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Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.

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par Elena JOSET
Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016
  

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Conclusion

Alors qu'il est l'héritier du journalisme littéraire américain de la fin du XIXe siècle, le journalisme narratif a évolué au fil des années. En témoignent les nombreuses terminologies qui lui sont associées que ce soit dans l'espace anglophone ou francophone. Pour Marie Vanoost, la pratique du reportage (recueil d'informations sur le terrain, rencontre de personnes, etc.) et la mise en récit par le biais des techniques d'écriture littéraire, constituent « le plus petit dénominateur commun » de l'ensemble des définitions du journalisme littéraire et narratif.

Le développement, à partir de 2008, d'une presse proposant des contenus long-format et des sujets loin de ceux traités par les médias « traditionnels » témoigne d'un regain d'intérêt pour ce journalisme long-format, dont le journalisme narratif fait partie. Si la revue XXI a ouvert la voie à de nombreuses revues aussi appelées « mooks », le journalisme narratif s'est également développé sur le web.

À partir de 2013, une « nouvelle vague de création de pure players » - ainsi désignée par le sociologue des médias Jean-Marie Charon, a vu le jour. Proposant des contenus long-format (analyses, enquêtes, reportages), ces pure players plaident communément en faveur d'un journalisme de qualité, d'une pleine exploitation des possibilités du web, et d'un traitement de l'information en profondeur, en opposition aux médias de flux. Par ailleurs, nous avons constaté que la presse grand public s'est saisie du terme Slow media pour désigner cette « nouvelle vague » de pure players. Alors que son manifeste a été rédigé en 2010, nos observations et analyse de discours nous permettent d'en déduire que le concept du Slow media n'est pas prêt de s'installer dans les discours des professionnels ni de se préciser.

En effet, nous avons pu remarquer que le concept de Slow media est sujet à diverses interprétations par les professionnels du journalisme proposant des contenus long-format. L'analyse des discours de Raphaël Garrigos, d'Estelle Faure ainsi que des manifestes issus de « nouvelle vague » de pure players révèle que le terme « Slow media » constitue davantage une formule qu'un terme désignant d'un genre à part entière.

Analyste du discours, Alice Krieg-Planque définit la formule comme « un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions contribuent dans le même temps à

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construire219 ». Par ailleurs, pour Alice Krieg-Planque, la notion de formule repose sur quatre éléments : son figement, sa dimension discursive, son statut de référent social et son aspect polémique.

Tout d'abord, le figement de la formule « Slow media » s'illustre par l'inscription du concept dans la mouvance, plus générale, du « Slow ». Slow food, slow web, slow fashion, slow travel, la multiplicité des environnements auxquels est attribué le qualificatif témoigne du figement de l'expression « slow » et d'une certaine stabilité du signifiant. Pour Krieg-Planque, « cette stabilité est la condition matérielle de reprise et de circulation de la formule220 ».

La circulation dans l'espace public du terme « Slow media » lui confère un statut de référent social dans la mesure où la formule constitue, toujours pour Krieg-Planque, « une unité qui signifie quelque chose pour tous en même temps qu'elle devient objet de polémique ».

Nos observations ont bien révélé cette notion de « polémique ». En effet, nous avons constaté des interprétations différentes et une appropriation ou non du concept de « Slow media » de la part des professionnels. L'analyse des différents discours nous a permis de dégager les indices de la controverse et du débat, soulevés par le terme « Slow media ».

En effet, la dimension polémique de la formule Slow media se repère dans les motivations des professionnels à employer ou non le terme. Alors que Le Quatre Heures se présentait au grand public comme un média s'inscrivant dans le concept de « slow », le pure player Les Jours, quant à lui, ne souhaitait pas être associé à ce terme mais parlait de « deep ». Qu'il s'agisse des Jours ou des autres pure players proposant des contenus long-format, nous avons vu que les professionnels n'utilisaient jamais de qualificatifs (« slow » ou « deep ») dans leur manifeste. Quant au Quatre Heures, nous avons pu constater que si ses co-fondateurs revendiquaient le terme « slow info » en 2013, ces derniers n'employaient plus le qualificatif dans leur dernière campagne de financement participatif en 2016. Ainsi, l'analyse des différents discours nous a indiquée que l'emploi des qualificatifs « Slow media », « slow info » ou encore « deep » s'inscrivait davantage dans une démarche marketing, autrement dit, une manière de se démarquer des médias traditionnels, dans un marché concurrentiel.

De plus, alors qu'un manifeste est un genre discursif engagé ayant pour objectif de mobiliser dans une démarche d'action collective afin de trouver des solutions à un problème, celui du Slow media vise à dénoncer des pratiques journalistiques soumises à la logique de l'urgence. Dans le même temps, celui-ci témoigne d'une crise identitaire du métier de journaliste : en appelant les professionnels du Slow media à accorder une plus grande importance à la vérification des sources, à soigner son écriture, à respecter ses lecteurs, le manifeste défend ni plus ni moins les fondamentaux du métier de journaliste.

