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Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?

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par Manon Le Flour
Institut Catholique de Paris - DU Solidarités Internationales : action solidaire et dialogue interculturel 2016
  

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Introduction

Ces premières lignes de l'ouvrage de R. Kapuoeciñski éveillent en moi beaucoup de sensations, de pensées, de souvenirs. Elles éveillent en moi mes premiers moments à Brazzaville. Je quittais, quelques heures auparavant la fraicheur de la Haute-Savoie pour me retrouver dans cet environnement humide et presque étouffant. Tous mes sens sont alors en éveil : les premiers sons des percussions, les premières odeurs qui me rappellent un ancien voyage sur le continent africain, les scènes de vie qui m'émerveillent avec toutes ces femmes en boubous de multiples couleurs. Je suis alors marquée par cette effervescence continue. Cette effervescence à laquelle, petit à petit, je vais m'habituer.

Je repense alors à la formation Intercordia, et tout particulièrement à Gilles Le Cardinal nous disant : « Pour que notre vie ait du sens, il faut sortir de sa zone de confort ». Pour comprendre cette phrase il faut revenir aux théories de psychologie du développement et plus particulièrement aux travaux de Lev Vytgosky (1978)2 sur la zone proximale de développement, concept repris par les théories de développement personnel et de coaching qui ont vu le jour ces dernières années. L'être humain, au cours de sa vie et de ses expériences, voyage entre plusieurs zones. Tout d'abord la zone de confort, qui est la zone où nous passons le plus de temps et dans laquelle nous avons nos habitudes. Nous pouvons y évoluer sans besoin de l'aide de personne. C'est la zone où nous nous sentons en sécurité. Puis, à certains moments, l'individu va sortir de sa zone de confort pour entrer dans la zone de challenge, pouvant aussi être appelée zone proximale d'apprentissage. C'est la zone qui va confronter l'individu à des nouveautés qu'il va être en mesure d'intégrer afin de développer de nouvelles compétences. C'est une zone où se retrouvent les défis que l'individu se lance afin de progresser. Si ces derniers sont trop importants ou hors de portée, nous entrons dans la zone de panique, où de nombreuses émotions négatives émergent : peur, anxiété... C'est cette zone qu'il va falloir apprivoiser en traversant la zone de challenge.

2 Vytgosky, L. (1978). Interaction between learning and development, Mind and Society. Cambridge, MA: Harvard University Press, p.79-91

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L'aventure Intercordia me semble un bon exemple du voyage que nous faisons au travers ces différentes zones, de manière non linéaire, tout au long de notre expérience. En effet, nous quittons notre zone de confort pour partir à la découverte d'un nouveau pays. Nous arrivons dans la zone de challenge ou de nombreux défis sont à relever et frôlons des fois la zone de panique. Petit à petit, notre zone de confort s'élargit afin de repousser de nouvelles limites au fur et à mesure que les mois passent. C'est effectivement une expérience qui va nous permettre de trouver un sens à nos envies, à nos choix et potentiellement à notre vie.

Nous quittons donc notre espace familier avec nos représentations sur le monde, sur ce nouveau pays, sur la mission dans laquelle on va s'investir. Bien entendu, il y a aussi des questions, des doutes, des interrogations qui vont se faufiler dans nos bagages pour nous accompagner tout au long de l'année. Je quittais la France avec mon bagage de connaissances et de compétences et sur le point de débuter ma première expérience professionnelle dans mon domaine et j'avais bel et bien emporté avec moi de nombreuses questions. Beaucoup de ces dernières concernaient ma pratique de psychologue dans une culture qui me semblait très différente de la mienne. J'écrivais d'ailleurs lors de mon premier rapport d'étonnement de juillet 2015 : « débuter sa pratique professionnelle dans un cadre culturel complètement différent est d'autant plus inquiétant ».

Puis au fil des jours et des expériences sur le terrain, ces questionnements se sont intensifiés et de nouveaux ont vus le jour. J'ai pris le temps de découvrir cette culture, cet environnement, ces centres de santés et les personnes qui y travaillaient. Chaque jour je découvrais un peu plus. Je découvrais aussi le monde du travail au Congo, et ce n'était pas sans peine. Mes notions d'exigence, d'efficience, d'efficacité étaient alors confrontées à la notion du temps africain connu de tous. Le concept de cadre, important et essentiel dans de nombreuses théories psychologiques, était lui aussi mis à rude épreuve.

Toutes ces observations m'ont amenée à me questionner sur la prise en charge de la santé mentale dans les pays africain tel que la République du Congo. J'ai alors débuté des recherches dans la littérature actuelle et me suis rendue compte que la notion de santé mentale était encore très jeune. En effet, comme le précise Florian Kastler dans son article (2011)3, la composante mentale de la santé apparaît pour la première fois en 1946 dans le Préambule de à la Constitution de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui définit la santé comme

3 Kastler, F. (2011). « La santé mentale en Afrique : un défi oublié ou une réponse institutionnelle inadaptée ? ». Santé internationale : Les enjeux de santé au Sud. Paris : Presses de Science Po, 169-177

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« un état de complet bien être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ».

Cependant, ce n'est seulement qu'au début des années 2000 que l'OMS définit le concept de santé mentale comme « un état de bien-être dans lequel chaque personne réalise son potentiel, fait face aux difficultés normales de la vie, travaille avec succès de manière productive et peut apporter sa contribution à la communauté »4.

Nous pouvons alors constater que ce n'est que dernièrement que la question de la santé mentale en Afrique a émergé malgré la présence réelle des maladies mentales dans les pays en voie de développement. Les chiffres de l'OMS évoquent 450 millions de personnes atteintes d'une pathologie mentale dans le monde à l'heure actuelle et qu'une personne sur quatre rencontre un épisode de trouble mental au cours de sa vie. La Fédération Mondiale de la Santé Mentale (FMSM)5 va plus loin en affirmant que plus de la majorité des personnes souffrant d'un trouble mental ne reçoivent pas les soins dont elles auraient besoin pour se soigner. Les organisations internationales sonnent le signal d'alarme et commencent tout juste à prendre en compte l'importance de la prise en charge des troubles mentaux dans les sociétés et particulièrement dans les pays en voie de développement. Cela est d'autant plus important que dans la majorité des cas les troubles mentaux vont amener à l'exclusion sociale, avec des conséquences importantes sur cette population déjà vulnérable.

Afin de pousser un peu plus la réflexion lorsque j'étais sur place, j'ai rencontré des professionnels de la santé qui ont accepté de répondre aux questions que je me posais et d'ouvrir le débat. J'ai alors rencontré un psychiatre travaillant au sein du service psychiatrique du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Brazzaville, ainsi que deux psychologues. Le premier, psychologue formé dans une université française au début des années 1980 et travaillant actuellement dans le Centre National de Traitement des Traumatismes Psychiques, part régulièrement en mission dans le nord du pays pour prendre en charge les réfugiés de la République Centre Africaine (RCA). Le second, psychologue, formé à Cuba dans les années 1980 travaille actuellement à l'OMS en tant que consultant sur la prise en charge du stress post-traumatique chez les réfugiés.

4 Organisation Mondiale de la Santé (2001). Rapport sur la santé dans le monde 2001 - La santé mentale : nouvelle conception, nouveaux espoirs. Bibliothèque de l'OMS

5 Fédération Mondiale de la Santé Mentale (2009). La Santé mentale en soins primaire : améliorer le traitement et promouvoir la santé mentale. Bibliothèque de la FMSM

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Ces entretiens m'ont amenée à pousser les recherches et à me questionner sur le concept d'itinéraires thérapeutiques, lui aussi déjà étudié dans la littérature des sciences sociales, et plus particulièrement en anthropologie. Comme nous le précise Anne Marcellini et ses collaborateurs dans leur article (2000)6, c'est le célèbre J.-M. Janzen qui a définit cette notion d'itinéraire thérapeutique lors de son étude sur la région du Bas-Zaïre (1995)7. Il définit ce concept par le parcours qu'empruntent les malades, en prenant en compte les différents recours aux soins, mais aussi leurs familles, lors de leur choix thérapeutique afin de parvenir à la guérison, à la stabilisation ou au décès.

La République du Congo se trouvant dans un entre deux, où la culture traditionnelle africaine a été influencée par les cultures occidentales, à travers la colonisation mais aussi la mondialisation, trois recours thérapeutiques se trouvent dorénavant en concurrence : le recours traditionnel, le recours religieux et le recours à la psychiatrie.

La communauté ayant une importance prépondérante au sein des cultures africaines comme nous pourrons le voir, le choix du recours thérapeutique est intimement lié à la dynamique familiale et plus particulièrement aux rapports de force qui existent entre les différents membres. Au cours des dernières décennies, les personnels de santé ont pu observer une modification des itinéraires thérapeutiques avec un inversement des trois recours, au profit de la médecine occidentale.

Toutes ces lectures, ainsi que les rencontres faites sur mon terrain de mission, m'ont alors amenée à poser la problématique suivante :

Quelle place pour la psychologie dans une culture traditionnelle africaine ?
L'exemple des itinéraires thérapeutique en République du Congo.

Afin de répondre à cette problématique, j'ai essayé de réfléchir en partant de l'idée des itinéraires thérapeutiques qui existent au Congo-Brazzaville et de leurs évolutions dont les professionnels rencontrés m'ont parlé.

6 Marcellini, A., Turpin, J.-P., Rolland, Y., Ruffié, S. (2000). « Itinéraires thérapeutiques dans la société contemporaine ». Corps et culture. [En ligne], Numéro 5 | 2000, mis en ligne le 24 septembre 2007, Consulté le 13 juillet 2016. URL : http://corpsetculture.revues.org/710

7 Janzen, J.-M. (1995). La quête de la thérapie au Bas-Zaïre. Paris : Karthala

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Le plan suivra donc l'itinéraire thérapeutique qui a été reconnu majoritaire au début des années 1980 : l'individu qui rencontre des troubles psychiques va dans un premier temps se diriger vers un soigneur traditionnel. Puis, si les troubles persistent, il va consulter auprès d'une personnalité religieuse dans un second temps. Enfin, en dernier recours, la famille se tournera vers le service de psychiatrie de l'hôpital général afin de parvenir à la disparition du symptôme.

Dans cette optique, nous évoquerons dans une première partie le Congo-Brazzaville en tant que culture traditionnelle africaine afin de mieux comprendre ce qu'est le recours thérapeutique traditionnel. Tout d'abord, nous ferons un point sur la République du Congo en s'appuyant sur les données statistiques actuelles disponibles afin de se rendre compte des problématiques et de la situation d'un point de vue historique, démographique, politique et économique. Puis, nous prendrons le temps de définir le concept de culture dans les sciences sociales, et plus particulièrement celui de culture traditionnelle africaine, qui sera alors illustrée par certaines caractéristiques de la culture existante en République du Congo.

Dans une seconde partie, nous aborderons la question de la religion, et de son importance au sein de la culture congolaise. Pour cela, dans un premier temps, nous reviendrons sur les différents courants qui se trouvent au sein du pays, pour ensuite apprécier l'importance de la religion dans la vie quotidienne des congolais. Enfin, nous consacrerons une sous-partie à la puissance des institutions religieuses, et plus particulièrement à l'Eglise Evangélique du Congo qui a été l'organisme qui m'a accueillie au cours de ma mission.

Enfin, dans une dernière partie, nous évoquerons la naissance du système de santé prenant en charge les troubles mentaux en République du Congo, et plus précisément à Brazzaville. Afin de comprendre les enjeux de cette problématique actuelle, nous aborderons dans une première sous-partie les premières réflexions sur la santé mentale et sa gestion dans les pays du sud. Puis, nous évoquerons la difficulté rencontrée par de nombreux pays en voie de développement qui se traduit par la crise des ressources humaines dans le domaine de la santé. Dans une troisième sous-partie, nous reviendrons sur les théories psychologiques interculturelles, ainsi que les plus utilisées par les professionnels de la santé sur le terrain. Enfin, afin de clore notre travail de réflexion, nous ferons l'état des lieux des politiques de santé publique existantes au Congo-Brazzaville. Nous évaluerons les perspectives d'évolutions envisagées par le gouvernement actuel.

I. 7

La République du Congo en quelques chiffres

1. Rappel géographique et historique

La République du Congo, plus communément appelée Congo-Brazzaville, est située en Afrique Centrale. Le territoire du Congo trouve sa particularité par la présence de la forêt tropicale humide, second massif forestier tropical, couvrant alors une majeure partie du territoire et participant à la dynamique du pays. Cette forêt tropicale est majoritairement drainée par le fleuve Congo qui joue un rôle important dans la vie économique du pays, et sert aussi de frontière naturelle avec la République Démocratique du Congo et de l'Angola.

La découverte de ce pays date du XVème siècle lors de l'exploration du fleuve Congo et les premiers contacts seront principalement commerciaux. C'est en 1879, lorsque Pierre Savorgnan de Brazza pénètre sur le sol congolais, qu'un traité de souveraineté est signé avec le Roi Makoko. Au cours de l'exploration du pays, plusieurs traités de ce type seront alors signés avec les différentes tribus. Le Congo devient alors un des quatre Etats de l'Afrique équatoriale française en 1885. Puis, quelques années plus tard, en 1891, la colonie du Congo français est créée officiellement.

C'est à la suite de la Première Guerre Mondiale que les premiers mouvements de protestation apparaissent menés par André Matsoua. Cependant, ce n'est qu'à la fin de la Seconde Guerre Mondiale que le mouvement vers l'indépendance reprend, symbolisé par l'élection du premier député congolais à l'assemblée constituante de Paris en 1945.

Le chemin vers l'indépendance sera long et difficile. Il débute à la suite de la Première Guerre Mondiale, pendant laquelle les Congolais se sont battus aux cotés de l'armée française, par la création d'une amicale par André Matsoua en 1926 qui devient rapidement un mouvement de protestation. C'est seulement à la fin de la Seconde Guerre Mondiale que le mouvement vers l'indépendance reprend avec l'élection du premier député congolais à l'assemblée constituante de Paris en 1945. Le Congo devient alors une république autonome en 1958 et, au cours des troubles de 1959 à Brazzaville, Fulbert Youlou est élu président de la République. Le Congo accède à l'indépendance le 15 Août 1960.

La présidence sera reprise en 1963 par Alphonse Massamba-Débat qui se prononce en faveur du socialisme et qui se rapproche de la Chine. Cinq années après, l'arrestation du capitaine Marien Ngouabi pour ses convictions socialistes, va faire vibrer certains éléments de l'armée qui vont alors organiser un putsch. A la création du Conseil National de la Révolution

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(CNR) par le capitaine Marien Ngouabi, le président Alphonse Massamba-Débat se doit de déposer sa démission en septembre 1968. A la fin de l'année, le CNR se proclamera à la tête du pays et de ce fait Marien Ngouabi devient le chef de l'Etat congolais. Cette période sera caractérisée par la seconde République du Congo de type populaire pendant laquelle le président assiéra le socialisme. Cependant, le régime est instable et est confronté à plusieurs tentatives de coup d'Etat. Marien Ngouabi sera alors assassiné en 1977 et Joachim Yhombi-Opango lui succédera, jusqu'à l'arrivée du président actuel.

C'est donc le 05 février 1979 que Denis Sassou N'Guesso s'empare du pouvoir par les armes. L'atmosphère politique va de nouveau être troublée à la fin du premier mandat de Denis Sassou N'Guesso. Pendant plusieurs années, le président ne sera pas destitué mais perdra une grande partie de ses privilèges. En 1992, lors des élections présidentielles, Denis Sassou N'Guesso sera vaincu par Pascal Lissouba avec qui il crée un partenariat. A partir de 1995, il commencera à préparer un coup d'Etat qu'il mettra alors à exécution en 1997, année où il reprendra le pouvoir par les armes.

La République du Congo va alors connaître de sombres années où la guerre civile va faire des ravages. L'apogée de cette crise se situera à la fin de l'année 1998 ou l'armée procèdera à une opération lourde au sein des quartiers du sud. Ce n'est qu'une année plus tard que le pouvoir reprendra en partie le contrôle du territoire. Mais la guerre civile a laissé des traces indélébiles, avec une opposition Nord-Sud, qui va diviser le pays en créant un sentiment d'insécurité.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo