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Slow media : émergence d'un journalisme narratif sur le web.

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par Elena JOSET
Université Sciences Humaines et Arts Poitiers - Master Information-Communication, Web éditorial 2016
  

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ANNEXE 3

Entretien

Raphaël Garrigos, co-fondateur du pure player LesJours.fr Entretien téléphonique réalisé le 6 mai 2016

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Entretien avec Raphaël Garrigos, co-fondateur des Jours, le 6 mai 2016

Général

V a-t-il d'autres médias (forme et/ou fond) qui vous ont inspirés pour créer Les Jours ?

On a regardé ce qui se faisait actuellement sur le web. Il ne s'agissait pas tellement de sources d'inspirations, mais plus d'aller voir des sites que l'on consulte souvent comme Quartz, The Atlantic, The New York Times. Pour le système d'abonnement, nous avons regardé des sites qui ne sont pas des sites de presse : Netflix, Deezer, Spotify.

Combien de personnes sont abonnées à la version pilote ? Dans quelle tranche d'âge se situent vos lecteurs ? Quel est le support de consultation le plus utilisé ?

5400 personnes se sont abonnées à la version pilote en trois mois, alors qu'on s'était mis pour objectif d'en atteindre 8000 pour la fin de l'année 2016. La majorité des abonnés ont entre 25 et 40 ans, ce qui est très bien pour un site de presse puisqu'en règle générale le lectorat de la presse est beaucoup plus âgé que ça.

Le site des Jours est consulté en priorité sur ordinateur, puis sur mobile et enfin sur tablette. Contenus et Slow media

En quelques mots, et au-delà de ce qui est indiqué sur votre site, pourquoi avoir choisi ce concept d' « obsessions », de séries et d'épisodes ?

Les obsessions correspondent à une envie que l'on avait de proposer un journalisme de qualité et l'envie de faire des choix dans le traitement de l'actualité. On ne traite pas tout, mais ce que l'on traite, on le traite bien et on le traite à fond. C'est pour ça qu'on l'on a appelé ça des obsessions. Aujourd'hui, 12 obsessions sont en ligne et l'idée de traiter un sujet en profondeur, de ne pas être dans le survol, et dans l'écume de l'information. Notre objectif est de chaque fois resituer un sujet, de le mettre en contexte, et de redonner de la mémoire à l'info.

Puis est venue l'idée des « séries ». Aujourd'hui, on regarde tous des séries et on s'est dit qu'il y avait quelque chose à faire avec ça. Dans une série, il y a des épisodes, des personnages, des lieux. On a trouvé que ça correspondait bien à notre concept. L'époque actuelle est marquée par les séries. De fait, on a souhaité parler de notre époque avec ses codes. Cette manière de racontera l'info en série nous semblait bien correspondre à la fois à notre époque, et à la fois au système des « obsessions ».

Comment sont choisis les sujets des différentes « obsessions » ?

Il y a quelques mois, durant toute une journée, nous avons discuté des sujets dont on voulait parler et ce que l'on voulait raconter et les grands thèmes que l'on voulait explorer comme l'identité, la mixité, les rouages économiques, la communication. Nous avions une palette assez large de sujet pour couvrir un maximum l'actualité, même s'il y a des sujets que l'on ne traite pas. Nous choisissons également les sujets en fonction des domaines de chacun : par exemple, avec Isabelle Roberts nous traitions les sujets liés aux médias puisque c'est là-dessus qu'on est « un petit peu » connus, même si nous avons d'autres envies, dans d'autres secteurs.

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On pense que c'est bien d'être là où l'on nous attend.

Les Jours s'appuient sur un temps de l'information plus lent que celui que l'on peut voir dans des médias de flux. On a beaucoup entendu parler du concept de « slow information », « slow média », « slow journalisme » ces dernières années. Vous associez-vous au concept de Slow media ?

Non, on ne s'associe pas au slow média. On est plus dans le « deep », dans le profond, que dans le « slow ». Par exemple, aujourd'hui nous avons publié un papier dans l'obsession « La Charnière », sur les histoires des visas en Turquie. On est donc en plein dans l'actualité. On ne fait des papiers pour lesquels on part en reportages pendant deux à trois mois, pour le vendre des mois plus tard. La revue XXI, par exemple le fait très bien et fonctionne comme ça. Le Slow media, ça existe, mais nous, nous souhaitons jongler entre le profond, et l'actu. Nous voulons rester toujours connectés à l'actualité, sans être dans la course à l'info.

C'est ce qui est difficile et plaisant à la fois : il faut que nos sujets soient dans l'actualité, mais qu'on montre qu'on les traite plus en profondeur que les autres.

Par exemple, quand Jean Jacques Urvoas a été nommé Garde des Sceaux fin janvier 2016, il se trouve que c'est une personne politique que l'on suivait depuis trois mois. Le jour où il est nommé, les autres médias ont des dépêches AFP, soit un petit portrait s'ils ont de la chance. Nous, nous avions un suivi de trois mois de Jean-Jacques Urvoas, des informations sur comment il avait évolué en politique, sa position pour la suspension de l'état d'urgence, etc.

La manière dont sont rédigés les « épisodes » (emploi du « je », immersion, place importante accordée à la description des lieux, des personnages, etc.) diffère de l'écriture plus factuelle que l'on peut rencontrer traditionnellement dans la presse quotidienne sur le web. Pourquoi ces choix d'écriture ? Est-ce pour mieux raconter, pour mieux faire comprendre, pour se démarquer ?

Il se trouve que ce n'est pas tellement un choix, puisque les membres de l'équipe des Jours ont tous un peu de « bouteille » en matière d'écriture. Nous sommes tous des journalistes avec une écriture qui s'est déjà installée. Chacun a un style d'écriture différent et on voulait apporter une grande importance au soin accordé à l'écriture.

Sur l'emploi du « je » est arrivé avec l'obsession « 13 novembre » de Charlotte Rotman qui habite juste à côté du Bataclan. Le lendemain du 13 novembre, elle était totalement prostrée. On lui a dit d'essayer d'écrire ce qu'elle nous a raconté. Elle a raconté naturellement à la première personne ce qu'elle a fait aussi pour l'obsession « Politique année 0 ». Cela montre marque aussi la rencontre avec quelqu'un. On n'impose pas l'emploi du « je ». Cela dépend de chacun. Mais d'autres l'emploient pour montrer le déroulement d'une enquête, une certaine proximité, et une immersion comme vous dites.

Organisation du travail

Quels sont les métiers qui composent votre équipe de travail hormis les journalistes ?

Parmi les fondateurs, il y a 8 journalistes, plus un directeur administratif et financier qui s'occupe du business plan, etc. Une autre journaliste est associée. Nous avons également une journaliste qui l'éditrice du site qui s'occupe de la mise en forme (titraille, etc.). Sébastien Cadré est directeur photo.

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Son poste est important puisque dans Les Jours nous accordons une place très importante à la photo. Nous avons également un développeur, une personne qui s'occupe du marketing. Nous faisons aussi appel à des pigistes, à une graphiste, mais qui ne sont pas sur l'effectif permanent de l'équipe.

Vous dites que c'est l'éditrice qui s'occupe de mettre en ligne les contenus. Les journalistes n'ont donc pas la main sur votre outil de publication de contenus ?

Si, mais il y a plusieurs « niveaux de lecture ». Chacun met son article en ligne. L'article est ensuite relu par les co-directeurs de la rédaction, puis l'article est communiqué au service « édition », qui va se charger de relire, de titrer, de mettre en forme l'article avec l'enrichissement de l'article (apparition de texte au scroll, citations, mise en place des photos, etc.). L'article est ensuite relu avant d'être mis en ligne.

Utilisez-vous un système de gestion de contenus (CMS) ?

Il est en cours de construction, pour le moment il a été fait un peu à la main. Dans la construction du site, on a d'abord privilégié le front, la vitrine.

Avez-vous fait appel à des prestataires externes pour réaliser le site ou bien tout a été réalisé en interne ?

Tout a été fait en interne. C'est nous qui avons rédigé le cahier des charges du site, ce qui représente un travail de Romain : nous avons décrit chaque possibilité, chaque fonctionnalité.

À ce propos du cahier des charges, j'ai bien remarqué que vos articles répondaient à un cahier des charges précis en matière de webdesign. Quand vous avez rédigé votre cahier des charges, quelles étaient vos priorités en termes de « scénographie éditoriale » ?

C'est idiot, mais on voulait que notre site soit beau, ce qui ne veut rien dire du tout lorsqu'on écrit un cahier des charges !

Plus sérieusement, on voulait d'emblée récupérer les codes de la presse papier avec une typographie très soignée, la présence d'une lettrine, d'exergues et de citations. On souhaitait également accorder une large place à la photographie, proposer une lecture « zen » et en même temps enrichie.

Est-ce que ce cahier des charges entraîne des contraintes ? Je pense notamment aux formats des visuels.

Il y a des tonnes de contraintes, notamment parce qu'on s'est développé directement sur desktop, mobile, et tablette, ce qui n'arrive d'ailleurs jamais. Je crois qu'on est le premier média à avoir fait ça en France. Se développer comme ça, sur trois écrans en même temps, c'est une galère incroyable.

Par exemple, pour nous adapter à chaque écran, nous comptons proposer trois niveaux de titres de longueur différente : un pour ordinateur, un pour mobile, et un pour tablette. Aujourd'hui, on s'appuie sur la longueur du titre sur support mobile et on indique ce titre-là sur les autres écrans. Nous avons également des contraintes liées au cadrage des photos.

Mais c'est ça qui est rigolo : le fait de jouer avec les contraintes.

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Forme des contenus

Pourquoi avoir choisi le web comme support ? Avez-vous pour projet de faire une version papier ?

Quand on s'est mis à réfléchir sur ce qu'on voudrait faire en quittant Libération, on s'est que ce serait du web. C'était une évidence. On ne voulait pas en 2015 se lancer dans un journal papier, mensuel ou hebdo. Nous, on aime l'actu du quotidien. Or, un quotidien aujourd'hui on le fait en ligne.

Pour ce qui est du papier, on se dit que les obsessions ont pour vocation d'être rassemblées au bout d'un moment. C'est le cas des obsessions « Les années collège », qui est un reportage d'un an dans un collège ou « Les revenants » qui traite des retours de Syrie des jihadistes français. On peut imaginer effectivement, une édition papier qui serait un recueil d'obsessions.

Les Jours exploite les possibilités du web (contenus multimédias, liens hypertextes, etc.). Selon vous, qu'apporte le web à des reportages tels que ceux publiés dans Les Jours ?

Le web, on connait tous bien. À Libération, j'étais dans le seul service qui traitait l'actu à la fois sur papier et sur le web, donc c'est une gymnastique que je connais bien.

Par ailleurs, on s'est rendu compte que les articles de presse dans les médias traditionnels étaient souvent décalqués du papier au web. Nous, on voulait se positionner comme « la 2e génération de pure players », c'est-à-dire celle qui utilise pleinement toutes les ressources du web, notamment en étant disponibles immédiatement sur les trois écrans. C'est également les apports des personnages, des sons, des vidéos, qui permettent d'avoir des articles enrichis. Ces enrichissements ne seraient pas possibles sans le web.

À ce titre, lorsque vous parlez de « deuxième génération de pure players », vous pensez à d'autres titres, d'autres médias qui feraient partie de cette génération ?

On veut être les premiers de la deuxième !

Plus sérieusement, la première génération correspond à des médias comme Rue89 ou Médiapart (qui fait un super travail, et dont le modèle économique nous a fortement inspirés et motivés).

Il y a aujourd'hui beaucoup de sites comme Ulyces, Le Quatre Heures, L'Imprévu, et d'autres qui représentent pour moi cette génération. C'est vrai que Les Jours est un média qui a plus de moyens en termes de ressources humaines, nous avons aussi plus d'expérience journalistique que d'autres. Mais si nous avons tous à peu près le même discours dans la mesure où nous souhaitons proposer une information qui diffère de l'information de flux, nous avons chacun nos réponses.

Vous possédez votre propre fonds iconographique. Pourquoi ne pas faire appel à des agences photo ?

Nous faisons tout de même appel à des agences de photographes, mais nous ne sommes pas abonnés aux fils d'agence comme l'AFP ou Reuters. Toutes les photos que nous avons sont exclusives aux Jours.

Nous ne souhaitons pas non plus avoir les mêmes photos que tout monde. Enfin, on ne veut jamais de prétexte pour rédiger un article. On ne veut pas faire des articles-prétextes parce que ça fait du

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clic, de la même manière que nous ne souhaitons pas publier de photos pour faire de la simple illustration.

Si nous n'avons pas de photos pour un article, tant pis. Pour nous, la photo doit apporter une voie supplémentaire. Nous mettons d'ailleurs petit à petit des diaporamas permettant de consulter les photos d'un épisode indépendamment de l'article puisque le diaporama raconte une tout autre histoire.

Pour nous, c'est insupportable de voir par exemple des photos de manifestations représentant toujours la même chose : au premier plan, un cordon de CRS avec un arrière-plan flou, des manifestants.

Pour nos reportages, on associe toujours le photographe à une réflexion en amont avec les journalistes, car la photo doit apporter du sens au même titre que le texte ou un autre support.

Pourquoi faire appel à des illustrateurs pour certaines obsessions (cf. Les Revenants) ? Est-ce pour diversifier l'iconographie ou bien par manque de visuels photographiques sur le sujet ?

On a toujours voulu publier de l'illustration parce ce sont des choses qu'on aime bien et que l'on a aussi apprises à Libération. Sur ce cas précis « Les Revenants », nous avions effectivement des problématiques d'anonymat, donc on ne pouvait pas voir les témoins.

Sinon, nous faisons appel à des illustrateurs, car pour nous, c'est une autre façon de raconter une histoire, c'est un autre regard.

Pouvez-vous en quelques mots expliquer votre manière de travailler ? Diffère-t-elle de celle que l'on rencontre traditionnellement dans les rédactions ?

On commence tous les matins par une conférence de rédaction comme dans n'importe quel journal. On s'interroge sur les sujets qui font l'actualité et que l'on va traiter. On se pose la question de savoir si on va les intégrer à nos « obsessions ». C'est ce choix qui est le plus complexe.

Finalement, on fait l'impasse sur certains, mais dans l'ensemble, on arrive à traiter de nombreux sujets l'actualité. Par exemple, quand on parle de Bolloré et de Canal plus, on parle aussi de la violence au travail, et d'un monde économique impitoyable. Dans « Les années collège », on raconte un conseil de classe, mais on parle aussi de mixité, d'intégration, de la jeunesse.

Dernière question. Les 12 obsessions sont aujourd'hui accessibles sur la page http://lesjours.fr/obsessions/ et défilent de manière antéchronologique. Comment comptez-vous classer les obsessions par la suite, lorsque celles-ci seront beaucoup plus nombreuses ?

Pour le moment, nous n'y avons pas réfléchi ! Mais effectivement, nous allons devoir nous pencher sur cette problématique.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo