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La destructuration du récit dans tropismes et le planétarium de Nathalie Sarraute

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par Doudou CAMARA
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2005
  

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II-2 : DESTRUCTURATION DU RECIT

Tributaire de profondes crises axiologiques, le roman du vingtième siècle est sans nul doute celui qui est allé le plus loin dans l'expression de l'inadéquation de l'homme au monde qui l'environne.

Cette rupture, s'instituant entre ces deux entités, est particulièrement représentative de la cassure notée au sein du récit. En effet, des formes de récit aussi variées, dont les origines sont liées à des conjonctures très diverses et dont les fonctions techniques semblent très différentes, font-elles toute place à la rupture dans l'architecture des textes ?

Telle est la question qu'il importe de se poser si l'on veut examiner la pertinence des distinctions opérées par Nathalie Sarraute, dans la perspective du Nouveau Roman, un décentrement par référence aux techniques narratives traditionnelles.

Du coup, si, dans le récit traditionnel les écrivains étaient animés d'un désir consistant à créer un univers qui soit « l'exacte métaphore, dans sa consistance et son expansion, de la réalité sociale et historique »79(*), les néo-romanciers quant eux s'attachent à mettre à nu les brèches de cette construction.

Autrement dit à la construction d'une totalité dans l'économie du récit succède la subjectivité d'un univers en profonde désagrégation. Cette déconstruction du monde prend place dans la conscience détraquée des personnages du récit.

Dèslors, il semble singulier de noter que l'approche du récit a invariablement suscité d'énormes champs de réflexions chez beaucoup d'écrivainset de chercheurs consacrés. Diderot dans Jacques Le fataliste80(*) en est un exemple patent. Dans ce roman du « siècle des lumières » le récit est profondément désagrégé en ce sens que l'intrigue s'arrête au gré d'anecdotes enchâssées,d'où l'interrogation fort pertinente de Paul Vernière : « Diderot serait-il le fondateur de l'antiroman ? »81(*)

C'est dire que, ces investigations constitutives de la faille sur la chronologie et la logique du récit, ont déjà fait parler d'elles depuis belle lurette. Pourquoi nous y revenons ? La raison est toute simple. En effet, avec les temps qui courent nous avons émis l'idée selon laquelle, quelles que soient l'ampleur et la portée des recherches, « la fontaine narrative » ,pour parler comme René Char, demeure inépuisable. En d'autres termes, on décryptera un certain nombre d'indices qui fracture la consistance des éléments qui cimentent le moule des récits traditionnels: le personnage, le temps verbal, la logique, etc.

Ainsi, Tropismes et Le Planétarium, deux textes similaires, à bien des égards, vont briser le moule des procédés narratifs traditionnels. Ce choix littéraire est justifié par ce qu'il est convenu d'appeler la déstructuration du récit. Comment peut-on lire cette déstructuration du récit dans Tropismes et Le Planétarium ?

En fait, dans ces textes iconoclastes par excellence « démentaient et démantelaient la logique et la chronologique » du récit. De même, autant le montage linéaire du récit est viscéralement brouillé du fait de l'absence de temporalité, autant le lien de causalité (cause-effet) entre les séquences narratives est remis en question. Car chaque séquence fonctionne de façon autonome.  Les premières pages des Tropismes annoncent :

« Ils s'étiraient en longues grappes sombres entre les façades mortes des maisons.// De loin en loin, devant les devantures des magasins, ils formaient des noyaux plus compacts (...) » (T. 11).

Dans Le Planétarium, on remarque que les « bribes de phrases affleurent à tout moment (....) » (P.83) sans se soucier des connecteurs logiques, d'où une prolifération des points de suspension qui s'imposent au préjudice des embrayeurs logiques. Qu'on relise ce fragment de récit qui met à nu le zèle et la suprématie de Germaine Lemaire au sein de son cercle littéraire :

« Elle est autoritaire ... possessive... Elle donne pour dominer... Pour nous garder éternellement en tutelle ... » (P. 44).

En clair, ces points de suspension sont sinon constitutifs de l'inachèvement des phrases du moins représentatifs des failles soulignées au niveau de l'armature du récit.

Cet état de fait n'a pas échappé à Jacques Popin qui soutient à propos des points de suspension :

« Ils sont une marque de l'inachèvement, aussi bien de celui du mot qui pourrait être donné in extenso et qui ne l'est pas, que celui d'une réplique dans le dialogue, ou que celui d'une ellipse e la narration »82(*).

Ce signe par évocation qui, génère selon Jacques Popin une rupture dans le dialogue et une ellipse dans la narration, fera l'objet d'une étude approfondie dans la seconde partie.

Dans cette logique subversive il convient de convoquer ce qui constituait l'icône du récit, le noeud de forces : le personnage.

En effet, dans le roman traditionnel, le personnage du récit était tributaire de caractéristiques externes, qu'elles soient sociales ou purement descriptives. Aussi, était-il surdéterminé par son métier, son milieu, ses moeurs et ses habits. Ainsi, le pauvre père Goriot est décrit dans la pauvre pension de Madame de Vauquer, assis sur un grabat solitaire, et il n'est pas jusqu'à son physique qui ne confirme son statut d'homme misérable.

Mais, les romans modernes ou plutôt Tropismes et Le Planétarium présentent plus des recherches diverses qu'une évolution linéaire du personnage. Cela s'explique par le fait que le personnage y ait affecté par des bouleversements qui ont d'abord atteint la personne réelle.

De fait, on sait que l'essor des sciences humaines a mis en crise un certain nombre de certitudes avec lesquelles nous vivons. La critique de la rationalité par Nietzsche, les déterminismes mis à jour par Marx, la découverte de l'inconscient par Freud ont provoqué une véritable révolution des esprits. Il n'est dès lors plus possible à Nathalie Sarraute de se représenter des personnages de la même façon qu'autrefois.

Aussi, ces personnages qu'elle théâtralise sont-ils le reflet de l'égarement des consciences qui transforment les éléments du récit en particulier, du roman en général. Michel Zéraffa affirme :

« Tout roman exprime une conception de la personne qui dicte à l'écrivain de choisir certaines formes et confère à l'oeuvre son sens le plus large et le plus profond, si cette conception se modifie, l'art du roman se transforme. La conception du personnage est donc liée aux appréhensions et aux valeurs du monde qui le rendaient possible »83(*)

C'est dire alors que le récit et le personnage ou le narrateur sont partie liés. Si le personnage divague, devient amnésique, le récit devient par voie de conséquence, " avarié ", déconstruit. Dès lors, « le récit tend à se produire comme une suite de combinaisons affectant les éléments de la fiction et leurs agencements »84(*). Il faut ajouter dans cette lancée que le récit est de l'aveu de Jean Ricardou «  la résultante d'exigences incompatibles : le maintien d'une vraisemblance événementielle, une logique combinatoire »85(*).

Cet état de fait est justifié par l'usage des parenthèses dans Tropismes.  Un parfait exemple nous est offert au IXe récit :

« Il se mettait à parler, à parler sans arrêt, de n'importe qui, de n'importe quoi, à se démener (comme le serpent devant la musique ? Comme les oiseaux devant le boa ? Il ne savait plus) vite, vite, sans arrêter (...) » (T.58).

Cette parenthèse mise en valeur par la conjonction de comparaison (« comme ») constitue un commentaire en marge du récit puisqu'elle permet et la romancière et le lecteur à se regarder mutuellement dans le processus en diagonale du récit.

Ainsi, Léo Spitzer, en analysant le sens des parenthèses, fait remarquer qu'elles « sont les judas par lesquels le romancier regarde son action et ses lecteurs peuvent le regarder à leur tour »86(*) et qu'elles tendent, en plus, à disperser, à dessein, l'attention du lecteur.

Du coup, c'est dire que le récit sarrautien est semé, en réalité, de morceaux épars, de bribes de paroles appelées par les réflexions du personnage, lequel comme Alain, Tante Berthe dans Le Planétarium n'existent respectivement que par leur regard sur « l'appartement », sur « la poignée de porte ». Autrement dit, ces deux textes sont, à des degrés divers, des textes éclairés de l'intérieur d'une conscience.

De ce point de vue, les textes sarrautiens offrent à la perturbation, à l'anarchie la parure du récit. En d'autres termes, le récit n'est rien d'autre qu'un « tâtonnement dans l'obscurité, parturition, désordre. »87(*)

Ce désordre ou plutôt cette fragmentation du récit est signe que l'ordre chronologique des événements n'a pas, dans Tropismes et Le Planétarium, sa raison d'être. Etant entendu que l'ordre qui, aux yeux des romanciers traditionnels, prévaut dans la genèse du texte une frange des néo-romanciers peuvent dès lors opposer des processus anarchiques perceptibles au niveau de la structure des phrases.

De fait, dans Tropismes et dans Le Planétarium la déstructuration du récit tient de la nature de la juxtaposition des phrases.

Laquelle structure des phrases affecte la syntaxe et crée un effet de discontinuité. Pour élucider ce point de vue, penchons sur cet exemple tiré des Tropismes :

« le petit tailleur bleu... Le petit tailleur gris...Leurs yeux tendus furetaient à sa recherche... » (T.82)

Cet exemple est la métaphorisation de deux tableaux antithétiques mieux la négation du récit classique savamment construit et placé sous le signe chronologie. En effet, il se caractérise par l'absence de coordination neutre « et » entre les deux thèmes.

Cette absence se veut l'évocation de chaque circonstance pour elle-même. Et chaque proposition est coupée de l'élément principal par les points de suspension (...).

Dans Le Planétarium, la narratrice entend « mettre du modernepartout » (P.14) et créer un « ordre nouveau » (ibid,) dans lequel le récit et la phrase sont pris dans un phénomène de dislocation.

Ainsi, si, dans le récit traditionnel l'ordre des mots dans l'énoncé était garanti et encadré par des modalisateurs constitutifs de la solidité du texte, dans Le Planétarium cette conception du récit disparaît. Dans la mesure où l'énoncé se trouve quelque fois brouiller et la narratrice jette son dévolu sur l'élément considéré comme essentiel à coups d'un présentatif comme dans : « c'est cet appartement » (P. 177).

Cette déconstruction du récit repose également sur le retard d'un élément logiquement attendu. De plus, il peut arriver que l'énoncé soit stoppé, que l'élément attendu, trop chargé d'affectivité, soit repoussé. Ainsi dans LePlanétarium qui cautionne le plus cette poétique du récit, le dialogue entre Alain et Gisèle est très illustratif :

« Gisèle, mon chéri, qu'est - ce qu'il y a ?

Qu'est-ce que tu as, Gisèle, dis-moi? » Elle sent que ses yeux aussitôt se remplissent de larmes, elle lève la tête, elle plisse les lèvres comme une petite fille : « je ne sais pas, j'ai le cafard c'est idiot. C'est pour les siens... » (P.67).

Cette nouvelle structure du récit pose, de toute évidence, la problématiquement du système des dialogues qui, pour s'en former une idée juste, fera l'objet d'une étude approfondie dans la seconde partie.

Par ailleurs, il est singulier de souligner, dans cette veine subversive du récit, que le « temps ne sera plus le maître »88(*)puisqu'il « se tient presque immobile » (P.67) et se meut, pour une raison ou une autre, dans un espace labyrinthique « où toute orientation semble impossible car la ligne continue du temps est brisée»89(*).

Cette nouvelle construction motivée et représentative du Nouveau Roman génère vraisemblablement un temps qui tournoie et un récit qui semble se mordre la queue. Ce qui cautionne le foisonnement des récits aux relents complexes et circulaires.

Tropismes et le Planétarium, des textes foncièrement représentatifs du Nouveau Roman brouillent, à dessein, les codes temporels du récit traditionnel. Dans ces deux romans sarrautiens, les récits souffrent d'énormes indices temporels se déroulant de façon logique et chronologique.

Dans Tropismes,  le temps aristotélicien est nul et non avenu. En ce sens que le soleil ne suit plus son cours normal, ce qui explique peut-être les récriminations de la concierge selon lesquelles :

«  C'est traître le soleil d'aujourd'hui, (...) c'est traître et on risque et on risque d'attraper du mal (...) » (T. 17).

Aussi, lit-on dans cette séquence : « l'après-midi, elles sortaient ensemble » ( T.63).Alors le lecteur, naguère assisté dans sa quête du sens, se trouve ici privé d'un confort temporel précis.

Dans Le Planétarium, bon nombre de personnages à l'image de Germaine Lemaire perd la notion de temps. Ainsi, soutient-elle : « oh mon dieu, vous voyez, vous m'avez fait oublier le temps... » (T.133). C'est dire que dans ce texte, mis à part l'absence d'indices temporels précis ayant trait à la date, on remarque que les « instants, fermés sur eux-mêmes, lisses, lourds, pleins à craquer avancent très lentement (...) » ( P.75). Ce qui affecte effectivement la texture du récit. Alors, il ne saurait être question pour Nathalie Sarraute de construire son récit sur le socle de la linéarité mais au contraire son récit sur la base de données constitutives de la simultanéité.

Du coup, cette diaprure temporelle du récit est une constante dans Tropismes et Le Planétarium. Elle est consécutive à la transcription de l'instant mieux de la simultanéité. Ainsi, dans Tropismes, la narratrice présente de façon concomitante les pensées et les réminiscences de" elle " :

« La crise ... et ce chômage qui va en augmentant. Bien sur, cela lui paraissait clair, à lui qui connaissait si bien les choses... mais elle ne savait pas ... On lui avait raconté pourtant... mais il avait raison, quand on réfléchissait, tout devenait si évident, si simple... c'était curieux, navrant de voir la naïveté de tant de braves gens. » (T.45).

La même structure du récit trouve sa justification dans Le Planétarium où l'on lit « un vrai bouleversement, un terrible chambardement de son univers » ( P.172) du fait de la transcription d'un instant dans sa prolifération. La remarque de Pierre à ses enfants à propos de Tante Berthe est de toute pertinence :

« Ah, mes enfants, rien à faire. Elle n'a pas marché, je vous avais prévenus. Elle était certaine. Je la connais, moi, allez. Maniaque. Egoïste. Ses affaires, vous savez ... son confort. Que le monde périsse ...» ( P. 178).

En fait, ce fragment de récit clive spatialement des événements se déroulant à des moments divers, des réflexions intérieures de Pierre qui fait concomitamment l'anatomie du caractère de Tante Berthe.

Dans cette logique subversive instituée par la notion d'instant dans la structure même du récit, il convient d'analyser un autre procédé qui participe de la déstructuration du récit : il s'agit bien évidemment du présent de l'indicatif.

A propos de ce temps verbal, Francise souligne : « L'usage de ce temps est certes parfaitement conforme à l'effet psychologique produit par la remémoration, ou par l'inventaire des sensations et pensées d'un moment de vie ; Mais il efface toute perspective et tout point de repère, en mettant sur le même plan des éléments disparates »90(*).

Dès lors, il n'est pas étonnant de lire un emploi courant du présent de l'indicatif dans Tropismes et Le Planétarium. Ce présent immédiat ou scénique est, selon Bernard Valette, une des caractéristiques du Nouveau Roman même si parfois on voit un brassage des temps (imparfait - conditionnel) s'opérant sans transition. Dans cet exemple : « on vous appelle. Vous n'entendez donc pas ? Le Téléphone. La porte, la porte d'entrée ! » (T.41), on ne remarque que le récit n'est plus un résumé d'événements réels, mais un processus déréglé qui élit domicile dans la conscience détraquée du personnage anonyme,  "elle". Elle imagine ce que pourrait négliger " on ".

Par ailleurs, si, dans le roman traditionnel le passé simple fait la loi, dans le Nouveau Roman il n'est plus d'actualité. Le renouvellement du temps dans le récit n'a pas échappé à Roland Barthes qui affirme :

« Retiré du français parlé, le passé simple, pierre d'angle du récit, signale toujours un art, il fait partie d'un rituel des belles-lettres. Il n'est plus chargé d'exprimer un temps. Son rôle est de ramener la réalité un point, et d'abstraire de la multiplicité des temps vécus et superposés un acte verbal pur, débarrassé des racines existentielles de l'expérience, d'autres procès, un mouvement général du monde »91(*).

Cette remarque fort pertinente de Roland Barthes est applicable dans LePlanétarium où la narratrice met en place en scène deux personnages en train de discuter sur l'emploi du temps juste :

« (...) Au milieu de la page qu'elle n'a pas achevé, une phrase, un mot où quelque chose... mais qu'est-ce que c'est ? Le temps du verbe n'est pas juste, mais ce n'est pas cela... ce n'est pas ce verbe qui conviendrait... lequel ? » (P. 158 ).

Certainement le présent de l'indicatif qui occupe presque l'ensemble des textes que constitue Le Planétarium. Qu'on se rappelle, dans cette perspective, ces récits fragmentés :

« L'appartement est silencieux. Il n'y a personne. Ils sont partis. Leurs vestes et leurs casquettes ne sont plus sur la banquette de l'entrée » (P.11).

Ou encore dès l'ouverture du second texte on lit :

« Oh, il faut qu'il vous raconte ça c'est trop drôle...Ellessont impitoyables les histoires de sa tante... la dernière veut son poids d'or... » (P.20).

En fait, à la lumière de ces exemples précités, il est fort à parier que Nathalie Sarraute en substituant ce passé simple, temps du récit historique par excellence, au présent de l'indicatif, fait le procès de la notion traditionnelle du récit.

Du coup, elle institue une atemporalité qui justifie l'emploi systématique du présent de l'indicatif dans Tropismes et Le Planétarium. En effet, cedit présent est très difficile à cataloguer en ce sens que l'on ignore s'il est narratif ou descriptif, objectif ou intérieur d'où son balancement entre deux adverbes temporels : le maintenant et le toujours. Ce point de vue n'a pas laissé de marbre Françoise Calin qui énonce en ces termes :

« Que devient alors dans ces pages la relation entre le temps de l'aventure et celui de l'écriture ? L'usage du présent de l'indicatif ne nous permet certes pas de conclure qu'il n'y a pas de décalage entre les deux puisque ce présent s'étire et oscille entre le maintenant et le toujours »92(*)ou le toujours et le maintenant.

Cette conception du temps dans le récit sarrautien trouve sa justification dans cet exemple tiré des Tropismes :

« Bien qu'elle se tût toujours et se tînt à l'écart, modestement penchée, comptant tout bas un nouveau point, deux mailles à l'endroit, maintenant trois à l'envers (...) » ( T.87).

Il en est de même dans Le Planétarium où la narratrice en parlant de Tante Berthe souligne :

« Elle se sent bien maintenant. L'édifice ébranlé, vacillant, s'est remis petit à petit d'aplomb... c'est ce qui lui manque, à elle cette passion, cette liberté, cette audace, elle a toujours peur (...) » (P. 61).

A ce niveau de la réflexion, il est à noter que la fonction perturbatrice du présent de l'indicatif dans l'histoire du récit n'est pas sans occulter la présence de l'aspect imperfectif, le participe présent. Cet aspect vise, de l'aveu de Saint Simon, à transcrire la discontinuité du récit, l'aspect morcelé des émotions telles les tropismes que l'on éprouve et qui souffrent de mots de liaisons les uns des autres.

Aussi, est-il urgent de notifier que ce participe présent met à découvert les réminiscences des personnages dans lesquels il ne saurait y avoir ni préambule ni fin. Le récit semble donc différer, contourner, dévoyer la limite qu'elle soit liminaire ou finale. On ne saurait mieux justifier les effets produits par ce temps que dans Tropismes et Le Planétarium.

Dans Tropismes, par exemple, " elle ", en « s'agissant autour de la table, s'agissant toujours, préparant des potions (...) critiquant les gens venaient à la maison, les amis (...) » ( T.15), conforte l'idée de rebondissement du texte qu'exprime le participe présent. Car, il « semble faire rebondir le texte, de segment en segment, dans l'attente d'un événement qui s'inscrirait dans le cadre donné »93(*).

