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Léon Harmel et l'usine chrétienne,ancêtre des comités d'entreprises

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par YVES LAURENT KOUAME
Université de Poitiers - MASTER II HISTOIRE DU DROIT 2016
  

Disponible en mode multipage

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    UNIVERSITÉ DE POITIERS

    FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES SOCIALES

    MASTER II -- HISTOIRE DU DROIT ET DES INSTITUTIONS
    2015-2016

    LÉON HARMEL ET L'USINE CHRÉTIENNE,
    ANCÊTRE DES COMITÉS D'ENTREPRISE

    Mémoire pour le
    Master II -- Histoire du droit et des institutions
    soutenu le 27 juin 2016
    par

    Monsieur Yves-Laurent KOUAME

    DIRECTEUR DU MÉMOIRE

    Adrien LAUBA

    Maitre de conférences à la faculté de droit et des sciences sociales de l'université de Poitiers

    MEMBRE DU JURY DE SOUTENANCE

    Frédéric RIDEAU

    Maitre de conférences HDR à la faculté de droit et des sciences sociales de l'université de Poitiers

    L'université de Poitiers n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce document ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs

    Au seuil de la réflexion menée sur « Léon Harmel et l'usine chrétienne, ancêtre des comités d'entreprise », dans le cadre du présent mémoire,

    Je tiens à remercier particulièrement le professeur Adrien Lauba, directeur de ce mémoire, pour ses conseils et pour le temps qu'il m'a consacré,

    Je remercie sincèrement l'ensemble des professeurs du Master II Histoire des Institutions Moderne et Contemporaine, pour l'enseignement dispensé tout au long de l'année et pour leur disponibilité,

    Enfin, je remercie ma famille et mes amis, pour m'avoir soutenu et avoir ainsi contribué de près à l'élaboration de ce mémoire.

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION 6

    PARTIE I. LÉON HARMEL : UNE VISION MARQUÉE PAR SES VALEURS CHRÉTIENNES 10

    CHAPITRE I. UNE VISION INCLASSABLE, « NI LIBÉRAL, NI SOCIALISTE » 12

    Section I. Une pensée antilibérale justifiée par sa vision réactionnaire 12

    Section II. Une pensée antisocialiste justifiée par l'adhésion de Léon Harmel aux idées du catholicisme social 21

    CHAPITRE II. UNE VISION MANIFESTÉE PAR DES oeUVRES : LA CORPORATION CHRÉTIENNE ET LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE 29

    Section I. La corporation chrétienne : une idée d'Harmel contre les excès du libéralisme 29

    Section II. La démocratie chrétienne : le remède antisocialiste de Léon Harmel au mouvement ouvrier 38

    PARTIE II. LE CONSEIL DE L'USINE CHRÉTIENNE, MODELÉ D'INSPIRATION POUR LE COMITÉ D'ENTREPRISE 47

    CHAPITRE I. LE CONSEIL D'USINE, UNE INNOVATION DE LÉON HARMEL REFONDANT LE PATERNALISME CLASSIQUE 49

    Section I. Le conseil D'usine, une représentation du paternalisme dans la gestion des oeuvres sociales et culturelles 49

    Section II. Le conseil d'usine, modèle participatif ignoré du paternalisme classique 54

    CHAPITRE II. L'USINE CHRÉTIENNE, MODÈLE PRINCIPAL D'INSPIRATION POUR LES COMITÉS SOCIAUX D'ENTREPRISE PUIS POUR LES COMITÉS D'ENTREPRISE 60

    Section I. Les comites sociaux d'entreprise : une reprise du modèle de l'usine chrétienne 60

    Section II. Les comités d'entreprise : la reprise du modèle de l'usine chrétienne, véritable compromis sociale 65

    CONCLUSION 73

    BIBLIOGRAPHIE 76

    TABLE DES MATIÈRES 82

    LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

    AIDELF   Association Internationale des Démographes de Langue Française.

    CE   Comité d'Entreprise.

    CGT   Confédération Générale du Travail.

    COLL.   Collection.

    CNR   Conseil National de la Résistance.

    DARES   Direction de l'Animation de la Recherche, des Études et de la Statistique.

    ÉD.   Éditeur, Édition.

    GPRF   Groupement Provisoire de la République Française.

    ibid.   Ibidem (au même endroit).

    impr.   Impression, Imprimeur.

    IRES   Institut de Recherches Économiques et Sociales.

    MRP   Mouvement Républicain Populaire.

    op. cit.   Opere Citato (Ouvrage Cité).

    p.   Page(s).

    PUF   Presses Universitaires de France.

    PUR   Presses Universitaires de Rennes.

    suiv.   Suivant(s)(e).

    INTRODUCTION

    Les comités d'entreprise fêtent en 2015 leur 70e anniversaire. Il existe aujourd'hui plus de quarante mille comités d'entreprise et d'établissement rassemblant plus de 423 000 élus. Le budget des comités, assimilés compris, serait de l'ordre de soixante-dix milliards de francs. Les offres des comités d'entreprise concernent plus de onze millions de salariés et retraités.

    Les seules dispositions juridiques codifiées les concernant occupent les pages 580-719 et 1344-1677 du Code du travail, soit 472 pages1(*). Le contentieux est très abondant, et on ne compte plus les articles de doctrine juridique, les thèses de droit et les manuels qui traitent des multiples questions qui sont posées aux employeurs, aux élus et aux syndicats par la mise en place et le fonctionnement des institutions représentatives du personnel.

    Tous ces chiffres montrent leur importance dans le monde de l'entreprise, dans le monde du travail. Le comité d'entreprise est une institution clé du droit du travail, c'est pourquoi tout comme ce droit, il fait l'objet de querelles sur ses origines, son « géniteur ». Il s'agit d'un beau bébé que deux mères se disputent. Et nous voici replongé dans la Bible au Livre des Rois entre les deux prostitués qui se disputent la maternité d'un bébé. Évidemment, l'une est la véritable mère du bébé et l'autre, une usurpatrice.

    En effet le droit du travail s'est construit avec deux courants qui en revendiquent la paternité. L'un faisant de ce droit, une conquête syndicale, une « oeuvre venue du bas » et l'autre courant défend plutôt le droit du Travail comme une oeuvre « venue du haut », un privilège patronal accordé aux travailleurs.

    Le premier courant se repose sur une analyse marxiste du droit du travail et considère le droit du travail comme un droit de classe, arraché par la classe ouvrière à la bourgeoisie, parce qu'il tend à s'appliquer à tous les éléments de la population, indépendamment du groupe social auquel ils appartiennent2(*). Ce point de vue est défendu par plusieurs auteurs travaillistes dont Pol Virton, dans son ouvrage publié en 1968 et qui s'intitulait significativement Histoire et politique du droit du travail ; avant lui on note l'ouvrage d'Édouard Dolléans et Gérard Dehove, daté de 1955 qui s'appelait Histoire du travail : mouvement ouvrier et législation sociale. Dans leur esprit, le droit du travail est d'abord le fruit de conquêtes syndicales. La loi sur la journée de huit heures, en 1919, faisait l'objet d'une forte revendication des syndicats depuis la fin du XIXe siècle. On pourrait en dire autant de la suppression du livret ouvrier, des congés payés, du salaire minimum et de bien d'autres sujets. Que le monde du travail ait exercé une pression décisive, par son action directe, ne souffre pas discussion.

    Cependant, la production législative et réglementaire peut également trouver sa source dans des initiatives patronales : la loi de 1841 sur le travail des enfants n'a-t-elle pas été inspirée par un mémoire de Jean-Jacques Boucart, un employeur protestant de Mulhouse ; les conseils de prud'hommes, dans leur dispositif initial, n'ont-ils pas été réclamés par les soyeux lyonnais, déçus de la disparition de leurs anciennes juridictions corporatives au moment de la Révolution française ; la création des délégués du personnel n'a-t-elle pas été suggérée par les employeurs lors des accords Matignon, en 1936, contre l'institution de délégués syndicaux réclamés par la CGT3(*) ?

    Tout comme le droit du travail, le comité d'entreprise souffre de cette querelle entre le courant syndical et le courant patronal au niveau de ses origines.

    Le juriste Cohen sonne la charge en affirmant que les institutions représentatives du personnel s'inscrivent dans l'imaginaire social français sur la longue liste des conquêtes du mouvement ouvrier, comme des acquis sur lesquels on ne saurait revenir sans renier l'esprit pionnier du Front populaire et de la Libération. « Création originale du syndicalisme français », les comités d'entreprise notamment constituent pour la CGT « un des acquis majeurs de la Libération » et « se sont construits au fil des luttes »4(*). En le disant il s'appuie sur le fait que, crées par l'ordonnance du 22 février 1945, l'institution des comités d'entreprise (CE) doit beaucoup à la CGT. Celle-ci fait partie des organisations composant le Conseil national de la Résistance dont le programme commun prévoit « la participation des travailleurs à la direction de l'économie ». Par ailleurs en décembre 1944, le rapporteur du projet d'ordonnance à l'Assemblée consultative provisoire n'est autre qu'Albert Gazier, éminent militant réformiste de l'organisation. Quant à la loi du 16 mai 1946, qui pose le véritable statut moderne de la CE, elle est signée par le ministre du Travail, Ambroise Croizat, l'ancien secrétaire général de la puissante Fédération de la métallurgie.

    Il ne s'agit pas bien sûr de nier l'importance des luttes syndicales dans le développement de la législation ouvrière sur les Comités d'entreprise. Toutefois n'oublions la contribution éminente et en bien des points décisives des courants patronaux dans la genèse de la représentation du personnel. Les délégués du personnel ont en réalité, été proposés lors des accords Matignon en 1936 par la Confédération générale de la production française contre l'idée de délégués syndicaux préférée par la CGT. Avant cela, le mouvement patronal s'est illustré dans la représentation du personnel à travers l'expérience Schneider en 1899. Eugène Schneider instaura un type de représentation salariale constitué par l'institution des délégués ouvriers au sein de son établissement, le plus grand établissement industriel français5(*).

    Toutefois la première expérience de représentation du personnel dans une entreprise française est réalisée dès 1875 dans la filature de laine Harmel frères, dite du Val-des-Bois, dans la Marne. L'organe de représentation, appelé d'abord conseil corporatif, puis conseil professionnel, devient, en 1893, le conseil d'usine6(*).

    Dans un souci de mieux appréhender la genèse de cette institution qu'est le comité d'entreprise, notre étude sera axée sur Léon Harmel et l'usine du Val. Elle s'intitulera Léon Harmel et l'usine chrétienne, ancêtre des comités d'entreprise.

    Il s'agira pour nous de contribuer à éclairer le débat sur les origines du comités d'entreprise, sur le courant qui est à l'origine de cette vénérable institution du droit du travail en particulier et du droit social en général. Nous essaierons comme Salomon de rechercher la véritable mère de ce bébé tant convoité.

    C'est la raison pour laquelle nous n'aborderons pas dans notre travail les questions liées à l'apport du mouvement syndical car historiquement le syndicalisme s'est construit contre la démocratie élective représentative7(*). Le revirement dans le courant syndical est intervenu avec la Première Guerre mondiale et la participation de la CGT à l'Union sacrée. C'est à ce moment que la perspective change radicalement. Cette innovation doctrinale intervient dans un contexte d'appropriation et de légitimation de la démocratie représentative par les organes syndicaux.

    Notre analyse, nous le rappelons est proprement historique et balaie le XIXe et le XXe siècle pour s'intéresser à la préhistoire des comités d'entreprise. Il s'agira pour nous d'étudier la personnalité de Léon Harmel, dirigeant du Val dès 1853 et acteur majeur du catholicisme social dont les idées imprègneront son entreprise. Ces idées novatrices en matière de représentation du personnel feront de son usine, la première oeuvre originale en la matière en France. C'est ce modèle qui influencera le législateur au XXe siècle, d'abord lors de l'élaboration de la charte du travail instituant les comités sociaux d'entreprise, puis lors de l'élaboration de l'ordonnance de 1945 et la loi du 16 mai 1946.

    Pour parvenir à résoudre ce travail, nous emprunterons deux voies :

    La première traitera de la vision de Léon Harmel. Cette vision marquée par son attachement aux valeurs chrétiennes (Partie I).

    La seconde traitera de l'influence des institutions du Val sur les comités sociaux d'entreprise puis les comités d'entreprise (Partie II).

    PARTIE I.

    LÉON HARMEL :
    UNE VISION MARQUÉE PAR SES VALEURS CHRÉTIENNES

    Léon Harmel est un acteur majeur du catholicisme social. Son appartenance à ce courant du catholicisme fait qu'il défend les valeurs contre-révolutionnaires qui caractérise ce mouvement d'où la vision antilibérale et antisocialiste qu'on retrouve dans ses écrits et ses propos (Chapitre I). Toutefois Harmel est un homme pragmatique, un homme d'action marqué par un certain volontarisme qui ne voulait jamais s'arrêter aux idées, c'est pourquoi il manifesta ce rejet du libéralisme et du socialisme dans les institutions qu'il mit en place : la corporation et la démocratie chrétienne (Chapitre II).

    CHAPITRE I.

    UNE VISION INCLASSABLE, « NI LIBÉRAL, NI SOCIALISTE »

    L'industriel du Val ne manque pas une occasion pour dénoncer le libéralisme (Section I) et la conséquence du libéralisme : le socialisme (Section II).

    SECTION I.
    UNE PENSÉE ANTILIBÉRALE JUSTIFIÉE PAR SA VISION RÉACTIONNAIRE

    La vision anti libérale de Léon Harmel est perceptible au paragraphe 170 de son Manuel de la corporation chrétienne paru en 1877 où il affirme que « les maux de la classe ouvrière, à notre époque, sont les fruits du libéralisme qui n'a cessé depuis près d'un siècle, sous diverses formes, de gouverner notre pays » cette phrase montre bien les griefs portés par le « bon père » à ce système qui avait été érigé en 1789 à la suite de la Révolution française. Ce système libéral qui a aggravé les conditions difficiles de la classe ouvrière en favorisant l'industrialisation (§ 2) après la destruction de la corporation, élément organique très important dans l'Ancien Régime (§ 1).

    § 1. Le libéralisme, à la base de la destruction de la corporation

    Le XIXe siècle s'ouvre après un XVIIIe siècle appelé siècle des Lumières à cause du mouvement intellectuel lancé en Europe au XVIIIe siècle (1715-1789), dont le but était de dépasser l'obscurantisme et de promouvoir les connaissances. Les philosophes et les intellectuels de ce siècle vont encourager la science par l'échange intellectuel, s'opposant à la superstition, à l'intolérance et aux abus des Églises et des États. Cette philosophie politique est dénommée un siècle plus tard : le libéralisme.

    Le libéralisme tant dans son aspect politique que dans son aspect économique a exercé irrémédiablement une influence sur la société française en particulier et la société européenne en général. Dans son aspect politique elle défend la liberté politique et lutte contre l'absolutisme royal ce qui aboutit à la révolution de 1789. Dans son aspect économique, cette doctrine défend la libre entreprise et la liberté de marché. Elle s'opposa par ailleurs au contrôle par l'État des moyens de production et à son intervention dans l'économie si ce n'est pour coordonner les entreprises ou garantir un marché équitable. C'est au nom du principe de libre entreprise que sont supprimées les corporations d'abord par l'édit de Turgot en 1776 puis par le décret D'Allard des 2-17 mars 1791. La corporation qui, pourtant aux dires de plusieurs auteurs, qui se sont penchés sur la question, présentait de réels avantages. La plupart de ces avantages sont d'ailleurs énumérés par les auteurs du XIXe siècle et serviront de modèle au courant réactionnaire auquel appartient Léon Harmel (A).Car en supprimant les corporations, le libéralisme engendre aussi des dérives qui eurent des conséquences désastreuses sur l'environnement économique du XIXe siècle (B).

    A. Un modèle d'inspiration : la corporation, un cadre de paix sociale

    Définissant la corporation, Léon Harmel dit qu'elle est « une association d'individus de la même profession formée pour atteindre un but commun »8(*) et, à la question pourquoi donne-t-il le nom de corporation à l'oeuvre qu'il réalise au Val-des-Bois, il répond : « Parce que nous n'en connaissons pas d'autres pour exprimer notre organisation. »9(*) Selon lui, seule la corporation correspond à l'organisation pour assurer la paix et la justice sociale qu'il essaye de faire naitre au Val. Elle ne pouvait pas être « un instrument de puissance et de profit pour les patrons ». En effet pour l'industriel du Val, l'oeuvre qu'il mène, s'inspire profondément de la corporation. Surtout comme il le rappelle, la corporation organisée au XVe siècle, celle du début qui mérite d'être une source d'inspiration pour lui. Par la suite, l'institution du début se transforma et certaines dérives apparurent. La référence à la corporation du XVe siècle est aussi fondée sur l'idéal dont il se fait du moyen âge, cette période de l'histoire qui était l'époque par excellence de la chrétienté. En la matière, il n'est pas le seul à défendre le modèle d'organisation sociale que constitue la corporation pour l'Ancien Régime. Les corporations offrent en effet plusieurs avantages d'ailleurs mis en exergue par plusieurs auteurs.

    Janet Horne affirme qu'elles « ont constitué l'une des bases de l'ordre social de l'Ancien Régime, en apportant leur protection et leur encadrement à toutes sortes de relations quotidiennes qui lient les individus les uns aux autres »10(*). Ainsi on peut voir dans ces corporations un réseau d'entraide se former entre les gens de même métiers pour se prémunir contre les risques de l'existence tels la maladie, les accidents de travail et même le décès de l'un des membres. En cela, elles remplissent une fonction sociale inespérée dans un contexte social où l'assistance publique est défaillante et l'assurance chômage inexistante. Cette aide apportée par les corporations est donc d'un grand secours pour les plus modestes.

    De plus, dans le cadre de relations professionnelles, les règles dans les corporations apparaissent comme de véritables « codes du travail » avant la lettre et certains auteurs n'hésitent pas à mettre en avant le cadre corporatif « où les obligations tant personnelles que réelles des Seigneurs avec leurs hommes sont définies par les chartes et coutumes »11(*). Leur action dans la société est donc des plus louables et participent à éviter l'interventionnisme étatique, le rôle de l'État se limitant strictement à un rôle de police pour sanctionner les règles édictés au sein des corporations et qui sont violés. Car bien évidemment, il existe des défaillances au sein des corporations mais toutes ces défaillances sont sanctionnées par une réglementation rigoureuse car tous les métiers disposent de statuts et chaque corporation est doublée d'une confrérie avec ses statuts et ses fêtes12(*). Les catholiques sociaux, courant auxquels appartient Léon Harmel, saluent dans les corporations les relations de solidarité qui y existent entre l'apprenti et son maître. Il n'est pas rare de voir de touchants exemples de la solidarité qui existent entre le propriétaire et son tenancier, entre le maitre et l'apprenti puisqu'ils sont tous très attachés à la famille13(*) . La vie dans ces communautés est orientée vers l'homme qui est le centre d'intérêt et de convergence de toute l'activité économique. Conception très éloignée du libéralisme qui fait la promotion de l'individualisme et qui veut donc détruire tous les groupes intermédiaires dans la société française post révolutionnaire car ceux-ci sont suspectés par les révolutionnaires de porter les germes d'une réaction féodale.

    Au niveau professionnel toujours, l'un des objectifs de la corporation est de réguler « l'organisation de l'accès au métier et à la qualification dans le métier »14(*). En effet les métiers sont très hiérarchisés. Au sommet de la hiérarchie, il y a les maitres ou les patrons. Leur nombre est également limité dans chaque métier et dans chaque ville. Pour accéder à la maîtrise, il faut accomplir les stages d'apprenti et de compagnon, puis prouver ses qualités professionnelles en réalisant un chef d'oeuvre. Ainsi à terme, l'apprenti peut devenir propriétaire et être récompensé pour les efforts fournis. La suppression des corporations loin d'être un grand bien, va donc avoir des conséquences désastreuses sur la société française, des conséquences bien au-delà du domaine circonscrit par les règles régissant le travail et le commerce15(*).

    B. Un constat de départ : les conséquences désastreuses de l'abolition des corporations

    Pierre Rosanvallon ne se trompe pas quand il affirme que « la destruction des ordres et des corporations a créé un vide d'où procèdent toutes les tensions nouvelles qui se manifestent au XIXe siècle ». En supprimant la corporation, la Révolution brise la famille professionnelle liant maîtresse, compagnon et apprenti. De cette destruction du lien familial nait un grand esprit d'individualisme, or partout où l'individualisme devient prépondérant dans les rapports sociaux, « les hommes se plongent dans les luttes de la barbarie »16(*). Rien de surprenant donc que tous les intellectuels de toutes tendances politiques aient été hantés par cet « effondrement des liens sociaux dans la France postrévolutionnaire »17(*). On regrette un monde construit autour de petites communautés de producteurs et de propriétaires, protégés par une hiérarchie sociale stable18(*). Le capitalisme industriel, qui prospère à la suite de la Révolution, capitalise sur les disparités entre groupe sociaux, disparités qui étaient inconnues dans le régime corporatif19(*). Parlant des méfaits de la Révolution française, Fréderic Le Play dit même que « l'hostilité réciproque des deux classes est devenue, au contraire un trait distinctif des moeurs modernes de la France ». Le célèbre ingénieur social n'a pas tort car les deux classes : la classe bourgeoise et la classe prolétaire qui naissent dans la société postrévolutionnaire sont plus antagonistes que les trois ordres qui existaient sous l'Ancien Régime. La société sous l'Ancien Régime tant décriée apparait ainsi nettement plus appréciable que la société de la France moderne. Elle était certes fragmentée en différents ordres mais elle n'était pas divisée en classe antagonistes. Une séparation croissante se fait sentir entre les ouvriers et les patrons, puisque l'élément organique qui les unissait n'existe plus.

    Au nom de l'idéal libéral, tous les groupes intermédiaires au sein de la société sont dissous, les compagnonnages et les corporations. L'individu se retrouve seul face à l'État. La solidarité dans le monde du travail est un lointain souvenir. Désormais c'est la lutte entre les deux classes, entre le capital et le travail. C'est la raison pour laquelle Harmel n'hésite pas à accuser le libéralisme d'être à la base des maux de l'ouvrier20(*) puisqu'avec le règne de l'individualisme, l'individu se retrouve seul face au patron. Il se retrouve d'autant plus désarmé que les règles qui réglementent les métiers et qui contrôlent le marché du travail n'existent plus. Un rapport de force s'est installé entre l'ouvrier et son patron et il est en défaveur du premier. Avec le développement des usines, le travail quitte le foyer domestique pour l'usine, les mères abandonnent le foyer pour l'usine où le travail est désormais centralisé ce qui entraine la destruction de la famille ouvrière. Et les ouvriers eux-mêmes sont isolés entre eux. L'artisan du XIXe est devenu un mercenaire au service d'un négociant ou d'un artisan plus puissant : le capitaliste industriel.

    § 2. Les méfaits de l'industrialisation, fruit des idées libérales

    L'industriel du Val déclare dans Manuel d'une corporation chrétienne, que l'industrialisme « a produit le paupérisme, cette maladie incurable des sociétés modernes, qui est l'union de la misère matérielle avec l'abjection moral »21(*). Tout est dit pour le « bon père », comme il se fait familièrement appelé, l'industrialisme a eu pour conséquence d'affecter à la fois la vie matérielle (A) et la vie morale (B) des populations ouvrières.

    A. L'industrialisation cause principale du prolétariat industriel

    Analysant la doctrine économique libérale, Harmel déclare qu'elle se résume en deux phrases « le travail humain est une marchandise, dès lors, il est désirable qu'il soit à vil prix »22(*). Cette analyse, loin d'être exhaustive, de la doctrine économique libérale fut un des éléments de la critique des économistes sociaux tels Sismondi contre l'économie politique qui prône le libéralisme classique. Michel Chevalier ironise par ailleurs sur la gloire dont font preuve les libéraux en déclarant que le libéralisme a contribué au progrès de la société. Notre auteur rappelle que ce progrès se fait en abandonnant « une classe d'hommes dans l'abjection »23(*) et chose grave, cette classe parait se propager. C'est pourquoi Sismundi et plusieurs économistes sociaux multiplient les avertissements contre les perturbations possibles de ce nouveau système socio-économique qu'ils appellent « l'industrialisme »24(*). Les inégalités tant décrié par les Révolutionnaires devenaient plus fortes.

    En effet, l'une des dérives du libéralisme est le capitalisme industriel. Par capitalisme industriel, il faut entendre le mode de production antérieur au capitalisme proprement dit ou encore le système économique et social dominé en premier lieu par les usuriers puis par les propriétaires d'argent de mieux en mieux organisés25(*). C'est ce capitalisme industriel qui est dénigré par Léon Harmel quand il parle d'industrialisme « sans foi ni religion » qui donne une valeur supérieure au capital par rapport à l'homme. Car, comme le souligne l'industriel du Val, « la question sociale » a commencé en France avec « le règne du libéralisme ». Son point de vue sur le lien entre l'industrialisme et l'avènement de la question sociale est partagé par plusieurs auteurs. Déjà, en 1865, l'économiste libéral Émile Laurent confesse : « L'ère industrielle commence, le paupérisme est né. »26(*) Ces propos venant d'un économiste libéral, donc fervent défenseur du libéralisme classique montrent qu'il n'est plus difficile de faire le lien entre l'industrialisation de la société et le paupérisme. L'avènement du paupérisme à la suite de l'industrialisation de la société est lié à plusieurs facteurs.

    D' une part nous avons les facteurs d'ordre démographique dont l'urbanisation accélérée en cette moitié de siècle. Après la Révolution, on constate une augmentation de la taille de la population active qui passe de 10 à 16,5 millions entre 1789 et 1880. Toute cette population est avide de travail, elle quitte massivement les campagnes pour venir s'installer en ville dans l'optique de trouver du travail. Adeline Daumard constate même qu'en 1866 les ouvriers représentaient 57 % de la population à Paris. Les trois quarts des gens étaient dans la misère et la pauvreté. La France qui, sous l'Ancien Régime était profondément rural avec seulement 12-14 % de taux d'urbanisation dans les années 1660-168027(*), va peu à peu s'urbaniser. L'urbanisation qui est lente en France au début du XIXe siècle va s'amorcer en 1830 puis s'amplifier sous le Second Empire (1851-1870) et au début de la IIIe République. On compte en moyenne 160 000 départs par an entre 1876 et 1881. Cet exode rural est dû à la révolution industrielle. Celle-ci a mécanisé l'agriculture et réduit la main d'oeuvre nécessaire. Désormais, dans les villages plusieurs bras valides sont sans travail, ils n'ont qu'une solution : aller chercher du travail en ville. Celle-ci étant réputée pourvoyeuse d'emploi grâce notamment à la grande industrie qui est grande consommatrice de main d'oeuvre non qualifiée.

    D' autre part, l'ère industrielle voit se développer le libéralisme à outrance. Après avoir détruit la corporation au nom de la libre concurrence, le libéralisme économique va promouvoir le libre-échange. Cela se manifeste dans le traité de libre-échange appelé traité Cobden-Chevalier, signé le 23 janvier 1860, entre la France et L'Angleterre. Ce traité a pour effet de mettre à mal l'agriculture française très peu mécanisée face à sa rivale britannique. Cette autre manifestation du libéralisme économique entraine la baisse des produits agricoles liés à la concurrence des produits étrangers et une misère chez les agriculteurs dans les campagnes. Aux effets pervers de ce traité libéral sur l'agriculture et le monde rural s'ajouteront les crises à répétition entre 1870 et 1890. Parmi ces crises, on peut citer la crise du phylloxera en France qui stoppent la culture de la vigne en de nombreux endroits28(*). Tous ces facteurs participèrent à alimenter l'exode rural. Le capitalisme industriel qui se met en place en ce siècle va en profiter pour exploiter la misère des travailleurs.

    Avec la révolution industrielle, un nouveau type d'ouvrier émerge, c'est le « prolétaire »29(*). Le prolétaire vit dans une misère effroyable. Son salaire est fixé selon la loi du marché, plus l'offre de travail est importante, plus le salaire est bas. À contrario plus l'offre de travail est basse, plus les salaires sont élevés. C'est ce système que décrie Léon Harmel. De ce fait le salaire de l'ouvrier est très souvent dérisoire du fait de la masse énorme des personnes en quête d'emploi dans la seconde moitié du XIXe siècle. Les 2 francs de salaire par jour perçu par l'ouvrier en 1848 sont insuffisants face aux 75 francs mensuels que nécessite l'entretien d'une famille de quatre personnes. Par ailleurs, il faut ajouter que l'ouvrier ne travaille pas tous les jours. Ce manque d'argent a des conséquences terribles sur sa famille.

    De prime abord les deux postes budgétaires fondamentaux de la famille ouvrière qui sont l'alimentation et le logement sont touchés. Les femmes et les enfants sont obligés de contribuer aux charges de la maison, ils s'enrôlent donc dans les usines. En 1847 dans les établissements de plus de 10 salariés, outre 670 000 ouvriers, on compte 254 000 emmes et 130 000 enfants30(*). Les femmes et les enfants sont employés dans les usines pour un salaire de misère. Villermé dans un de ses rapports établit pour la période de juillet 1848 une moyenne de 2 francs par jour pour les hommes, ce salaire sera de 1 francs pour les femmes et 0,45 francs pour les enfants de 8 à 12 ans et 0,75 pour ceux de 13 à 16 ans31(*). Ce salaire pouvait être réduit brutalement en cas de crise économique. Sachant que le XIVe siècle a connu une grande période de crise économique durant la période 1860-1890, on peut s'interroger sur l'état de pauvreté de ces ouvriers durant cette période.

    De plus l'on constate des cas de malnutrition de façon fréquente. Quant aux conditions de logement, elles sont lamentables du fait de l'urbanisation rapide32(*). Une étude à Nantes souligne les conditions déplorables dans lesquelles vivent les ouvriers urbains. Dans un style assez vivant, l'auteur raconte qu'il « faut être descendu dans ces allées où l'air est humide et froid comme dans une cave ; il faut avoir senti son pied glissé le sol malpropre et avoir craint de tomber dans cette fange pour se faire une idée du sentiment pénible qu'on éprouve en rentrant chez ces misérables ouvriers »33(*). Mais au delà de ces aspects pratiques, les véritables malheurs de la classe ouvrière se situent dans la peur du lendemain. C'est la grande différence entre l'ouvrier du XIXe siècle et le compagnon de l'Ancien Régime. Le compagnon de l'Ancien Régime pouvait compter sur des entraides qui lui garantissaient les risques de la vie, l'ouvrier du XIXe n'a pas cette chance. Les variations de salaire, la menace d'un licenciement, le risque d'un accident ou de maladie en l'absence de protection sociale peuvent à tout moment le plonger dans l'indigence34(*).

    À tous ces maux, s'ajoutent l'incapacité pour l'ouvrier d'acquérir des moyens de productions pour briser le cycle infernal dans lequel il est englué. Une dissociation est faite entre la propriété et le travail et cette dissociation introduit dans la classe ouvrière un traumatisme35(*). L'ouvrier industriel ne peut plus devenir, comme l'apprenti de l'Ancien Régime, propriétaire des moyens de production. Soumis au diktat de son patron il est exploité par ce dernier qui veut par ailleurs le voir fournir toujours plus d'effort. La machine, merveilleux instrument inventé par l'homme pour soulager le travailleur va contribuer à alourdir son sort parfois d'une manière effroyable. Les heures et les journées de travail s'enchainent même pour des enfants de 7 ans. Ils débutent à 6 h du matin pour prendre fin à 9 h 15 du soir36(*).

    À ces heures de travail infernales, s'ajoutent l'insalubrité des ateliers. Tous ces facteurs dégradent la santé des travailleurs. Comment dans ces conditions s'étonner de la fréquence des épidémies de choléra et autres maladies durant tout le XIXe siècle ? Selon le rapport Villermé, à Rouen, trois-quarts des maladies graves sont des affections pulmonaires. À l'hôpital Saint Sauveur de Lille, dès les années 1860, tous les ans, une centaine d'ouvriers y est admis pour saturnisme37(*). Toutes ces conditions de vie difficiles de l'ouvrier ont un impact sur le plan social. En plus de la misère matérielle, le prolétaire industriel va être sujet à la misère morale.

    B. Le prolétariat industriel, cause principale de la décadence morale des ouvriers industriels

    Le spectacle de la misère morale des ouvriers industriels conduit certains intellectuels à critiquer un régime qui engendre pareils effets. Qu'ils aient applaudis la Révolution où qu'ils l'aient abhorrée, il existe un large assentiment entre les intellectuels du fait que la société française se noie dans les eaux turbulentes de l'individualisme et du chaos social montant. Des penseurs catholiques sociaux tels Lamennais ou Albert de Mun aux socialistes utopiques comme Proudhon et Fourrier, tous perçoivent la désintégration sociale et le déclin moral de la société industrielle38(*). Ce déclin moral qui est en grande parti dû à la destruction de la famille ouvrière à la suite des bouleversements industriels, va entrainer un affaiblissement de la vie religieuse si douloureusement ressentie par Harmel.

    L'environnement industriel délétère affecte la famille traditionnelle. Critiquant le capitalisme industriel et ses effets néfastes sur la famille, Le Play affirmait déjà que « la famille instable domine chez les populations ouvrières soumises au régime manufacturier ». Ce point de vue est confirmé par Léon Harmel qui observe avec tristesse cette désagrégation de la famille ouvrière déjà à l'époque où l'usine du Val est gérée par son paternel. Il dénonce la décadence morale des familles ouvrières qui « sont troublées par des altercations ou des désordres et ne présentent qu'une déplorable anarchie »39(*). Cette anarchie fait que « l'ivresse est commune chez les ouvriers et entraine une imprévoyance et une dissipation » qui maintient ces familles ouvrières dans la misère. Car comment économiser et sortir de la misère quand l'ouvrier dilapide son salaire dérisoire dans les cabarets ?

    Sa famille en subit les conséquences, les mères de famille pour tenir les charges du ménage délaissé par un mari ivre est obligée de se prostituer. C'est à Reims que Villermé prend exemple de la prostitution ouvrière quand il parle du « cinquième quart de la journée »40(*). Quand elles ne cèdent pas au plus vieux métier du monde, les mères sont plus occupées à l'usine qu'au foyer, délaissant par conséquent l'éducation des enfants qui reposait sur elle auparavant. Or Harmel reconnait en la protection accordée en la femme « l'une des clefs de voûte de l'édifice social ». Protéger la femme revenait ainsi à protéger la société toute entière de dérives sociales. C'est la raison pour laquelle le combat pour une protection plus grande de la femme dépassait tous les clivages.

    Jules Michelet, homme d'État républicain s'inquiète lui aussi, dans son fameux ouvrage L'Ouvrière, du danger de cet abandon du foyer domestique par les femmes. Il affirme que « les femmes sont faites pour vivre dans le ménage » car selon l'homme d'État c'est seulement quand la femme mariée quitte l'usine pour rentrer chez elle et retrouver sa famille qu'elle se trouve restaurée dans « sa condition normale ». Il poursuit pour dire qu'un état social qui les arrache à leur mari, à leurs enfants est un « un état social mal organisé [...] qui ne permet pas aux femmes d'être des femmes ». Ainsi voyait il dans la « prolétarisation » des femmes un grand danger pour la condition féminine, quoique son analyse laissait transparaitre aussi une référence indirecte à la destruction de l'autorité paternelle.

    Toute la famille parait ainsi subir les affres de l'évolution industrielle de la société. Cette famille traditionnelle catholique qu'idéalisait Léon Harmel n'existe plus. La famille actuelle est disloquée.

    En plus des mères de famille qui abandonnaient le foyer domestique pour l'atelier ou l'usine, dans les campagnes du fait de l'exode rural, l'on constate le bouleversement de familles, privées du père de famille parti chercher du travail en ville. Comme le constate Gérard Noiriel : « Les enquêtes du temps parlent aussi de la misère morale, le déracinement, la désarticulation de la famille traditionnelle consécutif à l'afflux d'hommes seuls dans les grandes villes. » Or Le Play avertissait déjà ses contemporains des conséquences de la perte de l'autorité paternelle. Celle-ci pourrait provoquer selon lui, « l'effondrement de la famille, et par la suite celui de la société en général ». Cet effondrement de la famille était palpable. Léon Harmel le savait pertinemment. C'est pourquoi il n'hésitait pas à encourager tous les industriels à s'atteler à reconstituer la famille ouvrière, il en fît d'ailleurs le premier but de tout patron chrétien41(*). Car l'impact, il en avait lui aussi conscience, d'une destruction de la famille traditionnelle serait très grave pour la société en général. Ce danger qu'il craignait était malheureusement perceptible au sein de la société.

    Ce déclin moral se traduit par l'affaiblissement de la vie religieuse chez les ouvriers. Affaiblissement de la vie religieuse consécutif aux bouleversements industriels de l'époque. Les structures religieuses traditionnelles qui se sont épanouis dans le monde rural sont profondément remises en cause par l'exode rural, la révolution industrielle et le mode de vie nouveau qu'elle introduit chez les populations ouvrières. La distance sociale introduite par la généralisation de la rémunération monétaire banalise ce qui apparaissait auparavant comme des preuves de l'action bienfaitrice de l'Église. La société Saint Vincent de Paul travaillait avec acharnement pour s'implanter dans le milieu ouvrier et ainsi christianiser ce monde mais ces succès sont demeurés minimes. Elle comptait 913 000 membres en 186942(*) sur une population ouvrière estimée déjà à 1,2 millions en 185043(*). Les populations ouvrières françaises de cette seconde moitié du XIXe siècle sont comme en Angleterre, moins pénétrées de l'esprit chrétien.

    L'Église est démunie face à tous ces bouleversements sociaux et n'arrive pas à faire sa mue. Et cette population ouvrière qui abandonne la religion chrétienne se plonge corps et âme dans les vices.

    En 1856, le conservateur Fréderic le Play, dans ses études sociales donne une image particulièrement noire de la Champagne, région dans laquelle se situe l'usine du Val. Il parle de « main d'oeuvre faite de déracinés », d'ouvriers chassés de leurs contrées natales par le « chômage industriel » et qui viennent s'agglomérer à Reims en « pourrissant » l'atmosphère locale. Ces individus sont craints des populations rurales pour leurs comportements immoraux. La plupart du temps il s'agit de célibataires ou d'individus vivants en concubinage, ils séduisent les jeunes filles, « troublent les ménages »44(*). Et ce phénomène de démoralisation de la classe ouvrière est loin de se limiter à cette seule région. Il est aussi dénoncé par Chevalier dans son ouvrage intitulé Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle qui traite de ce phénomène à Paris. C'est cette même classe dangereuse dont Thiers obtient l'exclusion dans son discours du 24 mai 1850. Avec l'industrialisation, la famille ouvrière instable se développe. Celle-ci est un terreau fertile pour les socialistes de même que la famille traditionnelle était un terreau fertile pour les catholiques.

    SECTION II.
    UNE PENSÉE ANTISOCIALISTE JUSTIFIÉE PAR L'ADHÉSION DE LÉON HARMEL AUX IDÉES DU CATHOLICISME SOCIAL

    Le Socialisme poursuit la même finalité que le catholicisme social : l'atténuation des maux causés par les excès de l'idéologie libérale dans la société. Mais le deux courants s'éloignent quant aux moyens pour mettre fin à ces excès.

    C'est donc tout naturellement qu'Harmel acteur majeur du catholicisme social rejette les moyens utilisés par les socialistes telles la promotion de l'idée de révolution (§ 1) et les attaques menées par le socialisme contre l'Église Catholique (§ 2).

    § 1. Le socialisme : un courant révolutionnaire dangereux pour l'harmonie sociale

    La violence en ce milieu du XIXe siècle connait son apogée avec l'épisode de la commune de Paris. Cette violence est due selon plusieurs contemporains dont Harmel au socialisme qui par son idéologie promeut la lutte des classes (A). Cette doctrine serait à la base de la violence des classes laborieuses (B).

    A. Le socialisme, promoteur de la lutte des classes

    Fervent partisan du catholicisme social, Léon Harmel est contre l'idéologie socialiste surtout dans sa vision marxiste qui souhaite résoudre les problèmes de la société industrielle par la lutte des classes. Il défend à ce titre, la ligne du catholicisme social qui est celle d'une collaboration des classes. Cette ligne est défendue depuis des siècles par la doctrine de l'Église Catholique et sera consacrée dans l'encyclique Rerum Novarum qui tout en attaquant le socialisme se prononce pour la collaboration des classes. Le pape Léon XIII répète à l'intérieur de cette encyclique que « l'erreur capitale de la question présente c'est de croire que les deux classes sont ennemies-nées. Les deux classes sont destinées par la nature à s'unir harmonieusement. La concorde engendre l'ordre et la beauté »45(*). Ce point de l'encyclique Rerum Novarum illustre bien la position adoptée par l'Église depuis des siècles quant à la question sociale et rappelle sa doctrine qui enseigne la nécessaire collaboration des classes46(*). Au nom de cette vision, Léon Harmel lutte contre le socialisme révolutionnaire qui ne  doit pas avoir selon ces termes, « seul le champ libre »47(*). Il dénonce à plusieurs reprises cette vision du socialisme qui a du succès auprès des masses populaires surtout des ouvriers industriels. Ces derniers voyaient dans cette idéologie, le remède à tous leurs maux. Le seul moyen pour vaincre la condition misérable dans laquelle ils semblent condamnés. Harmel reconnait à cet effet que, si le socialisme connait ces grands succès c'est essentiellement à cause de « l'habileté avec laquelle il a pris la défense des ouvriers ». Il est clair selon lui que le socialisme allait se dissiper « comme un vainc fantôme », le jour où les catholiques défendront leurs traditions séculaires48(*).

    Effectivement, l'idéologie du socialisme se propose de prendre la défense de l'ouvrier face aux dérives qu'entraine le capitalisme industriel. Sur ce point elle rejoint les catholiques sociaux. Toutefois l'idéologie socialiste repose aussi sur le fait que dans la société bourgeoise, il n'est pas possible de mettre fin à la misère qui provient du capitalisme car cette misère provient de la propriété privée des moyens de production et ne peut disparaitre qu'avec elle. Tous les systèmes socialistes convergent sur ce point. Ils divergent seulement sur la voie pour arriver à la suppression de la propriété privée49(*). Le système socialiste se veut une réponse à la misère ouvrière, au capitalisme sauvage, à l'industrialisme triomphant qui a engendré un prolétariat qui vit dans des conditions extrêmement difficiles. Plusieurs auteurs dont l'industriel du Val partagent cette vision du socialisme même si pour lui, cette vision affichée par le socialisme apparait comme une ruse des auteurs socialistes pour séduire la classe ouvrière. L'évolution du socialisme lui donne raison.

    Après la révolution de 1848, le mouvement socialiste est surtout influencé par les idées d'Auguste Blanqui et de Pierre-joseph Proudhon. Proudhon est partisan d'un socialisme libéral50(*) à la différence de plusieurs auteurs socialistes plutôt intéressés par le marxisme.

    Le marxisme fait son apparition en France dans les années 188051(*). La notion de classe est très centrale dans la littérature marxiste52(*).

    L'analyse marxiste étudie toujours d'un point de vue sociologique l'évolution du capitalisme par l'antagonisme de la lutte des classes c'est la raison pour laquelle elle connait un grand succès dans le monde ouvrier. Selon leur analyse, Marx et Engels défendent l'idée selon laquelle l'histoire de toute société est une histoire de la lutte des classes53(*). Cette lutte n'a pas disparu selon eux avec la Révolution de 1789 mais elle a été plutôt régénérée car la société bourgeoise a été bâtie sur les cendres de la société féodale. L'antagonisme des classes demeure donc, puisqu'aux anciennes classes se sont substituées de nouvelles. Les anciennes oppressions ont été substituées par de nouvelles plus terribles encore pour les classes exploitées d'où la nécessité d'avoir de nouvelles formes de lutte. Cette lutte est à mener entre une classe bourgeoise de plus en plus riche et de moins en moins nombreuse et une classe prolétaire de plus en plus pauvre et de plus en plus nombreuse54(*). Les auteurs marxistes exhortent la classe prolétaire, face aux abus qu'elle subit de la part de la minorité bourgeoise, à prendre conscience de sa force, et à renverser cette classe « d'exploiteurs ».

    Le mouvement ouvrier nait ainsi en opposition au capitalisme industriel qui exproprie, assujettit, asservit ces masses laborieuses. Il reprend à son compte au fur et à mesure de son développement les analyses marxistes. Les ouvriers unis, par le capitalisme malgré lui, dans les usines et dans les grandes villes industrielles vont prendre conscience de leur condition commune et effectuer des revendications pour de meilleures conditions de vie dans un premier temps puis ces revendications vont commencer à se durcir avec le développement des idées marxistes qui vont prendre un tel ascendant qu'elles exerceront une grande influence sur le mouvement socialiste. Cette ascendance du marxisme dans le milieu ouvrier est l'une des causes de la violence ouvrière qu'on constate durant le XIXe siècle.

    B. Le socialisme, cause de la violence en milieu ouvrier

    À la différence des catholiques sociaux qui oeuvrent pour des reformes sociales pouvant favoriser une cohabitation harmonieuse et féconde des différentes classes, les socialistes optent pour une logique contraire. Pour ces derniers, la question sociale ne peut se résoudre que dans la suprématie de la classe laborieuse sur la classe possédante.

    Cette idéologie fait que les ouvriers de cette fin du XIXe siècle se caractérisent par la violence. Émile Souvestre le reconnait dans Confessions d'un ouvrier55(*) : « nous avions à cet égard des idées de sauvages, comme eux nous prenions l'esprit de brutalité et de bataille pour le courage ». Ce constat reflète l'esprit de violence qui caractérise les ouvriers. Ce mouvement de violence se généralise et se propage dans toute la France. À Nantes, la violence est à l'état endémique, Blois inspire même à Georges Sand sa description de la lutte entre gavots et drilles. Toute cette violence entraine un cortège de révoltes ouvrières. Nous avons les canuts à Lyon en 1831 et 1834, la commune à Paris mais aussi à Saint-Etienne. Ces mouvements ouvriers sont malheureusement très sévèrement réprimés. On compte 400 morts à la révolte des canuts de 1834, 5 000 morts lors de la révolution de 1848 et 30 000 morts lors de la répression qui a suivi la révolte de la Commune de Paris56(*). La commune de Paris symbolise l'apogée de cette violence ouvrière. L'insurrection Parisienne devient celle du prolétariat contre la bourgeoisie. Cette pensée est même énoncée par Marx dans La Guerre civile en France. Elle est par la suite véhiculée dans le mouvement socialiste français. Pendant que Jacques Rougerie conclut dans ses travaux que la commune de Paris est le crépuscule des révolutions du XIXe siècle57(*), d'autres auteurs y voient l'aurore des mouvements socialistes. En effet après cette période, des cercles d'études socialistes se créent, la doctrine marxiste se diffuse. Lors des congres ouvriers de 1879 à Marseille, le parti ouvrier est même créé avec à sa tète Jules Guesde. Les différentes motions adoptées lors de ces congrès montrent une prise de conscience nouvelle. Il est désormais question de « l'appropriation des moyens de production par tous les moyens possibles », de « se soutenir mutuellement dans les conflits qui peuvent exister entre le capital et le travail ».

    Les années 1878 à 1882 sont marquées par une poussée gréviste importante. On note jusqu'à un peu plus de 11 000 grèves ou revendications, 266 conflits entre 1871 et 189058(*). Le mouvement Guesdiste entre en action, dans le textile et dans le Nord, la plupart de ces coalitions frisent l'émeute. Cette situation trouve explication dans l'analyse de l'échantillon des adhérents et dans la géographie du mouvement Guesdiste. En effet, parmi les adhérents au mouvement, on trouve le prolétaire le plus pauvre, le plus ignorant : l'ouvrier du textile qui représente 20 % de ce mouvement suivi par les métallurgistes (18 %), les mineurs (8 %). La médiocrité de leurs niveaux de vie rend les travailleurs de ces industries perméables aux promesses du « messianisme guesdiste ». Par ailleurs la géographie du guesdisme est éloquente, elle montre la constante primauté du département du Nord qui apporte au parti plus de 30 % de ces électeurs. La métropole du guesdisme, cette « Rome » du socialisme que célébrait Guesde en des termes triomphants, c'est surement Roubaix. Ce succès du socialisme en milieu ouvrier représente sans aucun doute une sérieuse menace pour l'Église.

    § 2. Le socialisme : une sérieuse menace contre l'Église

    Le socialisme et le catholicisme social s'adresse à la même cible : le milieu ouvrier. Aussi une lutte s'engage entre ces deux courants. Les socialistes pour gagner le monde ouvrier n'hésitent pas à y propager leurs idées athées (A) et anticléricales (B).

    A. Le socialisme : un courant qui diffuse de l'athéisme en milieu ouvrier

    Au XIXe siècle la science est capable de tout expliquer, le siècle précédent des Lumières a vu le sacre de la pensée rationnelle, de la connaissance, des idées nouvelles. À partir du moment où la science est capable de tout expliquer, Dieu n'expliquera plus rien car si l'homme peut tout faire alors il n'a plus besoin de Dieu. N'est ce pas parce que l'on n'arrivait pas à expliquer certains phénomènes que l'on s'abandonnait à la foi ? Dès le moment où nous sommes capables d'expliquer ces phénomènes, le recours à Dieu qui en serait l'auteur n'est plus nécessaire. C'est ainsi que les socialistes se saisissent des idées scientifiques pour développer une doctrine basée sur le rejet de la religion.

    En France la religion dominante étant le catholicisme, les critiques vont principalement vers elle. Les socialistes s'appuient sur des courants comme le positivisme. Le positivisme est un mouvement qui est d'ailleurs présenté par Maurice Agulhon comme « la vérité du socialisme »59(*). C'est un ensemble de courants qui considère que seules la connaissance et l'étude des faits vérifiés par l'expérience scientifique peuvent décrire (et non expliquer) les phénomènes du monde. Il a fortement marqué la plupart des domaines de la pensée occidentale du XIXe siècle, exerçant une forte influence aussi bien sur l'empirisme logique que sur le marxisme, entre autres. Il est très critique vis-à-vis des religions et les attaque. Il sera à cet effet utilisé par plusieurs auteurs socialistes.

    Parmi les formes d'incroyances qui se réclament de la science, une des plus importantes est évidemment le marxisme. Car le marxisme est une sorte d'« athéisme d'origine sociopolitique »60(*). Le développement du marxisme en France apparait comme une menace directe pour l'Église. Les socialistes tels Proudhon, Marx, Collins s'attaquent avec véhémence à Dieu et reçoivent bon accueil auprès des populations ouvrières. La pensée positive est l'adversaire le plus redoutable pour l'Ancien ordre social qui a une foi profonde en Dieu. Le positivisme n'est plus en ce milieu du XIXe siècle seulement restreint dans les livres. Il parle, enseigne. Il a des chaires, des cours publics et gratuits tous les dimanches. L'idée est là. Il faut éloigner les populations ouvrières de Dieu même le Dimanche qui est consacré comme jour du Seigneur ne fait pas exception. On en profite pour enseigner le socialisme et toutes ces pensées athées à la masse. On leur apprend le discours de Marx qui déclare que « la religion est le soupir de la créature accablée ». Il faut dans ce cas pour les ouvriers ne plus s'en remettre à un Dieu qui va écouter leur larmes mais plutôt compter sur eux-mêmes, sur leurs propres forces. Il leur faut suivre un dogme nouveau, ce dogme nouveau appelle un régime nouveau. Ce régime nouveau c'est le socialisme. Un régime qui va instaurer une révolution sociale en renversant l'ancien ordre social qui opprimait les ouvriers. Mais pour arriver à cette grande révolution sociale, il faut détruire la religion, effacer Dieu de la pensée ouvrière. C'est le préliminaire indispensable pour les socialistes61(*). Un dogme nouveau, un nouveau culte doivent surgir afin qu'une société prenne la place de l'ancienne. Le socialisme n'hésite pas à se voir comme une religion.

    Jaurès, suivi en cela par Blum, considère le socialisme comme le terme, le point d'aboutissement, la somme du savoir humain, de toutes les beautés, de toutes les vertus qu'a engendré l'humanité depuis le commencement des âges. Pour ces auteurs socialistes toutes les facultés de l'humanité aboutissent au socialisme. La pensée grecque, le prophétisme juif, la morale chrétienne, Socrate, Jésus. La grande force politique et administrative de Rome, la société universelle du moyen âge, la liberté novatrice de la Renaissance, la société classique de la monarchie, le rationalisme. En un mot le socialisme est le point de concordance, la synthèse nouvelle de tout ce qui a valeur de vérité, d'art, de morale dans l'humanité62(*).

    Dans ce cas, à quoi servirait pour les ouvriers, le fait de s'attacher à une religion qui a une partie de la vérité quand on peut avoir la synthèse de toutes les vérités dans le socialisme ? Rien. Tout est dans le socialisme, il faut adhérer aux idées socialistes et abandonner Dieu car la religion est un produit de l'activité humaine et non l'inverse. Marx disait à ce propos que « c'est l'homme qui fait la religion et non la religion qui fait l'homme »63(*).

    Harmel a bien compris le danger que représente l'idéologie socialiste. Il s'acharne donc à l'attaquer dans toutes les conférences, les réunions où il a voix au chapitre. Il réplique sur le discours socialiste athée tendant à faire de la religion, l'ennemi de la science en déclarant qu' « un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science en rapproche »64(*). Si donc les socialistes s'éloignent de Dieu, c'est plutôt à cause de leur méconnaissance de la science plutôt qu'une prétendue découverte de la vérité qui ne serait pas dans la religion. La religion catholique est, à ses yeux très proches de la vérité scientifique. Harmel semble paraphraser Saint Cyprien de Carthage qui disait, « en dehors de l'Église point de salut ». Avec Harmel cette phrase pourrait signifier « en dehors de l'église point de vérités scientifique ». Son point de vue est défendu par Dupanloup, Évêque d'Orléans qui voit dans l'Évangile des « vérités acquises, incontestées » depuis dix huit siècles. Le prélat se désole aussi de l'accueil qui est réservé dans la société Française à ces erreurs. Pour lui si les esprits funestes qui essaient de contester les vérités de la Religion ont audience, c'est bien parce que la société française est « vieille et légère »65(*). Harmel appelle à son niveau au patriotisme et au sens chrétien de ses contemporains pour éliminer l'influence des doctrines socialistes « qui se sont propagées sous le prétexte de la critique historique ». Toutes les affirmations du socialisme sont battues en brèche par Harmel qui les considère comme des « erreurs », de « la vaine science » car elles mettent en avant des hypothèses qui se révèlent n'avoir aucune base sérieuse. À l'appui de ces propos, il met en avant le fait « qu'un relevé fait de 1850 à 1890 a constaté 747 hypothèses dont 74 ont encore des tenants, le reste à disparu »66(*). Ce relevé montrerait selon lui que 90 % des thèses du socialisme sont erronées. Les ouvriers sont donc amenés à porter la plus grande prudence aux fausses théories et à s'attacher à la seule vérité qui existe depuis des siècles : le Catholicisme.

    Après avoir émis des théories niant Dieu, le socialisme va plus loin dans la voie de la lutte contre l'Église en propageant l'anticléricalisme. La bataille entre le socialisme et l'Église prenait ainsi un autre tournant.

    B. Le socialisme : un courant anticlérical virulent propagé en milieu ouvrier

    L'anticléricalisme se définit comme une opposition à l'Église en tant que corps, c'est le refus de l'Église et de ses dogmes67(*). L'anticléricalisme touche d'abord les classes bourgeoises puisque c'est elles qui, dès le début de la Monarchie de Juillet vont s'éloigner nettement des sacrements. Ce sont ces classes qui reçurent d'abord les idées anticléricales et Voltairiennes.

    Et dans la bataille pour le peuple qui se joue entre les catholiques sociaux et les socialistes, tous les coups sont permis. C'est ainsi que les socialistes qui ne sont pas à l'origine de l'anticléricalisme vont utiliser les arguments des anticléricaux pour affaiblir leur adversaire : l'Église. La peur de l'Église n'est pas absente du discours anticlérical. Peur que l'Église ne s'empare du pouvoir, peur qu'elle contrôle l'espace public68(*).

    Harmel n'est pas dupe, il voit la stratégie des socialistes, c'est pourquoi il appelle ces coreligionnaires à intensifier la bataille contre le socialisme et, le socialisme seul car pour lui le libéralisme a « fait son temps », il ne méritait pas qu'on lui consacre des efforts qui seraient d'ailleurs une perte de temps, d'énergie et une erreur stratégique. Il faut concentrer tous ses efforts à anéantir le socialisme puisqu'à l'avenir les grandes luttes seront « réservées entre le catholicisme et le socialisme »69(*). De leur coté, les socialistes ne font pas aussi de cadeaux à l'Église.

    Les thèses des socialistes pour gagner le monde ouvrier consistent à proclamer que l'Église est défenseur du capitalisme mais pourfendeur du socialisme70(*). Ainsi ils arrivent à susciter le mécontentement des classes ouvrières oppressées par le capitalisme industriel. Les socialistes n'hésitent pas à s'en prendre au fait que certains prêtres « présentent l'inégalité entre les hommes comme une loi divine »71(*). Ce discours accroche les travailleurs des campagnes qui, une fois arrivés en ville ne comprennent pas le discours de l'Église. Un discours différent de celui qu'ils ont entendu jusqu'alors. Ils deviennent dès lors pour la plupart anticléricaux.

    Un autre événement va accentuer l'anticléricalisme dans le mouvement ouvrier. Après les massacres de juin 1848, Pierre Leroux penseur socialiste se tourne vers les prêtres qui siègent à l'Assemblée Constituante pour leur demander d'intervenir en faveur des insurgés condamnés. Il y eut un silence dans la salle. Ce silence montre que les prêtres ont bien choisi leur camp. Ce camp, ce n'est pas celui des insurgés pour la plupart des ouvriers. C'est plutôt celui du parti de l'Ordre. Ce silence constitue aussi aux yeux des ouvriers une trahison de l'Église envers le mouvement ouvrier. Mais on peut voir dans cette démarche de Pierre Leroux une stratégie politique visant à consolider l'anticléricalisme au sein du mouvement ouvrier car il est sans savoir que les prêtres prendraient la défense du parti de l'Ordre contre les insurgés. Il cherchait juste à montrer aux ouvriers que les thèses qu'il défend sur le lien entre l'Église et la bourgeoisie sont justes. Le soutien accordé par l'Église à la politique d'Adolphe Thiers ne pouvait qu'exaspérer l'anticléricalisme populaire.

    Par ailleurs à l'appui des thèses socialistes Duroselle démontre que les liens Église, grande industrie n'ont jamais été aussi étroits 72(*). On pouvait voir évêques et Archevêques inaugurer les « oeuvres sociales » des industriels en invitant chaque fois à une collaboration des classes. Pour les socialistes, ce paternalisme qui se met en place est une hypocrisie du catholicisme social. Il apparait selon eux comme « une revanche de l'aristocratie nobiliaire, appuyée par l'Église et parlant en son nom contre l'usurpation sociale de la classe industrielle, mercantile, bourgeoise »73(*). Raison pour laquelle, ils exhortent les ouvriers français à la méfiance car tout ce qui vient de l'Église doit être pris avec méfiance, elle qui a toujours été la « complice des riches »74(*)

    Ces idées séparent chaque jour la masse ouvrière de l'Église, le pape Léon XIII dont Léon Harmel est le camérier en a conscience aussi, il n'hésite pas à la suite d'Harmel à attaquer les idées socialistes qu'il qualifie de « systèmes étranges soi disant philosophiques mais insensés, sauvages, barbares ». Toutes ces répliques données au socialisme même venant du souverain pontife ne suffisent pas à faire reculer le socialisme au sein de la classe ouvrière. Le mal est profond, le monde ouvrier se « decathocilisait ». Déjà sous le Second Empire à Lille, moins de 10 % des ouvriers fêtaient la Pâques75(*). Lille qui était pourtant au Nord dans le bastion du paternalisme catholique industriel.

    Face aux succès du socialisme dans le Nord et auprès des ouvriers, Harmel va tenter d'apporter une réponse pratique au mal de l'Ouvrier.

    CHAPITRE II.

    UNE VISION MANIFESTÉE PAR DES oeUVRES :
    LA CORPORATION CHRÉTIENNE ET LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE

    Léon Harmel est un homme d'action et il l'aime à le rappeler sans cesse, les idées doivent selon lui laisser place à l'action. Aussi souhaitant résoudre les maux qu'ont engendrés au sein de la classe ouvrière le Libéralisme et sa conséquence : le socialisme, il s'engage à concrétiser sa vision antilibérale et antisocialiste par des institutions qu'il met en oeuvre. La première est la corporation chrétienne qui doit remédier aux maux du capitalisme industriel (Section I). La seconde est la démocratie chrétienne qu'il met en place pour enrayer l'influence socialiste en milieu ouvrier (Section II).

    SECTION I.
    LA CORPORATION CHRÉTIENNE : UNE IDÉE D'HARMEL CONTRE LES EXCÈS DU LIBÉRALISME

    La corporation chrétienne se doit de remédier aux deux questions majeures qui secouent le mouvement ouvrier depuis l'avènement du capitalisme industriel dans le sillage des idées libérales. Ces deux questions tendent essentiellement à l'amélioration des conditions de vie des ouvriers (§ 1) et de leurs conditions de travail (§ 2).

    § 1. L'amélioration des conditions de vie des ouvriers par la corporation chrétienne

    L'un des buts de la corporation chrétienne est de travailler au bien être matériel de ses membres76(*). Et les deux questions sur lesquelles portent très fréquemment les préoccupations des ouvriers, pour une amélioration de leur vie, sont relatives à la question des salaires (A) et celle de l'emploi (B).

    A. L'OCTROI D'UN JUSTE SALAIRE À L'OUVRIER

    Citant un passage de l'ouvrage Le cahier des pauvres, Paul Leroy-Beaulieu déclare que les principales exigences populaires demandent que le salaire ne soit pas « froidement calculé d'après les maximes meurtrières d'un luxe effréné ou d'une cupidité insatiable »77(*). En effet le libéralisme crée une plaie dans le monde ouvrier en particulier et dans le monde du travail en général avec ses principes dont celui de la libre concurrence. Ce principe a de graves conséquences sur le salaire de l'ouvrier. Cependant il n'est pas le seul à en souffrir car aussi bien les patrons que les ouvriers subissent les affres du libéralisme ainsi que le rappelle Léon Harmel qui affirme que la libre concurrence est un danger à la fois pour les patrons que pour les ouvriers78(*).

    Elle constitue un danger pour les patrons car face à la libre concurrence ou à la concurrence étrangère, les entreprises de second ordre sont obligées de fusionner pour donner naissance à des entreprises de premier ordre. C'est là, la seule condition pour résister79(*). Il s'agit d'une condition de vie ou de mort pour les entreprises. Cependant ces modifications ne sont pas sans conséquences sur les ouvriers. Dans un contexte où le règne du laisser faire est absolu et la libre concurrence encouragée, les entreprises pour tenir financièrement sont obligées d'abaisser les salaires des ouvriers pour être plus compétitives face à leurs concurrents. De là nait l'idée du travail-marchandise, or toute source de prospérité commerciale étant dans les plus bas prix de la marchandise, les salaires des ouvriers vont être tirés vers le plus bas. Les ouvriers ne sont plus serfs, ni esclaves comme par le passé mais ils sont désormais esclaves de la misère80(*).

    L'Église à travers ces hommes ne cesse de dénoncer ce système inique, infâme. Le cardinal Couillé recommande aux patrons le salaire suffisant pour les ouvriers, la modération des bénéfices pour eux. Tout cela au nom de leurs devoirs de justice et de charité81(*). Hamel avant lui a déjà dénoncé le système libéral qui a engendré selon lui « l'égoïsme le plus profond » avec la loi de l'offre de la demande qui est devenue la seule règle de convention entre le maitre et l'ouvrier82(*). Il dénonce cela avec véhémence car pour lui le salaire ne peut être une marchandise, il défend pour l'ouvrier un salaire équitable. Pour lui, le salaire équitable c'est celui qui permet de nourrir l'ouvrier qui le reçoit. Car dans certaines contrées un ouvrier qui se trouve en concurrence avec plusieurs autres est obligé de baisser son salaire jusqu'à vil prix, salaire qui au demeurant ne peut pas suffire à nourrir sa famille. C'est pour cela qu'Harmel s'évertue à appliquer au sein du Val une politique de salaire qui soit en accord avec ses principes83(*). Sa politique salariale peut être appréciée sur le mode de rémunération et aussi sur le taux de rémunération.

    Concernant le mode de rémunération, il en distingue trois modes : la coopération ou la participation aux bénéfices, le travail à la tache et le travail journée.

    Il déteste les sociétés coopératives ou la participation aux bénéfices car il trouve que c'est le « rêve des communistes ». Il s'indigne contre ce genre d'entreprise dans laquelle « tout le monde est patron »84(*). Elle lui parait utopiste car dans son entendement, il est impossible de demander aux hommes ordinaires les vertus que nécessite la coopération. Ces vertus qui sont : l'assiduité, l'esprit de justice, l'honnête, l'habileté qui peuvent être retrouvées seulement à son avis dans les ordres religieux. C'est pourquoi il trouve que la coopération a une apparence séduisante mais un caractère pratique difficile à réaliser. Pour un pragmatique tel Harmel ce mode de rémunération ne vaut donc pas la peine.

    Concernant le travail à la tache, il constate son universalisation mais il en décrit les inconvénients à la fois sur les entreprises et sur les ouvriers. Ces inconvénients résident dans le fait qu'il est un mode de rémunération à la fois « mauvais pour la perfection du travail » et « dangereux pour la santé des ouvriers »85(*). Il est mauvais pour la perfection du travail car les ouvriers qui veulent l'améliorer leur maigre salaire réalisent plusieurs pièces la journée ce qui rejaillit sur la qualité du travail. Il est dangereux pour la santé des ouvriers car en voulant réaliser plusieurs pièces à la journée, ils accroissent leurs horaires et leurs charges de travail ce qui peut nuire à leur santé.

    Par ailleurs l'un des autres inconvénients du travail à la tache réside dans les gains irréguliers du salaire car l'ouvrier qui se trouve dans l'incapacité soit pour cause de maladie ou d'un autre cas d'empêchement de réaliser son travail voit son salaire baisser. Il n'assure pas donc une sécurité à l'ouvrier. Raison pour laquelle il est rejeté dans les règlements des anciennes corporations. Et raison pour laquelle Harmel le rejette aussi dans sa corporation du val-des-bois.

    Le dernier mode de rémunération est le mode de rémunération fondé sur l'alliance du prix à la journée, du prix à la tâche avec des primes sagement combinés qui encouragent l'ouvrier dans son travail tout en conservant au salaire une régularité suffisante. Ce supplément de salaire est perçu sous forme au bout du mois, de la quinzaine ou de la huitaine. Ce système a l'avantage d'offrir le stimulant du travail à la tache sans pour autant perdre les avantages du prix à la journée. C'est ce mode d'application plus favorable à l'ouvrier qui est appliqué au sein de la corporation chrétienne86(*).

    Au niveau du taux du salaire, selon sa vision de faire cesser le prolétariat, il met en place au sein de la corporation une politique avec des taux de salaires assez avantageux pour ces ouvriers. C'est pourquoi son usine ne connait pas le prolétariat. Cette affirmation s'appuie sur le témoignage des « anciens » du Val. Tous sont unanimes sur le fait de leur satisfaction en tant qu'ouvriers du Val durant la période antérieure à 1914. Ils déclarent que jamais la direction du Val n'a considéré la main d'oeuvre comme une marchandise soumise aux aléas de la conjoncture87(*). Les ouvriers du Val n'ont pas donc la crainte d'être licenciés à chaque crise économique ou à chaque événement conjoncturel. Cette sécurité de l'emploi les différencie des autres ouvriers soumis au prolétariat. M. Harmel met en pratique sa politique du juste salaire dans son usine au grand avantage de ses ouvriers. Au sein de l'usine chrétienne, les taux de salaire sont analogues à ceux des usines voisines. Car au début de la IIIe république dans les années 1870, le taux de salaire pour un ouvrier dans le textile à Reims est de 4,50 francs quotidiennement. Pour les ouvrières, ce taux s'élève à 2 francs en moyenne. Au Val ce taux est de 4 francs pour les hommes et de 1,75 pour les femmes. Ce taux plus bas au Val par rapport à Reims se justifie par le fait que le Val est situé en campagne ce qui donne un avantage comparatif aux ouvriers du Val. De plus Léon Harmel institue le principe de la Caisse de famille qui consiste à prévoir une réserve alimentée par les seuls patrons et qui permette de verser le complément aux familles dont le gain n'atteindrait pas le minimum jugé indispensable. Il ne s'agit donc pas de supplément familial, mais d'un complément familial de salaire. Il s'agit d'un complément familial car il est versé à condition que les ressources familiales n'atteignent pas un minimum décent pour faire vivre une famille. Il va sans dire que les familles dont les ressources dépassent ce minimum ne bénéficient pas de ce complément. À cette nuance près, il semble bien exact que Léon Harmel soit le principal initiateur des allocations familiales (le principe de la péréquation n'ayant été trouvé que plus tard par Romanet). Parlant du salaire familial, il écrit en 1895 : « Nous ne prétendons pas que ce minimum suffise, mais seulement qu'il empêche la misère noire. » Ainsi, il met en application dans son usine ses idées sur le salaire juste et équitable et de fait participe à lutter contre le paupérisme. Quid de la question de l'emploi au Val ?

    B. UN DÉSIR ARDENT DE MAINTENIR L'OUVRIER DANS L'EMPLOI

    André Guesclin fait remarquer à juste titre que l'existence des ouvriers au XIXe siècle est soumise aux variations cycliques de l'activité économique et à des chômages récurrents88(*). D'où une grande précarité de l'emploi dans le monde ouvrier. L'ouvrier dont le salaire dérisoire ne peut permettre aucune épargne tombe donc dans la misère dès son licenciement. C'est en cela que Léon Harmel fait remarquer que le travail est d'un intérêt majeur pour l'ouvrier, c'est une question de vie ou de mort, de joie ou de désespoir, d'aisance ou de misère89(*).

    Le dirigeant du val en a bien conscience lui qui a, par le contact avec la classe ouvrière, saisi les maux dont elle souffre. Il essaie de remédier à ces maux avec la corporation chrétienne. À cette corporation il laisse le soin de placer en première ligne de son action le grand intérêt de ses membres en établissant partout des centres de protection pour le travail90(*). Ces établissements doivent jouer le rôle de bureau de placement pour les travailleurs chrétiens afin que ceux-ci ne manquent point de travail. Il faut à tout prix éviter aux chrétiens « la misère par excellence qu'est le chômage ». Il montre par là tout son attachement à la défense de l'emploi de l'ouvrier pour lui éviter de tomber dans le paupérisme.

    En homme de parole, il n'hésite pas à conserver dans leur emploi les ouvriers du Val malgré l'incendie qui ravage le Val le 13 septembre 187491(*). Il continue de payer le salaire de ses ouvriers comme lors des périodes de chômages partiels que connait l'usine du fait des machines. Cette capacité de donner le salaire à des ouvriers qui ne travaillent pas est un fait tout à fait exceptionnel pour les ouvriers de la région mais c'est ordinaire pour les travailleurs du Val habitués à la générosité du « bon père ». En effet comme il l'affirme lui-même : « Les commotions politiques, la révolution de 1848 et les événements de 1870-1871 n'ont pas atteint nos ouvriers, ni ralenti notre travail. » comment expliquer cette résilience de l'usine chrétienne malgré les crises ?

    Harmel l'explique par la providence divine car selon lui s'il a eu la capacité de garder les travailleurs dans l'emploi pendant ces périodes noires pour l'économie française cela est essentiellement « grâce à Dieu seul »92(*). Derrière cette modestie se cache une grande prévoyance. Dans les périodes de vaches grasses c'est-à-dire dans les périodes de prospérité, il fait des réserves pour les périodes de crises économiques. Mais comme il le dit, il faut un très grand sens chrétien pour tempérer le luxe et l'amour des richesses93(*). Ce n'est pas évident pour tous les patrons de faire des réserves en période de profit pour leur entreprise afin de garder dans leur emploi les ouvriers dans les périodes de récession de l'activité de leur entreprise. Seul un très grand esprit chrétien peut amener un patron à faire preuve de telle générosité. Conscient de cela Harmel encourage tous les patrons à ne pas rester indifférent devant le fléau que constitue le chômage, ils doivent mettre tout en oeuvre comme l'industriel du Val pour le prévenir. Telle est la mission de la corporation chrétienne, servir d'exemple aux autres industriels d'une possibilité de mettre fin à la précarité de l'emploi dans la classe ouvrière.

    Léon Harmel affirme d'ailleurs qu'il a résolu ce problème de précarité de l'emploi au Val car les ouvriers savent qu'ils ne sont pas des instruments dont on se débarrasserait le jour où un trop long usage dans les usines aura diminué la puissance94(*). Au contraire ils savent qu'au Val ils seront à l' abri du besoin durant leur vieillesse. Ils ne sont pas concernés par les inquiétudes de leurs collègues des autres usines. À ce titre, on peut dire que la corporation chrétienne a vaincu le prolétariat grâce à des institutions comme la caisse de secours qui jouent le rôle de caisse de chômage95(*). Ces propos sont vérifiés par les chiffres que nous donnent Pierre Trimouille dans la biographie qu'il dresse sur Harmel.

    Selon Trimouille malgré la grave crise que connait l'industrie française durant la période de récession économique que connait la France lors de la période 1873-1895,tout se passe au Val comme si de rien était. Les chiffres des effectifs de personnes ouvrières passent de 404 personnes en 1878 à 678 personnes à la fin 189996(*). Ces effectifs sont même à doubler si l'on veut prendre en compte les personnes travaillantes au Val mais non enregistrés dans les effectifs comme les apprentis. La politique de Léon Harmel est donc conforme à ce qu'il enseigne. À savoir maintenir à tout prix l'ouvrier malgré les situations de crises.

    Toutefois durant la crise qui secoue l'industrie lainière en général de 1895 à 1900, Harmel est obligé la mort dans l'âme de se séparer de certains de ses ouvriers. On peut constater cela par une analyse de la caisse de secours. Les versements qui lui sont faite par les patrons en 1896 sont de 1 895 francs, ce chiffre grimpe à 20 390 francs en 1900, se stabilise à 17 876 francs en 1901 et retombe à 6 917 en 190397(*). Ces chiffres montrent l'effort fait par les patrons du Val pour ne pas laisser les ouvriers au chômage, sombrer dans la misère comme cela est malheureusement le cas dans d'autres entreprises à la moindre période de crise économique. L'analyse fait par Trimouille montre que durant cette période de grave crise au Val, les familles sont ménagées. Seul les célibataires hommes et femmes sont débauchés. Les femmes célibataires qui constituent la moitié du personnel féminin de l'usine sont les plus touchées par ce débauchage. C'est à elles en majorité qu'est versées l'essentiel des indemnités de chômage pour qu'elles puissent subsister en attendant leur reclassement98(*). Ce reclassement arrive à partir de 1903 car l'on constate une forte baisse à cette période de la somme versée à la caisse de secours ce qui indique que la majorité des personnes qui bénéficient du régime de l'indemnité chômage sont reclassées.

    Cette politique généreuse de Léon Harmel se poursuit sur un autre terrain de la lutte du mouvement ouvrier : la question des conditions de travail.

    § 2. L'amélioration des conditions de travail des ouvriers par la corporation Chrétienne

    Avec l'apparition et le développement des usines les conditions de travail se détériorent nettement en France durant une grande partie du XIXe siècle. Harmel qui déteste la condition prolétarienne que fait subir certains industriels sans foi aux ouvriers, s'efforce de faire du Val, un oasis de tranquillité par une amélioration du cadre de travail de ces ouvriers (A). Par ailleurs, il ne demeure pas insensible à l'une des questions clé de la législation du travail à savoir la question de la durée du travail (B).

    A. Le cadre de travail au Val : une oasis de tranquillité

    Au XIXe siècle, la France agricole se modernise, le paysage national voit apparaitre des usines. Certes le mouvement d'industrialisation est plus lent en France comparé à l'Angleterre et il faut attendre après la seconde moitié du siècle pour voir une France industrialisé. L'usine n'invente rien. Elle imite la manufacture qui existe déjà et qui a amorcé le phénomène de concentration de travailleurs. L'originalité de l'usine c'est qu'elle intègre la technique. La machine modifie sa structure et sa morphologie en même temps que les formes de travail99(*). Le travail à l'usine est beaucoup plus intense, plus difficile et s'exerce même dans des conditions effroyables. Certains ouvriers parlent même de « bagne industriel » et préfèrent le bagne de Cayenne à cet environnement dans lequel ils vivent tous les jours. Jacques Zanatto raconte l'histoire de cet ouvrier Simon Parvery qui a deux vies : l'une où il est libre, joyeux parmi les travailleurs en forêt et l'autre où il est triste debout fourche à la main devant son four tous les jours. En effet, Simon Parvery exerce deux emplois. Un emploi de forestier et un emploi d'ouvrier industriel. Sa situation est loin d'être isolée car la notion de régularité de l'emploi, impliquant un salaire régulier tel que nous le connaissons actuellement est anachronique. De nombreux historiens tels Françoise Battagliola insistent sur la mobilité des membres des milieux populaires en France. On peut passer de l'agriculture à l'industrie, d'une industrie à l'autre, de l'atelier à la boutique ou à l'usine100(*). Mais, de l'avis de Simon, sa vie à l'usine est au moins égale sinon pire en inhumanité et en dureté que celui du bagne de Cayenne101(*). La comparaison parait exagérée mais c'est le même calvaire qui est vécu par plusieurs ouvriers industriels en cette fin du XIXe siècle. Mais pour Harmel il est hors de question de reproduire au val ce spectacle désolant.

    Aussi condamne-t-il le travail des enfants avant l'âge de 12 ans et réclame sa fin dès 1868, c'est-à-dire six ans avant que le législateur n'interdise le travail aux enfants de moins de 12 ans102(*). En cela comme en bien d'autres matières sur la question sociale, Harmel s'est montré très progressiste.

    Les règles d'hygiène et de salubrité appliquées au sein de la corporation Chrétienne du Val font de cette usine, une exception dans la région de Reims. On peut constater qu'au Val les tâches pénibles du lavage et de la teinture sont effectuées par les hommes et non par les femmes, contrairement à l'atmosphère générale. L'idée est d'éviter aux ouvrières des maladies professionnelles. Par ailleurs partout des appareils servent à renouveler l'air, l'assainir et au besoin l'humidifier pour rendre l'air au sein de l'usine plus frais et moins dangereux pour la santé des ouvriers. De plus un poste d'eau est installé dans toutes les salles pour étancher la soif des ouvriers103(*).

    L'amélioration des conditions de travail et de sécurité à l'usine sont ses préoccupations majeures de même que la prévention de tous les risques industriels. Certes le risque zéro n'existe pas à 100 % dans une usine mais tout est mis en place pour éviter les accidents de travail. Car Harmel lui-même l'affirme : « Le patron qui n'emploie pas les moyens de prévenir les accidents dans les ateliers manquent en même temps à la justice et à la charité, en exposant l'ouvrier au danger de perdre sa vie ou ses moyens de subsistance. »104(*) Il parait nécessaire de le faire car tout au long du siècle la classe ouvrière est décimée par les accidents et les maladies professionnelles105(*). Et l'industriel ne manque pas à sa vision de faire reculer la condition prolétarienne.

    Pour ne pas être objet de scandale, Harmel s'efforce de donner l'exemple au sein de son usine. Il met en place des règles de prévention et de sécurité très strictes.

    Le règlement d'atelier énonce que l'usine doit faire l'objet de nettoyage tous les jours durant une demi-heure. Le règlement concernant les ouvriers employés à filés automates traite bien plus les questions de prévention. Les huit articles de ces règlements ont pour objectif de mettre en place une prohibition des actes susceptibles de provoquer un accident.

    Concernant le logement, il ne déroge pas à la tradition du paternalisme qui veut que la résidence des ouvriers se fasse sur les lieux de l'usine. Ainsi l'habitat ouvrier au val ne demeure pas en reste et il y accorde un point d'honneur. Le logement exerce selon lui une influence sur l'âme et le corps de l'ouvrier. C'est pourquoi il veut que les logements ouvriers soient complètement isolés pour donner une certaine intimité aux familles et éviter que leur vie intérieure soit commune aux voisins. Au val, les cités ouvrières sont composées de maisons individuelles avec de vastes jardins soignés106(*). Ces maisons agrémentent les conditions de vie et de travail des ouvriers qui y habitent contrairement aux cités ouvrières classiques où la vie des uns est connue des autres du fait de la grande promiscuité qui y règne.

    Le point noir au tableau de sa politique d'amélioration des conditions de travail des ouvriers est à mettre à l'actif de sa vision ambigüe sur le travail de nuit. Travail qui est décrié par les ouvriers car très épuisant et de plus très dangereux pour la famille ouvrière. Lui le champion de la protection de la famille ouvrière ne peut s'empêcher d'y recourir à partir de 1892. Et ce, bien que son frère Ernest l'en ait dissuadé en 1860 et qu'il s'est fait le héros la lutte contre ce type de travail dont il demande déjà l'abolition. À ce titre il fait l'objet de railleries de la part de ses adversaires pour son manque de cohérence.

    Mais il est un point où il demeure cohérent jusqu'au bout. C'est sur le point du temps de travail.

    B. La durée de travail au val : une oeuvre progressiste de Léon Harmel

    Le temps de travail donne lieu depuis plus de deux siècles à une profusion de discours différents. Certains sont revendicatifs surtout dans le camp des travailleurs, d'autres polémistes dans les camps des patrons, d'autres encore utopistes dans les camps des politiciens. Il est question de la semaine de quatre jours de travail ou de 36 heures, Keynes a même prédit qu'en 2030 la durée hebdomadaire du travail serait de 15 heures107(*).

    On peut être frappé par le non linéarité du processus historique en ce qui concerne la législation sur le temps du travail. La loi de 1884 sur l'interdiction du travail le dimanche sera abolie en 1830 puis restaurée en 1906. Le décret du 2 mars 1848 sur la journée de 10 heures à Paris et 11 heures en province est lui aussi abrogé par la constituante le 9 septembre 1848108(*). Mais toutes ces lois sont l'oeuvre de lutte sociale acharnée de la part des travailleurs contre l'arbitraire de certains patrons qui traitent leurs ouvriers comme du bétail qu'il faut rentabiliser. La forte concurrence va pousser ces patrons à fixer unilatéralement la durée de travail qu'ils imposent aux ouvriers. L'objectif de ces patrons est d'augmenter le taux d'utilisation des machines. La durée très longue des journées de travail induit des effets qui affectent la société dans son ensemble et le travailleur en particulier. Les conséquences les plus immédiates sont l'usure au travail qui se manifeste par une augmentation des maladies professionnelles, des accidents de travail109(*). Un exemple montre bien cette usure au travail, c'est l'industrie du textile. Dans ce secteur le taux des conscrits exemptés du fait de carences est de 18 % alors que la moyenne au niveau nationale est de 11 %. Harmel qui est dans ce secteur en a bien conscience du mal être des ouvriers c'est pourquoi sa logique est de faire en sorte que ses ouvriers ne soient pas accablés par le travail. Il faut pour lui qu'il puisse trouver un temps pour remplir leur devoir essentiel envers Dieu, la société et leur famille110(*). Il s'insurge même contre les patrons qui ne respectent pas le repos dominical et qui étalent chaque jour en plein soleil « cette tyrannie odieuse ». Il se désole face aux ouvriers qui sont livrés à un travail sans trêve et qui ne peuvent pas reposer leur « pauvre machine humaine » le septième jour, le dimanche pour réparer la fatigue accumulée pendant les six jours111(*). Son amour pour Dieu et pour le peuple ouvrier en sont ainsi choqués face à ces attitudes de certains patrons. Pour Harmel, il faut respecter le repos du dimanche pour que les ouvriers puissent prendre soin de leur âme et de leur corps.

    La situation au Val correspond à ces propos car le repos dominical y est respecté. L'article 14 du règlement d'atelier fixe que les ateliers sont fermés les dimanches et jour de fête car ces jours sont consacrés au Seigneur. En plus les samedis, les journées sont plus courtes car elles finissent à 11 h 30 pour les femmes mariées au lieu de 12 heures. Le reste des jours de la semaine la durée journalière de travail est fixée à 11 h 30 avant 1893. Cette situation est plus favorable que la loi sur le travail qui fixe la durée journalière à 12 heures de travail par jour112(*). Une fois encore M. Harmel devance la législation sociale.

    Toutefois ces horaires de travail plus courts ne sont pas seulement dues aux convictions religieuses et philanthropiques d'Harmel, il y a là aussi des raisons de productivité. Harmel comprend de sa propre expérience que les horaires trop longs sont dangereux pour la qualité. Il comprend que pour produire de bonne qualité il faut réduire la durée du travail. Il dit à ce propos : « J'ai vu de plus de travail aux pièces en 10 heures qu'en 12 heures de travail. Il y a là une grave question à étudier. »113(*) Étant donné que le val est beaucoup tourné vers l'international, les produits de qualité s'avèrent pour lui nécessaires et la productivité des travailleurs est à améliorer. On comprend pourquoi il est partisan d'un temps de travail plus court bien que dans les faits des entreprises comme Schneider ont des journées de travail de 10 heures donc plus favorables que l'usine du Val.

    Mais le Val pour son patron se veut être un modèle qui va être repris par les autres patrons catholiques pour contrer les méfaits du libéralisme et de la plaie hideuse qu'est le paupérisme qu'il crée. C'est pour cela le patron du Val sort l'ouvrage Manuel d'une corporation chrétienne pour montrer aux patrons chrétiens la voie à suivre contre le fléau du libéralisme, une voie qu'il met lui-même en pratique au val et qui rend pragmatique cette oeuvre qui lui est si chère : faire renaitre les corporations que le libéralisme a détruit. La « réchristianisation » du monde ouvrier dans cette optique doit être l'oeuvre des patrons chrétiens qui suivent le modèle réussie d'une réchristianisation ouvrière : le Val.

    Son combat se poursuit contre un autre produit du libéralisme : le socialisme.

    SECTION II.
    LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE : LE REMÈDE ANTISOCIALISTE DE LÉON HARMEL
    AU MOUVEMENT OUVRIER

    La démocratie chrétienne nait de l'intervention du pape Léon XIII de son vrai nom Gioacchino Pecchi dans le domaine politique par le biais de l'encyclique Inter Sollicitudines qui appelle au ralliement des catholiques à la République. Elle élargit le champ d'action ouvert aux membres de l'Église et les pousse à s'y engager. Plusieurs mouvements naissent à la suite de cet appel114(*). En France, Léon Harmel se fait le champion de la démocratie chrétienne car elle répond pour lui à deux objectifs qui lui tiennent à coeur : dynamiser le catholicisme social en perte de vitesse (§ 1) et lutter contre le socialisme, son ennemi de toujours (§ 2).

    § 1. Une tentative pour dynamiser le catholicisme social en perte de vitesse

    Dans les années 1880, le catholicisme social perd du terrain face au Socialisme115(*). Cette perte se constate dans le déclin de l'oeuvre des cercles catholiques d'ouvriers qui est l'oeuvre du catholicisme social ayant eut le plus de retentissement (A). Face à ce constat, Léon Harmel se charge de faire évoluer le catholicisme social vers plus de démocratie. Il fera donc la transition avec la « démocratie chrétienne » pour aborder une approche nouvelle face au monde ouvrier (B).

    A. Un constat : la perte de vitesse de l'oeuvre des cercles catholiques ouvriers

    Les oeuvres issues du catholicisme social en général ralentissent dans la classe ouvrière mais nous ne pourrons pas analyser le phénomène dans son ensemble. Aussi, il nous importera de fixer notre regard sur l'oeuvre la plus féconde de ce mouvement pour apprécier le phénomène dans sa globalité.

    L'oeuvre des cercles catholiques d'ouvriers est fondée en 1871 par Maurice Maigen et deux officiers royalistes Albert de Mun et René de la Tour du Pin. Ils se sont faits le serment de ramener la classe ouvrière au bien être matériel et a la moralité chrétienne après avoir été choque par l'épisode de la Commune de Paris116(*). Les deux officiers royalistes vont donc assigner à cette oeuvre le rôle de provoquer l'entente pacifique des riches et des pauvres afin que le peuple soit instruit et soit éduqué117(*). La christianisation du monde ouvrier passe selon eux par les classes dirigeantes, le mouvement doit donc partir du haut vers le bas. Les classes dirigeantes aisées sont appelées à honorer leur devoir envers les pauvres. Les riches ne doivent pas se montrer durs et hautains envers les indigents car le superflu appartient aux nécessiteux. Cette responsabilisation de la classe dirigeante quant à la réchristianisation du milieu ouvrier se justifie par la méconnaissance par le clergé du monde ouvrier118(*). Il s'en remet ainsi aux patrons chrétiens pour bâtir cette oeuvre.

    L'oeuvre des cercles catholiques ouvriers s'inscrit à ce titre dans la droite ligne du catholicisme social avec son idée de la collaboration des classes. C'est pourquoi Léon Harmel y adhère plus tard.

    Durant les premières années de sa création l'oeuvre connait un franc succès. De l'avis d'Albert de Mun on en compte 130 comités, 150 cercles, 18 000 membres dont 15 000 ouvriers en 1975 soit quatre ans après sa création119(*). Ce succès est dû au fait que la classe ouvrière trouve un réconfort dans les cercles. Il s'y exerce un sorte de patronage qui n'est pas fait pour lui déplaire qui durant cette période de crise économique vit une situation précaire et les oeuvres paternalistes promues au sein des cercles gagnent leur enthousiasme. Elle dépasse toutes les attentes.

    Toutefois après cette période de succès, l'oeuvre des cercles commence à décliner au milieu des années 1880 et cela est dû à plusieurs raisons.

    La première est le fait que les ouvriers commencent à se lasser de l'attitude paternaliste presqu'infantilisante qui a cours dans les cercles. Les temps ont changé et le paternalisme apprécié par le passé ne l'est plus à cette époque où les mouvements socialistes gagnent les foules. Et l'analyse de Léon Harmel sur ce point nous parait très juste. Dans une lettre qu'il adresse à un industriel du Nord, il relève ceci : « À Lille et à Roubaix se forment des syndicats purement ouvriers parce que (à tort sans doute) ils ne trouvent pas assez de régularité et de liberté dans les syndicats mixtes. »120(*).

    Les syndicats mixtes sont les syndicats qui voient en leur sein la présence du capital et du travail c'est-à-dire des patrons et des travailleurs et où les intérêts des patrons et des ouvriers sont débattus dans une perspective de collaboration de classe. Ils diffèrent des syndicats séparés qui sont soit des syndicats de patrons, soit des syndicats d'ouvriers. Les syndicats séparés ont la faveur des ouvriers comme le remarque Harmel car à l'intérieur de ces syndicats, ils se sentent plus libres, plus responsables. Chose qu'ils ne ressentent plus à l'intérieur des syndicats mixtes tels ceux prônés par l'oeuvre des cercles. Les ouvriers vont donc peu à peu déserter les cercles catholiques d'ouvriers pour se retrouver dans des syndicats purement ouvriers.

    Un autre auteur partage le point de l'industriel du Val sur les raisons du déclin de l'oeuvre des cercles catholiques ouvriers, il s'agit de Pareto. Analysant les systèmes socialistes, l'économiste italien remarque que dans les systèmes socialistes, les ouvriers ont la sensation d'être des hommes libres ce qui n'est pas le cas dans les oeuvres des chrétiens sociaux en général et des catholiques sociaux en particulier. Dans ces oeuvres, les ouvriers ont le sentiment qu'ils sont continuellement diminués par l'activité envahissante des chefs121(*). N'est ce pas les mêmes patrons décriés par Harmel qui les qualifient de « gouverneurs », de « petits Louis XIV » dans leurs usines, dont « la main écrase tout », qu'on trouve dans les cercles ? Dans ces circonstances, les conditions d'épanouissement de la classe ouvrière ne peuvent pas être réunies.

    Les ouvriers plébiscitent ainsi les syndicats purement ouvriers ou socialistes où ils peuvent faire valoir ensembles les intérêts de leur classes, surtout que dans les syndicats socialistes ils sont éduqués sur leurs droits et en partie sur leur devoirs, ils s'organisent pour qu'ils soient prêts à la grève, à la résistance. Chose qu'ils ignorent dans les cercles catholiques où on ne leur sert que des sermons sur la moralité et la religion122(*).

    Face au péril socialiste, Léon Harmel comprend la nécessité d'aborder une nouvelle approche face aux ouvriers. Il se charge donc de faire évoluer le catholicisme social vers la démocratie chrétienne pour mieux répondre à l'attente du peuple ouvrier.

    B. Un objectif : aborder une approche nouvelle face au mouvement ouvrier

    Léon Harmel est favorable dès le départ au syndicat mixte puisqu'il prône la collaboration des classes mais face au déclin de ces syndicats mixtes dans la population ouvrière. Il change de position. Pour lui il faut sauver le peuple ouvrier du péril socialiste et ce, par tous les moyens, certes le syndicalisme mixte est le régime idéal mais c'est un but et non la fin. Il le répète dans une lettre qu'il fait parvenir à Ferron-Vrau, un autre industriel catholique. Dans cette lettre il affirme ceci : « Tout en répétant que le syndicat mixte est le type parfait si la vie y règne sans arbitraire et si l'initiative ouvrière y est favorisée. » Cette phrase montre son attachement toujours au syndicat mixte puisqu'il est calomnié pour son revirement de position. Mais elle explique par ailleurs pourquoi les associations mixtes ne fonctionnent pas. Le problème est dans l'absence d'initiative laissée à la population ouvrière, il insinue même qu'il y règne une atmosphère d'arbitraire. Face à la majorité des patrons qui oeuvrent pour le maintien de ces syndicats, il ose affirmer un choix contraire. Son choix est fait. Il prend le parti des ouvriers et ce, même à l'encontre des gens de la même classe que lui : la classe dirigeante. Peut-il en être autrement lui qui affirme déjà que la partie la plus foncièrement chrétienne de la France est le peuple des travailleurs123(*). Il se doit de la sauver contre vents et marées. S'appuyant d'abord sur l'encyclique Rerum Novarum qui insiste sur le fait « qu'il faille adapter les corporations » aux conditions nouvelles et encourage les associations « composées des seuls ouvriers ». Puis par la suite en s'appuyant sur l'encyclique Inter Sollicitudines, il met en avant le mouvement de la démocratie chrétienne en France malgré toutes les réticences que cette encyclique suscite dans les milieux catholiques conservateurs. Il reconnait comme légitime le syndicalisme ouvrier et s'attache à convaincre les deux autres de la triade du catholicisme social : Albert de Mun et René de la Tour du Pin.

    Il leur écrit pour leur montrer que les étapes de la confrérie ne sont pas encore atteintes en France comme en Belgique car les métiers sur lesquels se sont appuyées les confréries par le passé, sont désormais dépassés par les progrès de l'industrie. Devant leur inaction il place sa confiance au peuple. Le discours qu'il prononce à l'automne 1896 à Lyon est révélateur de son nouvel état d'esprit.

    En voici un passage : « La pensée maitresse qui nous a dirigée c'est un acte de foi en l'âme populaire. » Le mouvement est lancé. Son discours pour le triomphe de la démocratie chrétienne s'articule autour de deux points : la défense de l'initiative ouvrière et l'existence d'une alliance privilégiée entre Dieu et le peuple.

    Concernant la défense de l'initiative ouvrière, il rappelle dans un discours au congrès ouvriers de Tours qu'il a toujours « encouragé » les ouvriers dans « la voie de la responsabilité et de l'initiative » et cela par une autonomie complète124(*). Une manière de rappeler que son engagement pour l'initiative ouvrière n'est pas neuf et n'est pas le fait des circonstances nouvelles. Il prend l'exemple du Val pour appuyer son argumentaire en montrant par ses oeuvres au Val qu'il a toujours « donné aux ouvriers une certaine responsabilité » car pour lui « la question sociale n'est pas une question d'estomac mais plus une question de dignité »125(*). C'est cette dignité qui manque dans l'oeuvre des cercles et qu'il veut apporter dans la démocratie chrétienne. Les associations ouvrières qu'il met en place sont dotées d'autonomie de gouvernement. Il s'agit pour lui « d'un caractère essentiel » de l'association car s'il en est autrement, elles ne sont qu'« un patronage sans initiative et sans action et lorsqu'il s'agit d'ouvrier adultes sans résultats »126(*).

    Toutefois il rappelle que pour éviter que l'association ouvrière ne bascule dans le socialisme, chose qu'il veut par-dessus tout éviter, il faut qu'elle ait en son sein un patron et un prêtre dont la présence est très désirable mais non nécessaire car ces derniers peuvent se faire représenter. Le rôle de ceux-ci n'est pas de prendre une part active dans le gouvernement de l'association mais plutôt rappeler le règlement et le faire respecter. L'initiative ouvrière doit être respectée au risque de « détruire l'association »127(*).

    Harmel est bien conscient que défendre l'initiative ouvrière est un couteau à double tranchant et qu'elle peut se retourner contre l'Église avec les chants de sirène des socialistes qui eux aussi font luire aux ouvriers un avenir plus tentant pour les gagner128(*). Aussi s'empresse-t-il de rappeler aux ouvriers leur mission dans ces associations ouvrières formées : christianiser leurs semblables. Car l'Église a été formée par les faibles comme eux. Devant les bourrasques que subissait l'Église en ce siècle, il leur revient de soutenir les piliers de l'Église pour ne pas qu'elle s'écroule. Il leur donne à ce propos l'exemple des premiers chrétiens qui étaient « un ramas d'esclaves et de vils artisans » mais qui ont réussi à christianiser les classes dirigeantes jusqu'au sommet avec l'empereur Constantin dont ils ont obtenu la conversion au Christianisme. Et avec un optimisme à nul pareil, il reprend : « Ce que le bas peuple des premiers siècles a fait, les ouvriers du XIXe siècles peuvent le faire. »129(*). Léon Harmel s'y investit à fond car il s'agit la de la dernière cartouche pour faire « régner le Christ en milieu ouvrier ». L'échec de la démocratie chrétienne et de ses idées signeraient bien la fin de son rêve. Aussi ne se limite-t-il pas à la formation des associations ouvrières « chrétiennes ». Il engage la lutte contre le socialisme avec les armes de celui-ci.

    § 2. Un mouvement pour lutter contre le socialisme

    Le socialisme a axé sa stratégie de conquête du pouvoir par un développement de ses idées en milieu ouvrier, milieu qui concentre la majorité de la population et grâce à la pénétration de ses idées révolutionnaires ou réformistes dans ce milieu la prise du pouvoir politique en est facilitée.

    Pour lutter contre le socialisme, Léon Harmel entreprend la même démarche que celle des socialistes : éduquer le peuple (A) puis dans un contexte marqué par le ralliement des Catholiques à la République, prendre le pouvoir (B).

    A. Une lutte contre les idées socialistes dans les cercles chrétiens d'études sociales

    À la question de savoir pourquoi il choisit la voie du syndicalisme séparés, Harmel donne une réponse sans ambages dans une lettre qu'il fait parvenir à un de ses avoués à Angoulême : « S'il m'appartenait de les empêcher, quel effet produirais-je ? Je jetterais ces ouvriers chrétiens dans les bras des socialistes. Pour maintenir les ouvriers de l'Église, il faut les former à l'étude des reformes susceptibles d'améliorer la condition ouvrière et surtout leur donner la doctrine chrétienne. »130(*)

    Il constate qu'avec des méthodes analogues, les socialistes remportent de réels succès : ils «ont pu faire étudier à des ouvriers des ouvrages difficiles comme ceux de Marx ». Or, dit-il, « c'est une vérité banale de dire que ce sont les idées qui mènent le monde ». À ce titre, il utilise les cercles chrétiens d'études sociales qui voient le jour à Reims en 1891, comme un moyen d'éduquer la classe ouvrière et de corriger les erreurs véhiculées par les socialistes dans le Peuple : erreurs qui les ont éloignés de l'Église.

    Parmi ces erreurs la plus utilisée par les socialistes est celle selon laquelle l'Église soutient toujours les riches contre les pauvres, elle est toujours du coté du patron que des ouvriers. Qui mieux que Léon Harmel peut dire le contraire ? Lui, l'industriel voit l'action bienfaisante de l'Église se manifester envers les pauvres depuis la création de l'Église et il se charge de le rappeler lors de son discours au congrès ouvriers de Tours. Son discours est axé sur l'idée selon laquelle l'Église et le vicaire du Christ ont toujours soutenu les plus faibles contre les puissants.

    Sur le soutien de l'Église, il n'hésite pas à rappeler que le travail incessant de l'Église est d'élever les barrières pour protéger les plus faibles contre les puissants qu'il appelle « les fauves ». Exemples à l'appui il montre les réalisations de l'Église en matière de défense des plus faibles.

    Le droit d'asile s'attache à Saint Chrysostome131(*). L'asile est un lieu où une personne se sentant menacée peut se mettre en sécurité, le droit d'asile renvoi au droit à chaque être humain de trouver refuge face à des menaces et des poursuites.

    À la suite de Saint Chrysostome, Saint Odilon de Cluny met en place la trêve de Dieu132(*). La Trêve de Dieu est une suspension de l'activité guerrière durant certaines périodes de l'année, organisée pendant le Moyen Âge en Europe par l'Église catholique romaine (historiquement, elle a le plus longtemps pris la forme d'une trêve du mercredi soir au lundi matin, ainsi que pendant tout l'Avent, à Noël, pendant le Carême et le Temps pascal). C'était un moyen de l'Église de soulager les pauvres qui souffrent des affres de la guerre, et elle rappelle la mission pacificatrice de l'Église. Par ailleurs d'autres réalisations de l'Église viennent corroborer ses dires.

    N'est-ce pas Saint Louis qui codifie l'abri corporatif dans lequel les faibles trouvent secours ? N'est ce pas Saint Yves qui attache son nom au tribunal ecclésiastique et qui est reconnu comme défenseur des opprimés et avocat des plus faibles ? L'interdiction de l'usure qui avilit tant de pauvres censitaires et serfs n'est-elle pas l'oeuvre de l'Église prononcée par les saints Pères et formulée par Saint Thomas d'Aquin133(*). L'église a, comme il le rappelle, de tout temps bataillé pour les plus faibles.

    Et si la société du XIXe siècle est si injuste selon Harmel, la faute revient au « paganisme qui lutte contre l'Église ». L'humanité est devenue païenne, elle écarte l'Église avec ses erreurs et ses lois injustes. C'est la raison pour laquelle les libertés ont « sombrées » et « les ouvriers et les artisans sont livrés sans défense aux appétits des puissants »134(*).

    Harmel rappelle également aux ouvriers le rôle du Saint père Léon XIII. Ce pape qui est victime de tant de critiques aussi bien de la part des catholiques conservateurs que des socialistes. Ces attaques qui en affaiblissant le Pape, affaiblissent aussi l'Église dont il est le sommet dans la Hiérarchie. Il est évident que pour ramener les ouvriers à l'Église, il ne suffit pas de montrer les bonnes oeuvres passées de celle-ci mais il faut aussi démontrer l'action du souverain pontife Léon XIII envers les ouvriers. C'est pourquoi il leur réaffirme l'amour du pape envers les ouvriers. Amour qui se manifeste selon lui par l'encyclique publié par le souverain pontife sur la question ouvrière135(*). Celle-ci est la preuve qu'il s'attache à la détresse des ouvriers puisqu'à l'intérieur le pape n'hésite pas à prouver sa compassion pour les classes laborieuses et son soutien aux corporations, syndicats de toutes sortes pour protéger les plus faibles. Ces syndicats ouvriers qui doivent lutter contre l'isolement des ouvriers, proclamer la vérité sur le juste salaire, sur les excès du travail et sur les abus de toutes sortes qui se sont introduits sur la base des fausses doctrines136(*).

    Il prend pour exemple le geste du pape lors du pèlerinage ouvrier à Rome en 1891. À l'occasion de ce pèlerinage, Léon XIII choisit comme devise devant figurer sur la médaille du pèlerinage, la phrase suivante : « Merces operariorum clamat in aures domini ». Cette phrase qui signifie que le salaire des ouvriers crie aux oreilles du Seigneur est une manière de plus pour le pape de montrer son intérêt à la question ouvrière. C'est pourquoi Harmel exhorte les ouvriers à proclamer partout le rôle bienfaisant de l'Église et les invite à saluer Léon XIII comme « l'émancipateur des masses populaires »137(*).

    Les cercles chrétiens d'études sociales sont un pan de la vision démocrate chrétienne d'Harmel, l'autre pan consiste à construire une démocratie d'inspiration chrétienne face au danger marxiste qui menace cette démocratie.

    B. Une lutte sur le plan politique depuis le Ralliement

    Les cercles Chrétiens d'études sociales connaissent un grand succès. Harmel le constate dans une lettre en ces termes : « Nos cercles d'études sociales de Reims font un grand bien et amènent un grand apaisement. » Effectivement l'atmosphère sociale de Reims est pacifiée et le succès du premier congrès ouvrier organisé à Reims en 1893 provoque l'essor des cercles chrétiens d'études sociales dans l'Ouest : à Brest, avec Dégrées du Lou, à Blois avec l'abbé Rabier, et dans diverses autres villes. Cela permet aux travailleurs chrétiens de cette région de commencer à s'organiser. Les résultats obtenus poussent Léon Harmel à lancer, en juillet 1898, un appel en faveur des cercles d'études ouvriers dont l'importance lui paraît de plus en plus évidente138(*). Stimulé par l'exemple belge, le mouvement s'oriente vers une action politique139(*).

    Harmel qui a de forts lien avec la Belgique puisque son grand père est un belge qui a émigré en France, n'est pas loin de cette orientation donné au mouvement qui se met en place. En effet il voit qu'en Belgique l'abbé Adolf Daens représentant le Christene Volkspartij, le parti démocrate-chrétien est élu au parlement140(*). En France le péril socialiste se fait plus présent car la pensée socialiste est soumise vers la fin du XIXe siècle à une idéologie dominante, le marxisme qui prône la révolution. Les anarchistes étendent leur mouvement dans toute l'Europe. Face à cela Harmel comprend que l'heure est à une politique d'apaisement avec les Républicains. Il faut réveiller « le parti de l'ordre »141(*) pour contrer l'influence marxiste qui se fait jour au sein de la masse populaire. C'est pourquoi il n'hésite pas à féliciter tous les acteurs qui ont comme Veuillot qui comprennent le message que veut véhiculer le pape Léon XIII à travers l'encyclique Inter Sollicitudines. Léon XIII qui prône un ralliement des catholiques à la République pour contrer l'influence marxiste plus dangereuse encore pour la démocratie.

    Certes la Troisième République mène une violente campagne de déchristianisation mais pour le souverain pontife, la responsabilité de cet anticléricalisme incombe aux monarchistes qui combattent la République au nom de leur foi catholique. De cette façon ils provoquent la haine des républicains contre le catholicisme. Pour désarmer les républicains, il faut les convaincre que l'Église n'est pas l'adversaire de la République, mais s'oppose seulement au laïcisme. Et pour les convaincre, il estime qu'il n'y a pas d'autre moyen que de soutenir les institutions républicaines142(*). Cette alliance entre Républicains et Catholiques a pour but d'affaiblir l'anticléricalisme et aussi de mieux contrer la menace socialiste qui se fait jour et qui constitue la principale menace selon Harmel.

    Pour Harmel les partis républicains ou anticléricaux vont tomber ainsi que tous les autres partis mais seul deux partis survivront : le socialisme athée et la démocratie chrétienne143(*). Il est hors de question pour le « bon père » que l'issue soit fatale à la seconde. C'est la raison pour laquelle tout doit être mis en oeuvre par le peuple ouvrier pour que triomphe la démocratie chrétienne. Il les exhorte donc à multiplier les réunions et les conférences pour faire comprendre aux électeurs leur rôle et leur responsabilité car « ils avaient leur avenir entre leur main ». Il achève son discours en disant que ce sont les votes des ouvriers qui décideront « du relèvement de la patrie ou de son irrémédiable effrontément »144(*). Malheureusement pour Harmel, rien ne se passe comme prévu. Certains catholiques rejettent l'appel du pape au ralliement et ne soutiennent pas la démocratie chrétienne qui échoue, victime de ses divisions. L'ennemi le moins redouté par Harmel, le parti républicain donne le coup de grâce à l'Église à travers la Loi concernant la Séparation des Églises et de l'État de décembre 1905, connue sous le nom de loi Combes, qui enlève à l'Église tout financement et reconnaissance publique ; elle considère la religion uniquement dans sa sphère privée et non dans sa sphère sociale ; elle établit que les biens ecclésiastiques sont acquis par l'État, tandis que les édifices de culte sont confiés gratuitement à des associations culturelles élues par les fidèles, sans l'approbation de l'Église.

    Le Concordat de 1801, qui pendant un siècle a réglé les relations entre la France et le Saint-Siège et que Léon XIII a voulu préserver à tout prix, est misérablement réduit à néant145(*).

    Après la corporation chrétienne dont la fécondité sociale est limitée, Harmel connait une nouvelle déception avec l'échec de la démocratie chrétienne. Lui qui y a placé tant d'espoir.

    Mais il est un domaine où l'action de Léon Harmel connait un succès énorme et une fécondité sociale ; il s'agit du conseil d'usine mis en place au Val par Harmel.

    PARTIE II.

    LE CONSEIL DE L'USINE CHRÉTIENNE,
    MODELÉ D'INSPIRATION POUR LE COMITÉ D'ENTREPRISE

    « Respecter la liberté humaine dans ce qu'elle a de plus légitime ». Cette phrase de Léon Harmel manifeste la conviction profonde d'un industriel qui a dès le début, à contre courant de l'atmosphère de l'époque, compris l'importance de la participation et de la coopération des travailleurs à la décision de l'entreprise. Son approche nouvelle dans le management des travailleurs sera expérimentée au sein de son usine à travers le conseil d'usine qui constitue au XIXe siècle une innovation devant refonder le paternalisme classique (Chapitre I). Le succès de cette approche fait qu'elle inspirera un siècle plus tard le législateur au moment de la création des comités sociaux d'entreprise puis des comités d'entreprise (Chapitre II).

    CHAPITRE I.

    LE CONSEIL D'USINE, UNE INNOVATION DE LÉON HARMEL REFONDANT LE PATERNALISME CLASSIQUE

    Le paternalisme est un terme très complexe. Cette complexité s'explique par les différentes tentatives de sa définition. Le terme « paternalisme » serait apparu en Anglais vers 1880 pour designer la forme de protection sociale qu'accordait l'État146(*). Selon le dictionnaire Robert, il s'agit « d'une conception patriarcale ou paternelle du chef d'entreprise » dans le même dictionnaire, il est question d'« un état d'esprit d'un patronat qui prétend accorder par charité ou par générosité ce que la justice sociale exige ».

    Le conseil d'usine, auparavant conseil corporatif, ne se distingue pas sur le plan des oeuvres sociales et culturelles du paternalisme existant au sein de plusieurs autres usines (Section I) Sa particularité vient du fait qu'elle introduit un modèle participatif ignoré du paternalisme classique (Section II).

    SECTION I.
    LE CONSEIL D'USINE, UNE REPRÉSENTATION DU PATERNALISME DANS LA GESTION DES oeUVRES SOCIALES ET CULTURELLES

    Comme toute oeuvre paternaliste, le conseil d'usine avait pour objectif d'orienter les comportements des ouvriers. Cette politique paternaliste du Val visait à maintenir les ouvriers au sein de l'usine par le biais des oeuvres sociales (§ 1) et à les moraliser à travers les oeuvres culturelles (§ 2).

    § 1. La gestion des oeuvres sociales au Val : un rempart contre l'instabilité DE LA MAIN D'oeUVRE

    Selon la typologie faite par Didier Tabuteau, on distingue au niveau des oeuvres sociales deux catégories : les oeuvres d'investissement social qui constituent une garantie de l'accès à des périodes désirées de la vie (A) et les oeuvres d'indemnisation social qui constituent une sorte de garantie face aux aléas de la vie (B). On peut apercevoir ces deux catégories d'oeuvres au sein du conseil d'usine du Val.

    A. Les oeuvres d'investissement social : une garantie de l'accès à des périodes désirées de la vie

    Les oeuvres d'investissement social ou encore oeuvres d'investissement dans le social ont un double objectif : « Il s'agit d'une part d'offrir le plus d'opportunités possible à tous les individus tout au long de leur vie, et d'autre part de renforcer la base productive de nos sociétés. » C'est le cas des régimes de retraite, de l'école, de la formation professionnelle et de certaines allocations familiales147(*). L'objectif des patrons en mettant en place ces mesures sociales est de maintenir les ouvriers par les avantages qu'offrent ces oeuvres mais aussi d'accroitre la productivité de ces ouvriers. Toutes ces oeuvres existent au Val et Harmel n'hésite pas à les brandir telles des trophées pour montrer sa politique généreuse envers les ouvriers.

    C'est ainsi qu'il déclare : « Dans notre usine, les écoles sont obligatoires jusqu'à seize ans accomplis. »148(*) Cette présence des écoles dans l'usine correspond à la législation de 1841 qui interdit le travail des enfants ayant moins de huit ans149(*). Elle correspond aussi à la vision paternaliste d'Harmel qui fixe comme devoir incombant aux patrons de s'occuper de l'instruction « saine » des enfants des ouvriers afin de les détourner des écoles neutres. Ces écoles qui désignaient une organisation de l'enseignement primaire public dans laquelle des enfants de confession religieuse différente et aussi ceux ne professant aucune religion sont réunis dans une même école. 

    En plus des écoles, il y a une formation professionnelle qui est assurée au Val sous la forme de cours d'adultes. Ces cours sont ouverts trois fois par semaine les soirs pour les personnes dont l'âge est au dessus de seize ans et qui ne bénéficient donc pas de la formation de l'école. Outre l'instruction élémentaire, on y apprenait aussi des cours de dessin linéaire et de mécanique150(*).

    Par ailleurs l'un des instruments les plus appréciés du paternalisme, le logement est à l'honneur dans la politique sociale du Val. Tout être humain aspire à posséder une propriété immobilière, il en était de même pour les ouvriers. Fort de cela, les patrons n'hésitaient pas à construire des habitats pour leurs ouvriers, ces habitats permettaient de fixer la main d'oeuvre et suscitaient une gratitude immense vis-à-vis des patrons. Cette gratitude qui se manifestait par des efforts plus fournies au travail et une productivité accrue. Les exemples de logement ouvrier construits par des patrons paternalistes sont nombreux.

    Au Val, Harmel défend les habitats individuels faits de maisons indépendantes les unes des autres avec un jardin attenant151(*). Tous ces logements sont à un prix modéré pour permettre aux ouvriers d'accéder à la propriété immobilière et par la même rester sur place. Il n'hésite pas à octroyer des indemnités aux ouvriers afin que ces derniers puissent se loger comme ils veulent.

    À coté de ces mesures d'investissement social, il existait aussi des mesures pour garantir les ouvriers face aux aléas de la vie. Ces mesures que l'on regroupe sous le vocable de mesures d'indemnisation sociale.

    B. Les oeuvres d'indemnisation sociale : une garantie face aux aléas de la vie

    Les régimes d'indemnisation sociale ont pour vocation d'aider les victimes confrontées à des accidents ou des aléas de la vie à les surmonter. L'assurance-maladie, l'assurance chômage, les lois d'indemnisation, la compensation de la perte d'autonomie ou du handicap en sont autant d'illustrations. À la différence des régimes d'investissement social, l'espoir est, pour chacun, de ne jamais en être bénéficiaire, ou du moins d'en relever le moins souvent et le moins lourdement possible152(*). Ces mesures sont présentes dans la plupart des entreprises paternalistes. Le Val ne déroge pas à la règle.

    On y trouve une société de secours mutuel, une assurance-vie...

    La société de secours a été mise en place par le père de Léon Harmel en 1846. Elle a pour rôle d'être une sorte de caisse d'assurance maladie et de décès pour ces membres. À ce titre elle assure les soins du médecin dans le cas où l'un des ouvriers est malade. Elle procure par jour de maladie une indemnité qui égale la cotisation mensuelle et une indemnité complémentaire en cas d'accident. En tant qu'assurance décès elle assure une sépulture chrétienne en cas de décès de l'un de ses membres

    La cotisation à la société de secours mutuel est de 1,80 francs pour 1 000 francs. Pour un ouvrier qui touche 5 francs par jour et 120 francs par mois, sa cotisation s'élève donc à 0,216 francs par mois. Toutefois cet ouvrier perçoit 4 francs par jour durant son arrêt maladie153(*). Elle présente ainsi un réel avantage pour les ouvriers qui y souscrivent massivement.

    Une indemnité du handicap est aussi fournie par la société de secours mutuel si l'accident de travail entraine la perte d'un membre ou oblige ce dernier à changer de travail. La compagnie assure à l'ouvrier blessé une pension basée sur le gain journalier et son âge au moment de l'accident. Pour un travailleur de 45 ans percevant 5 francs par jour soit 120 francs par mois, il touchera une indemnité équivalente à 400 journées de travail auquel sera majoré un taux de 6,81 %154(*). Ce travailleur percevra au final 13 620 francs comme indemnité.

    S'agissant de l'assurance-vie, elle peut être souscrite par les ouvriers auprès de plusieurs compagnies et selon plusieurs formules.

    Il y avait l'assurance à prime fixe avec participation aux bénéfices et un contrat de 1 000 à 5 000 francs, l'assurance individuelle faite par l'État dont la somme ne peut excéder 3 000 francs et l'assurance collective faite par l'État.

    À ces oeuvres sociales, s'ajoute des oeuvres culturelles qui contribuent à renforcer le caractère paternaliste du Val.

    § 2. La gestion des oeuvres culturelles du val : une politique pour moraliser la main d'oeuvre ouvrière

    L'idée principale du paternalisme c'est qu'il faut protéger les gens d'eux même car ils ne savent pas ce qui est bon pour eux. En cela le paternalisme se révèle comme une forme de limitation de la liberté de se nuire à soi-même155(*). Harmel souscrit à cette forme de paternalisme car pour lui, le patron a le « devoir sacré » de se préoccuper de la conduite des ouvriers en dehors de l'usine pour tout ce qui touche aux scandales et aux faits contre la probité. Il ajoute que le patron qui n'exercerait pas cette action trahirait son devoir156(*). Au Val, on trouve plusieurs associations dont le but est de se préoccuper de la conduite droite des ouvriers. Parmi celles-ci il y a les associations fondamentales qui doivent conduire le peuple ouvrier à la pratique religieuse (A) et les sociétés de préservation de la morale qui préservaient la population de toutes influences extérieures délétères (B).

    A. Les associations fondamentales pour obtenir la pratique religieuse des ouvriers

    Le patron du Val sait que les oeuvres sociales ne suffisent pas pour ramener les ouvriers à la pratique religieuse. Il en a fait l'amer constat avec les oeuvres réalisées par son père et leur influence minime sinon restreinte sur la « christianisation » des ouvriers. Pour lui, la meilleure solution réside dans l'atelier chrétien qui allie des associations chrétiennes aux institutions économiques. Cette combinaison a dépassé toutes les espérances que toutes les oeuvres sociales pouvaient faire naitre157(*).

    C'est ainsi qu'au Val, on retrouve plusieurs associations chrétiennes qui sont connues sous le vocable d'« associations fondamentales »

    La première de ces associations est l'Association des enfants de Marie qui voit le jour le 15 août 1863 avec l'aide de quelques filles d'ouvriers qui montrèrent beaucoup de dévouement et de bonne volonté. Cette création est le point de départ d'une longue série d'associations qui s'adressent aux hommes et aux jeunes de tout âge. Les soeurs s'occupent des filles et des femmes de tout âge et les trois frères présents au Val dirigent les hommes et les garçons.

    Les associations fondamentales que dirigent les soeurs sont l'Association Sainte Philomène pour les filles qui n'ont pas fait leur première communion c'est-à-dire les filles en dessous de l'âge de 12 ans. Ensuite l'association des Saints Anges qui les prend en charge, une fois leur première communion effectuée. Puis vient l'association des enfants de Marie qui recueillent les filles dès l'âge de 14-15 ans pour les conserver jusqu'à leur entrée dans l'association des mères chrétiennes qui se dénomme l'Association Sainte-Anne. Tout est fait pour encadrer les filles dès le berceau à la tombe afin qu'elles ne sombrent pas dans les vices communs aux filles de la région.

    Du coté des associations fondamentales que dirigent les frères, nous avons l'association Saint-Louis de Gonzague qui s'occupent des garçons qui n'ont pas fait leur première communion. À l'issue de leur première communion ils intègrent la société Saint-Joseph. L'association Saint-Joseph qui débute 28 avril 1867 et qui devient en 1873 le cercle catholique d'ouvriers est la plus importante des associations. Son effectif passe de 198 en 1879 à 313 en 1894158(*). On y trouve à la fois des jeunes gens et des pères de famille. On y trouve un petit cercle pour les garçons sortis de l'association Saint Louis de Gonzague jusqu'à l'âge de 16-17 ans, période à laquelle ils peuvent intégrer le grand cercle.

    Comme on le constate, les associations fondamentales ne concernent pas seulement les ouvriers mais aussi leur famille, leurs enfants. Cela est dû au fait que les enfants des ouvriers deviennent par la suite des ouvriers, ils faut donc bien les former pour qu'ils soient de bons travailleurs plus tard et ainsi éviter de recourir à la main d'oeuvre désoeuvrée, immorales, instables qu'on trouve dans la région de Reims. Les résultats obtenus par ces associations sont à la hauteur des efforts. En 1878, la plus grande partie de la « population ouvrière » du Val est revenue à la pratique religieuse qui était presqu'inconnue en 1865. On dénombrait même 800 communions par mois et 75 % des effectifs de l'usine sont inscrits dans les associations fondamentales159(*). Ces résultats encouragent un autre type de contrôle qui s'exerçait au niveau des institutions crées pour permettre aux ouvriers d'accéder aux loisirs.

    B. Les sociétés de préservation de la morale pour préserver le Val d'influences délétères

    Après avoir obtenu un regain de la pratique religieuse, Harmel désire éloigner le personnel du Val des fêtes du village qui sont considérés comme source d'immoralité et de destruction de la famille. Il met en place donc au Val des institutions qui remplacent « les influences délétères », « les passions dangereuses » par des « récréations honnêtes ». Tout est mis place pour développer des recréations collectives et des fêtes (y compris des fêtes religieuses) devant servir à briser la monotonie du travail160(*).

    On trouve ainsi la société de la bonne presse qui doit servir à participer à développer la culture des ouvriers et aussi à les divertir. Toutefois comme son nom l'indique, elle évite soigneusement les mauvais journaux, les mauvais libres. À quoi reconnait-on les « bons » ou les « mauvais » journaux ou livres au Val ? À la définition qu'en donnait le patron. On peut imaginer à l'analyse de ses opinions qu'il s'agit des livres ou journaux qui défendent les idées socialistes ou des idées anticléricales. À contrario seraient considérés comme des oeuvres « bonnes » celles qui défendent les doctrines de l'Église ou qui luttent contre les idées socialistes. C'est pourquoi il n'hésita pas à faire organiser par le comité de la corporation un service de presse à la fois, à l'intérieur de l'usine qu'à l'extérieur pour soutenir la campagne de Mac Mahon qui est proche des idées royalistes et partisan d'« un ordre moral ». Huit ouvriers et employés du Val se chargent de distribuer quotidiennement les 85 exemplaires du journal Le Patriote au sein de l'usine.

    Par ailleurs au sein de l'usine, il existait des bibliothèques populaires, des sociétés de jeux, de gymnastique, de chants, de tir, de musique. Le choix des moyens de divertissement est très large et toutes ces sociétés offrent aux ouvriers les distractions nécessaires et permises. À travers ces initiatives, elles participent à arracher « à la Franc-maçonnerie, ses précieux instruments ». Étant donné que selon le patron du Val, la Franc-maçonnerie use du terme liberté pour introduire le libertinage au sein du peuple. Or selon Harmel « la liberté n'est pas la liberté de mal faire » mais elle consiste à choisir le bien161(*).

    Cette définition de la liberté révèle que l'industriel était attaché à la liberté de ces travailleurs. C'est cet attachement à la liberté et la dignité du travailleur qui le fait mettre en place des institutions participatives au Val, institutions inconnues du paternalisme classique.

    SECTION II.
    LE CONSEIL D'USINE, MODÈLE PARTICIPATIF IGNORÉ DU PATERNALISME CLASSIQUE

    Avec la poussée socialiste Harmel sait qu'il faut donner plus de liberté aux ouvriers. De même que la démocratie chrétienne répondait aux désirs du peuple d'avoir plus de liberté au sein de la société, Harmel sait qu'il devra confier plus de liberté à ses ouvriers au sein de l'usine. Il parle déjà dans ses discours de démocratie dans l'usine162(*). Le conseil d'usine lui apparait comme l'élément essentiel de la démocratie chrétienne, de la démocratie tout court (§ 1). La démocratie impliquant le pouvoir rendu au peuple, la démocratie au sein de l'usine passe par une plus grande participation des travailleurs à la direction de l'usine (§ 2).

    § 1. Un pas vers la démocratie dans l'usine par le biais du conseil d'usine

    Les démocrates de toutes tendances reconnaissent que c'est le peuple qui doit régner. Au Val, existe une sorte de « protodemocratie » qui se manifeste au sein du conseil d'usine par une représentation du personnel (A) et un cadre de dialogue social (B).

    A. Le conseil d'usine : un instrument précurseur de représentation du personnel

    Le conseil professionnel est créé au sein de l'usine en 1883. Il prend le nom de conseil d'usine en 1893 face à la poussée socialiste et au désir d'Harmel de toujours adapter les préoccupations du mouvement ouvrier à ses ambitions d'une corporation chrétienne. Il donne la raison de la création du conseil d'usine lors d'une conférence qu'il tient à Rome en ces termes : « Rendez à l'ouvrier devenu esclave par la machine, la faculté de penser, d'agir, de gouverner par lui-même. Rendez-lui la part d'initiative qui donne à chacun sa personnalité [...] par la création de conseil d'usine. »163(*)

    Le conseil doit donc être un outil servant à conférer plus d'initiative aux ouvriers et leur donner la possibilité d'être écouté par leurs patrons tant au niveau de leurs réclamations qu'au niveau de leurs suggestions. Ce souci de donner plus de pouvoir à l'ouvrier se manifeste dans l'organisation et le fonctionnement du conseil d'usine.

    S'agissant de sa composition, il est composé de 15 membres dont un président qui est un patron en 1890, il s'agit de Maurice Harmel. Il est aidé par un ouvrier, un homme de confiance représentant le conseil intérieur (organe exécutif de la corporation) en la personne d'Alfred Jolivet. Le secrétariat du conseil était toujours réservé à un employé. Le gros de l'effectif est constitué par douze ouvriers, un pour chacune des onze salles et un pour les métiers annexes. Cette composition montre bien le souci de garder une certaine représentativité du personnel car toutes les salles ont un représentant au sein du conseil. Ce représentant a pour rôle de défendre ses opinions et préoccupations. Les conseillers deviennent ainsi des intermédiaires entre le patron et les ouvriers. Le point marquant de cette composition du conseil est l'absence d'un représentant des contremaitres. L'idée étant d'éviter d'intimider les ouvriers présents au conseil d'éventuelles représailles de la part de ses « seigneurs d'ateliers ».

    Concernant le mode de désignation des representants ouvriers au sein du conseil, il ne cessa pas au fil des années de se révéler plus démocratique. Avant 1890 les membres du conseil étaient choisis par le conseil intérieur, ce procédé est abandonné en 1890 et est remplacé par la désignation par le conseil corporatif qui est une sorte de chambre syndicale. Ce procédé parait beaucoup plus démocratique car les représentants ouvriers sont choisis par « leurs camarades ». En 1903 le procédé est encore plus démocratique car les conseillers d'usine ne sont plus cooptés par un conseil restreint mais chacun d'eux est élu par tous ses camarades164(*).

    Le conseil se réunit une fois en quinzaine. Il est scindé en 1900 en deux groupes ce qui permet d'accroitre la fréquence des réunions puisqu'elles se déroulent de façon hebdomadaire à partir de ce moment et cette scission permet aussi de spécialiser davantage la réunion.

    À travers ces actions, le conseil participe à rendre l'autorité acceptable au sein de l'usine. L'objectif d'Harmel de lutter contre l'« absolutisme patronale » en faisant circuler l'autorité dans plusieurs mains pour ne plus qu'elle soit concentrée semble être atteint. Cette déconcentration du pouvoir favorise le dialogue social.

    B. Le conseil d'usine : un cadre de dialogue social

    L'article 9 du règlement intérieur de l'usine du Val-des-Bois annonce la couleur quant à l'objectif du conseil d'usine. Cet article stipule que le conseil a pour « but de maintenir de maintenir entre patron et ouvriers, une entente affectueuse basée sur une confiance réciproque ».

    Cet article montre la vision d'Harmel, une vision qui n'a pas changé malgré les turpitudes sociales de cette fin de siècle, il a toujours cru à la collaboration des classes et son combat est de tout instant le même. Il veut lutter contre l'idéologie de la lutte des classes. C'est pourquoi il s'évertue à instaurer un corporatisme humain et intelligent par le biais du conseil d'usine. Il se détache ainsi de la position de ses amis catholiques sociaux qui veulent comme lui la collaboration des classes mais au moyen de l'éducation du peuple par l'élite bourgeoise.

    Dans cette vaine le conseil d'usine devient l'instrument par excellence de l'entente entre le capital et le travail. Harmel l'utilise pour prévenir les conflits en y instaurant une atmosphère familiale. Les réunions en son sein sont si bon enfant qu'Harmel parle de « conseil de famille »165(*). Il est un instrument de conciliation de paix sociale, chose importante en ces temps troublés. C'est la raison pour laquelle le conseil ne manquera d'être primé pour cette union entre les ouvriers et le patron. Il reçut à la date de 1900, 105 prix attribués. Ces prix au Val et à ses employés ont pour but de les encourager dans la permanence de leurs engagements, l'absence de grèves et les rendements satisfaisants. Parmi ces prix, une médaille de vermeille remise par le président Carnot en personne, 30 médailles d'honneur dont l'une est remise par Félix Faure166(*).

    Le mérite de ce parfait dialogue social n'est pas seulement reconnu par les autorités Étatiques. Du côté des syndicats ouvriers, l'on ne manque pas d'envier l'atmosphère au Val-des-Bois.

    En témoigne l'appréciation d'Ildefonse Cotton, secrétaire du syndicat indépendant des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais qui s'exprime ainsi à une réunion du Val en 1910 : « Les mineurs envient les ouvriers du Val-des-Bois. Vous qui ne connaissez pas l'antagonisme des classes, la division des patrons et des ouvriers, ce fléau du monde industriel, vous ne vous figurez pas l'abime profond qui existe entre les uns et les autres. »

    Cette remarque venant d'une syndicaliste ouvrier surprendrait une personne qui ne connait pas le « bon père » mais ceux qui le connaissent savent qu'il a toujours lutté contre la condition prolétarienne et le fléau de la division en classe bourgeoise et classe prolétaire qui en découlait. Il ne cache d'ailleurs pas sa joie devant l'ambiance qui règne au conseil. Il y régnait selon ses propos une atmosphère de confiance affectueuse qui mettait tout le monde à l'aise. On peut y exposer ses simplement, familièrement les petits griefs quand il y en a. On arrête ainsi les ferments de mécontentement qui pourraient s'envenimer et s'aggraver si on n'y prend garde167(*). Dans ce contexte, il n'est guère étonnant de voir les ouvriers se montrer assez zélés pour la prospérité de l'usine qu'il considère comme leur patrimoine car ils se sentent en famille au Val. Et pour cette raison ils ne rechignent pas à participer à tous les niveaux à la direction de l'usine.

    § 2. La participation des travailleurs à la direction de l'usine

    Les ouvriers du Val participent par le biais du conseil d'usine à la direction du val. Cette participation se fait activement sur les questions concernant la discipline, l'hygiène et la sécurité du travail (A) et plus fructueuse sur les questions de technique de travail (B).

    A. Une participation active sur les questions disciplinaires, d'hygiène et de sécurité au travail

    L'article 7 du règlement intérieur de l'usine du Val-des-Bois définit ainsi les attributions du conseil d'usine : « Le conseil d'usine établit une réelle coopération des ouvriers à la direction professionnelle et disciplinaire de l'usine. »168(*)

    Cet article du règlement montre bien un aspect essentiel de la coopération des membres du conseil au sein de l'usine. Cette coopération se manifeste dans les avis qu'ils soumettent concernant les mesures disciplinaires à prendre, les questions d'hygiène, de sécurité au travail.

    Sur le plan disciplinaire cette participation s'est manifestée par une initiative tout à fait originale. En 1909 lors de l'élaboration du règlement intérieur, il a été fait appel à la coopération des ouvriers dans un domaine considéré comme du seul ressort patronal. On a tenu compte de toutes les observations c'est-à-dire que chaque ouvrier a pu, s'il le voulait, donner son avis sur le futur règlement169(*). Cela montre ainsi un bel exemple de la démocratie sociale. Mais cela ne s'arrête pas seulement à la participation à l'élaboration du règlement intérieur, la participation des ouvriers sur le plan disciplinaire se manifeste aussi par la possibilité donné au conseil de se prononcer sur les mesures disciplinaires à prendre face à des travailleurs fautifs. Harmel ne manque pas de souligner à cet égard la relative sévérité des ouvriers envers leurs camarades170(*). Chose qu'il tempérait dans l'octroi des sanctions pour éviter une grande sévérité de la part des conseillers dans les sanctions affligés au fautif.

    Les sanctions sont soit des amendes, soit le renvoi dans les cas extrêmes. Le renvoi est de la seule compétence du patron. Quant aux amendes, leur taux est strictement limité, il est de 63,10 francs en 1888 ; 54,15 en 1889. Ce chiffre baisse de 20 francs par an par la suite. Pour éviter les dérives et montrer sa bonne foi, Harmel exige que ces amendes soient reversées à la société de secours mutuel171(*).

    Sur les questions d'hygiène et de sécurité au travail, le conseil s'illustre de fort belles manières. Il joue un rôle important en obtenant la mise en place d'appareils pour diminuer la chaleur dans les filatures de laines ainsi que des ventilateurs pour renouveler l'air des salles. La température des salles de travail a été fixée à ce moment là à 24 degrés maximum. Chaque jour, chaque conseiller dans sa salle, étudie les causes du danger et signale non seulement les blessures mais les moindres écorchures produites par les machines. Il propose aussi les mesures utiles pour en éviter le retour. Grâce à l'action du conseil, le Val se présente comme un paradis.

    L'action des conseillers a permis d'humaniser l'usine en l'adaptant aux besoins de la main d'oeuvre. Les intéressés ont reçu beaucoup de satisfaction parce que le patron a demandé leur avis. Ce résultat justifie la coopération ouvrière dans ce domaine. Résultats d'autant plus remarquables que les conditions de travail dans les filatures sont généralement fortes mauvaises. L'insalubrité est la règle. La température est fréquemment de 36 à 40 degrés soit près de 12 degrés au dessus du maximum au Val. L'atmosphère est rendue encore plus malsaine et plus difficilement supportable par l'humidité jugée nécessaire pour conserver la souplesse du fil. L'air est saturé de poussière, de laine et d'émanations huileuses. Les fenêtres restent régulièrement fermées même pendant la grande chaleur172(*). Vu ces conditions, on ne peut que louer l'action remarquable du conseil dans l'amélioration des conditions d'hygiène et de sécurité au Val.

    La voix consultative du conseil s'étendait par ailleurs aux questions liées à la technique de travail.

    B. Une participation fructueuse sur les questions de technique de travail

    À une époque, à partir des années 1880, où la concurrence est féroce, le Val ne subsiste victorieusement que grâce à l'habileté de la gestion et à la perfection de la technique. Il va sans dire que la coopération technique constitue pour le val, un facteur important de réussite173(*).

    Cette coopération se manifeste dans les avis et suggestions que les ouvriers font à la direction pour améliorer, transformer sans peu de frais les outils de production. Cette coopération est d'autant plus nécessaire qu'elle contribue à accroitre la productivité et la compétitivité du Val. La coopération se développe entre ouvrier et patron de la façon la plus original et la plus fructueuse possible. Les inventions nouvelles ne sont plus le fait des seuls directeurs associés mais elles résultent d'une collaboration entre la direction, les chefs de service et les ouvriers. Il règne au Val, une atmosphère de « brainstorming » généralisé qui n'existe pas dans les autres usines et qui accroit la productivité du Val. Le mérite revient à Harmel qui a laissé se développer l'initiative ouvrière.

    Il n'a pas tort car l'esprit observateur d'un ouvrier est capable de noter sur le métier de nombreux détails qui échappent à la direction et suggérer des améliorations à peu de frais et sans modification importante. C'est ainsi que grâce au conseil d'usine, il y eut l'introduction d'un chauffe-café pour le déjeuner de 8 heures174(*). Cet appareil eut pour effet de faire croitre la productivité des travailleurs.

    Les conseillers vont avoir des rôles décisionnels avec la possibilité qui leur sera donné de participer au jugement des concours d'apprentissage, concours auxquels se soumettent même les fils des patrons. Ces concours ont pour rôle de reproduire l'esprit des corporations médiévales en permettant aux meilleurs apprentis ayant réalisé un chef d'oeuvre d'être récompensé et par ailleurs participer à l'amélioration de la qualité des produits. Pour une entreprise comme le Val qui se destine à l'export, la qualité des produits ainsi que l'efficacité sont non négligeables.

    La coopération technique se manifeste par ailleurs au niveau des salaires plus précisément des primes de rendement qui sont débattus au sein du conseil à l'ordre du jour fixé. Les problèmes qu'ils soulèvent sont purement formels car la prime dépend du rendement et le rendement de la qualité de laine ce qui amenait les membres du conseil d'usine à évoquer plutôt la qualité de celle-ci. Plus tard les salaires sont établis en accord avec le conseil d'usine. Ils sont fixés après un temps d'essai à l'arrivée d'une nouvelle machine. C'est ainsi que le conseil d'usine obtint une élévation des tarifs dans des lots de cardés difficiles à travailler. Ces négociations sur le salaire ne semblent pas gêner les patrons qui les trouvent justifiés. Harmel dit même que « les demandes des ouvriers sont si raisonnables et si justifiées que le patron est heureux d'y condescendre »175(*). Le patron du Val n'avait pas tort car les ouvriers se sentaient tellement heureux au Val qu'ils considéraient d'ailleurs comme « leur patrimoine » qu'il ne leur venait pas à l'esprit d'évoquer des salaires farfelus.

    C'est cette atmosphère familiale et bon enfant au val qui ne manqua pas d'inspirer des années plus tard les législateurs au moment de la création des comités d'entreprise.

    CHAPITRE II.

    L'USINE CHRÉTIENNE, MODÈLE PRINCIPAL D'INSPIRATION
    POUR LES COMITÉS SOCIAUX D'ENTREPRISE
    PUIS POUR LES COMITÉS D'ENTREPRISE

    L'expérience des institutions de l'usine chrétienne (le conseil d'usine) sera plébiscitée au XXe siècle en ce sens que ce modèle est repris dans les comités sociaux (Section I) puis dans les comités d'entreprises (Section II) marquant ainsi la fécondité sociale de Léon Harmel

    SECTION I.
    LES COMITES SOCIAUX D'ENTREPRISE : UNE REPRISE DU MODÈLE DE L'USINE CHRÉTIENNE

    Les comités sociaux d'entreprise mis en place par la charte du travail du 4 octobre 1941 laissent apparaitre des similitudes avec l'usine chrétienne. On y voit une reprise des modèles corporatif (§ 1) et paternaliste (§ 2) de l'usine du Val.

    § 1. La reprise partielle du modèle corporatif de l'usine chrétienne

    Cette reprise du modèle corporatif de l'usine peut se comprendre après l'analyse de la pensée de l'homme qui est à l'origine de cette charte : le maréchal Pétain. Un homme dont la pensée réactionnaire voit dans l'idée corporative, « une troisième » voie entre le socialisme et le libéralisme (A). Cette pensée est consacrée dans la charte de 1941 (B).

    A. Le fondement de cette reprise : la pensée réactionnaire de Pétain

    Tout comme Léon Harmel, le maréchal Pétain est un réactionnaire. Son idéologie est imprégné du refus des idéaux de 1789, et se repose sur la pensée réactionnaire du XIXe siècle176(*). C'est pourquoi on n'est pas surpris de le voir, tout comme l'industriel du Val, vilipender les excès du capitalisme et s'en prendre au socialisme.

    Au libéralisme, reprenant les discours des réactionnaires, il reproche l'esprit d'individualisme ainsi que la condition prolétarienne qu'il avait crée à l'issue de la révolution.

    Il dénonce ainsi dans son discours de Commentry, le principe de l'individu isolé face à l'État177(*). Cet isolement qui le fragilise et le rend à la merci des patrons véreux. Les ouvriers dans cette situation ne peuvent s'empêcher de penser à l'incertitude du lendemain car n'étant plus « protégés contre les aléas du chômage », ces travailleurs ne peuvent espérer « trouver dans leur métier une sécurité »178(*) basculant ainsi dans la condition prolétarienne. On retrouve les mêmes propos que ceux prononcés au XIXe siècle.

    Cette condition prolétarienne tant dénoncé au XIXe siècle mais qui se poursuit au XXe siècle. Elle oblige l'ouvrier tout comme au siècle précédent à « vendre son travail comme une marchandise », Pétain la dénonce. C'est pourquoi il appelle sans cesse dans ces discours les patrons à faire fi de leur égoïsme pour faire cesser cette injustice sociale. Car poursuivra t il tant qu'elle persistera, il n'y aura pas de paix sociale179(*). Et c'est tout le monde de l'entreprise de l'employé en passant par le patron ou l'ouvrier, qui en souffrira.

    C'est la raison pour laquelle il voit dans la communauté de travail unissant patrons et ouvriers sur le modèle corporatif, la seule solution pour rompre l'isolement de l'ouvrier et lui faire retrouver les conditions d'une vie digne et libre, en même temps les raisons de vivre et d'espérer180(*).

    Au socialisme il reproche, comme les catholiques sociaux, son idéologie basée sur la lutte des classes. Cette idéologie qui crée le désordre social. Il ne manque aucune occasion pour envoyer des piques aux socialistes. À Commentry, le 1er mai, il promet aux ouvriers de faire de ce jour, un symbole d'union et d'amitié et non plus « un symbole de division et de haine » qui fait dresser les coalitions ouvrières et patronales les unes contre les autres. Il le dit en référence aux mouvements sociaux émanant des syndicats lors des précédentes manifestations du 1er Mai. C'est la raison pour laquelle il invite les travailleurs à rester sourds aux appels des socialistes qu'il qualifie de « démagogues ». Leur seul objectif étant selon lui de bercer les ouvriers d'illusions pour les amener à la misère et la détresse. Il n'hésite pas à tourner en dérision la devise du Front populaire intitulée « Le pain, la paix, la liberté » en « la misère, la guerre, et la défaite »

    La solution selon Pétain aux maux sociaux réside dans la collaboration des classes, cette collaboration qu'il appelle de tous ses voeux pour lutter contre la condition prolétarienne et la lutte des classes qu'elle a engendrées. Le maréchal prend exemple sur les expériences passées. C'est cette vision qu'on retrouve dans la charte du travail dont il est l'instigateur principal.

    B. Les manifestations pratiques de cette reprise : la charte du travail de 1941

    La charte du travail manifeste l'attachement de Pétain au modèle corporatif dont l'une des idées essentielles est la collaboration des classes. Cette idée, on la retrouve à l'article 24 de ladite charte et qui stipule que : « Les comités sociaux d'établissements réalisent au premier degré la collaboration sociale et professionnelle entre la direction et le personnel. » L'importance de cette collaboration entre le chef d'entreprise et son personnel n'est pas méconnue. De tout temps, l'on a eu conscience qu'elle était nécessaire pour préserver la paix sociale. En ces années troubles de l'occupation, la fragile paix sociale est donc à rechercher et à maintenir par tous moyens. Le gouvernement de Vichy a conscience que cette collaboration est utile pour se substituer à l'hostilité issue des doctrines, longtemps mis en avant par les socialistes puis les communistes, de la lutte des classes. C'est pourquoi, partout où il passe, le maréchal rappelle que l' « ordre social nouveau » que son gouvernement met en place institue des groupements comprenant tous les membres d'un même métier : patrons, techniciens, ouvriers. Une corporation en d'autres termes c'est pourquoi il affirme : « Le centre du groupement n'était donc plus la classe sociale, patronale ou ouvrière, mais l'intérêt commun de tous ceux qui participent à une même entreprise. » La corporation doit parvenir à surmonter tous les clivages de classes pour unir la société française.

    Pétain affirme par ailleurs que cet ordre social nouveau est le fruit d'une longue réflexion, de précédents qui ont connu du succès dans le milieu dans lequel ils étaient implantés. La charte rappelle d'ailleurs qu'elle tient compte de l'abondante documentation que le maréchal a recueillie et qu'il a bien voulu transmettre au comité chargé de l'élaboration. Elle montre ainsi qu'elle s'inspire de modèles déjà élaborés par le passé181(*). Pétain veut montrer que la collaboration des classes est possible, que la corporation est faisable, qu'elle ne relève pas d'une chimère puisqu'elle a déjà été réalisée par le passé.

    Certes il reconnait qu'elle est moins répandue dans les milieux industriels mais il constate des progrès sensibles dans les milieux ou elle est introduite. Devant les travailleurs rassemblés à Commentry, il affirme, pour défendre la charte que, « partout où les hommes de bonne foi, issus de milieux sociaux divers se rencontrent pour une explication loyale, les malentendus se dissipent pour faire place à la compréhension, puis à l'estime et à l'amitié ». On peut penser qu'en le disant, il fait référence au conseil d'usine du Val qui est un symbole de cette collaboration réussie des classes. Le conseil d'usine qui a mis au sein de l'usine chrétienne, une ambiance familiale qui est inconnue et méconnue des autres usines.

    Par ailleurs, il faut rappeler que le conseil d'usine est la première initiative de représentation de personnel en France182(*). C'est donc cette innovation du Val qui a servi de modèle à l'autre modèle de coopération au sein d'une usine que tente de mettre en place le gouvernement de Vichy. C'est pourquoi Bruno Béthouart n'hésita pas à affirmer que le régime de vichy a systématisé l'initiative du conseil d'usine au Val-des-Bois183(*).

    Cette reprise du modèle de l'usine chrétienne par les comités sociaux d'entreprise ne s'arrête pas au modèle corporatif, elle s'étend au modèle paternaliste développé au sein de l'usine du Val.

    § 2. La reprise quasi identique du modèle paternaliste de l'usine chrétienne

    La charte du travail va faire apparaitre un modèle paternaliste du fait de l'incapacité financière de l'État dans les conditions économiques difficiles de l'Occupation (A). Ce modèle paternaliste se manifeste dans les comités sociaux d'entreprises qui sont dénommée « comités patates » (B).

    A. Le fondement de cette reprise : l'incapacité financière de l'État dans le domaine social

    Pétain est paternaliste184(*) et il s'agit là d'une autre manifestation de son esprit réactionnaire. Cette pensée paternaliste se manifeste dans ses discours. Dans celui de Commentry, il affirme qu'un chef d'industrie, un patron, pour mériter le commandement dont il est investi, doit se considérer comme ayant charge d'existences et même, en un certain sens, charge d'âmes ; il doit avoir le souci majeur de la dignité, du bien-être, de la santé, du moral de ses collaborateurs et de leurs familles185(*). Il ne trahit pas ainsi ses convictions de paternaliste.

    Mais cet élan paternaliste au delà des convictions de l'homme est aussi dicté par les difficultés économiques du moment. La France occupée souffre terriblement des affres de la guerre puis de l'occupation. Face à la faiblesse de l'État, Pétain décide de déléguer la politique sociale aux patrons qui lui sont fidèles.

    Cette délégation ne se fait pas sans conséquence car elle accroit le pouvoir des patrons. Il le reconnait d'ailleurs, la mort dans l'âme. Il s'indigne devant les travailleurs à propos des trusts qui s'opèrent dans le milieu des affaires à l'occasion des comités d'organisation qu'il met en place des l'été 1940. Mais il s'avoue impuissant en déclarant : « Si les comités d'organisation ont pu décevoir certains de nos espoirs, ils ont au moins assuré l'essentiel de leurs missions. »186(*) La mission à laquelle il fait référence est celle de se réunir pour discuter avec l'Allemagne et éviter à la France, le désordre de ces forces économiques. L'épisode des comités d'organisation montre la puissance du monde économique et l'impuissance du pouvoir politique obligé de répondre aux sollicitations des patrons. Le patronat qui est conscient de sa force va en profiter pour imposer ses vues. Vues qui sont souvent partagées par le Maréchal.

    Un épisode de la puissance du patronat est donné au niveau des comités sociaux d'entreprise qui sont crées par les patrons dans l'urgence car on ne peut à cette époque, attendre la mise en place de la charte, encore moins le retour à une activité industrielle normale. Le souci paternaliste des patrons va les conduire à mettre en place des comités qui vont apporter aux conditions des travailleurs les améliorations les plus urgentes187(*). C'est ce qui explique qu'un certain nombre de comités sociaux d'entreprise ait été crées plusieurs mois avant la charte. La charte vient donc pour donner un cadre légal à une pratique existante.

    Fort de son pouvoir, le patronat exige le bannissement du syndicat de l'entreprise et dans cette optique soutient les comites sociaux d'entreprise188(*). Ce point de vue est partagé par Pétain qui manifeste lui également un certain rejet du syndicalisme. Les comités sociaux d'entreprise représentent pour les patrons au vu des précédents surtout celui du Val, un bon moyen de représentation du personnel en écartant les syndicats haï, pour le désordre social qu'ils créent en entreprise. Bon nombre de patrons soutiennent à ce sujet l'initiative de la charte de travail.

    Pétain partage leur point de vue et il voit dans le paternalisme deux avantages : libérer l'État de la contrainte économique que représenterait la mise en place d'une politique sociale et confier au patron la souffrance du travailleur, souffrance à laquelle il sera toujours prêt à apporter une aide sociale. C'est ce qui explique le succès du volet social des comités sociaux d'entreprise.

    B. Les manifestations pratiques de ce modèle paternaliste : « les comités patates »

    Les comités sociaux d'entreprise ont été nommés « comités patates » par les ouvriers à cause de leur succès dans le domaine du ravitaillement189(*). Mais, au-delà du ravitaillement ce sont les oeuvres sociales entreprises par ces comités qui sont à l'origine d'un tel succès.

    Originellement les comités d'entreprise sont mis en place dans une perspective paternaliste. C'est la raison pour laquelle le législateur ne juge pas nécessaire de leur octroyer la personnalité juridique comme les autres comités mis en place par la charte190(*). L'idée est que ces comités puissent vivre d'expédients ou de subventions patronales191(*).

    L'intention paternaliste des rédacteurs de la charte se manifeste par ailleurs dans les attributions qui sont confiés à ces comités. Ceux-ci se voient restreint aux oeuvres de solidarités sociales, ils n'ont aucun rôle au niveau économique. La charte leur attribue, à ce niveau, un rôle purement consultatif en leur confiant un rôle d'« aider » la direction et non plus de « réaliser » comme c'est le cas en matière de la gestion des oeuvres sociales. Ce rôle purement consultatif au niveau professionnel est contraire à l'idée de la majorité des travailleurs qui aspirent à participer activement à la direction de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Ils veulent une transformation complète de leur condition sociale192(*). Ils se contentent toutefois d'un pouvoir de gestion des oeuvres d'entraide sociale les rapprochant un peu plus des institutions du Val.

    Tout comme au Val, le succès dans la gestion des oeuvres sociales est au rendez-vous et contribue à créer une atmosphère familiale au sein des entreprises. Les comités vont penser aux absents, aux prisonniers retenus loin de leur famille. Au sein des entreprises où ils travaillent, on organise des moyens de leur porter secours, à eux et à leur famille. Des sociétés de secours mutuel ou des caisses d'entraides sont créés pour porter assistance aux travailleurs en cas de maladie. On n'oublie pas les événements heureux car les caisses d'entraide fournissent même des prêts au mariage193(*). Certaines caisses ont même l'heureuse initiative de créer des caisses de loyer qui permettent au personnel des entreprises d'acquitter régulièrement leur loyer en cas de difficultés imprévues et ce, moyennant une modique contribution mensuelle.

    Ces initiatives ne s'arrêtent pas seulement au domaine de l'entraide sociale, elles se poursuivent aussi tout comme au Val dans le domaine du loisir. Certains comités mettent en place des colonies de vacances, d'autres créent en leur sein des commissions de loisirs194(*).

    Le domaine technique n'est pas laissé pour compte, les comités s'acharnent dans un contexte de pénurie à lutter contre le gaspillage, à élaborer des règlements d'atelier et faire des suggestions à la direction sur les salaires ou l'apprentissage195(*).

    Ces attributions des comités sociaux ne manquent pas de rappeler les institutions du Val. Leur succès fait que ce modèle est repris à la Libération dans les comités d'entreprise.

    SECTION II.
    LES COMITÉS D'ENTREPRISE : LA REPRISE DU MODÈLE DE L'USINE CHRÉTIENNE, VÉRITABLE COMPROMIS SOCIALE

    À la libération, une chose est claire, il faut refonder le système social et fermer la parenthèse Vichy. Dans le domaine des entreprises, plusieurs modèles s'offrent au législateur notamment au niveau des comités qui devront succéder aux fameux comités sociaux d'entreprise (§ 1). Cependant tous les observateurs s'accordent à dire que le modèle le plus abouti reste celui retenu par la loi du 16 mai 1946 (§ 2).

    § 1. Les modèles envisagés à la libération

    Plusieurs projets concernant le cadre à donner aux nouveaux comités en entreprise vont être proposés. Ces projets s'intéressent surtout à l'aspect à donner à la participation des travailleurs à la vie de l'entreprise. Il y a le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) qui sera jugé trop ambitieux (B) avant lui, le modèle du Val apparait plus réaliste (A).

    A. Le modèle du Val : un modèle assis sur les deux piliers des futurs comités d'entreprise

    L'usine chrétienne combine deux types de modèle :

    Le premier peut être qualifié de paternaliste ou de patronaliste selon le terme-valise inventé par un inspecteur du travail. Il est qualifié ainsi car son existence et ses modalités d'applications dépendent du chef d'entreprise. C'est dans ces modalités que le patronalisme trouve l'essentiel de ses caractéristiques propres. Il s'agit d'écarter toute intrusion extérieure à l'établissement en instituant une autoreprésentation des salariés non contaminés par la parole syndicale. Dans cette perspective, les représentants sont choisis pour favoriser le rôle de gestionnaire des oeuvres sociales de l'entreprise. Ces oeuvres sociales qui sont aussi un moyen d'augmentation des rémunérations, nécessaires pour fixer sur place des ouvriers qui peuvent être attirés ailleurs. Ce modèle, on le retrouve dans le conseil d'usine du Val. Il est aperçu également dans les comités sociaux d'entreprise. Son utilité est si évident que le commissariat aux affaires sociales du G.P.R.F. envisage dès le début 1944, à Alger de le pérenniser après la Libération. Malgré l'abrogation de la charte du travail, la grande majorité d'entre eux continue de fonctionner jusqu'à la mise en place des comités d'entreprise. C'est ce modèle toutefois adapté aux circonstances politiques du moment que les organisations patronales défendent lors de l'élaboration de l'ordonnance du 22 février 1945.

    Le second modèle qu'on qualifiera de participatif valorise la participation plutôt que la revendication avec un double objectif d'information du chef d'entreprise sur l'état d'esprit des salariés et, à l'inverse, à l'apprentissage par ces derniers des contraintes qui pèsent sur l'entreprise. Il a donc un objectif pédagogique, facilitant par la même la compréhension des choix patronaux et l'obéissance à l'autorité légitimée. Selon ce modèle, la représentation est pensée comme globale. Tous les aspects de la gestion de l'entreprise : les questions financières (les avis et les propositions sur les salaires), les questions techniques(le perfectionnement des machines) et professionnelles étant incluses dans la compétence des organes de représentation. Le but étant dans ce modèle d'arriver à une véritable coopération entre les employeurs et les employés afin de gagner le pari de la compétitivité, de la productivité. On le retrouve dans le conseil d'usine du Val.

    S'appuyant sur ces précédents, le législateur à la Libération institue les comités d'entreprise.

    B. Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) : un modèle trop ambitieux

    Le CNR adopte un programme à l'unanimité le 15 mars 1944 et il est publié sous le titre Les jours heureux. Il souhaite « l'instauration d'une véritable démocratie économique et sociale impliquant l'éviction des féodalités économiques et financières de la direction de l'économie » ainsi que « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés ». Il est considéré à juste titre par plusieurs auteurs comme étant trop ambitieux196(*). En instaurant une véritable démocratie économique et sociale c'est les patrons qu'on évince. La participation active des travailleurs à la gestion de l'entreprise tel que voulue par le CNR s'avère trop risquée pour l'économie. Certes le texte ratifié le 15 mars diffère du projet communiste initial plus ambitieux encore dans la participation des travailleurs mais cette différence est plutôt au niveau de l'inversion des priorités197(*). La plus large part du programme est donnée à un programme d'inspiration socialiste dont les mesures les plus connue sont l'instauration de la sécurité sociale et les nationalisations. De Gaulle est mis devant le fait accompli car il n'a pas eu son mot à dire durant l'élaboration, l'orientation et la rédaction du projet198(*). Il manifeste son refus à l'application de ce projet qu'il trouve trop ambitieux et trop imprécis.

    Trop ambitieux pour être réalisé en sept mois qui est le temps du Gouvernement provisoire et trop imprécis pour donner à ses adversaires des raisons quotidiennes de l'utiliser pour tomber dans des dérives199(*). Parmi ces dérives on peut citer l'intervention directe des salariés dans la gestion des entreprises sur la base du programme du CNR. Cette intervention se manifeste par la multiplication de ces comités dits de « gestion » qui naissent dans le climat insurrectionnel de la France libre. Face à un patronat déconsidéré par sa collaboration, la classe ouvrière, grandie par sa résistance, va s'emparer des orientations du CNR pour tenter de créer de multiples « comités spontanés » visant à exiger un réel contrôle ouvrier des entreprises. Ils se créeront dans de nombreuses villes et régions françaises. On cite Lyon, Toulouse, Marseille200(*)...

    Devant la menace que constitue ce mouvement pour l'économie de la France, De Gaulle est obligé de rassurer les patrons de l'action et de l'orientation que son gouvernement entend donner à la gestion sociale de l'entreprise. Il le rappelle en octobre 1944 lors d'une visite à Lille en ces termes : « bien que le mode et le degré de la collaboration entre ceux qui travaillent et ceux qui dirigent puissent être différents suivant la nature et l'importance de l'entreprise, il faut que cette collaboration soit établie de manière organique entre les uns et les autres, sans naturellement contrarier en rien l'action de ceux qui ont la responsabilité de leur direction. » Sa position sur ce sujet est alors très clair, il est pour la collaboration entre patrons et ouvriers mais contre la participation des ouvriers à la gestion économique de l'entreprise. Sa position rejoint celle de son ministre de l'intérieur Adrien Tixier qui, dès février 1944, déclare que : « l'heure n'est pas venue de prévoir pour les comités techniques des pouvoirs de contrôle ou de décision. Dans les conditions actuelles, leur rôle ne peut être que consultatif ». Ces positions rassurent le milieu patronal.

    Avec son gouvernement De Gaulle monte un projet de substitution au programme du CNR. Le contenu de l'avant-projet gouvernemental est déposé pour avis sur le bureau de l'Assemblée le 21 novembre 1944. Ce projet est très critiqué par l'assemblée consultative provisoire. Confronté à l'opposition patronale et à un avis de l'Assemblée auquel il n'est certes pas tenu de se conformer mais qu'il serait politiquement inopportun de négliger, le Gouvernement provisoire va faire le choix de s'en tenir à son texte initial. Ce projet est le modèle promu par l'ordonnance du 22 février 1945 qui sera par la suite amélioré à travers dans loi du 16 mai 1946.

    § 2. Le modèle retenu par l'ordonnance de 1945 et la loi de 1946

    Les comités d'entreprise naissent à la Libération avec deux actes de naissance : le premier en 1945 apparaissant comme non consensuel (A). Le second en 1946 sera un modèle abouti (B).

    A. Le modèle « gaullien » manifesté par l'ordonnance du 22 février 1945 : un modèle non consensuel

    Cette ordonnance portant création des comités d'entreprise signale que dans le domaine économique, les comités d'entreprise ne sauraient être des « organismes de décision » car il a semblé indispensable, souligne-t-il, de laisser au chef d'entreprise qui a, devant la nation, la responsabilité de l'affaire qu'il dirige, une autorité correspondant à cette responsabilité. Les comités d'entreprise seront donc consultatifs, sauf en ce qui concerne la gestion des oeuvres sociales de l'entreprise201(*).

    Comme, on le constate les attributions des comités d'entreprises n'ont pas connu avec l'ordonnance le chamboulement attendu par le milieu socio professionnel. Les comités d'entreprises se cantonnent à avoir un rôle de gestion dans le domaine des oeuvres sociales et culturelles.

    Dans le domaine économique, elles gardent leur rôle consultatif visant à faire des propositions à la direction en vue de l'amélioration des conditions de travail et de la productivité. Toutefois, une régression notable peut être notée, les comités n'ont plus la possibilité de connaitre de la question des salaires. Cela ne manque d'indigner les milieux syndicaux et de gauche. Selon Le Peuple, l'organe de la CGT, ces divergences provoquent même des incidents avec le général De Gaulle. Le 2 mars 1945, le président du Gouvernement quitterait la salle des séances de l'Assemblée consultative au moment où Albert Gazier monte à la tribune pour dénoncer l'ordonnance et protester contre la politique des salaires202(*).

    Au niveau du champ d'application des comités d'entreprise, il n'y a pas d'innovation majeure non plus, elles s'appliquent aux entreprises commerciales et industrielles avec les possibilités d'étendre ce champ par voie d'arrêtés interministériels. Par ailleurs elles s'appliquent aux entreprises d'au moins 100 salariés contrairement aux voeux de l'assemblée consultative provisoire qui voulait un champ d'application plus large en l'appliquant aux entreprises d'au moins 50 salariés.

    L'ordonnance créé une distance avec l'aspiration des travailleurs à une participation à la gestion économique des entreprises. Cette participation qui devait aboutir à leur émancipation collective. Au lieu de cela l'ordonnance invite les partenaires sociaux à voir dans la nouvelle institution le moyen d'associer les travailleurs à la gestion de l'entreprise afin de remettre en marche et accroitre le rendement203(*). L'objectif de cet ordonnance n'est pas de contribuer à une émancipation des travailleurs mais plutôt à une participation de ceux-ci à la productivité de l'entreprise. Les comités d'entreprise sont vus sous cet angle comme un outil de productivité pour l'entreprise à l'instar du conseil d'usine mais avec une fonction beaucoup moins participative que ce dernier.

    L'orientation choisi par le gouvernement n'est pas sans relation avec le souci qu'ont les autorités d'endiguer le mouvement d'installation des comités de gestion à un moment où une partie de l'opinion nationale comme internationale dénonce une « soviétisation » de l'économie204(*). Elle répond à ce titre aux préoccupations patronales tout en ignorant complètement les positions de l'Assemblée consultative provisoire. C'est la raison pour laquelle elle va faire l'objet d'un rejet par les syndicats comme les travailleurs déçus d'avoir été trompés.

    Dans l'esprit de beaucoup, l'ordonnance du 22 février apparaît comme un texte provisoire, quasi illégitime, auquel il faudra substituer celui voté par l'Assemblée provisoire en décembre 1944. Même le MRP, parti démocrate-chrétien classé comme centriste et qui à plusieurs membres au gouvernement, préconise une réforme des comités d'entreprise dans son programme de gouvernement. C'est dire le rejet du modèle de comités d'entreprise proposé par l'ordonnance de 1945.

    Les conditions politiques du changement sont réunies après le départ de De Gaulle le 20 janvier 1946. La nouvelle équipe fortement orientée à gauche entreprend sous l'influence du nouveau ministre du travail Ambroise Croizat d'agir en ce sens. À l'issue d'un vif débat la nouvelle loi sur les comités d'entreprise est adoptée le 16 mai 1946.

    B. Le modèle retenu par la loi du 16 mai 1946 : un modèle abouti posant les bases des Comités d'entreprise actuels

    Maurice Cohen le souligne et plusieurs auteurs avec lui, que le véritable statut moderne des comités d'entreprise est posé par la loi du 16 mai 1946 et non par l'ordonnance de 1945205(*). Cette affirmation tient au fait que cette loi est très aboutie en matière de représentation du personnel (1) et consacre les principes phares des comités d'entreprise ce qui la rapproche un peu du modèle de l'usine chrétienne (2).

    1. Un modèle très abouti en matière de représentation du personnel

    À la différence de l'ordonnance de 1945 qui semble être une faveur accordée au milieu patronal au mépris de tous les avis des politiques, syndicalistes et travailleurs. La loi du 16 mai 1946 va s'atteler avec Ambroise Croizat, ancien syndicaliste de la CGT devenu ministre du travail, à reformer en profondeur le texte de 1945 afin de le rendre plus consensuel.

    De prime abord, le champ d'application des comités d'entreprise est considérablement élargi. Les comités d'entreprise sont institués dans les établissements industriels et commerciale, les offices publics et ministériels, les sociétés civiles, les syndicats professionnels, et autres comités d'organisation206(*). Par ailleurs le nombre de personnel nécessaire pour leur institution dans une entreprise est abaissé à 50.

    Dans le domaine de la représentation du personnel, il y a un assouplissement des conditions d'électorat et d'éligibilité, les représentants du personnel aux comités d'entreprise. Le temps de travail au comité d'entreprise est relevé à 20 heures contre 15 heures précédemment207(*). Par ailleurs, les syndicats peuvent y avoir des représentants. L'article 5 de la loi nouvelle donne la possibilité à chaque représentation syndicale ouvrière représentative de designer un membre aux séances du Comité avec voix consultative208(*).

    Concernant leurs attributions, les comités d'entreprise conservent la gestion des oeuvres sociales. Dans le domaine technique, il leur est donné la possibilité de créer des commissions pour l'étude des questions particulières. Cette possibilité qui existait sous l'empire de l'ancienne loi a été élargie donnant ainsi la possibilité de former des commissions à la production. Chose qui était impossible avec l'ordonnance209(*).

    Dans le délicat domaine économique, leur attribution est demeurée consultative, la gauche au pouvoir ayant compris que cela est préférable pour l'économie de ne pas s'hasarder dans une gestion des travailleurs plus accrue dans ce domaine. Toutefois il est à noter quelques innovations, puisque désormais le Comité d'entreprise est consulté sur la gestion et la marche générale de l'entreprise. Il sera informé sur les bénéfices et il connait désormais des questions relatives au salaire. L'expert-comptable pourra avoir accès aux mêmes documents que les actionnaires et consulter les livres comptables. La transparence est poussée jusqu'à limiter le champ d'application du secret professionnel qui ne concernera plus que les secrets de fabrication210(*).

    Toutes ces reformes auront pour objet de mettre en place les principes actuels de comités d'entreprise.

    2. Un modèle participatif, réaliste et productif déjà appliqué au Val

    Les comités d'entreprise ont pour leur naissance empruntée tant de choses aux expériences antérieures. La loi du 16 mai va instituer des comités d'entreprises va emprunter les piliers du succès des institutions du Val. Elle va les emprunter en les modernisant, en les adaptant au contexte actuel qui est bien différent de celui du XIXe siècle. Ces piliers sont une institution fondée sur des principes réaliste, participatif et productif.

    L'objectif des travailleurs d'être associé à la gestion de l'entreprise s'est assouvi dans les comités de gestion à la Libération. Certes ce fut une expérience novatrice mais elle était destinée à être sans lendemain. Née d'une conjoncture sans précédent, dans l'enthousiasme d'une libération plus ou moins insurrectionnelle, elle ne pouvait survivre longtemps au retour de l'ordre. Cette utopie fut rejetée même par un gouvernement de gauche montrant que l'objectif du comité d'entreprise n'est pas aujourd'hui comme hier la participation des travailleurs à la gestion économique de l'entreprise mais plutôt un cadre de coopération des employeurs et des travailleurs à l'amélioration des conditions de travail et de production. C'est pour cela que les comités d'entreprise sont des institutions qui promeuvent la participation.

    Selon Dubost, le modèle participatif considère l'entreprise comme un lieu de création de valeur et la condition pour créer cette valeur est dans la contribution active des travailleurs. Ce modèle a été mis en pratique au Val et avait donné des résultats appréciables malheureusement il va s'éteindre avec les comités sociaux de Vichy qui voulaient instituer un paternalisme qui horrifiait déjà l'industriel du Val. Heureusement reprenant l'exemple du Val, les comités d'entreprise vont mettre en avant la participation des travailleurs à la bonne marche de l'entreprise sur les plans techniques et professionnels. Cette participation qui doit entrainer un accroissement de la productivité.

    Dans le chaos économique de la Libération se met en place les comités d'entreprise. L'institution des comités d'entreprise doit avoir un rôle particulier à jouer, comme l'a d'ailleurs entendu les initiateurs de la réforme. Ils doivent être l'instrument des travailleurs pour développer la productivité et le rendement, reconstruire les bâtiments détruits. Ils symbolisent l'union de tous les acteurs de gauche comme de droite. D'Alexandre Parodi à Maurice Thorez, on défend le volet productiviste du comité d'entreprise. Ce dernier disait même aux ouvriers que « produire, c'est aujourd'hui la forme la plus élevée du devoir de classe, du devoir des Français. Hier notre arme était le sabotage, l'action armée contre l'ennemi ; aujourd'hui, l'arme, c'est la production »211(*). La prime de rendement étant fonction de la production totale et répartie entre les ouvriers assidus au travail, ceux qui ont des absences se voient rappeler à l'ordre très vigoureusement par leurs camarades d'atelier. Cette méthode d'autocontrôle est plus efficace que le contrôle patronal.

    Comme au Val, la bataille de la production concerne dans les comités d'entreprise les questions d'amélioration des conditions de travail. Les enquêtes menées permettent de voir que les suggestions portant sur l'amélioration des conditions de travail sont nombreuses et augmentent en fonction de la taille de l'entreprise. Plus significatif encore est le taux de suggestions sur les primes de rendement qui atteint 50 % dans la tranche des entreprises de 200 à 500 salariés pour grimper à 65 % dans celle de plus de mille. Ce taux élevé signifie que les comités d'entreprise ont dès le début souhaité être associés aux directions d'entreprise pour élaborer le calcul des primes de rendement212(*). Cette possibilité donnée aux travailleurs de discuter sur les questions de salaires qui étaient méconnues sous l'empire des comités sociaux d'entreprise et de l'ordonnance de 1945 existaient déjà au Val.

    À la vue des similitudes entre les institutions du Val et les Comités d'entreprise, ne sommes-nous pas fondés à croire que l'usine chrétienne est bien l'ancêtre des comités d'entreprise ?

    CONCLUSION

    L'enquête sur les Comités d'entreprise réalisée par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) est sans appel : 57 % des budgets de ces comités est consacré aux activités festives213(*). Ce chiffre donne la réalité de ce que sont devenus les comités d'entreprise près de 70 ans après leur création. L'attachement des travailleurs aux comités d'entreprise est lié aux oeuvres socioculturelles, ce qui brouille les missions économiques de cette institution. La plupart des élus dénoncent l'attentisme de ces travailleurs qu'ils qualifient de « consommateurs » sur le plan des attributions économique des CE. Cette situation peut-elle nous étonner ? La réponse négative semble s'affirmer.

    Historiquement, le comité d'entreprise s'est construit par la volonté patronale puis par la volonté patronale alliée aux autorités Étatiques autour de deux piliers : la coopération et les oeuvres sociales.

    La coopération s'est construite au Val au XIXe siècle contre l'idéologie de la lutte des classes et dans une perspective de lutte contre le socialisme. C'est cet esprit qui est repris dans les comités sociaux d'entreprise puis dans les comités d'entreprise à la Libération.

    Les oeuvres sociales avaient quant à elles au XIXe siècle, un but purement paternaliste et répondant au désir du patron de maintenir les travailleurs « éternels nomades ». Elles répondaient aussi au souci de certains patrons de remédier au paupérisme né des excès de l'industrialisation. Au XXe siècle, elles répondent à un souci de remédier au chaos économique né de la Seconde Guerre mondiale.

    Aujourd'hui la lutte des classes n'est plus à l'ordre du jour au sein des partis politiques et dans le mouvement ouvrier et l'influence syndicale au sein des comités d'entreprise a considérablement diminué214(*). Dans ces conditions comment s'étonner du déclin de l'aspect économique, de la participation des travailleurs à la bonne marche de l'entreprise.

    Par ailleurs dans une société où les conditions des travailleurs se sont plus qu'améliorées, où les besoins primaires de ceux-ci sont satisfaits et où ils ne subissent plus les affres du paupérisme, les souffrances de la guerre, des pénuries, il est clair que le rôle des oeuvres sociales des CE allaient connaitre une certaine évolution. Les besoins à satisfaire vont se déporter des besoins primaires auparavant satisfaits aux besoins de loisirs actuellement à satisfaire.

    Par ailleurs dans une économie financiarisée au sein de laquelle, les licenciements ont pour but de favoriser le retour sur investissement des actionnaires, une question se pose : les comités d'entreprise doivent-ils se cantonner dans leur rôle de sentinelle qui donne l'expression d'une collectivité de travailleurs lorsque joue la menace sur l'emploi ?

    Ne doivent-elles pas retrouver leur aspect de coopération technique pour accroitre la compétitivité, la productivité des entreprises afin de proposer aux consommateurs des produits de qualité dans une économie mondialisée et ultra concurrentielle ?

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    Encycliques

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    § Léon XIII, Au milieu des sollicitudes de l'Église, 16 février 1892.

    Législation

    § Loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers.

    § Loi du 4 octobre 1941 relative à l'organisation sociale des professions dite Charte du Travail.

    § Ordonnance du 22 février 1945 portant création des comités d'entreprise.

    § Loi du 16 mai 1946 relative au Comité d'entreprise.

    TABLE DES MATIÈRES

    Sommaire 4

    Liste des abréviations et des sigles 5

    INTRODUCTION 6

    PARTIE I. LÉON HARMEL : UNE VISION MARQUÉE PAR SES VALEURS CHRÉTIENNES 10

    CHAPITRE I. UNE VISION INCLASSABLE, « NI LIBÉRAL, NI SOCIALISTE » 12

    Section I. Une pensée antilibérale justifiée par sa vision réactionnaire 12

    § 1. Le libéralisme, à la base de la destruction de la corporation 12

    A. Un modèle d'inspiration : la corporation, un cadre de paix sociale 13

    B. Un constat de départ : les conséquences désastreuses de l'abolition des corporations 14

    § 2. Les méfaits de l'industrialisation, fruit des idées libérales 15

    A. L'industrialisation cause principale du prolétariat industriel 16

    B. Le prolétariat industriel, cause principale de la décadence morale des ouvriers industriels 19

    Section II. Une pensée antisocialiste justifiée par l'adhésion de Léon Harmel aux idées du catholicisme social 21

    § 1. Le socialisme : un courant révolutionnaire dangereux pour l'harmonie sociale 21

    A. Le socialisme, promoteur de la lutte des classes 21

    B. Le socialisme, cause de la violence en milieu ouvrier 23

    § 2. Le socialisme : une sérieuse menace contre l'Église 24

    A. Le socialisme : un courant qui diffuse de l'athéisme en milieu ouvrier 25

    B. Le socialisme : un courant anticlérical virulent propagé en milieu ouvrier 27

    CHAPITRE II. UNE VISION MANIFESTÉE PAR DES oeUVRES : LA CORPORATION CHRÉTIENNE ET LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE 29

    Section I. La corporation chrétienne : une idée d'Harmel contre les excès du libéralisme 29

    § 1. L'amélioration des conditions de vie des ouvriers par la corporation chrétienne 29

    A. L'octroi d'un juste salaire à l'ouvrier 29

    B. Un désir ardent de maintenir l'ouvrier dans l'emploi 32

    § 2. L'amélioration des conditions de travail des ouvriers par la corporation Chrétienne 34

    A. Le cadre de travail au Val : une oasis de tranquillité 34

    B. La durée de travail au val : une oeuvre progressiste de Léon Harmel 36

    Section II. La démocratie chrétienne : le remède antisocialiste de Léon Harmel au mouvement ouvrier 38

    § 1. Une tentative pour dynamiser le catholicisme social en perte de vitesse 38

    A. Un constat : la perte de vitesse de l'oeuvre des cercles catholiques ouvriers 39

    B. Un objectif : aborder une approche nouvelle face au mouvement ouvrier 40

    § 2. Un mouvement pour lutter contre le socialisme 42

    A. Une lutte contre les idées socialistes dans les cercles chrétiens d'études sociales 43

    B. Une lutte sur le plan politique depuis le Ralliement 45

    PARTIE II. LE CONSEIL DE L'USINE CHRÉTIENNE, MODELÉ D'INSPIRATION POUR LE COMITÉ D'ENTREPRISE 47

    CHAPITRE I. LE CONSEIL D'USINE, UNE INNOVATION DE LÉON HARMEL REFONDANT LE PATERNALISME CLASSIQUE 49

    Section I. Le conseil D'usine, une représentation du paternalisme dans la gestion des oeuvres sociales et culturelles 49

    § 1. La gestion des oeuvres sociales au Val : un rempart contre l'instabilité de la main d'oeuvre 49

    A. Les oeuvres d'investissement social : une garantie de l'accès à des périodes désirées de la vie 50

    B. Les oeuvres d'indemnisation sociale : une garantie face aux aléas de la vie 51

    § 2. La gestion des oeuvres culturelles du val : une politique pour moraliser la main d'oeuvre ouvrière 52

    A. Les associations fondamentales pour obtenir la pratique religieuse des ouvriers 52

    B. Les sociétés de préservation de la morale pour préserver le Val d'influences délétères 53

    Section II. Le conseil d'usine, modèle participatif ignoré du paternalisme classique 54

    § 1. Un pas vers la démocratie dans l'usine par le biais du conseil d'usine 54

    A. Le conseil d'usine : un instrument précurseur de représentation du personnel 55

    B. Le conseil d'usine : un cadre de dialogue social 56

    § 2. La participation des travailleurs à la direction de l'usine 57

    A. Une participation active sur les questions disciplinaires, d'hygiène et de sécurité au travail 57

    B. Une participation fructueuse sur les questions de technique de travail 58

    CHAPITRE II. L'USINE CHRÉTIENNE, MODÈLE PRINCIPAL D'INSPIRATION POUR LES COMITÉS SOCIAUX D'ENTREPRISE PUIS POUR LES COMITÉS D'ENTREPRISE 60

    Section I. Les comites sociaux d'entreprise : une reprise du modèle de l'usine chrétienne 60

    § 1. La reprise partielle du modèle corporatif de l'usine chrétienne 60

    A. Le fondement de cette reprise : la pensée réactionnaire de Pétain 60

    B. Les manifestations pratiques de cette reprise : la charte du travail de 1941 62

    § 2. La reprise quasi identique du modèle paternaliste de l'usine chrétienne 63

    A. Le fondement de cette reprise : l'incapacité financière de l'État dans le domaine social 63

    B. Les manifestations pratiques de ce modèle paternaliste : « les comités patates » 64

    Section II. Les comités d'entreprise : la reprise du modèle de l'usine chrétienne, véritable compromis sociale 65

    § 1. Les modèles envisagés à la libération 66

    A. Le modèle du Val : un modèle assis sur les deux piliers des futurs comités d'entreprise 66

    B. Le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) : un modèle trop ambitieux 67

    § 2. Le modèle retenu par l'ordonnance de 1945 et la loi de 1946 68

    A. Le modèle « gaullien » manifesté par l'ordonnance du 22 février 1945 : un modèle non consensuel 68

    B. Le modèle retenu par la loi du 16 mai 1946 : un modèle abouti posant les bases des Comités d'entreprise actuels 70

    1. Un modèle très abouti en matière de représentation du personnel 70

    2. Un modèle participatif, réaliste et productif déjà appliqué au Val 71

    CONCLUSION 73

    BIBLIOGRAPHIE 76

    Ouvrages 77

    Articles de revues et contributions à des ouvrages collectifs 79

    Articles de presse 80

    Encycliques 80

    Législation 80

    TABLE DES MATIÈRES 82

    * 1 Code du travail, Éditions Litec, 2001.

    * 2 LE CROM (J.-P.), « Comités d'organisations ou comités sociaux : où l'introuvable interpénétration de l'économique et du social », in acte du colloque d'avril 2003, Caen.

    * 3 LE GOFF (J.), « Quelle histoire pour le Droit du travail ? », Revue de droit du travail, 2013, p. 599.

    * 4 BERTOU(M.), COHEN (M.), et MAGNIADAS (J.), Regards sur les CE à l'étape de la cinquantaine, Montreuil, VO éditions, s.d. [1995], extraits du quatrième de couverture.

    * 5 LE CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale : le droit de la représentation du personnel de l'entreprise (1890-2002), Paris, Syllepse, 2003, p. 11.

    * 6 Ibid.

    * 7 Ibid. P.19.

    * 8 HARMEL (L.), Manuel de corporation chrétienne, Tours, Alfred Mame et Fils, 1877, p. 167.

    * 9 Ibid.

    * 10 HORNE (J.), Le musée social : Aux origines de l'État Providence, Belin, 2004, p. 74.

    * 11 LE PLAY (F.), La reforme sociale en France, Tours, Alfred Mame et Fils, 1874, p. 46.

    * 12 BIGOT (P.), La doctrine sociale de l'Église, Paris, PUF, 1964, p. 111.

    * 13 Ibid.

    * 14 VERKINDT (P.-Y.), « Sécurité professionnelle, Sécurité sociale, sécurité sociale professionnelle : Quelques gammes autour de trois expressions », Droit social, 2011, p. 1300.

    * 15 SIEGFRIED, HENRY (K.), Neymark, Société des Industriels, Les retraites ouvrières et la mutualité, Paris, Librairie Guillaumin et Cie, 1905, p. 91.

    * 16 LE PLAY (F.), op. cit., p. 47.

    * 17 HORNE (J.), op cit., p. 37.

    * 18 FUSTER, L'évolution de l'assurance ouvrière, p. 388.

    * 19 BIGOT(P.), op cit., p. 126.

    * 20 HARMEL (L.), Manuel de corporation Chrétienne, p. 190.

    * 21 HARMEL (L.), ibid., p. 36.

    * 22 HARMEL (L.), ibid., p. 191.

    * 23 Cité in Manuel de corporation chrétienne.

    * 24 HORNE (J.), op. cit., p. 39

    * 25 Définition tirée du dictionnaire du Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales.

    * 26 Cité in Le Musée social : aux origines de l'État Providence, p. 77.

    * 27 AIDELF, Croissance démographique et urbanisation : Politiques de peuplement et aménagement du territoire, Paris, PUF, 1993, p. 8.

    * 28 BURIDAN (J.), FIGLIUZZI (A.), MONTOUSSÉ (M.), Histoire des faits économiques, Paris, Bréal, 2007, p. 73.

    * 29 CLAIRE (F.), Histoire sociale du XIXe siècle, Paris, Hachette supérieur, 2001, p. 19.

    * 30 NOIRIEL (G.), Les ouvriers dans la société française : XIX-XXe siècle, Paris, Points, 2002, p. 14.

    * 31 Ibid.

    * 32 BOURILLON (F.), Les villes en France au XIXe, Paris, Synthèse Histoire, 1992, p. 7.

    * 33 GUÉRIN ET BONAMY, Nantes au XIXe siècle, p. 292-296.

    * 34 CASTEL (R.), L'insécurité sociale : qu'est ce qu'être protégé, Paris, Éditions du Seuil, 2003, p. 29.

    * 35 NOIRIEL (G.), op. cit., p. 7.

    * 36 Ibid.

    * 37 NOIRIEL (G.), op. cit., p. 25.

    * 38 HORNE (J.), op. cit., p. 36.

    * 39 HARMEL (L.), Manuel d'une corporation chrétienne, p. 7.

    * 40 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 30.

    * 41 HARMEL (L.), Catéchisme du patron, Paris, Bureau du journal La Corporation, 1889, p. 57.

    * 42 NOIRIEL (G.), op. cit., p. 101.

    * 43 CARROUÉ (L.), COLLET (D.) et RUIZ(R.), Les mutations de l'économie mondiale du début du XXe siècle aux années 1970, Rosny-Sous-Bois, Bréal, 2005, p. 69.

    * 44 Fréderic LE PLAY cité in TRIMOUILLE (P.), Léon Harmel et l'usine chrétienne du Val-des-Bois, Lyon, Centre d'histoire du Catholicisme de Lyon, 1974, p. 20.

    * 45 Rerum Novarum, 1891, p. 5.

    * 46 MONTARON (G.), CLÉMENT (M.) Le socialisme : dialogue entre Georges Montaron et Marcel Clément, Paris, Beauchesne, 1969 p. 42.

    * 47 HARMEL (L.) Manuel d'une corporation chrétienne, p. 192.

    * 48 HARMEL (L.), Lettres de Léon Harmel à ses enfants. Voyage à Rome, février 1899, Chambéry, Imprimerie générale de Savoie, 1899, p. 29.

    * 49 KAUTSKY (K.), Les trois sources du marxisme, s.l. Starebooks, 1908, p. 18.

    * 50 BOUGLÉ (C.), La sociologie de Proudhon, Paris, Armand Colin, 2011, p. 173.

    * 51 PORTIS (L.) Les classes sociales en France : un débat inachevé 1789-1989, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1988, p. 93.

    * 52 MALBRANQUE, Le socialisme en chemise brune, Paris, collectif la main invisible, 2012, p. 200.

    * 53 MARX (K.) et ENGELS (F.), Le manifeste communiste, p. 13-14.

    * 54 BERGOUNIOUX (A.), COHEN (D.), Le socialisme à l'épreuve du capitalisme, Paris, Librairie Arthème Fayard, 2012, p. 10.

    * 55 SOUVESTRE(E.), Confession d'un ouvrier, p. 160.

    * 56 NÉMETH (A.), la commune de Paris, Paris, l'harmattan, 2011, p. 242.

    * 57 ROUGERIE (J.), Simone Delattre, Les Douze heures noires. La nuit à Paris au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 2000, 679 p.

    * 58 SIROT (S.), La grève en France : une histoire sociale (XIXe-XXe siècle), Paris, Odile Jacob, 2002, 306 p.

    * 59 Société d'Histoire de la révolution de 1848 et des révolutions du XIXe, Le XIXe Siècle et la révolution française, Paris, Creaphis, 1992, p. 362.

    * 60 NATANSON (J.-J.), La mort de Dieu : essai sur l'athéisme moderne, Paris, Puf, 1975, p. 30.

    * 61 DUPANLOUP (F.), L'athéisme et le péril social, Paris, Charles Douil, 1866, p. 150.

    * 62 FRAPET (D.), Le socialisme selon Blum, Nonette, Éditions Créer, 2003, p. 53.

    * 63 Marx cité in L'esprit de scission, p. 77.

    * 64 HARMEL (L.), Lettres de Léon Harmel à ses enfants, p. 33.

    * 65 DUPANLOUP (F.), L'athéisme et le péril social, Paris, Charles Douil, 1866, p. 150.

    * 66 HARMEL (L.) Lettres de Léon Harmel à ses enfants : voyage à Rome, février 1899, Chambéry : Impr. générale de Savoie, 1899, p. 37.

    * 67 BAUBÉROT (J.) (Coll.), BÉDARIDA (F) (éd.), BONNET (S.) (Éd.), Christianisme et monde ouvrier, Paris : Éditions ouvrières, 1975, p. 74.

    * 68 REMOND(R.), L'anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Librairie Artème Fayard, p. 10.

    * 69 HARMEL (L.), Lettres de Léon Harmel à ses enfants : voyage à Rome, p. 42.

    * 70 Christianisme et monde ouvrier, p. 18.

    * 71 Christianisme et monde ouvrier, p. 77.

    * 72 DUROSELLE (J-B.), Les débuts du catholicisme social (1822-1870), Paris, Puf, 1951, p. 653-655.

    * 73 Vie ouvrière du 20 novembre 1909.

    * 74 Vie ouvrière du 20 septembre 1910.

    * 75 PIERRARD (P.), La vie ouvrière à Lille sous le second Empire, Paris, Éditions Charles Corlet, 1991, p. 213.

    * 76 HARMEL (L.), op. cit., p. 193.

    * 77 LEROY-BEAULIEU (P.), La question ouvrière au XIXe Siècle, Paris, Charpentier et Cie, 1872, p. 18.

    * 78 HARMEL (H.), La démocratie chrétienne, Paris, X.Rondelet et Cie, 1897, p. 19.

    * 79 LEROY-BEAULIEU (P.), op. cit. p. 30.

    * 80 PECQUEUR (C.), Économie sociale des intérêts du commerce de l'industrie, Paris, Desessart, 1839, p. 105.

    * 81 Christianisme et monde ouvrier, p. 42.

    * 82 HARMEL (L.), Manuel de corporation Chrétienne, p. 21.

    * 83 Ibid., p. 251.

    * 84 Ibid. p. 252.

    * 85 HARMEL (L.), ibid., p. 253.

    * 86 HARMEL (L.), ibid., p. 49.

    * 87 TRIMOUILLE(P.), op. cit. p. 115.

    * 88 GUESLIN (A.), STICKER (H.-J.), Les maux et les mots : De la précarité et de l'exclusion en France, Paris, L'harmattan, 2012, p. 29.

    * 89 HARMEL (L.), Manuel de corporation chrétienne, p. 245.

    * 90 Ibid.

    * 91 TRIMOUILLE (P.), ibid., p. 61.

    * 92 HARMEL (L.), ibid., p. 48.

    * 93 HARMEL (L.), ibid., p. 245.

    * 94 HARMEL (L.), ibid., p. 56.

    * 95 TRIMOUILLE (P.), ibid., p. 61.

    * 96 TRIMOUILLE (P.), ibid, p. 60.

    * 97 Ibid.

    * 98 Ibid., p. 62.

    * 99 PERROT (M.), « De la manufacture à l'usine en miette », Le mouvement social, N°125, 1983, p. 3-12.

    * 100 BATTAGLIOLA (F.), Histoire du travail des Femmes, Paris, La Découvertes., p. 8.

    * 101 ZANATTO (J.), Simon Parvery ouvrier des fours (1865-1945), p. 74.

    * 102 TRIMOUILLE P., op. cit. p. 77.

    * 103 TRIMOUILLE(P.), ibid., p. 75.

    * 104 HARMEL (L.), Catéchisme du patron, p. 89.

    * 105 BROCAS (A.-M.), DURIEZ (M.), L'évolution des systèmes de protection sociale : État de la recherche en France et en RFA, Paris, Cirac, 1992, p. 19.

    * 106 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 52.

    * 107 FRIDENSON (P.), Reynaud (B.), La France et le temps de travail (1814-2004), Paris, Odile Jacob, 2004, p. 8.

    * 108 Ibid., p. 10.

    * 109 Ibid., p. 25.

    * 110 HARMEL (L.), catéchisme d'un patron, p. 66.

    * 111 HARMEL (L.), Manuel de Corporation chrétienne, p. 41.

    * 112 TRIMOUILLE (P.), op. cit. p. 76.

    * 113 Ibid.

    * 114 DUBOST (M.), LALANNE (S.), Le nouveau Theo : livre III, l'histoire de l'Église, Paris, Mame, 2009, p. 86.

    * 115 Christianisme et monde ouvrier, p. 267.

    * 116 GALLAND (O.), LOUIS (M-L.), Jeunes en transit : l'aventure ambigüe des foyers de jeunes travailleurs, Paris, Paris, Les Éditions Ouvrières, Economie et humanisme, 1984, p. 19.

    * 117 FAYET-SCRIBE(S.), Associations féminines et catholicisme : XIXe-XXe siècle, Paris, Les Éditions ouvrières, 1990, p. 73.

    * 118 Christianisme et monde ouvrier, p. 234.

    * 119 FAYET-SCRIBE (S.), ibid., p. 73.

    * 120 HARMEL (L.) cité in TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 125.

    * 121 PARETO (V.), OEuvres complètes tome V : les systèmes socialistes, Genève, Librairie Droz, 1978, p. 160.

    * 122 PARETO (V.), ibid., p. 260.

    * 123 HARMEL (L.), La démocratie chrétienne, p. 12.

    * 124 HARMEL (L.), La démocratie chrétienne, p. 20.

    * 125 HARMEL (L.), Lettre de Léon Harmel a ses enfants : voyage à Rome, p. 36.

    * 126 HARMEL (L.), catéchisme d'un patron, p. 141.

    * 127 HARMEL (L.), ibid, p. 142.

    * 128 PARETO (V.), op. cit.; p. 259.

    * 129 HARMEL (L.), ibid. p. 22.

    * 130 DUBOST (M.), LALANNE (S.) op. cit., p. 216

    * 131 HARMEL (L.), La démocratie chrétienne, p. 24

    * 132 Ibid.

    * 133 Ibid.

    * 134 Ibid.

    * 135 Ibid., p. 27.

    * 136 Ibid., p. 36.

    * 137 HARMEL (L.), ibid. p. 37.

    * 138 TRIMOUILLE (P.), op. cit. p. 84.

    * 139 DUBOST (M.), LALANNE (S.) op. cit., p. 218.

    * 140 DURAND (J.-D.) L'Europe de la Démocratie chrétienne, s.l, Éditions Complexe, 1995, p. 328.

    * 141 Aux élections législatives du 13 mai 1848, le « Parti de l'Ordre, qui réunit tous les conservateurs (royalistes légitimistes et royalistes orléanistes, bonapartistes...) autour d'un slogan : Ordre, Propriété Religion, contre la gauche républicaine qui a emprunté aux révolutionnaires d'antan le nom de Montagne », (source Hérodote.net)

    * 142 MATTEI (R.), Le ralliement de Léon XIII. L'échec d'un projet pastoral, Cerf, Paris, 2016, p. 216.

    * 143 HARMEL (L.), La démocratie Chrétienne, p. 41.

    * 144 Ibid., p. 41.

    * 145 MATTEI (R.), ibid.

    * 146 MEILLASSOUX (C.), L'oppression paternaliste au Brésil, Paris, Karthala, s.d. p. 343.

    * 147 TABUTEAU (D.), « Topologie des politiques sociales », Revue Droit Social, 2012, p. 620.

    * 148 HARMEL (L.), Manuel de Corporation chrétienne, p. 82.

    * 149 Article 2 de la loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers.

    * 150 HARMEL (L.), ibid., p. 83.

    * 151 Ibid.

    * 152 TABUTEAU (D.), op. cit.

    * 153 HARMEL (L.), ibid. p. 94.

    * 154 Ibid., p. 95.

    * 155 OGIEN(R.), Mon dîner chez les cannibales, Paris, Grasset, 2016, p. 144.

    * 156 HARMEL (L.), Manuel de corporation chrétienne, p. 11.

    * 157 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 32.

    * 158 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 34.

    * 159 Ibid.

    * 160 Ibid., p. 38.

    * 161 HARMEL (L.), Catéchisme du Patron, p. 94.

    * 162 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 86.

    * 163 HARMEL (L.), La démocratie dans l'usine, p. 8.

    * 164 TRIMOUILLE (P.), ibid.

    * 165 Ibid.

    * 166 Ibid., p. 88.

    * 167 HARMEL (L.), Le val des Bois, p. 8.

    * 168 Article 7 règlement intérieur de l'usine du Val-des-Bois.

    * 169 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 87.

    * 170 HARMEL (L.), Manuel de corporation chrétienne, p. 147.

    * 171 Ibid.

    * 172 BONNEFF (L.) et (M.), La vie tragique des travailleurs, Paris, E.D.I., 1984, p. 20.

    * 173 TRIMOUILLE (P.), op. cit., p. 82.

    * 174 Harmel frères filateurs, 1900, p. 26.

    * 175 Brochure du Val de 1900, p. 26-27.

    * 176 ROUSSO (H.), Vichy, l'événement, la mémoire, l'histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 77.

    * 177 PÉTAIN (Ph.), Messages d'outre-tombe du maréchal Pétain, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1983, p. 34.

    * 178 Ibid.

    * 179 Ibid. p. 34.

    * 180 Ibid.

    * 181 Charte du travail, Rapport au maréchal de France, chef de l'État français, p. 1.

    * 182 AMIAUD (A.), «  Les précédents des comités sociaux d'entreprise », Revue de Droit Social, n° 20, p. 5.

    * 183 BÉTHOUART (B.), Le ministère du travail et de la sécurité sociale : De la libération à la Ve république, Rennes, PUR, 2006, p. 125.

    * 184 DUBOST (N.), Comités d'entreprise, syndicats, patrons : le grand remue-ménage, Les Éditions de l'Atelier, Paris, 2007, p. 78.

    * 185 PETAIN (Ph.), op. cit., p. 32.

    * 186 Ibid., p. 207.

    * 187 SCELLE (G.), « Comités d'entreprise et constitutionnalisme économique », Droit social, 1943, p. 1.

    * 188 DAUTHUILLE (M.-A.), « La charte du travail et le problème de l'entreprise », Droit social, 1943, p. 47.

    * 189 CHEVANDIER (C.) (éd.), DAUMAS (J.-C.) (éd.), Travailler dans les entreprises sous l'occupation, Besançon, Presses Universitaire de Franche-Comté, 2007, p. 201.

    * 190 AMIAUD (A.), op. cit.

    * 191 SCELLE (G.), op. cit.

    * 192 Ibid.

    * 193 COLAS (J.-P.), « Les réalisations sociales des comités provisoires d'entreprise », Droit social, 1943, p. 30.

    * 194 Ibid., p. 32.

    * 195 Ibid., p. 33.

    * 196 Les jours heureux : le programme du CNR de mars 1944, p. 25.

    * 197 CORDIER (D.), Jean Moulin : la République des catacombes, Paris, Gallimard, 1999, p. 27.

    * 198 Ibid.

    * 199 ARON (R.), Politique française Articles 1944-1977, Paris, Éditions de Fallois, 2016, p. 77.

    * 200 LE CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale, p. 37.

    * 201 Ordonnance du 22 février 1945, exposé des motifs.

    * 202 Le peuple, 10 mars 1945.

    * 203 GUESLIN (A.), Les hommes du pneu : les ouvriers Michelin (1940-1980), Paris, Les Éditions de l'Atelier, 1999, p. 110.

    * 204 Ibid.

    * 205 COHEN (M.), Le statut des délégués de personnels et des membres des comités d'entreprise, Paris, LGDJ, 1964, p. 47-48.

    * 206 LE CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale, op. cit., p. 47.

    * 207 Ibid.

    * 208 PETIT (R.), « Une loi nouvelle en matière de comités d'entreprise : la loi du 16 mai 1946 », Droit social, décembre 1946, p. 5.

    * 209 LE CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale, op. cit., p. 47.

    * 210 PETIT (R.), ibid., p. 10.

    * 211 Cité par LE CROM (J.-P.), op. cit., p. 58.

    * 212 LE CROM (J.-P.), L'introuvable démocratie salariale, op. cit., p. 61.

    * 213 IRES/DARES, Les comités d'entreprise : enquête sur les élus, les activités et les moyens, Paris, Ministère de l'emploi et de la solidarité : Les Éditions Ouvrières, 1998, p. 176.

    * 214 AFFILÉ (B.), GENTIL (C.) et RIMBERT (F.), Les grandes questions sociales et contemporaines, Paris, L'etudiant, 2010, p. 97.






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