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La destructuration du récit dans tropismes et le planétarium de Nathalie Sarraute

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par Doudou CAMARA
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

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INTRODUCTION GENERALE

Mode courant d'expression littéraire, où les relations avec les phénomènes sociaux et l'histoire sont les plus amples et les plus précises, le roman est le genre littéraire où se lisent le plus nettement la structure et la texture d'une société en général, d'un individu en en particulier.

Mais, au lendemain des deux Guerres Mondiales et leurs conséquences, les hommes de lettres de l'époque, en l'occurrence, les néo-romanciers au premier rang desquels Nathalie Sarraute se trouvent dans l'impossibilité de narrer et de lire cette double réalité ambiante etcauchemardesque. D'ailleurs, quel récit peut-il prétendre exister à l'heure de la dérobade du sens et du schisme entre les mots et les choses? Nathalie Sarraute de se demander, à ce propos:

« Quellehistoireinventée pourrait rivaliser avec celle de la séquestrée de Poitiers ou avec les récits des camps de concentrations ou de la bataille de Stalingrad ? »1(*)

Certainement pas avec celle qui prétendait reproduire, représenter ununivers cohérent et cartésien. Mais celle qui figure l'étonnementface au désordre de la crise.

En fait, ce phénomène aberrant de la guerre, va générer un renouveau d'intérêt qui se met en déphasage des codes périmés. Cette nouvelle conception de la littérature n'a pas échappé à Lucien Goldmann qui affirme :

« [C'est] leproblèmede la nature des transformations sociales qui ont effectivement créé le besoin d'une forme romanesque nouvelle »2(*) S'il est avéré que tout événement tragique enclenche des formes nouvelles, quelles seraient alors ces formes ? Comment se présenteraient-elles par référence au roman traditionnelle? Quelle serait la place du lecteur moderne ?Autant de questions qui débouchent vraisemblablement la déstructuration du récit. Ainsi en rapport avec le récit, La déstructuration répond à la définition que luidonne le NouveauPetit Robert, c'est-à-dire une action de déstructurer ; fait de déstructurer ; état de ce qui en résulte. 

Dans cet esprit, comment se décrypte cette destruction, cette déconstruction du récit dans Tropismes et LePlanétarium?Comment Nathalie Sarraute réussit-elle à traduire la complexitédu monde dans le récit ?.

Aussi, devrait-on garder présente à l'esprit cette notion de récit qui, à vrai dire, a mission d'enseigne depuis la Poétique d'Aristote jusqu'aux ProblèmesduNouveauRoman de Jean Ricardou.

En effet, couche verbale qui prend en charge la mise en texte de l'histoire, le récit doit être, de l'aveu d'Arisote comme un assemblage d' « histoires [qui]doiventêtreagencéesenformededrame ,autourd'uneaction ,formantuntoutetmenéejusqu'àsonterme, avecuncommencement, unmilieuetunefin »3(*) A sa suite, Tzevtan Todorov dira, à ce propos :

« Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli »4(*).

Mais avec le choc de la guerre, le récit change de perspectives, et on le définit avec Jean Ricardou comme: « une mise en place d'événement qui dans le cas du récit habituel peut reposersur une chronologie »5(*).

Cette dimension du récit aura des résonances dans ce qu'il est convenu d'appeler : Le Nouveau Roman. Regroupés autour de cette étiquette, Alain -Robbe-Grillet, Michel Butor, Samuel Becket, Claude Olivier, Robert Pinget, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, etc., bouleversent à bon escient les codes narratifs traditionnels du roman qui faisaient autorité de Cervantès à Balzac en passant par Stendhal...

Cette radicalisation de la nouvelle génération marque un tournant décisif dans le paysage littéraire en ce qu'elle porte essentiellement sur les traits spécifiques du roman: le personnage, la description, la spatio-temporalité, le langage, le récit, etc. Ce qui fait dire, du reste, à Falilou Ndiaye:

« DeLa ModificationàLa Route des Flandres, on observe, un certain nombre de tendances majeures: une désarticulation de l'espace-temps, une désagrégation du personnage, un refus du psychologique, une déstructuration durécit qui affecte la logique de la narration, la syntaxe des actions(...) »6(*).

Pour ce qui a trait au récit, loin d'être construit traditionnellement par une intrigue et une temporalité cohérente, par des personnages auxquels le lecteur peut s'identifier, par un faisceau de lieux et mécanismes sociaux vraisemblables, il suit ou plutôt épouse les méandres de la « conscience malheureuse » et des événements tragiques. De ce fait, le récit pêche contre la filiation chronologique et logique de la narration, des descriptions, etc.

En effet, il est singulier de souligner que ces processus de transformation radicale des formes du roman, ne sont pas créés ex nihilo étant entendu que le Nouveau Roman reconnaît une certaine dette envers bien d'autres romans : français, russes, anglais, etc.

S'il est admis que chaque écrivain tire sa pertinence de l'écriture dans le terreau d'un autre écrivain de façon conscience ou inconsciente, il faut reconnaître que les néo-romanciers sont débiteurs de quelques romanciers des dix-neuvièmes et vingtièmes siècles.

En effet, si, déjà en 1965, Nathalie Sarraute écrivait un essai intitulé: Flaubert le précurseur, on comprend, par-là, son honnêteté intellectuelle et morale, et de surcroît sa reconnaissance envers un écrivain soucieux de construire « un livre sur rien».

Dans cette logique, mis à part Salammbô (1862) où Gustave Flaubert s'adonne à une sorte d'archéologie de l'antiquité ou du passé récent, Nathalie Sarraute jette son dévolu sur Madame Bovary (1857). Car, de son aveu, cette oeuvre semble un chef d'oeuvre où « l'inauthentique » est la cheville ouvrière du récit. A ce propos, Gérard Genette soutient : « l'oeuvre de Flaubert peut apparaître en partie comme une oeuvre morte, qui n'aurait plus rien à nous dire, ni peut-être à nous cacher »7(*).

Par ailleurs, la quête de l'inauthenticité, en apparence banale, se décrypte manifestement sous la plume de Marcel Proust, un autre précurseur de la modernité. Aussi, est-il nécessaire de souligner que la volonté inénarrable de Proust à chercher ce « temps perdu », s'inscrit, en grande partie, dans la perspective de rétracter le primat accordé au langage à dire et nommer le monde en toute quiétude.

Cette critique de l' « illusion référentielle» qui consiste à chercher dans ce langage un cliché fidèle, une expression fiable de laréalité, interpelle de nouveau la lucidité de Gérard Genette quand il écrit :

« L'incapacité du langage à révéler cette « vérité » autrement que d'une manière dérobée, déguisée, retournée, toujours indirecte et comme seconde: c'est l'âge des mots »8(*).

C'est dire qu'avec Marcel Proust, « l'âge des noms » celui du contact naturel entre le nom et le lieu, le mot et la chose, est gommée au profit de « l'âge des mots».

Naturellement, l'incohérence de ce langage engage bien entendu le récit dans un terrain mouvant où son économie verse dans l'anachronie et devient presque invisible. Cette conception du récit n'a pas échappé à Claude Simon lorsqu'il écrit : « Personne ne fait l'histoire, on ne la voit pas, pas plus qu'on ne voit l'herbe pousser »9(*)

Toutefois, en prenant du recul, force est de rappeler la grande influence russe a marqué d'une empreinte les écrivains rénovateurs. Leur cheminement esthétique avait sonné le glas du roman à caractère et favorisé l'érection d'un roman nouveau où le sujet fait « dialoguer avec les lobes de son cerveau »10(*)

Cette descente dans le flux souterrain de la conscience de l'être, débouche, avec Dostoïevski, dans le vide, le nihilisme et perturbe vraisemblablement la charpente du récit romanesque. Cet état de fait, nous oblige à convoquer de nouveau Julia Kristeva qui souligne à juste raison:

«Lorsque le "nouveau roman" analysera au microscope les "états baladeurs", « semblables » au mouvement des atomes et qui, sous-jacents, pulvérisent la linéarité de la communication entre des sujets fins, il désignera en Dostoïevski le premier qui ait ouvert l'accès à ce monde souterrain »11(*).

Partant de cette assertion de Julia Kristeva, la réaction de Nathalie Sarraute est très illustrative:

« J'ai été influencée d'abord, je crois, par beaucoup d'auteurs, mais en tout cas fortement par Dostoïevski, et puis Proust et par Joyce»12(*).

Ainsi Nathalie Sarraute et à sa suite, Robbe-Grillet, Robert Pinget, Butor, etc., vont hériter, approfondir et fortifier cette littérature pour l'adopter conformément aux préoccupations de l'heure. Ils prétendent à la fois justifier le besoin d'innover le roman et le satisfaire. Comment comptent-ils le justifier? Bien évidemment, en démontrant, dans des écrits théoriques à l'image de l'Ere du Soupçon (1956)de Nathalie Sarraute, Pour un nouveau roman (1964) d'Alain Robbe-Grillet, Essais sur le roman de Butor (1964), qu'il est vain de vouloir représenter notre monde du vingtième siècle avec des techniques de narration empruntées au dix neuvième siècle voire au dix septième siècle. Et comment entendent-ils le satisfaire? Sans doute, en essayant de créer un nouveau type de romanesque et une nouvelle forme susceptibles d'aiguiser leur goût de la recherche narrative .

Dès lors, avec ces néo-romanciers, «Le génie du soupçon est venu au monde »13(*). Car, l'expérience vécue est devenue une énigme indéchiffrable, leur écriture est entachée d'incertitudes à tous les niveaux de la fiction. Le paradoxe du menteur se trouvant au coeur du « degré zéro » de cette écriture, tente, tant bien que mal, de mimer la vérité. A ce titre, Butor dira, de fort belle manière: « Le roman, fiction mimant la vérité(...) »14(*)

C'est dire que le roman, loin d'être seulement l'illusion d'une transparence référentielle, se doit d'allier et la fiction et la réalité. A titre d'exemples, Les Gommes (1953) et la Modification (1957), romans respectivement d'Alain Robbe-Grillet et Michel Butor sont très illustratifs à cet égard.

Parallèlement, les mécanismes bien huilées du temps et de l'intrigue grâce auxquels le romancier traditionnel voudrait nous persuader de la cohérence et de la stabilité du monde, sont volontairement brouillés et ne permettent plus de distinguer scènes présentes et scènes passées. Ce procédé est très significatif dans La Modification (1957) de Michel Butor où le personnage principal, Léon Delmont est écartelé entre le présent et le passé, Paris et Rome, Henriette et Cécile.

Aussi, le langage, il convient de le souligner, bien articulé à l'époque traditionnelle, trait d'union entre les mots et les choses, l'homme et le monde, épouse-t-il, à présent, les contours aussi bien obscurs que tortueux d'un univers en désagrégation. Dès lors que les mots du langage n'obéissent plus à la logique de cohérence, de stabilité, un renversement s'opère, selon Jean Ricardou qui affirme : « Un roman est(...)moins l'écriture d'une aventure que l'aventure d'une écriture ».15(*) « Cette aventure de l'écriture » n'épargnera pas la structure et la texture du récit. Il ne sera plus « le récit d'une aventure » mais « l'aventure du récit ». Il se dégage ainsi «une déstructuration, une délinéarisation du texte comme espace de figuration»16(*)

En vérité, la déconstruction du texte auto-réflexif a pour fonction, aux yeux de Nathalie Sarraute, de postuler la participation, sans condition aucune, du lecteur modèle. Cet être immanent se doit de reconstruire du sens, de reconstruire de la cohérence, du liant, même s'il n'y en a pas car, la signification des livres est en nous. Ainsi, à l'esthétique de la production et de l'imitation succède selon Jauss une « esthétique de l'effet produit et de la réception »17(*).

Bref, en ce qui concerne le récit, terrain d'élection des théoriciens et romanciers de la littérature, le plus historique peut-être des formes narratives, a évolué de façon significative à travers les âges. Il supposait traditionnellement traduire des chaînes de croyances: morales, philosophiques, métaphysiques qui constituaient la conquête sûre et patiente des meilleurs esprits.

Mais, avec l'impact de la « guerre mécanique », l'homme et ses valeurs se déstructurent, s'étiolent et s'éboulent malencontreusement au même titre que les formes romanesques principalement le récit. Car, selon Todorov: «l'homme n'est qu'un récit »18(*).

Donc, à la déstructuration des fondements de l'humaine condition correspond une déstructuration effective du récit que les néo-romanciers ne manqueront pas de prendre en charge dans leurs textes très symboliques, à bien des égards: la Jalousie (1957), La Modification (1957), L'Herbe (1963), Molloy (1951), Tropismes (1939), Le Planétarium (1959), etc.

S'agissant des deux derniers textes qui portent la signature de Nathalie Sarraute, ils s'inscrivent, comme en témoignent les titres, dans laperspectivesubversive d'une déstructuration du récit qui constituera du reste l'objet de notre analyse dans cette présente étude.

Ainsi, dans les deux ouvrages qui nous occupent, Le Planétarium (1959) et Tropismes (1938), il ne s'agira pas de voir, dans le récit, un déroulement logique et chronologique de l'histoire, mais un processus discontinu de celle-ci, et dans laquelle les nombreux blancs, les chapitres très courts semble faire la loi. En cautionnant une telle démarche, ces deux textes nous ont incités à les rapprocher dans cette présente étude.

Dans cette perspective, notre analyse obéira à une structure binaire. Elle essayera, dans une certaine mesure, de s'inscrire dans cette prédilection pour une structuration déconstruite.

Dans la première partie, la question du récit sera engagée suivant une méthode discursive : c'est-à-dire, il y sera question de faire une mise au point sur la configuration du récit, par l'entremise de sa structuration et de sa logique de composition à travers lesquelles nous essayerons de montrer comment elles débouchent dans la déstructuration due, en grande partie, aux « tropismes », sans céder à aucune exhaustivité.

Cette démarche sera en prise directe avec la seconde partie consacrée à la narration. Il s'agira, à titre d'illustrations, de prouver comment les caractères de la narration et les modes narratifs participent de la déstructuration du récit dans Tropismes et Le Planétarium.

En fait, dans les deux parties, nous recourerons très souvent à la représentation schématique pour mieux élucider le mode de fonctionnement complexe du récit et des « tropismes ».

Tout compte fait, il nous a paru important de rappeler que notre démarche ne saurait faire ici une étude exhaustive, mais elle n'est qu'une esquisse d'un faisceau de disfonctionnements narratifs que les néo-romanciers n'ont manqué de souligner.

PREMIERE PARTIE :

CONFIGURATION GENERALE DU RECIT

* 1 Nathalie Sarraute, L'Ere du soupçon, Paris, Gallimard, 1956, p.82.

* 2 Lucien Goldmann, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1956, p.82.

* 3 Aristote, La Poétique, traduction de R. Dupont Roc et J. lallot, Paris, Le livre de poche, 1920 (59 a 17-21).

* 4 Tzevtan Todorov, Poétique, vol.2 Qu'est-ce que le struturalisme?, Paris, seuil, coll. « points », N° 45, 1996,p.82.

* 5 Jean Ricardou, Problèmes du nouveau roman, Paris, Seuil, 1967, p.82.

* 6 M. A. F. Ndiaye, Notes de cours de CS de littéraire française, Année Académique 2003-2004.

* 7 Gérard Genette, « Premier des écrivains modernes » dans Travail de Flaubert, Paris, Seuil, 1983, pp.7-8.

* 8 Gérald Genette, Figures II, Paris, seuil, 1969, pp.293-294.

* 9 Claude Simon, L'herbe (1956), cité par Maurice Nadeau dans Le Roman français depuis la guerre, NFF, Gallimard, coll. « Idées », 1963, p.174.

* 10 Julia Kristeva, « La Poétique ruinée », dans La Poétique de Dostoïevski, Paris, seuil, 1970, p.17.

* 11 Julia Kristeva, « La Poétique ruinée », Ibid., p.17.

* 12 Raymond Osemwegie Elaho, Entretiens avec le Nouveau Roman, Canada, Naaman, 1985, p.50.

* 13 Nathalie Sarraute, reprenant du mot de Stendhal dans l'Ere du soupçon, 1956, Paris, Gallimard, p.59.

* 14 Michel Butor, Essais sur le roman, Paris, Editions de Minuit, 1964, p.25.

* 15 Jean Ricardou, Problèmes du Nouveau Roman, op., Cit., p.111.

* 16 Ben Moustapha Diédhiou, Exercices de dissertation sur le langage désarticulé sous la direction de M. F. Ndiaye, Année Académique 2001-2002.

* 17 Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978., pp. 49-51.

* 18 Todorov T., Poétique de la prose, Paris, Seuil, 1971, p.20.

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