219 MAYAFFRE, Damon. Alice Krieg-Planque. -- La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté, 2009, 145 pages. », Corpus. [En ligne]. 01 juillet 2010. [Consulté le 02 août 2016]. Disponible à l'adresse : http://corpus.revues.org/1775

220 Ibid

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Alors que le manifeste revendique le concept de Slow media, « considérer l'existence d'un tel mouvement revient à supposer l'existence d'un autre, le fast221 ». Cette opposition tend à renvoyer à des imaginaires tout en reposant sur des prétentions de communication, à savoir, l'entière maîtrise du temps de traitement de l'information. À ce propos, rappelons le contexte de la rédaction du manifeste du Slow media : celui-ci a été rédigé en réaction à un débat stérile opposant les partisans des médias en ligne à ceux des médias imprimés. À son tour, le manifeste du Slow media présente le danger d'opposer de manière dichotomique les notions de fast et de slow, où les partisans de chacun des concepts considéreraient ses modalités de production et de consommation de l'information comme celles répondant au mieux aux bouleversements des pratiques journalistiques à l'ère du numérique.

Toutefois, si le discours qui émane du concept de Slow media reste imprécis, il ne faudrait pas nier l'arrière plan idéologique sur lequel repose le concept de Slow media, et même plus globalement le mouvement Slow. Envisagé comme une idéologie, c'est-à-dire, comme « un ensemble plus ou moins cohérent des idées, des croyances et des doctrines philosophiques, religieuses, politiques, économiques, sociales, propre à une époque, une société, une classe et qui oriente l'action », le Slow media a permis, à travers sa circulation dans l'espace public, de s'interroger sur l'accélération du temps dans le milieu journalistique et de la mise en danger de l'authenticité des contenus. Bien que le manifeste n'apporte pas de réponses concrètes à cette problématique, il faut néanmoins noter que l'existence d'un tel manifeste témoigne d'une prise de conscience d'une course à l'information et de son influence sur la qualité des contenus.

Qu'il s'agisse du manifeste du Slow media ou des différents manifestes des pure players de temps long, tous semblent s'accorder sur le fait qu'il devient urgent de prendre le temps d'observer, d'analyser pour mieux raconter le monde qui nous entoure. En effet, si les évolutions technologiques permettent à tout détenteur d'un smartphone connecté d'être alerté en quasi temps réel, elles ne lui permettent pas pour autant d'être informé.

La rédaction d'articles long-format, de qualité, à l'écriture soignée, ainsi que la pleine exploration des possibilités du web pour transmettre l'information apparaît ainsi comme une alternative plausible à une pratique dominante, celle de la diffusion en masse et en continu des dépêches d'agence et des alertes. Dans le même temps, cette pratique dominante a été l'opportunité pour la « nouvelle vague » de pure players nés à partir de 2013 de se démarquer des médias traditionnels à flux tendu en démontrant leur volonté de répondre à la crise d'identité du métier de journaliste.

De plus, nous avons vu que des médias dits « traditionnels » tendent à adopter la diffusion de reportages long-format tout en utilisant les codes de la nouvelle vague de pure players : large place accordée aux visuels, reportages hybrides et plurimédia, recherche graphique et esthétique. Alors que Raphaël Garrigos qualifiait Mediapart de pure player « première génération », le média fondé par Edwy Plenel est le dernier en date à avoir ajouté une rubrique dédiée aux reportages grands

221 BETELU, Hugo. Doit-on être « slow » un peu, beaucoup ou passionnément ? Influencia.net [En ligne] 17 mars 2016. [Consulté le 18/06/2016]. Disponible à l'adresse : http://www.influencia.net/fr/actualites/tendance,tendances,doit-on-etre-slow-peu-beaucoup-passionnement,6162.html

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formats. Le premier reportage222 de la rubrique « Panoramique » comporte de nombreux éléments et caractéristiques propres aux reportages de la « nouvelle vague » de pure players : effet « parallax », reportage divisé en chapitre, photographie pleine page, présence de média de différentes natures, etc.

Comme pour les pure players de contenus long-format, la forme et le fond de ces « grands formats » sont pensés ensemble. On peut supposer que cette proposition de contenus long-format par des médias à flux tendu va se développer, puisque d'une part, en renouant avec les techniques du reportage, ces médias revalorisent leur savoir-faire, dans cette logique de retour aux fondamentaux du métier de journaliste. De plus, adopter les codes de la « nouvelle vague » de pure players, est une manière de faire preuve d'innovation, en proposant des dispositifs et des formats à part entière.

D'autre part, on peut supposer que dans une logique d'économie de l'attention, ces médias développent leurs chances d'augmenter le temps passé sur les pages de leur site. En proposant des contenus aux formats et temporalités différentes mais complémentaires, ces médias permettent à l'internaute d'aller plus loin dans l'appropriation d'un sujet d'actualité. De plus, en exploitant les technologies du web et les techniques d'écriture narrative, les médias traditionnels peuvent offrir des nouvelles expériences de lecture dont le but est, comme nous le rappelait Estelle Faure, de « tenir en haleine » l'internaute.

Ainsi, les évolutions des usages en matière de consommation de l'information sont l'occasion pour les médias de proposer des contenus journalistiques répondant à des temporalités différentes mais complémentaires. De ce point de vue, l'expérience du lecteur serait au coeur des préoccupations des éditeurs de contenus. Mais l'enjeu n'est pas seulement d'expérimenter de nouvelles écritures, il s'agit également de proposer des contenus en temps opportun. Au même titre qu'il est impératif d'envisager ensemble l'écriture avec son support, il est désormais indispensable de penser ensemble le contenu avec le cadre temporel dans lequel il est diffusé. Si capitaliser sur l'attention et l'engament de l'internaute est devenu crucial dans un marché médiatique concurrentiel, on peut émettre l'hypothèse que les médias de flux n'ont pas fini de s'inspirer de la « nouvelle vague » de pure players.

Enfin, comme le précisait Isabelle Meuret, le journalisme narratif « se diversifie et se réinvente grâce aux nouvelles technologies [...] ». Ainsi, le journalisme narratif n'est ni un genre récent ni un modèle qui se serait éteint. Le développement de cette « nouvelle vague » de pure players en est l'illustration.

Le retour de ce genre journalistique n'est certainement pas sans rapport avec les bouleversements que rencontrent nos sociétés. À ce titre, rappelons que John Hartsock précisait que l'intérêt pour le journalisme littéraire coïncidait systématiquement à des moments marqués par des crises fondées sur des bouleversements sociaux, politiques ou culturels - ce que les choix mais surtout les angles des sujets traités par la « nouvelle vague » des pure players confirment. Loin des angles choisis par les médias traditionnels, les reportages de terrain nous permettent de mieux saisir les composantes de sujets sociétaux par une mise en contexte de ceux-ci.

222ANTOINE, Prune. SKORWID Gil, ZAPPNER Jan. Les bruits de la guerre en plein coeur de l'Europe. Mediapart. [En ligne]. 23 juillet 2016. [Consulté le 23/07/2016]. Disponible à l'adresse : https://www.mediapart.fr/studio/panoramique/les-bruits-de-la-guerre-en-plein-coeur-de-l-europe

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Dans un paysage médiatique concurrentiel marqué par une uniformisation des contenus qui remet en question sur le sens même du métier de journaliste et de la notion d' « informer », il n'est donc pas si étonnant de voir se développer des pure players à l'identité forte, que celle-ci relève de la ligne éditoriale ou de l'identité visuelle du média. Les éditeurs de contenus ont visiblement beaucoup à gagner dans l'exploitation des techniques d'écriture narrative, pour proposer, ainsi, de véritables « expériences par procurations223 ».

De plus, en dépassant les a priori, en prenant le temps de décrypter, et en offrant des interprétations, les récits relevant du journalisme narratif permettent d'animer, d'alimenter, et de faire évoluer le débat public. Fruits de rencontres humaines, ces productions journalistiques évitent de rendre compte du monde uniquement par le prisme des crises et leurs conséquences224, à une époque où « le traitement médiatique actuel se contente d'un flot ininterrompu de nouvelles anxiogènes qui noie le citoyen dans un mélange d'indignation et de résignation225 ».

Ainsi, notre travail de recherche nous a permis d'en déduire que le Slow media est une formule soulevant des contradictions, qui elles-mêmes permettent de dégager des pistes quant à l'avenir du Slow media : alors que le concept a fait l'objet d'un manifeste dès 2010, les professionnels du journalisme ne se sont peu ou pas appropriés ce terme dont la presse grand public, elle, s'est saisie pour désigner ces pure players de temps long. Par ailleurs, alors que cette « nouvelle vague » ou cette « deuxième génération » de pure players revendiquent le fait de se démarquer des médias de flux, ces derniers, eux, s'approprient de plus en plus les codes des pure players de temps long, que ce soit dans la forme que dans le fond.

Finalement, le concept de Slow media a permis d'alimenter une réflexion reposant sur un arrière-plan idéologique, celui d'une volonté de réappropriation du temps et de l'événement à un moment où les journalistes sont pris dans une spirale de l'urgence. Par la même occasion, la circulation de la formule Slow media dans l'espace public participe à une prise de conscience que le journalisme de temps long constitue une alternative plausible à une pratique dominante, celle de la diffusion en masse et en continue de l'information sur le web par les médias. Enfin, la dynamique dans laquelle s'inscrit le concept témoigne qu'un processus de transformation est en cours. Qu'il s'agisse du concept en lui-même ou des pratiques journalistiques en matière d'adoption du long-format sur le web, toute évolution mérite d'être surveillée.

223 VANOOST, Marie. Journalisme narratif : proposition de définition, entre narratologie et éthique, Les Cahiers du journalisme [En ligne]. 2013. [Consulté le 12/10/2015]. Disponible à l'adresse : http://www.cahiersdujournalisme.net/cdj/pdf/25/9.Marie-Vanoost.pdf

224 GALPIN, Guillaume. Le journalisme de solutions, révolution culturelle de l' info. InaGlobal.fr. [En ligne] 20 juin 2016 [Consulté le 20/06/2016]. Disponible à l'adresse : http://www.inaglobal.fr/presse/article/le-journalisme-de-solutions-revolution-culturelle-de-linfo-9094

225 Ibid.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand