estimations du modèle de croissance MRW effectuées sur les séries donnent un impact négatif et significatif du coefficient associé aux dépenses de sécurité sociale à court et à long terme. Une décomposition des dépenses de sécurité sociale en dépenses de santé et dépenses de retraite aboutira peut-être aux résultats divergents, c'est ce qui peut être intéressant pour les études ultérieures.

Mots clés : Croissance, Productivité du travail, Protection sociale et redistribution du revenu.

Abstract

The objective of this study is to stress the effect of social protection on growth in Cameroon. Following the microeconomic approach, we can therefore determine the intensity of the link social protection - productivity of work. Following the macroeconomic approach, we test the impact of the expenses of the social security on the growth of real GNI by using annual data covering the period 1975-2006. The calculation of the coefficient of correlation and the covariance in the first case gives respectively 0.8588 and 27181086.5 therefore a strong correlation and variation. Furthermore, the estimations of the MRW growth model carried out the series gives a negative and significant impact of the coefficient associated to the social security expenditures in short and long term. The decomposition of the social security expenditures in the expenses on health and retirement expenses may be gives the divergent results. That is what can be interesting with further research.

Key words: growth, productivity of work, social protection and income redistribution.

INTRODUCTION GENERALE

1

I : CONTEXTE ET PROBLEMATIQUE

La notion de « protection sociale » est en elle-même assez vague et composite. Elle désigne tous les mécanismes de prévoyance collective qui permettent aux individus ou aux ménages de faire face financièrement aux conséquences des risques sociaux, qui provoquent une baisse des ressources et /ou une hausse des dépenses1 (Joakim, 2001).

La définition plus générale vient de la Banque Mondiale (2000) que les interventions de protection sociale sont des « actions visant à aider les individus, les ménages et les communautés à mieux gérer le risque et à apporter un soutien à ceux qui sont particulièrement pauvres». Cette définition plus générale regroupe dans un cadre unique les instruments de protection sociale traditionnels, notamment la politique du travail, les régimes sociaux, et les filets de sécurité sociale. Cette définition recouvre également les mesures prises pour fournir un appui aux personnes extrêmement pauvres2.

Partant de cette définition, deux idées majeures émergent

· La protection sociale peut être considérée comme un filet de sécurité, mais aussi comme un tremplin pour les personnes pauvres. S'il convient d'offrir un filet de sécurité à la population toute entière, il faut aussi que les programmes donnent aux plus démunis les moyens de sortir de la pauvreté ou à tout le moins, de retrouver un emploi rémunéré ;

· Elle ne saurait être un coût, mais plutôt un investissement dans le capital humain. La protection sociale doit fondamentalement permettre aux pauvres de garder un accès aux services sociaux de base, de ne pas être exclus de la société et d'éviter d'adopter des stratégies de survie ayant des répercutions irréversibles lorsque la situation se détériore.

Le trait commun à toutes ces interventions publiques est de fournir des ressources de remplacement en cas de baisse importante ou de perte totale de revenus, notamment en faveur des salariés les moins favorisés.

1 Il s'agit des dépenses de vieillesse, maladie, invalidité, chômage et charges de famille.

2 La catégorie des extrêmement pauvres regroupe les individus qui ne peuvent subvenir à leurs propres besoins même lorsqu'il est possible de trouver un emploi.

2

L'étude de la protection sociale est un domaine de prédilection des théoriciens de l'économie du bien-être. Constatant le caractère relativement marginal de l'offre marchande de protection sociale et la prédominance de dispositifs publics, ces économistes présentent traditionnellement l'intervention publique comme une réponse aux carences du marché. La nature quelque peu inductive de cette démarche transparaît clairement dans l'affirmation de Arrow (1963, P.945) que « les situations où l'on observe une absence des marchés sont la marque de leur inaptitude à proposer les biens et services en question ». Développant le modèle standard de l'économie publique normative, l'auteur recense les spécificités de l'assurance maladie inhérentes à l'asymétrie de l'information. Il les présente comme autant de défaillances du mécanisme des prix expliquant la mise en oeuvre d'arrangements institutionnels publics - mais aussi privés - palliant les carences du marché.

Si les théoriciens de l'économie du bien-être présentent l'intervention publique comme le moyen de pallier les défaillances des consommateurs et des producteurs de protection sociale doublement confrontés à l'asymétrie de l'information, les partisans de la thèse des défaillances du marché soulignent quant à eux que les consommateurs, confrontés à l'incertitude et à l'asymétrie de l'information n'ont pas nécessairement les connaissances leur permettant de se doter d'une protection sociale adaptée à leurs besoins.3

En somme, un fonctionnement libre du marché de l'assurance pourrait conduire certains individus à des investissements préventifs sous-optimaux, et en cas d'aléa à s'en remettre aux filets de protection publics ou communautaires. Ces dispositifs solidaires d'aide en dernier ressort contribueraient à accroître le nombre d'imprévoyants volontaires (Hayek (1960) ; Musgrave (1989)).

Outre ses effets sur le consommateur, l'asymétrie de l'information peut aussi handicaper l'assureur. Les travaux sur l'asymétrie de l'information montrent que la présence d'antiselection et d'aléa moral rend cette tâche difficile, ce qui laisse planer des inquiétudes quant au fonctionnement d'un marché de protection sociale. En premier, l'antiselection représente un danger pour les assureurs qui, faute de transparence informationnelle, des échanges mutuellement profitables pourraient ne pas se réaliser. Il en est ainsi des assureurs qui, ne connaissant pas les caractéristiques individuelles de leurs clients, proposent des

3 Ex ante, les consommateurs n'auraient pas les aptitudes nécessaires pour se prémunir de façon adéquate contre les aléas. Ils n'auraient ni une bonne connaissance des différentes modes de prévoyance, ni une information fiable sur les risques qu'ils encourent personnellement. N'étant que périodiquement confrontés à la réalisation d'aléas lourds, les prévoyants accumuleraient peu de connaissances à partir de leurs propres expériences ou de celles de leur entourage proche. Ex post, une fois un risque réalisé, les consommateurs pourraient encore être handicapés par l'imperfection de l'information. Les économistes de la santé craignent notamment que les personnes ayant recours au système médical ne se fassent abuser par des praticiens induisant une demande superfétatoire.

3

contrats uniformes tarifés au risque moyen (Mougeot, 1999). Dans ces conditions, les « mauvais risques » sont les plus gros demandeurs d'assurance au sein d'une population hétérogène. In fine, les producteurs de sécurité seraient financièrement déstabilisés faute d'avoir correctement anticipé la sinistralité globale.

Une seconde inquiétude, quant au fonctionnement d'un marché de protection sociale, a trait à l'aléa moral. Cette notion caractérise la situation où un assuré pourrait influer sur la probabilité des états de la nature contre lesquels il s'est prémuni4. La personne couverte sera, en effet, à même de prendre plus de risque ou de diminuer ses efforts de prévoyance (Arrow (1963) ; Stiglitz (1969)). De plus, il est possible que certains assurés adoptent - sciemment ou inconsciemment - un comportement inflationniste. Ils pourraient maximiser leurs dépenses en se livrant au nomadisme médical ou en optimisant la durée de leur période de recherche d'emploi (Stigler, 1962).

Une bonne partie du débat sur les systèmes de protection sociale tourne autour de la relation qui existerait entre l'objectif d'équité et l'objectif de croissance. Il est souvent fait allusion à la « faisabilité budgétaire » des dispositifs sociaux et à leur impact sur la propension des individus à travailler et à épargner. L'équité, qu'on appréhende sous l'angle de l'accès aux services sociaux ou de la distribution finale du revenu, est habituellement perçue comme ayant un coût en termes de production non réalisée, dont certains estiment qu'il vaut d'être supporté quand d'autres sont d'avis contraire.

En fait, il existe des théories plausibles qui montrent que la distribution du revenu peu avoir une incidence, positive ou négative, sur la croissance, sans agir par l'entremise de la protection sociale (Förster (2000) ; Förster et Pearson (2002)). Le caractère actuel de la question trouve sa preuve, lors du Sommet de Lisbonne en 2000, où l'Union Européenne s'est fixée comme objectif d'aboutir, en dix ans, à « une économie basée sur le savoir, la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable ». A mi-parcours, le constat est décevant. Entre 1992 et 2004, la croissance du PIB dans la zone euro n'a atteint que 1,7% contre 3,2% aux Etats-Unis5. Alors que l'Europe s'était engagée dans le processus de rattrapage jusque dans les années 90, elle stagne, voir régresse aujourd'hui par rapport aux Etats-Unis. Dans ce contexte, le discours dominant concernant les

4 Une distinction mise en avant par Gollier (1996), il y a un aléa moral ex ante dès lors que l'assuré n'assume plus individuellement toutes les conséquences financières de ses actes. S'ajoute un aléa ex post lié aux différents abus à l'assurance. Il est par exemple de notoriété publique que les fraudes sont particulièrement importantes dans l'assurance transport ou incendie. Dans ces branches, qui constituent des applications les plus anciennes de l'assurance, un certain nombre de sinistres résultent néanmoins.