Dans LePlanétarium, l'emploi du participe présent revient comme un leitmotiv. Notons ces exemples très illustratifs :

«(...) Le rideau vert s'ouvrant et se refermant sur la grande baie carrée donnant sur le vestibule (...) » (P.9).

« (...) rondeurs dorées des meules luisant au soleil (...) » (P.14)

« (...) s'insinuant d'aborddoucement, puis s'enflant petit à petit (...)» (P.24).

En un mot, c'est dire que le participe présent tout comme le présent de narration sont, d'une façon ou de l'autre, la négation des récits doctement construits. De même, compte tenu des effets de simultanéité, à ne plus finir, des coupures effectuées dans des durées non définies qui sous-tendent essentiellement ces deux temps (participe présent, présent de l'indicatif), le récit se doit de river, de toute évidence, au morcellement, à l'ambiguïté. Cet acte nous l'avons nommé la déstructuration du récit qui affecte, du tout au tout, l'histoire.

En fait de l'histoire du récit, convenus qu'à rebours de la conception « dix-neuviémiste » d'un déroulement logique et chronologique, elle « n'est plusqu'un fantôme, une trace » de l'avis de Saint Simon.

Cet état de fait trouve sa justification dans la problématique de l'Histoire devenue problématique. Puisque le monde du vingtième siècle et son histoire, n'apparaissent plus comme une certitude, et sont posés dans «  une cassure». Aussi, l'homme, socle sur lequel se définissaient toutes les valeurs occidentales porteur de l'intrigue, devient à présent un « être de papier », « un être d'écriture».

Ainsi, Nathalie Sarraute, dans Tropismes et Le Planétarium va procéder à une remise en question radicale de l'attitude narratologique : intrigue de l'histoire. Cette intrigue ne saurait se construire sur un commencent ni une échéance. En effet, la clôture sarrautienne se caractérise par une cessation qui ne signifie en rien l'achèvement. L'ace terminal n'est qu'une invitation au commencement. La reprise de l'incipit à la fin du texte corrobore son influence dans son enjeu formel et structurel. En un mot, l'histoire dans Tropismes et Le Planétarium est giratoire.

Toutefois, si, le récit est déstructuré, il va s'en direque cette déconstruction suscite une lecture toute nouvelle de la narration. Si cela demeure une évidence, quelle serait alors la nouveauté que présenteraient Tropismes et le Planétarium ?

* 79 Dominique Rincé et Bernard Lecherbonnier, Littérature XIX, Paris, Editions Nathan,230.

* 80 Denis Diderot, Jacques Le fatliste, Paris, Garnier Flammarion, 1970.

* 81 Paul Vernière, « chronologie et préface » in JacquesLe fataliste, Paris, Garnier Flammarion, 1970, p.8.

* 82 J. Popin, La Ponctuation, Paris, Nathan, 1998, p.100.

* 83 M. Zéraffa, Personne et personnage, Paris, Klinckisieck, 1969, P.9.

* 84 M. Zeraffa, Personne et personnage, ibid, p.9.

* 85 J. Ricardou, Le Nouveau Roman, op. Cit., p.112.

* 86 Ibid,

* 87 Gaëten Picon, L'usage de la lecture, Paris, Mercure de France, 1960.

* 88 A- Robbe Grillet, Les Gommes, Paris, Minuit, 1957, p.13.

* 89 Serigne Ben Moustapha Diédhiou, «La désagrégation du temps dans les Gommes (1953) d'Alain Robbe-Grillet et la Modification (1957) de Michel Butor» Mémoire de maîtrise, Lettres Modernes, UCAD, 2002-2003 p.64.

* 90 F. Dugast-Portes, le Nouveau Roman « Une césure dans l'histoire du récit », Paris, Nathan / HER 2001, p.68.

* 91 Roland Barthes, Le degré zéro de l'écriture suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, seuil, 1972, pp.24-25.

* 92 F. Calin, «la vie retrouvée,, étude de l'oeuvre romanesque de Nathalie Sarraute»,  situation N° 35, Paris, Minard, 1976, p.146.

* 93 F. Dugast-Portas, le Nouveau Roman, op. cit, p.68.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery