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La destructuration du récit dans tropismes et le planétarium de Nathalie Sarraute

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par Doudou CAMARA
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

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CHAPITRE II : LOGIQUE DE LA COMPOSITION

Si, traditionnellement, lerécit classique se construisait suivant une logique compositionnelle que ne souffre d'aucune cohésion ni cohérence, le récit moderne, ou plus exactement le récit sarrautien s'élabore selon un dessein qui lui est propre.

En effet, la conception de Sarraute à propos de la logiquedu texte répond à une urgence consistant à opérer révision déchirante du code romanesque traditionnelle.

Cette révision porte essentiellement sur le romanesque en question, devenu problématique pour des motifs moraux, scientifiques et esthétiques. Autrement dit, il ne saurait être question d'imitation servile et plate du réel, mais une création originale qui s'appuie sur un double travail de recherche et d'imagination. Ainsi, Frank Wagner fait remarquer :

« Le moment où les artistes " ont cessé de prétendre représenter le monde visible mais seulement les impressions qu'ils recevaient dans l'histoire de l'art" »63(*)

En fait, cette rupture s'inscrit dans un certain mode de représentation du monde, historiquement déterminé, qui se voulait « imposer l'image d'un univers stable, cohérent, continu, univoque, entièrement déchiffrable ».64(*)

Dans cette optique, Nathalie Sarraute, tout comme d'autres écrivains du Nouveau Roman, va instituer au niveau du récit une modification de l'attitude romanesque où la logique de la composition cède le pas à la composition de la logique. En d'autres termes, un renversement s'opère dans l'armature même du texte qui sollicite une lecture tabulaire du récit en lieu et place d'une lecture linéaire.

Conséquences d'une nouvelle vision du monde, chaotique, fragmentaire, éclatée, contradictoire, les deux textes foncièrement identiques c'est-à-dire Tropismes et Le Planétarium intègrent ces données qui perturbent, déchronologise, bien évidemment, le récit...

Dès lors, il importe de se demander comment les textes sont-ils construits à l'heure des mutations historiques. Cependant, il faut convenir, dans cette perspective, que l'architecture des deux récits varie, dans une moindre mesure, d'un texte à un autre. Ainsi il importe de montrer dans ce sous chapitre la construction spécifique de chaque récit.

Sur ce même registre, nous entamerons ce qui motive notre champ d'investigation c'est-à-dire la déstructuration du récit.

Cette déconstruction du récit visera, en fait, à faire un bilan de tous les procédés constitutifs du brouillage : le refus du diktat causaliste, l'absence de connecteurs logiques et d'embrayeurs.

II-1 : ARCHITECTURE DU TEXTE

Certes, à l'heure de l'idéal bourgeois, le récit s'arrogeait la primeur de bâtir son univers sous le socle de la linéarité. Aussi, présentait-il des textes consistant en des chapitres manifestement titrés.

Qu'on relise, à ce propos le Père Goriot. Ce texte consiste, en fait, dans quatre macro-chapitres. Ces chapitres sont très nettement numérotés. Ces données, fondements de tout récit traditionnel, légitiment, d'une façon ou de l'autre, l'architecture cohérente et logique de ce texte balzacien.

Mais, au lendemain de la guerre, le processus des événements indicibles suscite les circonstances de remise en cause du tissu littéraire. Ainsi, il est singulier que Tropismes et Le Planétarium aient ouvert la voie à l'émergence de nouvelles formes de sensibilité.

Ces nouvelles façons d'écrire reposent, en vérité, sur de multiples techniques qui brisent le moule de la narratologie académique en général du récit en particulier.

Dans ce climat littéraire déconstruit, c'est le récit et ses dérivés qui subissent le joug de l'innovation. Ainsi, dans Tropismes, l'architecture se lit dans le contenant et le contenu des récits.

En fait, Tropismes est constitué de vingt-quatre micro-récits numérotés et non titrés. De ce point de vue, on semble décrypter un premier indice symptomatique de la vision romanesque sarrautienne. Cette conception du récit vise véritablement, à solliciter la compétence du lecteur dont la fonction est de « boucher les trous » du récit.

De même, on remarque entre les vingt-quatre récits qui composent Tropismes, des blancs typographiques s'instituant d'un texte à un autre. Toutes ces caractéristiques expriment l'idée que ces courts récits échappent au carcan traditionnel. Dans cette perspective, René Micha fait remarquer en faisant référence à l'édition de 1939 :

« (...) il y a aura bientôt trente ans, avec un petit livre de soixante pages, Tropismes, qui échappe aux classifications courantes : qui est fait de poèmes en prose, ou de projets de romanesque, ou d'approximations visant à la fois l'existence et le langage aptes à saisir ou à ressaisir la réalité humaine dans ce qu'elle a d'insaisissable»65(*).

C'est dire que cet exemple est révélateur de l'armature compositionnelle des récits tropismiques. Eu égard à l'architecture des Tropismes, l'on est tenté de dire qu'il fonctionne suivant une perspective ouverte.

En d'autres termes, les récits des «Tropismes» développent, à des degrés divers, une dose d'intertextualité qui, de l'aveu d'Yves Reuter, s'actualise suivant trois grandes formes : la citation, le plagiat ou l'allusion. Ainsi il affirme sur ce même ton :

« Cette relation est omniprésente, quelles que soient ses formes et ses enjeux : révérence à de grands prédécesseurs, ironie ... »66(*)

Cette citation trouve, de toute évidence, sa plus grande légitime dans cette séquence narrative du vingt troisième «tropisme» :

« (...) Les clichés, les copies, Balzac, Flaubert, Madame Bovary, oh ! ils savaient très bien, ils connaissaient tout cela, mais ils n'avaient pas peur (...) » (T.134).

Dans la même lancée la narratrice souligne en parlant d' « Elle ».

« (...) des clichés (...) qu'elle avait vus déjà tant de fois décrits partout, dans Balzac, Maupassant, dans Madame Bovary, des clichés, des copies, la copie d'une copie » ( T.133).

En fait, la présence du texte de Gustave Flaubert à savoir Madame Bovary  dans Tropismes valide, en quelque sorte, la notion d'intertextualité qui obscurcit la lecture du récit.

Dans ce même registre subversif du récit traditionnel, force est de noter que l'architecture du Planétarium semble s'inscrire dans cette dynamique. En effet, ce roman consiste en vingt un chapitres non numérotés et non titrés. Ces éléments, à présent indispensables à la construction du récit moderne, participent de la déstructuration du texte.

Aussi, observe t-on que la teneur des chapitres du Planétarium est autrement consistante que celle des Tropismes et beaucoup moins ample que celle des romans de type balzacien. Ce qui corrobore l'idée de démarcation de Nathalie Sarraute à l'égard du récit traditionnel.

Au-delà de cette configuration extérieure du texte, une autre donnée s'institue entre les interstices du récit : il s'agit de l'intertextualité. Cet aspect de la littéralité cautionne, à bien des égards, le caractère composite du Planétarium. Considérons cet exemple :

« (...) Le Père Goriot sa tendresse timide. Sa pudeur. Seul, vieux,abandonné, inconnu, exclu, rejeté par elle, sa fille chérie, son unique enfant ...mais elle l'aiment, il le sait bien ... elle n'aimerai jamais rien au monde autant que de pincer entre ses doigts la fine peau chaude sur le dos de sa main, le tirer doucement et la regarder qui se détaché de sa chair (...) » (P,104).

Cetexemple semble confirmer la conception de Reuter selonlaquelle : « Tout récit s'inscritdans une culture. A ce titre, il ne renvoie pas seulement aux réalités extralingustiques du monde mais aussi autres textes écrits ou oraux qui le précédent ou qu'il accompagne et qu'il reprend, imite, modifie...Ce phénomène est généralement appelé intertextualité (...)»67(*).

A dire vrai, en quoi ce récit est-il représentatif de la modification partant de l'intertextualité ? Bien évidemment en modifiant la quintessence de l'histoire du texte de balzac. Car dans ce texte, Le Père Goriot, le personnage éponyme, père Goriot est rejeté par deux de ses filles et nom d'une seule. Il s'agit plus précisément de Madame de Beauseant et de madame de Restaud. Cette erreur ou plutôt cette omission de Nathalie Sarraute vise, en partie, à brouiller le récit et à perdre le lecteur.

Ainsi, l'on en infère que le récit sarrautien apparaît comme un déroulement illogique qui rive à la fiction. Laquelle fiction fait de « l'anti-roman sarrautien [...] un envers du roman, envers de la conscience, une opération probablement réussie pour faire revivre le lecteur, et pour faire revivre une forme romanesque labyrinthique (...) »68(*).

Ce désordre dans l'architecture du récit est visiblement entretenu dans Tropismes et Le Planétarium par la charpente syntaxique qui ébranle toute connexité entre les phrases.

En effet, si traditionnellement, la motivation réaliste est sous-tendue par des articulations ou connecteurs logiques, avec le Nouveau Roman ces « béquilles » sont mises au rancart.

Dans tropismes, par exemple, en lieu et place des conjonctions de coordination (et, ou, car...), Sarraute use des points finals ou des points de suspension entre les phrases. Ces phrases sont pour la plupart privées de verbes. Ainsi, lit-on : « les choses. Les choses. Les coups de sonnette. » (T.41).

Dans Le Planétarium, un seul mot peut faire figure de « phrases qui affleurent à tout moment » (P.83). Qu'on se rappelle ce fragment de récit qui rend compte de la perte de crédibilité de Germaine Lemaire puisque ces capacités intellectuelles sont remises en question par son entourage :

« Pas un frémissement. Nulle part. Pas un soupçon de vie. Rien. Tout est Figé. Figé. Figé. Figé. Figé. Complètement figé. Glace » ( P.157).

Cette architecture des phrases constitutive de la déconstruction du récit tient, pour l'essentiel, à l'absence même de verbes, noyaux des récits traditionnels. De ce point de vue, on arrive à la conclusion selon laquelle chaque mot évoque bénéficie d'une autonomie sémantique et syntaxique.

Un tel parti pris littéraire, désorganisant la représentation du référent discursif, ne saurait rendre compte de relations temporelles (d'abord, ensuite, alors, après / avant) ou d'énumération. (en outre, en plus...) ou de reformulation (bref, en d'autres termes, au total, au juste...).

En fait, la continuité textuelle du récit, au lieu d'être encadré par des « béquilles » dont parle Sarraute et qui assure la progression structurée, met en exergue des procédés diaphoriques c'est-à-dire l'anaphore et la cataphore.

Ces procédés anaphoriques, de l'avis de Jean François Jeandillou « préservent sa continuité grâce à la reprise d'éléments préalablement introduits »69(*) mais, il est à noter qu'avec Nathalie Sarraute l'usage de ces aspects anaphoriques prête à confusion. En effet, les formes du redoublement par répétition applique aux personnages sont celles consistant dans l'attribution à deux ou plusieurs d'entre eux, soit d'un prénom semblable ou analogue, soit d'une même apparence.

Cettetechnique faulknérienne du prénom redoublé qu'affectionnent lesnéo-romanciers, Nathalie Sarraute en particulier, ne garantit guère la continuité et la cohésion du texte mais au contraire elle désagrège sa compréhension à la limite le déroulement chronologique du récit.

Ainsi, dans Tropismes et Le Planétarium les récits se résignent à progresser et rivent sur la répétition au moyen de l'anaphore qui renvoie à ce qui précède. Dans Tropismes, citons un exemple représentatif de la déconstruction du récit :

«  (...) Utrillo était ivre, il venait de sortir de Saint-Anne, et Van Gogh ...Ah ! elle le lui donnait en mille, il ne devinerait jamais ce que van Gogh pouvait tenir dans ce papier. Il tenait dans ce papier... son oreille coupée ! « l'homme à l'oreille coupée », bien sûr , il connaissait cela ? » (T. 47).

En clair, dans ce récit fragmentaire, nous notons un pronom coréférentiel c'est-à-dire le troisième pronom anaphorique (il) qui renvoie à deux unités référentielles (Utrillo et Van Gogh).

Il en est de même dans Le Planétarium où l'anaphore à valeur de loi et rend malaisé l'identification des personnages. Cette séquence narrative est illustrative à cet égard en ce sens que la narratrice souligne : «  (...) Gisèle, ce ne serait plus Gigi, bien sûr, mais Gisèle (...). Elle-même avait été séduite, elle-même, elle le sait bien, les avait encouragés ».

Par ailleurs, la cataphore, procédé qui renvoie (P,49) à ce qui suit, semble être une trouvaille pour Sarraute qui l'expérimente dans les deux textes.

En effet, dans Tropismes, la cataphore n'est perceptible qu'entre le premier et le seizième «tropisme». Autrement dit, l'on ne saura ce àquoi renvoie « ils » qu'au récit XVI. Citons ces exemples :

«  Ils semblaient sourdre e partout (...) » ( T.11) 

«  maintenant ils étaient vieux » « T. 99 »

« Ah ! ces vieux os (...) » (T.100 )

Dans Le Planétarium, il est question d'un " elle " évoqué dès l'incipit et dont nous ignorons ce à quoi il réfère au début. On le saura cinquante pages après. Ainsi la narratrice énonce :

« ... Cette illumination qu'elle avait eue... » ( P.7 )

« ... Tu sais bien comment ils sont dans cette famille ... la vielle

Tante Berthe ... » (P.51).

A la lumière de ces observations précédentes, force est de noter que cette absence de progression du récit lance un défi à la lisibilité en gommant tout repère syntaxique et énonciatif.

Dans cette logique subversive du récit, si, dans le roman traditionnel « nom propre constitue le premier maillon d'une longue chaîne de liage référentielle formée de termesanaphoriques »70(*), dans le roman sarrautien son emploi semble ne plus être d'actualité.

Dans Tropismes, cette technique est portée à sa perfection. Le nom propre est quasiment inexistant dans la mesure où tout au long des récits, la narratrice nous présente des personnages orphelins d'état civil. Elle ne les estampille qu'à coups de référence pronominale telle : « ils (s), « elle (s) », etc.

Dans Le Planétarium, le récit semble, dans une certaine mesure, s'inscrire dans cette logique même si la quasi-totalité des personnages sont régulièrement nommés. Ainsi on remarque que la mère de Gisèle et le fou de la reine, entendons par-là Germaine Lemaire, sont sevrés de noms propres. Ce qui sous-tend, de toute évidence, la thèse de la déconstruction du récit illustrée dans ces deux exemples :

«  ... elle rend le ravier à sa mère. Sa mère, fière d'elle, repose le ravier, sa mère lui caresse le visage de son regard tendre, reconnaissant... » ( P.100 ).

« Le fou de la reine, le bouffon agitant ces clochettes faisant des galipettes sur les marches du trône (...) (P.80 ).

Ainsi, il n'en demeure pas moins que les récits perdent toute leur raison d'être lorsqu'on a affaire à des textes dans lesquels les noms de certains « supports de conscience » s'estompent. Par voie de conséquence, les principes de composition comme le rôle des modalisateurs logiques perdent toute leur crédibilité au sein du récit sarrautien. Il est alors singulier que le récit « forme ce qu'on pourrait nommer un assemblage problématique. Des fragments divers appartenant à des séquences différentes s'y proposent consécutivement selon un ordre dispersé qui suscite chez le lecteur un désir irrépressible »71(*).

Une telle conception du récit nous donne à lire que le texte sarrautienfonctionne comme un puzzle épars dans lequel le lecteur doit jouer pleinement sa partition. Car, nous savons depuis Umberto Eco que le texte est une « machine paresseuse » qui sollicite la main du lecteur pour se mettre en branle.

Par le fait, l'architecture des Tropismes et du Planétarium corrobore la vision de Reuter selon laquelle : « le texte du récit est hétérogène, divers et composite, tel un habit d'Arlequin »72(*). Ce point de vue nie, d'une façon et de l'autre, la notion de continuité du récit.

Ainsi, dans Tropismes à chaque texte correspond, à l'évidence, une structure poétique bien marquée. C'est ainsi que dans les trois premiers textes on semble lire un traitement dissemblable pour un même « ils » :

« Ils semblaient sourdre de partout(....) » ( T.11 )

« ils s'arrachaient à leurs armoires à glace (...) » ( T. 15 )

« Ils étaient venus se loger ans des petites rues tranquilles (...) » (T. 21)

Sur cette même lancée, les récits quatre et cinq se singularisent du fait de leur traitement romanesque particulier :

« Elles baragouinaient des choses à demi exprimées (...) » ( T.28 )

« (...) elle restait sans bouger sur le bord de son lit (...) » (T.33 ).

Dans Le Planétarium, cette architecture aux allures composites est perceptible à travers tout le texte. En vérité, si, dans le premier texte, il est question d' « une maniaque, une vieille enfant (...) » (P.13), il n'est pas étonnant qu'on lise, à ce titre, l'histoire des « carottes râpées » (P.98 ) consacrée au texte sept.

Une telle fragmentation des textes défie le déroulement linéaire du récit. Puisque ces deux textes sont tributaires de l'ordre d'apparition des sensations ou «tropismes». Cet état de fait n'a pas échappé à Arnaud Rykner qui soutien à propos du texte sarrautien :

« L'ensemble du texte sarrautien fonctionne ainsi par juxtaposition de sensations plus ou moins confuses (la crampe, l'exaspération face au poids creux, l'agacement des mouvements de gymnastique, l'élancement de l'hydropique), comme si le tropisme se refusait à la concaténation parfaite du récit, comme si la parataxe ou ses avatars permettaient d'éviter à la fois la sélection des signifiants »73(*).

Donc, c'est dire que l'écart entre les sensations est symétrique de l'opposition entre certains textes dans Tropismes et dans Le Planétarium. Ainsi, remarque-t-on une certaine distance de Nathalie Sarraute à l'égard de toute considération consistant à placer le récit sous le signe de la progression de la concaténation. Elle s'évertue, dans la perspective du Nouveau Roman, à construire des récits fondés sur l'effacement des préfaces.

De ce fait, nous savons pertinemment que, dans la conception du roman traditionnel, les récits étaient généralement précédés de « béquilles » c'est-à-dire de préfaces qui garantissaient la charpente de ces derniers.

Cette représentation est constitutive de la volonté d'assister le lecteur naïf.Qu'on se rappelle  respectivement ces fameuses préfaces de Pantagruel et de Gargantua :

« Buveurs trèsillustres, et vous, véroles très précieux non à autres, sont désirés mes écrits. Alcibiade, au dialogue de Platon intitulé le Banquet, louant son précepteur Socrate, sans controverse prince des philosophes (...) »74(*)

« Très illustres et très chaleureux champions ... Voulant donc, je, votre humble esclave, accroître vos passe temps davantage, vous offre de présent un autre livre de même billon (monnaie), sinon qu'il est un plus équitable et digne (...)75(*).

A lire de plus près ces deux préfaces de Rabelais, l'on comprend le rôle effectif qu'elles avaient naguère joué dans la compréhension et l'appréhension du lecteur ancien. Il reste que ces préfaces ou ces prologues entendent, pour une raison ou une, orienter la lecture du texte en livrant le maximum d'informations susceptibles de satisfaire la curiosité du lecteur.

Mais avec le Nouveau Roman, les écrivains en général, Nathalie Sarraute en particulier rame à contre-courant d'une telle conception littéraire. Elle rejette en bloc aussi bien le préface intégrée, présente dans l'Iliade et l'Odyssée d'Homère que la préface allusive mise en valeur dans Le tiers Livre et Le Quart Livre de Rabelais.

Dans cette mouvance, « s'inscrivant dans la perspective d'une littératuredésaliénant, ouverte et rendant sa liberté au lecteur »76(*)Tropismes et LePlanétarium se lisent sans préfaces.

Un tel parti pris n'est pas sans perturber l'armature du récit en ce sens qu'il vise, à la fois, à coïncider deux destins : celui des personnages avec celui du lecteur. Autrement dit, en mettant le lecteur à l'épreuve du texte le lecteur a comme l'impression d'être le substitut du héros ou des héros du récit. Exemplaire est à cet égard l'emploi du vouvoiement pluriel dans Tropismes qui rappelle parfaitement le « vous » inaugural de la Modification de Michel Butor. Citons cet exemple tiré des Tropismes :

« Vous connaissez Thackeray ? Th.... Th ... » ( T.94 )

« Vanity fair ? Vanity ? Ah, oui, vous êtes en sûre ? » (T.95 )

Une telle illustration trouve sa validité dans Le Planétarium :

« oh, il faut qu'il vous raconte ça c'est trop drôle (...) ( P.20 )

« Pour Maine, voyez-vous les gens c'est des miroirs » ( P.158 ).

En clair le rejet ou plutôt la mise en rancart des préfaces visibles à travers l'évocation du « vous » cultive une certaine méfiance à l'égard du caractère trop directif. Ce qui rend compte du transfert progressif de ses fonctions vers l'incipit.

Du reste, toutes ces données analysées ci-dessus participentde ce qu'il est convenu de nommer la déstructuration du récit. Une déconstruction qui est consécutive à la grande crise qui avait secoué le fond humaniste. Donc à l'éboulement des valeursmorales de l'homme succède l'effondrement ou le bégaiement, le désordre du texte. Françise dit, à ce propos :

« [...] Le texte tend à transcrire le désordre juste des mouvements intérieurs, sans stylisation ni classification apparente, le désordre écrit fut-il soigneusement construit ».77(*)

C'est dire que le fait de prétendre dérouler son récit suivant un axe diachronique est voué aux gémonies. Etant entendu que nous remarquons dans l'architecture du récit, tantôt une mise en scène des souvenirs autonomes dans lesquels le lecteur pénètre in media res, tantôt la privation délibérée des « béquilles » préfacielles qui placent le lecteur en état d'inconfort. Aussi, remarque-t-on l'absence de connecteurs logiques au ras des phrases qui cautionne, à vrai dire, l'idée de déstructuration du récit.

Ainsi, le récit, maillon indispensable des procédés narratifs du roman traditionnel, fonctionne à présent comme une « gigantesque opération de replâtrage »78(*). Du fait peut-être de son excès de construction trop savante, de la prolifération des enlisements descriptifs ou de la scissiparité des mises en abyme. De ce point de vue, Tropismes et Le Planétarium constituent un assemblage de textes qui illustrent du «tropisme». D'ailleurs, en ce qui concerne Tropismes, la nature très variable des «tropismes» explique le pluriel du titre.

Cependant, il nous a paru essentiel de voir comment Nathalie Sarraute s'évertue-t-elle à prendre en charge la notion de déstructuration du récit dans Tropismes et Le Planétarium.

* 63 Frank Wagner, « Nouveau Roman » / Anciennes théories in leNouveau Romanen question 3, Paris, Lettres mod-minard, 1999, p.155.

* 64 A.Robbe-Grillet, Pour une Nouveau Roman, op. cit., p.31.

* 65 R. Micha, Nathalie Sarraute, Paris, Editions Universitaires 1996, p.7.

* 66 Yves Reuter, L'Analyse du récit, op.cit., p.109.

* 67 Y. Reuter, l'Analyse du récit, op.cit., p.109

* 68 Marc Alpozo, «Y-a t-il un avenir du roman?» in écrits-vains. Com/points de vue / Roman.html. p.2, consulté le 17 février 2005.

* 69 J. F. Jeandillou, L'analyse textuelle, Paris, Armand Colin / Marson, 1997, pp.84-85.

* 70 J.F. Jeandillou, L'analyse textuelle, op.cit., pp.84-85.

* 71 J- Ricardou, « le Récit en procès » in le Nouveau Roman, Paris, seuil, 199, P.76.

* 72 A. Rykner, Nathalie Sarraute,op.cit. p.87.

* 73 M. Patillon, Précis d'analyse littéraire, Paris, Nathan, 1995, p.90

* 74 Henri BAUDIN, Rabelais, Gargantua Pantagruel, Paris Bordas, 1987 p.10

* 75 Ibid.

* 76 Jean Jouve, Poétique du roman, Paris, Armand Colin / Vuef, 2001, p.170.

* 77 F- Dugast - Portes, le Nouveau roman : une césure dans l'histoire du récit, Paris, Nathan / her, 2001, p.129.

* 78 Lucien Dallenbach, « le tout en morceaux » in Poétique, N° 42, Paris, seuil, 1980, P.164-165.

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