5 Voir BNP-PARIBAS. Reformes et Compétitivité :où est la vieille Europe ? in Conjoncture, avril 2005.

4

effets négatifs de la protection sociale sur la croissance, trouve des échos en Europe (Hoareau-Sautieres et Rascle, 2005).

Au niveau des institutions de Breton Woods, les récents travaux de la Banque mondiale ont montré le rôle que joue la protection sociale dans l'accélération de la croissance. Les analyses faites sur la crise financière qui a frappée les pays de l'Asie de l'Est en 19971998 ont révélé que la croissance n'était pas suffisante pour assurer une réduction de la pauvreté. En effet, la relative organisation familiale qui était supposée assurer les solidarités pour faire face aux chocs s'avère insuffisante quand intervient un choc dans un contexte de croissance rapide. La protection sociale constitue l'un des piliers fondamentaux et prend une dimension particulière dans ses fonctions transversales6 par rapport aux autres piliers du « Travail décent » que sont le dialogue social, le travail et les normes.

L'incidence de la protection sociale sur la croissance divise l'avis des théoriciens. Globalement, les enseignements que l'on peut retirés de ces théories ne permettent pas de se faire une opinion tranchée sur cette question. Une première thèse, initiée par Mirrles (1971) dans le cadre d'une réflexion sur la fiscalité optimale, met en évidence un effet négatif de la protection sociale sur la croissance. Le versement de prestations sociales pourrait réduire l'offre de travail et donc les ressources en main-d'oeuvre sur lesquelles s'appuie la croissance, les bénéficiaires n'étant plus inciter à chercher un emploi. De plus, ces prestations ont pour contrepartie la mise en place d'un système de prélèvements susceptibles de ralentir l'épargne et par la même les investissements, source de croissance économique. Ceci rejoint les avis d'autres théoriciens (Vanhoudt (1997) ; Gwartney, Lawson et Holcombe (1998) ; Atkinson (1999) ; Milanovic (1999) ; Tabellini (2000) ; Cassamatta et al. (2000)).

Différents arguments s'opposent à cette conception très négative de la protection sociale. D'abord, en évitant la marginalisation des plus pauvres et leur sortie durable du système productif, la protection sociale permet de renforcer les potentiels de croissance (Parent, 2001). Ensuite, en limitant les tensions sociales, elle instaure un climat favorable à la prise de décisions politiques et économiques, même difficiles, ce qui peut améliorer les perspectives de développement durable (Sala-i-Martin, 1996). Enfin, les mécanismes de marché sont défaillants à certains égards, notamment en matière d'assurance contre la perte d'emploi, de revenu et la protection sociale joue un rôle important à ce niveau. En couvrant un certain nombre de risques, elle peut encourager l'esprit d'entreprise et le développement de certains investissements, comme par exemple l'investissement dans de nouvelles technologies

6 Ces fonctions sont : (1) la fonction de sécurité sociale et (2) la fonction de maintien du revenu.

5

(Ahmad et al. (1991) ; Alesina et Rodrik (1994) ; Imrohoroglu et al. (1995) ; Easterly et Levine (1997) ; Hubbard et Judd (1998)).

Forbes (2000) fait valoir que les techniques d'estimations qui ont été utilisées pour ces tentatives d'examen des liens entre protection sociale et croissance étaient erronées. La redistribution du revenu est largement ouvert dans les pays pauvres, elle l'est moins dans les pays riches. En fait, il ressortait de ces études, qui avaient souvent recours à la technique des MCO sur données transversales, qu'un resserrement de la distribution du revenu est de nature à permettre à un pays de se rapprocher du groupe des pays riches. Or, en examinant l'évolution des pays dans le temps (sur la base des données de panels), ceci permet d'identifier les effets de la protection sociale indépendamment des effets-pays.

Une étude empirique récente de l'impact sur la croissance de la protection sociale est celle d'Arjona, Ladaique et Pearson (2002), qui estiment une équation de la croissance7 sur la base des données annuelles portant sur 21 pays de l'OCDE et couvrant la période 1970 à 1998, la démarche théorique étant empruntée à Bassanini et al. (2001). Les élasticités partielles montrent que si les dépenses sociales passaient d'environ 18,5% du PIB à 19,5%, le PIB se trouverait réduit à long terme de 0,7%. Les estimations semblent indiquer que le fait de porter les dépenses actives de 0,63% du PIB à 0,73% du PIB entraînerait une augmentation à long terme du PIB de près de 1%. L'estimation de la composante « passive » laisse supposer que si cet élément passait de 20,7% à 20,8% du PIB, il en résulterait une réduction à long terme du PIB de 0,2%. On peut alors remarquer que : selon que les dépenses sociales sont « actives8 » ou « passives 9», l'effet sur la croissance diverge.

Mais ces conclusions sont liées à un grave problème de sous-détermination du modèle utilisé. Les modèles estimés10 excluent un certain nombre de facteurs potentiellement importants pour la croissance tels que les indicateurs d'environnement entrepreneurial, d'innovation, de qualité de l'éducation, de RáD, de stabilité macroéconomique, d'ouverture aux échanges, de situation géographique, de religion, etc. De plus, la représentation sur les moyennes et les groupes de pays cache derrière elle une très grande hétérogénéité entre les pays. Plusieurs pays ont connu des changements très limités dans leurs niveaux de protection sociale malgré leurs performances relativement satisfaisantes en matière de croissance (Banque mondiale, 2001).

7 Dérivant du modèle de Mankiw, Romer et Weil (1992) ayant amandé le modèle pionnier de Solow (1956) en introduisant le capital humain comme troisième facteur de production.

8 La définition étroite est de les rattacher exclusivement aux politiques actives du marché du travail.

9 Liées aux transferts monétaires et de services.

10 Il s'agit du modèle à effets fixes, Pool Mean Group et M-G-M avec variables instrumentales.

6

En Afrique, seulement 5% à 10% de la population active bénéficie d'une couverture sociale, ce qui dénote d'une dégradation de la situation au cours des vingt dernières années. Pourtant l'article 22 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1948, qui consacre « le droit de tout être humain à la sécurité sociale », indique que les obligations des Etats en matière sociale requièrent l'effort national mais aussi la coopération internationale. Dans la majorité des pays africains, l'économie repose sur un secteur informel hypertrophié, incluant combines et travail au noir, qui entrave la mise en place d'un système général de protection sociale. Seulement, les salariés et les fonctionnaires - qui représentent à peine 10% de la population active en moyenne selon les pays - en bénéficient.

L'échec des Programmes d'Ajustements Structurels a accru le côté informel de l'économie dans les années 1980 et 1990, une étude du ministère français des affaires étrangères note : « avec la crise économique, puis l'ajustement structurel, des problèmes administratifs, financiers et économiques graves sont apparus et ont fragilisé la situation de la protection sociale. Son coût a augmenté tandis que le niveau de revenu et parfois le nombre de travailleurs du secteur public ont stagné et, globalement, le nombre de salariés a baissé au profit des secteurs traditionnels et informels » (Boyer et al., 2000). Les classes urbaines aisées ont recours à l'assurance privée. Les pauvres, moins en mesure de s'auto-protéger, ne dépensent que lorsque le besoin se fait pressant. Ils ont alors recours à la solidarité traditionnelle (assurance dite communautaire) : épargne, tontine, dons, entraide familiale. Cependant, les systèmes « traditionnels » de protection sociale offerts au niveau des communautés sont mis à rude épreuve du fait de la « modernisation » des économies (urbanisation, mobilité géographique, montée de l'individualisme), de croissance démographique et la persistance des crises économique et politique.

Le Cameroun frappé de plein fouet par la récession mondiale de 1987 après plus de deux décennies de croissance soutenue, a dû mettre en oeuvres plusieurs programmes11, en particulier avec le concours des institutions de Breton Woods. Ceci a entraîné une modification radicale du contexte socio-politique et macroéconomique, par exemple, les dépenses publiques ont été réduites (à peine 3,0% du budget national), les licenciements massifs et la baisse drastique des salaires ont contribué à la détérioration des conditions de vie des ménages. La protection sociale au Cameroun se trouve aujourd'hui confrontée à un dilemme. D'un côté, on note une incapacité des pouvoirs publics à étendre cette protection sociale à toute la population, malgré les efforts accomplis jusque là. D'un autre côté, les effets

11 Il s'agit des PAS, FSRPC.

7

pervers de la crise économique ont révélé l'inefficacité des différents regroupements sociaux à assurer la protection sociale des individus. Par ailleurs, les disparités entre les différentes institutions chargées de la politique sociale12 caractérisée notamment par un manque de cohérence, de coordination et l'incapacité des entreprises privées à offrir des emplois stables et durables. En milieu urbain, faute de prestations sociales ou d'allocations de chômage, une bonne partie de la population, malgré une solidarité familiale solide, ne peut pas subvenir à leurs besoins en étant au chômage et doit rejoindre le secteur informel ou des formes d'emploi informel. Les individus vivant en milieu rural, pour faire face à la pauvreté sévère doivent s'engager activement dans les activités précaires comme l'agriculture de subsistance. Le taux d'informalité est ainsi passé de 83,8% en 1996 à 90,4% en 2005. Cette hausse de la précarité des emplois rend aléatoire les perspectives d'intégration sociale. Les enjeux liés aux objectifs de réduction de la pauvreté, de croissance et de renforcement d'une économie basée sur la solidarité et le développement humain place la stratégie de protection sociale au coeur des politiques publiques au Cameroun.

De manière générale, les analyses économiques des effets de la protection sociale sur la croissance se sont beaucoup développées au cours de ces dernières années et portaient pour la plupart sur les pays industrialisés (pays de l'OCDE, par exemple). Elles sont généralement caractérisées par l'introduction d'un indicateur de protection sociale comme variable explicative supplémentaire dans les modèles de croissance (Castles et Dowrick (1990) ; Cashin (1994) ; Lindert (1996)). Cependant, l'insuffisante disponibilité des données relatives aux mesures de protection sociale a amené certains auteurs à privilégier les variables de redistribution telles que : la part des transferts dans le P11B (Keefer et Knack, 1995), la part des dépenses publiques d'éducation, de santé et de logement rapporté au P11B (Devarajan et al. (1993) ; Easterly et Rebelo (1993) ; Perotti (1996)), droits de propriété (Gwartney, Lawson et Holcombe, 1998).

Ce foisonnement des travaux empiriques a été facilité par la disponibilité d'un arsenal de nouvelles techniques économétriques qui ont permis de venir à bout des problèmes d'endogénéité et de variables omises généralement rencontrés dans l'estimation des modèles de croissance (Caselli et al., 1996). Ces nouvelles techniques ont également conduit à mettre à la disposition des chercheurs une batterie de tests destinés à évaluer la pertinence des spécifications utilisées.

12 11l s'agit de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale, des ministères : de l'éducation nationale, santé publique, emploi et formation professionnelle, affaires sociales et condition féminine, des assurances privées.

8

Malgré ces avancés, les résultats des estimations restent quelque peu nuancés. La littérature aussi bien théorique qu'empirique relative aux liens entre protection sociale et croissance reste marquée par de nombreuses divergences qui témoignent à la fois de son incomplétude et de la nécessité de restreindre l'analyse à des cas particuliers. Au regard de toutes ces insuffisances et compte tenu des spécificités de l'économie camerounaise, la présente étude se propose de répondre à la question suivante : la protection sociale contribue-t-elle à l'amélioration de la croissance au Cameroun ? Plus spécifiquement :

> dans le cas où Sevestre (1990) définit la productivité des facteurs (capital, travail) au sein d'une entreprise, d'un secteur ou de l'ensemble de l'économie, comme dépendant de la qualification de la main d'oeuvre employée. La productivité est ainsi considérée depuis Adam Smith (1776) comme la source principale de la croissance et de l'augmentation de niveau de vie, quel est l'impact de la protection sociale sur l'évolution de la productivité des individus ?

> dans quelles mesures la politique de protection sociale affecte-t-elle la croissance ?

II : INTERET DE L'ETUDE

Face à cette problématique, cette étude revêt un intérêt double : théorique et pratique.

- Sur le plan théorique : au regard de la montée de la précarité des emplois et de la vulnérabilité au Cameroun après l'atteinte du point d'achèvement de l'initiative PPTE le 28 avril 2006, la mise en oeuvre des systèmes de protection sociale nécessite une croissance forte en mesure de promouvoir les emplois et d'accroître les cotisations sociales. De ce fait, ils constituent un élément important dans la mise en place des stratégies de croissance et de réduction de la pauvreté (SCRP) qui sont au coeur de la politique économique et sociale au Cameroun.

- Sur le plan pratique, l'intérêt sera cerné à partir des preuves empiriques de l'incidence des systèmes de protection sociale sur la croissance. Et partant, permettra de réguler les dépenses de protection sociale en évitant un gaspillage des fonds publics, mais aussi de l'orientation à apporter aux systèmes de protection sociale pour qu'ils soient efficaces.

9

III : OBJECTIFS ET HYPOTHESES

L'objectif de cette étude est de cerner les effets de la protection sociale sur la croissance au Cameroun. Plus spécifiquement :

- d'analyser l'impact de la protection sociale sur la productivité du travail sachant que cette dernière est une source de la croissance ;

- d'apporter des éclaircissements à partir des preuves empiriques de ce que peut être la relation entre protection sociale et croissance au Cameroun.

Pour mesurer les liens existants entre la protection sociale et la croissance, on peut formuler l'hypothèse suivante : la protection sociale a un impact positif sur la croissance. Plus spécifiquement :

H1 : Une hausse de la couverture sociale entraîne une augmentation de la productivité de la main d'oeuvre,

H2: Une augmentation des dépenses de protection sociale affecte positivement la croissance.

IV : METHODOLOGIE

La démarche adoptée consiste à avoir une approche microéconomique et macroéconomique de l'incidence de la protection sociale sur la croissance. Ici, on présente surtout la méthodologie empirique. Suivant une approche microéconomique, cette incidence peut être perçue à travers la relation théorique et statistique protection sociale - productivité du travail. Pour cerner l'effet de la protection sociale sur la productivité du travail, on fera une analyse statistique de la corrélation entre les prestations sociales reçues et la productivité par travailleur. Ceci permettra de déterminer le sens et l'intensité de la liaison existante entre les deux variables et partant on testera l'hypothèse H1.

Suivant une approche macroéconomique, bien que les théories qui sous-tendent les tentatives visant à tester empiriquement les liens entre la protection sociale et la croissance soient parfois complexes, dans la pratique, pour effectuer une estimation il s'agit presque toujours de prendre un modèle des causes de la croissance et d'y ajouter des mesures de protection sociale. La démarche empirique suivie pour tester la deuxième hypothèse s'inscrit dans la droite ligne de cette tradition : elle prend le modèle de croissance de Mankiw, Romer et Weil (1992) et s'efforcera de déterminer si l'évolution des dépenses publiques de

10

protection sociale13 pourrait expliquer certains points qui ne trouvent pas de réponses dans le modèle de base. L'équation de la croissance est estimée sur la base des données annuelles couvrant la période 1975 à 2006. Le choix de cette période est le résultat d'un compromis entre les diverses phases de croissance de l'économie camerounaise et des séries chronologiques disponibles. En particulier, les données relatives aux dépenses de sécurité sociale qui ne sont disponibles qu'après 197314. La méthode d'estimation appropriée dérivera des résultats des tests de stationnarité et de cointégration afférents à l'estimation des séries temporelles.

Les dépenses de sécurité sociale sont tirées de la base de données sur l'organisation financière de la CNPS et confirmée par l'annuaire statistique de l'économie camerounaise de l'Institut National de la Statistique. Par ailleurs, les données relatives au taux brut de scolarisation du primaire et du secondaire sont issues du MINEDUC et les autres variables ont été fournies par les tables statistiques de la Banque mondiale (World Tables).

V : PLAN

Suivant cette méthodologie, la présente étude sera effectuée en deux parties selon une vision microéconomique et macroéconomique des effets de la protection sociale sur la croissance. Etant donné que le niveau de vie moyen dans un pays est souvent appréhendé par son PIB par habitant. Cet indicateur peut être comptablement décomposé comme le produit de la productivité horaire du travail, de la durée moyenne du travail, du taux d'emploi de la population en âge de travailler et enfin de la part de la population en âge de travailler dans la population totale (Cette, 2004). Cette simple relation comptable (qui peut également s'écrire sur les taux de croissance des mêmes variables, mais de façon additive et non plus multiplicative) fait apparaître que le PIB par habitant est, « toutes choses égales par ailleurs », fonction croissante de chacune de ses composantes, parmi lesquelles la productivité par heure travaillée. Pour autant, comme cela sera illustré dans la suite de l'étude, toute variable qui a un effet sur la productivité du travail affecterait également la croissance (Artus et Cette, 2004). On montrera dans la première partie que la protection sociale affecte la croissance à travers son impact sur la productivité du travail et dans la deuxième partie on fera une analyse macroéconomique de la relation protection sociale - croissance.

13 Les dépenses de protection sociale sont captées à travers les dépenses de sécurité sociale.

14Date de l'institution d'une base de données à la Caisse Nationale de Prévoyance sociale du Cameroun.

PROTECTION SOCIALE ET CROISSANCE :

effets microéconomiques

Première partie

11

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery